Compte rendu

Commission d’enquête
sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables,
sur la transparence des financements
et sur l’acceptabilité sociale
des politiques de transition énergétique

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, accompagnée de M. Éric Allain, président de section, et de Mme Isabelle Vincent, rapporteure              2

 

 


Mardi
9 avril 2019

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de M. Julien Aubert,
Président

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Pour la reprise de notre journée d’audition, je suis particulièrement heureux d’accueillir des magistrats de la Cour des comptes, Mme Catherine de Kersauson, présidente de la 2e chambre, et M. Eric Allain, président de section. Je précise à l’attention de mes collègues que chaque chambre comporte plusieurs sections.

Depuis l’année dernière, le champ d’investigation de la deuxième chambre porte sur l’énergie, les transports, les télécommunications, l’agriculture, la mer et l’environnement. Bien évidemment, la Cour des comptes n’a pas manqué de porter un regard vigilant sur la politique de développement des énergies renouvelables (EnR), avec la publication d’un rapport thématique en juillet 2013 et d’un rapport d’évaluation consacré aux certificats d’économies d’énergie (CEE) en octobre de la même année.

S’agissant d’une commission d’enquête portant sur l’acceptabilité sociale et la transparence du financement de la transition énergétique, il était évidemment logique de demander à la principale institution chargée de l’usage des deniers publics son avis sur les politiques susmentionnées.

Plus récemment, à la demande de nos collègues sénateurs de la commission des finances, la Cour des comptes a publié en mars 2018 une communication sur le pilotage global de la politique de soutien au développement des énergies renouvelables, en lien avec les évolutions résultant de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTE) et le premier exercice de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Cette communication s’articule autour de constats, en particulier sur le double objectif de la stratégie de développement des énergies renouvelables, à la fois au titre du changement climatique et en vue de la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, sur la part des décisions du passé dans les charges assumées et sur la part de celles relatives aux EnR électriques. Peut-être en profiterez-vous pour nous rappeler des éléments chiffrés, éventuellement actualisés.

Cette communication formule également des propositions en termes de transparence et de bonnes pratiques dans la mise en œuvre du soutien aux EnR. Néanmoins, le contexte dans lequel s’inscrivent ces propositions a évolué en ce qui concerne la trajectoire d’augmentation de la composante carbone et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, qui a rencontré la jacquerie fiscale que l’on connaît.

Nous allons, Mme la présidente, vous écouter au titre d’un exposé liminaire de quinze minutes, qui sera suivi d’un échange de questions réponses.

Il existe normalement, lors de toute audition par une commission d’enquête, une formule particulière pour prêter serment de « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». Néanmoins, à l’occasion de l’audition d’un membre de la Cour des comptes par une commission d’enquête, la question relative au serment a été posée s’agissant de l’audition de votre collègue M. Christian Descheemaeker, qui avait dûment invoqué le fait qu’étant magistrat assermenté, il n’y avait pas lieu de lui faire prêter serment. Le bureau de la commission n’ayant pas été préalablement consulté sur ce point, le président de ladite commission d’enquête, M. Daniel Goldberg, avait alors estimé qu’il n’était effectivement pas nécessaire de soumettre ce magistrat financier à l’obligation du serment, ce qui n’avait fait l’objet d’aucune remarque de la part des députés présents. Cette pratique a par la suite été confirmée, lors de l’audition conjointe de trois membres de la Cour des comptes par une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité, dont le président, M. Hervé Gaymard, avait spontanément décidé de l’exemption de serment, en usant d’arguments similaires. Considérant mon origine professionnelle et la jurisprudence qui fait date, vous comprendrez, mes chers collègues, que j’assume le fait de poursuivre cette tradition consistant à ne pas demander aux magistrats assermentés de prêter serment devant la commission d’enquête. Je rappelle en effet qu’au moment de leur installation, les magistrats font le serment de respecter loyalement la collégialité que vous représentez aujourd’hui.

Madame la présidente, vous avez la parole pour quinze minutes. Nous vous écoutons.

Mme Catherine de Kersauson, présidente de la 2e chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, vous avez, par une lettre du 26 mars 2019 adressée au premier président de la Cour des comptes, souhaité que des représentants de la Cour puissent vous présenter « les principales observations et recommandations relatives au pilotage global de la politique de soutien aux énergies renouvelables, telles qu’elles ressortent des vérifications et délibérations conduites par la Cour des comptes ». Le premier président a souhaité que je le représente, accompagnée d’Éric Allain, président de la section « Énergie », qui m’assistera pour répondre à vos questions.

Durant la période récente, la Cour a publié plusieurs rapports traitant des questions qui intéressent votre commission d’enquête. Le 16 mars 2018, elle a ainsi remis au président de la commission des finances du Sénat un rapport relatif au soutien aux énergies renouvelables, qui lui avait été demandé en décembre 2016 et porte sur la période 2013-2017. Ce rapport effectue la synthèse de trois contrôles réalisés en 2017, portant l’un sur le soutien aux énergies électriques, l’autre sur le soutien aux EnR chaleur et le troisième sur le soutien à la filière des EnR électriques. Par ailleurs, les notes d’exécution budgétaire relatives au compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », ainsi qu’à la mission « Ecologie, développement et mobilité durable » et en particulier au programme 345 « Service public de l’énergie » complètent et actualisent certains des éléments figurant dans le rapport de mars 2018.

Je souhaite également vous signaler le référé du premier président du 22 décembre 2017 relatif à l’évaluation de la mise en œuvre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), qui a occupé une partie de vos auditions et a été adressé au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l’économie et des finances, ces derniers y ayant répondu conjointement le 14 mars 2018.

La Cour a en outre effectué en octobre 2013 une communication au Premier ministre sur les certificats d’économies d’énergie, qui a fait l’objet d’un suivi dans le cadre d’une insertion au rapport public annuel de 2016.

J’ajoute que la Cour assure un suivi annuel de ses recommandations, dont le résultat est synthétisé chaque année dans le rapport public annuel. Les résultats les plus récents de ce suivi pourront également nourrir les réponses à vos questions éventuelles.

Je vous signale également d’autres rapports de la Cour susceptibles d’éclairer vos travaux : le rapport préparé par la cinquième chambre et remis à la commission des finances de l’Assemblée nationale en mars 2019 sur les dépenses fiscales en faveur du logement, ou encore le rapport de la cinquième chambre de la Cour remis à la commission des finances du Sénat en février 2018 sur le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Citons également, parmi les travaux les plus récents, une insertion au rapport public annuel de 2018 relative à Linky et aux autres compteurs communicants.

Permettez-moi deux remarques liminaires. Je tiens tout d’abord à préciser que la Cour ne peut s’exprimer que sur des sujets qu’elle a instruits complètement, après avoir mené à son terme la procédure contradictoire avec les organismes relevant de son champ de compétences. Par ailleurs, la date de nos publications sur le sujet particulier intéressant votre commission d’enquête est un élément tout à fait important s’agissant d’un contexte très évolutif. Certains de nos travaux demandent ainsi à être actualisés.

Je vais, à partir du rapport de mars 2018 et des notes d’exécution budgétaire précédemment mentionnées, essayer de répondre aux interrogations de votre commission sur les objectifs, l’impact économique et industriel et le financement des énergies renouvelables.

Concernant les objectifs poursuivis par la politique énergétique, notre rapport de mars 2018 sur le soutien aux EnR avait mis en évidence le retard persistant, déjà documenté dans le rapport précédent de 2013, entre les objectifs assignés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte et la place des EnR dans le mix énergétique. Il a également mis en lumière la non-compatibilité entre l’objectif et la trajectoire de développement des EnR de 32 % de la consommation brute d’énergie en 2030, arrêtée en 2016, et l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique en 2025. La Cour constatait dans ce rapport que l’objectif premier de la politique énergétique ainsi tracée était de réduire la place du nucléaire dans le mix énergétique plutôt que de lutter contre le réchauffement climatique, dans la mesure où les deux objectifs assignés ne réduisent pas les émissions de gaz à effet de serre. Pour y contribuer, la politique énergétique aurait dû se concentrer sur les EnR thermiques en substitution principalement des énergies fossiles, fortement émettrices de dioxyde de carbone.

La Cour a en outre, dans son rapport de mars 2018 sur les EnR, cherché à apprécier l’impact économique et industriel des énergies renouvelables. Son appréciation est la suivante : faute d’avoir établi une stratégie claire et des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a en définitive peu profité du développement des EnR. Constatant que la France, contrairement à d’autres États européens, n’était pas parvenue à se doter de champions dans ce secteur, la Cour exprimait diverses recommandations. Elle préconisait ainsi, à l’occasion de la révision de la PPE prévue initialement en 2018, mais intervenant de fait en 2019, de définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d’énergies renouvelables électriques et l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le mix, et de clarifier les objectifs industriels français associés au développement des EnR. Il est difficile d’apprécier à ce stade la suite donnée à cette double recommandation, la PPE n’étant à ce jour qu’un projet dont l’adoption ne pourra intervenir avant la discussion et l’adoption de la petite loi sur la transition énergétique, dont le projet sera prochainement présenté par le Gouvernement.

Concernant les modalités, la maîtrise et la transparence des financements des politiques de transition énergétique, je rappellerai en introduction quelques éléments clés sur les différentes modalités de soutien par l’État et leur répartition. Le coût budgétaire du soutien est nettement en faveur des EnR électriques, dans un rapport de 1 à 10 environ. Les modes de soutien sont différents, fondés sur des subventions à l’investissement et des dispositifs fiscaux pour le thermique : je pense au fonds chaleur pour les subventions à l’investissement et, pour les dispositifs fiscaux, au crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et au taux réduit de TVA. Pour l’électrique, les soutiens sont basés sur des subventions d’exploitation, sous la forme de compensations et d’obligations d’achat visant à garantir un niveau de prix aux producteurs, l’État prenant à sa charge le risque pris. Le soutien à la production d’EnR électriques est désormais alloué après appel d’offres. Les soutiens aux EnR sont, depuis 2015, financés par le contribuable et retracés dans deux supports budgétaires. Le premier est le compte d’affectation spéciale « transition énergétique », financé en recette par une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui assure le financement du soutien aux EnR électriques et au biométhane, des charges liées au remboursement aux opérateurs du déficit de compensation de leur charge de service public de l’électricité cumulé au 31 décembre 2015 et des charges d’effacement de consommation. Le second instrument est le programme 345 « Service public de l’énergie », qui finance notamment les intérêts de la dette auprès des opérateurs, les dispositifs propres aux zones non interconnectées, le chèque énergie, le budget du médiateur de l’électricité et quelques autres éléments.

Le rapport de la Cour des comptes de mars 2018 sur les EnR et l’examen de l’exécution du budget de l’État ont conduit à formuler des observations et recommandations à l’adresse des pouvoirs publics. Le premier constat est celui d’une forte dynamique des dépenses publiques de soutien aux EnR, avec 5,3 milliards d’euros en 2016 et une projection pour 2023 estimée à l’époque à 7,5 milliards d’euros. La Cour notait également une forte concentration sur le soutien aux EnR électriques, avec 4,4 milliards d’euros sur 5,3 milliards d’euros en 2016. La Cour soulignait en outre le poids des engagements passés, les charges contractées avant 2011 représentant environ deux tiers du volume de soutien annuel en 2017. Elle relevait également la disproportion entre certains montants de soutien et la contribution aux objectifs de développement des EnR, notamment pour le photovoltaïque et l’éolien offshore. Ce déséquilibre en faveur du soutien aux EnR électriques était rappelé dans ce rapport, de même que les insuffisances du dispositif de connaissance des coûts de production. Le rapport de la Cour pointait enfin, parmi les trois principaux vecteurs de soutien public aux EnR – le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), le Fonds chaleur et la compensation des charges de service public – la place particulière de cette compensation récemment mise à la charge du contribuable et dont les dynamiques sont imparfaitement retracées dans le CAS et le programme 345.

Nous en tirions les recommandations suivantes : il importait tout d’abord selon nous de renforcer l’efficacité et l’efficience du soutien au développement des EnR par un net renforcement de la transparence quant aux déterminants des choix opérés et par une meilleure association du Parlement à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR. À cet égard, si la création du compte d’affectation spéciale transition énergétique a constitué un progrès, ceci ne permet pas de faire apparaître l’ensemble des coûts de long terme et se limite à donner une vision annuelle, si bien que le Parlement n’est pas en situation de se prononcer sur les nouveaux engagements, ni d’apprécier la dynamique d’évolution des charges du fait des engagements passés ou nouveaux. La Cour préconisait également de publier le calcul des coûts de production et des prix actuels et prévisionnels de l’ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE et de l’utiliser pour contenir le volume des soutiens publics associés aux objectifs de la politique énergétique à court, moyen et long terme. La Cour recommandait de créer, à l’image du Conseil d’orientation des retraites (COR) et en remplacement d’autres instances existantes, un comité chargé d’éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l’avenir de la politique de l’énergie : cette instance de pilotage interministérielle serait placée auprès du premier ministre, considérant que la conduite de la politique de soutien aux EnR s’appuyait presque exclusivement sur la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et justifierait un dialogue interministériel renforcé.

À notre connaissance, les suites données à ces recommandations sont les suivantes. Sur le premier point visant à mieux associer le Parlement, la Cour a, dans le cadre de ses travaux sur l’exécution budgétaire, été amenée à préciser ses critiques sur l’absence de transparence et les pistes pour y remédier. Nous constatons que l’information du Parlement sur le fonctionnement du dispositif de compensation de charges du service public de l’énergie reste incomplète : en effet, le rapport annuel de performances (RAP) 2017 mentionne l’existence de charges à compenser et le projet annuel de performances (PAP) 2019, même s’il apporte des informations un peu plus détaillées sur le chaînage, ne détaille pas la répartition des paiements entre exercices.

Concernant la publication des coûts, de leurs modalités de calcul et de la mise en transparence des engagements de long terme, la Cour constate que la situation n’a pas évolué : les travaux conduits par les instances administratives ne sont pas publics et n’associent pas le Parlement, en dépit de la nomination au sein du comité de gestion des charges du service public de l’électricité d’un représentant de l’Assemblée nationale.

Pour ce qui est de la gouvernance, de l’instauration d’une instance analogue au COR et du renforcement du pilotage interministériel, la Cour ne dispose pas formellement d’éléments permettant d’établir que ses recommandations ont été suivies. A été ajouté aux instances existantes un Haut conseil pour le climat, composé de treize experts, qui ne remplit pas exactement les missions attendues d’un conseil d’orientation de l’énergie, de par sa composition, mais aussi sa mission, qui est centrée sur la lutte contre le réchauffement climatique et n’embrasse donc pas toutes les composantes d’une politique en faveur des EnR.

M. le président Julien Aubert. Merci, madame la présidente. Je vais céder la parole à Mme la rapporteure.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour vos propos. Pourriez-vous tout d’abord nous faire part de vos recommandations relativement au dispositif des CEE ?

M. Eric Allain, président de la section « Énergie » de la Cour des comptes. Je souhaite rappeler en préambule que les investigations de la Cour sur ce sujet sont relativement anciennes, puisqu’elles ont fait l’objet d’une insertion au rapport public annuel de 2013 et d’un suivi en 2016. Il ne m’est pas interdit de vous indiquer que nous envisageons de revenir assez rapidement sur cette question. Toutefois, en l’état actuel des constats et recommandations de la Cour, les dernières données remontent à 2016. Les constats effectués en 2013 et ayant fait l’objet d’un suivi en 2016 pointaient les insuffisances des modalités de contrôle et d’évaluation de ce dispositif, qui donnaient matière à un certain nombre de dérives de la part des éligibles ou des obligés et conduisaient à ce que le dispositif ne garantisse pas l’atteinte des objectifs assignés. Nous avions à cet égard formulé plusieurs recommandations, dont le dernier suivi ne permet pas de penser que la situation a grandement progressé.

Concernant les études sur les économies réellement obtenues grâce aux CEE, nous avions formulé, en 2013 comme en 2016, la recommandation qu’elles soient rendues obligatoires ; or ceci n’a toujours pas été mis en œuvre. Nous savons, comme vous, qu’une évaluation a été lancée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) à l’automne 2018, dont les résultats ne sont, me semble-t-il, pas encore disponibles. Ceci ne répond toutefois pas formellement à la recommandation visant à rendre ces études obligatoires.

Il était également préconisé d’engager des contrôles a posteriori par sondage, qui n’avaient toujours pas été mis en œuvre en 2016, et de développer des procédures de contrôle a posteriori sur les justifications d’attribution de certificats. Nous avons constaté en 2016 que les contrôles restaient quantitativement insuffisants. Concernant les contrôles a posteriori sur les justifications d’attribution des certificats, nous avons observé en 2017 que le dispositif législatif et organisationnel avait été complété et apparaissait formellement mis en œuvre ; reste à vérifier qu’il l’est effectivement, ce qui est une autre question. En tout état de cause, les éléments réglementaires ont été développés, suite à la recommandation de la Cour.

Je n’entrerai pas, sauf si vous le souhaitez, dans le détail des quelque douze recommandations formulées et de leur suivi, dans la mesure notamment où, comme signalé précédemment, nous ne disposons pas, pour certaines d’entre elles, d’informations actualisées à date. Certaines ont en outre un caractère relativement technique. Il nous paraît en tout cas nécessaire, compte tenu de l’importance et de l’originalité de ce dispositif, qu’il fasse l’objet d’un réexamen de la part de la Cour, ce qui est a priori prévu dans le cadre de la programmation de nos travaux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La notion de plancher pour les CEE figurait-elle dans vos recommandations ? Si la notion de plafond vient avec la pénalité à laquelle sont soumis les obligés, la question d’un plancher pour éviter que le prix des CEE ne baisse trop et risque de mettre à mal le système est souvent évoquée : cet aspect était-il abordé dans vos préconisations ?

M. Éric Allain. Non, ceci ne faisait pas partie des recommandations initiales de la Cour des comptes.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quelles sont, selon les évaluations et analyses prospectives que vous avez pu mener, les conséquences de la transition énergétique sur l’emploi en France ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous avons traité de ce sujet au travers du rapport sur le soutien aux EnR, lequel comporte des informations sur les retombées économiques du développement des EnR et notamment l’impact sur l’emploi, reprenant des estimations effectuées par l’ADEME. Un graphique montre ainsi l’existence d’un impact en termes d’emploi entre 2006 et 2016, passant de 60 000 à 80 000 emplois liés à la filière des EnR. Je vous renvoie à la page 37 du rapport.

M. Éric Allain. Ceci ne constitue qu’une partie de la réponse à votre question ; la Cour n’a en effet pas étudié en tant que tel l’impact en termes d’emploi de la transition énergétique. Les travaux que nous avons menés sont essentiellement basés sur des constats dressés par l’ADEME. L’un des principaux constats effectués sur ce sujet résidait dans la faiblesse des outils de suivi de l’impact du soutien aux EnR en matière d’emploi et plus globalement sur l’économie et le tissu industriel. Ce constat est à rapprocher de celui fait par la Cour des comptes dans son rapport précité sur les dispenses fiscales en faveur du logement, qui montre de manière générale sur ce sujet un déficit en termes d’évaluation des impacts des dispositifs fiscaux, y compris de ceux, dont le CITE, qui contribuent à la transition énergétique, dont on est aujourd’hui bien en peine d’indiquer quelles sont leur véritable efficacité et leur efficience réelle, concernant notamment les retours sur l’emploi et l’activité économique du pays.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Avez-vous, dans le cadre des études que vous avez conduites, réfléchi à la question des coûts de l’inaction ? La transition énergétique a un coût, qui doit être calculé en considérant l’ensemble de la chaîne, depuis la construction jusqu’au démantèlement ou à la déconstruction, avec tous les impacts indirects que ceci peut avoir. Si l’on veut être absolument exhaustif, il faudrait de la même façon être en mesure de chiffrer les coûts de l’inaction. De tels travaux ont-ils été menés ? Si non, envisagez-vous de les conduire ?

Mme Catherine de Kersauson. Non, nous n’avons pas mené de tels travaux.

M. Éric Allain. La Cour, parmi ses différents outils et modes d’action, développe l’évaluation de politiques publiques au sens pur du terme. Les travaux que nous menons, y compris le rapport de synthèse sur les EnR sur lequel nous nous appuyons pour conduire ces échanges, sont des enquêtes à portée évaluative et ne constituent pas en tant que tels des évaluations, dans le sens où ils ne font pas appel par exemple à des modèles économétriques, à des panels d’experts ou à des comités d’usagers. Pour autant, l’une des orientations que la Cour souhaite prendre vise à développer ce pan d’activité. Bien évidemment, nous comptons appliquer ceci dans les domaines de l’énergie et de la transition énergétique.

Mme Laure de La Raudière. Ma question concerne les subventions d’argent public entre les filières. Avez-vous comparé un euro d’argent public dépensé sur l’éolien terrestre, le photovoltaïque ou les énergies thermiques en termes d’efficacité au regard de l’objectif recherché et du coût complet de la filière, incluant le démantèlement ?

Avez-vous par ailleurs effectué une comparaison entre un euro d’argent public investi par exemple pour réaliser des économies d’énergie par la rénovation thermique de bâtiments et un euro d’argent public investi dans les énergies renouvelables ? J’ai l’impression que l’on poursuit toujours deux objectifs en France, à savoir à la fois le taux d’énergies renouvelables et la réduction des émissions de CO2. Avez-vous effectué des analyses et produit des recommandations relativement à ce double objectif ?

Mme Catherine de Kersauson. Je vais commencer à répondre à partir de notre rapport sur le soutien aux énergies renouvelables et laisser Éric Allain poursuivre. Nous expliquions dans ce document que le soutien au photovoltaïque coûterait aux finances publiques, à l’époque où nous avions rédigé ce texte, 38,4 milliards d’euros sur vingt ans, pour un volume de production représentant 0,7 % du mix électrique. Nous soulignions également qu’en matière d’éolien offshore, la pleine réalisation des appels d’offres lancés en 2011 et 2013 pèserait 2 milliards d’euros par an sur vingt ans, pour un volume de production représentant à terme 2 % du mix électrique. Nous mettions ainsi en évidence la disproportion entre le coût pour les finances publiques de ces investissements et leur part dans le mix électrique. D’une manière générale, la Cour a pointé le déséquilibre entre le coût pour les finances publiques du soutien aux EnR électriques vs. les EnR thermiques. Nous n’avons toutefois pas réalisé d’étude globale permettant de répondre strictement à votre question.

M. Éric Allain. Il importe aussi d’apprécier la dynamique des coûts. La Cour a ainsi constaté dans son rapport sur le soutien aux EnR que les coûts au mégawattheure installé diminuaient pour un grand nombre de techniques. Ceci est par exemple particulièrement frappant sur le photovoltaïque, un peu moins sans doute pour des techniques moins matures comme l’éolien offshore, qui a fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit d’un élément à prendre en considération. Il existe aujourd’hui une forme de dynamique à la baisse du coût de ces installations. En règle générale, ceci entre désormais dans le cadre d’appels d’offres : les projets retenus sont ainsi les plus compétitifs en termes de prix au mégawattheure installé. Les porteurs de ces projets, qui sont des sociétés du secteur privé, intègrent en toute logique dans ces coûts les amortissements de leurs installations, la maintenance, etc. On est donc en droit de penser, en première analyse, qu’ils intègrent y compris l’éventuel démantèlement ultime ou, plus vraisemblablement, le renouvellement de l’installation. On se situe bien a priori dans une logique de coût complet tel que soumis par le porteur de projet à l’adresse des autorités publiques, qui choisissent ou non de retenir la proposition en question. La tendance est globalement à la baisse, sachant évidemment que, selon les techniques, les situations peuvent s’avérer extrêmement contrastées.

Concernant votre question relative au prix de la tonne de CO2 évitée selon le dispositif mis en place – typiquement développement des EnR vs. économies de consommation thermique ou électrique pour chauffer un logement –, la Cour n’a pas produit de travaux en la matière. Ceci mériterait en effet la prise en compte de travaux complémentaires, sachant que, comme l’a rappelé la présidente dans son propos liminaire, nous avons constaté que sur la production d’énergie elle-même, sans parler du secteur du logement qui mériterait évidemment des développements à part entière, avait été privilégiée la substitution EnR thermiques - nucléaire par rapport à une véritable réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bien qu’il soit assez rare que la Cour des comptes propose d’augmenter les dépenses publiques, le rapport de synthèse sur les EnR recommandait en l’occurrence à l’État d’augmenter les moyens consacrés au fonds chaleur. Ceci nous paraissait parfaitement légitime, compte tenu des objectifs que par ailleurs le législateur avait assignés à l’action publique en la matière.

Mme Véronique Louwagie. Merci pour ces informations. Ce matin, il nous a été suggéré lors d’une audition de retenir comme indicateur pour évaluer les politiques publiques le coût de la tonne de CO2 évitée. Avez-vous déjà conduit des analyses ou des réflexions en ce sens ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous n’avons pas produit de telles analyses.

M. Éric Allain. Nous avons en revanche un certain nombre de pistes de réflexion en matière d’évaluation. Je ne suis pas certain que ceci doive constituer un critère exclusif d’évaluation, mais il est clair que ceci devrait en être un élément important, concernant par exemple la politique de transition énergétique menée dans les secteurs de l’industrie, du logement ou des transports.

M. Anthony Cellier. Je souhaiterais revenir sur vos propos concernant l’éolien offshore. Vous avez pointé une disproportion entre les charges financières et le volume de production dans les années à venir. Vous mentionnez notamment dans le rapport les appels d’offres relatifs à l’éolien offshore, qui coûteraient 2 milliards d’euros pendant vingt ans. Avez-vous pris en compte la renégociation effectuée par le gouvernement l’an dernier, tant sur la production, avec un passage de 200 euros à 150 euros le mégawattheure, qu’en termes de renégociation globale de la filière ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous n’avons, par définition, pas pris en compte cet élément, puisque la renégociation a été l’une des conséquences de notre rapport et est intervenue à l’été 2018.

M. Anthony Cellier. Regardez-vous ceci d’un œil favorable ? Les décisions prises au niveau du gouvernement et les renégociations effectuées répondent-elles aux attentes formulées dans le rapport de la Cour des comptes ?

Mme Catherine de Kersauson. Ceci va dans le bon sens. Nous n’avons toutefois pas expertisé cette renégociation.

M. le président Julien Aubert. Rassurez-vous, monsieur Cellier, quelqu’un s’en est chargé, et vous disposerez en juin du rapport que je suis en train d’élaborer sur les éoliennes en tant que rapporteur spécial du budget de l’énergie. Je précise par ailleurs que c’est M. Rameix, de la Cour des comptes, qui a supervisé l’opération de renégociation.

M. Anthony Cellier. Il est spécifié dans le rapport que, pour les EnR électriques, l’État a d’abord mis en place des tarifs garantis, l’engageant financièrement lourdement sur le long terme. Les charges contractées à la suite de décisions antérieures à 2011 représentent ainsi près de deux tiers du volume annuel de soutien supporté aujourd’hui par les finances publiques. Le rapport fait état de 5,3 milliards d’euros de dépense publique de soutien aux EnR, dont 3,6 milliards d’euros ne correspondant pas à un soutien actuel, mais à des charges antérieures. Pouvez-vous me donner une temporalité ? Depuis quand est-on passé sur ce volume ? Quel est le montant exact de ces charges ? Quel est le tendanciel ?

M. Éric Allain. Nous nous sommes efforcés de nous projeter dans les prochaines années, avec une convention consistant à regarder ce qui a été engagé jusqu’en 2011 et à apprécier l’impact budgétaire, la dernière échéance du graphique dont je dispose se situant en 2040. Il apparaît qu’un plafond est atteint aux alentours de 7 milliards d’euros pour la totalité des engagements pris jusqu’en 2017 inclus et que, fort heureusement, la courbe décroît ensuite progressivement. L’effet stock pèse assez lourdement sur la trajectoire. On observe toutefois que les dispositifs ont évolué et engagent un peu moins lourdement les finances publiques sur des périodes extrêmement longues et à des niveaux très élevés que ceci ne fut le cas au cours des années 2000-2010. Pour autant, l’État est engagé. Une renégociation des conditions de soutien peut évidemment intervenir, comme pour l’éolien offshore, mais ceci apparaît toutefois très exceptionnel. La part des engagements contractés avant 2011 diminue en 2018, avec 3,6 milliards d’euros sur 5,2 milliards d’euros. Si l’on se projette en 2027, cette part ne sera plus que de 2,8 milliards d’euros sur 6,9 milliards d’euros. La tendance est celle-ci.

Il faut par ailleurs savoir qu’aujourd’hui les mécanismes sont un peu différents. Il s’agit de mécanismes de compensation de prix, réputés moins coûteux pour les finances publiques, mais qui induisent un transfert du risque de marché des opérateurs privés vers l’État. Ceci correspond au principe même de l’incitation et constitue l’une des difficultés de la mise en transparence de ces questions. Il est en effet difficile de se projeter dans l’avenir et d’anticiper l’évolution de ces charges, puisqu’elles dépendent, dans une mesure assez importante s’agissant en tout cas de l’électrique, de l’évolution des marchés de l’électricité.

Mme Catherine de Kersauson. Le montant des charges prévisionnelles sur longue période, estimé dans notre rapport à 121 milliards d’euros en euros courants entre 2018 et 2046, est actualisé par la commission de régulation de l’énergie (CRE). Il est de 104 à 115 milliards d’euros fin 2018 et 120 milliards d’euros en 2019.

M. le président Julien Aubert. Le recours à des appels d’offres vise à limiter le coût de soutien des EnR électriques : tout dépend en fait des projections faites par rapport au prix de l’électricité. Plus ce prix se rapproche de celui pour lequel on s’est engagé, plus le soutien aux EnR est faible. Si le prix de l’électricité baissait massivement, l’engagement de l’État deviendrait alors très fort. Dans certains pays, notamment au Brésil, on ne communique pas sur le volume des appels d’offres, ce type de donnée étant susceptible d’informer les demandeurs qui, connaissant la distribution qui sera faite par la suite, pourraient éventuellement conclure des ententes concurrentielles. Avez-vous analysé ce dispositif d’appel d’offres par rapport à une hypothèse transnationale ? Avez-vous effectué un parangonnage international ? Vous aviez pointé le fait qu’il s’agissait pour l’État de réduire le coût. Ceci impliquerait d’aller vers un système que les Britanniques qualifient de complement for difference, c’est-à-dire de complément de rémunération garanti permettant de quantifier le soutien de l’État. Avez-vous analysé ceci ?

M. Éric Allain. Nous n’avons pas analysé cet aspect sous l’angle de la mesure de l’efficacité. Nous avons simplement constaté que cela se développait et faisait partie des évolutions récentes des modalités de soutien. Cette démarche nous semble intéressante en première analyse, dans la mesure où elle est susceptible de réduire le coût global du soutien.

M. le président Julien Aubert. Concernant les objectifs, vous avez expliqué que la France avait fait le choix, au travers des moyens employés, de ne pas privilégier l’objectif carbone. Or selon moi, la transition énergétique a avant tout pour but de lutter contre le réchauffement climatique. Sur les sommes que vous avez mises en avant, quel pourcentage irait selon vous à l’objectif carbone par opposition aux autres objectifs ?

M. Éric Allain. Pour le thermique, le rapport est d’environ 1 à 10. Les chiffres donnés dans le rapport, qui mériteraient d’être actualisés, faisaient état en 2016, sur un soutien total d’un peu moins de 5,3 milliards d’euros, de 4,5 milliards d’euros alloués à l’électrique et 689 millions d’euros au thermique. Si l’on raisonne en grandes masses, on peut considérer que les sommes dévolues au thermique bénéficient à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit en tout cas d’une hypothèse de travail qui paraît assez robuste. Il conviendrait d’ajouter à cela les dépenses fiscales qui peuvent cibler le thermique : nous avons évoqué précédemment le CITE, mais il convient de considérer aussi les dépenses fiscales liées à l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ).

M. le président Julien Aubert. En fait, lorsque l’on additionne les grandes masses que représentent le soutien au thermique et le CITE, on obtient finalement une somme voisine de 1,4 ou 1,5 milliard d’euros consacré à l’objectif CO2.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. N’oublie-t-on pas la question de la sobriété, et avec elle la part d’incidence sur les pics, lorsque l’on est par exemple sur de l’effacement, qui évite des dégagements de CO2 par un non-recours aux centrales thermiques ?

M. Éric Allain. Probablement, mais cela dépasse le champ des investigations que nous avons menées. Il conviendrait en effet d’apprécier le pourcentage en fonction des différents vecteurs énergétiques, afin de voir lesquels parmi eux contribuent en année moyenne à l’effacement, pour rester sur l’exemple que vous citez, et moduler, pondérer le coût global de l’effacement par le recours à ces vecteurs. Je ne pense toutefois pas que ceci représenterait des sommes considérables, de nature à conduire à revisiter l’image d’ensemble de l’impact relatif du carboné.

M. le président Julien Aubert. Dans la sobriété énergétique, figure la réduction d’énergie. L’un des intervenants entendus ce matin nous indiquait qu’il était différent de réduire une consommation au gaz et à l’électricité. L’objectif de maîtrise de l’énergie peut donc avoir un impact carbone ou ne pas en avoir. Or il me semble que l’on ne discrimine pas forcément, aujourd’hui, parmi les outils de sobriété énergétique. Dans les outils de CEE, il n’existe aucune prime différenciée selon que vous fassiez de l’efficacité énergétique pour réduire les émissions de CO2 ou pas. Grosso modo, 1,5 milliard d’euros concerne l’objectif CO2, contre trois fois plus pour le soutien à l’électrique. L’une des difficultés tient au fait que l’on dispose d’outils qui se superposent. Avez-vous étudié, en matière d’efficacité, le doublonnement potentiel ? Avez-vous par exemple regardé si, entre les CEE et le CITE, deux dépenses ne se superposaient pas ? Comment avez-vous abordé ce sujet, plus complexe que celui du soutien direct ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous n’avons pas examiné cet aspect. Dans le rapport sur les EnR, nous avons en effet raisonné globalement et non instrument par instrument, en analysant les interactions ou les effets comparés, s’annulant éventuellement, de ces différents soutiens. Ce sont à ce stade des travaux que nous n’avons pas conduits.

M. le président Julien Aubert. Les CEE sont un outil de l’État extrêmement pratique, que l’on retrouve partout, dans l’électricité, le gaz, le pétrole, qui compte dans la facture, sur lequel l’État perçoit des taxes et dont il fixe lui-même le volume, ceci induisant une augmentation et un prélèvement, dans la mesure où tout ceci est répercuté auprès des consommateurs. Puisque vous avez mentionné le fait que, sur le soutien aux EnR, le Parlement n’avait pas son mot à dire, ne pensez-vous pas qu’il existe un sujet sur les CEE, dont il nous est dit qu’il ne s’agit pas d’une taxe, d’une quasi-taxe, d’une accise, sachant que le ministre décide, dans le secret de son ministère, d’augmenter un volume, ce qui produit mécaniquement, de facto, une augmentation pour les obligés, une répercussion financière pour les consommateurs finaux ? Il existe de plus un conflit d’intérêt, puisque lorsque le ministère de l’écologie augmente les CEE, le ministère des finances perçoit une TVA sur cette augmentation. Or le Parlement n’est en rien consulté. Il nous a d’ailleurs été dit, concernant précisément les CEE, que sur la période actuelle, les obligés peinaient à remplir leurs objectifs. Comment, sans perdre la nature particulière des CEE, qui est intéressante dans les aspects marchés et que personne ne conteste, le Parlement pourrait-il être associé aux décisions ? On voit bien, sur les EnR, comment essayer de contrôler le volume, avec éventuellement des systèmes de complement for difference ou en tout cas le vote de volume maximum d’aides aux EnR. Mais comment procéder relativement aux CEE ?

M. Éric Allain. Vous posez là une question difficile, à laquelle je ne saurais répondre. Les CEE sont un objet étrange, ni budgétaire, ni fiscal, dont même la qualification en termes comptables peut susciter quelques interrogations. La question du levier permettant d’intégrer cet outil dans une politique énergétique complètement débattue m’échappe à ce stade. Ce pourrait être éventuellement l’objet de futures investigations de la Cour.

M. le président Julien Aubert. Ma dernière question porte sur le contrôle interne et la manière dont vous avez évalué les CEE. Le rapport d’évaluation de 2013 a été rapporté par Mme Pappalardo, présidente de l’ADEME de 2003 à 2008. Or les CEE, mis en place précisément par l’ADEME, ont été lancés en 2006. Y a-t-il eu, lors de l’examen de l’évaluation de 2013, une procédure particulière, dans la mesure où Mme Pappalardo a rapporté sur ce sujet qu’elle connaissait, puisqu’elle avait contribué à lancer le dispositif ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises afin d’éviter un processus de juge et partie ?

Mme Catherine de Kersauson. J’ignore si des observations de ce type ont été formulées lors de l’adoption de ce rapport, mais me permets de vous rappeler que les rapports de la Cour des comptes font l’objet d’une procédure contradictoire et collégiale. Ainsi, la communication au premier ministre de 2013 a donné lieu à une délibération collégiale : il s’agit donc d’un rapport de la Cour, non d’un rapport de Mme Pappalardo.

M. Vincent Thiébaut. En dehors des EnR, il est bien question d’un mix énergétique global, dont les EnR ne sont qu’une partie. Vous nous avez communiqué des coûts relativement à la partie EnR. Je sais que la Cour des comptes a aussi travaillé sur les problématiques des autres énergies, qu’il s’agisse notamment du démantèlement ou de la prolongation des centrales nucléaires. Ce coût est également supporté par les contribuables. Avez-vous pu effectuer une comparaison entre ce que coûtent d’une part les EnR, qui sont des énergies émergentes, pour certaines encore en phase d’innovation et de perfectionnement, et ont logiquement besoin de soutien, d’autre part le maintien de l’énergie nucléaire ? L’idée n’est pas nécessairement d’opposer les deux, mais d’avoir un aperçu de ce que coûte l’un par rapport à l’autre. Je pense en effet que l’avantage des EnR est que si l’on parvient, à un moment donné, à un coût de marché intéressant, comme dans le secteur du photovoltaïque où les coûts ont bien baissé depuis dix ans, alors on aura moins de problématique dans la prolongation ou en tout cas dans le renouvellement.

M. Éric Allain. La Cour des comptes s’est en effet penchée en 2012, ce qui constituait un travail alors assez original et inédit, sur l’appréciation du coût de l’électricité nucléaire, qui représente aujourd’hui trois quarts de la production électrique nationale. Ces travaux ont été réactualisés en 2014 et il est prévu qu’ils le soient régulièrement. L’approche de la Cour est une approche en coût complet, qui n’est pas directement à relier au coût de marché, ni même au prix de vente de l’électricité du parc nucléaire historique, à laquelle la présidente a fait allusion précédemment dans le cadre du dispositif de l’ARENH, qui est à 42 euros le mégawattheure. Lorsque nous avons évalué le coût complet en 2014, il s’établissait aux alentours de 65 euros le mégawattheure. On parle bien ici du parc nucléaire existant, soit les 58 réacteurs nucléaires aujourd’hui en activité.

Le deuxième sujet est d’apprécier les différents vecteurs et leurs positionnements relatifs. Concernant les EnR, les coûts ont pu être largement supérieurs à 100 euros du mégawattheure et le sont d’ailleurs restés pour certaines techniques, tandis qu’ils sont en décroissance forte pour d’autres : tout dépend de l’évolution des différentes technologies et des économies d’échelle. Dans cette question de ce que les spécialistes qualifient de « foisonnement », qui renvoie à la manière dont on articule les différentes sources d’énergie pour assurer une régularité de l’approvisionnement et un équilibrage permanent du marché entre l’offre et la demande d’électricité, il faut considérer que ces énergies n’ont pas les mêmes caractéristiques : certaines, comme le nucléaire, mais aussi les centrales à gaz et à charbon, sur lesquelles je passerai dans la mesure où il est prévu que ces modes de production disparaissent à court ou moyen terme, sont dites « pilotables », ce qui n’est pas le cas des EnR. Des appréciations peuvent être menées sur la part des énergies non pilotables susceptibles d’être acceptées dans le mix électrique sans que cela n’ait forcément de conséquence sur la capacité des gestionnaires de réseaux à assurer en permanence l’adéquation entre l’offre et la demande. On entend dire aujourd’hui que 20 % à 30 % d’EnR ne posent pas de difficulté particulière. Au-delà, ceci peut générer des difficultés ou nécessiter des investissements supplémentaires, qui seraient répercutés sur le consommateur, par le biais notamment du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Il ne s’agit pas de questions que la Cour a réellement investiguées en tant que telles.

L’aspect des coûts est évidemment important et a été développé dans notre rapport sur les EnR, pour indiquer que la problématique des coûts de revient devait être mieux prise en compte dans les choix faits par la France lorsqu’elle décide de développer tel ou tel type d’énergie renouvelable. Pour autant, ceci est à comparer avec d’autres vecteurs énergétiques qui assurent aujourd’hui une base de production solide.

M. Vincent Thiébaut. Lorsque vous parlez de coût complet, je suppose que ceci inclut la production, la maintenance, le démantèlement, le stockage, etc.

M. Éric Allain. Absolument : ce coût inclut, en fonction des informations disponibles et de la manière dont elles sont retracées dans les comptes des exploitants, principalement EDF, les opérations de fin de cycle, c’est-à-dire la gestion des opérations de démantèlement, donc le provisionnement effectué chaque année par EDF pour assurer sa capacité à démanteler les installations une fois qu’elles seront en fin de vie, ainsi que la gestion des déchets telle qu’elle est aujourd’hui estimée.

M. Vincent Thiébaut. À 65 euros le mégawattheure, la tarification actuelle va-t-elle permettre de couvrir l’ensemble de ce coût complet ? Ne faudra-t-il pas, à un moment donné, faire appel à l’argent public pour assurer l’ensemble des opérations ?

M. Éric Allain. J’ai pris soin de préciser précédemment que le coût complet et le prix de vente étaient deux éléments différents, qu’il ne fallait pas comparer strictement l’un à l’autre. Un prix de vente se raisonne plutôt en coût marginal, tandis qu’un coût complet, par construction, ne le peut pas. Il ne s’agit pas d’un travail instruit par la Cour, si bien qu’il me faut être très prudent sur ce sujet. Le tarif de l’ARENH a été conçu, à l’origine, pour couvrir les coûts de production de l’électricité nucléaire d’EDF et n’a pas évolué depuis quelques années déjà. Je rappelle toutefois que nous n’avons pas instruit ce sujet. Il existe de même aujourd’hui une problématique sur l’évolution de l’ARENH, qui peut en effet poser question. On parle bien là du parc historique ; la question se pose bien évidemment dans des termes similaires sur le principe, mais assez différents en termes de masse financière, pour un futur parc nucléaire. Il y aurait là aussi un dispositif de prix à imaginer.

M. Anthony Cellier. Il est affirmé dans le rapport que « l’architecture budgétaire actuelle ne permet pas en effet au Parlement ni de se prononcer sur les nouveaux engagements, ni d’apprécier la dynamique consolidée d’évolution des charges du fait des engagements passés ou nouveaux. Le Parlement devrait donc être mieux associé à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR ». J’ai sollicité l’année dernière la co-signature d’une centaine de parlementaires invitant à une meilleure implication du Parlement quant à la programmation pluriannuelle de l’énergie ; les CEE pourraient entrer pleinement dans ce type de réflexion. Nous avions évoqué l’hypothèse d’une loi programmatique, un peu comme une loi de programmation militaire. Avez-vous réfléchi à cet aspect ? Avez-vous des pistes à nous faire partager dans ce domaine ?

Mme Catherine de Kersauson. Comme vous l’avez lu dans le rapport, nous avons formulé une orientation sur ce sujet, visant à ce que le Parlement soit « mieux associé à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR », mais sans évoquer l’outil qui serait le plus adapté.

M. le président Julien Aubert. Toutes proportions gardées, ce sujet est assez voisin de celui des retraites : il s’agit d’une dépense certaine, lointaine et dont l’évaluation dépend de différents paramètres, tels que l’âge de la retraite pour l’un ou le prix de l’électricité sur le marché de gros pour l’autre. Vous constatez dans votre rapport que le Parlement voit passer le flux annuel, mais n’a de vision ni sur l’amont, ni sur l’aval, ni sur le long terme. Vous aviez d’ailleurs annoncé à ce propos des chiffres quelque peu effrayants, de l’ordre de 120 milliards d’euros. Ne pourrait-on s’inspirer de l’architecture imaginée dans le cadre des retraites pour disposer des engagements « hors bilan » que représentent les engagements de l’État, pour lesquels on est certain que la dépense arrivera ? Existe-t-il au contraire entre les deux situations des éléments qui diffèrent et rendraient impossible de s’inspirer du cadre des retraites pour disposer d’une visibilité budgétaire dans ce domaine ?

M. Éric Allain. Nous ne nous sommes pas nécessairement inspirés du système des retraites, mais avons critiqué la logique annuelle, dans laquelle le Parlement ne fait que constater l’évolution des coûts sans influer sur le niveau des engagements. Il s’agit d’une logique dans laquelle les autorisations d’engagement (AE) sont égales aux crédits de paiement (CP) pour le CAS, principal vecteur retraçant la dépense budgétaire associée au soutien aux EnR. Nous avons formulé à ce propos non une recommandation définissant un schéma précis, comme la Cour le fait parfois, mais une orientation, dans la mesure où nous estimons qu’il existe plusieurs façons d’atteindre le but. Une manière consisterait à déterminer un niveau d’AE sur quinze ou vingt ans, en fonction des appels d’offres sur lesquels l’État contracterait, à suivre l’évolution de ce montant d’AE et les profils de décaissement assortis en fonction des évolutions des marchés de l’électricité. Aujourd’hui, ces éléments de dépense et de projection de la dépense sont suivis de fait et il n’y a là aucune critique à formuler à l’égard des administrations compétentes. La question est de savoir comment partager ceci et comment le transcrire dans un outil adapté. Le CAS ne conviendrait évidemment pas et il faudrait trouver un autre support budgétaire pour à la fois transcrire les engagements et dépenses associées et soumettre ce vecteur budgétaire au Parlement, afin que ce dernier puisse en débattre.

Cela peut prendre différentes formes. L’un des membres de votre commission évoquait une loi de programmation. Face à ces différentes possibilités, la Cour ne s’est pas sentie totalement assurée et légitime pour indiquer le vecteur le mieux adapté ou la meilleure manière de procéder. En revanche, aucun élément identifié dans le corpus juridique français ne s’oppose fermement à ce que nous puissions par exemple évaluer un montant pluriannuel d’autorisations d’engagement. Ceci existe déjà pour certains types de projets, comme les partenariats public-privé (PPP), et on pourrait très bien imaginer que ceci puisse être mis en œuvre dans le domaine de l’énergie, compte tenu des particularités des modalités de soutien.

Mme Catherine de Kersauson. Dans notre rapport, nous soulignions que la PPE était adoptée par décret et était trop imprécise en matière d’impact sur les soutiens par les finances publiques. Nous n’en avons pas fait une recommandation, mais il ressort clairement du rapport que l’une des solutions pourrait être que le Parlement puisse se prononcer sur les éléments de programmation contenus dans la PPE et que cette dernière soit plus précise s’agissant des soutiens publics liés aux objectifs affichés.

M. Anthony Cellier. Je me permets de préciser à l’attention de nos concitoyens qui regarderaient cette audition retransmise sur le site de l’Assemblée nationale que les parlementaires ne sont malgré tout pas complètement démunis et peuvent agir a posteriori, dans le cadre de leur mission de contrôle.

M. le président Julien Aubert. Une fois que le train est passé, donc.

Estimez-vous que la maquette budgétaire actuelle concernant la politique de transition énergétique est optimale au regard de la lisibilité pour le citoyen, lorsque l’on considère les objectifs de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et des programmes tels que le programme 345 auquel vous avez fait allusion ? Ces programmes correspondent-ils à l’esprit de la loi ou y aurait-il un travail de toilettage à effectuer ? Auriez-vous éventuellement des suggestions à formuler dans ce domaine ?

M. Éric Allain. Nous évoquions précédemment le remboursement de la compensation de CSPE auprès des exploitants, EDF principalement, antérieure à 2015. Une partie de cette charge relève du programme 345 et l’autre du CAS « Transition énergétique ». Il y a là en effet un vrai problème de lisibilité. Il existe des modalités différentes dans la manière dont les charges sont aujourd’hui reflétées, budgétisées et in fine décaissées entre le programme 345 et le CAS. Il y a donc là à un problème de maquette entre le programme 345 et un élément de la mission « Écologie, transport et développement durable », dans la mesure où le CAS est disjoint. On pourrait également compléter par les dépenses fiscales. Il n’est donc pas certain que ce schéma offre une visibilité complète et facilite la lecture, l’appropriation, l’évaluation et le contrôle des éléments concernés.

Mme Catherine de Kersauson. Concernant ce constat d’une lisibilité insuffisante des documents budgétaires à cet égard, sachez que vous trouverez des éléments dans les notes d’exécution budgétaires correspondantes, qui vont être communiquées prochainement au Parlement.

M. le président Julien Aubert. Il existe donc des gisements d’amélioration non exploités.

Il me reste, madame la présidente, monsieur le président, à vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré et les détails que vous avez bien voulu apporter à cette commission d’enquête.

L’audition s’achève à dix-huit heures trente.

 

 

 

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

 

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 17 heures

 

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Anthony Cellier, M. Vincent Descoeur, Mme Laure de La Raudière, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Maquet, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Hervé Pellois, M. Didier Quentin, M. Vincent Thiébaut

 

Excusés. - Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Charles Larsonneur