Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

– Audition de Mme Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne (université Paris-1 Panthéon-Sorbonne), Mme Alexandra Leclère, docteure en droit privé, élève avocate à l’ERAGE (École régionale des avocats du Grand Est), et M. Emmanuel Terrier, maître de conférences HDR, directeur du Master I Management Stratégique des Organisations Sanitaires, (MOMA) et co-directeur du DU Droit & Santé, Faculté de droit à l’université de Montpellier               2

 Présences en réunion...................................26

 


Lundi
2 septembre 2019

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 17

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Lundi 2 septembre 2019

La réunion débute à dix-huit heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à l’audition de Mme Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne (université Paris-1 Panthéon-Sorbonne), Mme Alexandra Leclère, docteure en droit privé, élève avocate à l’ERAGE (École régionale des avocats du Grand Est), et M. Emmanuel Terrier, maître de conférences HDR, directeur du Master I Management Stratégique des Organisations Sanitaires, (MOMA) et co-directeur du DU Droit & Santé, Faculté de droit à l’université de Montpellier.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. La commission va se concentrer sur les questions relatives à l’accès aux origines. D’autres sujets pourront néanmoins être abordés. Nous accueillons Mme Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne, Mme Alexandra Leclère, docteure en droit privé, élève avocate à l’école régionale des avocats du Grand-Est (ERAGE), M. Emmanuel Terrier, maître de conférences HDR (habilitation à diriger des recherches), directeur du master management stratégique des organisations sanitaires et codirecteur du diplôme universitaire droit et santé de l’université de Montpellier.

L’article 3 du projet de loi prévoit que les personnes nées d’assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur auront à leur majorité la possibilité, sans condition, d’accéder aux informations non identifiantes relatives au tiers donneur ainsi qu’à l’identité de celui-ci. Il prévoit aussi un dispositif adapté pour les donneurs et les personnes nées de don qui ne relèveraient pas du régime futur. Cet article pose donc la question des limites des libertés respectives du donneur et de la personne née de son don. Cette question est bien sûr philosophique, mais doit aussi être posée en termes juridiques.

Vous nous avez aimablement transmis une contribution, ce dont je vous remercie. Chacun d’entre vous aura la parole durant cinq minutes, puis les rapporteurs et mes collègues pourront vous poser des questions.

M. Emmanuel Terrier, maître de conférences HDR, directeur du master I management stratégique des organisations sanitaires (Moma) et codirecteur du DU droit et santé, faculté de droit à l’université de Montpellier. J’ai abordé la thématique très générale des articles 3 et 4 et pas uniquement l’hypothèse de l’accès aux origines, et somme toute les éléments sont liés. L’on peut difficilement détacher la question de l’accès aux origines de celle de l'AMP, voire de la gestation pour autrui (GPA), et d’autres problématiques connexes, notamment l’accouchement sous X.

Le juriste est ennuyé par une situation qui présente pour lui une ambiguïté et un paradoxe : la confrontation de principes de droit d’égale valeur, mais contradictoires. Une opposition classique existe entre, d’une part, la vérité juridique et d’autre part la vérité scientifique. Il semble paradoxal de les opposer, car c’est in fine la recherche de la vérité qui compte ici. Or la vérité scientifique n’est pas forcément celle que privilégie classiquement le droit. Le droit a toujours voulu mettre en avant une vérité sociologique, une vérité humaine, une vérité d’équité, une vérité sociale, et il se désintéresse en fait de la vérité de la science.

En matière de famille, par exemple, on a toujours fait prévaloir la présomption pater is est, c’est-à-dire « le père sera le mari » de la mère. On a mis en place un établissement social de la filiation, par ce que l’on appelle la « possession d’état », au détriment de la vérité scientifique.

Aujourd’hui, la science écrase par sa présence la vérité juridique. Nous essayons parfois de la limiter sur notre sol français, mais elle existe à l’étranger. À ce jour, près de trois millions de personnes ont recours à des tests génétiques, et ce n’est qu’un début. Ces tests étaient inabordables, ils deviennent extrêmement accessibles. Même si le droit n’a jamais voulu mettre en avant la vérité scientifique, il est confronté à cette réalité. Les journaux en font régulièrement état. Que faire ? Devons-nous rester accrochés à nos vieux principes de droit romain du pater is est, des présomptions ? Le droit est capable d’évoluer. Sinon, nous en serions toujours à plonger les gens dans la Seine pour savoir s’ils ont juridiquement raison ou tort. On les ferait battre sur le parvis de Notre-Dame pour savoir si Dieu est de leur côté ou non…

En matière de preuves scientifiques, il existe une réalité, qui est admise. Faut-il l’admettre en matière de parentalité, de famille et de vie privée ? J’évoquais une question de paradoxe. C’est l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que l’on peut résumer par : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. » L’anonymat est un principe fondamental. C’est un principe reconnu dans beaucoup de pays de droit. C’est un avatar de la notion de la dignité de la personne humaine. Il est rattaché au secret professionnel. Il est considéré comme un principe absolu qui ne connaît d’exception que la nécessité thérapeutique. Le Conseil d’État le rappelle : il est rattaché à la vie privée, tant celle du donneur que celle des ayants droit. Il l’a rappelé en 2015, puis le 28 décembre 2017. C’est un principe essentiel pour lui. Faut-il le lever ? D’autres pays ont accepté cette idée : l’Autriche, la Suisse, la Grande-Bretagne.

Nous évoquerons ici un autre élément : la position du droit sur l’accès aux origines, mais également les principes attachés à cette notion. Nous allons mettre en avant des éléments tels que la position de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), et en particulier l’article 8, qui prône le droit à une vie privée et familiale normale. Deux principes d’égale valeur s’opposent donc ici. En un sens, il vous appartient de choisir celui que vous souhaitez mettre en avant. La CEDH est un peu notre censeur. Nous savons que la Cour sanctionnera le non-respect par notre droit de cette convention à laquelle nous avons adhéré et à laquelle nous nous tenons.

La CEDH a une position assez ambiguë, qu’elle a posée dans l’affaire Odièvre c. France en 2003 et qu’elle a rappelée en 2012. Elle détache de la notion d’anonymat deux principes. Elle écarte l’application du droit à la vie familiale pour valider la levée du secret. Dans l’hypothèse d’un enfant qui serait né d’une AMP avec tiers donneur, elle considère ainsi que la famille est constituée par les parents d’intention, même si seul l’un d’entre eux est biologique ou même si les deux ne le sont pas. Par conséquent, le requérant ou la requérante qui voudrait demander l’accès à ses origines ne pourra pas se prévaloir du droit à la vie familiale, en ce que sa famille est constituée avec les parents d’intention, pas forcément biologiques.

Mais le paradoxe réapparaît, puisque, si elle écarte l’application du principe du droit à une vie familiale prévu par l’article 8, la Cour reconnaît en revanche que le droit à l’accès aux origines peut se déduire du droit à la vie privée prévu par ce même article 8. Dans l’intimité de la personne, il est ainsi logique et essentiel que celle-ci puisse avoir accès à ses origines.

Je ne vais pas entrer dans l’analyse ou la critique de ces décisions. Il me semble que l’argument fondé sur le rejet de l’accès aux origines au motif qu’il n’entre pas dans le champ de la vie familiale est un peu étroit. À mon sens, la famille n’est pas uniquement constituée de la première génération, mais peut remonter aux générations antérieures. Quand on évoque l’idée que ce secret peut être levé pour motif thérapeutique, cela montre qu’il peut y avoir des raisons essentielles – telles que la santé – qui justifieraient qu’on le lève.

J’ai évoqué le cadre général, des pistes, des questionnements et je pense que nous en aurons ensemble.

Mme Alexandra Leclère, docteure en droit privé, élève avocate à l’école régionale des avocats du Grand-Est (ERAGE). Les dispositions de l’article 3 du projet de loi ne se heurtent en aucun cas aux dispositions constitutionnelles ou conventionnelles. La CEDH juge que le droit à une vie privée et familiale, garanti par le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, comprend notamment la faculté d’établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut le droit à connaître ses origines. Plus précisément, les dispositions de l’article 3 font incontestablement référence au principe absolu de l’anonymat du donneur, qui prévaut depuis les premières lois bioéthiques de 1994.

L’élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ne peut être envisagé sans que se pose la question de la place du donneur de gamètes. La levée de son anonymat s’accompagne toujours en effet d’une double exigence : sécuriser la filiation vis‑à‑vis des parents d’intention et protéger le donneur contre toute action en vue de lui faire endosser la paternité de l’enfant. Toute la difficulté consiste à trouver un juste équilibre entre le respect du droit d’accès aux origines pour les enfants nés d’un don et le respect du droit à l’anonymat du tiers donneur.

L’article 3 pose l’arrêt de l’anonymat du donneur en des termes nouveaux. Il s’oriente toujours vers le respect du principe d’anonymat du don, par l’article 16-8 du code civil, mais ce principe demeure garanti entre donneur et receveur au moment du don. Seul l’enfant est titulaire du droit d’accéder à ses origines et susceptible de l’exercer s’il le souhaite, à sa majorité. La question de l’accès aux origines et de ses modalités implique également de parvenir à un juste équilibre entre :

– le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, lequel pourrait impliquer le fait d’être en mesure d’accéder à certaines informations sur le donneur ;

– le droit au respect de la vie privée et familiale du donneur et de la famille de l’enfant issu du don ;

– le maintien d’une quantité suffisante de dons de gamètes.

De surcroît, l’article 3 du projet de loi veille en un sens à maintenir l’impossibilité de tout lien de filiation entre le donneur et l’enfant. Le tiers géniteur est ainsi inscrit dans un statut non filiatif. De même, cet article, qui ouvre l’accès à l’identité du donneur à la majorité de l’enfant, repose sur un consentement irrévocable de nature à sécuriser l’enfant, qui saura qu’à sa majorité il pourra, s’il le souhaite, connaître l’identité du donneur.

En revanche, ce même caractère irrévocable du consentement requis au moment du don peut décourager les donneurs ou avoir un impact difficile à anticiper sur les dons de gamètes. En Suède, en Australie, en Finlande et au Royaume-Uni, l’ouverture d’un tel droit a conduit à une baisse ponctuelle des dons. Une augmentation de ceux-ci a eu lieu quelques mois ou années plus tard ; elle est estimée à 6 % pour la Suède et 100 % pour le Royaume-Uni, mais un risque demeure.

L’article 3 du projet de loi, qui subordonne l’accès à l’identité du donneur à un accord de celui-ci – avant même qu’il ne soit procédé au don – permet toutefois au donneur d’exprimer un consentement libre et éclairé sur les conséquences futures de ce don. Il préserve donc son droit au respect de la vie privée et familiale. En revanche, une telle solution conduit à soumettre l’enfant à une inégalité. Ainsi, certains enfants issus de don auront accès à l’identité de leur donneur, d’autres non, alors même que les problèmes d’identité souvent rencontrés au cours de l’adolescence peuvent rendre cette quête nécessaire.

De nombreux pays – comme la Suisse, l’Autriche, l’Australie ou encore la Norvège – ont réformé leur droit pour permettre aux enfants conçus par don d’accéder à leurs origines, et je pense que la France doit rejoindre ces pays qui ont su accompagner le changement social et donner la priorité au droit de l’enfant.

Mme Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne (université Paris-1 Panthéon-Sorbonne). Je me réjouis d’avoir appréhendé le sujet à l’envers, et d’être partie non pas de l’article 3, mais de l’article 4. Il me semble que l’on ne peut pas discuter de l’un sans l’autre. Cependant, je m’étonne de la confusion qui est faite entre les deux sujets, puisqu’il ne me semble pas possible de rabattre l’un sur l’autre. Tout d’abord, l’on ne doit pas confondre filiation et origine. Je voudrais maintenant souligner les aspects très positifs du projet de loi.

La confusion entre l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes et l’accès aux origines s’est en particulier cristallisée autour de la proposition du rapport de M. Touraine de créer un nouveau mode d’établissement de la filiation, exclusivement réservé aux enfants nés d’un don de gamètes. Il a en effet été proposé que tous les parents fassent une déclaration commune anticipée avant la conception de l’enfant. Elle établirait la filiation à l’égard des deux parents, à l’égard des deux mères ou éventuellement à l’égard de la mère seule dans le cas d’une maternité en solo. L’objectif était justement de forcer les personnes ayant recours à un don à révéler à l’enfant son mode de conception, puisque cette déclaration commune anticipée aurait été reportée sur l’acte de naissance et aurait donc été lisible. Je pense que cela fait partie des débats délicats aujourd’hui. On peut avoir une discussion sur la publicité des actes de l’état civil, mais à ce jour elle est beaucoup plus large que ce que l’on imagine. En tout cas, cette déclaration commune anticipée a été écartée par le Conseil d’État, qui a été suivi par le gouvernement sur cette question.

Le Conseil d’État a considéré que le moment et les modalités de la discussion entre parents et enfants sur le recours au don doivent rester de la responsabilité des familles, en fonction de l’histoire particulière de chacun. Le Conseil d’État a finalement limité, réservé, la déclaration anticipée aux seuls couples de femmes ayant recours à une AMP avec don. En conséquence, ces femmes – qui ne vont jamais mentir, qui ne peuvent pas mentir – seront contraintes de faire établir devant notaire, donc en payant, un acte prouvant qu’elles s’engagent à être parent. Et, selon la logique de cette déclaration, à la naissance de l’enfant, la déclaration sera produite à l’officier d’état civil, et elle sera mentionnée comme telle sur l’acte de naissance, afin d’établir la double filiation.

Pour être limitée dans son domaine d’application, la solution qui est ainsi proposée dans le projet de loi me paraît confondre tout autant la filiation juridique et les origines biologiques. Elle permet certes de préserver l’intimité des familles hétérosexuelles d’une trop forte immixtion de l’État, mais il me semble qu’elle encourt la même critique en amalgamant ce qui relève de l’état civil et ce qui relève du dossier médical. C’est de plus une façon de stigmatiser les familles lesbiennes.

En prolongeant les propos de M. Terrier, je voudrais dire que la filiation et la vérité biologique ne se superposent pas. La filiation et la vraisemblance biologique ne se superposent pas. Le droit ne les a jamais superposées. La filiation est une construction, une institution, une convention. Dans les traités de droit civil de 1804 comme de 1904, on peut lire qu’une personne peut avoir une filiation contraire à la réalité des choses, comme le disaient les doyens Planiol et Ripert en 1923.

À quoi sert la filiation ? Pourquoi avons-nous besoin de nous rattacher des enfants ? Il faut bien sûr les identifier : c’est la fonction de police de l’état civil. Mais on a surtout besoin de désigner et d’identifier les personnes qui vont être responsables de l’enfant, qui vont devoir l’éduquer, qui vont avoir la charge financière de cet enfant, qui exerceront sur lui une autorité, qui lui transmettront un patrimoine, et envers lesquelles les enfants auront des devoirs. L’acte de naissance sert ainsi à identifier l’enfant à partir de ceux qui se déclarent en être les auteurs et surtout les responsables.

La filiation juridique institue des liens juridiques : des droits et des devoirs. Mais elle ne dit jamais rien de la conception. Elle n’indique jamais le mode de procréation. Et l’adoption ne fait pas exception. Si un enfant est adopté et que le jugement d’adoption fait l’objet d’une mention marginale sur l’acte de naissance, cela ne nous dit rien de son mode de conception. Cela nous dit seulement que l’État a assumé cette circulation d’un enfant entre une famille ou un statut de pupille de l’État et une autre famille. On ne sait pas comment la femme ou les parents qui ont laissé cet enfant à l’aide sociale à l’enfance (ASE) l’ont conçu. Jamais l’acte de naissance ne s’intéresse au mode de conception de l’enfant.

Aujourd’hui, l’empire du biologique a pris une place considérable. Cela pèse, mais cela ne pèse que dans les procès en filiation. Il ne faut pas confondre les modes extrajudiciaires d’établissement de la filiation, qui servent à 99 % des enfants, et les modes de preuve dans les conflits relatifs à la filiation. Depuis 1804 et jusqu’à aujourd’hui, les modes d’établissement de la filiation reposent donc sur la volonté, sur l’engagement. C’est évident pour la reconnaissance. Un homme peut aujourd’hui reconnaître un enfant même si tout le monde sait que ce n’est pas le géniteur, et on ne lui demandera rien. Même s’il a 70 ans, il pourra reconnaître un enfant qui vient de naître, on ne lui demandera aucun test génétique.

La possession d’état est un autre mode d’établissement de la filiation. Ce qui importe, c’est la façon dont les personnes se sont engagées par rapport à un enfant. Néanmoins – Ambroise Colin l’a théorisé de manière très nette en 1902 – la présomption de paternité ne repose pas seulement sur l’idée que les conjoints vont être fidèles et vivent ensemble, mais sur l’idée que, lorsque les parents se marient, l’homme s’engage à prendre pour enfants les enfants qui sortiront du ventre de sa femme. C’est ainsi que le droit romain le concevait. Et nous n’y avons rien changé. La présomption d’engagement a donc lieu bien avant la conception. Il faut ainsi revenir au sens de nos outils juridiques, parce que leur base est beaucoup plus large que ce que l’on voudrait en dire.

Il me semble que l’on pourrait très aisément intégrer la filiation qui concerne les couples homosexuels dans le droit commun. La preuve que l’on n’a aucun problème pour intégrer la filiation avec don de gamètes, c’est qu’en 1994, lorsque le législateur a introduit des dispositions sur le don de gamètes pour des couples hétérosexuels, il les a placées dans le titre VII, dans les articles 311-19 et 311-20. Il n’a pas été nécessaire de créer un nouveau titre. On a considéré que ces modes d’établissement étaient suffisamment larges, fondés sur l’engagement, pour recevoir ces nouvelles familles.

Je ne vois pas ce qui empêche d’étendre aux couples de femmes les dispositions actuelles sur l’AMP dans ce que l’on appelle le « droit commun ». Est-ce la vraisemblance biologique ? Je pourrais alors vous fournir toute une liste de jurisprudence où l’on voit que les juges ont pris des libertés incroyables, au XIXe, mais aussi au XXe siècle, avec la vraisemblance biologique. Des enfants ont par exemple eu deux pères : un par possession d’état et un par titre. Jamais les juges ne se sont limités à cette idée que la filiation relevait du biologique, et en cela ils ont heureusement respecté l’esprit de la loi.

Il me semble que l’on peut aujourd’hui facilement intégrer la filiation des couples de femmes et des femmes seules dans le droit commun. Et cette solution ne ferait absolument pas obstacle aux cas de femmes qui seraient obligées de partir à l’étranger parce que l’on redoute une pénurie de gamètes. Via la possession d’état, il existe aussi la possibilité de régulariser les situations de femmes qui ont eu des enfants avant de pouvoir être mariées et qui se sont séparées.

Je trouve que le projet tel qu’il est rédigé réalise une assez bonne conciliation entre les droits des donneurs, des parents – si l’on revient au droit commun – et des enfants. Dès lors que la filiation ne dit rien du mode de conception, il relève de la liberté et de la responsabilité des parents d’informer l’enfant, et il faut les y encourager. Et, une fois que l’enfant sait, il faut qu’il puisse avoir accès à des éléments identifiants ou non identifiants sur son géniteur. L’Europe a rendu une recommandation au titre éloquent : « Trouver un équilibre entre le droit des parents, des donneurs et des enfants ».

Cela signifie que, pour ce qui est des parents, il faut les encourager à dire, mais il ne faut pas prendre des mesures coercitives pour les obliger à le faire. Pour le donneur, cela signifie qu’il ne doit donner que s’il accepte à l’avance, comme condition du don, de pouvoir être connu dix-huit, vingt, trente ou quarante ans plus tard. Et il est très important qu’il n’y ait pas de rétroactivité de la loi. Le projet prend une très bonne initiative en reprenant les dispositions qui ont été appliquées en Angleterre, où est mis en place un registre ouvert basé sur le volontariat. S’il y a des campagnes de sensibilisation, peut-être que des donneurs « ancien régime » accepteront de s’inscrire dans ce registre et de décliner ainsi leur identité, comme l’ont fait certains en Angleterre.

Si l’on veut arriver à un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants, pour l’enfant qui a un doute, qui ne sait pas, qui fantasme, qui se demande comment il est né, l’étude d’impact dit très clairement qu’il pourra interroger cette commission d’accès aux données identifiantes et non identifiantes que vous allez créer. Dans le projet de loi, ce n’est pas clair du tout. Il me semble pourtant que c’est un point très important. Des associations ont dit qu’il faudrait créer un registre pour pouvoir savoir si l’on est né ou non d’un don. Il me semble que vous l’avez inclus, mais, dans l’état actuel de la rédaction, ce n’est pas du tout clair. Cet élément rehausserait pourtant de manière très significative le droit de l’individu à connaître ses origines. Si vous modifiez le projet et acceptez un retour au droit commun, dont les modalités pourraient être discutées, la seconde partie – c’est-à-dire l’article 3 – me paraît une très bonne chose.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vous remercie toutes et tous de venir alimenter notre réflexion, qui se veut la plus consciencieuse possible dans les délais qui nous sont impartis. Nous avons entendu à plusieurs reprises qu’il était important de déconnecter filiation et origine. J’entends votre appel à préférer le régime de filiation de droit commun. Mais visez-vous les dispositions générales du titre VII ou les dispositions de la section déjà consacrée à la procréation médicalement assistée (PMA), auxquelles viendraient hypothétiquement se rattacher une forme de reconnaissance ou une autre ?

En ce qui concerne l’empire de la biologie, de la preuve scientifique, vous nous dites que l’interprétation « biologique » du titre VII est due à une certaine prolifération du mode de preuve biologique ces dernières décennies. Et il ne faut pas confondre un mode de preuve avec le fondement d’un droit et l’établissement d’un droit. La confusion de ces dernières années est due à l’apparition des tests génétiques. Il faut donc maintenir la distinction entre ce que le droit veut instituer comme lien de vérité, de responsabilité entre un enfant et un ou deux adultes – qui deviendront ses parents du fait de cette responsabilité – et les éventuels modes de contestation en justice de cette responsabilité.

Je vous remercie de votre explication très claire sur l’article 8 de la CEDH. On aurait ainsi d’un côté, pour les parents, le droit au respect de la vie familiale qui permet de préserver le secret et le moment qu’ils choisiraient pour révéler ou non le mode de conception de l’enfant, et, de l’autre côté, pour l’enfant, le droit à connaître ses origines, le droit à l’identité, au nom du respect du droit à la vie privée. Comment pouvez-vous nous aider à bien positionner le curseur en ce qui concerne l’immixtion de l’État dans la relation familiale entre le parent et l’enfant, pour que celui-ci puisse un jour avoir accès à son identité ?

Nous avons entendu les associations, l’ordre des médecins, les psychanalystes nous dire : « Tous les couples où il n’y a pas de gêne pour révéler le mode de conception le révéleront. On n’a pas besoin de texte pour que les gens le révèlent. » La question se pose pour ceux où il y aurait encore une gêne, peut-être du fait d’une culture du secret qui a duré longtemps – et qui changera, nous l’espérons. Dans ce cas, est-ce que l’enfant sera seulement en mesure de se demander s’il peut interroger l’Agence de la biomédecine ?

Je pense que la rédaction de l’article 3 peut être améliorée, sur le fait que l’Agence ou la commission statue ou qu’elle assure la réponse à demande, etc.

Certains ont souhaité que le donneur consente au moment du don et que l’on réévalue son consentement au moment où un enfant voudrait faire valoir son droit à l’identité ; le donneur aurait ainsi la faculté de changer d’avis. Pensez-vous que ce soit une bonne chose ou que cela créerait une distorsion, ce qui n’est pas souhaitable pour l’équité entre les enfants ?

Mme Laurence Brunet. Sur la question du mode de preuve et de l’établissement d’un droit, il me paraît capital de bien distinguer ce qui se passe dans le prétoire de ce qui se passe dans la vie commune, qui concerne 99 % des personnes. Il ne faut pas diaboliser l’expertise génétique. Elle n’est pas issue que des progrès de la science, elle est venue en soutien des enfants naturels, et cela me semble très important. Pendant très longtemps, ces enfants n’avaient pas de filiation, et c’est l’ouverture de l’accès en recherche de paternité, en 1942, qui a entraîné l’ouverture de l’examen comparé des sangs. Je ne suis pas là pour dire que la biologie écrase le droit, je crois qu’elle a parfois tendance à ne plus laisser respirer ce qu’est la filiation.

En même temps, je suis la première à dire que l’accès en recherche de paternité pour un enfant qui n’a pas de père est un recours très important. Mais il faut bien distinguer ce qui relève du contentieux, devant un juge – où il va falloir trancher un conflit et établir une filiation –, et ce qui ressortit aux processus habituels pour établir la filiation. Cela repose aujourd’hui exclusivement sur la volonté et c’est donc extensible.

Pour ce qui est de votre deuxième question, les options sont ouvertes : on pourrait modifier l’article 6-1 du code civil pour limiter son domaine d’application, en disant qu’il ne s’appliquera pas aux couples de femmes qui ont recours à une AMP dans les conditions – je cite de mémoire – de l’article L. 2141-2. On pourrait donc ouvrir tout le droit commun et placer les modifications nécessaires sous les articles 312, 315, 316 et 317 du code civil.

Par ailleurs, il vous reviendra de trancher – j’ai lu les rapports et j’ai conscience des réticences – la question de savoir s’il faudrait établir une présomption de comaternité. Si vraiment il y avait un blocage sur ce point – puisque l’on est encore dans le mythe d’une représentation de la filiation basée sur l’engendrement –, on pourrait alors opter pour une simple modification de l’article 311-20 qui n’ouvrirait par exemple que la reconnaissance.

En fin de compte, je veux dire que tous les outils sont largement extensibles et utilisables. Tout est possible et le droit ne pose pas de limites. On pourrait fort bien ouvrir une présomption de comaternité. Des pays dont le droit a été fondé sur le code civil français n’ont pas du tout eu les mêmes discussions que nous. J’ai beaucoup étudié le droit québécois et je connais bien le droit belge. Pour eux, il semblait évident que, si l’on admettait la famille homoparentale – c’est-à-dire par adoption ou par don de gamètes dans les couples de même sexe –,on accueillait nécessairement ces familles dans le droit commun. Il a bien sûr fallu faire des aménagements – comme en France, ces droits prévoient la présomption de paternité et la procédure de reconnaissance – mais ces dispositions figurent dans des articles généraux et ne font pas l’objet d’articles spécifiques sur l’AMP avec don de gamètes.

Belges et Québécois ont en tout cas à cœur de dire : « Nous prenons les dispositions qui existent pour les hétérosexuels, et nous les étendons aux couples de même sexe. » À ma connaissance, le code civil québécois a été modifié en 2005, le code civil belge en 2007 : il n’y a eu aucun problème, cela s’est bien passé. Et ces pays ne mentionnent pas sur l’acte de naissance le mode de procréation de l’enfant, puisque le Québec maintient l’anonymat et la Belgique dispose d’un système de double entrée : soit d’anonymat, soit de don dirigé. Ces pays, qui ont des législations très différentes sur la question de l’anonymat, se sont mis d’accord pour ouvrir le droit commun aux couples de même sexe.

M. Emmanuel Terrier. Je rejoins totalement ce qu’a dit Laurence Brunet sur le fait que le retour au droit commun – dans la mesure du possible – reste la solution la plus juste, la plus équitable, celle qui évite de morceler le droit, de rajouter une sédimentation à des textes qui sont déjà complexes. Rien ne vaut les bonnes vieilles règles simples applicables à tous. Nous vivons dans un monde où le droit est confus, difficile à comprendre, à expliquer et à mettre en œuvre. Si l’on peut appliquer à des situations nouvelles, en ajoutant des conditions (l’article 311-19, l’article 311-20), les règles qui président à l’établissement de la filiation en précisant dans quel cas ce ne sera pas possible, on garde le droit originel.

Vous nous avez posé une question très complexe, pour ne pas dire insoluble, avec cette notion de curseur. Il est vrai que mes propos parlant d’ambiguïté étaient eux-mêmes empreints d’ambiguïté. On évoque en effet le droit à la vie familiale puis on admet que ce n’est pas suffisant pour lever l’anonymat alors que le droit à la vie privée serait de nature à permettre cette levée de l’anonymat. Or, le même texte (l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) prône à la fois le respect de la vie privée et de la vie familiale. Il s’agit de situations complexes.

Où placer le curseur ? Les deux droits sont de même valeur, c’est le même texte. La Cour va donc faire valoir le principe de subsidiarité, en disant qu’il appartient à chaque État de décider s’il faut faire prévaloir le droit au respect de la vie privée ou, a contrario, mettre en avant le droit à la vie familiale. Je pense que nous disposons d’une certaine marge de manœuvre sur ce point.

Quant à savoir si l’enfant peut aller questionner la commission, c’est in fine tout l’enjeu de vos interrogations. Le système du double consentement ne me satisfait pas. J’aurais également tendance à m’accrocher aux vieux principes latins et à dire Electa una via, non datur recursus ad alteram : « Quand on a décidé une fois, on ne revient pas dessus. » Une question doit peut-être être retravaillée, relative à l’article L. 2143-2 à venir, concernant la faculté qu’a l’enfant d’accéder à des données non identifiables ou identifiables. À ce propos, je trouve que la question de la volonté du tiers donneur n’est pas suffisamment mise en avant. Ne faudrait-il pas mettre l’accent sur le fait que le tiers donneur va décider de permettre à l’enfant d’accéder aux données identifiantes ? Il faut bien mettre l’accent sur le fait que le tiers donneur consent à cet accès et qu’il ne peut revenir dessus.

Il nous a été demandé si le tiers donneur pourrait ultérieurement revenir sur sa décision : je réponds « non ». Je n’y suis vraiment pas favorable. En droit commun, on est sanctionné quand, après avoir donné son consentement au contrat – même s’il ne s’agit pas ici d’un contrat –, on retire sa volonté. On imagine le caractère déceptif que cela peut avoir pour l’enfant quand il sait qu’il y a potentiellement accès et qu’ultérieurement l’avis de la commission va être conditionné à une réitération de l’accord du donneur.

Que faire au décès du tiers donneur ? Je crois que cette question ne doit pas être débattue, car elle crée une insécurité juridique qui me semble pernicieuse, quand « on ne sait pas, on ne fait pas ».

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Sur la question du curseur, je voudrais rappeler que le droit n’est pas l’alpha et l’oméga de toute la vie sociale. Je pense qu’il y a les libertés, le choix des parents, l’éducation qu’ils dispensent, et à un moment donné il faut faire confiance. La loi a toujours une vertu pédagogique et elle va montrer à quel point l’accès à ces données est important. En donnant l’accès à des informations identifiantes ou non identifiantes, nous allons continuer ce que font déjà les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), où j’ai travaillé durant un certain nombre d’années.

Pour des raisons qui s’expliquent historiquement et parce que la France rechignait à admettre l’AMP avec don de gamètes, on a conseillé pendant des années – peut-être trop d’années – aux couples de ne rien dire. Les médecins avaient en effet à cœur qu’il n’y ait pas de concurrence fantasmée entre le donneur de gamètes et le père social, puisque c’est cette stérilité masculine qui se présentait le plus. Mais ils ont changé – du moins c’était le cas dans le CECOS où je travaillais. Je pense donc qu’il faut faire confiance aux praticiens. Au moment où les couples viennent, ils sont dans un désarroi important, ils sont fragiles : ils vont écouter attentivement ce qu’on leur dit. Si les CECOS disent aujourd’hui que le secret sur le mode de conception est délétère, je pense que leur parole a beaucoup d’importance, que la parole médicale a toujours beaucoup d’importance.

On pourrait aussi imaginer une autre manière d’informer les enfants sur leur mode de conception si les parents n’ont pas parlé. Le dossier médical peut être une réponse. C’est ce que Mme Marie Mesnil proposait dans sa thèse. Le dossier médical est beaucoup plus protecteur de la vie privée, il n’est jamais exposé aux regards des tiers. On peut imaginer des modalités dans lesquelles des parents accepteraient que ce secret soit levé. Dans un monde qui valorise la transparence, il faut faire confiance aux parents hétérosexuels et ne pas penser qu’ils sont des menteurs.

Ce n’est évidemment pas facile partout, il peut y avoir des réticences, surtout religieuses et confessionnelles, à révéler le recours au don. Les choses vont changer progressivement, on ne peut pas tout changer d’un coup. Mais répondre à ce besoin de l’enfant de savoir comment il est né, lui permettre ensuite d’avoir accès à ses origines sans limites – je suis également totalement opposée au double guichet – me semble être quelque chose de très pédagogique, très protecteur de l’intérêt de l’enfant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous êtes bien sévère avec le Conseil d’État en écrivant : « Pour reprendre la formule à la Ponce Pilate du Conseil d’État, si rien en droit n’impose au législateur d’ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules la possibilité d’accéder aux techniques d’AMP, rien n’impose de maintenir les conditions actuelles d’accès à l’AMP. » L’évolution est en train de se faire, et l’ensemble des femmes, qu’elles soient en couple ou isolées, auront au terme de cette loi accès à l’AMP, comme c’est déjà le cas dans beaucoup de pays. Et depuis tant d’années, on connaît l’évolution jusqu’à l’âge adulte des enfants nés d’AMP chez les couples de femmes comme chez les femmes seules dans ces pays. Nous voyons que tous vont remarquablement bien, sans aucune distinction quelle que soit la configuration de la famille. Nous ne sommes donc pas inquiets vis-à-vis de cette évolution, et nous le disons sans ambiguïté : cette évolution nous satisfait.

Toutefois, les solutions différentes que préconise le Conseil d’État pour les couples hétérosexuels, d’une part, et les couples homosexuels d’autre part nous embarrassent. Une loi qui est chargée de donner des droits, mais aussi une image identique aux uns et aux autres, serait quelque peu ternie par le fait que les conditions de filiation seraient différentes chez les uns et chez les autres. C’est un peu comme si nous avions imaginé à l’époque ouvrir le mariage homosexuel, mais avec une formulation très différente du mariage hétérosexuel. C’est d’ailleurs ce que certains nous proposaient : « Donnez-leur leurs droits, mais surtout pas le mot “mariage.” » Tout le reste pouvait être identique, mais il ne fallait pas employer le mot, puisque symboliquement il ne pouvait être qu’associé à l’hétérosexualité. Je ne voudrais pas que nous nous fassions enfermer dans le même dilemme.

Nous sommes également embarrassés par la déclaration sur la primauté des droits de l’enfant. Nous l’approuvons pleinement, mais elle est suivie dans la proposition du Conseil d’État par le choix de privilégier le désir de secret, qui concerne aujourd’hui 80 % des familles dans les couples hétérosexuels, contre l’intérêt de l’enfant qui est né du don. Si l’on veut que l’enfant puisse un jour accéder aux origines, son intérêt est d’être informé. Il ne risque pas d’accéder à quelque chose dont il n’est pas informé. Nous reconnaissons le travail approfondi qu’a réalisé le Conseil d’État, comme le Comité national d’éthique, mais il reste quelques contradictions, que nous voulons lever ensemble.

Monsieur Terrier, vous dites que la vérité scientifique écrase aujourd’hui la vérité juridique. J’ajoute que, sous l’influence des sciences humaines, et non plus des sciences dures, le désir de transparence progresse. La transparence dans le monde du XXIe siècle est indubitablement plus grande que celle du siècle précédent. Simultanément, on observe le recul de l’encouragement aux secrets de famille, souvent maintenant perçus comme délétères. Pendant de nombreuses années, les CECOS, qui avaient calqué le don de gamètes sur le don de sang, encourageaient au secret. C’est très bien qu’ils aient évolué depuis. Cette évolution dans les sciences humaines a été bénéfique à tous.

J’adhère également à l’objectif de ne pas créer de confusion entre les aspects juridiques de la procréation, de la filiation et de l’accès aux origines.

Vous penchez pour que le droit commun soit appliqué à tous. Quand nous en avons discuté avec la ministre de la Justice, elle nous a indiqué que, si l’on appliquait aux couples homosexuels la formulation du droit commun appliqué aux couples hétérosexuels, cela ne sécuriserait pas suffisamment la reconnaissance parentale, car cela pourrait ouvrir la voie à des contestations juridiques de la part d’autres possibles parents, comme un homme qui aurait eu des relations sexuelles avec la femme. Je vous laisse compléter, argumenter ou critiquer cette assertion, puisque je ne suis pas juriste. Mais j’écoute les différents juristes et il est intéressant de voir que comme les scientifiques qui savent se disputer, les juristes font largement aussi bien avec leurs propositions disparates.

En ce qui concerne la déclaration anticipée de volonté (DAV), je corrige un point que vous avez dit : il ne s’agit pas de forcer qui que ce soit. Une inscription – éventuellement formulée en termes sibyllins – sur l’acte de naissance ne va pas induire une révélation, a fortiori à un enfant, puisque cette mention est inaccessible avant l’âge de 18 ans.

En revanche, je m’élève en faux vis-à-vis d’une inscription sur le dossier médical partagé (DMP). Ce serait un coup de poing dans le visage de ces enfants la première fois qu’ils iraient consulter leur pédiatre. Il dirait tout de suite : « Ah, vous êtes né d’un don… » Autrement dit : « Les antécédents héréditaires de vos parents ne m’intéressent pas vraiment. Je préfère savoir qui est le donneur, pour savoir quelles maladies il avait. » L’enfant qui entendrait cela serait interloqué, si ses parents ne lui ont pas dit qu’il y a eu recours à un don. Il nous faut donc faire en sorte d’encourager les parents à le dire dans l’enfance, mais il ne faut pas une obligation brutale qui se substituerait au dialogue fécond entre parents et enfants. La révélation doit intervenir dans ce cadre.

J’aimerais aussi connaître votre avis sur les enfants nés de GPA à l’étranger. Le président de la République a indiqué qu’il nous fallait progresser. En effet, nous ne pouvons pas rester dans une situation où les droits des enfants sont différents selon les circonstances de leur conception. Ils ne sont pas responsables de leur mode de procréation. On peut être opposé à la GPA, mais en France rien n’interdit à un couple d’aller à l’étranger. Quand ils reviennent en France, les parents reconnus dans le pays de naissance ne sont pas systématiquement reconnus en France. Le père l’est, mais la mère doit entreprendre une longue procédure d’adoption. L’affaire Mennesson dure par exemple depuis près de vingt ans. Nous voyons bien que cette situation n’est pas tenable. Il nous faut trouver une solution.

Cela devrait devenir moins difficile, puisque, avec la création du beau nom de « mère » pour la seconde femme d’un couple homosexuel qui s’occupe d’un enfant, la mère n’est plus la femme qui accouche. Nous pouvons donc remettre les formules latines au stade du latin et créer une nouvelle formule pour dire que la mère n’est pas la femme qui accouche. C’est celle qui s’engage à tous les devoirs que représente la maternité.

Par ailleurs, j’aimerais savoir ce qu’il en est pour l’accès à leurs origines des enfants nés dans le secret, que l’on appelait « accouchement sous X ». Les demandes sont nombreuses ; un petit nombre vont jusqu’au Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP), beaucoup se perdent en route et un tout petit nombre de ces demandes amènent à retrouver les mères en question. La demande n’est pas moins légitime de la part de ces enfants. Comment y répondre ?

Avez-vous une idée des informations qu’il pourrait être opportun de délivrer aux enfants nés d’un don et qui vont attendre d’avoir 18 ans pour accéder à toutes les informations sur leurs origines, mais à qui l’on aura révélé à l’âge de 4 ans qu’un gentil monsieur a envoyé une graine, etc. ? Ces enfants ne vont pas attendre quatorze ans pour avoir réponse à leurs questions. Pensez-vous que l’on doit prévoir dans la loi un continuum entre le discours tenu dans la première enfance et l’accès complet aux origines à 18 ans ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur la réception d’ovocytes de la partenaire (ROPA). Pour schématiser, dans un couple de femmes homosexuelles, l’une apporte les ovocytes, l’autre apporte l’utérus. Les deux femmes contribuent ainsi encore plus étroitement à la naissance de l’enfant. Faut-il un mode de reconnaissance particulier dans ce cas-là ?

M. Emmanuel Terrier. Vos questions, vastes et essentielles, m’amènent à évoquer un thème que je souhaitais aborder. Cela m’apporte beaucoup de tristesse et en apportera à tous, mais il faut que nous prenions conscience que le droit français n’illumine plus le monde de sa lumière depuis des siècles. C’est affligeant pour quelqu’un qui a consacré sa vie au droit. Il existe une réalité : l’extranéité. C’est le caractère étranger, et ce qui est posé ici n’est pas forcément ce qui est le droit ailleurs. Habitant une région frontalière, je vois régulièrement des personnes qui vont à Gérone, à Barcelone : des jeunes femmes qui vont se faire inséminer là-bas en toute légalité. C’est une inégalité que vous êtes en train de pallier. Beaucoup de couples d’homosexuels hommes, mais probablement aussi davantage de couples hétérosexuels, ont recours à la GPA à l’étranger. Notre position juridique est globalement intenable sur ces questions.

Sur la GPA, la position du droit français depuis 1994 est inapplicable. L’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 31 mai 1991, rendu dans l’intérêt de la loi, dit : « La convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à porter, à concevoir un enfant pour le compte d’autrui est nulle. » C’est une sanction inapplicable. Et se positionner uniquement sur le terrain du contrat ne répond pas au caractère humain de la dimension de la GPA.

Tout ce qui s’est ensuivi s’appuie sur une jurisprudence de 1878, celle de la fraude de la princesse de Bauffremont, qui cherchait à divorcer. Et l’on dit : « Puisque vous avez fraudé, nous allons vous sanctionner. Et je prive l’enfant de la nationalité française, en violation des dispositions du code civil. » Mais le même code civil prévoit qu’un enfant né à l’étranger d’au moins un parent français est français. Cela constitue une contradiction absolue.

Quant à refuser la totalité des droits à l’autre parent, y compris et surtout lorsqu’il s’agit d’un couple hétérosexuel et que la mère qui n’a pas accouché est pourtant celle qui a donné les ovocytes, c’est un déni de la réalité. Nous avons été sanctionnés par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement des droits de succession. Quand Mme Mennesson décédera, ses filles seront taxées à 60 %, parce que c’est une parfaite étrangère pour elles, sauf à reconnaître d’autres droits, par l’adoption. Vous avez ouvert des portes, et je vous en sais gré. Il y en aura d’autres à ouvrir, peut-être pas tout de suite, mais ce sont des situations qui ne sont plus tenables.

J’ai dit que la science était écrasante par rapport au droit, mais ce n’est pas tant la science que l’être humain, la curiosité. Comment résister à la tentation de connaître ses origines en sachant qu’aux États-Unis ou en Inde on va bientôt me dire pour 20 ou 30 euros la totalité de ce que je veux savoir, sur mon risque d’alopécie, sur mes origines ethniques, sur mon père… ? Nous évoquions le fait que le droit avait toujours admis que la réalité sociologique suffisait, puisqu’il y a une différence entre la filiation et l’origine.

La position du Conseil d’État est admirable. Elle constitue une analyse juridique de très haut vol, mais il y a aussi la réalité : celle que nous impose le monde, celle que nous impose l’universalité d’un monde en connexion perpétuelle, avec des choses qui étaient inenvisageables du temps de Napoléon Bonaparte. Il va néanmoins falloir trancher le nœud gordien, il va falloir sortir de cette impasse, il va falloir décider. Je pense que notre droit commun dispose d’outils qui vont permettre de résoudre certaines difficultés. Pater is est, la présomption de paternité, peut tout simplement être une présomption élargie.

Il y a aussi des situations où les outils que nous avons posés, notamment vis-à-vis de la gestation pour autrui, ne sont pas du tout adaptés. Il va alors falloir sur le plan juridique, mais surtout sur le plan humain, apporter des modifications qui me paraissent indispensables.

Mme Laurence Brunet. La ministre de la Justice vous fait l’objection que le droit commun ne serait pas une sécurisation suffisante. Dans le cas d’un couple de femmes qui seraient en concurrence avec un homme, il faudrait savoir si celui-ci se prétendrait être le géniteur ou s’il serait le géniteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cela concerne les deux cas.

Mme Laurence Brunet. Lorsque l’on parle de droit commun, il s’agit de droit commun aménagé pour les couples qui ont eu recours à un don de gamètes. Ce droit est extrêmement protecteur, puisqu’il dit que la filiation est verrouillée, sauf si l’on prouve que l’enfant n’est pas né du don. Ainsi, pour un couple hétérosexuel, si l’on prouve que la femme a en fait eu une relation en dehors de son couple et que l’enfant n’est pas né d’un don anonyme, ce que confirmerait l’action en recherche de paternité, la filiation s’effondrera de la même façon. C’est évidemment prévu depuis 1994. C’est dans le texte actuel. Si l’on n’a pas eu recours à une AMP avec don de gamètes et qu’un homme prétend être le géniteur, c’est lui qui l’emportera de toute façon, qu’il s’agisse d’un couple de femmes ou d’un couple hétérosexuel.

En revanche, pour tout le reste, si l’on étendait le droit commun, ce serait à mon sens l’article 311-20. Ce serait donc ce droit commun aménagé, non dans sa version extracontentieuse – la présomption, la reconnaissance et éventuellement la possession d’état –, mais dans sa version contentieuse. En 1994, des contentieux avaient déjà eu lieu : des maris avaient désavoué les enfants nés d’un don de gamètes. On a verrouillé la filiation, et ce verrouillage est indispensable. La preuve biologique ne peut donc pas être produite en justice. DAV ou pas DAV, ce qui est important, c’est que le droit commun aménagé au don de gamètes nous permet de sécuriser au maximum la filiation de l’enfant. Personne, et pas même la conjointe ou la compagne, ne peut dire ensuite que l’enfant n’est pas le sien.

Pour les couples mariés, nous avons aujourd’hui la présomption de coparenté. Pour la femme non mariée, nous aurions la reconnaissance et un forçage possible de la reconnaissance. C’est ce qui est écrit dans l’article 320 : la possibilité de faire reconnaître en justice sur la base du consentement. Ce sera la base du consentement. Peut-être qu’au moment de l’établissement, dans la phase extracontentieuse, nous aurons besoin d’une preuve, que l’officier d’état civil vise le consentement des couples de femmes, mais c’est la seule chose. Les couples hétérosexuels qui ne voudront pas faire la DAV contourneront de toute façon la loi. Il y a des couples qui seront heurtés par cette mention sur l’acte de naissance.

Les couples hétérosexuels qui ne voudront pas de cette transparence imposée fragiliseront l’établissement de la filiation et préféreront cette fragilité – qui sera vraiment préjudiciable à l’enfant – au fait de montrer la déclaration commune anticipée de filiation et que ce soit écrit. Même si je comprends votre intention d’apporter une sécurité plus forte, un acte d’état civil est symbolique. Il traduit l’engagement de deux parents devant l’État disant qu’ils vont être les responsables de l’enfant. Je ne vois pas pourquoi la façon dont les personnes ont conçu l’enfant devrait figurer sur l’acte d’état civil.

Je partage les objections relatives à la mention dans le dossier médical. Des limites pourraient éventuellement être fixées par rapport à ce que l’on pourrait connaître et ne pas connaître. Peut-être que le pédiatre aurait intérêt à connaître la vérité, sans forcément que l’enfant le sache. Le pédiatre pourrait justement en parler avec l’enfant, avec les parents devant l’enfant. Je pense que les pédiatres doivent être partie prenante.

Je pensais au dossier médical, dans la mesure où cela peut être un outil plus souple et que l’on pourrait verrouiller à certains moments, mais je n’ai pas approfondi la question. Je ne suis en tout cas pas seule à le dire. Mme Amélie Dionisi-Peyrusse a écrit un très bon article au JCP (Juris-Classeur périodique) de juillet 2019, où elle explique que la question sera contournée par les couples hétérosexuels. En tant que juriste, peut-on proposer une solution en sachant qu’elle va heurter un certain nombre de nos concitoyens et que le droit sera contourné ? On sait que l’officier d’état civil ne demandera jamais leur déclaration aux couples hétérosexuels. Ils pourront donc toujours dire qu’ils ont conçu eux-mêmes l’enfant. Peut-on donc proposer en conscience un droit en sachant que certains – et un suffit – pourront le contourner ? Il me semble que cela pose un problème.

Quant à l’exposition de la vie privée, une réforme des actes de la vie civile pourrait être envisagée. En effet, quand on voit le décret de 2017 sur les copies intégrales de l’acte de naissance, j’ai des doutes quant à la réelle confidentialité des informations qui y sont transcrites. Un certain nombre d’officiers ministériels ont aujourd’hui accès à ces actes d’état civil. Les magistrats, les juges, les notaires en ont besoin puisque c’est le casier civil de la personne. On ne peut pas savoir si la personne est capable ou incapable si l’on n’a pas la copie intégrale de son acte de naissance. Ils voient ainsi des choses qui, selon moi, ne relèvent pas de leurs compétences. C’est une exposition violente pour les parents. Nous pourrions trouver d’autres modes d’accompagnement empêchant toute vision par des tiers qui n’ont pas à savoir comment les personnes ont eu leurs enfants. De toute façon, si c’est un couple de femmes, les gens le sauront et le diront. L’option du Conseil d’État est donc complètement inutile à mon sens.

Je partage vos interrogations sur le CNAOP et les enfants nés du secret. J’ai vu que le test génétique permet aujourd’hui de retrouver une mère qui a accouché sous X. La loi de 2002 a trouvé un système de conciliation parfait, qui a été validé par la CEDH dans l’affaire Odièvre. Je crois que le Planning familial est extrêmement soucieux de maintenir la possibilité d’accoucher sous X pour une femme. Sur ce sujet, il y a une impasse, c’est exact, et j’ai tendance à souhaiter que le CNAOP reste à part.

Je ne sais pas comment nous pouvons empêcher les tests génétiques sauvages. Je sais que des enfants nés sous X sont en train d’y recourir. Mais comment pouvons-nous l’encadrer ? Il faudrait probablement apporter un soutien aux mères de l’ombre. Peut-être faudrait-il que le CNAOP s’empare de ces questions. C’est un vrai sujet que vous n’avez pas traité. Il faudrait l’anticiper et essayer d’accompagner ces mères qui vont se retrouver dans des situations difficiles.

Il ne faut en tout cas pas confondre une mère dans une situation de détresse et à qui nous demandons aujourd’hui son avis avant de lever son secret, et un donneur de gamètes qui fait un don. Il me semble que l’on peut subordonner son don à la levée définitive de son anonymat.

M. Emmanuel Terrier. Je suis totalement en accord avec Laurence Brunet, notamment sur la question de l’accouchement sous X. Pour répondre à votre question sur l’accès aux informations, il y a effectivement un ensemble d’informations qu’il faut traiter à part, parce qu’elles sont toujours traitées à part : les données médicales. L’article 16-8-2 du code civil permet que l’anonymat soit levé pour des raisons thérapeutiques. L’adjectif « thérapeutique » se voit maintenant préférer l’adjectif « médical », qui est plus large et qui permet d’envisager des interventions qui n’ont pas de finalité thérapeutique – on parle parfois d’interventions « de complaisance » ; il peut s’agir de soins de confort. À mon avis, ces données doivent rester protégées.

Les données de santé sont hyperprotégées. Elles sont couvertes aujourd’hui par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Il faut donc de toute façon les traiter à part. Elles seront accessibles, les CECOS les conservent. Seuls les professionnels de santé pourront y avoir accès dans les conditions du code de la santé publique (articles L. 1111-7 et L. 1111-8). Je pense que ces données doivent rester entre professionnels, il ne me paraît pas légitime qu’elles soient plus facilement accessibles qu’aujourd’hui, où nous savons tout sur notre état de santé. Dans le projet de loi, la proposition d’accès à certaines informations me paraît créer un bon équilibre. Il est intéressant que ces données soient accessibles et portent sur toute une série d’éléments.

Je reste cependant très circonspect quant à la mention de la motivation du don, qui me paraît très ambiguë. Nous frôlons ici la violation de la vie privée, en voulant savoir quelles raisons ont amené telle ou telle personne à franchir un jour les portes du CECOS et à faire un don. Cela peut être lié à un deuil, à une réaction face à un événement douloureux, à des motifs religieux – c’est souvent le cas –, à des motifs sociologiques. Nous entrerions dans une sphère d’intimité qu’il ne me paraît pas légitime de sonder. Ce sont des questions qui relèvent plus de l’approche sociologique, intime, psychiatrique. La question avait déjà été soulevée lors du projet de révision des lois de bioéthique en 2011 et avait déjà été refusée à l’époque. Je reste donc réservé sur ce point.

Mme Laurence Brunet. Monsieur Touraine, je m’interrogeais sur l’âge auquel l’enfant pourrait accéder à des données identifiantes. Je pense à deux modèles.

Le droit anglais permet aux parents de demander à l’Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA), l’agence britannique de la biomédecine, un accompagnement et des informations sur le don. Cela serait utile, puisque c’est facile de le dire à l’enfant quand il a 2 ou 3 ans, mais beaucoup plus difficile quand il a 6 ou 7 ans. Au moment où ils auraient besoin d’aide, rien n’est prévu pour les parents. Ils pourraient participer à des groupes de parole que proposeraient les CECOS, avec les moyens dont ils disposeraient – tout va se jouer sur ce point –, en reprenant contact avec les parents. Tous les enfants nés d’un don disent que c’est à 6-7 ans que s’imprime dans l’esprit quelque chose qui peut avoir été dit dans la prime enfance ;

Le droit allemand a été modifié en 2017 et permet maintenant aux parents de demander très rapidement des informations non identifiantes. Cela rejoint l’idée que la société doit aider, que les CECOS ou une autre institution doivent pouvoir accompagner les couples au moment où c’est le plus difficile.

Il y a en ce domaine un manque dans la loi française, que vous pourriez peut-être combler.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Merci beaucoup. Je vais donner la parole aux membres de la commission pour une série de questions.

M. Thibault Bazin. Madame Brunet, vous avez évoqué un équilibre atteint par le projet de loi entre les droits des donneurs, des parents et des enfants. Dans quelle mesure cela pourrait-il se révéler contradictoire avec le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

Vous avez également dit que la quête des origines est forte de la part des enfants privés de père, qui recherchent leur géniteur masculin. Dans quelle mesure cela pourrait-il justifier de n’appliquer le nouveau processus prévu par le projet qu’aux seuls enfants issus de PMA voulus par un couple de femmes ?

M. Raphaël Gérard. Ma question s’adresse à Mme Brunet. Quand on parle des droits de l’enfant, j’ai l’impression que certains enfants sont les grands oubliés de ce projet de loi : les enfants intersexes. Vous avez beaucoup insisté sur vos réticences vis-à-vis de mentions inappropriées qui seraient portées en marge de l’acte de naissance. La majorité de ces enfants subissent aujourd’hui des actes chirurgicaux qui sont souvent effectués sans nécessité médicale et très tôt dans leur vie, en dehors du cadre légal posé par l’article 16-3 du code civil.

Ces interventions ont pour seul but de corriger l’apparence des organes génitaux de ces enfants et de les conformer à un sexe donné. Elles sont souvent justifiées par le corps médical lui-même comme un moyen d’aider les parents à projeter leur enfant dans un sexe d’« élevage » – je n’aime pas beaucoup cette terminologie, mais c’est celle qui est utilisée – et favoriser leur épanouissement psychologique. Toutefois, les conséquences sont parfois désastreuses, parce que, en grandissant, les enfants se révèlent souvent plus à l’aise dans un genre vécu qui n’est pas celui du sexe assigné à la naissance. Dans ce cas, au moment d’un changement de sexe à l’état civil, on en vient à porter ces mentions de rectification dans l’acte de naissance, ce qui expose tout au long de leur vie ces personnes à des violations de la vie privée.

Dans ce cadre, je me demande si la sagesse ne serait pas d’attendre, de différer les opérations de ces enfants et s’il ne serait pas possible de poser comme condition aux opérations le recueil du consentement personnel de l’enfant, dès lors qu’il atteint l’âge de discernement.

Mme Laurence Brunet. Pour répondre à la première question, l’intérêt supérieur de l’enfant est éminemment malléable, interprétable. Il est subjectif ou objectif, mais je n’ai pas dit que les enfants nés d’un don dans un couple de femmes chercheraient plus leurs origines que les autres.

M. Thibault Bazin. Ce n’est pas ce que j’ai dit, puisque, théoriquement, cela n’existe pas aujourd’hui. Ma question porte plutôt sur ceux qui sont actuellement privés de père. Il me semble que vos propos étaient : « La quête des origines est forte pour les parents privés de père » et j’ai ajouté : « qui recherchent leur géniteur masculin ». Je me demandais dans quelle mesure cela pourrait justifier un mode spécifique d’accès aux origines pour ces enfants.

Mme Laurence Brunet. Je me suis sans doute mal exprimée. Je crois avoir dit que, pour les enfants privés de père, l’action en recherche de paternité était importante. Je ne me souviens pas d’avoir dit que les enfants privés de père recherchaient plus leurs origines. J’ai dit que je saluais tous les progrès de l’histoire des enfants naturels depuis 1942, qui permettent à des enfants privés de père, non pas de chercher leurs origines, mais de chercher un père légal. C’est toute la différence. Ils ont besoin d’un père légal. Et, en général, les actions en recherche de paternité ont une finalité financière et une finalité de reconnaissance, d’intégration à la société.

Quand j’ai dit que les enfants privés de père faisaient des actions en recherche de paternité – elles sont ouvertes depuis 1942, mais étaient interdites de 1804 à 1942 –, cela concernait les cas où un homme s’était défilé. Mais je suis d’accord avec vous pour dire que l’action en recherche de paternité va désigner le géniteur, parce qu’il s’agit du stade du contentieux. Il n’y avait pas d’examen comparé de sangs auparavant. Ce n’est pas pour autant que le législateur n’avait pas de solution. On disait « l’homme qui a vécu en concubinage notoire avec la mère à la période de conception ». À partir du moment où les juges ont eu la boussole de l’expertise génétique, ils s’en sont saisis. Une action en recherche de paternité est donc aussi aujourd’hui une recherche de ses origines.

En ce qui concerne la question très compliquée des enfants intersexes, je précise que je ne travaille plus au CECOS, mais à l’hôpital Bicêtre, à mi-temps, dans l’un des services de référence des enfants qui ont une variation du développement génital. Par rapport aux mentions sur les actes d’état civil, j’ai toujours été très dubitative. J’ai participé aux travaux de Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer relatifs à ces questions. À l’époque, je n’étais déjà pas d’accord avec le fait qu’on le mentionne dans l’acte de naissance. Les enfants intersexes étaient appelés « hermaphrodites », et l’on parle aujourd’hui de « variation », de « différence », de disorder of sex development. Je récuse totalement cette idée de disorder.

C’est en travaillant au contact des familles qui ont des enfants intersexes que je me suis aperçue, en tant que juriste, à quel point il était difficile dans la vie d’un enfant d’avoir dans l’acte de naissance des mentions qui relèvent du dossier médical. Parce que les médecins se sont trompés, ont mal identifié les gonades, mal identifiées l’appareil génital, mal identifié l’appareil urinaire, pour toute la vie on va avoir indiqué « sexe féminin », et dessous « rectification en sexe masculin ». Et l’enfant ne s’appellera plus Rose, mais Marc. C’est très compliqué à porter. Je me suis aperçue du bouleversement et de la honte qu’engendrent des choses qui relèvent d’informations médicales sur un acte de naissance. Et cela m’a fait cheminer sur la question des mentions sur les actes de naissance dans le cas général.

La question est très complexe et je ne suis pas médecin, je n’essaierai donc pas de faire une classification. Mais, depuis les années 1950, l’endocrinologie a réalisé des progrès considérables et les médecins savent reconstruire des appareils génitaux. Je ne veux pas lancer la pierre aux médecins ou décrier ce qu’ils ont fait. Quand ils sont intervenus dans les années 1960-1970, quand la médecine a permis d’allonger des petits pénis, de tirer des urètres, d’aboucher un vagin ou un périnée, ils l’ont fait parce qu’ils pensaient que c’était la meilleure façon pour que l’enfant s’intègre dans la société.

Puis l’on s’est aperçu qu’avec ces interventions chirurgicales irréversibles, on avait une probabilité sur trois ou quatre de se tromper. Vous me direz que l’on peut toujours allonger, raboter, couper, mais il s’agit quand même d’organes sexuels qui sont éminemment sensibles. Si l’on se trompe, on ne peut pas remettre de la sensibilité. Quand on coupe le clitoris d’une petite fille parce qu’elle a une hyperplasie congénitale des surrénales ou parce qu’elle a un clitoris trop grand, l’on sait que l’on va attenter à sa sensibilité sexuelle. Mais on le fait parce qu’on pense que ce sera mieux pour elle d’avoir un clitoris qui ne dépassera pas quand elle ira à la piscine. Mais qui va regarder entre les jambes d’une petite fille ?

On a voulu faire du mieux possible, comme les CECOS l’ont fait à un moment donné pour le secret, puis l’on s’est rendu compte que l’on peut se tromper. Des études anglo-saxonnes montrent que, pour certains types de variations du développement génital – en particulier les insensibilités totales ou partielles aux androgènes –, un quart des enfants changent de sexe. Ils deviennent trans à l’adolescence. C’est quand même ennuyeux, puisque, de fait, on leur a enlevé la moitié des organes génitaux qui auraient pu leur permettre d’avoir une vie sexuelle normale. On n’a pas tous la même vie sexuelle et l’on peut ressentir du plaisir de différentes façons. Pourquoi donc attenter à ces organes génitaux ?

On s’est aussi aperçu que ces opérations devaient très souvent être réitérées. Vous pouvez regarder à ce sujet un film magnifique, Ni d’Ève ni d’Adam, qui est le récit filmé – de manière très pudique, mais aussi avec beaucoup de bonheur et d’espoir – de ces personnes qui ont pendant très longtemps été enfermées dans leur corps, qu’on a reformaté, qu’on a assigné, qu’on a bouleversé, qu’on a charcuté, et qui ne pouvaient pas en parler. Elles racontent des souvenirs d’enfance, où elles sont passées plusieurs fois sur le bloc opératoire. Bien entendu, la science a progressé. Bien entendu, la chirurgie pédiatrique a fait d’énormes progrès. Mais il y a encore beaucoup de reprises d’opérations.

Le point noir, c’est qu’il n’y a aucune étude de suivi. Il n’y en a pas parce que les cohortes sont très difficiles à suivre. La moitié d’entre elles désertent. Les médecins optimistes diront que c’est parce qu’ils sont finalement contents et n’ont plus besoin d’eux. Mais un médecin réaliste dira : « C’est parce qu’ils ont été tellement malmenés par la médecine qu’ils ne veulent plus nous voir. » Pour la grande étude européenne DSD-Life, financée par la Commission européenne, la moitié des patients ne répondaient pas, par rapport à l’ensemble des dossiers des médecins d’Allemagne, de Belgique, de France, d’Italie, d’Espagne. Pourtant, ces patients sont adolescents ou adultes. À toutes les questions telles que « Comment vivez-vous les choses ? » nous n’avons pas de réponse. Ceux qui sont contents répondent, mais la moitié n’ont pas répondu.

On ne peut pas aujourd’hui ne pas réfléchir à la prise en considération du consentement de l’enfant. Je ne veux pas dire que l’on n’opérera pas ces enfants. Il ne faut pas les laisser comme cela. On est d’accord sur le fait que ça va être difficile, mais on peut attendre qu’ils soient en âge de raison. L’âge de raison n’est pas 18 ans. Un enfant a conscience de son genre assez vite. La Cour constitutionnelle de Colombie a considéré que c’était à partir de 8 ans qu’un enfant pouvait dire dans quel sexe il se sentirait le mieux. Le conseil d’éthique suisse a dit que c’était à 10 ans. On n’est donc pas obligé d’attendre, on peut par exemple intervenir avant la puberté sur des filles qui auraient besoin que leur vagin soit étendu avant qu’elles n’aient leurs règles. On peut expliquer, faire adhérer et demander un consentement.

Je travaille avec Mme Claire Bouvattier à l’hôpital Bicêtre, qui dispose maintenant d’une cohorte d’enfants qui ne sont pas opérés. Cela demande un suivi très important avec les parents. Elle se consacre à ces parents, et ils se portent très bien. Ils accompagnent leurs enfants jusqu’à l’âge de 10-11 ans, où elle commence à parler de la chirurgie. Elle va alors expliquer à l’enfant ce qui va se passer, expliquer que l’intervention vise à l’intégrer dans le genre dans lequel il se sent le mieux. Il faudrait réfléchir à ces questions. Nous avons été condamnés par plusieurs instances internationales sur ces sujets.

M. Emmanuel Terrier. Je précise que l’article L. 11911-2 du code de la santé publique distingue la majorité sanitaire de la majorité légale : l’enfant, accompagné du majeur de son choix, peut prendre toutes les décisions concernant sa santé. On n’y évoque même pas la question du discernement. Il y aurait peut-être là des règles spécifiques à développer, comme il y en a sur la question des stérilisations à visée contraceptive des personnes trisomiques, par exemple. Il faudra se pencher sur ce genre de questions, mais peut-être dans d’autres textes.

M. Patrick Hetzel. Je voudrais vous interroger sur des principes que vous avez évoqués, comme ceux de réalité, de non-discrimination ou d’égalité de droits. Dans le projet de loi, il est évidemment question de la PMA pour des couples de lesbiennes. Mais juridiquement, comment est-il possible de considérer que ce dispositif ne sera pas très rapidement remis en question par des couples d’hommes, qui diront : « À quel titre peut-on maintenir une discrimination, selon que l’on est homme ou femme ? »

J’ai l’impression que vos raisonnements décrivent le formidable effet domino que révèlent certains auteurs. Autrement dit, derrière la PMA, inévitablement, vu les principes juridiques auxquels vous-mêmes vous référez, la GPA va arriver ipso facto, parce que cela sera intenable juridiquement. Pouvez-vous nous dire quelles seraient les barrières juridiques pour ne pas passer de l’une à l’autre ?

Mme Annie Genevard. Monsieur Terrier, vous êtes sévère avec le droit français, qui n’illumine plus le monde, pour reprendre vos termes… Vous faites état de la difficulté qu’il y aurait à maintenir des conditions particulières d’accès à l’AMP qui soient plus exigeantes en France que dans les pays voisins. Plusieurs interlocuteurs ont mentionné aujourd’hui le retard de la France. Il n’y a pas que dans le code civil que des différences sont attestées entre le droit français et les droits étrangers.

En matière de droit du travail, par exemple, le droit français est plus protecteur que le droit britannique. En matière de droit fiscal, notre droit est plus contraignant que le droit luxembourgeois. Ce n’est pas propre à ce texte de loi, mais je suis frappée par cette approche qui voudrait qu’il y ait une logique d’alignement systématique. Je ne sais pas ce qui fonde cette affirmation.

Par ailleurs, je souhaite poser une question à Mme Brunet. Depuis que nous conduisons ces auditions, je suis frappée par le fait que beaucoup d’orateurs manifestent une sorte de rejet de la biologie, qui m’amène à m’interroger. Vous avez dit que la filiation est in fine une affaire de convention qui n’a que peu à voir avec la biologie. J’ai du mal à accepter ce principe, non pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons de vécu personnel que je crois partagé par l’immensité des familles. Dans le titre VII, la filiation est consubstantielle à la biologie. La biologie est-elle bien présente dans la filiation ?

Mme Laurence Brunet. Non, pas du tout.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je souhaiterais revenir sur l’interrogation exprimée par mon collègue Jean-Louis Touraine au sujet du don dirigé, et plus particulièrement la question de la ROPA. Je n’ai pas entendu clairement votre réponse. Faut-il autoriser ce don dirigé ? Auquel cas, quel encadrement convient-il de mettre en place ?

M. Emmanuel Terrier. J’ai été sévère avec le droit français, mais vous n’empêcherez pas les exilés fiscaux, vous n’empêcherez pas les travailleurs européens d’aller travailler ailleurs ou d’autres de venir ici. C’est le problème de l’utilisation opportuniste de systèmes juridiques plus intéressants que les nôtres. La question a été tranchée en 1878, à l’égard d’une princesse française que j’ai évoquée tout à l’heure. C’était une belle jeune femme mariée à un vieux prince laid et qui était tombée éperdument amoureuse d’un beau prince roumain.

Elle a acheté un château dans une province qui n’était pas encore partie de l’empire allemand. En acquérant le château, elle a acquis la nationalité du territoire correspondant, a divorcé selon la loi étrangère, puis a demandé l’exequatur, c’est-à-dire la reconnaissance de son divorce, auprès de la Cour de cassation. Il lui a été répondu que son acquisition de nationalité allemande était tout à fait opportuniste, donc constituait un abus de droit. Par conséquent, la Cour de cassation a refusé de donner corps à ce qui avait été obtenu, quoique légitimement, à l’étranger. Cette solution, la Cour de cassation a continué à l’appliquer à l’égard de la GPA, jusqu’à ce qu’elle se fasse taper sur les doigts par la CEDH.

Faut-il aligner notre droit sur les droits étrangers ? Evidemment non. Rien n’est pire pour un juriste que de devoir céder le pas à d’autres systèmes juridiques que le sien – qu’il estime être le meilleur. Nous pouvons et nous devons avoir des spécificités, mais celles-ci doivent être efficientes, logiques et applicables. Vous n’empêcherez pas des personnes qui ne souhaitent pas payer des impôts d’utiliser sciemment des systèmes plus avantageux. On peut les sanctionner : cela reste du contractuel, du pénal, ce n’est pas très compliqué. On peut facilement sanctionner celui qui fraude le droit du travail, cherchant à éviter des inconvénients ou des lourdeurs du système français.

Tout ce qui relève du champ de la GPA, de l’AMP, n’est plus du contractuel. Il ne s’agit plus de questions où le droit peut apporter une réponse univoque, il s’agit d’humain. Vous ne pourrez probablement jamais empêcher des parents d’avoir un désir tel qu’ils vont parfois payer très cher, traverser le monde pour aller là où la loi leur permet d’obtenir ce qui est un besoin au plus profond d’eux-mêmes. Sanctionner ces parents par le droit pénal n’est pas une réponse légitime, et surtout pas au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. Considérer que cette relation n’existe pas consiste à faussement se masquer les yeux en disant : « Mon droit l’interdit, donc cela n’existe pas. » Priver l’enfant de nationalité en disant : « Puisque les parents ont fauté, tu seras puni » n’est pas une sanction acceptable, nous l’avons vu.

Il existe des différences et des disparités, et il faut que les droits soient distincts. Mais il faut que cela soit applicable et justifié. Je réponds certes de manière un peu théorique à votre question qui est fondamentale, mais il faut trouver un juste équilibre. Et l’on ne peut plus ne pas tenir compte du tout de ce qui se fait à l’étranger. Il ne faut pas forcément se calquer, imiter, mais essayer de trouver ce qui pourrait être le mieux au regard des impératifs et des valeurs qui sont les nôtres, mais aussi au regard de la réalité.

La Cour européenne ne sanctionne pas la France pour sa prohibition de la gestation pour autrui, comme le rappelle l’arrêt Mennesson. En revanche, les conséquences de sa prohibition sont contraires à l’esprit de la convention à laquelle elle a adhéré.

Mme Annie Genevard. Les lois de bioéthique sont une singularité française. Le moins-disant éthique ne peut pas constituer une motivation.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Faudrait-il alors poser en droit français le principe selon lequel, dès lors que des géniteurs parents ont fauté, il faut punir l’enfant ? C’est sur ce type de distinguo que la Cour s’est illustrée.

Mme Laurence Brunet. Non seulement on ne peut pas empêcher les gens d’aller à l’étranger, mais en plus le droit communautaire et la Convention européenne des droits de l’homme considèrent que la liberté de circulation est un droit fondamental. En conséquence, quelle réponse pouvez-vous apporter au fait que les femmes qui ont besoin d’un don d’ovocytes vont à l’étranger ? Elles vont à l’étranger car il y a pénurie en France. Aujourd’hui ces femmes peuvent obtenir un remboursement partiel des frais déboursés à l’étranger.

Les règles européennes disent en effet que, non seulement on a le droit d’aller à l’étranger, mais aussi que, lorsque le délai est déraisonnable dans son pays, on peut recourir à ce soin à l’étranger et demander un remboursement. Le droit international, et européen en particulier, est construit sur la circulation de marchandises, de personnes et de services. Les arbitrages se feront ensuite sur ce qui est remboursé ou non remboursé. Il est clair que nous ne rembourserons pas quelque chose qui est interdit en France. Nous gardons donc toute notre souveraineté sur ce plan.

Pareillement, dans l’arrêt S.H. contre Autriche, la Cour européenne des droits de l’homme a dit en 2011 que chaque État est maître d’autoriser et d’interdire ce qu’il souhaite en matière de fécondation in vitro et de don d’ovocytes. Mais elle a dit qu’il y avait un droit à aller le chercher à l’extérieur. C’est une liberté fondamentale d’aller dans un autre pays. La France ne peut donc pas raisonner comme si l’Hexagone était entouré de murs. Notre droit européen représente la quintessence de la liberté, notamment celle d’aller chercher ailleurs ce qui manque dans son propre pays. Les gens ont un besoin d’avoir des enfants, et peut-être pouvons-nous nous en féliciter, puisque c’est comme cela que l’on continue à exister. Il ne faut pas laisser faire n’importe quoi, mais encadrer.

La Convention internationale de La Haye sur l’adoption a permis d’éviter le marchandage d’enfants. On est parvenu à mettre en place des agences internationales. On a réussi à faire en sorte que l’adoption ne soit plus un marché. Nous pouvons donc travailler tous ensemble pour essayer de rendre les choses plus éthiques. Nous ne pourrons pas tout prévoir, des gens passeront toujours à travers les mailles du filet. Ce désir tellement humain d’avoir un enfant fait que certaines personnes vont franchir des frontières. Pourquoi dites-vous que les législations sont moins-disantes ? Pourquoi les Belges, les Québécois ou les Espagnols seraient-ils moins éthiques que nous ?

Mme Annie Genevard. Je m’interroge sur le fait qu’il y ait une rareté des gamètes féminins – les ovocytes – en France et non ailleurs. Un des interlocuteurs que nous avons auditionnés nous a dit : « L’Espagne a fait de l’AMP un vrai marché », un vrai business. Cela, ce n’est pas très éthique quand même.

Mme Laurence Brunet. Je suis d’accord, mais il me semble que ce n’est pas le bon objet de combat. Le bon objet de combat consiste à savoir qui – un établissement public ou un établissement privé ? – fait du don de gamètes. Le prix de la compensation du don d’ovocytes est fixé par l’État, et le problème est justement que l’Espagne est devenue la plaque tournante d’un certain business. C’est vrai, mais c’est essentiellement dû au fait que ce sont des officines privées qui offrent un recours à la PMA. Ce n’est pas remboursé par la Sécurité sociale.

Notre système français nous permet de cadrer, d’imposer et de réguler, parce que la Sécurité sociale va prendre en charge ce type de soins. C’est toute la différence entre un système où on laisse le marché de la procréation se développer et un système où la solidarité nationale le prend en charge, avec des limites. Si l’on tient au principe de gratuité, il faut y tenir jusqu’au bout. La solution des Espagnols n’est pas forcément celle à laquelle nous aurons recours. Nous pouvons faire des campagnes de sensibilisation. Peut-être la communauté homosexuelle va-t-elle aussi se mettre à donner plus.

Il faut très peu de choses pour qu’il n’y ait pas de pénurie en France, puisque 350 donneurs et 750 donneuses sont un petit effectif. Il est assez facile de corriger une baisse du nombre de donneurs avec des campagnes de sensibilisation. Nous ne devons pas toujours voir la « pente glissante » et diaboliser des pratiques. Il faut être respectueux des projets parentaux.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Deux questions n’ont pas obtenu de réponse.

Mme Laurence Brunet. Sur l’éviction de la suprématie de la biologie, je redirai que le droit français – parce qu’il découle directement du droit romain, qui a été repris par les artisans du code civil en 1804 – a fait que le droit non contentieux de la filiation ne repose pas sur la biologie. Il repose sur des vraisemblances, il repose sur des représentations. Mais en 1804 on savait très bien que la volonté du législateur était de faire bénéficier de la légitimité le plus d’enfants possible. Pour le désaveu de paternité, il faut que l’adultère ait été caché au mari pour qu’il puisse être invoqué. Depuis toujours, le droit essaie de faire bénéficier les enfants de ses bienfaits. Il leur permet d’avoir un cadre juridique et des responsables.

Il faut donc vraiment revenir sur cette fausse croyance qui donne l’impression que la filiation se collait au biologique, et ce à cause de l’expertise biologique. Je salue les mérites de celle-ci, mais je suis la première à dire qu’elle est critiquable. La bonne preuve, c’est que, dans l’ordonnance de 2005 sur la réforme de la filiation, le législateur a considéré que, en matière d’expertise biologique dans le cas de contentieux – qui est son empire, là où elle est toute-puissante –, les prescriptions de trente ans étaient trop longues. La preuve biologique bouleversait en effet la paix des familles.

En conséquence, en 2005, le ministère de la Justice a ramené ce délai à cinq ans de possession d’état. Il n’y a pas eu de loi, c’était une ordonnance. Cinq ans, c’est court. Peut-être que la Cour européenne va nous condamner à ce sujet. Dès lors qu’un homme a donné son affection à un enfant pendant cinq ans, c’est terminé : qu’il soit le géniteur ou qu’il ne le soit pas, plus personne ne peut le contester. Un homme a fait une reconnaissance, il a élevé cet enfant cinq ans : c’est son père à vie. Il faut donc bien comprendre les ressorts de notre droit à la filiation.

Mme Alexandra Leclère. Je voudrais rebondir sur la question de la GPA, qui m’a également été posée lors de ma soutenance de thèse. Si je reprends la chronologie des choses, l’ouverture du mariage pour tous lors de la loi-cadre du 17 mai 2013 a légalisé le mariage et l’adoption homosexuels. J’avais soutenu le fait que cette loi de 2013 allait forcément amorcer le débat sur la PMA, et donc l’ouverture de la PMA aux couples de femmes homosexuelles. Nous en sommes effectivement là.

Si nous ouvrons prochainement la PMA, dans le cadre de ce projet de loi bioéthique, nous ne pourrons absolument pas contourner le dernier débat : celui qui concerne la GPA. Sera-t-il juridiquement tenable de refuser la PMA aux couples de femmes et de la refuser, par l’intermédiaire de la GPA, aux couples d’hommes ? Ce ne sera pas tenable. Quel fondement juridique pourrait-on invoquer ? Il y aura forcément une différence de traitement, au regard du principe de non-discrimination, au regard de l’article 8 combiné à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et aussi au regard du principe d’égalité du droit français. Nous serons pour la première fois face à une différence de traitement, qui ne sera pas fondée sur l’orientation sexuelle, mais sur le sexe.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Qui souhaite répondre sur la question du don dirigé ?

Mme Laurence Brunet. Il me semble que le don dirigé et la ROPA ne sont pas tout à fait la même chose. Madame de Vaucouleurs, vous considérez qu’une femme donne de manière dirigée ses ovocytes à sa compagne ?

Mme Michèle de Vaucouleurs. C’est cela et c’est aussi le don d’un ami.

Mme Laurence Brunet. Le don dirigé est une question épineuse. Je ne vois pas d’obstacle à ce qu’on sorte du cadre médical, mais je sais que des projets parentaux peuvent se mettre en place avec des PMA artisanales, « amicalement assistées ». La procréation amicalement assistée est du reste prévue dans le code civil québécois. Le code civil québécois l’a fait, nous pourrions donc l’organiser. La question qui se pose est : comment s’assurer que ce don dirigé est un don amical et non un don rémunéré ? C’est l’enjeu de ces choses qui se passeraient en dehors de tout contrôle médical institutionnel. Il faut y réfléchir, et peut-être pourrions-nous trouver des garanties, par exemple avec le passage devant un notaire. Le don dirigé mérite réflexion, mais l’écueil en est la marchandisation du corps humain. Il me semble donc que la France a raison d’être extrêmement précautionneuse sur la question.

Je ne vois pas de problème pour ce qui est de l’établissement de la filiation en ce qui concerne la ROPA. Dans la déclaration anticipée de volonté, les deux femmes seraient ab initio toutes les deux les deux mères. Peu importe donc qui a donné et qui a porté. Dans la solution du droit commun – celle que je préconise –, il n’y aurait aucun problème puisque, pour la mère qui accoucherait, je garderais le vieil adage mater semper certa est. Si elle n’est pas mariée avec elle, l’autre mère ferait alors une reconnaissance fondée sur le biologique. Le droit permet cette souplesse. Si l’on étend la reconnaissance, il n’y a aucun problème pour la ROPA. Mais, dans les deux options, il n’y a, me semble-t-il, aucun problème pour la ROPA.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En ce qui concerne le don dirigé, il existe aujourd’hui des dons dirigés d’ovocytes, mais qui sont dirigés vers la « banque » d’ovocytes. Faute d’ovocytes ou du fait de la pénurie que l’on connaît, on dit ainsi à certaines femmes : « Vous voulez bénéficier d’un don, mais nous n’en avons pas. Si vous amenez une amie qui peut en donner, nous allons collecter ses ovocytes, et vous recueillerez les ovocytes de quelqu’un d’autre de la banque. Nous en avons très peu et nous ne pouvons en donner qu’à ceux qui en apportent indirectement. » Dans ce cas, il n’y a pas de lien entre donneur et receveur, et on fait malgré tout en sorte que la banque ne soit pas en difficulté.

Mme Laurence Brunet. Je rappelle que la loi de 2011 a interdit cette pratique.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cela se fait pourtant tous les jours.

Mme Laurence Brunet. Vous avez tout à fait raison de le mentionner, d’autant que le Code de bonnes pratiques qui a été révisé en 2015-2016 l’admet. Il est donc intéressant de voir comment un décret vient porter atteinte à la loi. Effectivement, aujourd’hui des dons dirigés sont mal dirigés. Il est certain que nous devons réfléchir à cette question, mais nous sommes bien embarrassés pour savoir comment éviter une rémunération, qu’elle soit faite en sous-main ou non.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames, monsieur, je vous remercie pour toutes les réponses que vous avez apportées aux nombreuses questions qui vous ont été posées par mes collègues.

 

L’audition s’achève à vingt heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du lundi 2 septembre à 18 heures

Présents.  M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, M. Xavier Breton, M. Guillaume Chiche, Mme Coralie Dubost, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Patrick Hetzel, Mme Monique Limon, Mme Brigitte Liso, M. Didier Martin, Mme Sereine Mauborgne, Mme Bénédicte Pételle, Mme Sylvia Pinel, Mme Claire Pitollat, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Michèle de Vaucouleurs

Excusé. - M. Jacques Marilossian

Assistaient également à la réunion. - M. Erwan Balanant, M. Jimmy Pahun