Compte rendu

Commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général, et Alain Milius, directeur des affaires réglementaires extérieures de la Société d’exploitation de produits pour les industries chimiques (SEPPIC)                            2

– Présences en réunion..............................16


Mercredi 25 septembre 2019

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 21

session extraordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Serge Letchimy, Président de la commission denquête
 


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COMMISSION DENQUÊTE SUR LIMPACT
ÉCONOMIQUE, SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTAL
DE LUTILISATION DU CHLORDÉCONE ET DU PARAQUAT
COMME INSECTICIDES AGRICOLES DANS LES TERRITOIRES
DE GUADELOUPE ET DE MARTINIQUE, SUR LES RESPONSABILITÉS PUBLIQUES ET PRIVÉES DANS LA PROLONGATION DE LEUR AUTORISATION ET ÉVALUANT LA NÉCESSITÉ ET LES MODALITÉS DUNE INDEMNISATION DES PRÉJUDICES DES VICTIMES ET DE CES TERRITOIRES

Mercredi 25 septembre 2019

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

(Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission denquête)

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La commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l’audition de MM. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général, et Alain Milius, directeur des affaires réglementaires extérieures de la Société d’exploitation de produits pour les industries chimiques (SEPPIC).

M. Serge Letchimy, président de la commission d’enquête. Je vous présente tout d’abord toutes mes excuses pour mon retard et souhaite la bienvenue à nos collègues Charlotte Lecocq et Nicole Sanquer qui nous font le plaisir d’être présentes afin d’échanger avec nous dans le cadre de cette commission d’enquête.

Nous revenons d’une longue mission en Martinique et en Guadeloupe au cours de laquelle nous avons conduit six jours d’auditions extrêmement denses et enrichissantes dans chacune de ces deux îles où la participation et la mobilisation ont été très fortes. Nous ferons d’ailleurs un point sur ce déplacement lors d’une réunion du bureau de la commission élargi à ceux qui voudront y participer afin de savoir où nous en sommes.

Nous engageons aujourd’hui une troisième phase d’auditions qui sera conclue par l’audition des ministres concernés par cette question.

Nous auditionnons aujourd’hui MM. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général, et Alain Milius, directeur des affaires réglementaires extérieures de la Société d’exploitation de produits pour les industries chimiques (SEPPIC), auxquels je souhaite la bienvenue.

Les dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposent aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Baptiste Dellon et Alain Milius prêtent successivement serment.)

M. Serge Letchimy, président de la commission d’enquête. Messieurs, je vous laisse vous exprimer pendant une dizaine de minutes environ, après quoi nous passerons aux questions et aux réponses relatives à la SEPPIC et au chlordécone.

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la Société d’exploitation de produits pour les industries chimiques. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous donner l’opportunité de nous exprimer et de contribuer ainsi aux travaux de la commission d’enquête.

Je voudrais en premier lieu vous indiquer, au nom des équipes de la SEPPIC, que nous sommes sensibles à la problématique du chlordécone et que nous déplorons les difficultés auxquelles font aujourd’hui face les Antillais et les Antillaises, ce qui explique notre engagement à vous aider à comprendre les circonstances dans lesquelles la SEPPIC a pu intervenir dans la commercialisation du Képone entre 1972 et 1977.

Qui sommes-nous ? La SEPPIC conçoit et fabrique aujourd’hui des ingrédients de spécialité principalement utilisés par les industries cosmétiques et pharmaceutiques ainsi que par celle du secteur de la santé animale. Nous ne fabriquons pas de produits finis mais des ingrédients utilisés par nos clients pour fabriquer leurs produits.

Quelques exemples : nous fabriquons des émulsionnants utilisés afin d’homogénéiser des crèmes cosmétiques ou des produits pharmaceutiques entre la phase aqueuse et la phase huileuse ainsi que des solubilisants permettant à des principes actifs pharmaceutiques d’être mis en solution en vue d’une administration à des patients par voie intraveineuse.

Nous fabriquons également des ingrédients actifs qui confèrent aux produits cosmétiques leurs propriétés hydratantes ou apaisantes. Au travers de leurs produits finis, nos ingrédients sont donc en définitive utilisés par des consommateurs ainsi que par des professionnels de santé dans le monde entier.

Le SEPPIC emploie au total 750 personnes. Notre activité d’innovation est très forte puisque plus de 110 personnes — soit un peu plus de 15 % des effectifs — travaillent en recherche-développement. Notre ancrage sur le territoire national est très fort puisque nous employons à peu près 600 personnes en France.

Notre activité est cependant très internationale puisque nous réalisons les trois quarts de nos ventes hors de France.

Quelle est l’histoire de la société ? Si sa création remonte à 1943, son véritable développement n’a commencé qu’à partir des années cinquante. Elle a commencé par distribuer les produits d’acteurs du secteur de la chimie sur le territoire national, puisqu’elle y a notamment distribué pendant de très longues années ceux du groupe DuPont de Nemours.

La société a poursuivi son développement en mettant sur pied sa propre infrastructure et ses propres outils industriels de production, notamment en rachetant des entreprises et des fonds de commerce.

La SEPPIC a ainsi développé, au sein de sa division agricole qui ne fait aujourd’hui plus partie de son périmètre, une activité de protection des cultures. Cette division s’est effectivement, à la fin des années soixante, intéressée au Képone, produit qui comme vous le savez a été développé dans les années cinquante par la société américaine Allied Chemical qui l’a breveté et fabriqué.

La commercialisation du Képone a commencé — a priori, selon les éléments que nous avons pu retrouver, uniquement aux Antilles, au travers de deux revendeurs, les établissements De Laguarrigue pour la Martinique et Autour, qui était notre revendeur pour notre activité phytosanitaire en général, pour la Guadeloupe — en 1972, une fois que sa vente a été autorisée provisoirement.

En 1977, constatant qu’Allied Chemical avait mis fin à sa production, et ayant évalué certaines des alternatives permettant de poursuivre la commercialisation du Képone, la SEPPIC a, comme en atteste le compte rendu du conseil d’administration du 15 avril, décidé de mettre un terme à cette commercialisation. Cet arrêt a été définitif, puisque celle-ci n’a jamais repris depuis.

En 1981, la SEPPIC s’est totalement désengagée de cette activité puisqu’elle a cédé l’ensemble de sa division agricole à la société DuPont de Nemours France. J’ajoute qu’à cette époque le Képone n’était donc plus commercialisé par cette même division.

À la suite de cette cession, la SEPPIC s’est au cours des années quatre-vingt renforcée dans les secteurs cosmétiques et pharmaceutiques, qui constituent aujourd’hui notre corps de métier. La société s’est par ailleurs à la fin de cette même décennie fortement internationalisée.

Je conclus en évoquant le travail de recherche que nous avons mené pour établir les éléments que je viens de vous livrer : vous n’êtes pas sans savoir que la période concernée remonte à plus de quarante ans. Nous avons néanmoins consulté nos archives et trouvé un certain nombre d’éléments, notamment des documents préparatoires et des comptes rendus de conseils d’administration de l’époque.

Nous avons à cette occasion mis la main sur un dossier relatif à la cession de notre division agricole à DuPont de Nemours en 1981 qui montre que nous ne sommes plus en possession des documents propres à cette activité, c’est-à-dire des contrats, des dossiers d’homologation et des dossiers techniques de produits, puisqu’ils lui ont été transférés à ce moment-là.

Nous sommes maintenant bien entendu à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Justine Benin, rapporteure de la commission d’enquête. La commission des toxiques assortissait ses autorisations provisoires de vente de recommandations d’utilisation qui étaient obligatoires.

Par exemple, si elle avait, lors de sa réunion du 9 avril 1970, autorisé l’un de vos produits, le Mirex 450, utilisé dans le cadre de la lutte contre la fourmi manioc — Acromyrmex octospinosu — en Guyane ainsi qu’en Guadeloupe, elle recommandait, de manière obligatoire donc, le port de gants lors de l’épandage, l’interdiction d’utilisation dans les cultures ainsi que l’épandage exclusif dans les fourmilières.

Ses recommandations avaient-elles été, à l’époque, respectées ? Aviez-vous mis en place des formations destinées aux producteurs utilisant ce produit ? Des contrôles conduits soit par vos soins soit par les services du ministère de l’agriculture ont-ils été menés tant en Guyane qu’aux Antilles ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Nous n’avons pas retrouvé de chiffres de vente relatifs au Mirex, ce qui me conduit à indiquer que ses ventes sont, contrairement à celles du Képone, restées très faibles, voire nulles.

Nous ne disposons par ailleurs d’aucun élément relatif la mise en œuvre et de l’accompagnement des recommandations d’utilisation relatives au Mirex.

Mme Justine Benin, rapporteure. Les tableaux d’homologation de la commission des toxiques de mai 1980 font apparaître une demande d’homologation de votre part portant sur le Képone 5 %, qui était déjà commercialisé depuis 1972. Cette demande fut toutefois annulée. Pour quelle raison n’êtes-vous pas allés au bout de cette démarche ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Nous n’avons malheureusement pas trace d’éléments concernant toutes ces demandes d’homologation, tous les dossiers ayant été transférés à DuPont de Nemours.

Nous n’avons retrouvé nulle part de trace, dans nos documents, d’une deuxième demande datant de 1980 : je pense que vous faites référence au Musalone.

Nous sommes assez surpris par celle-ci dans la mesure où à cette époque, la SEPPIC avait décidé depuis plusieurs années, c’est-à-dire depuis 1977, de mettre fin à la commercialisation du Képone et de se désengager de cette activité agricole, ce qui la conduira à revendre sa division agricole à DuPont de Nemours : une telle démarche ne me paraît donc pas très cohérente.

En tout état de cause, même si cette demande d’homologation a été satisfaite en décembre 1981, il est clair que la SEPPIC ne l’a jamais utilisée, c’est-à-dire qu’elle n’a jamais vendu ni de Képone ni de Musalone après 1977. En outre, un mois après cette date, la division agricole de la SEPPIC sortait de notre périmètre pour être reprise par DuPont de Nemours.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Monsieur Dellon, vous avez indiqué dans votre propos liminaire que vous regrettiez la situation actuelle tant en Martinique qu’en Guadeloupe.

Vous êtes donc parfaitement conscients de la gravité de cette situation : est-ce bien le cas ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Oui, bien sûr.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Vous savez que les Américains ont, en 1975, après l’accident de Hopewell en Virginie, fermé l’usine en question et arrêté la production du Képone : en réalité, il ne s’agissait pas d’un accident, mais d’une pollution ayant rendu les ouvriers concernés très malades et ayant causé la mort de poissons. Vous saviez donc que le produit incriminé était extrêmement dangereux et redoutable.

Si votre société, la SEPPIC, a bénéficié le 1er décembre 1981 d’une autorisation de mise sur le marché n° 8100058 au titre du Musalone, qui est le petit frère du Képone et qui deviendra le Curlone, c’est donc qu’elle l’a déposée.

Vous me dîtes que vous ne disposez pas d’archives la concernant : nous irons donc consulter les archives de DuPont de Nemours à son sujet. La SEPPIC a cependant déposé une demande, et obtenu une autorisation, non pas de commercialisation, mais de mise sur le marché : votre responsabilité est donc majeure. Votre société a en effet déposé une telle demande tout en connaissant la dangerosité du produit.

Vous savez également qu’en 1968 et en 1969, deux demandes portant sur le Képone ont été rejetées : cet historique montre que sa toxicité était révélée, reconnue, manifestée et exprimée par les scientifiques.

Ne me dîtes pas que cette deuxième demande n’a pas été suivie d’une commercialisation : cette demande traduisait bien, en 1981, une intention de la part de la SEPPIC. Il s’agit bien de cela : la SEPPIC a obtenu une AMM paradoxalement au même moment où les établissements De Laguarrigue en obtenaient — sous le n° 8100271 — une autre pour le Curlone.

Cette société, qui était votre partenaire, a déposé cette demande de mise sur le marché après que la SEPPIC ait bénéficié en 1972 d’une autorisation de vente provisoire. La SEPPIC a donc, près d’une décennie plus tard, déposé une autorisation de mise sur le marché en même temps que les  établissements De Laguarrigue faisaient de même pour bénéficier non pas d’une APV mais d’une AMM. Mes propos sont-ils fidèles à la réalité ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Si je ne conteste pas vos propos, monsieur le président, nous ne disposons pas d’éléments permettant de les confirmer.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Je viens de vous communiquer certains éléments, et notamment des numéros d’autorisation : or c’est bien l’État, et non moi, qui les attribue.

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Nous n’avons pas retrouvé de trace de ladite demande.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Nous vous communiquerons ces éléments. Je vous engage de la même manière à nous communiquer tous les documents en votre possession, même ceux qui en apparence paraîtraient insignifiants.

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Oui, c’est entendu.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Quelles étaient selon vous les liens entretenus par la SEPPIC et les établissements De Laguarrigue entre 1972 et 1981 ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Les établissements De Laguarrigue étaient à la Martinique depuis 1972, et probablement antérieurement, un revendeur de produits agricoles et phytosanitaires de la SEPPIC.

En 1977, celle-ci a mis fin à la commercialisation du Képone. Des contacts ont-ils eu lieu entre 1977 et 1981 entre la SEPPIC et  ces mêmes établissements en vue de demander une nouvelle autorisation d’un produit qui serait une copie du Képone ? Je n’en sais rien, car je ne dispose pas d’éléments à ce sujet.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Sur ce point précis, êtes-vous conscients que les établissements De Laguarrigue et la SEPPIC sont passés du stade de la commercialisation au stade de la production, dans la mesure où la première a entre-temps racheté la licence détenue par Allied Chemical ?

Certes, vous n’avez pas commercialisé le produit après 1981, mais avez-vous conscience du fait que la demande en question vous a fait passer du stade de la commercialisation, qui correspond à un certain niveau de responsabilité, à celui de la production, puisque les établissements De Laguarrigue ont produit du Curlone en France, notamment à Béziers ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Notre société n’a jamais produit de chlordécone, puisque Allied Chemical le lui fournissait. La SEPPIC n’a jamais souhaité devenir productrice de chlordécone : en 1977 précisément, elle a renoncé à ce produit.

En 1976, devant la pénurie de produit consécutive à l’arrêt de la production par Allied Chemical, la SEPPIC a certes envisagé des alternatives, et notamment des investissements qui lui auraient permis d’en fabriquer.

Le 15 avril 1977 cependant, le conseil d’administration de la SEPPIC renonçait à de tels investissements et entérinait l’arrêt de la vente de Képone.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Elle déposait cependant au même moment une demande d’AMM.

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. J’en suis surpris mais je ne dispose pas d’éléments la concernant.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Ce point est très important.

M. François Pupponi. Il s’agit effectivement d’un point factuel très important : j’ai en effet du mal à croire qu’une société comme la vôtre ne connaisse pas la liste précise des AMM dont elle dispose.

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. La division agricole de la SEPPIC n’en fait plus partie depuis 1981 : je vous garantis que nous avons mené des recherches approfondies sans pourtant retrouver d’éléments concernant le Musalone.

Nous avons cependant retrouvé nombre d’éléments concernant le Képone. Or, si je comprends bien, nous parlons à cet instant du premier.

M. François Pupponi. Il faut à mon sens que votre service juridique se rapproche au plus vite des services de l’État qui ont accordé lesdites autorisations afin de retrouver le dossier, si vous n’en disposez plus en interne : il ne s’agit en effet pas d’un sujet mineur puisqu’il touche à la santé publique ainsi qu’à des situations extrêmement compliquées.

Je suis un peu étonné qu’une société comme la vôtre n’ait pas effectué la moindre recherche auprès des autorités compétentes compte tenu de l’absence — dont vous avez fait état — d’éléments dans ses archives.

Si une autorisation a été accordée, c’est bien qu’une demande a été déposée : l’État ne décide pas de son propre chef d’accorder telle autorisation à telle société si celle-ci ne la lui demande pas. Les autorités publiques compétentes ont conservé un tel dossier : je vous encourage par conséquent à aller en prendre connaissance au plus vite afin de savoir ce que votre société avait fait à l’époque.

Si je ne mets pas en doute vos propos, puisque vous avez prêté serment, quand une société dépose une demande d’AMM en 1981 alors que l’on sait qu’il existe un problème sous-jacent, il ne s’agit pas d’une décision mineure, mais bien majeure, compte tenu de ses conséquences ultérieures.

Mme Charlotte Lecocq. Vous nous avez expliqué que jusqu’en 1977 vous aviez une activité de commercialisation du Képone et que par la suite il avait été décidé d’y mettre fin. Pouvez-vous nous expliquer assez précisément ce qui a, à la lumière des comptes rendus du conseil d’administration, motivé cette décision ?

L’activité en question était-elle auparavant rentable et bénéficiaire ? A-t-elle pris fin en raison de la pénurie de produit ? La décision de ne pas donner suite aux investissements envisagés par la SEPPIC était-elle le fruit d’un calcul de rentabilité ou a-t-elle été prise au regard d’études portant sur les risques sanitaires induits par la commercialisation de ce produit ? Pouvez-vous nous indiquer ce qui ressort de ces comptes rendus de conseil d’administration ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Effectivement, la période entre 1976 et 1977 a été marquée par une pénurie de produit, puisque Allied Chemical a mis fin à la production au milieu de l’année 1975 au cours de laquelle a également eu lieu l’accident que vous avez mentionné et dont la SEPPIC a alors été informée.

La SEPPIC a alors mené une étude pour envisager un investissement qui aurait permis de produire du chlordécone sur son site de Cernay en Alsace : elle a conclu que compte tenu des difficultés liées à l’industrialisation de la production de Képone, et notamment à la gestion des déchets ce projet ne devait pas être poursuivi.

Il a donc été décidé de ne pas donner suite et d’arrêter ou d’entériner l’arrêt de la commercialisation du produit : voilà ce qui ressort des comptes rendus du conseil d’administration.

D’autres raisons ou d’autres considérations touchant à la toxicité ont-elles également contribué à cette même décision ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la commercialisation a été entériné le 15 avril 1977.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Un premier dossier a été déposé en 1968 : êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Les informations dont je dispose, et qui sont publiques je fais notamment référence au rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l’AFSSET, de 2009
montrent qu’effectivement la SEPPIC a, à la fin de l’année 1968, repris une demande.

M. Serge Letchimy, président de la commission. La commission des toxiques a radicalement refusé cette demande d’autorisation de mise sur le marché, comme en atteste le procès-verbal correspondant.

La SEPPIC a déposé une autre demande en 1971 ou en 1972 : quels étaient alors vos liens avec les producteurs de bananes ainsi qu’avec M. Veil, qui a présenté le dossier en 1972 et qui a permis l’obtention de l’AMM ? Avez-vous connaissance de ce monsieur, qui était membre de la commission des toxiques et qui aurait présenté le dossier ? Quels étaient les liens entre les autorités régionales du secteur de la banane, ce M. Veil et la SEPPIC ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne peux répondre à cette question car je ne sais pas quels étaient les liens entre le SEPPIC et les autorités de la filière de la banane, pas plus que ceux qui existaient notre société et ce M. Veil. Je sais seulement que la SEPPIC était à l’époque un acteur du marché phytosanitaire déjà présent aux Antilles : elle était donc probablement connue dans ce milieu.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Je vous pose à présent une question vraiment importante : quel est selon vous l’élément qui a plaidé en faveur de décision positive prise en septembre 1972 par M. Jacques Chirac d’accorder une autorisation de mise sur le marché valable pour une année, alors qu’en réalité la commercialisation du Képone a duré jusqu’en 1981 ?

Si en effet la SEPPIC a suspendu en 1977 la commercialisation de la Képone, le stock a été commercialisé jusqu’en 1981, et ce alors même que M. Jacques Chirac avait, au travers de l’arrêté du 2 octobre 1972, c’est-à-dire moins de deux mois après cette même décision positive, interdit les pesticides agricoles organochlorés en France.

Je précise que ces derniers sont des pesticides extrêmement violents et dangereux qui n’ont rien à voir avec les pesticides organophosphorés. Alors qu’il les a interdits en France, M. Jacques Chirac n’a autorisé la mise sur le marché du Képone qu’en Martinique et en Guadeloupe.

Quels étaient vos liens avec ce dossier ? En avez-vous conservé des traces ? Êtes-vous en mesure de nous communiquer des documents à ce sujet ? Comme je l’ai indiqué, nous irons pour notre part consulter les archives de DuPont de Nemours s’agissant de l’ensemble des documents que la SEPPIC lui a transmis en 1977. Pouvez-vous nous transmettre le relevé des documents qu’elle lui transférés ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne connais pas dans le détail les liens qui pouvaient unir ces différents acteurs à l’époque, car nous n’avons pas trouvé, comme je l’ai déjà indiqué, d’éléments au sein de nos archives.

L’ensemble de ces documents – c’est-à-dire l’ensemble des dossiers techniques, des dossiers d’homologation et des contrats – ont, nous en sommes à peu près sûrs, été transmis à DuPont de Nemours car ils faisaient partie du contrat de cession entre la SEPPIC et ce groupe.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Je tiens à informer l’assemblée, au travers de cette commission d’enquête, que c’est selon moi la première fois — j’ignore s’il existe des précédents — que la mise sur le marché d’un produit est autorisée sans que ledit produit lui-même ne soit homologué. Cela signifie qu’il n’existe pas, d’après ce que j’ai lu — mais nous nourrissons un tel soupçon — d’homologation lisible dudit produit.

Monsieur Dellon, je vous engage, même si j’ai bien noté que vous ne pas disposiez pas de documents à ce sujet, à nous envoyer tous les pièces en votre possession.

Mme Justine Benin, rapporteure. Lors des auditions que nous avons tenues en Guadeloupe, certaines personnalités nous ont informés du fait que les industriels du secteur des pesticides avaient financé l'Institut de recherches sur les fruits et agrumes, l’IRFA, c’est-à-dire l’un des instituts de recherche agricole tropicale ancêtres du CIRAD, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Confirmez-vous cette information ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne dispose pas d’éléments qui me permettraient de la confirmer.

M. Serge Letchimy, président de la commission. La SEPPIC a obtenu une autorisation valable un an à compter de 1972. Or vous ne mettez fin à la commercialisation du Képone qu’en 1977 : avez-vous entre-temps obtenu un ou plusieurs renouvellements de ladite autorisation ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne dispose pas d’informations à ce sujet, car nous ne disposons plus des dossiers d’homologation. Si j’en juge à partir du rapport de l’AFSSET de 2009, qui est public, une autorisation provisoire a été accordée en 1972. Elle a été prolongée en 1976 : j’imagine qu’à ce moment-là le produit était toujours autorisé : je ne dispose malheureusement pas d’autres éléments de réponse.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Je dispose de la même information, ce qui signifie qu’entre 1973 et 1976, des tonnes de Képone ont été déversées sans aucune autorisation, puisque l’autorisation provisoire de vente n’avait été accordée pour une durée d’un an : est-ce bien cela ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre analyse puisqu’en 1976, on parle de prolongation. Or si l’on en parle, cela signifie que l’autorisation était encore valide à ce moment-là, c’est-à-dire avant cette prolongation.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Avez-vous déjà vu un vide remplacer un plein ? Or en l’occurrence le vide représente trois années : si je vous donne le nombre de tonnes de Képone qui ont été déversées par hectare, vous allez mesurer l’importance des dégâts commis au cours de celles-ci pendant lesquelles vous avez continué à vendre ce produit.

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne dispose pas d’éléments permettant d’affirmer que la SEPPIC ait pu le vendre sans autorisation.

M. Serge Letchimy, président de la commission. Elle n’en disposait pas puisque l’autorisation provisoire de vente lui avait été donnée pour un an : par conséquent soit la SEPPIC est en faute, soit le ministre de l’agriculture l’est pour ne pas avoir fait son travail. J’essaie d’identifier la responsabilité de l’État : mon but n’est pas ici de mener une chasse aux sorcières, mais de dire la vérité.

Je vous demande de nous aider à l’établir : la SEPPIC a-t-elle obtenu le prolongement de l’autorisation provisoire de vente accordée en 1972 ? En d’autres termes a-t-elle poursuivi la commercialisation du produit entre 1973 et 1977 ? En outre, si vous avez  à ce moment-là  suspendu la commercialisation du produit, ce n’est qu’en raison de la pénurie : qui sait jusqu’à quand vous auriez continué à le vendre si celle-ci n’était pas survenue !

La SEPPIC a en outre déposé en 1981 une demande d’AMM en 1981 pour le Musalone : comprenez l’inquiétude qui est la nôtre en l’espèce quant à la capacité de l’État à protéger la population martiniquaise et guadeloupéenne et quant à l’inconscience collective qui a conduit à continuer d’utiliser un produit dit dangereux sans autorisation.

Or c’est 1977 que s’ouvre, avec la fermeture de l’usine de Hopewell, le débat — qui est ensuite devenu mondial – sur le chlordécone aux États-Unis. Partagez-vous mon avis selon lequel l’autorisation provisoire de vente portait sur une année – pas sur deux, trois ou quatre
– et qu’à son issue vous ne disposiez plus d’autorisation ?

M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général de la SEPPIC. Je ne dispose pas des compétences qui me permettraient de juger de ce point. Établir une responsabilité en la matière me semble du ressort de la commission d’enquête et, probablement, de la justice : je ne me permettrais donc pas de porter un jugement le concernant.

M. Serge Letchimy, président de la commission. J’invite la commission à bien noter cette faille qui constitue de mon point de vue l’un des éléments qui expliquent la haute responsabilité des commercialisateurs, des producteurs et, bien sûr, de l’État : en la matière, ce flou est très inquiétant.

M. François Pupponi. Dans votre métier, vous arrive-t-il régulièrement d’obtenir des autorisations pour un ou deux ans, de continuer à commercialiser les produits au-delà de cette période, puis d’obtenir a posteriori une régularisation de l’État ?

En l’espèce, l’autorisation avait été donnée pour un an ; le produit a continué à être commercialisé et, quand on s’est aperçu du problème, en 1976, l’autorisation a été prolongée a posteriori.

M. Alain Milius. À l’heure actuelle, comme l’a expliqué M. Dellon, nous ne commercialisons aucun produit nécessitant une autorisation de mise sur le marché, mais uniquement des excipients, substances inertes, qui sont de simples liants.

M. François Pupponi. Mais vous êtes de la partie, et pourriez donc nous indiquer si de telles procédures sont habituelles.

M. Alain Milius. Chez nos confrères ? Chez nous, clairement, non.

M. François Pupponi. Quel était le chiffre d’affaires lié à la vente de ce produit à l’époque, et quelle proportion cela représentait-il par rapport au chiffre d’affaires global ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je n’ai que des éléments de volume, pas de chiffre d’affaires, mais je pourrais revenir vers vous.

M. le président Serge Letchimy. Quel volume cela représentait-il ? Nous attendrons vos précisions sur le chiffre d’affaires.

M. Jean-Baptiste Dellon. Sur la période 1972-1977, sur la base des volumes prévisionnels communiqués au conseil d’administration, ainsi que de relevés de production – qui ne couvrent pas toute la période –, on estime que 100 à 150 tonnes de chlordécone ont été vendus.

M. le président Serge Letchimy. À qui les avez-vous vendues ?

M. Jean-Baptiste Dellon. D’après les éléments que nous avons pu retrouver, nous avons exclusivement vendu aux Antilles, par le biais des deux revendeurs précédemment cités, les établissements de Laguarigue et la société Autour.

M. le président Serge Letchimy. Comment s’alimentait l’Afrique ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je ne sais pas.

M. le président Serge Letchimy. Vous n’avez donc jamais vendu en Afrique, ou ailleurs ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Non, les éléments dont nous disposons nous laissent penser que nous n’y avons jamais vendu de Képone.

M. le président Serge Letchimy. Avez-vous des informations permettant d’affirmer que les établissements de Laguarigue ont commercialisé le produit directement au Cameroun et au Sénégal ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Non.

M. le président Serge Letchimy. En Ukraine ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Non.

M. le président Serge Letchimy. Dans le sud-est de la France ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Non.

M. le président Serge Letchimy. Mis à part en Martinique et en Guadeloupe, vous n’avez jamais vendu en France ?

M. Jean-Baptiste Dellon. À notre connaissance, non.

Mme Justine Benin, rapporteure. Étant donné que vous avez vendu le brevet, avez-vous encore des archives ou des informations concernant les autorisations ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je suis étonné par votre question car nous n’avons pas retrouvé de traces de brevet. SEPPIC n’a jamais eu de brevet sur le Képone – ce dernier, ainsi que la technologie, appartenaient à Allied Chemical. Je ne vois pas comment nous aurions pu revendre un brevet dont nous ne disposions pas.

M. le président Serge Letchimy. Mais de Laguarigue n’a-t-il pas racheté le brevet des Américains ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je n’ai aucune information. SEPPIC n’a jamais été propriétaire d’un brevet sur le Képone ou sur un produit contenant du chlordécone.

M. le président Serge Letchimy. Mais vous êtes tout de même informé que votre client a racheté le brevet à l’entreprise qui vous vendait le produit ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je n’avais pas cette information.

M. le président Serge Letchimy. Vous non, mais votre société ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je ne sais pas.

M. le président Serge Letchimy. Vous vendez le produit aux établissements de Laguarigue et à la société Autour après vous être approvisionné chez Allied Chemical en Virginie. De Laguarigue vous double, réussit à racheter le brevet et à demander une autorisation de mise sur le marché (AMM) en même temps que vous. Le même jour, en décembre 1981, avec deux dossiers « différents » – ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau –, vous obtenez une autorisation. Vous comprendrez que cela peut intéresser la justice. La commission d’enquête doit permettre la prise de conscience du flou incroyable qui a conduit au drame du chlordécone. Elle doit conduire tous les acteurs à assumer leurs responsabilités. Ce n’est certainement pas la faute du Président Macron ! Il a employé le bon terme : il s’agit bien d’un aveuglement collectif !

Mais il ne suffit pas de le dire, il faut le démontrer : un enchaînement grave d’éléments a conduit à la catastrophe que l’on connaît. C’est pourquoi je souhaite que l’on épluche tous les documents. Nous avons déjà suffisamment d’éléments pour démontrer la responsabilité de l’État, des fournisseurs et, certainement, des organisations interprofessionnelles.

Pourriez-vous me répondre ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je n’ai pas d’éléments pour vous répondre concernant les liens entre SEPPIC et de Laguarigue entre 1977 et 1981 – après l’arrêt de la commercialisation du Képone par SEPPIC – et les contacts entre les deux entreprises au sujet des demandes concomitantes d’autorisation pour le Musalone et le Curlone.

SEPPIC a définitivement arrêté de commercialiser le Képone en 1977. En outre, à ma connaissance, entre 1972 et 1977, SEPPIC n’a vendu du Képone qu’avec une autorisation.

M. le président Serge Letchimy. Non, il n’a pas toujours eu d’autorisation – vous n’en avez bénéficié que pendant une année.

M. Jean-Baptiste Dellon. Ce n’est pas forcément mon point de vue. Mais je ne suis pas en mesure de trancher. Même si SEPPIC a eu une autorisation pour le Musalone le 1er décembre 1981, elle n’a jamais été exploitée : l’entreprise n’a jamais vendu de Képone, de copies de ce dernier ou de Musalone, et le 31 décembre – un mois plus tard –, SEPPIC s’est totalement désengagé de cette activité.

Mme Justine Benin, rapporteure. Vous indiquez que vous n’avez jamais eu le brevet, mais qu’en est-il de la licence d’utilisation ? En aviez-vous une ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Malheureusement, je ne dispose pas des contrats entre SEPPIC et Allied Chemical. Nous avions probablement un contrat de fourniture. Je ne sais pas dans quelle mesure le brevet de 1952 était encore exploitable – après vingt ans, on bascule dans le domaine public. Je ne saurai donc pas répondre à votre question.

Mme Justine Benin, rapporteure. Si je résume : vous n’aviez pas de brevet, vous n’aviez pas de licence d’utilisation et vous ne pouvez pas nous en dire davantage.

M. Jean-Baptiste Dellon. Pour être précis, nous n’avions pas de brevet, je ne sais pas si nous avions une licence d’utilisation et quelle était la forme du contrat, puisque nous ne disposons pas de ces documents. Effectivement, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus car je n’ai pas accès aux éléments.

M. le président Serge Letchimy. L’administration de l’Assemblée nationale va écrire à DuPont de Nemours afin de disposer de toutes les archives. Vous confirmez que vous n’avez plus aucune archive ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Je déclare officiellement que notre division agricole a été cédée à DuPont de Nemours fin 1981. Cette cession couvrait un site de production, des bureaux, des succursales commerciales et tous les dossiers et contrats relatifs à cette activité, ainsi que le personnel. En conséquence, les contrats, les dossiers d’homologation, les dossiers techniques relatifs au Képone ont été transférés à DuPont de Nemours. Nous n’en disposons plus.

Mme Justine Benin, rapporteure. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur la pollution au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique et sur son impact sanitaire, écologique et économique ? Pensez-vous qu’une telle pollution pourrait à nouveau se produire ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Pour être honnête, je suis surpris qu’une telle pollution ait pu se produire aussi récemment. J’espère que cela ne serait plus possible aujourd’hui.

M. François Pupponi. Vous êtes surpris mais, selon vous, comment cela a-t-il pu se produire ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Ce n’est pas à moi de faire cette analyse. La commission y travaille, et une information judiciaire est en cours. C’est à la commission d’enquête et à la justice d’établir les responsabilités et les éventuelles fautes. Je ne souhaite pas me substituer à vous, ni à la justice.

M. le président Serge Letchimy. De quoi êtes-vous surpris ? Du fonctionnement des autorisations ? Des modalités de mise sur le marché du produit ? C’est honnête de le reconnaître.

M. Jean-Baptiste Dellon. Je suis surpris de ce qui s’est passé et que cela ait pu se passer, mais je ne dispose pas de tous les éléments du dossier et ne suis donc pas en mesure d’aller au-delà.

M. François Pupponi. Je comprends que vous soyez prudent dans vos propos, compte tenu des instructions judiciaires en cours. Mais je n’imagine pas qu’une entreprise comme la vôtre – ce n’est pas vous personnellement qui êtes visé – confrontée à une pollution et un accident industriel majeurs, n’ait pas effectué une analyse de la situation pour éviter que cela ne se renouvelle. N’avez-vous pas mis en place de nouveaux process ? N’avez-vous effectué aucun retour d’expérience ?

M. Jean-Baptiste Dellon. Toute entreprise ou agent économique est responsable des produits ou des services qu’il commercialise. SEPPIC, comme toute entreprise, exerce sa responsabilité dans un périmètre légal et réglementaire. Pendant la période de commercialisation du Képone, SEPPIC a respecté cet environnement légal et réglementaire. En conséquence, de ce point de vue, SEPPIC a agi de manière responsable.

M. François Pupponi. Juridiquement, peut-être…

M. le président Serge Letchimy. En 1981, avez-vous fourni des éléments aux établissements de Laguarigue ? Apparemment, ces derniers ont obtenu leur autorisation à partir du dossier de SEPPIC.

M. Jean-Baptiste Dellon. Nous n’avons pas d’élément allant dans ce sens. Je ne peux donc pas le confirmer s’il y a eu des contacts entre SEPPIC et de Laguarigue avant 1981 et quelle était la nature de ces derniers.

M. le président Serge Letchimy. Évidemment, il y a eu des contacts.

M. Jean-Baptiste Dellon. Mais concernant le montage et la présentation du dossier, je ne sais pas. Nous n’avons pas trouvé d’éléments dans nos archives.

M. le président Serge Letchimy. Pour résumer, je vous remercie de nous envoyer tous les éléments dont vous disposez – masses financières, chiffre d’affaires, traces d’archives de la période allant de 1972 à 1981. Nous allons écrire à DuPont de Nemours pour obtenir leurs archives. Les faits sont déjà préétablis ; reste à les fixer afin de faire la démonstration des responsabilités de chacun.

Je vous remercie.

 

 

La réunion sachève à dix heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission denquête sur limpact économique, sanitaire et environnemental de lutilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités dune indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

 

Réunion du mercredi 25 septembre 2019 à 9 h 45

Présents.  Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Charlotte Lecocq, M. Serge Letchimy, M. François Pupponi, Mme Nicole Sanquer

Excusé.  Mme Véronique Louwagie