Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I.Présentation du rapport d’information de M. Christophe Jerretie Comment assurer la stabilité du système bancaire européen ? 3


jeudi
28 mai 2020

10 h 30

Compte rendu n° 0135

Présidence de Mme Sabine Thillaye
Présidente


 

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Jeudi 28 mai 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

 

La séance est ouverte à 10 h 30.

 

I.                  Présentation du rapport d’information de M. Christophe Jerretie Comment assurer la stabilité du système bancaire européen ?

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Notre réunion est consacrée aujourd’hui à l’examen du rapport d’information sur la stabilité du système bancaire européen, sujet technique mais lourd d’enjeux politiques très importants, et notre collègue Christophe Jerretie a réalisé un rapport très intéressant. Ce rapport s’inscrit aussi dans la crise que nous vivons et je me demande si le plan de relance proposé par la Commission européenne hier, qui prévoit de soutenir les États les plus touchés par la crise, est suffisant pour éviter une éventuelle crise bancaire comme une nouvelle crise de la dette souveraine. Les États en difficulté auront-ils suffisamment d’argent à leur disposition pour stabiliser le système bancaire si nécessaire ?

M. Christophe Jerretie, rapporteur. En préambule, je souhaiterais faire deux précisions.

La première est que, compte tenu de la technicité du sujet, il m’a semblé utile de donner dans mon rapport écrit à la fois une vue d’ensemble du paysage réglementaire, tout étant étroitement imbriqué, et de faire œuvre de pédagogie dans la discussion orale. Si le rapport est peut-être assez long, je m’efforcerai d’être plus synthétique à l’oral.

La seconde précision, c’est que ce rapport, dont la présentation avait initialement été prévue fin février, a été rédigé avant la crise du coronavirus. Les incertitudes sur la crise économique qui en découlent sont trop fortes, à ce stade, pour en tirer des conclusions sur ses conséquences sur le système bancaire. C’est pourquoi il ne m’a pas paru nécessaire de modifier substantiellement le rapport rédigé avant la crise, deux paragraphes ayant été seulement ajoutés.

Deux choses me paraissent toutefois évidentes. Premièrement, la crise économique qui ne fait que commencer s’annonce d’une violence telle qu’elle aura nécessairement un impact sur les banques. Dans le pire des cas, une extension de la crise aux dettes souveraines pourrait se transmettre dans certains pays au secteur bancaire, j’y reviendrai. Cela fera partie des discussions autour de l’Union bancaire et de mes réflexions à la fin du rapport. Deuxièmement, et c’est le point positif, les banques, qui ne sont cette fois en rien à l’origine de la crise, l’abordent en étant beaucoup plus solides qu’en 2008. Leurs ratios de fonds propres et leurs coussins de liquidité ont été sensiblement renforcés. Le ratio de fonds propres de catégorie 1 des banques de la zone euro était ainsi de 15,5 % en 2019 contre 8,8 % en 2008.

Mon premier constat, c’est que beaucoup a été fait depuis la crise financière, en un temps somme toute réduit, pour améliorer la stabilité du système bancaire européen, en particulier entre 2012 et 2014. L’activité des banques européennes est désormais encadrée par un corpus juridique extrêmement volumineux, dont je vais présenter à gros traits l’architecture.

Le socle de la réglementation bancaire en Europe est ce qu’on appelle le « règlement uniforme », qui rassemble une série de directives et de règlements s’appliquant dans l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne. Ces textes fixent les règles communes dans trois grands domaines : les exigences de fonds propres que les banques doivent respecter ; la prévention et la gestion des défaillances bancaires ; et la protection des déposants.

Deuxième niveau, sur ce socle commun aux 27, les 19 membres de la zone euro ont bâti l’union bancaire, censée reposer sur trois piliers : un mécanisme de supervision unique, un mécanisme de résolution unique et un système européen de garantie des dépôts.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le premier sujet est celui des exigences de fonds propres. Les textes européens ont rendu applicables aux banques de l’Union les normes décidées au niveau international dans le cadre des accords de Bâle III. Les banques, en particulier françaises, se plaignent des coûts découlant de ces exigences. Il faut reconnaître que ces coûts sont réels, mais, grâce à ces règles prudentielles, les banques européennes sont nettement plus solides aujourd’hui qu’il y a dix ans. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour les chiffres, mais elles ont nettement plus de fonds propres, une situation de liquidité satisfaisante et sont moins dépendantes à l’égard des financements à court terme. À la fin du mois d’avril, consultée préalablement à la validation de la création du soutien de crise pandémique dans le cadre du mécanisme européen de stabilité, la BCE a certifié que toutes les banques sous sa responsabilité respectaient leurs exigences de fonds propres, tant du point de vue du pilier 1, c’est-à-dire les exigences minimales obligatoires pour toutes les banques, que du pilier 2, les exigences supplémentaires éventuellement fixées pour chaque banque par le superviseur. Sous la houlette de la Commission et de la BCE, les banques ont également fortement réduit leur taux de prêts non performants.

Pour la gestion des défaillances bancaires, la directive de 2014 a mis en place des outils pour prévenir les difficultés (plans de redressement et plans de résolution), doté les autorités de résolution de moyens d’intervention précoce pour éviter que la situation d’une banque ne se détériore et mis à la disposition des autorités de résolution une procédure de résolution qui leur permet, lorsque la banque est défaillante ou susceptible de le devenir, d’intervenir directement auprès de la banque.

Par exemple, l’un des instruments à la disposition des autorités de résolution est le renflouement interne, qui permet de faire contribuer les actionnaires et créanciers à l’absorption des pertes. Pour rendre possible le renflouement interne dans des délais compatibles avec l’urgence d’une procédure de résolution, les banques doivent constituer des coussins de fonds propres et de dette utilisables pour le renflouement interne. L’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles, la MREL, permet ainsi en quelque sorte de « flécher » certains passifs pour le renflouement interne. Un renflouement interne de 8 % est obligatoire pour avoir recours aux fonds de résolution mis en place au niveau national et progressivement transférés au fonds de résolution unique pour les pays de la zone euro. Ces fonds de résolution, alimentés par les contributions des banques à hauteur de 1 % des dépôts d’ici 2024, ont vocation à apporter un soutien aux banques dont les défaillances doivent être résolues, à indemniser les actionnaires si la résolution se traduit pour eux par une perte supérieure à celle qu’ils auraient subie en cas de faillite ou à procéder à des recapitalisations.

Nous avons peu de recul sur ces outils jusqu’à présent. La procédure de résolution, très complexe, n’a réellement été utilisée qu’une seule fois, pour un cas relativement simple en Espagne. Les États cherchent à éviter le renflouement interne. En pratique, les actionnaires et créanciers des banques ne sont en effet pas nécessairement de gros capitalistes. En Italie, notamment, la fiscalité incitait les petits épargnants à détenir des titres de leur banque. Les déposants que l’on cherche à protéger par le renflouement interne sont donc parfois les mêmes que les actionnaires que la procédure met à contribution !

Troisième volet du règlement uniforme, une directive de 2014 a harmonisé et renforcé la protection des déposants dans l’ensemble de l’Union, notamment en instaurant un financement ex ante des systèmes de garantie des dépôts, en réduisant le délai de remboursement des déposants à 7 jours d’ici 2024 et en rehaussant le plafond d’indemnisation au-delà de 100 000 € pour certains dépôts exceptionnels temporaires, par exemple à la suite d’une vente immobilière.

Pour ce qui concerne l’union bancaire, le mécanisme de surveillance unique est pleinement opérationnel depuis la fin de l’année 2014. Il a pour objet de contrôler le respect des exigences prudentielles par les banques, de déceler les faiblesses à un stade précoce et de veiller à ce que des mesures soient prises pour remédier à ces faiblesses. Ce mécanisme est organisé en deux niveaux : la BCE supervise directement les 115 banques les plus importantes, qui détiennent près de 82 % des actifs bancaires de la zone euro. De l’avis de tous mes interlocuteurs, la BCE s’est forgée en peu de temps une réputation solide d’autorité indépendante et rigoureuse et deux banques importantes sont désormais supervisées avec le même sérieux quel que soit leur pays d’origine. C’est un succès incontestable pour la stabilité du système bancaire selon les personnes auditionnées.

Les banques moins importantes restent pour leur part soumises au contrôle des autorités nationales, sous la coordination de la BCE. Il aurait sans doute été difficile de confier la supervision de l’ensemble des banques à la BCE et l’Allemagne et l’Italie, notamment, y étaient opposées.

Pour ce qui concerne le deuxième pilier de l’union bancaire, la résolution, nous sommes au milieu du gué. Le Conseil de résolution unique, qui est l’autorité de résolution compétente pour les 128 plus grands groupes, est opérationnel. Le fonds de résolution unique est encore en cours de construction. Il devrait atteindre environ 65 milliards d’euros d’ici 2024, nous en sommes à un peu plus de la moitié en 2020. Enfin, le troisième pilier de l’union bancaire, le système européen de garantie des dépôts, n’a pas progressé. Nous avons toujours 19 systèmes nationaux imparfaitement harmonisés.

Comme vous le voyez, si beaucoup de choses ont été faites depuis la crise financière pour améliorer la stabilité du système bancaire, le chantier est loin d’être terminé. J’ai retenu plusieurs points d’amélioration.

L’achèvement de l’union bancaire suppose tout d’abord l’achèvement de la mise en place des outils de résolution déjà présents dans la législation européenne et pour lesquels une entrée en vigueur échelonnée était prévue jusqu’à 2024. Le fonds de résolution unique doit en outre être complété par un filet de sécurité pour le cas où ses ressources s’avéreraient insuffisantes. Je rappelle qu’il devrait être doté d’environ 65 milliards d’euros, alors que les banques vraiment systémiques ont des bilans supérieurs à 500 milliards d’euros. L’Eurogroupe s’est mis d’accord en décembre 2019 pour un filet de sécurité de 68 milliards d’euros fourni par le mécanisme européen de stabilité mais cet accord n’a pas encore pu être traduit juridiquement en raison des réserves de l’Italie sur un autre aspect de la réforme du MES. La réforme du traité MES doit rester une priorité pour que le filet de sécurité puisse entrer en vigueur, au plus tard, en 2024.

Le cadre de résolution devrait également prévoir un mécanisme de fourniture de liquidités en urgence en cas de résolution. L’objectif est d’éviter qu’une banque « réparée » fasse défaut faute de liquidité. Cette nécessité est reconnue, mais il ne semble pas y avoir de piste très précise à l’heure pour mettre en place ce mécanisme.

Sur le troisième pilier de l’union bancaire, le système européen d’assurance des dépôts, presque tout reste à faire : la proposition de règlement de 2015 reste dans les limbes. Lors de son audition, le gouverneur de la banque de France a estimé que, même si la garantie européenne des dépôts était importante symboliquement et plus parlante pour le grand public, elle était peut-être moins urgente que l’achèvement du « pilier » résolution. En effet, si la résolution fonctionne bien, les problèmes des grandes banques sont résolus par ce mécanisme.

Il est certain que le sujet d’assurance des dépôts est difficile à aborder politiquement. Les discussions sur ce système commun butent toujours sur les réticences de certains pays, schématiquement les pays du nord, à partager les risques avant qu’ils soient réduits. De plus, une partie substantielle de la supervision est restée au niveau national, or certains suspectent les superviseurs nationaux de certains pays du sud de laxisme.

Même s’il ne faut pas s’attendre à une évolution très rapide sur ce dossier, on sent une évolution, notamment du côté de l’Allemagne, qui a montré une ouverture à un système de réassurance en trois temps, avec une première phase où le système européen pourrait fournir des liquidités au système national, sans partage des pertes. C’est sans doute vers une telle démarche progressive qu’il faut s’orienter.

La mise en place de la garantie européenne des dépôts bute aussi sur l’exposition des banques de certains pays à la dette souveraine. Ceci m’amène à une des sujets pour lesquels les objectifs de l’union bancaire n’ont pas été atteints : la rupture du lien entre les banques et les États.

Le transfert de la supervision des grandes banques à la BCE a certes permis de rompre la trop grande proximité qui pouvait exister entre le superviseur et le supervisé et la procédure mise en place pour la résolution vise à éviter l’utilisation d’argent public pour la restructuration des banques défaillantes, mais les liens entre les banques et les États restent forts.

D’une part, la directive sur la résolution et les règles relatives aux aides d’État laissent de nombreuses possibilités pour les États de venir en aide aux banques. D’autre part, les systèmes de garantie des dépôts restent nationaux. Or, dans l’hypothèse où un de ces systèmes s’avérerait insuffisant pour indemniser les déposants, il serait politiquement extrêmement difficile pour un gouvernement de ne pas intervenir. Enfin, et surtout, dans certains pays, notamment les pays du sud comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, les banques détiennent une part très significative de la dette souveraine. Cela fragilise les banques en cas de crise de la dette souveraine et les États en cas de crise bancaire. C’est un sujet à la fois très sensible politiquement et techniquement très complexe.

Ces États ont besoin des banques pour placer leurs obligations et elles jouent un rôle de stabilisation en cas de fuite des investisseurs étrangers. Du côté des banques, le risque souverain a toujours bénéficié d’un traitement prudentiel privilégié. Le comité de Bâle s’est penché sur le traitement réglementaire du risque souverain, mais sans parvenir à un consensus. En tout état de cause, toute évolution en ce domaine devrait être extrêmement progressive pour ne fragiliser ni les banques ni les États. C’est un sujet éminemment politique.

Le biais national se traduit par une grande fragmentation du marché bancaire européen. La mise en place du règlement uniforme et la création de l’union bancaire sont loin d’avoir permis de passer de dix-neuf marchés nationaux à un marché réellement européen qui permettrait aux banques d’être moins exposées à des chocs asymétriques et aux entreprises de bénéficier de financements plus diversifiés grâce à une meilleure circulation des capitaux.

En plus du clivage nord sud, l’union bancaire est traversée par un clivage entre pays « d’origine », où se situent les sièges des groupes bancaires, et pays « d’accueil » dont les filiales des groupes précédents constituent une part importante du système bancaire. Si les premiers cherchent à favoriser un marché véritablement intégré, les seconds, plus nombreux, cherchent à obtenir le maximum de garanties pour les filiales exerçant sur leur sol, ce qui oblige les banques transfrontières à détenir des montants minimums de fonds propres et de liquidités dans chaque pays. La France se trouve souvent isolée, avec les Pays-Bas, pour tenter de mettre fin à ce cloisonnement. Ce serait certainement plus simple avec un système commun de garantie des dépôts. Il faudrait sans doute également imaginer des moyens de rassurer les pays d’accueil qui ne soient pas incompatibles avec une approche consolidée au niveau du groupe. La fragmentation est également favorisée par l’existence de procédures nationales différentes en cas de liquidation d’une banque, ce qui conduit, de fait, à une protection inégale des actionnaires et des créanciers selon le pays. Une harmonisation des régimes nationaux de faillites serait nécessaire.

Enfin, j’en arrive au dernier point en matière d’objectifs non-atteints : le problème de la rentabilité des banques européennes, qui sera certainement aggravé, au moins temporairement par la crise actuelle. Il ne s’agit pas de vouloir absolument enrichir les actionnaires, mais une banque rentable est plus résistante et plus susceptible d’encaisser les pertes en cas de crise. Pour améliorer leur rentabilité, les banques européennes doivent absolument relever le défi de la numérisation. Certains pays ont encore beaucoup de petites banques, une certaine consolidation est nécessaire. L’Italie a entrepris un gros travail en la matière avec la réforme du crédit coopératif, très présent sur son sol. L’Allemagne, qui rassemble plus du tiers des banques de la zone euro, devra sans doute également rationaliser son organisation.

Pour ce qui nous concerne, en France, nous devons veiller, sans renoncer à des exigences utiles à la stabilité financière, à ce que la transposition des règles du comité de Bâle dans l’Union européenne ne défavorise pas les banques européennes par rapport aux banques américaines ; l’Assemblée nationale a déjà adopté une résolution à ce sujet, portée par le président Woerth, en début d’année.

Pour conclure, le travail accompli depuis la crise financière de 2008 a permis de renforcer la stabilité du système bancaire européen, mais il est inachevé comme nous venons de le voir. Je considère, et je ne suis pas le seul, que la crise actuelle constituera le premier « stress test » grandeur nature de l’efficacité des nouvelles règles. Nous pourrons faire un bilan dans six mois.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci pour cet exposé très clair et d’avoir souligné les points plus politiques qu’il faut surveiller.

M. Alexandre Holroyd. Merci pour ce rapport extrêmement complet sur un sujet technique, que vous avez réussi à rendre clair, ce qui est entièrement à votre crédit. Ce que je comprends, c’est que l’Union bancaire a deux objectifs : la stabilité financière, notamment en brisant le lien avec le risque souverain ; la concurrence intra-européenne, qui a vocation à créer un véritable marché européen bancaire et à renforcer les banques européennes. Cela permettra aux Européens d’accéder à des services à moindres coûts.

Or, malgré les progrès conséquents, cette augmentation de la concurrence n’a pas eu lieu. Il y a toujours des banques avec des coûts très élevés, d’autres qui sous-investissent dans la technologie par rapport à leurs concurrents américains, un nombre trop important d’établissements, ce qui dénote un manque de consolidation. Aussi, quels sont selon vous les deux ou trois éléments clés qui permettront au consommateur de bénéficier de la consolidation bancaire ?

M. Michel Herbillon. Cet exposé est extrêmement pédagogique sur des notions très techniques. J’en retiens que les banques sont beaucoup plus armées et solides qu’en 2008 ; nous en avons tiré des leçons.

Je souhaiterais poser une question sur la crise actuelle et rebondir sur la conclusion de notre rapporteur, qui parle d’un premier « stress test ». Quels sont les éléments de fragilité qui risquent de s’aggraver ou d’apparaître ? Parallèlement, cette crise peut-elle être une opportunité de résoudre un certain nombre de mécanismes et de rejoindre des objectifs parmi les trois qu’il nous a exposés ?

Mme Marietta Karamanli. Nous partageons le diagnostic d’inachèvement de l’Union bancaire avec la question toujours en suspens de la garantie des dépôts. Après la crise de 2008, l’idée était de garantir que les établissements disposent d’un minimum de capitaux propres pour assurer leur solidité financière en cas de crise. Le ratio obligatoire de fonds propres est de 10,5 % des actifs pondérés du risque, et les banques françaises seraient à 15 % alors que la BCE aurait assoupli le ratio. Cela vous semble-t-il pertinent dans les conditions actuelles ? En outre, il existe beaucoup de débats évoquant une possible nouvelle crise bancaire européenne en lien avec la politique menée par la BCE. Quelle est votre position sur ce sujet ? Enfin, un certain nombre d’économistes estiment que le risque d’insolvabilité est important : a-t-on assez recapitalisé les banques après la crise de 2008 ? Le fait que les banques durcissent leurs conditions de prêt immobilier aux particuliers ne rajoute-t-il pas de la crise à la crise ?

Mme Frédérique Dumas. Certains pays considèrent que la concurrence entre pays est nécessaire, notamment en termes fiscaux. Retrouve-t-on ce type de réflexions concernant le secteur bancaire ? Certains pays demandent souvent des garanties fortes en retour de l’effort de solidarité, pour le plan de relance par exemple. Cette question se pose-t-elle aussi en matière bancaire ? Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Ma première question porte sur l’Italie : n’est-il pas paradoxal que le système de contrôle par la BCE soit très efficace au niveau européen mais beaucoup moins pour un pays fragile comme l’Italie ? Pour les garanties, le pays qui en aurait le plus besoin, l’Italie, est apparemment aussi celui qui se méfie le plus d’un système intégré comme le Mécanisme européen de stabilité, jugé trop tutélaire. A-t-on une évolution possible de ce côté ?

D’autre part, si le système mis en place de prêts garantis n’avait pas été mis en place, n’aurait-on pas eu un risque majeur et systémique ? Ceci ne conduit-il pas à relativiser l’efficacité du mécanisme décrit par le rapporteur, puisque nous avons quand même eu besoin de dispositifs exceptionnels ?

Enfin, ma dernière question est d’ordre plus général : qu’est ce qui fait obstacle à la constitution d’un vrai marché bancaire européen aujourd’hui ? Comment agir sur la confiance des banques pour arriver à un marché unifié dépassant la juxtaposition de marchés bancaires nationaux fragmentés ?

M. Christophe Jerretie, rapporteur. Le combat doit se mener à la fois sur le front de la concurrence et de la consolidation. Consolidation car les paysages nationaux sont divers, entre la multitude des institutions bancaires allemandes ou italiennes et le secteur français, plus ramassé. La stabilité progresse mais la consolidation reste la priorité. Les pays ne sont pas toujours très volontaires sur les sujets de souveraineté financière, mais les crises sont souvent des moments opportuns pour se rassembler et avancer ensemble. La supervision doit être renforcée pour contribuer à cette consolidation, surtout dans les pays où ces difficultés persistent et qui reste supervisés par la banque centrale nationale. Il nous faut aussi aboutir sur l’achèvement du système de résolution et le MES pour disposer de réels filets de sécurité.

S’il y a un cas de défaillance, il faudra agir. Une flexibilité opérationnelle me semblait nécessaire mais les règles seront remises en place dans quelque temps, car il faut des ratios de fonds propres importants. Cette flexibilité était d’autant plus nécessaire, que les problèmes de rentabilité s’accroîtront avec la crise.

S’agissant des mesures concernant le soutien économique et les garanties, elles étaient nécessaires. Y aura-t-il une crise bancaire ? On le verra très vite. Selon les interlocuteurs que nous avons rencontrés, nous avons la chance de disposer des banques les plus solides de l’Union européenne. Il reste qu’il peut y avoir des défaillances bancaires en Europe. C’est la raison pour laquelle je parle de stress test.

S’agissant du durcissement des prêts accordés aux particuliers, notamment en matière de crédit immobilier, c’est un sujet qu’il faudra surveiller, car le secteur immobilier est un moteur fondamental de l’économie. Il ne faudrait pas avoir une crise immobilière, qui pourrait aussi se traduire par une crise bancaire.

Sur le plan politique, on voit bien que la crise a fait bouger les lignes entre ceux qui sont très frileux et ceux qui veulent avancer très vite. Il faut à la fois de la concurrence et favoriser une relance cohérente. Les évolutions politiques actuelles se reflètent dans le débat sur le secteur bancaire. Certains demanderont plus de souplesse, d’autres plus de coordination entre les pays. La crise va permettre d’avancer sur le sujet de l’Union bancaire, d’autant que c’est un projet qui était prévu de longue date.

Jean-Louis Bourlanges a évoqué le sujet du renforcement de la supervision des petites banques, notamment dans les pays où elles sont nombreuses, comme l’Italie ou l’Allemagne. Ce n’est d’ailleurs pas forcément le rôle de la BCE. La banque centrale italienne, dont nous avons rencontré certains représentants, a beaucoup amélioré son système de supervision, qui souffrait de nombreuses défaillances. S’agissant du MES, les Italiens critiquent certains aspects du mécanisme, mais la crise actuelle va peut-être permettre des progrès.

Par ailleurs, je suis absolument convaincu qu’il y aurait eu des risques majeurs de pertes, s’il n’y avait pas eu ce système. Si toutes les réglementations du secteur bancaire n’avaient pas été mises en place, on serait aujourd’hui en grande difficulté, car nous ne pouvons pas construire un plan de relance sans système bancaire solide. Le système bancaire a permis d’éviter une crise bancaire imminente.

Ensuite, quels sont les obstacles et les leviers de l’achèvement du marché bancaire ? De nombreux obstacles politiques peuvent être surmontés avec la crise car, pour la première fois, tous les pays ont été touchés. Les leviers sont principalement politiques. Il faut cibler quelques domaines : finaliser la supervision, aboutir sur les fonds de résolution. S’agissant de l’Union bancaire, comment peut-on garantir la présence des grands groupes dans les pays d’accueil, sans ponctionner la totalité de la rentabilité d’une banque ? Il faut trouver la solution technique au niveau européen, pour dépasser la logique entre pays d’accueil et pays d’origine des banques. Si nous avançons sur ces aspects techniques, l’Union bancaire pourra progresser beaucoup plus vite.

M. Jérôme Lambert. Je partage nombre de constats du rapporteur. Néanmoins, j’ai lu hier dans la presse les alertes de la BCE sur les risques imminents d’une crise financière, liée au surendettement des États, des ménages et des entreprises. Le rapport est intéressant, mais peut-être un petit peu optimiste. Les alertes de la BCE ne devraient-elles pas vous conduire à infléchir votre analyse ?

M. Christophe Jerretie, rapporteur. J’ai bien lu l’inquiétant communiqué de presse de la BCE, mais je n’ai pas souhaité réécrire mon rapport, qui était prévu pour février. Je suis optimiste sur l’évolution du système bancaire, même si certains éléments peuvent poser problème aujourd’hui, notamment sur la résolution. Il peut y avoir une importante crise financière, mais je voulais mettre l’accent dans le rapport sur les évolutions dans la durée. C’est pour cela que je n’ai souhaité présenter ni proposition de résolution européenne ni conclusions.

Nous sommes à un moment charnière pour la stabilité du système bancaire, qui pourrait être remise en cause en cas de grosses défaillances, notamment en Allemagne en Italie. Je peux infléchir mon analyse en ce sens, même si je reste optimiste. Plus la crise sera longue, plus les risques seront nombreux, car les difficultés rencontrées par certaines grandes banques mutualistes notamment pourraient déstabiliser le système bancaire. Malgré tout, il faut continuer le travail sur la construction de l’Union bancaire. C’est la meilleure solution pour éviter d’autres défaillances. Une crise économique de cette ampleur se répercutera inévitablement sur le système bancaire. Sans changer de position, je pense que nous pouvons avoir des inquiétudes. Les banques seront probablement contraintes de se regrouper très rapidement, notamment les plus petites, qui sont celles qui auront le plus de difficultés, ou seront reprises en main par la BCE au niveau local. Il est normal que la BCE sonne l’alarme, parce qu’elle a une connaissance fine du système bancaire et des difficultés de certaines banques. En Italie, certaines banques ont connu des difficultés et ont été rachetées en 2018 ou 2019. Nous sommes dans une situation assez similaire.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Vous avez évoqué le manque de rentabilité de certaines banques européennes, qui va peut-être s’aggraver avec la crise. Quelles en sont les raisons ? Par ailleurs, je pensais, à tort, que le secteur bancaire avait été parmi les premiers secteurs à être passé à la numérisation. Quelles sont les banques qui n’ont pas sauté le pas ? Est-ce que cela recoupe un clivage nord sud, ou entre petites et grandes banques ?

M. Christophe Jerretie, rapporteur. Le sujet de la numérisation a souvent été évoqué par nos interlocuteurs. La complexité et le coût de la transition numérique expliquent que certaines banques n’ont pas relevé le défi, mais tout le monde est conscient qu’il est nécessaire de progresser en ce sens.

S’agissant de la rentabilité, les coûts et les charges des banques européennes sont plus élevés que ceux des banques américaines. Ces dernières ont donc beaucoup plus de facilités sur le marché européen. Nous sommes donc en retard à la fois sur la numérisation et sur la rentabilité. Les deux sujets sont d’ailleurs liés, car le changement de système permis par la numérisation a un impact sur la rentabilité.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je vous remercie pour la clarté de vos propos sur un sujet très important, notamment dans une période de crise.

La commission a autorisé la publication du présent rapport.

 

 

La séance est levée 11 h 40.

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Yolaine de Courson, M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, M. Michel Herbillon, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Patrick Loiseau, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. Mme Nicole Le Peih, M. Didier Quentin

Assistait également à la réunion. Mme Annika Bruna, députée européenne