Compte rendu

Mission d’information sur
les freins à la transition énergétique

Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la fiscalité :
– M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du Ministère de l’économie et des finances ;

– M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du Ministère de la transition écologique et solidaire, et M. Timothée Furois, sous‑directeur des marchés de l’énergie et des affaires sociales ;

– M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;
– Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC) ;
– M. Benoît Ferres, président de Caméo, et Mme Isaure d’Archimbaud, chargée des relations institutionnelles de Caméo (IA conseils)              2


Jeudi
28 mars 2019

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 25

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de
M. Julien Dive,
président
 

 


  1 

L’audition débute à onze heures trente.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, je vous remercie d’être présents pour cette seconde audition matinale de la mission d’information sur les freins à la transition énergétique. Cette mission a été créée en juillet 2018 et a commencé ses travaux au mois de septembre. Depuis, elle a mené environ 25 auditions, organisées selon sept thématiques, que M. le rapporteur vous présentera dans quelques instants. Nous menons nos auditions depuis plusieurs mois. Pour des raisons de temps et d’organisation, il est difficile de recueillir les contributions de tous les acteurs, et parfois d’approfondir les échanges au sein même des auditions. Nous avons donc lancé, le 6 mars dernier, une consultation en ligne sur le site de l’Assemblée nationale ; elle sera ouverte jusqu’à mi-avril. Elle est organisée selon les mêmes sept thématiques. Les citoyens, les professionnels, les associations et les experts peuvent y contribuer et voter pour privilégier certaines propositions. Cette consultation servira entre autres, à alimenter le rapport final de cette mission d’information. Notre audition est enregistrée et diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale, elle est ouverte à la presse et un compte rendu sera élaboré à l’issue de l’audition.

Mesdames et messieurs, je vous propose d’intervenir entre cinq et dix minutes, pour présenter votre activité et nous exposer les freins à la transition énergétique, mais aussi les leviers que vous auriez pu identifier, ce en allant droit au but, de manière à pouvoir ensuite privilégier l’échange avec les parlementaires.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Cette mission d’information est structurée selon plusieurs axes. Le premier d’entre eux concerne le manque de vision, à terme, que nous avons du paysage énergétique de la France dans dix, vingt ou trente ans, en termes de production comme de consommation, et porte aussi sur le mix énergétique de production et celui de consommation. Une seconde thématique concerne les filières d’énergies renouvelables, point plus traditionnel, que ce soit le photovoltaïque, l’éolien, la méthanisation, etc. Un thème concerne les économies d’énergie, que ce soit dans l’habitat ou l’industrie, et un autre porte sur la vision qu’ont les grands groupes d’énergie de leur transformation, à terme, dans un monde sans pétrole ; je précise que nous avons pris le biais d’un objectif « zéro » pétrole, en mettant le nucléaire de côté, puisque nous ne traitons pas cette question. Nous nous intéressons aussi à la façon dont les territoires s’approprient cette transition, puisque l’énergie est produite partout, et que le rôle des territoires – régions et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – est primordial dans cette planification. Un dernier thème concerne la fiscalité dans la transition énergétique, et particulièrement la fiscalité de l’énergie. Voilà notre manière de travailler.

M. le président Julien Dive. Nous sommes très heureux d’accueillir M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC) ; M. Benoît Ferres, président de Caméo, accompagné de Mme Isaure d’Archimbaud, en charge des relations institutionnelles ; M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire, accompagné de M. Timothée Furois, sous-directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales. Nous rejoindra sous peu M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du ministère de l’économie et des finances. Vous avez la parole.

M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence nationale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je représente l’ADEME, agence publique sous la tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous sommes chargés de conseiller nos tutelles et d’accompagner la transition énergétique sur les territoires en France, via subventions et conseils. Je suis pour ma part responsable des programmes de modélisation macroéconomiques de la transition énergétique et de l’évaluation des effets économiques des politiques fiscales environnementales.

L’ADEME a constaté que, pour atteindre les objectifs assignés par le législateur, à savoir une diminution de nos émissions de gaz à effets de serre (GES) de 40 % en 2030, il faudrait doubler le taux de taxe carbone qui était prévu par la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. La loi prévoyait un taux de 100 euros la tonne de CO2 en 2030. D’après nos modèles macroéconomiques, la taxe devrait s’élever à environ 200 euros par tonne de CO2 à ce même horizon 2030. Ce n’est pas rien.

Nous considérons qu’il faut impérativement, pour renforcer l’acceptabilité de cette mesure, redistribuer les recettes de cette taxe, aux agents, au prorata de leur contribution : nous rendrions aux ménages ce que nous prélèverions aux ménages, et nous rendrions aux entreprises ce que nous prélèverions aux entreprises. D’après les études macroéconomiques que nous avons menées, si nous redistribuions les recettes de la taxe aux agents, croissance du PIB et créations d’emploi seraient au rendez-vous, avec une amélioration de la balance commerciale et une amélioration du ratio déficit public sur PIB.

En instaurant une taxe carbone, nous encouragerons les ménages et les entreprises à réaliser des investissements d’efficacité énergétique, principalement des investissements d’isolation du bâti pour les ménages. Ce regain d’investissement induira un accroissement de l’activité de l’économie française, et une diminution de l’importation de combustibles fossiles, qui pèsent lourdement dans la balance commerciale. Une facture énergétique de 70 milliards d’euros correspond à peu près au montant du déficit commercial de la France, du moins pour l’année dernière. L’amélioration de la balance commerciale de la France et le regain d’investissement pourraient déboucher sur des créations d’emploi, impliquant une diminution du chômage, une hausse de la consommation et un accroissement des débouchés des entreprises. S’engagerait donc un cercle vertueux.

À l’inverse, si nous instaurons une taxe carbone et que nous ne redistribuons pas les recettes aux agents, alors les ménages perdraient du pouvoir d’achat. Avec une tonne de CO2 à 70 euros, les ménages perdraient en moyenne 240 euros par an de revenu disponible. La consommation diminuerait, les entreprises subiraient une augmentation de leur coût unitaire de production et une diminution de leur compétitivité, dégradant ainsi la balance commerciale française. Le PIB diminuerait.

Il nous paraît essentiel d’accélérer la trajectoire de la taxe carbone pour atteindre nos objectifs, et redistribuer ces recettes pour ne pas pénaliser l’activité économique et ne pas aggraver la précarité énergétique et la situation des plus précaires. Si nous redistribuions les recettes de la taxe carbone payée par les ménages aux ménages de manière forfaitaire, le dispositif serait en lui-même redistributif. Par exemple, en 2020, avec une taxe carbone de 70 euros la tonne de CO2, nous reverserions en moyenne 240 euros de recettes par foyer, via un crédit d’impôt sur le revenu ou une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG). De toute manière, les prélèvements obligatoires sont opérés à la source, il ne serait donc pas très compliqué de passer par une baisse de l’impôt sur le revenu, grâce à un crédit d’impôt. Comme les ménages les plus défavorisés consomment moins d’énergie que les classes moyennes et les classes les plus favorisées, il y a fort à parier qu’elles recevraient plus d’argent d’une main qu’elles n’en auraient à payer de l’autre. Nous estimons que les ménages du premier et deuxième déciles pourraient gagner entre 100 et 150 euros par an. À l’inverse les ménages du dixième décile, les plus favorisés, pourraient perdre 150 euros en moyenne, ce qui ne représente même pas 0,1 % de leur revenu disponible.

Nous pouvons envisager, d’après les simulations de l’ADEME, une redistribution dégressive : doubler le montant redistribué au premier décile de la population et faire décroître ce reversement jusqu’au huitième décile de la population. De cette manière, nous serions certains que les ménages appartenant au premier décile, vivant à la campagne et loin des accès de transport collectif, prisonniers d’un véhicule diesel ancien et consommateur, ceux vivant dans des logements qui sont des « passoires thermiques », recevraient plus d’argent qu’ils n’en auraient à payer via la taxe. Voilà qui nous semble être une condition essentielle à l’atteinte de nos objectifs climatiques et à l’acceptabilité de cette taxe, sans laquelle il serait assez vain d’espérer que nous puissions diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050.

Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC). Je vais vous exposer le point de vue de Réseau action climat sur la question posée, à savoir en quoi la fiscalité écologique peut représenter un frein à la transition énergétique. Mes propos seront complémentaires de ceux de M. Callonnec. Je vais intervenir particulièrement sur la fiscalité énergétique et carbone.

La taxe carbone a été mise en place en France en 2014. Elle est incluse dans la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Elle génère aujourd’hui environ 8 milliards d’euros, pour un taux de 44 euros la tonne de CO2. Effectivement, avoir une taxe carbone à la hauteur des ambitions climatiques de la France est essentiel, car la taxe rend cher ce qui est polluant. Aujourd’hui, il est clair que le signal donné rencontre des limites. Il n’existe pas souvent de solution alternative à la voiture, et les coûts de rénovation énergétique peuvent être très importants, d’où un problème d’acceptabilité sociale. Les solutions alternatives pour réduire la consommation des énergies fossiles ne sont pas accessibles à tous, notamment aux ménages aux plus faibles revenus.

La taxe carbone existante représente en moyenne 340 euros pour les ménages : 40 % sont liés au chauffage et 60 % à la mobilité. Cette taxe est régressive, puisque le premier décile de la population paie 2,7 fois plus que le dixième décile par rapport à son revenu disponible, d’où un problème d’acceptabilité sociale. La trajectoire de hausse de la taxe carbone a donc été gelée, à la suite de la crise des « Gilets jaunes ».

Aujourd’hui, plusieurs propositions sont sur la table, celles de l’ADEME, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), de Terra Nova, de l’Institut for Climate Economics (I4CE) et d’organisations non gouvernementales (ONG). Nous-mêmes allons publier une nouvelle proposition la semaine prochaine, plus élaborée, pour laquelle nous avons travaillé avec une économiste. Nos points de vue convergent pour dire qu’une nouvelle taxe carbone plus juste est possible. Toutes les propositions insistent sur la redistribution.

Notre proposition, sans entrer dans le détail, est la suivante : il s’agit de redistribuer une partie de la hausse de la taxe carbone. Nous reprendrions la trajectoire décidée auparavant, puis nous redistribuerions une grande partie de cet argent aux premiers déciles, selon un principe de progressivité, en fonction du lieu de vie – le volet transport pèse plus lourd pour les personnes qui vivent à la campagne – et de la composition du ménage. Un ménage du premier décile qui vit en ville, qui a une voiture diesel et se chauffe au gaz pourrait recevoir 274 euros, soit un gain de 200 euros. Nous allons publier cette étude la semaine prochaine, je ne détaillerai donc pas les chiffres. Il est important de retenir que beaucoup de personnes cherchent à rendre la taxe carbone socialement acceptable, grâce à ce volet de redistribution aux ménages, par exemple via un crédit d’impôt. Voilà donc le premier frein, celui de l’acceptabilité sociale de la fiscalité écologique.

Un deuxième frein identifié est celui de la compréhension de cette taxe et de l’affectation des recettes. La taxe carbone génère d’importantes recettes, d’environ 8 milliards d’euros. Certes, une affectation directe n’est pas possible ; mais le message politique sur cette question n’est pas clair. Il existe un compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », qui inclut le financement des énergies renouvelables. Il serait cependant beaucoup plus intéressant de dire à la population quelles solutions sont financées avec cet argent, par exemple la rénovation énergétique pour les ménages en situation de précarité, l’accès à des véhicules moins polluants, la création d’infrastructures de mobilité douce, la célèbre « dotation climat », etc. Voilà qui constituerait un signal fort pour les collectivités, en insistant sur le fait qu’elles sont le maillon qui met en œuvre, pour une grande partie, les politiques de la transition énergétique. Il s’agit d’une question d’ingénierie et de mobilisation des acteurs dans les territoires.

Le troisième frein est celui de la justice entre les acteurs, quant à la taxe carbone, et plus globalement quant à la TICPE. Un grand nombre d’exemptions ou de taux réduits existent. La loi de finances pour 2019 contient 11 milliards d’euros d’exonérations ou de réduction de taux. Il s’agit d’une estimation, car la hausse de la taxe carbone doit intervenir. Quoi qu’il en soit, c’est un montant assez important, qui profite à certains secteurs d’activité. Le message est ainsi contradictoire : taxe carbone versus exemptions sur les énergies fossiles. L’une des propositions de Réseau action climat, depuis longtemps, est de mettre fin progressivement à ces niches, en accompagnant les secteurs d’activité et les entreprises concernés. Je rappelle que nous défendons l’objectif « zéro chômeur de la transition écologique ». Ces contraintes doivent être prises en compte. Donner de l’argent aux industries polluantes et s’intéresser en même temps à une taxe carbone, voilà qui est très contradictoire.

Pour comprendre comment aborder le problème, je prendrai l’exemple du kérosène. Une suppression de cette niche n’est pas possible, car elle résulte d’un accord international. Nous nous intéressons à la mise en place d’une taxe sur les billets d’avion. Il s’agirait de partir du modèle français, une nouvelle version de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, la « taxe Chirac », déjà existante, avec une modulation en fonction de la longueur du trajet et de la classe de voyage. En parallèle, nous souhaiterions mener une réflexion, à l’échelle européenne, pour, dans un premier temps, harmoniser les taxes déjà existantes sur les billets d’avion, puis, dans un second temps, établir une taxe kérosène européenne. Voilà une mesure que la France pourrait soutenir.

Concernant cette question de la justice entre les acteurs, je signale un autre point. En France, deux prix carbone existent : le prix de la composante carbone et le prix du système européen d’échange des quotas CO2, qui sont très différents, puisqu’ils s’élèvent respectivement à 44 euros et 21 euros. Par ailleurs, un grand nombre d’entreprises n’ont pas payé ces 21 euros ; en effet, la montée des prix est récente et un grand nombre de quotas sont distribués gratuitement. La problématique est similaire à celle des exemptions et taux réduits pour la TICPE, mais nous devons travailler ces questions. La taxe carbone doit être harmonisée entre les acteurs, pour améliorer l’acceptabilité de la taxe carbone en France par les ménages. Cela implique, dans un deuxième temps, de mener une réflexion sur l’accompagnement de ces acteurs, ainsi qu’à l’échelle européenne.

M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la direction générale des finances publiques (DGFIP), au ministère de l'économie et des finances. Madame, Messieurs les parlementaires, je vous prie de m’excuser pour mon léger retard. Je m’exprime ici en tant que directeur de la législation fiscale, c’est-à-dire en tant que fonctionnaire, et non en tant que porte-parole du Gouvernement sur ces questions. Le sujet est en cours de discussion, et le Gouvernement ne nous a pas encore adressé d’orientations. Mon propos ne se limitera pas à la taxe carbone et à la décision prise à la fin de l’année dernière d’interrompre la chronique de hausse des tarifs de la TICPE ; d’après ma compréhension du sujet, il s’agit de s’interroger plus largement sur l’existence éventuelle de freins fiscaux à la transition énergétique.

Du point de vue un peu général d’une direction chargée de l’élaboration de la loi fiscale, il est difficile d’identifier des freins fiscaux à la transition énergétique. Il n’existe pas de dispositif fiscal qui interdise à des acteurs de choisir des modes de logement, de transport ou de production moins polluants. Il n’existe aucune incitation fiscale qui va dans ce sens. Au contraire, les dispositifs s’efforcent, à la fois en matière de taxation indirecte, comme les accises, ou en matière d’impositions directes, comme l’impôt sur le revenu, d’inciter les ménages et les entreprises à adopter des comportements ou à choisir des modes de transport moins polluants. Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation tendancielle de l’imposition des produits énergétiques – c’est ce que nous appelons de façon un peu rapide la taxe carbone ou la TICPE – et à la création successive de nombreux dispositifs fiscaux incitatifs en matière environnementale, qu’il s’agisse de réductions et de crédits d’impôts ou de dispositifs de suramortissement en matière d’impôt sur les sociétés, qui incitent, par le biais de l’outil fiscal, à l’acquisition de biens d’investissement économes en énergie ou qui permettent de limiter la pollution.

Il me semble que notre système fiscal, de façon générale, encourage plutôt qu’il ne freine la transition énergétique. Cela ne veut pas dire que des dispositifs traitent différemment certains types de transport ou de consommation. Mais, si nous prenons un peu de recul, de manière générale, ces dernières années ont vu le développement de mesures fiscales favorables à la transition énergétique.

Le cadre juridique constitutionnel ou européen ne comporte pas non plus de dispositions qui freinent la transition énergétique. Le cadre européen, en matière fiscale, agit essentiellement par le biais de la fiscalité indirecte, grâce à la directive 2008/118/CE relative au régime général d'accise et à la directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. À l’origine, elles n’ont pas été élaborées pour favoriser la protection de l’environnement ou les économies d’énergie, mais dans une perspective d’amélioration du fonctionnement du marché intérieur. Elles créent des règles communes pour la définition des taxes sur les produits énergétiques, avec la nécessité, pour les États membres qui veulent instaurer de telles taxes, de respecter le cadre européen, pour ce qui est des modalités de calcul de l’assiette de la taxe, la détermination de son redevable et la nécessité de ne pas créer des impositions potentiellement discriminatoires entre les produits fabriqués sur le territoire national et ceux fabriqués dans d’autres États membres ou qui sont importés.

La directive sur le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité fixe simplement des tarifs minimums, que les États membres peuvent dépasser. La France compte parmi les États membres pour lesquels les tarifs de TICPE sont les plus élevés de l’Union européenne. À cet égard, elle présente une fiscalité plutôt favorable à la transition énergétique. Cela étant, cette directive comporte des dispositions qui soit prévoient la possibilité de tarifs réduits, soit obligent à accorder des exonérations. Ces exonérations, évoquées par Mme Fink, concernent les carburants et combustibles utilisés par le transport aérien et maritime, avec quelques exceptions. Si nous considérons que des tarifs réduits ou une exonération sont des freins à la transition énergétique, elles sont des dispositions qui pourraient rentrer dans le champ de vos travaux. Des tarifs réduits sont également autorisés pour le transport routier professionnel et les taxis ; il ne s’agit que de facultés, offertes aux États membres, et non pas d’une obligation. La France est donc libre, si elle le souhaite, d’aligner le tarif d’imposition du transport routier ou des taxis sur le tarif d’imposition des personnes privées. Aucun obstacle juridique ne s’y opposerait. Il s’agit plutôt d’une décision de politique publique que d’évaluer l’opportunité d’un tel alignement. Voilà pour le cadre général.

Nous pouvons mentionner rapidement les dispositions du cadre constitutionnel qui est le nôtre. Il est arrivé, au cours des années passées, que certains dispositifs, qui avaient des visées environnementales, aient été censurés par le Conseil constitutionnel, comme la taxe carbone, la contribution climat énergie en 2009, et déjà une taxe environnementale en 1999. À chaque fois, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, non pas parce que le droit constitutionnel s’opposerait à une fiscalité environnementale, mais parce que la manière, à ces yeux, dont avaient été dimensionnées des taxes à visée environnementale n’était pas conforme à l’objectif fixé et prévoyait notamment des exonérations pour un pan important de notre économie, ce qui était contradictoire avec l’objectif affiché de mettre à contribution l’ensemble des personnes ou entreprises qui consomment des produits énergétiques. Il existe une forte exigence, au plan constitutionnel, de cohérence entre l’objectif du législateur d’instaurer des taxes à visée environnementale et la taxe effectivement votée.

Je vous donnerai un exemple pertinent de taxe qui réponde à ces objectifs et à ces contraintes, même si elle n’est pas très connue : la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) afférente aux biocarburants, renommée « taxe incitative relative à l’incorporation des biocarburants » (TIRIB) dans la loi de finances pour 2019. Cette taxe vise à inciter les distributeurs de produits pétroliers à incorporer des biocarburants dans leurs carburants à des niveaux qui ont augmenté au cours de ces dernières années. Elle est assise sur la différence de taux d’incorporation entre les objectifs affichés et la réalité de ce que font les producteurs pétroliers. Elle a véritablement une visée incitative et est vraiment bien dimensionnée pour encourager à l’incorporation de biocarburants, car le coût fiscal qui serait supporté par les redevables, si jamais ils ne respectaient pas ces objectifs, serait assez élevé. La recette de cette taxe est quasiment nulle, car elle a atteint son objectif. Cette taxe à visée environnementale respecte le cadre européen et notre cadre constitutionnel. Nous pouvons donc proposer des taxes à visée environnementale efficaces dans notre cadre européen et constitutionnel.

Quant à la taxe carbone et aux autres dispositifs fiscaux que nous connaissons, la hausse des tarifs de la TICPE a été interrompue à la fin de l’année dernière. Des organismes extérieurs ont contribué à la réflexion sur le sujet. Nous pourrions envisager une reprise de cette hausse de ce tarif. Il reviendra aux pouvoirs publics et au législateur d’en décider. Nous pouvons également envisager des dispositifs de redistribution des produits de la taxe, selon des modalités qui restent à définir. La contribution climat énergie, conçue en 2009 et finalement censurée par le Conseil constitutionnel, comportait un dispositif similaire, puisqu’à côté de la hausse du tarif de la TICPE était prévu un crédit d’impôt forfaitaire pour tous les ménages, avec deux tarifs différents, selon que les ménages résidaient dans une aire couverte par des transports en commun ou dans des territoires qui n’étaient pas couverts par de tels dispositifs. Nous prévoyions déjà un retour, sous forme de crédit d’impôt, plus important pour les ménages situés en zone rurale. Nous pouvons réfléchir à de tels dispositifs, mais prévoir une telle redistribution ne correspond à aucune nécessité juridique et constitutionnelle. Il s’agit simplement d’un outil, d’une décision politique pour favoriser l’acceptabilité d’une hausse des taxes sur les carburants. Si vous souhaitez que nous évoquions d’autres sujets que les taxes indirectes, et notamment l’impôt sur le revenu, nous pourrons y revenir.

M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux, à la fois de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de réduction des consommations d’énergie et de développement des énergies renouvelables. La fiscalité dont nous parlons ce matin constitue l’un des outils pour les atteindre, avec la réglementation, les obligations et les incitations. Notre travail vise à trouver un équilibre, en jouant sur l’ensemble des outils disponibles. En effet, tous les outils ne sont pas absolument nécessaires pour atteindre nos objectifs carbone, et la taxe carbone n’est pas l’alpha et l’oméga des solutions. L’outil réglementaire et l’outil d’incitation existent aussi. La fiscalité environnementale est un sujet extrêmement large : les dispositifs sont très variés, pour l’énergie, le carbone, les déchets ou la pollution de l’air. Une grande variété de secteurs est couverte. Les dispositifs prennent la forme soit de taxes indirectes, soit d’impositions directes. Certaines sont très anciennes, comme la TICPE, ancienne taxe intérieure pétrolière (TIP) créée en 1928, soit bien avant que l’on ne se préoccupe des problématiques de carbone.

Du point de vue de la DGEC, au sein du ministère de la transition écologique et solidaire, cette fiscalité environnementale a plusieurs buts : accompagner la transition énergétique et modifier les comportements. Le changement des comportements doit intervenir grâce à la taxe elle-même, en taxant plus les activités polluantes que les activités vertueuses pour l’environnement. Par exemple, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) déchets taxe plus la mise en décharge des déchets que leur recyclage, et rend ainsi le recyclage des déchets plus économique. Il en va de même pour la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui obéit à une logique incitative. Pour cette dernière…

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je souhaiterais un peu recadrer nos échanges. Nous ne traitons pas de l’ensemble de la fiscalité écologique aujourd’hui. Nous avons identifié trois thèmes : transition énergétique, économie circulaire et biodiversité. Nous nous intéressons aujourd’hui à la transition énergétique, et donc, ce matin, à la question de l’énergie.

M. Olivier David. Très bien, monsieur le rapporteur. J’en viens donc à la partie « énergie ». Les problématiques sont similaires. Nous souhaitons rendre plus rentables les investissements dans la transition énergétique. Ainsi, dans les projets de chaleur renouvelable, les investisseurs comparent directement, par exemple, le coût d’une chaudière au gaz et d’une chaudière biomasse. Dans ce cadre, la taxe additionnelle sur le gaz vient rendre plus rentable les projets de biomasse, en défavorisant les projets gaz.

Cette taxation énergétique génère des recettes fiscales qui viennent accompagner la transition énergétique. Nous souhaitons concentrer sur les ménages les plus modestes l’ensemble de nos dispositifs d’accompagnement. C’est le cas par exemple du chèque énergie, qui représente 800 millions d’euros versés à 5,8 millions de ménages, pour les aider à payer leur facture d’énergie et faire leurs travaux de rénovation.

Un dispositif fiscal similaire existe pour les voitures. Il est le résultat d’un équilibre : les malus sur les véhicules viennent renchérir le coût des véhicules les plus polluants, ils génèrent des recettes fiscales et permettent ainsi de verser un bonus à l’achat de véhicules propres et une prime à la conversion, qui aide les ménages les plus modestes à remplacer une vieille voiture par une voiture plus récente et donc moins polluante. Quelque 300 000 primes ont été versées en 2018. Le dispositif a été réorienté en 2019 vers les ménages les plus modestes. À l’heure actuelle, plus de 80 % des ménages bénéficiaires sont des ménages non imposables, et la prime est doublée pour les ménages des deux premiers déciles.

Nous proposons aussi des aides et des crédits d’impôts pour la rénovation des bâtiments. Nous préparons actuellement une réforme du crédit d’impôt sur la transition énergétique, pour le rendre à la fois plus efficace, c’est-à-dire pour mieux aider les gestes en faveur du développement de la chaleur renouvelable et des rénovations énergétiques les plus efficaces, et pour le réorienter vers les ménages les plus modestes, en transformant pour ces ménages ce crédit d’impôts en prime, versée par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).

À ces mesures s’ajoutent nos dispositifs d’aide aux énergies renouvelables. Elles sont financées par le CAS « Transition énergétique » : 5,4 milliards d’euros en faveur des énergies renouvelables sont financés directement par les taxations sur les carburants. Je signale aussi le Fonds chaleur et les dispositifs de suramortissement, qui aident les entreprises à investir dans des dispositifs favorables à la transition énergétique. Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir sur ces différents points par la suite.

M. Benoît Ferres, président de Caméo. Je vais très brièvement vous présenter Caméo, avant de rentrer dans le vif du sujet. Caméo, start-up de l’énergie en hypercroissance, a six ans d’expérience et réalise 29 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous avons contribué à débloquer, en 2018, entre 55 et 60 millions d’euros de flux de financement de projets d’efficacité énergétique, tous segments confondus. Nous travaillons dans le bâtiment, l’industrie, auprès des entreprises comme des particuliers.

Les certificats d’économies d’énergie (CEE) constituent le principal flux financier pour les projets d’efficacité énergétique, ils représentent environ 2 milliards d’euros par an. Dans cet écosystème des CEE, Caméo, qui travaille avec des fournisseurs d’énergie qui représentent environ les deux tiers de l’obligation, a structuré un modèle de mandataire. D’autres acteurs, que vous avez auditionnés, proposent un autre modèle, celui de la délégation. Nous pourrons revenir, au cours de la discussion, sur les différents acteurs de cet écosystème et sur les modèles économiques associés.

Je souhaiterais centrer mon intervention sur deux points. Premièrement, je souhaiterais vous présenter une vision un peu différente sur les certificats d’économies, appliqués à l’énergie, mais pas seulement. Il s’agit d’un outil innovant de politique publique en faveur de la transition énergétique, qui n’est pas obligatoirement un outil fiscal. Deuxièmement, au sein de ces outils innovants, des points d’amélioration existent. Ces outils sont jeunes, mais nous disposons d’un recul de douze ans pour les CEE. Nous avons ainsi détecté certains freins à leur démultiplication.

Le dispositif des CEE a donc douze ans d’ancienneté. Je n’exposerai pas le détail du mécanisme, mais ce qu’il faut en retenir, c’est-à-dire les principes qui ont présidé à la genèse de ce que nos amis anglais ont inventé dans la seconde moitié des années 1990. Avec ces CEE, nous distribuons un gain immédiat, dans le présent, proportionnel aux économies d’énergie futures. Dans le domaine du bâtiment, certaines économies d’énergie doivent être comptabilisées sur des périodes de dix, quinze, vingt ou vingt-cinq ans : nous comprenons donc aisément l’intérêt d’obtenir aujourd’hui un gain de ce que nous aurons demain, après-demain, etc. ; en effet, ce gain, si dilué dans le temps, devient impalpable.

C’est pourquoi ces CEE sont des outils efficaces de massification de lancements de projets d’efficacité énergétique. La France a atteint, depuis que les CEE existent, l’essentiel de ses obligations européennes grâce à ce dispositif. En Europe, les CEE, les white certificates ou les energy efficiency obligations sont devenus, dans la majorité des États, le principal outil de lancement de projets d’efficacité énergétique, au-delà du carbone et de la fiscalité écologique. Les energy efficiency obligations existent désormais sur les cinq continents, elles ont explosé depuis dix ans. C’est un outil efficace, alors que l’enjeu de massification est crucial.

Le deuxième niveau d’originalité du dispositif est qu’il n’affecte en rien le budget des États. En France, 2 milliards d’euros de projets sont financés, avec un effet de levier que nous pouvons grosso modo estimer entre 10 et 15 milliards d’euros en ce qui concerne l’investissement global déclenché par an. Ce flux d’investissement est colossal. Le dispositif mobilise l’ensemble des agents économiques – entreprises, collectivités, fabricants, installateurs, usines, copropriétés, particuliers, ménages, etc. – vers un objectif commun, sans affecter le budget de l’État.

Le troisième avantage et la troisième particularité de ce type de dispositif est le suivant : non seulement il favorise une économie d’énergie dans le futur, à laquelle s’ajoute le gain immédiat, qui constitue un élément de sensibilisation pour les actions les plus innovantes, mais surtout il est redistributif. Le gain immédiat est perçu quasiment au moment de l’action. La France fait partie des pays relativement innovants, avec, entre autres, le Royaume-Uni. Elle a mis en place, depuis 2016, un fléchage de ces flux financiers vers les populations les plus fragiles, ce qui représente environ 2 milliards d’euros pour les trois ans à venir. Une régulation intrinsèque permet de flécher ces gains vers ceux qui en ont le plus besoin.

Ces mécanismes de CEE, qui essaiment à travers le monde, inspirent même, aujourd’hui, d’autres secteurs d’activité que celui de l’énergie. Il existe une version de certificat d’économie dans les produits phytosanitaires, et le secteur du recyclage réfléchit à la question.

Nous souhaitions aussi intervenir dans cette enceinte parce que, au regard de son ampleur, le sujet n’est probablement pas assez documenté et connu. Il est massif, mondial, représente des flux d’investissement énormes et reste complexe. Nous avons besoin de définir une intelligence collective sur ces nouveaux modèles. Parlementaires, économistes, groupes de réflexion, etc., doivent documenter le phénomène, le rendre intelligible, et exploiter les retours d’expérience, pour comprendre comment ces outils hybrides et innovants peuvent aider à soutenir les objectifs, ceci en dehors des politiques classiques d’incitation publique.

Une piste vient peut-être de la comptabilité. Finalement, les CEE comptabilisent les économies d’énergie dans un indicateur un peu barbare, le kilowattheure (KWh) dit « cumac », c’est-à-dire « cumulé actualisé », qui ne parle à personne. Si nous parlions en tonnes de CO2 évitées, nous favoriserions une convergence des réflexions avec les problématiques de la taxe carbone, etc. En effet, le mécanisme actuel récompense le CO2 évité de manière massive.

Ces outils sont innovants, mais ils sont perfectibles, et nous devrions les rendre plus faciles d’utilisation. L’un des points qui peut susciter des inquiétudes dans l’élargissement de ces mécanismes, ce sont les contrôles et les fraudes. Il est proposé que l’arsenal juridique associé aux contrôles et aux fraudes soit renforcé – ce qui est absolument normal – mais il ne faut pas associer une chose relativement marginale, les fraudes, à l’ensemble de ce type de dispositifs. Ce qui permet la massification des CEE, c’est le fait que les contrôles se font a priori. C’est en standardisant les normes a priori que nous serons sûrs que les travaux réalisés seront bien faits, et que nous pourrons verser une prime pour ces travaux. Si le contrôle est réalisé a posteriori, pour des travaux mal faits, c’est déjà trop tard. Nous n’allons pas retirer la prime déjà versée à un ménage qui l’aurait reçue. La massification de l’utilisation de tels outils nécessite de continuer à travailler non pas sur les sanctions a posteriori, mais à travailler à une meilleure professionnalisation de l’ensemble des acteurs qui interviennent dans cet écosystème : obligés, délégataires, mandataires, éligibles. Peu importe le modèle économique des acteurs. Nous devons être sûrs que ceux qui constituent des dossiers de demande de CEE, qui sont très complexes, qui nécessitent du savoir-faire, des technologies, une étude de la réglementation, etc., établissent un référentiel qui pourra sécuriser l’ensemble des acteurs. Ainsi, une fois la demande déposée, il n’y aura aucune raison de rencontrer des problèmes et d’être soumis à des contrôles.

Nous sommes l’un des membres fondateurs de l’association des professionnels intermédiaires certificateurs de CEE. Nous travaillons sur la construction d’un référentiel qui permette d’identifier la professionnalisation des acteurs intermédiaires et qui permette de les auditer et les certifier, de manière à réellement sécuriser l’écosystème. Voilà qui est vraiment important. Les contrôles a priori sont la clef et la condition de la massification des CEE. Que tous les acteurs aient confiance en ces contrôles est crucial.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Le point de départ de notre réflexion, au sein de la mission d’information, est de dire que le budget de l’État est finalement très addict aux produits pétroliers, ce qui pose plusieurs problèmes. Quelle est notre vision du budget de l’État, à long terme, si l’objectif est de réduire la consommation de produits pétroliers ? Comment remplacer les taxes sur les produits pétroliers par d’autres taxes ? Aujourd’hui, nous constatons que lorsque nous augmentons la taxe carbone, tout ne revient pas dans les dispositifs d’accompagnement aux usagers et aux entreprises. Voilà un symptôme de cette addiction du budget de l’État aux produits pétroliers. Ma question est donc la suivante : quelle est notre vision du budget de l’État, à terme, sans le pétrole ?

Ma deuxième question porte sur la complexité des mécanismes. Vous nous avez donné une liste à la Prévert de tous les dispositifs qui existent. Ils sont difficilement lisibles, tout d’abord, par l’usager. Le particulier qui souhaite faire des demandes de travaux d’amélioration de son habitation devra faire une demande à l’ANAH, demander un crédit d’impôt, s’intéresser aux certificats d’économie d’énergie, etc. Malgré l’existence des Espaces Info Énergie, voilà qui est complexe pour les ménages. Des dispositifs sont aussi complexes pour les décideurs, et pour nous les législateurs. Quand nous souhaitons rendre le système fiscal lié à la transition énergétique plus efficace et compréhensible, nous, les premiers, sommes en difficulté pour comprendre les dispositifs. Notre collègue Bénédicte Peyrol a produit un excellent rapport sur la fiscalité écologique générale, qui inclut la fiscalité énergétique. Cette grande spécialiste de la question doit travailler des heures durant pour comprendre l’ensemble des dispositifs. Nous, législateurs, ne disposons pas d’une information suffisamment simple et synthétique pour pouvoir légiférer correctement. Voilà les freins nous concernant. Nous souhaiterions avoir votre avis sur ce point.

Ma troisième question ouvre les perspectives. Nous avons organisé, tout à l’heure, une table ronde sur la transition énergétique dans l’industrie. L’une des discussions portait sur le fait que nous sommes très focalisés sur l’Hexagone ; or, les produits que nous importons ont une empreinte carbone importante. Je lance une piste : si nous taxions les importations en fonction de leur empreinte carbone, nos industries en deviendraient peut-être plus compétitives. Nous partons de l’hypothèse selon laquelle, alors que nous sommes plus performants, dans l’Hexagone, pour la production décarbonée, nous achetons à l’étranger des produits plus carbonés. Ainsi, nous pourrions relocaliser une partie de la production en France. Pourrions-nous imaginer des dispositifs qui iraient dans ce sens ? Voilà des questions très larges.

M. Benoît Ferres. Monsieur le rapporteur, vous soulevez là l’un des points essentiels concernant les mécanismes fiscaux. En effet, dès que nous abordons la fiscalité favorisant la transition énergétique, nous devons revenir nécessairement à la question de la compétition fiscale entre les pays et, de fait, aux stratégies d’évitement et aux stratégies de non-coopération, qui ont des impacts directs sur le tissu industriel.

Nous avons déjà du mal à nous mettre d’accord, au sens large, ne serait-ce qu’en Europe, sur les questions de fiscalité. Si nous devons, en plus, nous mettre d’accord sur les sujets de fiscalité environnementale, nous ajoutons une couche de complexité qui n’est pas – c’est en tout cas mon opinion – compatible avec notre agenda ; le temps de mettre tout le monde d’accord sur tous ces sujets, il sera malheureusement trop tard. Nous sommes au pied du mur et devons agir très vite.

Je fais le lien avec le propos précédent, pour vous dire que je trouve le modèle du certificat d’économie intéressant. Je suis, par ailleurs, d’accord avec vous s’agissant de sa complexité et du manque de mobilisation des groupes de réflexion pour rendre cet outil plus facile d’accès à tous, notamment à la décision publique ; il est nécessaire de développer plus d’intelligence collective pour bien utiliser ces outils.

S’agissant du modèle du certificat d’économie, si nous pouvons l’appliquer à l’énergie, nous pouvons également l’appliquer à un certain nombre d’autres sujets où une économie doit être réalisée, puisque nous faisons porter l’obligation sur un pays par les distributeurs. Les obligés sont donc les distributeurs, à une échelle locale, qui appliquent les mêmes règles de mise sur le marché que celles de l’ensemble des distributeurs. En logeant tous les distributeurs à la même enseigne, vous exonérez de la problématique de production dans ce que vous prenez en compte.

C’est la raison pour laquelle ce type de dispositif a explosé en Europe. Il ne nécessite pas une harmonisation inter-pays, chaque pays imposant à tous ses distributeurs les mêmes conditions d’accès au marché. Un distributeur étranger bénéficiera des mêmes conditions d’accès au marché, et ainsi la structure de production sera beaucoup moins déstabilisée, contrairement à ce que nous avons pu voir, par exemple, avec la problématique des quotas carbone, où nous avons été obligés de pratiquer des exonérations en dessous d’une certaine taille ou d’un certain type d’industriel, pour éviter une compétition renforcée avec d’autres sites, en dehors de l’Europe.

M. Christophe Pourreau. Je souhaiterais apporter quelques réponses aux interrogations que vous avez formulées, monsieur le rapporteur.

Concernant l’« addiction du budget de l’État à la fiscalité énergétique », je ne sais pas s’il convient d’employer cette expression, mais il s’agit, effectivement, d’impôts qui ont été créés dans un objectif de rendement. La taxe sur les produits pétroliers a été créée bien avant nos préoccupations climatiques et n’avait donc pas un objectif environnemental. Cela n’est toujours pas le cas, en tout cas juridiquement, sinon, elle ne serait pas conforme aux exigences constitutionnelles. Il s’agit bien d’une taxe de rendement, qui est d’ailleurs élevé.

Cette taxe est affectée au budget de l’État, mais une partie est aujourd’hui allouée aux collectivités territoriales. Or, selon le principe général de l’universalité budgétaire, telle ou telle recette ne doit pas être affectée à telle ou telle catégorie de dépenses. Cependant, la redistribution des recettes ou d’une partie de ces recettes liées à cette taxe échappe à ce principe général, si elle vise à renforcer son acceptabilité ou si elle est réalisée dans une logique de double dividende. Il s’agit en effet d’un dispositif fiscal qui peut se prêter, plus que d’autres, à cette logique de redistribution.

Notre système est relativement complexe, cela a été dit, mais je ne pense pas que la France se distingue beaucoup des autres pays, notamment de ses principaux voisins. Le fait que nos systèmes fiscaux se complexifient en même temps que nos économies est un mouvement général au sein non seulement de l’Union européenne, mais également des autres pays développés, de d’autant plus que l’outil fiscal reste l’un des derniers outils à disposition des gouvernements nationaux.

La direction de la législation fiscale est favorable à la diminution du nombre de niches fiscales, ainsi qu’à la réévaluation régulière de leur efficacité. Nous devons cependant tenir compte de la volonté du législateur, qui est parfois désireux de créer de nouveaux dispositifs. Il est cependant préférable que, à chaque objectif, soit associé un outil ou un dispositif fiscal plutôt que de multiplier différents outils pour poursuivre un même objectif, ou qu’un même outil poursuive plusieurs objectifs.

Des dispositifs fiscaux peuvent parfois avoir des effets puissants : c’est le cas du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), dont le coût a fortement varié au cours du temps – il a parfois pu coûter 3 ou 4 milliards d’euros. Le taux de réduction d’impôt était élevé, de 30 % à 40 % – il a également varié au fil des années. Or, de tels dispositifs créent des habitudes et influent sur le comportement des acteurs économiques. Il est ensuite très difficile de les supprimer, même quand leur efficacité environnementale ou leur efficience sont mises en cause. En effet, avec ces dispositifs, nous avons incité des opérateurs et industriels à se positionner sur tel ou tel marché et à adapter leur politique de prix à l’existence de ces dispositifs fiscaux puissants. Il est ensuite difficile de supprimer ces dispositifs, que ce soit progressivement ou brutalement. Nous avons pu le constater avec le CITE au cours de ces deux dernières années. Le Gouvernement, qui voulait sortir un certain nombre de travaux du champ du dispositif, notamment le remplacement de portes et de fenêtres, s’est heurté à une certaine résistance et a dû revoir ses intentions.

M. Olivier David. Je poursuis sur le CITE, pour répondre à votre question relative à la rénovation. Le CITE est utilisé essentiellement par les ménages aisés. Il s’agit d’un crédit d’impôt uniforme : il aide de la même façon les gestes très bénéfiques pour la rénovation énergétique et le développement de la chaleur renouvelable, et les gestes qui le sont beaucoup moins. Par ailleurs, le fait qu’il s’agisse d’un crédit d’impôt, c’est-à-dire que l’argent soit avancé la première année, puis que les bénéficiaires perçoivent l’aide l’année suivante, est un frein important pour les ménages modestes.

La réforme que nous préparons prévoit, d’une part, une forfaitisation du CITE ; l’idée est d’offrir non plus un pourcentage de réduction, mais un forfait par geste – par exemple, tant d’euros pour l’installation d’un chauffage performant et tant d’euros pour isoler son logement. D’autre part, elle prévoit des forfaits alloués en fonction des revenus : beaucoup plus importants pour les ménages très modestes, plus importants pour les ménages modestes et moins importants pour les autres ménages. Il s’agit donc de forfaits dégressifs en fonction du niveau de revenus.

Enfin, pour faciliter le passage à l’acte et l’investissement des ménages très modestes et modestes, ce crédit d’impôt sera transformé en prime, versée par l’ANAH, de sorte que les ménages investiront et percevront l’aide la même année. Cela permettra de simplifier le dispositif en fusionnant les aides allouées par l’ANAH et celles allouées par le CITE.

S’agissant des importations de produits, l’un des objectifs de la fiscalité énergétique et environnementale, de la fiscalité carbone, est d’éviter que l’effet de ces taxes se résume à une simple délocalisation d’industries à l’étranger, alors même que l’empreinte carbone du produit consommé sera la même. C’est la raison pour laquelle la France défend – mais cela ne peut se faire qu’au niveau européen – ce que l’on appelle le mécanisme d’inclusion carbone. L’idée est de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, les produits étant taxés en fonction de leur empreinte carbone.

La mise en place de ce mécanisme est un combat important que mène la France au sein de l’Union européenne. Elle est soutenue par une coalition d’États membres, notamment les Pays-Bas, qui défendent ce système. Un sujet a été mis, de façon ferme, à l’ordre du jour de l’agenda européen pour pouvoir avancer très concrètement. Ce mécanisme pourra en effet se mettre en place techniquement, dès que nous obtiendrons l’accord politique de l’Union européenne.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous avons bien compris votre proposition : faire payer une taxe carbone qui sera ensuite redistribuée, en faveur notamment des ménages les plus modestes. Simplement, il est très difficile, d’un point de vue psychologique, de mettre cela en place. Nous avons pu le constater, plus globalement sur le pouvoir d’achat. L’augmentation du prix du diesel a eu un impact direct sur la population qui a réagi très vivement. En revanche, quand nous réduisons les charges sur les salaires ou quand nous supprimons la taxe d’habitation, les contribuables ne le perçoivent pas. Je crains, de la même façon, que l’augmentation de la taxe carbone et du CITE ne soit pas perçue comme un gain de pouvoir d’achat ou une compensation de l’augmentation du prix du diesel.

M. Gaël Callonnec. Je me permettrai de répondre, tout d’abord, à votre première question concernant les pertes de recettes fiscales à long terme. Lorsque nous faisons tourner nos modèles macroéconomiques, et pas seulement à l’ADEME, mais également au Trésor, au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED), à l’université de Paris 1 et autres, nous arrivons tous au même résultat. Si les recettes de la taxe carbone sont redistribuées, nous assisterons à une augmentation du PIB et de l’activité économique, par rapport à une situation où nous ne lutterions pas contre le changement climatique.

Nous aurions environ trois points de PIB de plus, à l’horizon de 2050, avec un effondrement des recettes de fiscalité énergétique, puisque l’assiette, si nous atteignions la neutralité carbone, serait presque nulle. Elle ne sera pas totalement nulle, puisque nous émettrons encore entre 50 et 80 millions de tonnes de CO2 – la neutralité signifie ne pas émettre davantage que ce que notre couvert forestier est en mesure d’absorber. Il resterait donc une consommation de combustibles possible, mais très faible, et, du coup, la perte de fiscalité énergétique serait très importante. Cependant, comme le PIB serait en augmentation, tout comme les activités économiques, nous toucherions plus de recettes d’impôts sur les sociétés, de TVA, d’impôts sur le revenu. Ainsi, ceci compensera largement cela. Nous avons estimé, à l’horizon de 2050, que le solde public, en pourcentage du PIB, serait amélioré de trois points, de sorte que l’État gagnerait plus de recettes d’une main qu’il n’en perdrait de l’autre.

D’où l’intérêt de procéder à des analyses macroéconomiques. Quand nous raisonnons de manière comptable, en ne considérant qu’une ligne de recette, bien souvent nous nous trompons ; en effet, les coûts des uns sont les gains des autres en macroéconomie. J’ai donc envie de vous dire que le problème de l’addiction de l’État aux taxes sur les énergies fossiles ne devrait pas, à long terme, être un souci pour vous.

Je ne m’attarderai pas sur la taxe carbone aux frontières, le représentant de la DGEC l’a déjà évoquée.

S’agissant de la visibilité de la redistribution, le chèque crédit d’impôt énergie, prévu par la loi de finances 2010, et qui a été malheureusement censuré à l’époque par le Conseil constitutionnel, était finalement une bonne manière de démontrer que les recettes de la composante carbone étaient effectivement redistribuées aux ménages. Il s’agissait, techniquement, d’un crédit d’impôt sur le revenu, mais avec délivrance d’un chèque ; or un chèque, c’est visible. Pour le Gouvernement, voilà une bonne façon de garantir qu’une partie des recettes de la taxe carbone soit distribuée aux ménages. C’est une bonne piste, selon moi, même si elle exige un travail important de communication. De plus, le gain serait simultané.

Vous évoquiez, monsieur le rapporteur, le problème de la compensation de la hausse de la fiscalité énergétique par la suppression de la taxe d’habitation. Toutefois, elles ne sont pas intervenues de façon simultanée, du point de vue du calendrier – voilà pourquoi les mesures n’ont pas été acceptées. Si cette redistribution instantanée était effectuée sous forme de chèque – physiquement palpable par les ménages –, une bonne partie du problème serait résolue.

Mme Meike Fink. Je compléterai pour ma part les réponses aux trois premières questions. S’agissant de l’enjeu budgétaire, nous devons l’appréhender dans le cadre d’une transition globale de la société, et non pas seulement du système énergétique ; nous parlons aussi de la pollution de l’air, des dépenses publiques de santé, etc. Si nous devons réfléchir à l’évaluation du budget de l’État dans le cadre d’une transition écologique globale, nous devons le faire de manière plus holistique, et donc tenir compte également des gains que nous pourrions percevoir sur d’autres postes.

S’agissant de la lisibilité des aides financières pour la rénovation, les projets de rénovation restent très complexes dans leur montage financier. Le message clef que nous souhaitons faire passer est le suivant. Une réflexion portant sur la réorganisation des dispositifs devrait être menée, selon deux critères : d’une part, la performance des rénovations et, d’autre part, le public-cible, à savoir les ménages en situation de précarité. Il conviendra ensuite, quand ces deux critères seront appliqués et que les dispositifs seront facilités, d’évaluer les résultats.

Enfin, j’évoquerai trois points relatifs aux CEE. Premièrement, si ce certificat ne pèse, effectivement, pas sur le budget de l’État, il est bien payé par quelqu’un : nous le retrouvons dans les factures des ménages. Il s’agit donc d’un certificat dont la fiscalité est cachée. Il est important de le dire. Deuxièmement, les prix sont fluctuants. Aujourd’hui, ce qui est rentable en termes de travaux – et c’est la raison pour laquelle de nombreuses start-up se sont positionnées sur ce secteur –, ne le sera peut-être plus l’année prochaine. Or, si les prix fluctuent, il en va de même pour les programmes qui ne sont pas coordonnés avec un budget d’État. Troisièmement, s’agissant des rénovations, les isolations des combles à un euro peuvent être intéressantes, car elles sont nécessaires. En revanche, les programmes relatifs aux chaudières à un euro ne sont pas intégrés dans nos réflexions globales de rénovation. Cela peut rapidement poser un problème, les gains  pouvant ne plus être au rendez-vous.

Par ailleurs, à partir d’un certain niveau, une réflexion devra être menée sur les taxes d’ajustement carbone aux frontières – ou mécanisme d’inclusion –, ce à l’échelle des différents secteurs industriels. En effet, l’exposition et l’impact d’une taxe carbone ne sont pas les mêmes selon les différentes filières – d’où le caractère complexe du système. Il conviendrait, pour commencer, de mettre fin aux quotas gratuits. Sinon, pourquoi mettre en place un ajustement à la frontière, si les industries n’ont pas payé leurs quotas ?

Enfin, concernant votre question relative à une taxe carbone acceptable, juste, l’enjeu pédagogique de communication est effectivement très important. La fiscalité n’étant pas audible, elle pose un problème d’acceptabilité. La population est sensibilisée à la question du changement climatique. Nous devons donc parvenir à lui expliquer qu’il s’agit d’un des outils nécessaires, même si nous savons bien qu’il a un effet différencié selon les catégories de ménages ; nous en sommes conscients. Ces outils sont, par exemple, le chèque énergie, la prime à la conversion, mais également la redistribution. Cette dernière est nécessaire, puisque nous sommes dans une phase de transition, et que les solutions alternatives ne sont pas encore élaborées ; nous ne voulons pas mettre les ménages en difficulté, notamment ceux qui ont du mal à boucler leur fin de mois.

Si cette fiscalité est présentée dans un package, elle sera audible, nous en sommes convaincus. Les débats menés par les groupes locaux du Secours catholique, composés de personnes en situation de précarité, ont démontré qu’elles étaient sensibles à l’écologie. Toutefois, si cette fiscalité s’ajoute à un quotidien déjà très compliqué, cela ne passera pas. En revanche, une taxe carbone avec redistribution est une possibilité tout à fait favorable.

La contrepartie la plus importante doit être l’envoi d’un signal fort pour commencer à créer des solutions alternatives. Ce qui m’amène à vous dire un mot sur les trains : la fermeture de lignes ferroviaires ne va pas du tout dans le sens des discours en faveur de la transition écologique et de la création de solutions alternatives dans tous les territoires.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans son rapport sur la fiscalité écologique, notre collègue Bénédicte Peyrol proposait que, pour le PLF 2020, nous ayons une vision des mesures en faveur de la transition écologique dans le budget, avec un vrai « jaune » budgétaire. Travaillez-vous sur cette question, qui nous permettrait notamment d’être plus pertinents dans la discussion ?

M. Christophe Pourreau. Ce qui a été voté, sauf erreur de ma part, c’est l’obligation faite au Gouvernement de produire un nouveau document budgétaire qui synthétiserait les efforts des politiques publiques en ce domaine, sachant qu’il existe déjà un grand nombre de documents budgétaires, variés et riches.

Je souhaiterais faire une remarque sur la question du remboursement aux ménages, voire aux entreprises. Nous pourrions imaginer des recettes tirées d’une éventuelle hausse des taxes de consommation sur les produits énergétiques ; cela pourrait concourir à son acceptabilité.

Une autre question se pose, celle de savoir si une telle restitution devrait être différenciée en fonction des revenus des ménages. Faut-il ajouter à l’objectif environnemental de la taxe et de la redistribution des recettes, un objectif de redistribution en fonction des revenus ? Cela ne va pas de soi. De manière générale, les économistes enseignent qu’il vaut mieux prévoir un objectif pour chaque outil. Pour un objectif environnemental, il ne va pas forcément de soi que la restitution du produit de la taxe doit être différenciée en fonction des revenus des ménages, alors même que la consommation énergétique des ménages n’est pas décroissante en fonction du revenu.

Cette question peut se poser, mais nous pourrions aussi imaginer une restitution qui soit forfaitaire et qui garderait son caractère incitatif. Cet objectif de redistribution, qui peut se concevoir, n’est pas forcément une obligation, loin s’en faut.

M. Benoît Ferres. Je souhaiterais revenir sur votre première question concernant les effets de la politique budgétaire. Il est vrai que, aujourd’hui, une grande partie de notre création de richesse est carbonée, ce qui se retrouve directement dans le budget de l’État, selon une vision très « seconde révolution industrielle », qui nous a permis d’obtenir des gains de productivité exceptionnels et de les redistribuer pour améliorer, par exemple, la durée de la vie, la santé, le temps libre, etc.

Ces réflexions sur la fiscalité doivent être menées sur plusieurs plans : d’abord, celui des recettes qui vont disparaître, en raison de notre sortie de notre addiction au carbone, et, ensuite, sur celui des nouveaux domaines qui n’auront pas de fiscalité propre, et qui seront peut-être les moteurs de l’économie du XXIème siècle.

Je vous présente là un raisonnement de coin de table, mais prenons par exemple la fiscalité sur le numérique ; il existe des pans entiers, aujourd’hui, qui en sont dehors de notre champ de vision. Ces domaines représentent la création des valeurs du XXIe siècle et peuvent probablement compenser la perte de richesses et de valeurs du XXe siècle.

Je voudrais revenir sur le mécanisme du certificat d’économie. Je ne voulais pas être trop technique, mais vous avez soulevé des points importants sur la compréhension du modèle. Je vais donc prendre un peu de temps pour vous expliquer comment il fonctionne.

Quand il est dit que nous ponctionnons le budget des ménages, en réalité, cela est faux ; il faut en effet tenir compte du mécanisme de redistribution qui s’applique. Par ailleurs, il existe bien une assiette de cotisation, car d’une manière ou d’une autre, l’ensemble des flux d’investissement, les 2 milliards d’euros que j’évoquais tout à l’heure, et les coûts externes se retrouvent dans la structure de prix des fournisseurs d’énergie. Cependant, aujourd’hui, l’ensemble des consommateurs d’énergie est concerné par cette intégration à la structure de prix, alors que les ménages sont plus largement bénéficiaires.

Ainsi, la péréquation est la suivante : les cotisants sont tous les types de consommateurs d’énergie, alors que plus de la moitié du flux financier va vers les particuliers et les ménages. La redistribution concerne de manière beaucoup plus forte les ménages, avec, en outre, une orientation vers les ménages précaires. J’évoquais tout à l’heure l’effet de levier économique, qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte.

En revanche, et je suis parfaitement d’accord avec vous, nous intégrons effectivement ces mécanismes dans l’économie de marché, ce qui pose des problèmes de mécanisme de prix ; or, la mécanique de prix est assez complexe, et l’hypervolatilité des prix que nous avons pu connaître en un peu plus de deux ans, qui allait de l’arrêt total à des fortes pointes, nous oblige à inventer des régulations. Nous avons besoin de régulations, de corridors de prix, comme dans d’autres pays, qui permettent une certaine stabilité et une meilleure lisibilité.

Enfin, nous ne devons pas opposer des démarches d’excellence – vous disiez « aller vers une approche globale, en faire toujours plus, le chauffage, l’isolation, etc. » – et des démarches de massification. Voilà qui est très important. Nous sommes face à un autre enjeu, celui de l’accélération de la prise de décision ; nous devons toucher très vite beaucoup de personnes, même si nous ne réalisons pas tout de suite les meilleures actions possibles. Il est important de suivre les deux dynamiques dans nos politiques d’incitation : faire beaucoup et très vite, et faire le mieux possible et très bien. Nous devons donc travailler en deux temps.

Mme Meike Fink. S’agissant des jaunes budgétaires, des travaux sont en cours au Comité pour l’économie verte, auxquels nous contribuons. Si vous le souhaitez, je vous enverrai la page que nous avons rédigée.

Je souhaiterais soulever un point qui n’apparaît pas dans les mesures votées dans le cadre de la loi de finances : l’absence des subventions à la pollution. Nous envoyons des signaux contradictoires, avec les niches, les exonérations, les taux réduits pour la TICPE. Cela nous tient à cœur et devrait figurer dans la loi de finances.

J’en viens à la redistribution forfaitaire. Ce qui est surtout critiqué, s’agissant de la taxe carbone, c’est la régressivité. Nous avons bien compris le principe « un outil, un message », mais, finalement, l’objectif est de rendre acceptable un outil. Or, nous considérons qu’une redistribution forfaitaire à tous les ménages ne correspond pas au problème soulevé.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, je vous remercie de vos contributions. Sachez que vous avez la possibilité d’approfondir vos propos sur le site internet de l’Assemblée nationale, en allant sur l’onglet de la consultation citoyenne en ligne. De plus, vous pourrez retrouver le compte rendu de cette audition en ligne.

Je vous remercie.

L’audition s’achève à treize heures.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

 

 

Réunion du jeudi 28 mars 2019 à 11 heures 30

 

Présents. - Mme Jennifer De Temmerman, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé

 

Excusé. - M. Christophe Bouillon