Compte rendu

Commission d’enquête
sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables,
sur la transparence des financements
et sur l’acceptabilité sociale
des politiques de transition énergétique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Étienne Gaudin, directeur développement et mobilités en charge de Wattway, de M. Emmanuel Rollin, directeur juridique, de M. Serge Kehyayan, directeur du développement public, de Mme Caroline Millan, chargée de mission relations publiques, et de Mme Maeva Malbrancke, juriste à la direction juridique de Colas              2

 


Jeudi
6 juin 2019

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 39

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de M. Julien Aubert,
Président

 


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La séance est ouverte à dix heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons les représentants du groupe Colas : M. Étienne Gaudin, directeur développement et mobilités en charge de Wattway ; M. Emmanuel Rollin, directeur juridique ; M. Serge Kehyayan, directeur du développement public ; Mme Caroline Millan, chargée de missions relations publiques, et Mme Maeva Malbrancke, juriste à la direction juridique de Colas.

La chaussée Wattway est un revêtement routier photovoltaïque, issue de recherches menées par Colas et l’Institut national de l’énergie solaire. La chaussée fournit de l’électricité tout en permettant la circulation de tout type de véhicule.

Une expérimentation très médiatisée par Mme Ségolène Royal, alors ministre en charge de l’environnement, et pour laquelle la presse a fait état d’un subventionnement public de 5 millions d’euros pour l’essai de Tourouvre, en Normandie, a pu masquer d’autres formes d’essais en France métropolitaine et dans les DOM.

Quels sont les enseignements de ces expérimentations et pour quels types d’usage ?

Quels sont les coûts de production – coûts complets, coûts cachés, bénéfices cachés – du kilowattheure ? Comment se comparent-ils à d’autres solutions d’énergie solaire ?

Qu’en est-il de l’intermittence et des solutions pour la corriger ?

Nous allons vous écouter pour un premier exposé liminaire de quinze minutes. Ensuite, les membres de la commission d’enquête vous interrogeront à leur tour avec, d’abord, les questions de notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.

S’agissant d’une commission d’enquête, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(M. Étienne Gaudin et M. Emmanuel Rollin prêtent successivement serment.)

M. Étienne Gaudin, directeur développement et mobilités en charge de Wattway. Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, le revêtement photovoltaïque Wattway, qui fait l’objet de cette audition, s’inscrit à la fois dans la tradition et la stratégie d’innovation de Colas et dans son ambition de leader mondial d’imaginer, de concevoir et de proposer des solutions d’infrastructures responsables, qui répondent aux enjeux environnementaux et sociétaux du monde contemporain.

Avant d’exposer en détail les fondements de cette innovation de rupture et les différentes étapes qui jalonnent son développement, permettez-moi de revenir quelques instants sur Colas, puisque celle-ci est portée par cette société.

Colas est présent dans plus de cinquante pays sur les cinq continents. L’international représente plus de la moitié de son chiffre d’affaires de 13,2 milliards d’euros en 2018, avec 58 000 collaborateurs qui réalisent environ 85 000 chantiers par an, pour la plupart de taille modeste. Ce sont, pour plus de 90 %, des travaux d’entretien ou d’aménagement de surfaces déjà artificialisées concernant des routes, des voies urbaines, des voies à haut niveau de service, des pistes cyclables, mais aussi des plateformes aéroportuaires, des infrastructures ferroviaires – trains, lignes à grande vitesse, tramway, métro.

Sur chacun de ces projets, lorsque cela est possible, nous nous efforçons de promouvoir, auprès de nos clients publics et privés, des techniques innovantes, contribuant à une mobilité responsable.

L’innovation, qui est le cœur du sujet Wattway pour nous, réside aussi au cœur des activités et du développement de Colas depuis sa création. Colas est née en 1929 – nous fêtons les 90 ans cette année – pour exploiter un brevet d’émulsion de bitume, Cold Asphalt, le nom de Colas venant de la contraction de ces deux mots.

Depuis, Colas est à l’origine de nombreux brevets, une dizaine par an, ce qui est unique parmi les entreprises routières et prouve bien que l’innovation fait partie de notre ADN.

La force d’innovation de Colas se trouve dans notre campus scientifique et technique installé sur le plateau de Saclay. C’est le premier central mondial privé de recherche sur les techniques routières.

Agir en faveur de la mobilité responsable, car Wattway s’inscrit dans cette logique, signifie pour Colas, d’une part, limiter l’impact et les nuisances liées à notre activité, c’est-à-dire réduire notre empreinte carbone, et, d’autre part, concevoir et réaliser des solutions d’infrastructures sûres, durables, connectées, partagées et innovantes.

Je concentrerai mon propos sur la partie énergie et transition énergétique, thème de votre commission d’enquête. Colas s’attache à réduire ses propres consommations, par exemple, en privilégiant les circuits courts, le transport de matériaux par rail ou par voie fluviale et en proposant, lorsque cela est possible, des techniques de recyclage de chaussées en place. À cet égard, vous ne savez peut-être pas que Colas figure parmi les cinq plus grands recycleurs mondiaux de matériaux, tous secteurs confondus.

Concernant l’innovation, un des axes majeurs que nous avons portés pendant de nombreuses années est la chimie verte. L’objectif est de remplacer des composants pétroliers par certains produits issus de matières végétales. C’est le cas de notre liant Végécol, qui a été breveté en 2004, ou encore de la peinture routière Végémark.

Enfin, les équipes du campus scientifique et technique de Colas ont imaginé l’innovation majeure que vous avez présentée, qui lie, pour la première fois, énergie et route. Wattway est le premier revêtement routier photovoltaïque au monde, circulable en sécurité par tous les véhicules, y compris les poids lourds.

Wattway s’inscrit dans le cadre plus global de la réflexion des acteurs publics et privés sur ce que l’on a appelé la route de cinquième génération. La première génération, c’est le chemin. La deuxième, c’est la voie romaine, avec le pavé. La troisième, c’est la route revêtue, celle de Colas en 1929. La quatrième, c’est l’autoroute. Sur cette route de cinquième génération, Colas a structuré sa réflexion en vue d’élargir le plus possible les usages de la route. Nous avons lancé en 2011 un projet de recherche et développement pour la conception et la mise au point d’un revêtement routier photovoltaïque qui produirait de l’énergie propre et renouvelable à partir de la chaussée. Ce revêtement présenterait en particulier l’avantage d’utiliser des surfaces déjà artificialisées, les routes, donc de ne pas empiéter sur l’usage naturel, paysager et agricole des sols.

Après cinq années de R & D, Colas annonce, en octobre 2015, la mise au point en laboratoire de Wattway et, en décembre 2015, à l’occasion de la Cop 21, réunie à Paris, Wattway est récompensé par un trophée « Solution Climat ». S’ensuivront trois années d’expérimentation, toujours en cours.

À ce stade de l’exposé, je me permets d’appeler votre attention sur le fait que le développement de Wattway, technologie de rupture, est strictement calqué sur le déroulé classique de tout développement technologique, à savoir : d’abord, une phase initiale de recherche et développement pour trouver des solutions techniques aux défis lancés par l’idée étudiée ; ensuite, une phase d’expérimentation, dans laquelle nous nous trouvons encore, pour confronter les résultats de R & D au terrain, en grandeur nature ; enfin, la commercialisation, qui ne peut être envisagée qu’après avoir réussi à résoudre la plupart des questions soulevées en phase d’expérimentation.

Concernant la phase initiale de recherche et développement, après les premiers travaux réalisés en interne en 2011, nous avons choisi rapidement de créer un laboratoire commun de recherche et développement réunissant deux expertises, celle de Colas, dans le domaine de la technique routière, et celle du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA), que vous avez cité, au travers de l’Institut national de l’énergie solaire (INES). L’intérêt pour nous était d’avoir une expertise de rang mondial dans le domaine photovoltaïque. Ce laboratoire créé en 2012 est toujours actif en 2019. Sur la période 2012-2019, Colas a financé pour plus de 4 millions d’euros ce laboratoire commun, sans compter les millions d’euros de financement de nos propres équipes. En plus de la production de brevets, en copropriété entre les deux structures, Colas et le CEA, cette collaboration a défini les grands principes de Wattway.

Nous avons conçu l’encapsulation de cellules photovoltaïques standards, des cellules cristallines, par essence fragiles comme une feuille de verre, dans un sandwich de matériaux à même de les rendre résistantes au trafic routier. Il a fallu en outre imaginer de poser sur ce sandwich un revêtement qui confère les propriétés attendues d’une route en termes d’adhérence, tout en restant transparent à la lumière du soleil afin que les cellules puissent fonctionner. J’ai apporté un échantillon que je vous invite à faire circuler.

Après que les premiers essais en grandeur réelle réalisés sur le site du CEA se sont révélés positifs en 2015, nous sommes passés à la phase d’expérimentation, avec deux objectifs.

Le premier, d’ordre technique, était de faire progresser la maturité technique en appliquant Wattway dans des environnements variés, liés la nature du trafic – vélos, voitures, camions -, à la vitesse, aux conditions météorologiques – climat tempéré, froid, tropical, désertique -, aux types de lieux – parking, rue, route –, en allant jusqu’aux limites techniques. Pour certains sites, nous avons fait des tests avec de fortes girations et du trafic autoroutier.

Le second avait trait à l’usage. Il s’agissait de vérifier la pertinence de la solution par rapport à des marchés donnés. L’expérimentation s’est faite avec des partenaires. Chaque expérimentation a donné lieu à un contrat prévoyant un montant forfaitaire de 2 000 à 2 500 euros selon la taille de la surface des sites d’expérimentation, quelle que soit la nature des partenaires, publics ou privés, en France ou à l’international, avec quelques coûts supplémentaires dus à l’éloignement et au transport.

Finalement, Wattway, cela sert à quoi ? Nous avions imaginé trois usages.

Premièrement, l’alimentation d’équipements en site isolé, qui correspond à notre première expérimentation réalisée en mai 2016. Il s’agissait d’alimenter une borne de recharge de véhicules électriques sur le parking d’une salle de spectacle, en Vendée.

Le deuxième usage, c’est l’autoconsommation, pour alimenter en énergie renouvelable des équipements ou un bâtiment généralement raccordés au réseau. Nous l’avons fait à La Réunion, sur le site de notre filiale GTOI (Grands travaux de l’océan Indien) et à Saint-Jean-d’Alcapiès, dans l’Aveyron, pour alimenter les gîtes municipaux.

Le troisième usage, c’est la production d’énergie pure avec une logique de réinjection dans le réseau. Nous l’avons fait à Châlons-en-Champagne et sur un pont, à Breukelen, aux Pays-Bas.

À ce jour, Wattway est expérimenté sur trois familles d’usages, sur 45 sites, dont 13 sites à l’étranger, aux États-Unis, au Canada, au Japon, au Royaume-Uni, au Luxembourg et aux Pays-Bas.

Notre volonté dès 2016 était de réaliser des chantiers de petite taille, de dix à cent mètres carrés. C’est ce que nous avons fait dans la très grande majorité des cas, à l’exception du site de Tourouvre, dans l’Orne, que vous avez cité, d’une superficie de 2 800 mètres carrés et d’une longueur d’un kilomètre. Il convient de situer ce cas spécifique dans le contexte de vif intérêt, voire d’enthousiasme soulevé par l’annonce de cette innovation de rupture qu’est Wattway. Pour Colas, la réalisation de ce site constituait un défi et un laboratoire à ciel ouvert très intéressant pour notre maturité technique.

Quel bilan faire de Wattway, à ce jour ?

Tout d’abord, et c’est très rassurant pour nous, cela fonctionne. Les expérimentations nous ont permis de connaître précisément la capacité de production pour chaque environnement, comme les rues d’un centre-ville, un parking, des voies départementales. Nous avons aussi identifié des usages. Avec ces 45 expérimentations, nous avons réussi à tester de nombreuses situations et à comprendre ce qui était pertinent. D’un point de vue technique, les limites rencontrées pendant ces trois ans d’expérimentations, telles que l’apparition de fissures, le vieillissement prématuré des dalles dans certaines conditions, la maîtrise insuffisante de certaines étapes de pose, nous ont conduits à faire évoluer notre solution. Nous avons testé dix versions de dalles et quatre versions d’architecture électrique. Nous en sommes à la vingt-quatrième version de notre processus de pose. Il y a donc eu beaucoup d’apprentissage durant cette période.

S’agissant de la propriété intellectuelle, vous avez rappelé notre coopération avec le CEA. Le revêtement photovoltaïque est protégé par six familles de brevets en copropriété de Colas et du CEA. Chaque famille concerne un aspect innovant de la solution : la structure photovoltaïque elle-même, l’ingénierie électrique, l’intégration à un support circulable. Ces six familles de brevets assurent la protection des différentes caractéristiques en France, en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie et au Japon.

Wattway est aujourd’hui une solution proche de la commercialisation. Nous avons identifié un usage pertinent : l’alimentation d’équipements en site isolé à proximité de la voirie. Cela présente un intérêt dans les zones où le réseau est absent ou dans celles où les contraintes techniques ou financières sont trop fortes pour se raccorder au réseau existant. Par exemple, cet automne, nous avons équipé une petite surface de douze mètres carrés de dalles Wattway afin d’alimenter une caméra de vidéosurveillance en site isolé. Dans le contournement nord de Montpellier, en un lieu éloigné du réseau, Montpellier Méditerranée Métropole souhaitait installer une caméra à un rond-point dont le trafic n’était pas supervisé. C’est sur ce type d’offre que nous prévoyons un lancement commercial.

Pour conclure, Wattway est le premier pas vers l’ajout de nouvelles fonctionnalités à la route, grâce à la capacité à y intégrer de l’électronique. Pour nous, la route solaire n’est pas le seul sujet. Avec la même technique d’encapsulation, mais avec des diodes luminescentes, des LED, et non des cellules photovoltaïques, nous avons conçu, avec le CEA, Flowell, une solution de signalisation lumineuse dynamique, visant à renforcer la visibilité des marquages, par exemple, sur les passages piétons par temps de pluie ou la nuit. Elle offre aussi la capacité de faire apparaître ou disparaître dynamiquement le marquage, donc de rendre la voirie modulable, afin de favoriser un meilleur partage entre les différents modes de déplacement. C’est vraiment une rupture dans la conception de la route.

Finalement, ces solutions changent le regard sur la route. D’un support passif, la route devient un terrain d’innovation pour de nombreux acteurs à l’échelle mondiale, parmi lesquels des acteurs chinois pour la route solaire. De nombreuses start-up s’intéressent à la route ou à la rue dynamique et modulable. Fidèle à sa culture d’innovation, Colas joue un rôle précurseur dans ce nouveau champ technologique. Cela n’aurait pas été possible sans l’excellence académique française, en l’occurrence, du CEA, ni sans le soutien des acteurs publics et privés engagés avec nous dans ces 45 expérimentations que nous avons réalisées avec plaisir avec les acteurs qui nous ont sollicités.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je suis heureuse de vous rencontrer après avoir visité vos travaux par l’intermédiaire de l’INES.

Parmi les difficultés rencontrées, figurait un excès de bruit qui avait provoqué des plaintes de la part de riverains. Avez-vous réussi à aplanir la route sans en réduire l’adhérence ?

M. Étienne Gaudin. C’est un des enseignements du site de Tourouvre que nous n’aurions pu tirer sur un élément plus court. L’enchaînement du passage des plaques à grande vitesse a révélé un phénomène de bruit que nous n’avions pas pu observer en laboratoire. Mais il faut relativiser la nuisance. Le bruit est celui d’une route gravillonnée et c’est parce que la route d’à côté avait été refaite avec un bel enrobé tout plat que les riverains ont remarqué une grosse différence, alors qu’auparavant celle-ci était en gravillonné et le différentiel de bruit assez peu sensible. Le bruit, un peu semblable au « tac-tac » d’un train passant sur une voie ferrée, résulte du revêtement, qui est proche d’un revêtement gravillonné, et du passage des dalles. La dalle initiale n’était pas plate, elle comportait plus de matière au point de positionnement des cellules et moins sur les bords. Nous avons conçu une nouvelle dalle complètement plate que nous testerons dans les prochains mois à Tourouvre, en espérant que des joints un peu différents limiteront ce bruit.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Une autre critique apparue à l’INES est que vous étiez parvenu à réaliser seulement 50 % de la production espérée. C’était normal, disait-on, s’agissant d’une expérimentation et du contexte politique incitant à une accélération de la sortie. Des problèmes techniques avaient alourdi ce bilan mitigé. Avez-vous revu vos pronostics à la baisse ou êtes-vous parvenu à atteindre voire à dépasser le rythme envisagé ?

M. Étienne Gaudin. Sur le terrain, le rythme de production est apparu inférieur de 50 % aux prévisions initiales et nous avons dû affiner nos modèles de prévision théoriques. Nos expérimentations ont permis d’appliquer aux caractéristiques spécifiques de notre système des outils de prévision de la production d’électricité photovoltaïque à un endroit donné. On parle de kilowattheures produits par mètre carré et par an. Nos calculs initiaux à Tourouvre conduisaient à un peu moins de 100 kWh par mètre carré par an. Nous avons rencontré des problèmes techniques. Un orage a fait disjoncter toute l’installation. La première année, nous étions à 44 kWh par mètre carré par an. Après correction des éléments de perturbation, sans les limitations liées à l’expérimentation, nous aurions plutôt été à 80 kWh, soit plutôt 20 % en dessous de l’estimation initiale. Je disais en préambule que cette expérimentation permettrait de comprendre ce qui est produit à chaque endroit. Nous avons appris sur ce site que les résultats des simulations en laboratoire et dans la vraie vie n’étaient pas toujours les mêmes. Il y a des tracteurs, des sorties de champs, il peut y avoir de la boue, même si elle est ensuite nettoyée par la pluie et le passage des voitures. Nous essayons de comprendre l’impact de chaque élément.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’expérience de la « vraie vie » vous a conduits à réduire votre pronostic de production mais pas à améliorer les technologies pour améliorer les résultats.

M. Étienne Gaudin. Dans certains sites, la production est supérieure. Sur le site de La Réunion, qui se comporte particulièrement bien, elle est légèrement supérieure à celle escomptée.

En matière de développement technologique, nous avons développé l’année dernière une nouvelle version de dalle, que nous avons commencé à installer dès le début de cette année. Nous avons changé les cellules et modifié leur organisation. Nous avons augmenté de presque 50 % la puissance de crête par mètre carré. Un des principes de base de Wattway est d’utiliser des cellules standards. Elles progressent et nous en bénéficions. Nous avons fait des choix dans l’organisation des cellules. Si, partant de 80 kWh par mètre carré par an, on augmente de 50 % la production de watts/crête, nous pouvons envisager, avec cette nouvelle dalle, d’atteindre 100, 110 ou 120 kWh. Mais nous n’avons pas encore de retour d’expérience. Nous devons regarder s’il n’y a pas de phénomènes de saturation. La technologie évolue aussi. Nous avons déjà activé des axes de progrès simples dont nous devrions constater les résultats sur le terrain.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quel est le meilleur espace géographique pour l’implantation de votre technologie ? Quels sont vos enseignements à ce sujet ?

M. Étienne Gaudin. Nos panneaux étant posés à plat, sous nos latitudes, il faudrait les orienter de 30 à 40 degrés pour obtenir un rendement optimal. Sous l’équateur, le positionnement idéal est à plat. À midi, le soleil est à l’exacte verticale, tandis qu’en France, il faudrait incliner le panneau pour capter la pleine lumière. Par conséquent, pour des éléments cloués au sol, plus on approche de l’équateur, meilleur est le rendement.

Au-delà de la physique simple, la logique d’usage pour alimenter des équipements proches de la voirie requiert moins la performance optimale que l’adaptation aux besoins. Quand on positionne Wattway sur l’alimentation de sites isolés à proximité de la voirie, on relève des avantages non liés à la production mais à la possibilité d’installer et d’alimenter des équipements adaptés à la surface. Pour mettre en œuvre une caméra, il faut un poteau, un panneau et une petite batterie. On trouve ces équipements à de nombreux endroits au bord de la route, en particulier pour éclairer des petits panneaux « Attention école » ou « Passage pour piétons ». L’énergie produite est limitée par la surface du panneau posé sur un poteau. En revanche, au sol, on peut multiplier le nombre de panneaux. Nous pouvons ainsi adapter aux besoins la quantité d’énergie produite. Pour une borne de recharge de deux vélos électriques par jour, soit environ 1 kilowattheure, à La Réunion, il faut trois mètres carrés, à Tourouvre, sur un parking, il faut cinq mètres carrés, et à Boulogne, en centre-ville où il y a beaucoup de trafic, il faut huit mètres carrés. Se pose ensuite la question de savoir si cette solution est pertinente en termes de coût de raccordement.

M. le président Julien Aubert. Pour la vidéosurveillance de nuit, avez-vous une solution de dimensionnement de batterie de nature à éviter une rupture d’alimentation ?

M. Étienne Gaudin. C’est un système composé de dalles, d’une armoire avec une batterie, enterrée ou pas. Il faudra ensuite considérer le taux de service et de sécurité. On en revient ainsi à l’intermittence. Comment assurer un fonctionnement continu ou adapté en fonction de l’énergie produite ? Le dimensionnement du stockage est un élément clé. Le coût de la solution est très dépendant du niveau de service attendu. Si nous garantissons trois jours, nous savons que la probabilité de trois jours continus sans soleil existe, mais nous savons qualifier le taux de disponibilité de l’équipement. Il revient ensuite au client de dire si c’est acceptable ou pas en fonction du sujet.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. On estime aujourd’hui à trente ans la durée de vie des panneaux photovoltaïques. Avez-vous intégré dans vos tarifs la déconstruction des panneaux dans les routes ? Prévoyez-vous de les démonter ou de les remplacer ? Est-ce intégré dans les prix de vente ou est-ce qu’on se retrouvera à terme avec des panneaux hors d’état de fonctionnement dans le sol ?

M. Étienne Gaudin. La durée de vie d’un revêtement routier est de trois à dix ans, voire quinze ans, soit des durées toujours inférieures à trente ans. La durée de vie de notre solution est de cinq à dix ans, similaire à celle de la couche de roulement. La question du recyclage des dalles est centrale et nous l’avons creusée dès le départ. Le principe est simple. On enlève ces dalles comme on enlève de la moquette, ce qui casse les cellules, ce qui évite les vols. Ces panneaux renfermant des cellules photovoltaïques standards, nous nous appuyons sur les travaux à ce sujet. Nous avons cherché des partenaires capables de traiter ces matériaux – couches de plastique et cellules. Pour l’instant, nous avons du mal à les motiver car nous n’avons que quelques centaines de mètres carrés et il ne les intéresse pas de mettre en place une filière. Par conséquent, nous stockons dans l’attente d’avoir un volume conséquent pour traiter le sujet.

M. Emmanuel Rollin, directeur juridique. Nous n’avons pas prévu d’engagement contractuel pour trente ans, puisque les cycles de renouvellement d’équipements routiers standards sont de cinq à dix ans. Quant aux filières de recyclage, elles existent mais nous ne les intéressons pas encore car il n’y a pas matière à créer une filière additionnelle.

Mme Sophie Auconie. Je voulais aborder l’intermittence et le recyclage mais sur ces sujets, vous avez clairement répondu.

Dans le cadre du dérèglement climatique, nous allons vivre de plus en plus de stress hydrique, donc de plus en plus de périodes de sécheresse, peut-être même deux saisons, une saison plutôt sèche et une saison plutôt humide, avec des précipitations fortes, comme ce fut le cas hier et comme ce sera le cas demain. Vos revêtements étant totalement imperméables, nous aurons des difficultés à étendre cette innovation, que je trouve remarquable, à des surfaces importantes de routes. En effet, la perméabilité des routes permet de régler des problèmes d’inondation dont nous risquons d’être victimes de plus en plus souvent et sur des secteurs géographiques de plus en plus étendus en France. Vous êtes-vous penchés sur le sujet ?

M. Étienne Gaudin. La perméabilité des chaussées de routes ou de rues fait partie des sujets que nous traitons en tant que Colas. Nous savons qu’il faut des matières poreuses et gérer le cycle de l’eau. Nous nous sommes demandé si nous pourrions avoir du Wattway poreux et rendre ces dalles poreuses. Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé de solution. Quand on regarde la façon dont on les pose, on n’est pas dans la logique de couvrir l’intégralité de la chaussée. On la couvre partiellement, soit sur un bas-côté, soit sur une voie de roulement. Il ne s’agit pas d’étanchéifier complètement une route mais d’occuper moins de 50 % de la surface de la chaussée. Notre logique de développement actuelle, c’est une logique des petites installations pour alimenter des équipements à proximité de la voirie. Nous sommes sur des surfaces tellement petites que la question ne se pose actuellement pas. Si on augmente la surface et s’il y a une logique économique à trouver des modèles impliquant l’augmentation des surfaces, la question devra être étudiée plus sérieusement.

M. le président Julien Aubert. Si j’ai bien compris votre présentation, vous travaillez sur plusieurs usages : le marquage piétons, l’alimentation de petits équipements comme les caméras de vidéoprotection et un usage plus massif. Lors de l’inauguration, j’avais cru qu’on avait trouvé la martingale. On allait mettre des kilomètres carrés de revêtements d’autoroutes et de routes en photovoltaïque, produire de l’électricité et résoudre à la fois le problème des infrastructures et de l’artificialisation, d’autant que le groupe Colas ne fait pas dans la niche mais dans de gros équipements. Est-ce que vous vous orientez plutôt vers de la petite utilisation ou est-ce que vous gardez l’espoir d’une martingale ?

M. Étienne Gaudin. Je disais tout à l’heure que nous faisions 80 % de petits chantiers. Notre activité consiste principalement à reprendre un trottoir ou à refaire une bordure, ce qui représente la plus grande part de notre chiffre d’affaires.

Vous posez la question du modèle économique. L’alimentation d’équipements à proximité de la voirie représente un modèle économique qui tient. Dans une logique d’énergie, on peut considérer cela comme un sujet de niche. Ce n’est pas un sujet d’énergie mais un sujet de déploiement d’équipements, donc d’aménagement du territoire et de sécurité partout où le réseau n’est pas disponible. C’est le premier sujet sur lequel nous avons compris qu’il y avait un intérêt. L’exemple de Montpellier est moins coûteux pour la collectivité. Il se trouve que le réseau moyenne tension passe juste à côté mais le point de transformation étant situé à un kilomètre, il fallait creuser un kilomètre de tranchée pour avoir de l’énergie. Il est plus intéressant économiquement de recourir à ce système. C’est ce sujet que nous entendons développer.

Concernant les perspectives, j’ai évoqué deux autres sujets : l’autoconsommation et la production d’énergie. Le succès de cette niche est lié à son niveau de maturité commerciale. Concernant l’autoconsommation, le plus simple est de vous donner l’exemple de la réalisation que nous avons faite au Japon, avec la chaîne de supermarchés 7-Eleven. Ils ont des petits magasins de 200 mètres carrés. Sur trois mille magasins, ils ont installé du solaire en toiture dans la perspective d’autoconsommer et de réduire l’empreinte carbone. Ils suivent aussi une logique économique : il est moins cher pour eux d’avoir de l’énergie dans la journée qui vient de ces panneaux que de la prendre sur le réseau. Leur logique est de dire : est-ce que je peux saturer un magasin en énergie renouvelable économiquement rentable et réduisant mon impact carbone ? Ils ont regardé leur consommation minimum dans la journée. Ils voient qu’en saturant leurs toits, ils arrivent à produire 80 % de l’énergie du talon de référence. Il reste 20 % pour lequel ils doivent produire en complément de l’énergie renouvelable. Ils regardent autour d’eux ce qu’ils peuvent faire. Les ombrières sont un sujet compliqué sur des petits parkings, à quoi s’ajoute le risque sismique. Pour eux, Wattway sur les allées du parking représente une solution intéressante pour atteindre à 100 % leur talon de référence en énergie renouvelable. Nous sommes en discussion avancée avec eux. Nous sommes confrontés à la maturité économique et au prix de marché, donc de volume. Le prix de ces solutions est très dépendant du volume. Sur des endroits particuliers, la logique d’autoconsommation, en complément d’autres systèmes de production locale représente un marché en devenir, dès lors que nous obtiendrons des conditions économiques intéressantes.

Quant au côté production d’énergie, l’avantage de base de Wattway, c’est d’occuper des surfaces déjà artificialisées et les routes sont innombrables. Pour l’instant, nous sommes très loin d’une solution économiquement rentable.

M. le président Julien Aubert. Vous avez un facteur 17 ?

M. Étienne Gaudin. Sur les expérimentations. Cela correspond au facteur que nous avions dans une version très artisanale, mais nous sommes capables de le réduire fortement. Mais passer d’un facteur 17 au facteur 1, la marge est conséquente.

Le facteur 17 est calculé ainsi : on prend le coût de Tourouvre, on regarde l’énergie produite et on regarde à combien revient le kilowattheure. On a un kilowattheure très très cher. Toutefois, les conditions de Tourouvre sont celles de l’expérimentation et ne sont donc pas significatives en termes de prix. Si on se projette à moyen et long terme, nous devrions avoir la même rentabilité que du solaire en toiture de petite taille, en euro/watt crête par mètre carré installé. Cela reste des projections. Nous n’y sommes pas. Notre sujet de maintenant, c’est déjà de positionner Wattway sur un marché. Nous en avons identifié un, nous verrons pas à pas.

M. le président Julien Aubert. Dans un équipement de vidéoprotection, les voitures roulent sur les dalles. N’y a-t-il pas une baisse de rendement avec le temps ? Vous espérez produite 80 kWh par mètre carré par an, mais qu’en est-il au bout de six mois, un an, deux ans ? N’y a-t-il pas un risque de dégradation de l’équipement ?

M. Étienne Gaudin. Plusieurs éléments peuvent intervenir dans le temps. Le premier est l’encrassement. Il est très dépendant des conditions météo. Nous avons la chance d’être dans un pays tempéré. Il pleut, les voitures passent et nettoient. On ne nettoie quasiment pas les routes en France. En zone désertique, où il y a du sable, de la poussière et très peu de pluie, il faut nettoyer. Le deuxième élément, commun à tous les systèmes photovoltaïques, est l’usure des cellules. Le principe de l’encapsulation est d’assurer cela dans le temps. Mais nous n’avons pas un retour d’expérience suffisant pour prévoir une courbe de production à dix ans. La vraie vie donnant des résultats différents des tests effectués en laboratoire, on est obligé d’accumuler de l’expérience pour avoir des éléments précis dans la durée. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons de façon conséquente.

M. le président Julien Aubert. Avez-vous envisagé d’appliquer cette solution à d’autres parties artificialisées moins sujettes à l’encrassement, comme la margelle des trottoirs ?

M. Étienne Gaudin. Au regard de ce que nous avons qualifié techniquement, nous sommes matures dans des zones de circulation à moins de 50 km/h, donc plutôt des zones de circulation urbaine pour voitures et camions.

M. le président Julien Aubert. Je viens de comprendre pourquoi le Gouvernement tenait absolument à la limitation de vitesse à 80 km/h.

M. Étienne Gaudin. Vous surestimez fortement notre capacité d’influence. Plus sérieusement, nous proposons des dalles circulables. Trottoirs, pistes cyclables, parkings, rues, bas-côtés, bandes d’arrêt d’urgence sont pour nous les endroits naturels d’installation. S’il y a moins de circulation, il y a moins d’ombre, mais cela peut s’encrasser.

M. le président Julien Aubert. L’effet Joule est-il utilisable pour faciliter le déneigement ?

M. Étienne Gaudin. C’est un sujet de recherche et développement. Colas est très présent au Canada, notre deuxième pays après la France. Chaque fois que j’y parle de Wattway, on commence par me demander si cette solution permet de déneiger. Des travaux de recherche sont engagés là-bas dans un centre expérimental piloté par le CEA, ainsi que chez nous. Avec l’effet Joule, on obtient du déneigement, mais la pertinence économique, la durée de l’effet, la surface à couvrir sont les sujets que nous creusons actuellement. C’est théoriquement possible mais nous ne savons pas encore si pratiquement, cela a du sens. La principale interrogation porte sur la quantité d’énergie nécessaire.

M. le président Julien Aubert. 7-Eleven au Japon souhaite-t-il vous acheter l’équipement ou l’incorporer et vous en restez propriétaire ?

M. Étienne Gaudin. Colas n’étant pas un énergéticien, nous ne nous sommes pas positionnés dans une telle logique. Nous développons de la technologie. Nous mettons des produits à la disposition du marché. À court terme, nous n’imaginons pas prendre un engagement énergétique.

M. le président Julien Aubert. Donc, vous vendez l’équipement ?

M. Étienne Gaudin. Nous vendons l’équipement.

M. le président Julien Aubert. Sur le plan juridique, une route solaire n’est pas une route normale. Imaginons que je freine vivement, que j’aie un accident et que je veuille mettre en cause la mauvaise adhérence de la chaussée. Avez-vous étudié le risque juridique ? Des analyses ont-elles été réalisées quant à la sécurité des véhicules ?

M. Étienne Gaudin. Cela pose la question des caractéristiques d’adhérence d’un revêtement routier. On utilise deux paramètres pour définir l’adhérence d’une route : la PMT, la profondeur de macrotexture, qui a pour fonction d’assurer l’évacuation des eaux de ruissellement, et le SRT, Skid Resistance Test. ll faut avoir à la fois de la SRT, pour l’adhérence par temps sec, et de la PMT pour l’adhérence par temps de pluie. Nous avons intégré ces deux critères pour définir Wattway. Pour l’instant, nous savons maintenir ses qualités routières dans la durée avec une vitesse de trafic inférieure à 50 km/h, d’où la limitation. Après, comme pour un enrobé, les caractéristiques d’adhérence vieillissent et leurs corrections relèvent de la responsabilité du propriétaire de l’ouvrage. Nous garantissons des propriétés un certain temps et nous avons la possibilité de réappliquer le revêtement. Notre logique vise à apporter les mêmes caractéristiques d’adhérence que celles d’une route.

Par ailleurs, que se passe-t-il si ma voiture brûle et si je me retrouve à pied en plein soleil avec des panneaux et des fils apparents ? Les préoccupations sont identiques à celles générées par le solaire en toiture. Nous avons choisi une très basse tension de sécurité, inférieure à 60 volts, pour toute l’électricité qui passe par la chaussée à moins de dix centimètres de profondeur. Il est impératif de faire en sorte que ce revêtement présente des caractéristiques routières et ne présente pas de risque électrique.

M. le président Julien Aubert. Je vous remercie au nom de la commission d’enquête pour ces éléments très instructifs.

La séance est levée onze heures.

 

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Membres présents ou excusés

 

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

 

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 10 h 10

 

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, Mme Marjolaine Meynier-Millefert

 

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie