Compte rendu

Mission dinformation de la
Conférence des présidents
sur laide sociale à lenfance

 

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Muriel Eglin, sousdirectrice des missions de protection judiciaire et d’éducation à la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)              2

– Présences en réunion..............................15


Jeudi
2 mai 2019

Séance de 15 heures 00

Compte rendu n° 10

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Alain Ramadier,
Président de la mission d’information
 


  1 

Mission dinformation de la Conférence des présidents sur laide sociale à lenfance

Jeudi 2 mai 2019

La séance est ouverte à quinze heures dix.

(Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission dinformation
de la Conférence des présidents)

————

M. le Président. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir Mme Muriel Eglin, sous-directrice auprès de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), chargée des missions de protection judiciaire et d’éducation.

Merci, madame, d’avoir répondu à notre invitation. Pour rappel, la PJJ est un service du ministère de la justice traitant de l’ensemble des questions relatives à la justice des mineurs : rédaction des textes, appui aux magistrats spécialisés, application des décisions de placement, suivi éducatif des mineurs détenus ou placés.

Les hasards du calendrier ont conduit la mission à entendre dès la semaine dernière Mme Devreese, directrice générale de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse, avec laquelle nous avons commencé à aborder les sujets qui nous préoccupent : d’une part la bonne articulation à trouver entre l’aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse ; d’autre part les moyens de relever les défis communs entre les deux branches de la protection de l’enfance – détection des enfants vulnérables, agrément et contrôle de lieux d’accueil.

Conscients de votre audition prochaine, nous n’avons toutefois fait qu’effleurer les sujets propres à votre direction.

Sans plus attendre, je vous propose que nous approfondissions ces échanges en vous laissant présenter votre approche spécifique, vos constats et vos pistes de travail pour l’avenir, avant de laisser la rapporteure et nos autres collègues vous interroger.

Mme Muriel Eglin, sous-directrice des missions de protection judiciaire et déducation à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Je vous remercie, et vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser ma directrice, Madeleine Héraud‑Mathieu, qui n’a pu être présente aujourd’hui.

Lors d’un bref échange avec vos services, il m’a été indiqué que vous souhaitiez essentiellement nous entendre sur le rôle de la protection judiciaire de la jeunesse en matière de protection de l’enfance ; l’articulation avec les départements ; la détection des doubles suivis et toutes les questions d’agrément des établissements et des services de protection judiciaire de la jeunesse. Ces quatre points vont structurer mon intervention.

Comme vous le rappelez très justement, la protection judiciaire de la jeunesse est une direction du ministère de la justice dont la mission se divise en trois parties : une mission normative ; une mission d’animation des politiques publiques et une mission d’exécution des décisions judiciaires, en matière civile comme en matière pénale.

L’administration centrale concentre ses interventions sur les aspects normatifs et les questions d’organisation. C’est un décret de 2008, modifié en 2017, qui fixe notre compétence. En 2008, la compétence de la  PJJ portait sur la justice des mineurs. En 2017, le décret a été modifié pour mentionner spécifiquement la protection de l’enfance. Au sein du ministère de la justice, nous sommes chef de file sur la protection de l’enfance. Lorsque des textes doivent être rédigés, par exemple sur l’assistance éducative, nous intervenons systématiquement au côté des grandes directions légistiques et de la direction des affaires civiles et du sceau. Nous avons à ce titre des relations régulières avec les magistrats de la jeunesse, puisque nous animons un groupe de travail de magistrats coordinateurs des tribunaux pour enfants que nous réunissons chaque trimestre.

Notre mission a été élargie par la loi du 14 mars 2016, qui impose de faire remonter nos données d’activité éducative pénale au titre de la protection de l’enfance pour alimenter les travaux de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE). J’insiste sur ce point car il démontre la volonté de considérer le travail éducatif réalisé par la protection judiciaire de la jeunesse comme une part de la politique de protection de l’enfance. J’y reviendrai à plusieurs reprises, car c’est très important. Avec le ministère des solidarités et de la santé et le groupement d’intérêt public enfance en danger, nous sommes en train d’achever la rédaction du décret mettant en œuvre cette procédure. Nous avons connu quelques petits soucis techniques qui nous prennent du temps, mais nous allons partager nos données d’activité en matière éducative avec l’ONPE pour élaborer des observations de parcours en protection de l’enfance et mieux détecter les doubles suivis, les suivis consécutifs, et savoir qui sont les jeunes que nous suivons et comment ils ont parfois affaire à la justice pénale.

Toujours au niveau national, dans le cadre de notre mission d’animation des politiques publiques, nous sommes membre de droit du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Nous participons à son bureau, et nous sommes très investis dans toutes ses commissions, notamment la commission « formation ». Celle-ci est présidée par Mme Devreese, que vous avez déjà auditionnée à l’instar de Mmes Créoff et Derain de Vaucresson, vice-présidente et secrétaire générale du CNPE.

Enfin, nous jouons également un rôle pour la mission « mineurs non accompagnés ». Au sein de ma sous-direction, une mission est contactée par les magistrats du parquet lorsqu’ils sont saisis d’une demande de placement pour un mineur non accompagné. Le parquet nous saisit lorsqu’il souhaite orienter ce mineur vers un autre département, car depuis la loi du 14 mars 2016, le mode de répartition des mineurs non accompagnés entre les différents départements est prévu par la loi, en fonction d’une clé de répartition qui tient compte de données démographiques. Nous répondons donc aux sollicitations des parquets, mais nous intervenons également dans tous les travaux interministériels sur les mineurs non accompagnés, qui sont nombreux car c’est un sujet de frictions assez complexe, pour nous comme pour les départements. Nous intervenons donc souvent conjointement avec le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de l’intérieur et les collectivités territoriales sur ces questions.

Au-delà de notre activité au niveau central, nos services déconcentrés comptent neuf directions interrégionales et cinquante-cinq directions territoriales qui regroupent un ou plusieurs départements.

À cet échelon, notre première mission consiste en l’exercice de mesures d’assistance éducative. Sur les 108 000 jeunes suivis par la PJJ en 2017, à tous titres confondus, nous avons exercé 36 000 mesures judiciaires d’investigation éducative. Il s’agit d’enquêtes sociales et de personnalités ordonnées par le juge des enfants une fois qu’il a été saisi par le procureur à la suite d’un signalement de l’aide sociale à l’enfance.

Nous avons exercé 390 actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), ce qui est très peu car suite à la décentralisation de la protection de l’enfance il s’agit d’une compétence de principe des départements. Ce chiffre est néanmoins important symboliquement : il démontre que nous n’avons pas abandonné l’exercice des mesures d’assistance éducative. Ces mesures sont très résiduelles, et l’articulation avec les conseils départementaux est fine et doit être précise, mais cette compétence existe toujours.

Nous comptons quelques placements, de l’ordre de la dizaine, en assistance éducative dans nos établissements du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce sont essentiellement des jeunes qui ont été confiés en matière pénale et pour lesquels l’intervention en matière pénale s’est terminée car le suivi se termine quand la mesure éducative a été exécutée. Pour ne pas interrompre l’action éducative au risque de provoquer une rupture brutale, nous permettons la poursuite, dans le cadre d’une procédure éducative ouverte spécifiquement pour maintenir le jeune dans cet établissement ; il peut s’agir d’une unité d’hébergement collectif ou une famille d’accueil.

En 2017, nous avons exercé 105 mesures de protection « jeunes majeurs ». Ce sont des mesures civiles ordonnées sur des critères similaires à celles appliquées par les départements dans le cadre des contrats « jeunes majeurs ». Il s’agit là aussi d’une compétence tout à fait résiduelle, puisqu’elle a été créée en 1975 suite au passage de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. Le décret n’a jamais été abrogé, il est très peu utilisé, mais il a du sens car il permet d’éviter des ruptures de parcours lorsque certains jeunes atteignent 18 ans et que les mesures éducatives s’interrompent. Pour ne pas risquer une rupture brutale, source de désocialisation ou de récidive, nous permettons à nos services, à titre exceptionnel, des mesures civiles de protection « jeunes majeurs ».

À l’avenir, nous souhaiterions développer certaines structures communes en matière de protection de l’enfance. Je pense notamment à l’internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents (ISEMA), situé à Illiers-Combray en Eure-et-Loir. Il permet de répondre aux difficultés des établissements de protection de l’enfance qui doivent prendre en charge des jeunes au carrefour de l’intervention civile, de l’intervention pénale et de l’intervention de soins. Il s’agit notamment des jeunes relevant de diagnostics de handicap ou qui requièrent des prises en charge psychiatriques ou psychologiques assez lourdes, et qui ne trouvent leur place dans aucune structure de l’APJ ou de l’aide sociale à l’enfance. Nous aimerions pouvoir développer cette structure qui répond vraiment à un besoin, en tout cas c’est une attente des juges pour enfants, qui expriment ce besoin.

Au sujet de la protection de l’enfance, il est important de rappeler que nos publics, essentiellement des adolescents, sont souvent partagés avec l’aide sociale à l’enfance, notamment pour le suivi pénal. C’est pourquoi il y a parfois des doubles prises en charge, ou des prises en charge successives. Ce n’est pas forcément redondant, parfois il s’agit de la manière la mieux adaptée pour collaborer sur des cas particulièrement lourds de prises en charge très complexes de jeunes souvent en grande difficulté, qui ont connu de nombreuses ruptures et ont besoin de prises en charge globales. Parfois, les situations sont trop complexes pour être mises en œuvre par une seule institution et il en faut plusieurs pour partager la charge sur la durée, tout au long de la semaine. C’est le même principe qui s’applique aux jeunes en difficulté scolaire importante et dont le comportement scolaire est difficile : ils sont placés dans des classes relais à temps partiel car quand on partage la difficulté, il est moins difficile de la résoudre.

Environ 20 % des jeunes que nous prenons en charge en matière pénale ont un passé à l’aide sociale à l’enfance au titre de la protection. Nous le voyons notamment pour les jeunes détenus, dont les parcours sont parfois très heurtés, à l’image des jeunes que vous avez auditionnés.

Je tiens à insister sur le rôle de l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse. Je sais qu’Anne Devreese l’a déjà évoquée, mais cette école fait partie intégrante de notre exercice de mission de protection de l’enfance.

Nous avons développé des outils de formation sur la protection de l’enfance, et nos formations ont été ouvertes aux partenaires de la justice des mineurs : magistrats, conseils départementaux ou secteur associatif habilité. Nous proposons des formations spécifiques à la protection de l’enfance, par exemple sur l’évaluation des mineurs non accompagnés. Cette formation a été co-construite avec l’outil de formation des départements, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Nous avons également mis en place des formations concernant les mineurs de retour de zones de conflit, notamment de la zone irako-syrienne. Elles sont non seulement dispensées sur le site central de Roubaix, mais également dans les pôles territoriaux de formation. Nous proposons toute une cartographie de ces formations, auxquelles nous invitons des magistrats, des services de l’aide sociale à l’enfance, ainsi que des familles d’accueil. En Seine-Saint-Denis, les familles qui accueillent des enfants de retour de ces zones peuvent se trouver en difficulté de par la nature des problématiques qu’ils peuvent présenter ou les traumatismes qu’ils ont subis. Un travail de formation est donc mené à leur bénéfice. L’école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse est également en pointe dans la politique de diffusion d’outils et l’organisation de colloques sur la protection de l’enfance. Elle s’est notamment saisie de tout ce qui a été fait sur les besoins fondamentaux de l’enfant, grâce à Anne Devreese qui y a beaucoup travaillé.

Je souhaite développer cette question des outils communs. Si j’ai un message à faire passer lors de cette intervention, c’est qu’il est de notre responsabilité à tous – État, départements, élus, professionnels – de construire des outils de compréhension commune de ces difficultés pour que nos institutions agissent de façon cohérente autour des jeunes qui ont besoin de protection, s’agissant du repérage, de la détection, de la prévention, de l’accompagnement, afin de ne pas les laisser au bord de la route tant que le travail n’est pas terminé. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, la loi du 14 mars 2016 nous a donné des outils, et la présence de nos directions territoriales dans les observatoires départementaux de la protection de l’enfance poursuit cet objectif.

Nous sommes membres de ces observatoires depuis leur création par la loi de 2007, et la loi de 2016 a prévu spécifiquement que la protection judiciaire de la jeunesse y soit présente tout en leur attribuant une mission complémentaire de bilan des formations en matière de protection de l’enfance et des formations communes. Dans la circulaire de protection de l’enfance que nous avons transmise aux juridictions en 2017, nous avons demandé à nos directions territoriales de faire remonter auprès de l’école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse les besoins de formations communes émis par les observatoires départementaux de la protection de l’enfance.

La loi de 2007 prévoit ces formations communes, la loi de 2016 va un peu plus loin en prévoyant des outils pour les mettre en place. Nous essayons concrètement de mettre ces mesures en musique, avec nos directions territoriales et les pôles territoriaux de formation de l’école nationale de protection judiciaire de la jeunesse, puisque l’une des richesses de notre école est d’avoir des antennes déconcentrées dans chacune des interrégions, donc de pouvoir organiser des temps de formation regroupant diverses institutions, à proximité, pour que tout le monde n’ait pas à se déplacer à Roubaix.

Concernant la protection de l’enfance, la PJJ est chargée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice d’organiser et d’écrire un projet de réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs. Nous avons décidé de consulter le CNPE sur ce projet, car nous estimons que la réponse pénale à la délinquance des mineurs passe certes par la prison et la dimension rétributive de la peine, mais nous avons en premier lieu une mission de protection et d’éducation qui fait partie intégrante de la politique globale de protection de l’enfance.

L’articulation de la  PJJ avec les départements est un point de difficulté, car beaucoup de frustrations sont nées ces dernières années. La PJJ a été créée par l’ordonnance de 1945, c’était à l’époque l’éducation surveillée, pour prendre en charge les mesures éducatives en matière pénale. En 1958, quand l’assistance éducative a été créée, l’éducation surveillée a commencé à intervenir également dans le domaine de la protection de l’enfance. Jusqu’aux années 2000, elle intervenait fortement pour la protection de l’enfance, et prenait régulièrement en charge, dans ses établissements et ses services, des adolescents compliqués qui étaient en difficulté dans des foyers plus tranquilles, des maisons d’enfants à caractère social ou dans des familles d’accueil au titre de la protection de l’enfance. Nous prenions en charge de nombreuses filles, ainsi que de jeunes garçons, dans les établissements du secteur public. De même, la PJJ intervenait beaucoup au titre de la protection des jeunes majeurs, puisqu’à l’époque, au moins 8 000 mesures de protection étaient prises par an à ce titre, ce qui est sans commune mesure avec les 105 mesures décidées actuellement.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a rappelé que le président du conseil départemental est le chef de file s’agissant de la protection de l’enfance, qui est une politique décentralisée. Une mission de la Cour des comptes contrôlant la mise en œuvre de cette loi de 2007 a indiqué qu’il était important de rétablir le fonctionnement des institutions en recentrant l’action du ministère de la justice sur la prise en charge pénale, qui n’est pas du ressort des conseils départementaux, et en assurant que la compétence civile soit pleinement assurée par les conseils départementaux.

Une grande réorganisation de la protection judiciaire de la jeunesse a suivi, concomitamment à la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques. Les directions régionales ont été regroupées en interrégions et tous nos établissements et services ont été réorganisés en établissements composés de plusieurs unités, alors qu’il s’agissait auparavant de structures plus petites et plus autonomes les unes à l’égard des autres. Le nombre de mesures de protection jeunes majeurs a été réduit de manière drastique pour se conformer à cette orientation. Cette réduction a été partiellement compensée par une augmentation de l’intervention éducative en matière pénale pour les jeunes majeurs, mais dans une bien moindre mesure. Certaines mesures éducatives prévues par l’ordonnance de 1945, notamment la mise sous protection judiciaire, peuvent s’étendre au-delà de la majorité à condition que le jeune l’accepte. Un certain nombre de prises en charge pour le jeune majeur peuvent se poursuivre en matière pénale, mais encore faut-il qu’une affaire pénale soit en cours pour pouvoir le faire.

Le domaine de compétence de la PJJ et des services d’aide sociale à l’enfance en matière de protection des jeunes majeurs et de protection de l’enfance était le même, les compétences étaient concurrentes, et toutes les actions que nous avons cessé de mener ont été déversées dans l’escarcelle des conseils départementaux. Ces derniers revendiquaient cette compétence exclusive, mais ils se sont sentis un peu abandonnés par la protection judiciaire de la jeunesse qui prenait en charge des mineurs, et notamment des adolescents particulièrement difficiles pour lesquels sa compétence était reconnue. La PJJ intervenait aussi en partage de prise en charge pour des situations particulièrement complexes.

Actuellement, notre présence auprès des conseils départementaux relève plus de l’accompagnement : je citais l’exemple des observatoires départementaux de la formation, s’y ajoute l’habilitation des établissements et services. La PJJ intervient donc moins dans la prise en charge et plus dans l’accompagnement, ce qui a pu conduire des conseils départementaux à contester sa légitimité pour fixer des cadres normatifs ou des exigences en matière de protection de l’enfance.

Nous avons cherché à reconstruire des articulations pertinentes autour des situations les plus complexes, c’est l’un des objectifs de la loi du 14 mars 2016 qui prévoit par exemple le protocole d’accès à l’autonomie des jeunes sortants des dispositifs d’aide sociale à l’enfance et de protection judiciaire de la jeunesse. L’objectif est de réunir les services d’aide sociale à l’enfance, la PJJ ainsi que les services en charge du logement, des soins ou les services sociaux, afin que les jeunes qui sortent des dispositifs aient accès aux outils exorbitants du droit commun afin qu’ils ne se retrouvent pas sans rien lorsque les mesures de protection prennent fin. Il en va de même pour notre place dans les observatoires départementaux de la protection de l’enfance, je n’y reviens pas.

Je souhaite mentionner spécialement la circulaire du 19 avril 2017 sur la protection de l’enfance, c’est la circulaire d’application de la loi du 14 mars 2016, sortie un an après la loi car nous avons attendu la publication des décrets. Nous en avons fait un outil très technique et pratique pour les juridictions, mais nous leur avons aussi demandé d’en faire un outil de travail avec les conseils départementaux. Le ministère de la justice n’est pas habilité à donner quelque instruction que ce soit aux conseils départementaux, mais nous avons voulu produire, avec les quatorze annexes de notre circulaire, des outils informatifs sur l’état du droit regardant la protection de l’enfance et fournir des explications assez approfondies sur l’articulation des procédures entre l’assistance éducative et les déclarations judiciaires de délaissement parental, le retrait et les délégations de l’autorité parentale. L’un des objectifs de la loi du 14 mars 2016 est d’adapter le statut des enfants placés à leurs besoins fondamentaux. Lorsque leurs besoins fondamentaux sont la stabilité et la permanence de la personne qui va prendre des décisions à leur égard, il faut pouvoir passer à un autre statut. Nous expliquons donc les modalités concrètes de saisine du tribunal civil, du juge aux affaires familiales, et l’articulation entre ces différentes procédures. Une annexe est consacrée aux mineurs non accompagnés, une autre à l’articulation entre la PJJ et l’aide sociale à l’enfance.

Ce sont autant d’outils qui peuvent servir de base pour des protocoles, et nous avons demandé à nos directions territoriales de faire de cette circulaire un objet de travail dans leurs relations avec les conseils départementaux. Nous rencontrons chaque année les directions interrégionales à l’occasion de dialogues stratégiques qui sont le pendant des dialogues de gestion, et nous avons fait des relations avec les juridictions et les services de protection de l’enfance une question particulière pour nous assurer que nous jouons notre rôle de soutien auprès des conseils départementaux. Même si notre surface financière rapportée à celle des cent départements est trop petite pour que nous puissions vraiment être perçus comme soutenants, nous souhaitons être présents pour l’élaboration de la prise en charge et la construction de parcours autour des mineurs les plus complexes. Nous n’y arrivons pas toujours, mais c’est notre ambition.

Les doubles suivis peuvent être des redondances auxquelles il faut faire la chasse pour réaliser des économies, mais ce n’est pas toujours le cas. Je prends souvent l’exemple d’un enfant placé en famille d’accueil au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) depuis quatre, cinq ou six ans et qui commet un acte de délinquance, même grave. Si ce n’est pas un acte de délinquance dans la famille d’accueil qui compromet sa relation avec cette dernière, les juges des enfants tiendront à la continuité du parcours et de la prise en charge des jeunes au titre de l’accueil et de la vie quotidienne en maintenant le placement au titre de l’aide sociale à l’enfance, et demanderont à la PJJ d’assurer un suivi pénal avec des mesures de sûreté, et même un temps d’incarcération s’il s’agit d’affaires graves. Nous ne voulons pas que l’intervention pénale casse quelque chose qui a pu fonctionner en matière de protection de l’enfance. Il est vraiment important que certains doubles suivis continuent d’exister.

Le double suivi fait aussi l’objet d’une expérimentation législative dont vous avez pu entendre parler : la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a prévu que, pour une durée de trois ans, les juges des enfants pourraient doubler un placement auprès de l’ASE d’une mesure d’AEMO confiée à la PJJ dans certaines situations particulièrement complexes. Jusqu’à présent, les textes ne le permettaient pas, il ne pouvait y avoir de milieu ouvert que si le jeune n’était pas confié à l’ASE, c’était possible s’il était confié à un particulier ou à un établissement. Nous avons permis ce double suivi dans le cadre d’une politique de prise en charge des enfants de retour de zone irako-syrienne, car nous ne savions pas dans quel état ces enfants allaient rentrer, nous savions qu’ils avaient des problèmes de santé, des traumatismes. Une action interministérielle de préparation au retour a été décidée, avec l’instauration d’un bilan de santé, la mise en place systématique par la PJJ de mesures d’investigation éducative, le soutien de toutes les formations que l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a organisée autour de la prise en charge des personnes radicalisées et des enfants de parents radicalisés.

Ce travail de doubles mesures s’est accompagné de la mise en place d’un comité de suivi qui est actuellement copiloté par le ministère de la justice – la PJJ en l’espèce – et le secrétariat général des ministères des affaires sociales ainsi que le ministère de l’intérieur. Il se réunit tous les deux ou trois mois, avec des juridictions et des représentants des associations et des conseils départementaux, pour identifier les difficultés spécifiques soulevées par ces jeunes. Nous devons rendre un rapport à votre assemblée avant la fin de l’année, nous sommes en train de le finaliser. Cela ne concerne pas un nombre important de jeunes : 91 mineurs sont revenus de zone irako-syrienne en France au cours des dernières années, 68 sont actuellement suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, 88 ont bénéficié d’une mesure de protection ou d’assistance éducative. D’autres ont fait l’objet de mesures d’évaluation administrative ou de signalements qui n’ont pas encore été traités. Il s’agit d’un petit nombre de situations, mais elles permettent de bien identifier les points d’articulation complexes entre nos différentes institutions, et comment nous pouvons être institution soutenante.

Prenons l’exemple de l’accompagnement en détention des enfants qui vont voir leurs parents détenus. Pour la plupart, ces enfants sont revenus avec un ou deux de leurs parents, qui ont été placés en détention, et des droits de visite sont accordés par les juges des enfants. Ces droits de visite fournissent l’occasion de réaliser un travail d’accompagnement, de médiation et de repérage de la qualité de la relation entre les parents et les enfants. Ce sont les services de la protection judiciaire de la jeunesse qui accompagnent cette démarche, d’abord au titre d’une mesure judiciaire d’investigation éducative, et ensuite au titre de mesures d’AEMO. Cela fonctionne plutôt bien.

Actuellement, nous ne sommes pas très performants pour repérer et dénombrer les doubles suivis, mais lorsque l’organisation du recensement des prises en charge de la protection judiciaire de la jeunesse aura été validée par décret auprès de l’ONPE, nous connaîtrons mieux la proportion de doubles suivis. Surtout, nous sommes en train de modifier notre outil numérique en passant d’un instrument qui fonctionne sur une logique de dossier vers un instrument qui fonctionne sur une logique de mineur, pour permettre la construction de parcours de prise en charge et ainsi repérer les jeunes pris en charge en matière pénale et en matière d’assistance éducative par les conseils départementaux et la PJJ.

Enfin, s’agissant des agréments, tous nos établissements et services publics de la protection judiciaire de la jeunesse sont des établissements médico-sociaux qui doivent respecter les règles du code de l’action sociale et des familles, ce qui répond à une partie des questions que vous devez vous poser sur les agréments.

Il existe 216 établissements et services du secteur public. Nous travaillons également avec des établissements et services du secteur associatif habilité, notamment pour l’exercice des mesures judiciaires d’investigation éducative en matière civile, et en matière pénale, pour des prises en charge au titre de placements. Certains lieux de placement du secteur associatif sont conjoints : ils prennent en charge des jeunes au titre de l’enfance délinquante et au titre de l’enfance en danger. Ils reçoivent des habilitations et des autorisations conjointes, puisque les établissements et services qui prennent en charge des jeunes confiés par décision judiciaire ont un régime un peu particulier d’autorisation. Les établissements sociaux et médico-sociaux sont normalement autorisés pour une durée de quinze ans, tandis que ceux qui prennent en charge en matière judiciaire peuvent être autorisés pour une durée indéterminée mais doivent faire l’objet d’une habilitation, qui est une procédure particulière distincte, ce qui permet d’aller voir le projet de service et de contrôler plus régulièrement, tous les cinq ans, la probité du personnel présent au sein de ces établissements. Nous articulons ces deux procédures, et nous avons aussi des accords et des pratiques conjointes avec les conseils départementaux au titre des contrôles de fonctionnement et de la tarification. Cela se fait très bien dans certains départements, moins bien dans d’autres, mais c’est une pratique que nous souhaitons développer.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Merci pour cet exposé. Avant de poser mes questions, j’aimerais que vous précisiez votre dernier point. Vous dites que cela ne se fait pas dans tous les départements, mais de quoi s’agit-il exactement : vous allez habiliter et contrôler des établissements gérés par l’aide sociale à l’enfance, c’est cela ?

Mme Muriel Eglin. Il s’agit des établissements du secteur associatif habilité qui font l’objet d’une autorisation conjointe et d’une habilitation conjointe. Ils peuvent prendre en charge des mineurs confiés par l’aide sociale à l’enfance dans un cadre administratif, d’autres confiés par le juge des enfants dans un cadre judiciaire civil ou pénal. Dans ce cas, une autorisation est donnée par le préfet, instruite par nos directions interrégionales de la PJJ, et une autorisation est donnée par le président du conseil départemental. C’est pour cela que l’autorisation est appelée conjointe. Il en va de même pour l’habilitation.

En matière de contrôles, à partir du moment où une structure est conjointe, le conseil départemental et la PJJ ont tous deux une mission de contrôle, puisqu’ils sont susceptibles de confier des jeunes à ces établissements. Réaliser des contrôles conjoints permet d’appliquer des grilles de lecture communes.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Merci pour ces précisions.

Dans quel cadre une AEMO peut-elle être donnée par le juge ? C’est quelque chose que je découvre, car je pensais que seuls les services départementaux pouvaient le faire.

L’accompagnement des jeunes majeurs, dont vous avez parlé, quel type d’accompagnement est-ce ? Un accompagnement financier ? Un accompagnement dans les démarches ?

Vous siégez dans les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). Savez-vous combien d’observatoires sont réellement actifs ? Siégez-vous dans tous ?

Enfin, j’ai vu que vous recrutiez des familles sur Le Bon Coin et cela m’a un peu déroutée d’y trouver ce genre d’annonce ; j’aimerais donc comprendre comment cela fonctionne.

Mme Muriel Eglin. C’est le code civil qui prévoit que le juge peut confier une mesure d’AEMO à un service spécialisé. Le code ne précise pas que cela ne peut être que le conseil départemental. Le décret de structuration juridique des établissements et services de la PJJ du 6 novembre 2007 prévoit que la PJJ intervient à la fois en matière pénale et en matière d’assistance éducative pour les mineurs et jeunes majeurs confiés par la justice. Le cadre juridique existe et permet de prononcer ces mesures. Cela dit, c’est une mesure très résiduelle. Il y en avait davantage avant 2007 car souvent, quand on exerçait une mesure d’investigation éducative, le juge poursuivait par une mesure d’AEMO à la PJJ pour qu’il y ait continuité d’intervention du même service. Cela ne se fait plus mais, pour les situations complexes – je pense notamment à de grands adolescents ou à des jeunes radicalisés ou en danger de radicalisation, pour lesquels nous avons développé une approche particulière, un réseau de référents « laïcité et citoyenneté » –, les juges des enfants ont confié quelques mesures résiduelles d’AEMO à la PJJ.

Les accompagnements pour les jeunes majeurs sont les mêmes que pour les mineurs, à savoir soit de l’accueil-hébergement dans nos structures du secteur public ou du secteur associatif habilité, soit des mesures de milieu ouvert : accompagnement éducatif, accompagnement dans les démarches, participation à des activités collectives comme à des activités éducatives d’insertion… Mais nous n’avons pas d’aides financières car nous n’avons pas l’équivalent des textes du code de l’action sociale et des familles pour les conseils départementaux. Pour des jeunes accédant à l’autonomie, nous pouvons proposer des mesures d’accompagnement éducatif et, dans ce cadre, le rôle de l’accompagnement, dans l’objectif d’un plein accès à l’autonomie, sera par exemple de chercher un logement pour le jeune, de l’accompagner auprès de l’assistante sociale de secteur pour une aide financière…

Le nombre d’ODPE que j’ai en tête est de 68, mais ce chiffre date peut-être ; j’espère donc ne pas vous dire de bêtises. La PJJ sollicite sa présence au sein des observatoires mais les relations peuvent être très bonnes ici et l’être moins ailleurs. Je n’ai pas de données chiffrées précises à ce sujet. Globalement, quand nous nous présentons, nous sommes plutôt bien reçus. Il y a parfois des particularités locales, des incidents sur certaines prises en charge ou certaines situations, des désaccords qui peuvent créer des difficultés à se parler.

Enfin, le dispositif des familles d’accueil de la PJJ est particulier. Il est né de pratiques de nos établissements, qui ont eu recours à des bénévoles intervenant en soutien d’une prise en charge en hébergement collectif, en milieu ouvert soutenu ou dans nos unités éducatives d’activités de jour (UEAJ) quand il y a besoin d’un hébergement. Ce n’est pas le même type d’accueil qu’un placement à l’ASE chez un assistant familial agréé, qui aurait vocation à durer. Nous avons des suivis très variés, qui vont de prises en charge ressemblant à du parrainage, par de l’accueil de week-end ou de vacances, à des accueils plus longs. La durée moyenne d’un placement pour des jeunes de la PJJ confiés à des familles d’accueil en matière pénale est de cinq mois. C’est une durée assez longue en matière pénale, mais ce n’est pas une durée qui signe l’inscription dans un projet de vie au long cours. Nos familles d’accueil interviennent en suppléance d’une intervention éducative. Le suivi est confié par le magistrat à l’établissement de placement et c’est l’établissement qui recrute les familles d’accueil. Dans chaque territoire, les établissements sont libres d’organiser leur recrutement. La PJJ, comme les autres institutions qui organisent de l’accueil ou du parrainage, ont besoin de pouvoir renouveler régulièrement le vivier de personnes désireuses d’accueillir des jeunes à titre bénévole.

Cet accueil par les familles n’est pas un métier. Le profil des familles est très varié. Certaines personnes travaillent, d’autres sont retraitées. Je pense à un ancien policier qui, une fois à la retraite, a souhaité aider les jeunes qu’il avait pu voir pendant sa carrière. D’autres ont eu eux-mêmes besoin d’aide quand ils étaient plus jeunes et veulent rendre à d’autres ce qu’ils ont reçu. Mais la prise en charge éducative est assurée par nos établissements.

Nous venons de lancer une campagne de recrutement, d’appel aux bonnes volontés pour les familles d’accueil, avec des affiches distribuées dans les services, mais les établissements ont en effet pu utiliser Le Bon Coin pour rechercher des familles d’accueil. Au-delà du média utilisé, ce qui est important, c’est le processus de recrutement. Les familles d’accueil sont rencontrées par le directeur et le psychologue de l’établissement, le cadre de la PJJ leur est expliqué. Quand une famille ne peut plus ou ne souhaite plus prendre en charge un jeune, nous n’insistons pas. Nous ne sommes pas dans une relation de travail mais dans une relation de soutien et de prise en charge éducative. La famille reste un, deux ou trois ans, parfois plus, parfois moins, et nous leur confions un jeune, parfois deux, mais rarement plus, alors qu’une famille d’accueil professionnelle a normalement un agrément pour trois jeunes.

Mme Delphine Bagarry. J’ai plusieurs questions concernant les mineurs non accompagnés (MNA), dont vous n’avez pas parlé.

Vous avez la mission de répartir ces mineurs après l’évaluation d’isolement et de minorité. Pensez-vous que la répartition pourrait se faire en vue de l’évaluation, et non après comme c’est le cas actuellement, afin que les jeunes puissent rester à l’endroit où ils ont été évalués ?

S’agissant de ces MNA, nous savons qu’il n’existe aucune harmonisation entre départementaux sur les procédures d’évaluation. Avez-vous une séance de formation pour les travailleurs sociaux, associatifs ou salariés des départements, pour cette évaluation ?

Les administrateurs ad hoc sont obligatoires dans deux situations seulement pour les MNA : en zone d’attente et quand les mineurs font une demande d’asile. Que pensez-vous d’une éventuelle généralisation dès lors que les mineurs demandent à être évalués et jusqu’à ce qu’ils soient confiés aux services de protection de l’enfance ?

Mme Elsa Faucillon. Après vous avoir écoutée, j’ai le sentiment que vous luttez contre une étanchéité qui s’est créée entre la PJJ et l’ASE et s’est trouvée renforcée avec la loi de 2007, sans que ceci soit un jugement sur cette loi. Si c’est le cas, quels moyens législatifs pourraient selon vous aider à réduire cette étanchéité ? J’ai retiré de votre exposé que le franchissement des barrières serait une bonne chose. Avez-vous constaté que cette étanchéité, cette frontière nuisait directement aux personnes suivies par la PJJ ? Le dépassement de ces frontières n’aiderait-il pas à lutter contre la récidive ?

M. Lionel Causse. Je souhaite revenir sur les relations entre la PJJ et les départements. J’ai présidé pendant plusieurs années une maison d’enfants à caractère social (MECS). Sauf erreur de ma part, car cela remonte à quelque temps, la PJJ n’est pas présente au conseil d’administration des MECS. Pourtant, nous avions tous les partenaires et les personnes qualifiées. Si vous confirmez que votre présence n’est pas obligatoire, pensez-vous qu’elle serait utile ? Et si vous avez une présence d’office, quelles conclusions en tirez-vous ?

Mme Monique Limon. Pour avoir été travailleur social de terrain, puis en responsabilité une grande partie de ma vie professionnelle dans la protection de l’enfance, je suis assez consternée d’entendre que l’on en est encore en train de réfléchir à un rapprochement des différentes institutions, en l’occurrence entre l’ASE et la PJJ. Avez-vous des exemples montrant que la loi de 2016 aurait permis un rapprochement ? Qu’est-ce qui pourrait déclencher, autrement, la volonté de davantage travailler ensemble pour améliorer le suivi des jeunes ?

Mme Florence Provendier. Je n’ai aucune expérience dans le secteur mais ce qui ressort, audition après audition, c’est une certaine dichotomie. Tout le monde est pétri de bonnes intentions, nous avons des lois, la volonté, y compris politique, ne fait pas défaut et pourtant ça coince. Pourquoi cela « bug »-t-il selon vous ?

Mme Muriel Eglin. S’agissant des MNA, si nous réalisions la répartition pour l’évaluation, ce qui pourrait en effet permettre une continuité des parcours pour ceux qui sont évalués, il faudrait plus que doubler l’organisation de la répartition et il faudrait en outre que l’intervention de la justice ait lieu avant l’évaluation. La loi du 14 mars 2016 a prévu que la justice intervenait quand le jeune est présumé mineur et la mission MNA chargée de la répartition territoriale quand on est sûr de la minorité, pour éviter le développement de prises en charge destinées à s’arrêter. Il est très difficile de trouver la bonne solution, car chaque option a son revers. On peut continuer à réfléchir à la clé de répartition. Nous avons un peu de recul pour voir ce que produit une clé calculée à partir de données démographiques ; nous pourrions très bien imaginer, et certains départements le demandent fortement, d’y introduire d’autres éléments, en vue d’une plus grande équité. Une réflexion est engagée en interministériel.

L’inharmonie des formations est un caillou dans la chaussure pour toute la prise en charge des MNA car c’est ce qui conduit certains départements à redemander des évaluations, certains juges à refaire des évaluations et des tests osseux alors que ce n’est pas forcément nécessaire. Le décret sur l’aide à l’évaluation de la minorité a essayé de stabiliser les choses, de développer des évaluations qui fassent consensus et ne soient pas remises en cause et soient donc similaires dans tous les départements. Nous sommes en train de retravailler sur le référentiel de l’évaluation pour creuser cette identité de pratiques et de produire un vade-mecum des associations et des départements, en tant que support de formation. Des formations sont co-construites par l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse et le CNFPT, qui ont lieu soit à Roubaix soit à Angers, et accueillent une cinquantaine de personnes à chaque session ; elles sont ouvertes aux conseils départementaux, aux associations qui procèdent aux évaluations, et quelques places sont ouvertes à des magistrats, voire à des policiers.

Mme Monique Limon. Il n’y a pas encore eu de choix de référentiel national. Des formations sont prévues pour l’évaluation mais il existe différents référentiels et pas de « labellisation » d’un référentiel plutôt qu’un autre.

Mme Muriel Eglin. C’est un autre sujet. Je pense au référentiel qui a fait l’objet d’une recommandation du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Nous sommes favorables à ce qu’il y ait un référentiel national ou au moins des référentiels validés par l’opérateur national de la protection de l’enfance. Le référentiel du centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) d’Auvergne-Rhône-Alpes a été validé par l’ONPE ; d’autres référentiels approchants ont déjà été adoptés par les conseils départementaux. La question du référentiel pour les MNA est une question différente puisque nous sommes sur l’évaluation de la minorité et de l’isolement pour savoir s’ils peuvent entrer dans les dispositifs de protection de l’enfance ; c’est une évaluation courte et une fois qu’elle a eu lieu l’évaluation des besoins fondamentaux de l’enfant est davantage poussée.

S’agissant de la généralisation des administrateurs ad hoc, tout ce qui peut permettre de désigner une personne apte à prendre des décisions pour les MNA serait une bonne chose. Ce peut être un administrateur ad hoc ou la généralisation d’une mesure de tutelle. En tout cas, ces enfants ont besoin de quelqu’un qui puisse prendre une décision pour eux. On le voit en matière de protection de l’enfance, en matière pénale également car, quand des mineurs non accompagnés se trouvent dans les établissements de la PJJ à la suite d’un acte de délinquance, ou sont détenus, personne n’est capable de consentir par exemple à des soins dentaires ou d’une autorisation de sortie… Chaque fois qu’est requise une autorisation de l’un ou des titulaires de l’autorité parentale, on est en difficulté avec les MNA. C’est un besoin identifié.

S’agissant de l’étanchéité entre l’ASE et la PJJ, il existe de fortes disparités territoriales. J’ai beaucoup entendu de la part de services de protection de l’enfance ou de conseils départementaux l’idée que les jeunes délinquants étaient le problème de la PJJ et les enfants à protéger le problème des départements, et que chacun devait donc s’occuper de ses mineurs. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Une telle approche, cause d’étanchéité, est facteur sinon directement de récidive, du moins de rupture de parcours. Dans l’exemple que j’ai pris tout à l’heure d’un jeune placé en famille d’accueil depuis plusieurs années et qui commet un acte, même grave, le fait que ce jeune soit incarcéré et ne retourne pas à sa famille d’accueil ensuite ne va pas lui rendre service si cela passait bien avec celle-ci. C’est un exemple mais il y en a d’autres. Les liens d’attachement ne se nouent pas seulement avec des familles d’accueil mais aussi avec des structures collectives où les jeunes peuvent se sentir bien ou même avec des éducateurs de milieu ouvert. Tout ce qui fait entrer un jeune dans une évolution positive doit être protégé et promu.

Cela ne remet pas en cause le principe de la décentralisation de la protection de l’enfance. Nos publics PJJ ne relèvent pas tous de la protection de l’enfance, et vice-versa. Il faut des points de contact, des lieux de dialogue et d’élaboration communs, et surtout des outils de pensée communs de ce que sont les besoins d’un adolescent, mais ce n’est pas remettre en cause la séparation complètement.

Nous n’avons pas pour le moment réfléchi en termes de vecteurs législatifs. Nous avions fondé beaucoup d’espoir sur les protocoles de prévention et les protocoles de sortie de dispositif prévus par la loi du 14 mars 2016, mais cela n’a pas l’air de prendre. Selon les données du CNPE, peu de protocoles ont été signés, à tel point qu’il serait question de les remettre en question. C’est dommage car mettre plusieurs institutions autour d’une même table, c’est cela qui fonctionne. On le voit dans les commissions des cas complexes. Je vous invite à entrer en contact avec la maison des adolescents du Val-de-Marne, qui a conduit un très gros travail sur les cas complexes, ceux que l’on a pu appeler les « incasables ».

Les MECS n’ont pas en général de double habilitation, c’est uniquement le conseil départemental. Il ne me semble pas que les textes prévoient la présence de la PJJ. Cela dit, la liberté associative permet à une association de se constituer en invitant des institutions à venir participer à son conseil d’administration et tout conseil d’administration d’association peut entendre des personnes dont l’audition lui semble utile.

M. Lionel Causse. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait rendre la présence de la PJJ obligatoire ?

Mme Muriel Eglin. Qui trop embrasse mal étreint. Dans des établissements qui n’ont aucun public commun, ou très peu, avec la PJJ, nos directeurs territoriaux ou directeurs d’établissement risquent de se perdre dans les partenariats. Comme nous sommes une petite institution, nous travaillons beaucoup avec les autres institutions de l’État, le ministère de la culture, le ministère du travail, pour la prise en charge et l’insertion de nos mineurs. Nous ne délivrons pas de diplômes dans nos services d’insertion, par exemple, mais nous préparons à les passer dans les institutions publiques de droit commun. Nous sollicitons déjà beaucoup les autres et si nous sommes trop à l’extérieur, cela risque de devenir compliqué.

C’est une question que l’on peut se poser pour les institutions qui accueillent des adolescents, parce que les problématiques sont bien connues des services de la PJJ, notamment sur des temps de crise qui peuvent mettre à mal certaines MECS.

S’agissant des rapprochements possibles, des outils tels que la circulaire « protection de l’enfance » que j’ai évoquée, avec toutes les fiches techniques annexes, sont pour moi des outils de dialogue commun. C’est une circulaire qui a été adressée à la fois aux magistrats du parquet et à nos services déconcentrés. Se réunir autour de ces outils pour dégager une lecture commune peut vraiment faire avancer les choses. On en a vu les effets dans certains territoires, notamment dans le cadre du groupe de travail « magistrats coordinateurs » que j’ai également évoqué. Dans le Pas-de-Calais, un travail intéressant a été réalisé par le conseil départemental et la juridiction sur le lien entre l’assistance éducative et les procédures de retrait de délégation d’autorité parentale ou de déclaration judiciaire de délaissement. Dans certains territoires, les commissions statuent. Je pense notamment au retour d’un magistrat d’Épinal indiquant que c’était extrêmement intéressant pour lui car cela lui permettait de voir autrement les mesures de protection et qu’il était en outre important d’avoir une parole judiciaire dans ces enceintes pour créer une culture commune. C’est avec ce genre d’outils que l’on pourra mieux travailler ensemble.

Cela dit, la question financière vient toujours au-devant de la scène dans ces débats. Les départements disent beaucoup qu’ils n’ont pas les moyens d’assumer l’ensemble des missions que la loi leur confie et attendent de nous que nous suppléions la prise en charge, ce que nous ne sommes pas en mesure de faire car nous n’avons pas la taille critique. J’ai perçu, au moment de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et du recentrage de la PJJ sur le pénal, qui a donné lieu à une réduction de nos moyens, une colère des départements qui se sont sentis lâchés par le ministère de la justice. Nous essayons de remonter les choses et de travailler en commun. Il y a des liens à retisser. La question des moyens est au cœur du problème.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Certains départements indiquent connaître des difficultés dans la prise en charge des MNA, avant que l’enfant soit déclaré mineur. Pensez-vous qu’il serait possible que ce soit la PJJ qui évalue la minorité des enfants ?

Mme Muriel Eglin. Cela a été discuté par une mission bipartite des inspections et grands corps de la santé et de la justice. Il a été envisagé que l’évaluation soit prise en charge par l’État, et la question de la PJJ s’est posée. Nous avons réalisé une étude d’impact : il faudrait que nous multipliions par trois ou quatre le nombre de nos agents. Nous sommes 8 000 agents au total, y compris les établissements et, vu le nombre de mineurs non accompagnés, ce transfert serait une transfiguration totale de la PJJ.

En outre, la PJJ intervient sur mandat judiciaire, donc à partir du moment où un enfant entre dans le giron de la protection de l’enfance, et nous sommes là au carrefour des deux, d’autant plus qu’une majorité des personnes qui se présentent comme MNA ne sont en réalité pas mineurs. Mettre la PJJ à cette place ne nous a pas paru adapté.

M. le président Alain Ramadier. Nous vous remercions.

 

 

 

 

La réunion sachève à seize heures vingt.

 

 

————


Membres présents ou excusés

Mission dinformation de la Conférence des présidents sur laide sociale à lenfance

 

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 15 h 10

Présents. - Mme Delphine Bagarry, M. Lionel Causse, M. Guillaume Chiche, M. Olivier Damaisin, Mme Elsa Faucillon, Mme Perrine Goulet, Mme Monique Limon, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusés. - M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas.