Compte rendu

Commission d’enquête
sur la lutte contre les groupuscules
d’extrême droite en France

 

 Audition de M. Dominique Sopo, président de SOS racisme, de M. Christian Payard, responsable du groupe de travail « Extrêmes droites » de la Ligue des droits de l’homme et de M. Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme                            2

 

 

 


Jeudi  
11 avril 2019

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 19

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Présidence
de M. Thomas Rudigoz, Vice- Président


  1 

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Thomas Rudigoz, vice-président.

La commission d’enquête entend M. Dominique Sopo, président de SOS racisme, M. Christian Payard, responsable du groupe de travail « Extrêmes droites » de la Ligue des droits de l’Homme et M. Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme.

Mme Thomas Rudigoz, président. Mes chers collègues, messieurs, je vous prie d’excuser Mme Muriel Ressiguier, présidente de cette commission d’enquête qui, pour des raisons personnelles, a dû s’absenter. En tant que vice-président, c’est moi qui assurerai la présidence de cette audition.

La commission d’enquête relative à la lutte contre les groupuscules d’extrême droite poursuit ses travaux avec l’audition, en format table ronde, de M. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, de M. Christian Payard, responsable du groupe de travail « Extrêmes droites » de la Ligue des droits de l’homme et de M. Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme. Cette audition est ouverte à la presse et fait l’objet d’une retransmission en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Son enregistrement sera disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale et je vous signale que la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui prévoit qu’à l’exception des mineurs de seize ans, toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est entendue sous serment, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(MM. Dominique Sopo, Christian Payard et Arié Alimi prêtent serment.)

Je vais maintenant vous laisser la parole, pour un exposé liminaire d’une dizaine de minutes, qui sera suivi par un échange de questions et de réponses.

M. Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Je vous remercie pour votre invitation, ou votre convocation – je ne sais pas quel est le terme qui convient.

Le phénomène des groupuscules d’extrême droite nous inquiète, en tant qu’association antiraciste et de défense des droits de l’homme. Ce phénomène n’est pas nouveau et j’imagine qu’il vous a été dit, au cours des précédentes auditions, que les effectifs de ces groupuscules n’ont pas spécialement augmenté ces dernières années. Ce qui nous inquiète, en revanche, c’est leur visibilité croissante, grâce aux réseaux sociaux et au caractère viral de certaines images mettant en scène leurs actions. Cela ne signifie pas que ces groupuscules sont plus nombreux ou plus actifs qu’auparavant, mais leur visibilité croissante leur offre, de fait, une nouvelle sphère d’influence. Au-delà du noyau des activistes et des membres de ces groupes, on voit se diffuser dans la sphère publique des discours légitimant leur action et leur idéologie. Or il s’agit, pour nous, d’incitation à la violence.

L’idée de procéder à la dissolution de ces groupuscules d’extrême droite suscite des réticences parmi les chercheurs, comme en témoignent certaines des auditions que vous avez réalisées, et dans une partie de l’appareil policier. Certains policiers expliquent qu’il est plus facile de surveiller des groupes constitués que des individus dispersés dans la nature. Les chercheurs, quant à eux, ont tendance à dire que ces formes d’organisation politique ont quelque chose de plus serein, à terme, que l’action violente. Or ces arguments me semblent critiquables. D’abord, le fait que des personnes se constituent politiquement sur la base d’une idéologie haineuse ne me semble pas positif en soi, puisque la politisation des préjugés et des haines ne mène pas à la sérénité. Cela peut même mener, hélas, à une légitimation ou à une rationalisation de la haine envers certaines catégories de la population.

Je prendrai l’exemple du groupe Génération identitaire, dont nous avons demandé la dissolution au Premier ministre à deux reprises, en octobre et en décembre 2018, sur la base de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Ce groupuscule met au centre de son apparition dans l’espace public la théorie du « Grand remplacement », dont j’affirme qu’elle est en soi une violence, même si les groupes qui agitent cette prétendue théorie font souvent preuve d’une grande pudeur lorsqu’on évoque leur rapport à la violence. Quand on essaie de légitimer dans l’espace public l’idée qu’un Grand remplacement est en cours, que des personnes venues de l’autre rive de la Méditerranée ont pour projet de dissoudre, c’est-à-dire de tuer un peuple existant, et qu’il faut résister à cette mort annoncée en procédant à leur « remigration », à quoi appelle-t-on, si ce n’est à la violence et à la destruction des personnes qui arrivent ?

Cette théorie de la remigration est, en soi, une théorie violente. Qui croit sérieusement que l’on peut dire à des gens – je pense que je serais concerné – qu’on va les renvoyer dans le pays de leur père – pour moi, ce serait le Togo – par tel avion et à telle heure, et que cela se fera dans le calme et sans aucune contrainte physique ? Ceux qui brandissent la théorie du Grand remplacement dans l’espace public appellent donc à quelque chose qui relève de la violence. De ce point de vue, il me semble que les liens, y compris financiers, qui peuvent exister entre Génération identitaire et le terroriste de Christchurch ne sont pas le fruit du hasard.

Par ailleurs, plusieurs dissolutions ont été qualifiées de bénéfiques par les autorités. Laurent Nuñez a ainsi fait un bilan positif de la dissolution, en 2013, des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), liées à Troisième Voie, et de l’Œuvre française. De nouvelles dissolutions ont fort heureusement été annoncées par le Président de la République, notamment celle de Bastion social. On ne peut pas accepter en effet que des personnes essaient, grâce à la caisse de résonance qu’offrent aujourd’hui les réseaux sociaux, de structurer l’espace public autour d’une logique de haine, d’exclusion et de ségrégation.

Au-delà de la dissolution de Génération identitaire, qui doit être attentivement étudiée, le dernier élément à prendre en compte, c’est internet. SOS Racisme, mais également la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), J’Accuse, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ont formulé une série de propositions concernant la régulation et la lutte contre la haine sur internet. Nous serons auditionnés par Laetitia Avia le 9 mai – la LDH le sera probablement également. Cela nous donnera l’occasion de formuler des remarques, en complément des dispositions déjà prévues par la proposition de loi déposée par le groupe La République en Marche portant sur la question de l’anonymat et la responsabilité pénale et civile des plateformes numériques. Sur ce dernier point, il est actuellement complexe d’engager des poursuites à leur encontre lorsqu’elles ne prennent pas, en matière de régulation, les responsabilités auxquelles les soumet la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

M. Christian Payard, responsable du groupe de travail « Extrêmes droites » de la Ligue des droits de l’homme. Je vous remercie de nous avoir invités à cette audition. Les groupuscules d’extrême droite ne constituent pas un phénomène nouveau. Ce qui est nouveau c’est le contexte politique tant au niveau mondial, européen que national : régimes autoritaires, nationalisme hindou, problème des Rohingyas en Birmanie, montée et arrivée au pouvoir des partis d’extrême droite en Europe – comme celui de M. Salvini en Italie –, poids croissant du Rassemblement national dans les urnes – même s’il n’est pas passé. Ce contexte offre aux groupuscules d’extrême droite un espace favorable et avec la pluie, les champignons poussent…

Derrière le cadre officiel, le Rassemblement national, on retrouve ainsi Génération identitaire, qui a des amis au sein de ce dernier et des liens avec lui. L’immigration et l’islamisation sont les deux thématiques majeures qui unissent ces blocs. C’est également le thème qui fait la force du Rassemblement national. Même si Marine Le Pen a officiellement effectué un ravalement de façade, derrière, ce n’est pas propre !

Je partage l’analyse concernant la violence verbale et les modalités de la violence. Ainsi, dans le métro, à Lille comme à Paris, des patrouilles identitaires ont fait « la chasse à la racaille ». Ne serait-ce que symboliquement, ce sont des faits violents. De même, les événements du col de l’Échelle ont constitué une sacrée démonstration…

N’oublions pas la dimension européenne de Génération identitaire : ils sont en lien avec d’autres groupes européens – surtout en Italie pour ce que l’on sait. Ils mettent en avant la notion de « racines européennes » – généralement sous couvert de chrétienté –, mais surtout la notion de « race blanche », ce qui devient très grave… Ils développent le concept de préférence nationale. Ils s’inspirent du modèle italien : le groupe CasaPound a des liens avec les Jeunesses identitaires, mais aussi Bastion social – pour ne citer qu’eux.

Je ne parlerai pas de la banderole que Génération identitaire a déployée au-dessus de la mosquée de Poitiers en octobre 2012, d’une violence inouïe. Leur mot d’ordre était l’expulsion des islamistes. À Loudun, dans la Vienne, ils ont allumé des fumigènes devant un centre d’hébergement pour migrants, avec le slogan « moins de régularisation, plus de remigration ». C’est douloureux au pays des droits de l’homme…

Soulignons que, dans leurs premières actions, ils utilisaient un gilet jaune frappé d’un lambda noir, symbole de leur organisation.

De la même façon, au printemps dernier, à la faculté de droit de Montpellier, un commando a envahi les locaux et bastonné des étudiants. Le dossier n’est pas clos sur le plan judiciaire. L’affaire étant en cours, je ne vais pas me prononcer. Le lycée autogéré de Paris et une faculté de Lille ont également été touchés. Tout cela engendre un contexte hypertendu.

Les chiffres sont à manier avec précaution, mais Génération identitaire revendique 2500 adhérents. Ils s’implantent autour de maisons de l’identité. À Lille, leur bar s’appelle La Citadelle. Ce ne sont ni des paumés – ce qui les distingue des milieux skins des années soixante-dix et quatre-vingts –, ni des castagneurs. Ils sont pour la plupart diplômés et ont moins de vingt-six ans.

Soulignons un phénomène difficile à appréhender – nous y travaillons –, autour des salles de sport : le close-combat et la boxe font partie de leur itinéraire et de leur formation. Il faut y être très attentifs : sans le savoir, en effet, certains élus peuvent financer une salle de sport tenue par des gens de Génération identitaire. La plupart de leurs cadres sont formés et diplômés. Un centre de formation, Iliade, vient d’être créé par Jean-Yves Le Gallou.

M. Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme. Les différents groupuscules d’extrême droite ne sont pas tous liés, mais ont tous des liens avec des partis tels que le Rassemblement national.

La programmatique est claire : la diffusion d’idées pourra éventuellement profiter au Rassemblement national ou aux partis politiques partageant les mêmes thèses lors d’élections futures. Il s’agit bien évidemment du grand remplacement, qui a directement abouti il y a peu à la tragédie de Christchurch. Mais il s’agit aussi, et l’idée se diffuse au plus haut niveau de l’État, de cette théorie selon laquelle les organisations non gouvernementales (ONG) – dont nous faisons partie – se seraient rendues complices d’infractions criminelles ou pénales en aidant des passeurs, depuis la Libye vers la France ou l’Europe.

Votre commission d’enquête doit se pencher de manière approfondie sur ce phénomène car ces idées irriguent désormais les plus hautes sphères de l’État. Je ne devrais peut-être pas le rappeler mais, il y a peu, M. Castaner, ministre de l’intérieur, a ainsi repris la thèse de Génération identitaire – qui est d’ailleurs totalement fausse – selon laquelle des ONG auraient été complices de passeurs. Aucune preuve n’a été apportée. Cette fake news vient de M. Matteo Salvini.

L’objectif des groupes tels que Génération identitaire et Bastion social est d’asseoir une base électorale plus large. Comment ? Selon les mêmes modalités que les groupes radicaux religieux dans les banlieues, ils s’appuient sur les carences de l’État providence et la disparition progressive des aides associatives. Des groupuscules tels que Le Bastion social ou Génération identitaire apportent des aides aux plus défavorisés. Les symboles de l’ancien État providence sont attaqués, comme ce fut le cas avec l’occupation, très symbolique, de la caisse d’allocations familiales (CAF) de Bobigny. L’objectif est de remplacer l’ancien État providence. Cela peut aboutir, peut-être, à des actions terroristes, puisque la finalité de ce remplacement est d’asseoir une base électorale et d’avoir un maximum d’affidés.

Je le répète, le plus gros du travail doit porter sur la diffusion des idées, bien plus que sur l’action directe de ces groupuscules.

M. Thomas Rudigoz, président.  Permettez-moi d’abord de réagir à vos propos qui ont été particulièrement forts et qui constituent une fake news puisque vous prêtez au ministre de l’intérieur des paroles qui ne sont pas les siennes !

M. Arié Alimi. Je me suis contenté de les reprendre ; c’est exactement ce qu’il a dit…

M. Thomas Rudigoz, président. Je ne vous ai pas interrompu, vous allez donc me laisser parler, puis nous échangerons si vous le souhaitez, avant que je vous pose des questions. Vous estimez que M. Castaner « relaie » des thèses de Génération identitaire. C’est extrêmement grave.

M. Arié Alimi. C’est la vérité.

M. Thomas Rudigoz, président. Non, c’est votre vérité ! Avec le ministre de l’intérieur, le Premier ministre et le Président de la République, nous avons précisément engagé une démarche de dissolution de nombreux groupuscules d’extrême droite. Je ne vous autorise donc pas à nous dire que nous serions les relais des propos et des thèses de Génération identitaire !

M. Arié Alimi. Pas vous, M. Castaner !

M. Thomas Rudigoz, président. Je suis un soutien indéfectible du Gouvernement et de M. Castaner. Si vous voulez polémiquer, nous allons poursuivre dans cette voie !

M. Arié Alimi. C’est vous qui faites de la polémique.

M. Thomas Rudigoz, président. Non c’est vous qui en faites. Je préside cette séance et vous prie de bien vouloir couper votre micro.

M. Arié Alimi. Ne me donnez pas d’ordre !

 M. Thomas Rudigoz, président.  On ne peut faire fonctionner qu’un micro à la fois ! Vous direz ensuite ce que vous avez à dire.

Vos propos sont inacceptables et, en plus, vous insistez ! Le Président de la République a été très clair sur ces groupuscules d’extrême droite. Nous menons un important travail en la matière. M. Castaner, à qui vous pourrez poser des questions, s’expliquera avec vous. Je pense qu’il aura l’occasion de donner sa version des faits. Il a dit que, parfois, en Méditerranée, lors de la traversée de certaines personnes migrantes, des ONG – et non toutes – pouvaient jouer un rôle étonnant, voire suspect. Il n’a bien sûr pas englobé toutes les ONG, et certainement pas celles que vous représentez ou que vous défendez !

Que les choses soient claires : notre détermination à lutter contre les groupuscules d’extrême droite est totale, comme celle du Président de la République, du Gouvernement et du ministre de l’intérieur, avec qui j’échange régulièrement sur ce sujet. Le processus de dissolution des trois groupuscules d’extrême droite cités par le Président de la République – dont Bastion social – avance, comme M. Castaner l’a récemment indiqué en réponse à une question au Gouvernement que je lui avais posée suite aux attentats de Christchurch. Il a également rappelé, en réponse à ma question, tous les moyens mis en œuvre pour protéger les lieux de culte musulmans.

C’est vrai, monsieur Sopo, pour l’instant, Génération identitaire ne fait pas partie pour  l’instant des groupuscules concernés par une dissolution, mais le Gouvernement est vigilant. Ainsi, l’événement intervenu à la CAF de Bobigny alimente un dossier qui  permettra, le cas échéant, d’obtenir la dissolution.

J’en resterai là en réponse à vos propos. J’en viens à mes questions. Les universitaires auditionnés par la commission d’enquête ont évalué les effectifs des groupuscules d’extrême droite à 3 000 sur l’ensemble de notre territoire. Vos organisations retiennent-elles un ordre de grandeur similaire ? À votre connaissance, ces chiffres ont-ils connu des variations importantes au cours des vingt dernières années ?

Lors d’une audition dans cette salle, M. Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du numérique, a évoqué l’émergence d’une Internationale de l’extrême droite, une « Internationale de la fachosphère » ? Qu’en pensez-vous ? Faites-vous le même constat ?

Vous avez évoqué la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet portée par notre collègue Laetitia Avia, qui va bientôt vous auditionner. Quelles sont vos attentes et quelles propositions formuleriez-vous concernant la lutte contre la haine et le racisme sur internet ?

M. Dominique Sopo. Le chiffre de 3 000 – donné depuis très longtemps – correspond à nos estimations. Nous ne pensons pas qu’il ait connu des variations importantes au cours des dernières années, même si on peut parfois avoir cette impression lorsque certains groupes deviennent très actifs sur certains territoires. Mais il s’agit simplement de l’activation de réseaux déjà existants.

Les universitaires ont également dû en faire longuement état : nous sommes face à des réseaux très instables, avec beaucoup de passages d’un groupe à l’autre, de départs. Ces groupes constituent des sortes de sas pour toute une partie de la jeunesse. Leurs actions sont plus ou moins médiatisées et les phases de médiatisation plus ou moins importantes.

Cela étant, un nouvel activisme s’est sans doute développé après l’échec de Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2017. La dynamique et la perspective d’une éventuelle victoire avaient en effet canalisé certaines énergies extrémistes. Le crash public de Marine Le Pen lors du débat d’entre-deux tours de l’élection présidentielle, puis sa défaite, ont sans doute entraîné une résurgence d’activisme dans des groupes qui ne recherchent pas spécialement la respectabilité, mais ont une volonté de visibilité et d’alternative à l’action politique démocratique et légale. Néanmoins, je ne pense pas que le nombre d’activistes concernés ait beaucoup varié.

En tout état de cause, il ne faut pas se focaliser seulement sur les activistes : il faut aussi s’intéresser aux dynamiques et aux effets de levier. Les salles de sport, qui ont été évoquées, visent clairement les activistes. Mais il existe aussi toute une série de rassemblements musicaux dont la capacité d’influence est bien plus importante. Ainsi, Blood & Honour – qui a été dissous – organisait dans les monts du Lyonnais des concerts particulièrement marqués idéologiquement, puisqu’il s’agissait de black metal néonazi. L’objectif de ces rassemblements est précisément d’étendre l’influence …

Le deuxième élément à avoir à l’esprit, c’est évidemment la nouvelle caisse de résonance offerte par internet, phénomène nouveau.

Vous m’avez interrogé sur l’existence d’une éventuelle Internationale de l’extrême droite. Je ne sais pas vraiment ce que cela signifie… Que des gens qui ont pour point commun de ne pas aimer les Arabo-musulmans, les Noirs et les Juifs entrent dans une forme de communauté d’esprit et se reconnaissent comme appartenant à des réseaux qui luttent tous contre l’abomination que représenterait le grand remplacement – l’invasion par les musulmans du territoire européen –, c’est évident. Il est évident qu’internet met en relation ces différents groupes ou militants beaucoup plus facilement. Mais je ne sais pas si parler d’Internationale de l’extrême droite a du sens, car cela peut donner l’impression d’une structuration qui n’existe pas.

Si une Internationale structurée existait, il serait alors facile d’identifier ce contre quoi combattre et ce qu’il y aurait à démonter. Malheureusement, les relations entre les différents groupuscules d’extrême droite sont assez peu formalisées. Même dans les groupes d’extrême droite beaucoup plus structurés – le Rassemblement national ou d’autres partis européens –, la question des alliances n’est pas toujours simple.

Certes, après Christchurch, on peut dire qu’un Australien est passé par l’Europe et a commis un attentat terroriste en Nouvelle-Zélande et qu’il y a un aspect international mais la thématique d’une Internationale de l’extrême droite me paraît malgré tout assez impressionniste.

Sur la proposition de loi relative à la haine sur internet, le testing que nous avions réalisé en 2016 avec l’Union des étudiants juifs de France montrait une absence patente de modération chez Facebook – le moins mauvais des réseaux sociaux – mais également Twitter et YouTube. Cela avait contribué à la prise de conscience des défaillances de la modération sur les plateformes numériques et sur internet.

La proposition de loi reprend une partie des préoccupations portées par les associations, notamment en ce qui concerne les obligations qui incombent aux principales plateformes, l’identification de responsables légaux, le retrait rapide des sites incitant à la haine. Mais nous attendons encore des avancées. Ainsi, le responsable légal doit-il non simplement être un référent, mais avoir une responsabilité civile et pénale, ce qui permettrait d’actionner les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse y compris contre ces responsables légaux. S’agissant de la question de l’anonymat, nous souhaitons qu’il y ait une procédure de validation, qui ne doit pas passer nécessairement par la transmission d’une pièce d’identité – cela poserait toute une série de problèmes – mais qui doit au moins prévoir un numéro de téléphone ou une adresse mail, ce qui permettrait aux plateformes de disposer de données d’identification, même imparfaites, et faciliterait la fermeture des comptes de personnes qui se cachent derrière l’anonymat pour agir et contre lesquelles aucune action judiciaire n’est possible en l’état actuel du droit. Si elles ont commis des délits, il faut faciliter la fermeture des comptes de ces personnes qui tiennent absolument à rester dans l’anonymat.

Enfin, l’article de la proposition de loi concernant les pouvoirs donnés à l’administration de fermer des sites dont les contenus ont déjà été sanctionnés par un tribunal nous préoccupe un peu. Le parquet pourrait en effet procéder à ces fermetures. Cela constituerait une garantie plus forte en matière de respect des droits, d’autant que c’est déjà la pratique. Ainsi le parquet a-t-il réagi avec une grande réactivité lorsque le site « Démocratie participative », qui avait été fermé par la justice, a rouvert quasiment à l’identique avec de nouvelles adresses. Il n’est donc pas nécessaire d’octroyer des pouvoirs supplémentaires à l’administration, le parquet étant parfaitement compétent et réactif.

M. Christian Payard. Il est difficile d’accréditer les chiffres qui circulent dans la mesure où, par exemple, Bastion social refuse d’en donner. En revanche Génération identitaire revendique 2 500 adhérents – chiffre d’ailleurs repris par Éric Dupin dans son ouvrage La France identitaire. Enquête sur la réaction qui vient qui indique aussi une fourchette d’âge allant de 26 à 35 ans. Il est difficile de se baser sur des chiffres fiables.

S’agissant de « l’Internationale de la fachosphère », le point commun et ce qui pourrait constituer « l’axe le plus rassembleur », c’est l’immigration et l’islamisation. Pour le reste, l’histoire montre que ces groupuscules d’extrême droite peuvent se castagner très violemment entre eux, retournant ainsi contre d’autres groupuscules la violence qu’ils exercent habituellement à l’encontre des autres.

Quant à l’antisémitisme, tous ces mouvements ne sont pas antisémites et certains groupes ne le sont pas. Mais ils peuvent le devenir. Les racines européennes restent la grande valeur commune.

Enfin, je pense que dès lors que M. Castaner utilise l’expression « certaines ONG », l’opprobre est jeté sur l’ensemble de ces organisations ; il faut donc faire attention. Le ministre de l’intérieur a par ailleurs commis d’autres écarts, sur lesquels je ne reviendrai pas…

M. Arié Alimi.  Nous rejoignons souvent SOS Racisme, l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) ou la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) dans l’engagement de poursuites à l’encontre de sites internet qui appellent à la haine, particulièrement Riposte Laïque, à travers beaucoup d’articles antisémites et islamophobes. Or deux obstacles techniques nous empêchent de gagner ces procédures et de faire condamner ces sites.

Le premier est dû à un revirement de jurisprudence en matière d’appel et d’incitation à la haine. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse vise en effet « l’exhortation explicite » à la haine. Jusqu’à un passé récent, les juridictions avaient une appréciation assez large de cette notion. Il fallait que le site internet, le directeur de la publication ou l’auteur d’un article incitant à la haine demande explicitement au public de commettre des actes ou de manifester cette haine à l’égard de certaines personnes. Or nous sommes confrontés à des propos beaucoup plus subtils, car c’est ainsi que procèdent ceux qui appellent à la haine sur internet ou sur Twitter. Cette « exhortation explicite » est donc de plus en plus difficile à établir, ce qui neutralise ce texte majeur en matière de lutte contre les appels haineux et racistes. Si nous sommes opposés à l’idée de transférer ce monument de la République qu’est la loi de 1881 dans le code pénal, car ce texte fonctionne et il ne nous semble pas souhaitable de porter une atteinte aussi importante à la liberté d’expression, il faut en revanche retoucher cette notion d’ « exhortation explicite ».

Le second tient au fait que ces sites, en particulier Riposte laïque, jouent avec la notion de directeur de la publication. Nous avons tous été confrontés à ce problème alors que nous poursuivions Riposte laïque. En effet, l’identité des auteurs, qui écrivent de façon anonyme ou sous pseudonyme, est difficile à établir, même après de longues instructions. Traditionnellement, nous poursuivions le directeur de la publication. Or on constate une sorte de forum shopping en matière de direction de la publication qui conduit à établir cette dernière ou le site internet à l’étranger. Ainsi les serveurs du site peuvent-ils se trouver en Suisse avec un directeur de publication en Israël – et les évolutions sont fréquentes.

Nous avons donc proposé devant les juridictions – mais il revient au législateur de se saisir de ce problème, me semble-t-il –, la création, pour la direction de publication, d’une notion analogue à celle de la gérance de fait, propre au droit des sociétés qui distingue la gérance de droit et la gérance de fait. Cette notion jurisprudentielle ne figure pas dans le code de commerce. En revanche, pour le droit de la presse, dans la mesure où il s’agit d’un texte pénal impliquant une application stricte et une légalité préalable, il paraît important d’établir la notion de direction de publication de fait dans la loi. Une telle notion permettrait de pouvoir viser et poursuivre les personnes qui se comportent comme des directeurs de la publication même s’ils n’en ont pas les attributs légaux.

Pour ce qui concerne « l’Internationale de la fachosphère », il me semble qu’il s’agit plus d’une Internationale des idées, dont la diffusion est beaucoup plus facile et rapide à travers l’Union européenne. Ces groupuscules diffusent des idées et ont pour objectif d’accéder au pouvoir en utilisant leur façade légale. En Hongrie par exemple, avant d’arriver au pouvoir, M. Orbán a répandu pendant longtemps des idées antisémites en citant souvent le lobbying de Georges Soros, identifié au « Juif ». M. Orbán a accédé au pouvoir et ses idées se diffusent au sein de l’Union européenne. Il y a donc une sorte d’aller-retour entre les groupuscules et leur façade légale qui accède parfois au pouvoir.

M. Adrien Morenas, rapporteur. Merci, messieurs, pour ces informations. Je souhaiterais toutefois revenir sur les accusations que vous avez portées contre le ministre de l’intérieur. Plutôt que d’utiliser à des fins politiques une phrase isolée, je vous invite, à la fin de cette séance, à considérer l’ensemble des propos qu’il a tenus, et vous verrez qu’ils ne sont pas ceux que vous avez voulu lui prêter.

Cela étant, quel bilan tirez-vous de la création de pôles anti-discriminations au sein des parquets ? Quelles appréciations portez-vous sur les moyens et l’action de la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) ? Enfin, la directrice des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a indiqué que la lutte contre le racisme et les discriminations était érigée en priorité de la politique pénale de la garde des sceaux par la circulaire du 21 mars 2018. Qu’en pensez-vous et quelle appréciation portez-vous sur la mise en œuvre de cette priorité ?

M. Dominique Sopo. L’intérêt de la création de pôles anti-discriminations au sein des parquets est largement tempéré par le fait que quasiment aucune affaire ne remonte à la justice. En effet, si la discrimination continue d’être perçue comme devant faire l’objet de plaintes, essentiellement de la part des victimes, il n’y aura jamais de plainte, car on ne sait en général pas que l’on est discriminé. Si l’on sait que l’on s’est fait taper dessus, qu’est-ce qui permet de savoir en revanche que l’on est victime d’une discrimination ? Bien entendu, SOS Racisme procède à des testing afin de révéler des cas de discrimination. Mais, dès lors que l’on ne vous donne pas explicitement les raisons pour lesquelles vous n’avez pas été pris, il est extrêmement compliqué de porter plainte. La lutte contre les discriminations doit évidemment passer par la justice : nous nous efforçons précisément de judiciariser toute une série de situations à travers nos testing et de sensibiliser les gens au fait que la loi punit les discriminations. Mais la question d’une politique publique proactive visant à débusquer les situations de discrimination demeure posée si l’on veut vraiment lutter contre ce phénomène.

De façon plus générale, si l’on veut vraiment faire émerger un droit contre la discrimination, et plus généralement contre le racisme, les personnes qui s’en estiment victimes doivent pouvoir ester en justice, et la qualification doit pouvoir être retenue, quitte à ce qu’elle soit retirée ultérieurement au cours de l’instruction ou du procès. Aujourd’hui, dans nombre de situations dans lesquelles la question du racisme, de l’origine ou de la couleur de peau, etc. entrent en jeu dans la commission d’une infraction, ces dimensions ne sont pas retenues par la police ou la justice, ce qui fait que les enquêtes ne s’orientent pas vers ces sujets. De fait, lorsque l’on ne cherche pas un délit, on ne le trouve pas. Il y a là quelque chose de très pervers. C’est pourquoi il serait intéressant de réfléchir à l’adaptation en France de la solution retenue en Grande-Bretagne après le rapport Macpherson.

Enfin, à moins que l’information ne nous revienne pas, soit les pôles anti-discriminations n’ont pas été mis en place par les parquets, soit ils l’ont été de façon tellement ineffective que nous ne sommes pas au courant de leur existence.

Par ailleurs, puisque le ministère de la justice affirme que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme fait partie de ses priorités, il serait bon qu’il associe davantage le monde associatif à ses réflexions avant de prendre des circulaires, dont nous apprenons la publication par la presse. Lorsque l’on fait une circulaire pour faciliter les enquêtes, les dépôts de plainte, etc., il serait peut-être opportun de consulter les associations, qui sont tout de même en première ligne face aux difficultés. Nous aurions ainsi pu demander que les associations reconnues pour leur travail en la matière soient, par exemple, exemptées de consignation lorsqu’elles veulent ester en justice. Cela aurait été utile. Encore eût-il fallu nous avertir de la préparation d’une circulaire – je pense à celle qui a été annoncée récemment par la garde des sceaux.

Par ailleurs, nous sommes partenaires de la DILCRAH et nous portons une appréciation très positive sur son action, au-delà des subventions qu’elle nous verse. Cette structure, souple et réactive, a donné une bouffée d’air financière aux associations de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. Bien sûr, nous souhaiterions qu’elle bénéficie de plus de moyens. C’est évidemment en quelque sorte un plaidoyer pro domo, car la question des moyens supplémentaires est celle des subventions. Mais ce point est loin d’être négligeable alors que nous sommes confrontés, ces dernières années, à des phénomènes violents. Il n’est pas évident aujourd’hui de lutter contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations.

Ainsi, en général les associations ne disposent-elles pas de leur propre community manager, parce que ce poste implique un salaire. Compte tenu de la violence qui s’exprime, le bénévolat ne suffit pas : il faut aussi, au sein des associations, des personnes dont c’est le métier. On nous demande souvent de présenter des projets élaborés et très léchés pour obtenir des subventions. Mais le simple fait de disposer de fonds dédiés pour payer un community manager changerait la vie de tout le monde et permettrait aux associations d’avoir un impact plus fort sur internet. C’est encore plus vrai pour les associations « traditionnelles » que nous représentons ici, nées avant internet, et qui ont pris du retard à cet égard. Elles ont en effet longtemps privilégié les médias classiques comme canal de communication. Or, aujourd’hui, les modes de recueil de l’information et la façon dont on discute ou échange échappent largement aux médias classiques ainsi qu’à leurs forums.

M. Arié Alimi. Désolé, monsieur le président, pour tout à l’heure, je ne connaissais pas le fonctionnement du micro.

La circulaire pénale du 21 mars 2018, de portée générale, a trait à la question du racisme et de la discrimination. Elle incite les parquets à une démarche proactive et précise que le Défenseur des droits peut être un apport précieux dans cette lutte. Il serait sans doute souhaitable que les avis du Défenseur des droits bénéficient d’une écoute et d’un retentissement plus importants, car nous avons le sentiment qu’ils ne sont pas toujours suivis. Peut-être faudrait-il renforcer  ses pouvoirs en la matière.

Nous avons constaté de la part de tous les parquets de France une volonté véritable de lutter contre le racisme et la discrimination, ce qui constitue une avancée. Nous nous félicitons du travail effectué par la DILCRAH, avec laquelle nous avons pu travailler et agir à plusieurs reprises. Elle a montré une grande pertinence dans ses actions. Peut-être que ses pouvoirs et ses moyens devraient-ils être également renforcés. Nous sommes en effet confrontés à un phénomène d’ampleur, qui s’est densifié : propos racistes, manifestations de haine, stèles vandalisées dans les carrés juifs ou musulmans des cimetières, mosquées taguées, églises profanées. L’islamophobie, l’antichristianisme et l’antisémitisme n’ont jamais été aussi virulents, en dépit de la réelle volonté de l’État de lutter contre ces actes racistes ou discriminatoires.

Il faut repenser cette action, ce qui ne passera pas que par le judiciaire, d’autant que les moyens  manquent cruellement : les parquets sont engorgés et surchargés, et ne pourront pas faire face à cette lutte contre ce qui constitue souvent des petits actes du quotidien. Peut-être faudrait-il donc renforcer les moyens du Défenseur des droits et de la DILCRAH pour s’attaquer à ces « petits actes » quotidiens. Il faut commencer par les repérer, ce qui n’est pas du tout évident  – et ce ne sont pas les procureurs de la République qui vont se livrer à cette recherche en permanence. Le repérage des contenus illicites sur les réseaux sociaux par la DILCRAH et éventuellement la saisine permanente du Défenseur des droits permettraient d’aider l’univers judiciaire et les procureurs de la République à faire ce travail.

Le repérage sur les réseaux sociaux par la DILCRAH et éventuellement la saisine permanente du Défenseur des droits apporteraient une aide certaine à l’univers judiciaire et aux procureurs de la République dans leur travail.

M. Thomas Rudigoz, président. Merci, messieurs, pour cet échange et les réponses que vous avez apportées à nos questions.

 

La séance est levée à 11 heures 45.

————

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Élise Fajgeles, M. Adrien Morenas, M. Thomas Rudigoz

Excusée. - Mme Muriel Ressiguier