Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine (n° 2361) (Mme Béatrice Descamps, rapporteure)              2

– Examen de la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (n° 2211) (M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur)              25

– Présences en réunion................................39

 


Mercredi
22 janvier 2020

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 21

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mercredi 22 janvier 2020

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La commission des Affaires culturelles et de lÉducation examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine (n° 2361) (Mme Béatrice Descamps, rapporteure).

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, j’ai le plaisir d’accueillir M. Franck Riester, ministre de la culture, pour cette réunion consacrée à l’examen de deux propositions de loi du groupe UDI, Agir et Indépendants, dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire. Ces propositions de loi devraient faire l’objet d’une procédure d’adoption simplifiée en séance, le 30 janvier prochain.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Monsieur le ministre de la Culture, mes chers collègues. la Fondation du patrimoine est devenue un acteur incontournable de la protection du patrimoine en France. Elle a été créée par la loi en 1996 et dispose d’un statut dérogatoire au droit commun.

La Fondation peut octroyer un label à une opération de restauration d’un immeuble non protégé, qui permet aux propriétaires privés de bénéficier d’une déduction fiscale. Alors que la loi de 1996 n’avait pas fixé de limite à ce label, une instruction fiscale a, par la suite, défini strictement la nature du patrimoine éligible et les zones géographiques dans lesquelles il peut être labellisé : il s’agit d’immeubles dans les seuls sites patrimoniaux remarquables ou dans des communes rurales au sens de l’INSEE, c’est-à-dire de moins de 2 000 habitants. Or la ruralité ne se résume pas aux communes de moins de 2 000 habitants.

Par ailleurs, les missions de la Fondation se sont élargies progressivement, avec le lancement de souscriptions et de partenariats ou la gestion, depuis l’an dernier, des recettes du loto du patrimoine. L’élargissement de ces missions peut être vu positivement, tant les attentes en matière de protection du patrimoine sont nombreuses. Toutefois l’on peut craindre que la Fondation ne s’éloigne ainsi de ce qui constitue son cœur de métier, à savoir la protection du patrimoine non protégé.

La Cour des comptes a, quant à elle, préconisé une adaptation du label afin de mieux soutenir le patrimoine non protégé dans son ensemble. Elle a recommandé, dans son rapport de 2018, de modifier le périmètre d’application de ce label et de veiller à une meilleure répartition territoriale, dans l’objectif d’une plus grande équité.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, qui est issu des travaux du Sénat, entend donner à la Fondation du patrimoine les moyens de mieux répondre à ses défis actuels. Il s’appuie très largement sur les recommandations de la Cour des comptes.

À cet égard, j’ai pu m’entretenir avec certains de ses représentants, qui reconnaissent la qualité du travail réalisé par la Fondation. Il est rare, on le sait, que la Cour se montre élogieuse : cela indique, s’il en était besoin, que la Fondation du patrimoine a bien joué son rôle de levier depuis sa création.

L’article 1er a pour objectif d’étendre le champ d’application du label afin que la Fondation dispose d’un outil adapté à la réalité des territoires ruraux et qu’elle se rapproche de sa mission historique : la préservation du petit patrimoine non protégé le plus caractéristique du monde rural.

Ce label « Fondation du patrimoine » est particulièrement important puisqu’après des années de démarrage difficile, la Fondation a connu un véritable essor en 2000, année à partir de laquelle elle a été autorisée à délivrer directement cet agrément fiscal. Pour mémoire, ce label peut être attribué aux propriétaires privés d’immeubles visibles depuis la voie publique, après avis favorable de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine (UDAP). Il ouvre à son bénéficiaire la possibilité de défiscaliser de l’impôt sur le revenu entre 50 et 100 % des travaux effectués. En sont exclus les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques ayant fait l’objet d’un agrément ministériel.

L’article 1er vise à étendre le champ d’application géographique du label aux communes de moins de 20 000 habitants.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a supprimé toute condition géographique pour la labellisation des immeubles non habitables. Elle a également étendu le bénéfice du label aux immeubles non bâtis pour y intégrer les parcs et jardins. Pour éviter que la protection du petit patrimoine rural ne se retrouve marginalisée par l’extension du périmètre d’application du label, elle a adopté un amendement qui garantit qu’au moins la moitié des immeubles labellisés chaque année appartiendra au patrimoine rural.

Soucieuse et consciente de la nécessité de redynamiser ce label, je souscris pleinement aux modifications et aux précisions apportées par l’article 1er. Le fait d’inscrire le périmètre du label dans la loi est une manière de conforter la Fondation dans sa vocation principale. Aujourd’hui, si le code du patrimoine dispose que la Fondation peut attribuer un label au patrimoine non protégé et aux sites, les conditions de son octroi sont uniquement définies par le bulletin officiel des finances publiques. La proposition de loi change ces critères ; l’article 1er modifie le code du patrimoine pour expliciter le champ d’application du label, qui pourra être attribué aux immeubles situés dans les sites patrimoniaux remarquables, dans les sites protégés par le code de l’environnement et dans les zones rurales, bourgs et petites villes de moins de 20 000 habitants.

L’article 3 simplifie la gouvernance de la Fondation en réorganisant son conseil d’administration, afin de le rendre plus efficace. Il réforme sa composition et en réduit l’effectif pour faciliter l’organisation des débats et améliorer la prise de décision.

La commission de la culture du Sénat a adopté un amendement du Gouvernement ayant pour objet de rapprocher cette composition de celle des fondations reconnues d’utilité publique. La commission a néanmoins tenu à garantir la présence dans ce conseil d’un représentant des communes rurales, car elles sont intéressées au premier chef par la mission de la Fondation en matière d’identification, de conservation et de mise en valeur du patrimoine de proximité. Elle a par ailleurs maintenu la présence d’un représentant des associations nationales de sauvegarde, compte tenu de l’appui que ces dernières apportent à la Fondation dans les territoires.

Je suis favorable à la modification de la composition du conseil d’administration proposée par l’article 3, qui répond en outre aux recommandations formulées par la Cour des comptes.

Enfin, l’article 5 instaure un mécanisme spécifique de réaffectation des dons à un autre projet en cas de non-réalisation des travaux financés. Si je souscris à l’objectif de cet article, qui permettrait de récupérer une dizaine de millions d’euros, je constate néanmoins que sa solidité juridique semble très loin d’être acquise. Je n’y suis par conséquent pas favorable en l’état et je souhaite qu’il puisse être retravaillé afin que les dispositions qu’il comporte puissent s’insérer dans le cadre d’un autre véhicule législatif.

Je tiens à saluer l’efficience de la Fondation du patrimoine, qui a parfaitement joué son rôle de levier depuis sa création. Sa légitimité et sa force résident notamment dans la protection du petit patrimoine de proximité qui, sans cela, serait menacé. Le législateur doit veiller à consolider et à amplifier ce qui fait le cœur de métier de la Fondation et l’aider à exercer, à l’avenir, sa vocation dans les meilleures conditions possibles.

Ce texte conforte la mission de la Fondation en matière de protection du patrimoine de proximité ; c’est d’ailleurs dans ce domaine que la Fondation est la plus attendue et a un rôle majeur à jouer.

Le texte est en parfaite adéquation avec le programme de revitalisation des centres‑bourgs : l’attribution d’un plus grand nombre de labels garantira une meilleure restauration du patrimoine. C’est devenu un enjeu de politique publique compte tenu du rôle qu’il peut jouer dans l’attractivité des territoires, leur développement économique, leur identité et leur cohésion sociale.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, cher Bruno Studer, madame la rapporteure, chère Béatrice Descamps, mesdames et messieurs les députés, le patrimoine touche à ce que nous sommes, il est ce que nous recevons et ce que nous transmettons, il est une part de notre histoire, de notre mémoire et de notre identité, une part de notre culture commune. Il est aussi un levier de croissance et d’emploi, de revitalisation et de cohésion, de développement économique et d’attractivité pour nos territoires. Il nous incombe de le protéger, de le restaurer, de le valoriser. C’est la mission du ministère de la culture depuis maintenant soixante ans. Pour l’accompagner, le ministère peut compter sur des partenaires essentiels : la Fondation du patrimoine en est un.

Je veux rendre hommage à M. Jacques Chirac et à son ministre de la culture, M. Philippe Douste-Blazy, sans qui cette fondation n’aurait pas vu le jour. Créée par la loi du 2 juillet 1996, la Fondation du patrimoine a été reconnue d’utilité publique par un décret du 18 avril 1997. Depuis, sous les présidences successives de MM. Édouard de Royère, Charles de Croisset et, aujourd’hui, Guillaume Poitrinal – que je remercie pour leur engagement –, la Fondation a su développer son action. Dans ce cadre, l’État lui a confié la mission de délivrer un label en faveur du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques, qui ouvre droit à un régime de déduction fiscale au titre de l’impôt sur le revenu.

La Fondation a aussi contribué au lancement du loto du patrimoine, dont elle assure le pilotage. Après deux éditions, son succès ne se dément pas, et je tiens à remercier Stéphane Bern, qui en est l’un des artisans. Je remercie également les équipes des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), en particulier les agents des conservations régionales des monuments historiques (CRMH) et des unités départementales de l'architecture et du patrimoine, qui fournissent un travail précieux pour accompagner les propriétaires et sélectionner les projets.

En outre, la Fondation du patrimoine a joué un rôle capital en faveur de Notre-Dame, dès le 16 avril dernier. Elle est l’une des trois fondations reconnues d’utilité publique qui ont aidé l’État à organiser la souscription nationale pour la restauration de la cathédrale. Son intervention a été décisive, et je veux l’en remercier.

Aujourd’hui, la Fondation du patrimoine est un acteur indispensable de la protection du patrimoine. La Cour des comptes en prend acte dans un rapport de décembre 2018. Elle recommande toutefois de réexaminer le dispositif du label pour le rendre plus efficient et estime qu’une simplification de la composition du conseil d’administration de la Fondation irait dans ce sens.

La proposition de loi que vous allez examiner s’inscrit dans la lignée de ces recommandations. Je veux saluer les sénateurs, qui ont permis de la préciser. Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Dominique Vérien, qui en est à l’initiative, et M. Jean‑Pierre Leleux, qui en a été le rapporteur au Sénat. Merci à vous aussi, madame la rapporteure, chère Béatrice Descamps, pour vos amendements qui contribueront, eux aussi, à améliorer le texte.

Il vise à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, et d’abord de son label. Actuellement, le code du patrimoine dispose que la Fondation « peut attribuer un label au patrimoine non protégé et aux sites ». Je veux saluer les UDAP, qui valident, pour le compte de la Fondation du patrimoine, les travaux susceptibles de se voir attribuer le label : les avis qu’elles rendent constituent une garantie en matière patrimoniale.

Aujourd’hui, les conditions de l’octroi du label sont uniquement définies par le bulletin officiel des finances publiques. Le texte de loi tend à les faire évoluer. L’article 1er propose de modifier le code du patrimoine afin de clarifier les conditions d’octroi du label. Il pourra désormais être délivré pour les immeubles bâtis ou non bâtis, notamment les jardins remarquables – qui sont aujourd’hui exclus du dispositif – situés dans les villes de moins de 20 000 habitants et non protégés au titre des monuments historiques. De cet article, il résulte une extension importante du champ d’application du label, si bien que le nombre de labels accordés chaque année pourrait doubler. C’est donc une part plus importante de notre patrimoine qui sera ainsi valorisée et protégée.

Le texte issu des travaux du Sénat a supprimé toute condition géographique pour la labellisation des immeubles non habitables. Or le premier enjeu du label doit rester la sauvegarde du petit patrimoine de proximité et du patrimoine rural – comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure. Dans les communes de plus de 20 000 habitants, il conviendrait donc d’attribuer le label aux seuls immeubles non habitables « caractéristiques du patrimoine rural ». C’est ce que proposera la rapporteure avec son amendement AC9 et je l’en remercie.

La proposition de loi vise également à moderniser la gouvernance de la Fondation. L’article 3 vise ainsi à modifier la composition de son conseil d’administration, afin de la rapprocher du droit commun en vigueur dans les fondations reconnues d’utilité publique, auquel elle est aujourd’hui dérogatoire.

En vue d’améliorer la gouvernance, le nombre de membres du conseil d’administration sera réduit. L’État renoncera à son pouvoir de nomination des personnalités qualifiées : elles auront vocation à être cooptées par les autres membres du conseil, à l’instar de ce qui se fait dans les autres fondations reconnues d’utilité publique. Le président de la Fondation aura vocation à être désigné parmi elles. Comme cela est d’usage, un décret viendra préciser le nombre de membres du conseil, ses modalités de fonctionnement et l’élection du président en son sein.

L’article 5 est plus problématique. Il concerne la possibilité pour la Fondation de réaffecter des dons devenus sans objet, lorsque les projets sont devenus caducs ou ont déjà été intégralement financés. S’il entend résoudre une difficulté à laquelle la Fondation du patrimoine est effectivement confrontée, sa dimension rétroactive pose un problème, relatif au consentement du donateur. Il importe en effet que ce consentement soit donné explicitement, soit au moment du don, soit au moment de sa réaffectation, comme l’ont bien montré nos échanges autour de la loi pour la conservation et la restauration de Notre-Dame de Paris. Par ailleurs, cet article crée un précédent en faveur de la Fondation du patrimoine, qui pourrait avoir un impact sur le droit des contrats et le régime de mécénat des fondations. Un amendement de Mme la rapporteure propose, à juste titre, de supprimer cet article.

Mesdames et messieurs les députés, la Fondation du patrimoine est un partenaire essentiel du ministère dont j’ai la charge. Elle est un partenaire indispensable et complémentaire de l’action que nous menons en faveur du patrimoine. Pour gagner en efficacité, le ministère de la culture est en train de se transformer. La Fondation du patrimoine doit faire de même : c’est tout l’objet de cette proposition de loi. Le Gouvernement est donc favorable à son adoption.

M. Raphaël Gérard. Monsieur le ministre, comme vous venez de le rappeler, le patrimoine s’ancre dans une forme de matérialité organique : il porte la trace sensible de notre histoire commune, qu’il convient de préserver. Mais il s’inscrit également dans les dynamiques du cadre de vie contemporain. Cette équation entre héritage et contemporanéité, qui est consubstantielle aux politiques de conservation du patrimoine, a été parfaitement comprise et retranscrite dans la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui. Elle propose d’adapter un outil de protection du patrimoine aux défis posés par notre époque, notamment en ce qui concerne la revitalisation des centres anciens.

Je tiens à mon tour à saluer Mme la sénatrice Dominique Vérien pour son travail remarquable, mais aussi le sénateur Alain Schmitz, délégué régional de la Fondation du patrimoine pour l'Île-de-France, et le rapporteur de la commission de la culture au Sénat, M. Jean-Pierre Leleux. Ensemble, ils sont parvenus à repenser le rôle et les outils dont dispose la Fondation du patrimoine pour répondre aux enjeux patrimoniaux du XXIe siècle. Le succès populaire du loto du patrimoine, qui doit beaucoup à la Fondation du patrimoine et à la mission Patrimoine en péril de Stéphane Bern, montre que le patrimoine de proximité est une source de fierté indicible pour nos concitoyens. Il permet à la collectivité de se projeter dans un milieu de vie et de dessiner les contours de son identité locale.

Toutefois, ce patrimoine vernaculaire ne fait pas toujours l’objet d’un classement au titre des monuments historiques. Et c’est pour cette raison que la Fondation du patrimoine est devenue, depuis sa création il y a vingt-trois ans, un partenaire privilégié des politiques de protection patrimoniale de l’État. Elle se charge de mobiliser le secteur privé, de nouer des partenariats avec les entreprises et d’organiser des souscriptions populaires pour aider les communes rurales et les associations de défense du patrimoine à financer des projets de restauration du petit patrimoine non protégé.

Pour rendre son action plus efficace, mais aussi pour la recentrer sur sa mission prioritaire, la proposition de loi propose d’élargir les critères d’octroi de son label et de moderniser sa gouvernance et son fonctionnement, conformément aux recommandations formulées par la Cour des comptes. Le groupe La République en Marche soutiendra cette proposition de loi, dont l’un des principaux objectifs – le rehaussement du seuil des communes éligibles au bénéfice du label ouvrant droit à un avantage fiscal – est parfaitement cohérent avec la stratégie dessinée par le Gouvernement, notamment dans le cadre de l’agenda rural, qui vise à redynamiser les centres-bourgs, qui peuvent eux aussi disposer d’un patrimoine rural. Je salue d’ailleurs la proposition de la rapporteure d’élargir l’octroi du label au patrimoine bâti ouvert au public. La conservation et la restauration de ce type de bâtiment nécessitent souvent des travaux coûteux pour les propriétaires qui en ont la charge, mais ils peuvent stimuler l’attractivité touristique des territoires ruraux.

S’agissant de la gouvernance, nous souscrivons à la volonté de réduire l’effectif du conseil d’administration et de rapprocher sa composition de celle d’autres fondations reconnues d’utilité publique. La composition proposée par le Sénat me paraît équilibrée, puisqu’elle associe des associations de défense du patrimoine et des représentants des collectivités territoriales, ce qui permet d’assurer la représentation des communes rurales et de garantir le rôle prioritaire de la Fondation dans le soutien du patrimoine de ces petites communes.

En conclusion, je tiens à remercier Mme la rapporteure pour son travail de précision, qui permet d’enrichir les propositions du Sénat et de poser les bases d’un consensus entre l’ensemble des acteurs. C’est l’illustration, s’il en était besoin, que le patrimoine est une force fédératrice dans notre pays.

Mme Constance Le Grip. Nous examinons cet après-midi la proposition de loi de notre collègue sénatrice Dominique Vérien, qui a été adoptée par le Sénat et qui vise à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine.

Avant toute chose, je me réjouis que notre assemblée soit régulièrement amenée à délibérer de textes d’initiative parlementaire : il est très précieux que nos deux chambres jouent ce rôle, pour le bon fonctionnement de nos institutions.

Le groupe Les Républicains soutiendra cette proposition de loi, comme l’ont fait nos collègues sénateurs, emmenés par le rapporteur Jean-Pierre Leleux. Nous espérons qu’elle sera très largement adoptée le 30 janvier prochain en séance publique, sur la base du très bon rapport de notre collègue Béatrice Descamps.

Chacun a rappelé que la Fondation du patrimoine, personne morale de droit privé à but non lucratif créée par la loi du 2 juillet 1996, est un outil très précieux de notre politique de conservation du patrimoine. En tant que membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, nous ne pouvons qu’être sensibles à la dimension historique, culturelle et mémorielle du patrimoine et à son rôle essentiel pour notre identité nationale et locale. Mais on oublie souvent que le patrimoine, au sens large, a aussi une dimension économique et sociale, puisqu’il génère 21 milliards d’euros de retombées économiques et représente près de 500 000 emplois dans notre pays – c’est plus que le secteur automobile. Ces emplois, qui ne sont pas délocalisables, répondent souvent aux attentes des jeunes générations.

L’État concentre l’essentiel de son action en faveur du patrimoine sur les monuments historiques, auxquels il consacre les 506 millions du programme 175, voté en projet de loi de finances. Il est donc nécessaire de compléter cette action par d’autres initiatives : c’est ce que fait la Fondation du patrimoine, qui se charge de mobiliser le secteur privé pour sauvegarder et valoriser le patrimoine non protégé, ce petit patrimoine de proximité, souvent situé dans les zones rurales de notre territoire.

L’engouement de nos compatriotes pour le patrimoine ne se dément pas, bien au contraire. Le succès du loto du patrimoine et l’immense émotion qu’a suscitée, à travers le pays, l’incendie de Notre-Dame montrent que c’est un enjeu essentiel pour nos politiques publiques et pour l’identité de notre nation.

La mission de la Fondation du patrimoine est d’autant plus utile que nous sommes actuellement dans un contexte budgétaire contraint. Permettez-moi de rappeler quelques décisions politiques récentes qui, de notre point de vue, ont eu des effets néfastes sur la préservation du patrimoine. Je songe d’abord à la suppression de la réserve parlementaire en 2017, qui permettait de soutenir les communes et les associations culturelles qui travaillent à la restauration des petits bâtiments. Je pense aussi à la suppression de 25 millions d’euros de crédits au budget du ministère de la culture et à la non-compensation des taxes prélevées par l’État sur les recettes du loto du patrimoine, qui donne lieu à de longs débats à chaque loi de finances. Dans ce contexte, il est plus que nécessaire de renforcer le rôle et la mission de la Fondation du patrimoine.

Notre groupe a déposé plusieurs amendements, afin d’améliorer le texte issu des travaux du Sénat et de réaffirmer le rôle de la Fondation du patrimoine au côté de l’État et des collectivités territoriales. Dans cet écosystème propre au patrimoine, qui conjugue modernité et tradition, il est essentiel d’identifier les acteurs les plus efficaces et de les accompagner.

Mme Géraldine Bannier. Première institution de défense du patrimoine, la Fondation du patrimoine, qui est née en 1996, sauve chaque année plus de 2 000 monuments – églises, théâtres, moulins, musées – et participe activement à la vie des centres-bourgs, au développement de l’économie locale et à la transmission des savoir-faire.

La proposition de loi qui nous est présentée, et qui suit certaines des recommandations de la Cour des comptes, va permettre à cette institution reconnue d’utilité publique de renforcer son action de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine bâti et paysager de nos régions. Elle prévoit de réformer les critères d’octroi du label en autorisant la Fondation à attribuer un label au patrimoine non protégé dans un périmètre plus large que ne le prévoit l’instruction fiscale actuellement en vigueur. Elle propose d’étendre le label aux communes de moins de 20 000 habitants – alors qu’il était limité, jusqu’ici, aux communes de moins de 2 000 habitants – et intègre les sites patrimoniaux remarquables protégés au titre du code du patrimoine, ainsi que les sites protégés au titre du code de l’environnement.

L’article 1er permet en outre d’octroyer le label aux immeubles non bâtis. Il supprime aussi la condition géographique pour la labellisation des immeubles non habitables et prévoit l’obligation, pour la Fondation du patrimoine, de délivrer chaque année une majorité de labels à des immeubles appartenant au patrimoine rural. On peut s’attendre à ce que le doublement du nombre de labels et l’activation de la déduction fiscale entraînent une hausse de la dépense fiscale – je rappelle que la Fondation du patrimoine octroie une subvention dont le montant ne peut être inférieur à 2 % du coût des travaux. Mais tous les travaux qui seront réalisés grâce à ce dispositif sont une bonne chose : cette évolution est tout à fait pertinente, compte tenu des enjeux économiques et humains liés au patrimoine.

Nous proposerons un amendement précisant que les travaux s’appliquent à la protection comme à la restauration du patrimoine labellisé car, trop souvent, l’on assiste, impuissant, à la lente dégradation de trésors patrimoniaux, quand la mise en place de dispositifs de protection eût pu les préserver dans l’attente de leur restauration.

La présente proposition de loi vise par ailleurs à moderniser, à simplifier et à rendre plus efficaces la gouvernance et les outils de la Fondation. L’objectif est de lui permettre de déployer pleinement ses interventions, notamment pendant et après le tirage du loto du patrimoine, initiative très innovante proposée dans le cadre de la mission Bern qui a permis, dans un contexte budgétaire contraint, d’améliorer sensiblement ses marges financières.

Ainsi, le groupe MODEM se prononcera très favorablement pour cette proposition de loi qui arme davantage la Fondation du patrimoine dans la mission d’envergure qui est la sienne, mobilisant chaque jour en son sein 600 bénévoles mais aussi des particuliers et des entreprises. Du puits au moulin en passant par les clochers, les granges et les espaces naturels, nous sommes tous concernés, que l’on soit propriétaire privé, chef d’entreprise ou bien maire d’une commune. Ce sont là les témoignages essentiels de notre patrimoine, de notre histoire, qu’il nous faut protéger, préserver et transmettre aux générations futures.

Mme Michèle Victory. Le groupe Socialistes et apparentés votera cette proposition de loi, qui fait largement consensus chez les acteurs de la Fondation du patrimoine et dans nos groupes politiques. Nous aurons cependant à nous pencher sur différents articles qui méritent soit des précisions dans la formulation, soit d’un accord sur l’organisation de la Fondation, afin de lui donner les moyens nécessaires pour jouer pleinement son rôle.

Il s’agit donc de moderniser les outils de gouvernance de cette association, qui permet chaque année à de nombreuses collectivités et à des acteurs privés de venir en soutien à la restauration de ce que l’on appelle souvent le « petit patrimoine ». Ainsi, dans nos villages et petites villes, plus de 30 000 monuments ont été restaurés avec bonheur. Nos concitoyens sont attachés à ces jardins, à ces murets, à ces fontaines, à ces lavoirs, à ces chapelles et même à ces granges, dont ils se sentent, à juste titre, dépositaires et qui participent de leur identité et de leur histoire. Nous aurions toutefois aimé que le patrimoine lié aux moyens de transport, comme les bateaux et les locomotives, soit inclus dans ce texte. Nos fleuves et nos rails abritent de véritables trésors, que les propriétaires ont souvent le plus grand mal à restaurer.

Le partage des responsabilités et des missions entre l’État, qui concentre ses moyens sur le patrimoine plus prestigieux, inscrit ou classé, et la Fondation, qui a la charge du patrimoine non protégé, reste relativement équilibré même si, dans le domaine de l’inscription de ce patrimoine, les procédures demeurent trop lourdes pour nombre de collectivités. Nous souhaitons évidemment que l’État ne se désengage pas de sa mission de préservation au profit d’intérêts privés.

Afin de ne pas risquer de sortir du champ d’attribution du label l’ensemble du patrimoine situé en zone rurale, nous soutenons l’amendement de la rapporteure qui précise la notion, ainsi que celui consistant à renforcer la prévention contre la détérioration des bâtiments. La possibilité d’élargir la déduction fiscale aux charges d’entretien nous paraît également de bon sens.

Des questions portant sur la gouvernance ont par ailleurs été soulevées par la Fondation et le Sénat. Le fait de réintroduire la représentation du Parlement dans la composition du conseil d’administration nous paraît évidemment juste, comme celle d’y ajouter des représentants des collectivités, qui sont au plus près de la situation patrimoniale de leur territoire. La nomination du président fait l’objet de deux interprétations différentes qui peuvent s’entendre. L’indépendance de cette nomination, à laquelle est très attachée la Fondation du patrimoine et qui a toujours été la règle depuis sa création, assurerait une direction en phase avec l’objet de la Fondation. Aussi nous paraît-il pertinent qu’il soit choisi parmi les membres du conseil d’administration plutôt que par le Gouvernement.

Enfin, nous souhaitons fortement que soit trouvée une solution afin que la Fondation puisse débloquer et utiliser des fonds destinés à des travaux qui n’ont pas pu être effectués, par exemple à la suite de l’absence d’un accord entre la fondation et le maître d’œuvre. Les questions posées par le respect de l’intention du donateur nous semblent de nature à être résolues par le règlement même des dons. Une réécriture de cet article pour en préciser les règles serait bienvenue d’ici au passage dans l’hémicycle : il est en effet important que la Fondation trouve avec le Gouvernement une solution à ce problème. À l’exception de la suppression de l’article 5, que nous ne voterons pas, nous voterons les autres dispositions de la proposition de loi.

M. Olivier Becht. C’est un plaisir particulier pour moi de pouvoir m’exprimer aujourd’hui devant votre commission pour la première fois, d’autant qu’il s’agit de défendre la Fondation du patrimoine avec laquelle j’ai eu le plaisir de travailler lorsque j’étais maire d’une commune entre 10 000 et 20 000 habitants. Cela concernait du patrimoine « monuments historiques » mais nous aurions pu également le faire, si la loi avait été en vigueur à l’époque, sur du patrimoine non protégé. C’est important parce que le patrimoine, c’est la trace que laisse une civilisation lorsque celle-ci n’a plus la capacité de transmettre par la voie orale les valeurs qu’elle porte.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants souscrit évidemment à ce texte, issu d’une proposition de loi déposée par notre groupe au Sénat. Sur le fond, l’extension du champ géographique de délivrance du label aux communes de moins de 20 000 habitants nous semble particulièrement positive. L’enjeu est considérable : la préservation de ce patrimoine participe à la revitalisation des centres-bourgs et contribue à résoudre la fracture territoriale dont souffre notre pays. Les communes rurales ne seront pas pénalisées puisque, à terme, le nombre de labels délivrés devrait doubler.

Nous sommes également favorables à ce que la participation financière de la Fondation du patrimoine soit portée de 1 à 2 % du montant des travaux à condition de ne pas excéder ce taux, sous peine de faire s’effondrer le nombre de labels délivrés. Par ailleurs, ce taux figure dans une instruction fiscale ; il s’agit donc ici de l’inscrire dans la loi afin que la Fondation gagne en stabilité dans l’accomplissement de ses missions.

La question des statuts nous semble également importante : il s’agit de les rapprocher de ceux des autres fondations reconnues d’utilité publique, en réduisant de vingt-cinq à quinze les membres de son conseil d’administration.

L’article 5 soulève un certain nombre d’interrogations. Sur le fond, la proposition semble aller dans le bon sens car l’on sait que certains projets, financés grâce au mécénat, peuvent ne pas aboutir, par exemple en cas de non-respect du cahier des charges d’origine entraînant une baisse de financement par rapport à ce qui était prévu. En outre, les dons eux‑mêmes peuvent excéder le montant effectif des travaux. Il nous semble donc important que ces dons puissent être attribués à d’autres projets. Nous comprenons parfaitement que cela ne soit pas toujours possible, pour des raisons juridiques ; nous souhaitons néanmoins que cette disposition soit adoptée dans le cadre d’un autre véhicule législatif. Globalement, vous l’aurez compris, notre groupe soutient cette proposition de loi et votera en sa faveur.

M. Paul Molac. Merci, madame Descamps, pour cette proposition de loi. Dans ma circonscription, nous avons beaucoup de partenariats avec la Fondation du patrimoine, essentiellement avec les mairies. Certes, nous avons des bâtiments emblématiques qui, de ce fait, sont inscrits et classés ; ce sont plutôt les Bâtiments de France qui s’en occupent. Mais nous avons également beaucoup de patrimoine simplement inscrit, comme des églises datant du XIXe siècle et ayant besoin d’une rénovation très importante. Nous sommes donc très contents que la Fondation du patrimoine trouve des fonds et suscite l’intérêt des concitoyens.

Ce qui est vrai pour les églises l’est également pour le petit patrimoine rural, qui contribue à l’embellissement de nos campagnes, à leur attractivité et aussi à leur capacité à développer un tourisme vert. L’engouement que suscite Le village préféré des Français, qui concerne le petit patrimoine, démontre que nos concitoyens y sont très attachés ; ils mettent à profit leurs vacances pour aller le voir, entraînant ainsi une activité touristique importante.

Le fait d’élargir le label aux parcs, aux jardins et au patrimoine industriel est aussi particulièrement intéressant : dans certaines régions, le patrimoine industriel du XIXe siècle, voire du XVIIIe siècle, a été laissé à l’abandon. De nombreuses initiatives, par exemple des écomusées, qui ont vocation à expliquer aux enfants comment ce patrimoine fonctionnait, témoignent de l’effet positif sur l’économie et le tourisme. La Fondation du patrimoine s’inscrit tout à fait dans ce schéma. Le groupe Libertés et territoires est très favorable à cette proposition de loi.

M. Michel Larive. Créée il y a plus de vingt ans, la Fondation du patrimoine a pour mission de contribuer à la préservation et à la réhabilitation du patrimoine de notre pays, en particulier dans les territoires ruraux, dont je suis un représentant. Elle est déjà intervenue dans plus de 30 000 projets. En Ariège, par exemple, la Fondation a participé à la restauration de l’église de Laroque-d’Olmes, du clocher de Lescure ou encore à la réalisation du Domaine des Oiseaux à Mazères, pour n’en citer que quelques-uns.

Dans certaines villes de mon département, comme à Foix ou à Pamiers, certains immeubles sont laissés à l’abandon depuis des décennies, faute de moyens pour faire les travaux nécessaires ; le coût estimé de la rénovation, lorsqu’elle est encore possible, atteint aujourd’hui des niveaux insupportables. Il s’agit là d’un vrai problème pour de nombreux élus locaux, qui se retrouvent démunis pour enrayer ce phénomène de dégradation du patrimoine.

L’ambition de la proposition de loi à l’étude aujourd’hui est d’améliorer l’efficacité des actions de sauvegarde du patrimoine culturel local et de revitaliser les centres-bourgs et les centres-villes confiés à la Fondation du patrimoine. Sur le principe, nous y sommes bien entendu favorables mais le fonctionnement actuel de la Fondation du patrimoine et les mesures proposées par Mme Vérien et ses collègues sénateurs ne nous satisfont guère.

Tout d’abord, nous considérons que le principe même de la défiscalisation de l’impôt sur le revenu, à hauteur de 50 à 100 % du montant des travaux réalisés par les propriétaires, est contestable. L’extension de cet outil incitatif aux propriétaires d’immeubles habitables situés dans des communes de moins de 20 000 habitants implique un élargissement considérable de l’assiette des propriétaires qui pourront en bénéficier. Voilà encore une mesure à destination des plus fortunés qui nous semble malvenue dans le contexte actuel, puisqu’elle permettrait aux propriétaires de belles demeures de réaliser leurs travaux aux frais des contribuables.

Dans un autre registre, les propositions de ce texte en matière de gouvernance du conseil d’administration de la Fondation nous scandalisent véritablement : en supprimant la limite d’un tiers des voix pouvant appartenir à l’un des représentants d’entreprises privées, et en la remplaçant par la notion de majorité, cette proposition de loi ne fera qu’accentuer la mainmise d’entreprises telles que L’Oréal, Sodexo ou Allianz sur l’administration d’une fondation dite d’utilité publique. Nous souhaiterions au contraire que les représentants d’entreprises privées soient minoritaires au sein du conseil d’administration et nous ferons une proposition dans ce sens par voie d’amendement.

Enfin, sous couvert de diversification du type de dons réalisables par les entreprises, le texte pourrait ouvrir de nouvelles possibilités d’optimisation fiscale par le biais du mécénat d’entreprise. Or nous pensons que les sommes échappant aujourd’hui à l’impôt constituent déjà une véritable gabegie financière. En effet, à en croire les chiffres publiés, en juin dernier, par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales, environ 36 milliards d’euros sont délocalisés chaque année par des entreprises françaises dans des filiales à l’étranger, soit 1,6 % du PIB. Cela représenterait une perte de 14 milliards d’euros pour l’État. Nous serons donc extrêmement vigilants sur cette question lors de l’examen de l’article 4.

Au risque de froisser certaines susceptibilités, chers collègues, je vous ferai remarquer que le groupe La France insoumise développe une tout autre vision de ce que devrait être la politique de sauvegarde et de restauration du patrimoine de notre pays. Nous pensons qu’il serait nécessaire de créer un organisme entièrement public, doté de fonds d’investissement majoritairement publics et d’un modèle de gouvernance permettant une large représentativité de toutes les franges de la société civile. Les montants considérables consentis en défiscalisation, s’ils revenaient sous forme d’impôts à l’État, permettraient de réaliser les investissements nécessaires là où cela est le plus utile, selon des critères définis de manière transparente et démocratique, et non pas au bon vouloir de l’expertocratie actuelle ou d’intérêts privés dissimulés derrière le masque de l’altruisme. Voilà pourquoi le groupe La France insoumise votera contre ce texte.

Mme Marie-George Buffet. Je me félicite que cette proposition de loi nous permette de revenir sur cette question du patrimoine. Le patrimoine, c’est l’histoire, la transmission et aussi la trace de l’évolution de nos sociétés. Je pense notamment au patrimoine industriel. La ville de La Courneuve était une ville ouvrière ; puis, les grandes entreprises, comme Mécano ou Babcock & Wilcox, sont parties. Nous avons été capables de travailler à la rénovation de leurs bâtiments : l’un est devenu le centre fiduciaire de la Banque de France, et l’autre aura une vocation culturelle. Ce patrimoine industriel est aussi l’image de l’évolution de nos sociétés et du monde du travail. Je soutiens également l’élargissement au patrimoine rural. Les petites communes ayant des difficultés financières ont parfois du mal à rénover leur patrimoine rural ou leur centre-ville.

Concernant la gouvernance, la Fondation est très attachée à l’indépendance de son président ou de sa présidente : il faut donc retravailler un peu cet article. Autre remarque portant sur la redistribution des fonds : même si je comprends bien les problèmes que cela pose, les fonds consacrés au patrimoine doivent pouvoir être utilisés pour d’autres projets que celui initialement défini, par exemple lorsqu’un chantier bloque parce que les fonds ne correspondent pas aux travaux nécessaires.

Enfin, Monsieur le ministre, la France possède un magnifique patrimoine avec l’Opéra de Paris et la Comédie française : il serait temps de soutenir le mouvement en cours dans ces deux grandes institutions culturelles françaises !

M. Bertrand Sorre. La Fondation du patrimoine a pour rôle d’accompagner les particuliers, les collectivités territoriales et les associations dans des projets de restauration du patrimoine de proximité. Cette proposition de loi, en étendant le champ d’application du label, poursuit l’objectif de disposer d’un outil adapté à la réalité des territoires ruraux et à la préservation du petit patrimoine non protégé le plus caractéristique de ce monde rural.

Il existe au sein de mon département de la Manche des clubs départementaux de mécènes agissant dans le cadre de la Fondation. Toutefois, seules neuf entreprises participent actuellement à la préservation de notre patrimoine local. Aussi, j’aimerais entendre vos préconisations pour motiver les entreprises locales à participer et à s’investir dans la préservation de leur territoire, et plus particulièrement dans les territoires ruraux, où le tissu entrepreneurial et économique est souvent moins développé que dans les zones urbaines, mais où le petit patrimoine en danger est légion.

Mme Emmanuelle Anthoine. De nombreux biens non habitables – fontaines, puits, pigeonniers, lavoirs, fours à pain, chapelles, moulins – présentent un intérêt patrimonial. Or certains de ces biens risquent d’être exclus de la labellisation ouvrant droit à un avantage fiscal en application du critère géographique des villes de moins de 20 000 habitants. L’avantage fiscal joue un rôle incitatif fort pour la préservation de ces biens, pour lesquels les propriétaires privés n’ont généralement que peu d’intérêt à engager une dépense. Or ce type de biens se trouve parfois dans des communes de plus de 20 000 habitants, dont une partie du territoire présente un caractère rural.

Un amendement du Sénat permet de faciliter la labellisation de tous les biens non habitables en ne les soumettant pas au critère géographique. Madame la rapporteure, vous proposez de compléter la phrase ajoutée par le Sénat avec le terme « caractéristiques du patrimoine rural ». Pouvez-vous nous garantir que l’ensemble des biens visés par la mesure pourra effectivement bénéficier de la labellisation avec cette formulation ?

M. Pierre Henriet. L’extension du label octroyé par la Fondation du patrimoine aux immeubles non bâtis permet d’encourager la sauvegarde d’espaces naturels protégés ou de parcs et jardins dont la préservation présente un intérêt. Or limiter l’octroi de déductions fiscales aux seules charges de travaux n’est pas cohérent au regard de l’objectif de préservation précité : en effet, la sauvegarde des immeubles non bâtis repose essentiellement sur l’entretien régulier de ces derniers. Je souhaite donc savoir comment le label « Fondation du patrimoine » octroyé aux immeubles non bâtis s’articulera avec le label « Jardin remarquable », qui n’ouvre plus droit à des avantages incitatifs depuis la suppression de l’agrément fiscal.

Mme Danièle Cazarian. L’article 3 de la proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation prévoit une réforme de la composition du conseil d’administration et une réduction des effectifs. Réduire le nombre des membres du conseil d’administration de vingt-cinq à quinze permettrait de fluidifier les débats et d’accélérer le processus de décision. Toutefois, l’article supprime les postes octroyés aux parlementaires. Madame la rapporteure, comment pensez-vous, dans ces conditions, faire le lien à l’avenir entre la Fondation et les parlementaires ?

M. Franck Riester, ministre de la culture. Tout d’abord, nous sommes bien évidemment convaincus de l’importance du mécénat de proximité. Je rappelle que la réforme du mécénat, adoptée dans le projet de loi de finances pour 2020, a maintenu la réduction d’impôts de 60 % pour les petites entreprises, la baisse du taux à 40 % n’intervenant que pour les entreprises donnant plus de 2 millions d’euros dans l’année – une petite entreprise de proximité ne donne généralement pas 2 millions d’euros. De plus, nous avons fait passer de 10 000 à 20 000 euros le montant que les petites entreprises peuvent déduire de leur chiffre d’affaires pour faire du mécénat. Nous sommes convaincus, comme vous, de la nécessité d’accompagner les entreprises pour les inciter à contribuer davantage à la restauration du patrimoine de proximité.

Par ailleurs, le budget du patrimoine n’a pas été diminué de 25 millions d’euros en 2019 et la fiscalité frappant les revenus du loto du patrimoine sera bien compensée, comme l’État s’est engagé à le faire. Le loto du patrimoine est une très belle opération, pilotée par la mission Stéphane Bern et la Fondation du Patrimoine, en lien avec les équipes du ministère de la culture dans les DRAC. C’est en s’appuyant sur ces initiatives pertinentes que le Président de la République a pris la décision de créer le loto du patrimoine.

En 2020, le budget du patrimoine augmentera globalement de 30 millions d’euros, en tenant compte des investissements à Villers-Cotterêts au travers du programme d'investissements d'avenir (PIA). Plus spécifiquement, concernant les monuments historiques, il augmentera de 7 millions d’euros en 2020, ce qui montre bien l’engagement du Gouvernement et de la majorité au service du patrimoine.

Plus de 200 000 objets sont protégés au titre des monuments historiques, dont des bateaux. En outre, l’association Patrimoine maritime et fluvial, présidée par Gérard d’Aboville, délivre un label « bateaux d’intérêt patrimonial » ouvrant droit à la défiscalisation.

Enfin, en ce qui concerne l’Opéra et la Comédie française, nous sommes en lien avec les organisations syndicales et la direction des établissements pour sortir le plus vite possible de cette période difficile.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Madame Anthoine, vous m’avez demandé si j’étais assurée que l’ensemble des immeubles non habités relevant du patrimoine rural pourraient bénéficier de la labellisation. Mes amendements, vous l’avez compris, vont effectivement dans ce sens, mais je ne peux pas vous le garantir. Cela étant, j’ai déposé ces amendements après avoir travaillé avec la Fondation du patrimoine, qui m’a assurée qu’il en irait ainsi. J’ai quand même souhaité déposer un amendement de précision pour insister sur la volonté de protéger ce patrimoine de façon prioritaire.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Concernant les jardins remarquables, je précise que la moitié des 442 jardins remarquables est déjà protégée au titre des monuments historiques ; le problème se pose donc pour les autres. L’extension du label aux jardins leur permettra d’accéder à des financements ; les modalités en seront définies par décret, si nécessaire.

Ensuite, concernant les parlementaires, il est important de bien savoir qui fait quoi. Le rôle des parlementaires n’est pas d’être membres de la gouvernance d’un certain nombre d’établissements publics ou de fondations, mais de les contrôler. Dans le cadre de ce pouvoir de contrôle, des rapports annuels sont transmis au Parlement. Ce n’est pas parce que les parlementaires ne sont pas présents dans la gouvernance de ces institutions que le contrôle du Parlement est moins bon – au contraire ! Quand il n’est pas juge et partie, le Parlement peut exprimer un avis exigeant sur leur fonctionnement, beaucoup plus que si certains de ses représentants siégeaient dans leur conseil d’administration.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. L’article 6 bis complète la réponse du ministre puisqu’il ajoute au code du patrimoine la phrase suivante : « Elle transmet chaque année ce rapport d’activité aux commissions chargées de la culture de l’Assemblée nationale et du Sénat et leur indique ses grandes orientations pour l’année à venir. »

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er  Champ géographique d’application du label « Fondation du patrimoine »

La commission examine l’amendement AC9 de la rapporteure.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Cet amendement vise à préciser dans la deuxième phrase de l’alinéa 2 que les immeubles non habitables qui ne sont pas soumis aux restrictions géographiques sont ceux qui sont « caractéristiques du patrimoine rural », pour renforcer l’attachement à ce patrimoine.

En effet, l’un des premiers objectifs du présent texte est de permettre à la Fondation du patrimoine d’assurer la protection du patrimoine non protégé le plus caractéristique du monde rural. La légitimité et la force de la Fondation résident notamment dans la protection du petit patrimoine de proximité, qui, sans cela, serait menacé.

La commission adopte l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement AC15 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Il s’agit de préciser que les travaux concernés sont « de protection ou de restauration ». À la campagne, très souvent, des manoirs, des fours à pain, des bâtiments se dégradent des années durant, faute de recevoir les premiers bâchages sur leurs couvertures. C’est un enjeu d’investissement pour l’État. En effet, si tel n’est pas le cas, le coût des premiers travaux de restauration est déjà énorme lorsque la labellisation intervient. L’amendement AC15 entend traiter ce problème, en insistant sur la protection des bâtiments en souffrance.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Bien que cet amendement ait appelé mon attention, le dispositif, tel qu’il est rédigé, aboutirait de fait à exclure tous les travaux hormis ceux de protection et de restauration, ce qui est contraire à l’objectif recherché.

Par ailleurs, les travaux réalisés dans le cadre du label délivré par la Fondation du patrimoine ont nécessairement pour objet la conservation du patrimoine. Cela correspond à l’objet même de la Fondation et c’est ce qui justifie que la délivrance du label lui soit confiée.

Enfin, conformément aux dispositions du code général des impôts, l’UDAP compétente territorialement, au sein de la DRAC, doit rendre un avis favorable préalablement à la délivrance du label par la Fondation. Elle veille naturellement à ce que les travaux aient pour objet la conservation de l’immeuble concerné. Les travaux, outre ceux de conservation, portant sur des aménagements n’entrent pas dans le champ du label.

Mon avis est donc défavorable.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Je comprends bien la préoccupation de Mme Bannier. Cependant, la restauration et la conservation du patrimoine sont l’objet même de la Fondation, qui ne réalise pas d’autres travaux. La précision est donc superfétatoire.

Par ailleurs, l’amendement ne semble pas devoir accélérer la restauration du patrimoine. Bien que je partage votre point de vue sur la nécessité de réaliser des travaux le plus tôt possible pour diminuer les coûts de restauration, je note que l’amendement n’indique aucun délai d’intervention. Il revient aux services du ministère, notamment aux UDAP, de veiller à ce que les travaux soient réalisés rapidement et dans les règles de l’art de la restauration comme de la conservation.

Je vous suggère donc de retirer l’amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

Mme Michèle Victory. Je veux soutenir cet amendement, qui soulève un problème bien réel. J’ai en effet été confrontée dans ma circonscription à des bâtiments qui n’ont pas pu être conservés correctement. On a beau savoir qu’il devrait en être autrement, la réalité nous ramène à la difficulté d’apporter les premiers soins à un bâtiment, faute de moyens. Il faudrait certainement revoir le dispositif pour que les travaux de protection soient réalisés dans les temps.

Mme Annie Genevard. L’amendement AC15 évoque non pas la conservation à proprement parler, mais des mesures conservatoires, premier acte du processus de conservation. Je comprends les arguments qui lui sont opposés, mais j’estime qu’il soulève une question intéressante, restée hors du radar de tous les acteurs du patrimoine.

On peut en effet se demander si certains bâtiments méritent des mesures conservatoires. L’amendement ne peut certes pas répondre à cette question, mais il est intéressant qu’elle soit soulevée devant M. le ministre car elle ne fait pas l’objet de mesures spécifiques.

J’ajoute, comme ma collègue Constance Le Grip, que nous n’en finissons pas de déplorer la suppression de la réserve parlementaire. Loin d’être un outil injustement dévalué, elle était au contraire une façon très efficace de lancer des programmes de conservation du petit patrimoine rural. Nous avons beaucoup perdu en la matière car ces sommes étaient souvent le moyen d’enclencher un processus de restauration.

M. Raphaël Gérard. Je rejoins Mme Genevard sur la nécessité de s’interroger sur les mesures conservatoires visant les monuments. La Fondation du patrimoine m’a confirmé lors de nos échanges que, souvent, les propriétaires demandent le label avec pour objectif de commencer des travaux immédiatement après son obtention, ce qu’encadrent et suivent les UDAP. Nous devrons certes nous saisir de ce sujet très important, afin de trouver les moyens d’éviter une dégradation trop rapide des monuments. Mais il reste distinct du mécanisme qui nous occupe, lequel semble fonctionner efficacement.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Mon intervention rejoint celle de M. Gérard. Comme je l’ai dit en préambule, il faudra que nous travaillions le sujet évoqué.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Si l’amendement tel qu’il est rédigé paraît redondant avec l’objet même de la Fondation du patrimoine, les mesures conservatoires sont évidemment importantes. Sans avoir à les mentionner dans le texte, il faudra sensibiliser à nouveau les services de l’État et les équipes de la Fondation du patrimoine à l’importance de telles dispositions, lorsque les travaux de restauration ou de conservation ne débutent pas immédiatement. Cela pourra vous rassurer aujourd’hui, madame la députée.

Quant à la réserve parlementaire, elle a été compensée par plusieurs dispositifs placés entre les mains du préfet, notamment la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR)…

Mme Annie Genevard. Partiellement !

Mme Frédérique Meunier. Cela ne fonctionne pas !

M. Franck Riester, ministre de la culture. … qui reste un outil au service de la restauration du patrimoine lorsque les communes montent un dossier avec le préfet. Si le dispositif ne reprend peut-être pas à la totalité de ce à quoi servait la réserve parlementaire, il est fort utile en ce qui concerne le patrimoine.

Mme Géraldine Bannier. Je retire l’amendement AC15 en remerciant mes collègues d’avoir considéré qu’il posait un vrai sujet. Un grand nombre de propriétaires privés, qui devraient assurer ces mesures conservatoires, ne le font pas. Ils mériteraient d’être accompagnés financièrement pour ces chantiers, en attendant une réfection totale et plus coûteuse.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements AC8 de la rapporteure et AC17 de M. Pierre Henriet.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. L’amendement AC8 vise à clarifier les conditions d’octroi du label délivré par la Fondation du patrimoine. Dans certains cas, le critère de la visibilité de la voie publique pourrait s’avérer insuffisant pour permettre l’octroi du label, alors même que des travaux sont nécessaires à la conservation d’un immeuble présentant un intérêt patrimonial. Il peut s’agir, par exemple, de la façade d’un immeuble ayant un intérêt patrimonial ou d’un jardin qui ne sont pas visibles depuis la voie publique.

Dès lors, il est nécessaire de prévoir une autre condition, pour éviter un effet d’éviction dommageable à la conservation du patrimoine, et pour garantir l’équité entre les propriétaires d’immeubles présentant un intérêt patrimonial. L’engagement du propriétaire à rendre son bien accessible au public, dès lors qu’il bénéficie du label de la Fondation du patrimoine, constitue une alternative adaptée.

M. Pierre Henriet. L’amendement AC17 va dans le même sens. La condition de visibilité de la voie publique peut être difficile à remplir en pratique, notamment pour les labels qui seront octroyés sur des immeubles non bâtis. En outre, de nombreux bâtiments dont la préservation présente un intérêt patrimonial, notamment en zone rurale, ne sont accessibles que par un chemin privé, ce qui retire aux propriétaires la possibilité de se voir octroyer un label.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Je suis favorable à l’amendement de la rapporteure et j’accepte de lever le gage.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Mon amendement satisfait l’amendement AC17. En outre, il ne convient pas de prévoir un renvoi vers l’article du code général des impôts qui fixe les conditions d’ouverture au public car toute évolution dans le référencement des articles du code général des impôts nécessiterait une modification du code du patrimoine. Le renvoi aux articles 156 et 156 bis, que prévoit déjà l’article 1er, est suffisant.

Par conséquent, je vous demande de retirer l’amendement AC17. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement AC17 est retiré.

La commission adopte l’amendement AC8.

La commission est saisie de l’amendement AC5 de Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. L’amendement est rédactionnel. Il s’agit de conjuguer un verbe au singulier, non au pluriel.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. La correction étant réalisée automatiquement par les services de l’Assemblée, je vous suggère de retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC10 de la rapporteure, puis l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement AC20 de M. Pierre Henriet.

M. Pierre Henriet. L’amendement AC20 vise à favoriser la sauvegarde d’immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, en permettant aux emphytéotes de tels immeubles d’accéder au dispositif du mécénat affecté. Aujourd’hui, ces derniers ne peuvent en bénéficier, alors qu’ils supportent l’ensemble des charges d’entretien et de restauration de l’immeuble dont ils sont preneurs.

Les preneurs de baux emphytéotiques portant sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques peuvent bénéficier depuis le 1er janvier 2017, par substitution au propriétaire, des déductions fiscales à l’impôt sur le revenu prévues par les articles 156 et 156 bis du code général des impôts, dans les conditions fixées par l’article 31-0 bis du même code.

L’ouverture du mécénat affecté aux emphytéotes facilitera la mise en œuvre de projets de restauration dans les monuments historiques privés ou publics faisant l’objet d’un bail emphytéotique.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Cette extension aux emphytéotes du bénéfice du mécénat affecté nécessiterait une modification du code général des impôts. Or l’objet de la présente proposition de loi est de clarifier les conditions d’attribution du label et la gouvernance de la Fondation du patrimoine. La question me semble donc devoir être disjointe et traitée, le cas échéant, lors du débat sur le projet de loi de finances.

Par ailleurs, il me semble que les emphytéotes peuvent d’ores et déjà bénéficier de mécénat au profit des immeubles en cause. Ce point devra être vérifié.

Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Sans vouloir contredire Mme la rapporteure, il ne me semble pas que les emphytéotes puissent bénéficier du mécénat affecté. Ce sujet, qui entend modifier le code général des impôts, relève bien d’une discussion lors du débat sur la loi de finances pour 2021.

M. Raphaël Gérard. Je veux saluer le travail de M. Henriet car personne n’avait encore soulevé ce point, qui mérite d’être clarifié. Je suis aussi d’avis de renvoyer la question au projet de loi de finances, car nous ne disposons pas d’étude d’impact. Dans le projet de loi de finances pour 2020, nous avions déjà réalisé un travail de mise en conformité de ce statut très particulier. Aujourd’hui, je m’interroge sur la réalité des cas qui pourraient être concernés par une telle situation. Mieux vaut donc prendre le temps de la réflexion d’ici au prochain projet de loi de finances.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement AC21 de M. Pierre Henriet.

M. Pierre Henriet. L’amendement rédactionnel AC21 vise à remplacer l’expression « monuments historiques, inscrits à l’inventaire » par les mots « ou inscrits au titre des monuments historiques » afin d’être en conformité avec l’article L. 143-2-1 du code du patrimoine.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Je suis favorable à cette modification, si la rédaction de l’amendement est rectifiée. En effet, vous n’avez pas tenu compte du terme « supplémentaire » dans l’expression modifiée.

La commission adopte l’amendement AC21 rectifié.

Article 2 (Supprimé)  Extension du bénéfice du label aux jardins et parcs et au patrimoine industriel

La commission maintient la suppression de l’article 2.

Article 3  Modification de la composition du conseil d’administration de la Fondation du patrimoine

La commission examine, en discussion commune, les amendements AC6 de Mme Brigitte Kuster, AC2 de Mme Constance Le Grip et AC1 de M. Michel Larive.

Mme Brigitte Kuster. L’amendement AC6 modifie la rédaction des alinéas 2 à 8 du présent article, qui concerne la composition du conseil d’administration de la Fondation du patrimoine. En effet, l’article 3 ne prévoit pas de présidence de la Fondation du patrimoine, contrairement à l’article L. 143-6 du code du patrimoine en vigueur.

Si son alinéa 8 laisse supposer que les statuts déterminent les conditions de désignation et de renouvellement des membres du conseil d’administration, rien ne l’explicite. Il s’agit donc de rétablir dans la loi la fonction de président du conseil d’administration et de renvoyer aux statuts la répartition des compétences, comme la voix prépondérante ou non, du président.

De même, l’article L.143-6 prévoit que le Parlement soit représenté par un député et un sénateur désignés respectivement par les présidents des deux assemblées. Si la proposition de loi a pour ambition de rapprocher la Fondation du patrimoine des collectivités et de tous les territoires, il paraît important de maintenir également une représentation nationale, à travers les parlementaires, qui ont une vision globale du patrimoine. Comme d’autres collègues l’ont rappelé, il serait dommage de se priver de leur expertise nationale.

Enfin, prévoir la présence d’un « représentant des associations nationales de protection et de mise en valeur du patrimoine » n’est pas opportun. Ces associations étant très nombreuses, en valoriser une plutôt qu’une autre risquerait d’envoyer le signal que certains patrimoines priment sur d’autres. De plus, la notion d’associations nationales de protection et de mise en valeur du patrimoine n’a pas de fondement juridique et ne renvoie pas à une catégorie d’associations dont les contours seraient clairement définis. Cela fait courir des risques juridiques à la nomination d’un membre au conseil d’administration de la Fondation du patrimoine.

L’amendement AC6 vise donc à rétablir la présidence du conseil d’administration et à assurer une vision nationale du patrimoine.

Mme Constance Le Grip. L’amendement AC2 a également pour objet de modifier la rédaction de l’article 3 issue des travaux du Sénat. Comme ma collègue Brigitte Kuster, je souhaite réintroduire au sein du conseil d’administration de la Fondation du patrimoine la présence d’un député et d’un sénateur. J’ai écouté attentivement les propos du ministre, mais il me semble que la Fondation du patrimoine n’est pas une fondation reconnue d’utilité publique comme les autres. Créée par le législateur, portée par sa volonté, elle revêt une dimension très particulière.

Nous souhaitons donc réaffirmer l’intérêt de disposer non seulement des rapports annuels, qui sont déjà envoyés et que certains d’entre nous lisent avec attention, mais aussi d’un député et d’un sénateur dans le conseil d’administration de la Fondation.

Ayant compris que l’idée était de diminuer les membres du conseil d’administration, je propose par ailleurs que le représentant des associations nationales de protection et de mise en valeur du patrimoine figure parmi les personnalités qualifiées.

Surtout, outre la composition du conseil d’administration, je souhaite maintenir dans le texte, en l’écrivant noir sur blanc, la règle actuelle en vertu de laquelle le président de la Fondation est choisi par le conseil d’administration, ce que ni la version du Sénat ni celle souhaitée par l’exécutif ne prévoient plus désormais. Nous sommes très attachés à la Fondation du patrimoine, qui n’est pas une fondation comme les autres, et nous ne souhaitons pas que ses modalités de gestion et de gouvernance soient entièrement alignées sur celles des autres fondations reconnues d’utilité publique. Nous tenons notamment à l’indépendance et à la liberté du choix du futur président de la Fondation du patrimoine par le conseil d’administration.

M. Michel Larive. L’amendement AC1 vise à doter la puissance publique d’une participation significative à l’administration de la Fondation du patrimoine. La capacité de cette fondation à octroyer un label ouvrant droit à d’importantes réductions d’impôt sur les opérations de restauration engage les finances publiques. Ainsi, rien ne justifie la prédominance de représentants d’opérateurs privés au sein du conseil d’administration de cette fondation, au détriment de membres garants de l’intérêt public.

Une telle répartition des voix est par ailleurs dérogatoire au droit commun, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2013 : « Les entreprises fondatrices disposent de la majorité des voix au sein du conseil d’administration de la Fondation du patrimoine, ce qui est contraire au principe général qui établit que les fondateurs ayant consenti au dessaisissement définitif de leurs fonds doivent être minoritaires. »

En supprimant les sièges des représentants du Parlement au sein du conseil d’administration, le présent article ne fait qu’accentuer la mainmise des grandes entreprises privées sur l’administration d’une fondation pourtant reconnue d’utilité publique. C’est pourquoi nous souhaitons rétablir la présence d’un député et d’un sénateur au sein du conseil d’administration.

Nous vous proposons également de modifier leur mode de nomination, pour que les deux parlementaires ne soient plus désignés par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, mais élus respectivement par les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat et de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Il n’est pas souhaitable de prévoir une disposition propre au président de la Fondation du patrimoine car cela ne correspond pas à l’esprit de la proposition de loi, qui vise à simplifier la gouvernance de la Fondation et à la rapprocher des statuts de droit commun.

Quant à la suppression de la présence de parlementaires au conseil d’administration, votée à l’initiative du Sénat, elle s’inscrit dans le cadre de la réflexion menée par les assemblées sur la présence de parlementaires dans les organismes extérieurs au Parlement. Par ailleurs, il est inhabituel que des parlementaires siègent au sein du conseil d’administration d’une fondation. Les statuts types des fondations reconnues d’utilité publique n’ont pas retenu ce principe. En outre, s’agissant d’une loi visant à simplifier la gouvernance de la Fondation, il ne me paraît pas souhaitable de revenir sur cette évolution.

Enfin, les statuts des fondations reconnues d’utilité publique relèvent d’un décret pris après avis du Conseil d’État, rédigé sur le fondement des statuts types, qui déterminera les modalités de désignation des membres du conseil d’administration et le nombre d’administrateurs. Cela constitue une garantie suffisante, qui est d’ailleurs celle apportée à l’ensemble des fondations de notre pays.

S’agissant de l’amendement AC1, je rappelle que l’objectif de la présente proposition de loi est d’améliorer la gouvernance de la Fondation du patrimoine, dont le conseil d’administration est composé de façon dérogatoire.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable aux amendements AC6, AC2 et AC1.

M. Michel Larive. La présence de parlementaires n’est inhabituelle que parce que vous la décrétez telle à présent. Quant aux garanties dont vous parlez, elles sont insuffisantes et spéculatives. Nous sommes ici pour faire la loi. C’est pourquoi ces garanties doivent être posées dans le cadre de la proposition de loi que vous rédigez.

Mme Frédérique Meunier. Vous disiez précédemment que vous aviez toujours tenu compte de la position de la Fondation du patrimoine. Pourtant, alors que l’institution nous a écrit pour expliquer que cette désignation permettait au conseil d’administration de choisir librement et en toute indépendance son président, vous ne la suivez pas sur ce point. Je ne comprends pas les raisons qui vous poussent à agir ainsi, bien que vous ayez reconnu la spécificité de la Fondation. Laissons-lui cette spécificité, qu’elle demande elle-même.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Une telle proposition de loi doit certes s’appuyer sur des échanges avec la Fondation du patrimoine, mais celle-ci n’en décide pas pour autant ce que votent les parlementaires en toute responsabilité.

La présence de députés ou de sénateurs dans le conseil d’administration d’une fondation est un sujet très intéressant, dont le Parlement, notamment, doit débattre. Ma conviction est faite depuis longtemps, y compris lorsque j’étais député : dans ce type d’institutions, les parlementaires ne doivent pas être juges et parties, afin de mieux exercer leur rôle de contrôle.

Madame Le Grip, ces organismes remettent certes des rapports au Parlement, ou au Gouvernement, qui les transmet au Parlement. Mais des missions d’information et des commissions d’enquête sont également menées. Or il est toujours plus difficile pour un parlementaire de porter un regard affûté sur une institution lorsque l’un de ses collègues siège dans le conseil d’administration de celle-ci, car le Parlement se trouve alors juge et partie. Je suis convaincu qu’il est beaucoup plus sain que les parlementaires ne disposent pas d’un pouvoir important dans les institutions que le Parlement est chargé de contrôler. Cela vaut pour la Fondation du patrimoine, comme pour les autres fondations.

Par ailleurs, l’indépendance sera renforcée avec la nouvelle gouvernance puisque l’État n’aura plus le pouvoir de nommer des membres du conseil d’administration de la Fondation du Patrimoine. L’absence de député et de sénateur au sein du conseil d’administration accentue l’indépendance politique.

Enfin, le conseil d’administration sera, comme actuellement, responsable du choix de son président. Par symétrie avec l’organisation des autres fondations, le président sera désigné en son sein parmi ses pairs. Rien ne justifie que la Fondation du Patrimoine fonctionne différemment des autres fondations.

Vous souhaitez intégrer les représentants des associations nationales de protection du patrimoine dans les personnalités qualifiées. Le débat a déjà eu lieu au Sénat, qui a précisé que le conseil d’administration devra comprendre au moins un représentant des associations nationales de protection du patrimoine. Cela ne signifie pas qu’il n’y en aura qu’un seul – les personnalités qualifiées pouvant également être issues de ces associations.

M. Raphaël Gérard. Le ministre a parfaitement résumé les enjeux de l’article 3. On parle souvent de simplification. En l’espèce, il s’agit de simplifier et normaliser les statuts, tout en diminuant le nombre de membres du conseil d’administration, et vous souhaitez tous ajouter des membres !

Je le dis d’autant plus librement que sa majorité est dans l’opposition, le Sénat – qui a longuement débattu – a abouti, me semble-t-il, à un bon équilibre sous la houlette de son rapporteur, Jean-Pierre Leleux, ardent défenseur de la préservation et de la valorisation de notre patrimoine. Les nouvelles dispositions nous permettront de gagner en souplesse ; la sagesse voudrait donc que nous nous rangions à la version adoptée par le Sénat.

M. le président Bruno Studer. Je m’y range.

M. Michel Larive. Il ne s’agit pas d’être juge et partie, mais les sénateurs et les députés sont les seuls représentants légitimes du peuple, à qui appartient le patrimoine français. C’est la raison pour laquelle nous insistons : le conseil d’administration sera sûrement beaucoup plus impartial en présence de deux parlementaires que s’il est composé majoritairement d’intérêts privés…

Mme Annie Genevard. Je suis du même avis que M. Larive, mais pour une raison différente : de toutes les politiques culturelles, celle du patrimoine est probablement une des plus lisibles et une des plus politiques – au sens noble du terme – pour les Français. Tout ce qui touche au patrimoine intéresse tous nos compatriotes. Or, chaque fois que les parlementaires sont absents d’institutions pilotant ces sujets d’importance, la proximité fait défaut.

Bien sûr, nous pouvons intervenir en commission, recevoir des rapports mais ces derniers encombrent les rayonnages de nos bureaux, sans que nous ayons toujours le temps de les lire. À l’inverse, un parlementaire qui assiste aux travaux d’une fondation fait œuvre de proximité. Je ne suis donc pas d’accord avec le Sénat. Qu’est-ce que cela vous coûte ? En quoi cela dérange-t-il quelqu’un ? En quoi cela serait-il préjudiciable ?

Mme Brigitte Kuster. Mme Genevard vient de résumer ma pensée. Peut-être craignez-vous une guerre interne car nous aurons tous envie de faire partie de ce conseil d’administration ? (Sourires.) Nous en reparlerons en séance.

La commission rejette successivement les trois amendements.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AC11 de la rapporteure.

Elle en vient à l’amendement AC3 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Il s’agit d’un amendement différent du précédent. Il propose seulement de réintégrer un député et un sénateur dans le conseil d’administration de la fondation.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement AC19 de M. Pierre Henriet.

M. Pierre Henriet. Mon amendement vise à faciliter le choix du représentant en restreignant le nombre d’associations visées aux seules associations reconnues d’utilité publique.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Cet amendement vise à limiter le nombre d’associations nationales de protection et de mise en valeur du patrimoine pouvant siéger au sein du conseil d’administration. Cela me gêne, mon avis est donc défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel AC12 de la rapporteure, puis l’article 3 ainsi modifié.

Article 4 – Possibilité pour la Fondation du patrimoine de bénéficier de dotations en actions ou parts sociales d’entreprises

La commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 Modalités de réaffectation des dons à un autre projet porté par la Fondation du patrimoine

La commission examine l’amendement de suppression AC7 de la rapporteure.

Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer l’article 5, dont la solidité juridique est très loin d’être garantie. En premier lieu, sa rédaction fait peser des incertitudes concernant le respect du principe de consentement du donateur, qui constitue un principe fondamental du droit des contrats. En second lieu, prévoir une disposition propre à la Fondation du Patrimoine créerait un précédent qui pourrait avoir des conséquences plus larges sur le droit des contrats et le régime de mécénat des fondations, lesquelles peuvent être confrontées à des difficultés similaires. Enfin, cet article méconnaît le principe de non-rétroactivité de la loi.

Si ce dispositif, qui visait à permettre la récupération d’une dizaine de millions d’euros, n’est pas acceptable en l’état, il est toutefois souhaitable de trouver un autre moyen de répondre à cet enjeu, par le biais d’un autre véhicule législatif.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 5 est supprimé et l’amendement AC4 de Mme Brigitte Kuster tombe.

Article 6 – Suppression de dispositions relatives à l’insaisissabilité des biens acquis par la Fondation du patrimoine et lui permettant de recourir à des prérogatives de puissance publique

La commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 6 bis – Contrôle de la Fondation du patrimoine par le Parlement

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC13 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 6 bis ainsi modifié.

Article 7 Gage financier

M. le président Bruno Studer. Le Gouvernement lève-t-il le gage ?

M. Franck Riester, ministre de la culture. Le gage est levé.

En conséquence, l’article 7 est supprimé.

La commission adopte la proposition de loi modifiée.

*

La commission procède ensuite à l’examen de la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (n° 2211) (M. Pierre MorelÀL’Huissier, rapporteur).

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Monsieur le président, je vous remercie d’accueillir un commissaire aux lois, qui n’a pas l’habitude de siéger dans votre commission ! J’en suis heureux, d’autant que cette proposition de loi va marquer la ruralité.

Nous allons aborder un sujet que certains vont qualifier de léger, voire d’amusant, mais qui souligne surtout combien notre société évolue, combien les relations humaines se complexifient, allant jusqu’à porter atteinte à la vie rurale. Il s’agit des bruits et odeurs de la campagne. En voici un aperçu : l’abeille bourdonne, l’aigle trompette, la caille cacabe, le canard cancane, le cheval hennit, la cigale craquette ou stridule, la fauvette zinzinule, les vaches meuglent, et sonnent comme les églises et les temples, le rossignol et le coq chantent.

Dans le même temps, la campagne regorge d’odeurs et d’effluves divers de la terre après la pluie, de parfums de fleurs, d’émanations de nectars, intrinsèques à la nature auxquelles se mêlent les odeurs liées à l’activité humaine, celles du fumier et du lisier. Ce sont des réalités rurales.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Et ça sent bon !

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Certains adorent, quand d’autres ne supportent pas, ou plutôt ne supportent plus. Phénomène de société, individualisation rampante, judiciarisation de la vie en commun, André Torre, économiste et directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’explique, les disputes font partie de la vie en société. Nous assistons à une intolérance croissante entre riverains. Nous observons une montée de la conflictualité partout depuis trente ans, allant de pair avec la judiciarisation de la société. L’autre raison tient à une société moins cohérente qu’à l’époque de nos grands-parents. Plusieurs cultures se côtoient et cela génère davantage d’opposition entre les voisins : conflits avec des agriculteurs, opposition quant à l’utilisation des sols qui surgissent dans l’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence, conflits près des usines de traitement de déchets ou de production d’énergie, ainsi qu’à proximité des tracés de TGV.

J’ajouterai que la campagne véhicule une image d’Épinal trop souvent répandue : la nature, le silence, les petites fleurs, en oubliant les activités humaines ! Or, en tant que législateur, il nous appartient d’appréhender les problèmes récurrents et de les régler. Ma proposition de loi est cosignée par soixante et onze députés de tous bords – que je tiens à remercier. Elle a été enregistrée le 11 septembre 2019.

Elle s’inscrit dans une double volonté : protéger le patrimoine et la biodiversité qui nous entourent et instaurer les bases solides d’un dialogue entre des personnes qui ont des modes de vie différents et qui ne se comprennent pas toujours.

Elle vise les bruits et odeurs du monde rural et touche à la notion de trouble anormal de voisinage, strictement jurisprudentielle en l’état actuel du droit. Nous sommes conscients qu’elle ne recouvre pas tous les aspects de la vie qui peuvent entraîner des conflits, et donc potentiellement des actions judiciaires, mais elle permet de faire un pas vers une meilleure appréciation des litiges du quotidien. Elle fait surtout écho à de nombreuses affaires judiciaires qui ont alimenté les prétoires et la presse ces dernières années.

Vous avez forcément entendu parler de l’affaire du coq Maurice : l’animal était visé par une plainte de voisins qui l’accusaient de perturber leur sommeil aux aurores et d’être une nuisance sonore. Les plaignants, propriétaires d’une résidence de vacances à Saint-Pierre d’Oléron, demandaient à sa propriétaire, Corinne Fesseau, d’éloigner ou de faire taire l’animal sous quinze jours. Le tribunal correctionnel de Rochefort, saisi de ce trouble de voisinage, a donné raison à Corinne Fesseau et a ordonné aux plaignants de verser à la propriétaire 1 000 euros de dommages et intérêts.

Mais vous avez peut-être moins entendu parler de l’affaire des déjections d’abeilles : le maire de Pignols, dans le Puy-de-Dôme, a reçu des plaintes contre les abeilles d’un couple d’apiculteurs récemment installés car les déjections de ces insectes peuvent former des petites billes jaunes ou noires qui salissaient leur linge et leur mobilier de jardin – il s’agit ni plus ni moins que de pollen ! Une solution amiable est en cours dans cette affaire.

Enfin, comment ne pas évoquer l’affaire de la cloche de l’église aux Bondons, à côté de Florac, dans les Cévennes – dans mon département : elle gênait un vacancier. Dans le Var, le maire du Beausset et une gérante d’entreprise ont été sollicités pour éradiquer les cigales dans les champs proches de la maison d’un habitant ne supportant pas leur bruit…

S’il est difficile de quantifier le phénomène judiciaire en l’absence de données fiables, comme le souligne le Conseil d’État, le ministère de la justice nous a indiqué que 1 800 dépôts de plainte pour dommages liés à l’environnement ont été recensés, et que la Cour de cassation a examiné 490 recours pour troubles anormaux de voisinage, qui ne sont pas tous liés à la ruralité.

La multiplication de ces conflits inquiète les maires ruraux qui se trouvent pris à partie, à tel point que de nombreuses communes ont apposé un panneau à l’entrée de leur village précisant que, si les vacanciers ou hôtes de passage n’étaient pas satisfaits, notamment de la présence d’animaux, ils pouvaient passer leur chemin…

En déposant cette proposition de loi, je souhaite ouvrir un débat sur la notion de patrimoine sensoriel rural. Il n’était nullement question pour moi de figer une rédaction définitive, bien au contraire. Je souhaitais une véritable avancée législative normative – et non l’adoption d’une résolution, qui aurait peu apporté en droit positif français. Les dispositions que je propose étant innovantes, j’ai souhaité soumettre le texte de la proposition de loi au Conseil d’État, comme je l’avais fait pour la proposition de loi relative aux sapeurs-pompiers volontaires en 2011. Trois réunions se sont ainsi tenues, en présence des ministères concernés – culture, transition écologique, chancellerie, cohésion des territoires – et du secrétariat général du Gouvernement. Ce mode de travail novateur a été salué par le Conseil d’État.

Dans son avis du 16 janvier, ce dernier a émis des réserves concernant plusieurs dispositions du texte d’origine, tout en rappelant que, si l’objectif poursuivi peut sembler anodin, il recouvre en réalité des questions profondes touchant tant à l’identité qu’au vivre ensemble. Le Conseil d’État rappelle qu’il revient au législateur de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement, du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, conformément à l’article 34 de la Constitution.

Nous avons souhaité tenir compte des vingt-neuf points soulevés par le Conseil d’État et rédigé des amendements qui modifient le dispositif juridique, tout en conservant les mêmes objectifs : reconnaître le patrimoine sensoriel des campagnes, tout en évitant les recours pour trouble de voisinage liés aux émissions sonores et olfactives rurales.

Nous souhaitions reconnaître dans la loi que le patrimoine sensoriel des campagnes est constitué de sons et d’odeurs caractéristiques de la vie rurale. Il est apparu que la base juridique initialement retenue – une modification du code du patrimoine – et la notion de patrimoine sensoriel pouvaient entraîner des difficultés d’appréciation et une insécurité juridique. En conséquence, suivant les recommandations du Conseil d’État, je vous propose d’inscrire les sons et les odeurs de la campagne dans le code de l’environnement, à l’article L. 110-1 relatif au patrimoine commun de la Nation.

En ce que concernent le contenu de ce patrimoine sensoriel et le classement de ses différentes composantes, ma proposition de loi prévoyait la création de commissions départementales, ce qui n’était pas de nature à simplifier l’organisation administrative et pouvait également conduire à des distorsions d’analyses département par département.

Je vous proposerai donc par amendement de confier cet inventaire aux services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, déjà chargés d’étudier et de qualifier l’identité culturelle des territoires. Ils prendraient désormais en compte les activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux. L’inventaire général a été créé par un décret en 1964, à l’initiative d’André Malraux. Il est piloté par la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et, depuis 2005, sa mise en œuvre est confiée aux régions. Nous proposons également que les données de cet inventaire puissent concourir à l’élaboration des documents d’urbanisme, si les élus le souhaitent, afin de valoriser et de préserver le caractère rural des territoires concernés.

Concernant la notion de trouble anormal de voisinage, il nous a été proposé de solliciter le Gouvernement aux fins de dépôt d’un rapport visant à cristalliser les critères de cette notion jurisprudentielle et de préciser que le juge peut tenir compte dans son appréciation de l’environnement dans lequel s’inscrivent la nuisance et le trouble, ainsi que de son antériorité.

Pour conclure, je suis très attaché aux procédures de médiation – nous l’avons abordé avec le Conseil d’État. Depuis la récente loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, la saisine du tribunal de grande instance – désormais tribunal judiciaire – relative à un conflit de voisinage doit être obligatoirement précédée d’une tentative de conciliation. Cependant, dans le décret d’application, le Gouvernement a restreint ce recours aux litiges concernant les limites de terrain. J’appelle de mes vœux que les troubles liés aux bruits et odeurs en zone rurale puissent également faire l’objet d’une procédure de conciliation avant saisine des tribunaux.

La proposition de loi ne vient pas empêcher tout recours devant le juge. En effet, selon les termes de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne dont les droits et libertés ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale. Le trouble anormal de voisinage reste caractérisable lorsqu’il a été délibérément produit, de façon régulière et ou par malice – ainsi, si un voisin souhaite tondre sa pelouse à sept heures du matin ou qu’un autre qui utilise sa tronçonneuse à l’aube, la volonté de nuire est manifeste.

Le patrimoine rural appartient à l’ensemble de la collectivité ; il n’est en rien exclusif aux ruraux. Il est d’ailleurs bien souvent recherché par la plupart des citadins qui viennent se reposer à la campagne et ne s’en plaignent pas. Il est le résultat d’un passé bien présent, que nous cherchons partout à protéger et à valoriser. Qu’il soit du fait de l’homme ou naturel, il façonne l’image de nos campagnes, mais plus largement de toute la France. Il nous lie et renforce notre identité, à l’intérieur de nos frontières et à l’international. Pour conserver ces lieux de mémoire, il faut les préserver en plaçant notre démarche dans le contexte global de la valorisation du patrimoine du pays et du respect de la biodiversité qui nous entoure.

Ma proposition de loi pose les bases nécessaires à cette ambition : un premier maillon – la définition et la connaissance de ce patrimoine ; un deuxième – le partage – et un troisième – sa préservation. Il est essentiel de considérer cette dernière sous l’œil du développement responsable. Il ne s’agit nullement de figer des notions et d’empêcher des aménagements futurs. Le patrimoine évolue avec nous ; nous devons capitaliser sur ses spécificités pour nous développer de façon durable et respectable.

Ce travail ne sera couronné de succès que par nos actions, allant dans le sens d’un meilleur vivre-ensemble. C’est d’ailleurs le cœur du travail de votre commission !

M. Franck Riester, ministre de la culture. Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est important. Même si je crois que les élus du monde urbain sont également conscients de l’importance de préserver les spécificités du monde rural, j’en suis d’autant plus convaincu que je viens d’une circonscription rurale et que je suis fier de ce département de Seine‑et‑Marne, urbain et rural. Ayant été maire de la bonne ville de Coulommiers, je connais particulièrement bien les bruits et les odeurs des bons produits de nos territoires !

Ces bruits et ces odeurs sont une part de notre identité, une part de notre pays. Il est donc important de le reconnaître. Monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup travaillé, dans l’état d’esprit constructif que l’on vous connaît. L’attente des élus locaux – notamment des maires – est forte. Vous évoquiez les affiches à l’entrée des communes rurales. Je sais que les maires sont souvent pris à partie par certains, qui arrivent dans leur village et n’ont pas compris qu’ils étaient dans une zone rurale dont il fallait préserver ou respecter les spécificités.

C’est pourquoi le Gouvernement, soutenu par sa majorité et – je l’espère – la majorité d’entre vous, a fait le choix de participer à la recherche de la meilleure rédaction juridique. Je vous remercie de l’avoir souligné. Je salue votre initiative d’avoir soumis la proposition de loi à l’avis du Conseil d’État : le travail fourni a été très utile, j’en remercie le Conseil d’État. Nous avons proposé de nous appuyer sur l’inventaire général du patrimoine culturel. Il n’a pas vocation à figer nos campagnes, mais à reconnaître leurs richesses à travers un travail de documentation technique et scientifique. Il permettra d’enrichir les documents d’urbanisme, afin de valoriser et préserver le caractère rural de ces territoires. Cet inventaire permettra également aux décideurs locaux de prendre leurs décisions en connaissance de cause, notamment en matière d’aménagement du territoire.

Mesdames et messieurs les députés, défendre nos territoires, leur richesse, leur diversité et leurs spécificités, est une priorité absolue du Gouvernement : il est donc favorable, comme la majorité, à cette proposition de loi.

Je remercie le président de la commission, Bruno Studer, ainsi que vous-même, monsieur le rapporteur, pour le travail constructif mené tant avec la majorité qu’avec les députés – je pense notamment à Sandrine Mörch – et les différents ministères en vue de trouver la rédaction la plus juste, et donc celle la plus à même d’assurer avec efficacité la défense de la ruralité.

M. le président Bruno Studer. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Sandrine Mörch. Qu’on les considère comme un délice ou comme une nuisance, les bruits et les odeurs de la campagne constituent une source inépuisable de discussions : ils sont non pas anecdotiques, mais révélateurs de nos mutations sociétales.

Ces dernières années, ce partage un peu forcé de la nature a fait fleurir les complaintes et les conflits de voisinage, parfois même au-delà de nos frontières, en Angleterre, en Espagne et en Allemagne. M. le rapporteur l’a rappelé : il a été question d’empêcher les cloches de Bondons de sonner, d’assécher la mare aux grenouilles de Grignols, de faire taire le coq de l’île d’Oléron ou de désinsectiser les champs de cigales dans le sud.

Les actions en justice sont souvent intentées par des touristes, des néoruraux ou des voisins ne supportant plus l’activité d’autrui. Elles sont habituellement envisagées sur le fondement juridique des troubles anormaux de voisinage, notion uniquement jurisprudentielle.

Cette proposition de loi, présentée par Pierre Morel-À-L’Huissier et cosignée par soixante et onze de nos collègues de tous bords – vise à définir et à protéger le patrimoine « sensoriel » des campagnes françaises, terme qui n’existe pas dans notre droit positif.

Ce texte constitue en quelque sorte à la fois un antidote aux recours en justice excessifs formés contre les bruits et les odeurs de la campagne, c’est-à-dire à l’hyper‑judiciarisation de notre société, ainsi qu’un geste de soutien à l’égard des maires, chez qui vont d’abord se plaindre nombre de nos concitoyens.

Le rapporteur vit et travaille dans une de nos ruralités les plus authentiques. Je représente quant à moi le périurbain : je suis en effet une citadine venue chercher un coin de campagne en banlieue toulousaine. C’est conjointement que nous défendons le chant du coq et celui des cigales, le carillon des cloches, le croassement des grenouilles et l’odeur du fumier : autant de bruits et d’effluves qui font partie intégrante de la vie rurale, de notre littérature et de notre créativité contemporaine.

Le patrimoine immatériel des campagnes françaises, ainsi que la biodiversité en général sont menacés : préserver notre nature ne se résume pas à supprimer nos produits Tupperware et nos objets en plastique.

Habitante d’une zone périurbaine, je vois année après année s’aggraver le naufrage immobilier des campagnes proches des grandes agglomérations. La couronne de Toulouse, victime de son succès, a ainsi été défigurée par des ZAC, des ZUP et autres zones commerciales, entraînant la désolation de champs transformés en lotissements à la vitesse de l’afflux des nouveaux arrivants, si bien que lorsque je tombe, au détour d’une petite route passant à travers champs – et non à travers Auchan –, sur un troupeau de vaches qui résiste encore à l’envahisseur-lotisseur, ces odeurs animales me rassurent. Elles m’ancrent à une terre, à un pays et – qui sait ? – à une identité. Et je salue mentalement l’agriculteur résistant. Quand j’entends un coq, il ne me dérange pas : il me rend plus vivante. Quant au clocher, il m’arrime à une communauté d’habitants, à un village, à la France : un tel sentiment n’est ni catholique, ni religieux, mais culturel. Les vaches, les coqs et les cloches sont nos racines. Ils peuvent sembler appartenir au passé et relever d’un combat d’arrière-garde, ils seront pourtant bientôt, à nouveau, à l’avant-garde. On sent en effet poindre ce besoin, cette tendance et ce retour. Ces petits indices de la nature sont aujourd’hui très diversement interprétés : ils sont vus soit comme une pierre d’achoppement, soit comme une occasion d’émerveillement.

Ce travail législatif est le fruit d’un réel consensus visant à préserver notre patrimoine naturel et notre biodiversité, ainsi qu’à améliorer nos liens sociaux. Je salue encore une fois cette collaboration transpartisane qui nous a permis d’aboutir au présent texte en faveur de nos campagnes et de jeter les bases d’un meilleur vivre ensemble, ou du moins d’instaurer un dialogue entre des modes de vie qui n’ont plus rien à voir les uns avec les autres. Il rend également un hommage discret qui dit en quelque sorte : restez, résistez, nous avons besoin de vos bruits et de vos odeurs.

Mme Annie Genevard. Permettez-moi tout d’abord, monsieur le rapporteur, de vous remercier pour cette proposition de loi profondément originale en ce qu’elle élargit la notion même de patrimoine au domaine sensoriel.

Elle envoie un signal fort de soutien aux territoires ruraux malmenés ces derniers temps entre « l’agribashing » et les multiples actions en justice intentées contre ces bruits et contre ces odeurs, dont au passage la description a offert des pages si poétiques à la littérature.

L’année 2019 a été émaillée par des litiges de voisinage abondamment commentés : un coq condamné en justice en raison du caractère trop matinal de son chant en Charente‑Maritime, un village assigné en justice par l’un de ses habitants afin que la cloche de l’église soit mise en sourdine, une propriétaire de canards appelée à comparaître devant le tribunal de Dax pour nuisances sonores, des grenouilles menacées de disparition par des voisins en Gironde, des cigales dans le viseur de vacanciers armés d’insecticides dans le Var ou dans le Gard, du crottin de cheval de trait au tribunal de Colmar.

Ces trop nombreuses affaires judiciaires témoignent du manque de respect et de considération dont font preuve certains de nos concitoyens à l’égard de la ruralité, de nos territoires ruraux, comme à l’égard de nos agriculteurs, de nos viticulteurs ainsi que de leurs animaux et de nos modes de vie. L’accroissement de ces plaintes d’un genre nouveau nous indigne et oppose les villageois, empêchés de travailler pour certains, gênés dans leur cohabitation pour tous.

Cette situation met également et malheureusement en exergue l’égoïsme irresponsable de ceux qui veulent vivre à la campagne sans respecter ceux qui y étaient avant eux. Ces actions en justice, qui tendent à se multiplier, sont souvent intentées par des vacanciers ou par des néoruraux qui ne supportent pas ce qu’ils considèrent comme des nuisances : cela se vérifie hélas trop souvent puisque les maires sont sans cesse sollicités pour des faits de ce type.

Pour vous citer, monsieur Morel-À-L’Huissier, « ce sont toutes les valeurs et l’authenticité de la campagne qui sont remises en cause. » Élue municipale dans un territoire rural, j’ai bien sûr, et comme vous tous, plaisir à remarquer la présence de touristes ou de nouveaux habitants qui dynamisent nos villes et nos villages. Mais la condition première est le respect de tout ce qui identifie le territoire : son mode de vie, ses habitants, mais aussi ses animaux, ses bruits, ses activités professionnelles ainsi que leurs odeurs et leurs émissions sonores. On ne vit pas à la ville comme on vit à la campagne.

Monsieur le rapporteur, je me félicite des amendements que vous avez déposés à la suite de votre collaboration avec le Conseil d’État, les administrations compétentes et les cabinets ministériels : leur adoption permettrait en effet la création d’un inventaire des terroirs, établi département par département, qui figerait dans les pages du code du patrimoine – ou de l’environnement – l’identité du patrimoine rural.

Ainsi, les promeneurs ne pourraient plus s’étonner de la présence de cigales dans le Sud, ou de celle des vaches montbéliardes dans le Doubs grâce auxquelles nous dégustons de délicieux Comté, Mont d’Or ou autres Morbier.

Les décisions de justice seront rendues en respectant les notions d’identité du patrimoine et d’antériorité. Les composantes de la ruralité seraient ainsi prises en compte en fonction des territoires et de leurs spécificités. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’autoriser n’importe quoi mais de respecter les traditions et les métiers et de dissuader ceux qui considèrent que lutter contre les bruits et les odeurs inhérents à nos territoires ruraux est un droit.

Oui, la France est ce pays merveilleux, aux multiples richesses, dans lequel les cigales chantent, les vaches meuglent et les fermes émettent des odeurs.

Chers collègues, il est de notre devoir de protéger nos concitoyens des actions visant à nuire à leurs activités, mais surtout d’œuvrer en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler le bien vivre ensemble, dans la mesure où la multiplication de ces conflits rend la vie impossible à trop de Français et oppose des modes de vie, des traditions ou des voisins, incapables de s’accepter, pointant du doigt des hommes et des femmes dont le seul tort est de vivre et de travailler à la campagne. Parfois des animaux sont même directement mis en cause !

Cette proposition de loi est donc profondément utile. Certes, on peut s’étonner d’avoir à légiférer en la matière, mais, parfois, face à la bêtise et à l’égoïsme, seule la force de la loi permet de lutter.

Mme Sophie Mette. Nous sommes nombreux à nous soucier ici de ce qui caractérise la vie rurale, son patrimoine et son charme, aujourd’hui remis en cause et contestés par des demandes émanant de néoruraux.

Loin d’être négligeables, ces faits sont de plus en plus nombreux et portent sur des éléments qui font partie intrinsèque de la vie à la campagne, et non pas, comme certains voudraient le faire croire, d’une sorte de folklore campagnard. C’est d’ailleurs pourquoi ces demandes suscitent de la part de ceux qui vivent dans ces territoires des réactions parfois vives, nourries par l’incompréhension. Il y a donc lieu de nous intéresser à ce sujet et il est bon de pouvoir en débattre. Restait à trouver le moyen de le faire. Si votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, comportait des dispositions intéressantes, elle ne nous semblait pas être gage d’efficacité.

Nous saluons donc votre initiative visant à soumettre votre texte à l’avis du Conseil d’État, qui en effet a formulé des remarques pertinentes éclairant nos travaux ainsi que la position que nous devons prendre.

Ainsi, en complétant l’article L. 110-1 du code de l’environnement, comme le propose l’un des amendements, vous permettez, en la rattachant au patrimoine naturel, une définition plus précise et plus pertinente de la notion de patrimoine sensoriel. Je crois qu’une réflexion autour du code rural pourrait également avoir son utilité : il s’agit en tout cas d’un sujet qu’il faut continuer à explorer.

De même, la prise en compte dans l’inventaire général du patrimoine culturel, prévu par l’article 95 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, nous semble être une voie utile et efficace.

Reste la question de la qualification d’un trouble anormal de voisinage qui mérite une étude approfondie que vous suggérez dans votre dernier amendement et que nous soutenons. Il conviendra donc que nous poursuivions ce travail, quitte à compléter le dispositif à l’avenir.

En tout état de cause, nous sommes convaincus du bon sens de cette proposition de loi qui met en évidence un souci que partagent beaucoup de maires de petites communes : nous souhaitons ainsi leur envoyer un message de soutien. Dans ma circonscription d’ailleurs, un maire a créé une association, L’écho de nos campagnes, après avoir subi certains désagréments. Il avait écrit un courrier au président de la République à ce sujet dans le cadre du Grand débat.

Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés soutiendra avec grand plaisir cette proposition de loi, sous réserve du vote des amendements proposés par notre rapporteur.

Mme Béatrice Descamps. La mise en valeur du patrimoine rural est un point prégnant de notre niche parlementaire : après avoir étudié une première proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, nous en venons à une seconde visant à définir et à protéger le patrimoine sensoriel de campagnes françaises.

Si ce sujet peut paraître anecdotique de prime abord, il s’agit en réalité d’un texte aux enjeux profonds. De plus en plus de recours sont en effet intentés contre des propriétaires d’animaux, responsables de ce que leurs auteurs qualifient de nuisances sonores, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.

L’ampleur médiatique dont a bénéficié le traitement de ces affaires, de plus en plus nombreuses, a produit une caisse de résonance à l’indignation de nos compatriotes. Telle l’affaire du coq Maurice qui a vu un couple de vacanciers intenter un recours contre la propriétaire dudit volatile car celui-ci avait la mauvaise idée… de chanter à l’aube. Ces plaignants ont considéré le chant de ce coq comme une nuisance sonore constitutive d’un trouble anormal du voisinage. Ce gallinacé est ainsi devenu l’emblème d’une ruralité menacée et a bénéficié d’un écho médiatique tonitruant : un article à son propos a même été publié dans l’édition du New York Times du 23 juin 2019 !

Nous pourrions multiplier les exemples retraçant des situations similaires, moins médiatisées mais tout aussi incompréhensibles : le caquetage des canards, les cloches d’une église de village ou le mugissement des vaches dans les prés.

La préservation de ce patrimoine dit sensoriel devient une nécessité pour la sauvegarde du caractère rural de nos campagnes car celles-ci ne sauraient se résumer à un lieu de villégiature propice aux citadins. Les bruits et effluves propres à la ruralité ne peuvent être assimilés à des nuisances puisqu’ils en constituent l’essence même.

Nous saluons votre travail, monsieur le rapporteur, car il nous permet, d’une part, de rappeler notre attachement à la ruralité et, d’autre part, de préserver et de valoriser ce que sont nos campagnes.

L’intérêt de votre saisine du Conseil d’État, grâce au concours du Président de l’Assemblée nationale, est à souligner, d’autant que vous avez pris en considération toutes les remarques qu’il a formulées afin d’enrichir ce texte. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, seules trente et une propositions de loi ont bénéficié de cette procédure : c’est très peu, alors même que l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont été élevées au rang d’objectifs à valeur constitutionnelle par une décision du Conseil constitutionnel du 6 décembre 1999.

Concernant l’article 1er, la consécration du patrimoine sensoriel dans notre droit positif nous paraît être une nécessité afin de protéger un patrimoine de plus en plus menacé. Sa valorisation par l’enrichissement des missions des services régionaux de l’Inventaire général du patrimoine culturel va dans le bon sens. Même dépourvu de portée normative, il permettrait d’identifier le patrimoine sensoriel propre à chaque région. Le juge pourrait également s’en saisir à l’appui de jugements similaires à ceux que nous venons d’évoquer.

Enfin, nous partageons votre volonté, monsieur le rapporteur, de codifier la notion prétorienne de troubles anormaux du voisinage et d’en fixer les critères – notamment environnementaux – d’appréciation. En inscrivant ces principes dégagés par la jurisprudence dans la loi, nous nous assurerons de la préservation de l’essence même de nos campagnes.

Le Groupe UDI, Agir et Indépendants se prononcera pour cette proposition de loi qui est un très beau message envoyé à nos campagnes.

M. Paul Molac. Il est effectivement assez curieux, et presque incongru, de rédiger une loi sur les bruits et les odeurs des campagnes françaises : même les Monty Python – pour ceux qui connaissent un peu l’humour absurde britannique – n’y avaient pas pensé ! (Sourires.) Et pourtant, nous sommes confrontés à un véritable problème : j’ai d’ailleurs cosigné cette proposition de loi.

Cela me fait penser à ce droit féodal au Moyen Âge qui imposait de battre l’eau la nuit pour faire taire les grenouilles à la saison des amours. Même s’il n’est pas forcément attesté, Michelet en avait fait l’un de ses violons d’Ingres car il lui permettait de montrer combien la société seigneuriale était quelque chose d’affreux. Il semble cependant qu’il en ait été fait peu usage.

En est-on là ? Il est quand même curieux de voir ce pauvre coq Maurice renvoyé devant la cour tout simplement parce qu’il chante. Ou que le nouvel occupant d’une maison dans un bourg se plaigne que les cloches sonnent. Et que dire de la trayeuse mise en marche à six heures trente le dimanche ? Eh oui, il faut traire les vaches deux fois par jour, sept jours sur sept !

Tout cela part d’une conception fantasmée et idéalisée de la campagne, qui serait par essence un havre de paix. Or à part les paysages de haute montagne, il n’existe plus en France, et depuis belle lurette, de paysages naturels : ceux-ci ont été façonnés par l’homme, y compris, bien sûr, à la campagne. Ainsi, le bocage n’a rien de naturel : les arbres ne poussent pas spontanément à la queue leu leu. Que viennent chercher ces gens qui s’installent à la campagne ? Cela en dit long sur la coupure avec l’ancien monde, celui de la campagne où l’on voyait le grand-père trucider le lapin ou le poulet. Tout cela nous ramène finalement à une certaine humanité.

Je trouve même incroyable que les juges poursuivent sur la base de tels faits : laisserait-on par exemple quelqu’un qui s’installerait à proximité du boulevard périphérique poursuivre l’État au motif que des voitures y passent en faisant du bruit ? Je ne le crois pas. Dernièrement, des plaisanciers se sont plaints du bruit fait par le goéland, espèce protégée mais il est vrai bruyante. Vont-ils dès lors poursuivre l’État au motif qu’il ne réussit pas à les priver de leur voix ? Où tout cela va-t-il s’arrêter ? Il y a là quelque chose qui dépasse mon entendement.

Loin de moi l’idée de donner des instructions aux juges – je suis bien trop attaché à la séparation des pouvoirs pour le faire. Mais cette proposition de loi me paraît nécessaire lorsque certains en viennent à vouloir régler ce qui est naturel. Eh bien non, ce n’est pas possible ! Il en va de même de la pluie : impossible de décider s’il doit pleuvoir la nuit ou le jour !

M. le président Bruno Studer. Pour la bonne tenue de nos débats, je précise que le coq chante, coqueline ou coquerique. (Sourires.)

Mme Marie-George Buffet. Habitante depuis toujours de villes de banlieue, je ne prends pas cette proposition de loi à la légère : elle traduit en effet une difficulté à vivre ensemble, dans la ruralité mais également dans le monde des villes, une intolérance aux activités différentes des siennes ainsi qu’à certains modes de vie.

Le patrimoine sensoriel, c’est-à-dire les bruits et les odeurs, n’est pas négligeable. De plus en plus d’historiens se saisissent d’ailleurs de cette question pour retracer la vie de nos compatriotes il y a quelques centaines d’années, dans les villes et la ruralité.

Certains éléments doivent cependant être précisés, comme vous l’avez reconnu, monsieur le rapporteur. Je pense à la notion de ruralité, et à celle de désirabilité. En effet, le partage entre zones réellement rurales et zones loties accueillant les habitants des grandes villes petit à petit chassés par le prix des loyers devient problématique.

Ne faisons pas toutefois de ce texte un objet d’opposition entre, d’un côté, les ruraux, qui seraient des gens formidables, et, de l’autre, les urbains, habitant des lotissements et n’acceptant pas d’entendre ceci ou de sentir cela. Une telle opposition serait non seulement factice mais dangereuse. Il faut entretenir le vivre ensemble tant en ville qu’à la campagne. Et ceux qui changent de lieu d’habitation doivent respecter les bruits et les odeurs des activités avoisinantes.

Le groupe GDR votera cette proposition de loi en insistant sur le fait que le vivre ensemble vaut tant pour les urbains que pour les ruraux.

M. le président Bruno Studer. Nous en venons aux questions.

M. Stéphane Testé. Monsieur le rapporteur, cette proposition de loi a pour objectif de dresser, dans chaque département, l’inventaire de tous les bruits et odeurs considérés comme constitutifs d’un patrimoine sensoriel. Cette qualification serait opposable en cas de poursuites judiciaires engagées sur le fondement d’un trouble anormal de voisinage, régulièrement invoqué dans leur cadre.

Pouvez-vous tout d’abord nous indiquer combien de plaintes liées à ce patrimoine sensoriel des campagnes françaises ont été déposées dans le monde rural au cours de ces cinq dernières années ? Par ailleurs, avez-vous estimé le nombre de plaignants qui pourraient être déboutés de leurs poursuites du fait de l’entrée en vigueur de la loi ?

Mme Agnès Thill. Je suis à la fois interrogative et dubitative, à l’instar de mon collègue Paul Molac, comme moi signataire de cette proposition de loi. J’en comprends néanmoins la portée éminemment politique et symbolique. Ce texte reflète en effet le paradoxe de notre époque qui souhaite urbaniser la ruralité et ruraliser le milieu urbain.

Je tiens à remercier vivement notre collègue Morel-À-L’Huissier de cette initiative, car ce texte envoie un message fort : le chant du coq, le tintement des cloches ou l’odeur des fermes font effectivement partie intégrante de l’ADN de notre pays et de nos campagnes et constituent un héritage immémorial qui lie notre passé à notre présent. Cependant, j’aimerais nuancer mon propos, car je trouve désolant que l’on soit réduit à devoir préciser des choses aussi évidentes, que l’Assemblée nationale doive légiférer pour protéger des choses aussi naturelles que le braiment des ânes et l’odeur du fumier.

Surtout, cette proposition de loi renvoie à une réalité beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît : elle met en évidence le déracinement d’une partie croissante de la population ainsi que l’inquiétante judiciarisation des rapports sociaux. Si les Français ne savent plus ce qu’est une campagne, la nature ou un village, je crains qu’un texte de loi ne soit pas suffisant pour leur faire retrouver le sens du réel.

Je soutiens ce texte de bon sens visant à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes, mais conclurai mon propos en posant néanmoins cette question : n’est-il pas absurde de devoir préciser par la loi les évidences naturelles ?

Mme Jacqueline Dubois. De plus en plus souvent, des situations pourtant naturelles à la campagne sont remises en question. Dans mon département, les grenouilles de Grignols ont défrayé les chroniques pendant sept ans. Ces créatures innocentes sont le symbole de l’intolérance urbaine aux bruits ruraux. Alors que la mare abrite désormais cinq espèces protégées, leurs propriétaires sont condamnés par la justice à la combler.

Votre proposition de loi me paraît avoir du sens, car elle vise à la fois la réalisation d’un inventaire général du patrimoine sensoriel de nos campagnes et l’appel à la conciliation en cas de conflit de voisinage lié à une activité ou à un mode de vie ruraux.

Si l’exemple des grenouilles est très lié à la nature, les conflits impliquent le plus souvent des activités agricoles. À ce titre, j’aimerais porter à votre connaissance l’initiative de la chambre d’agriculture de Dordogne. Celle-ci a pour projet cette année d’élaborer une charte de bon voisinage en partenariat avec des élus, des citoyens et des agriculteurs, ce qui me paraît une piste intéressante pour éviter les conflits et apaiser les relations entre ces acteurs. Elle pose incidemment la question de l’intérêt d’un texte de loi qui apparaît fantaisiste à certains et dangereux à d’autres. J’aimerais connaître votre point de vue sur le sujet, monsieur le rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Avant de répondre aux questions, j’aimerais remercier Sandrine Mörch de son implication depuis le début de l’élaboration de ce texte, en particulier pour en faire comprendre le caractère normatif et l’importance. Je salue pour les mêmes raisons Annie Genevard, qui a accompagné cette démarche dès l’origine, et apporté des éléments d’appréciation pertinents sur la ruralité.

Madame Mette, vous avez précisément retracé l’évolution du texte, et mis en évidence l’important travail fait par le Conseil d’État, auquel j’avais souhaité soumettre pour avis cette proposition avant son examen en commission en raison de sa complexité. Un vrai travail légistique a été réalisé. La notion de patrimoine sensoriel sera notamment insérée non pas dans le code du patrimoine, mais dans celui de l’environnement.

Chère collègue Béatrice Descamps, je vous remercie de votre soutien sur ce texte, très important pour la ruralité.

Je vous l’accorde, monsieur Molac : s’il fallait aussi se plaindre des bruits de la ville, il y aurait beaucoup à faire !

Madame Buffet, vous avez pointé le problème de l’intolérance. L’objectif de ce texte n’est pas d’opposer néoruraux et ruraux. Il est d’établir l’existence de spécificités propres à la ruralité, de sons et d’odeurs intrinsèques, de les inventorier et de les intégrer dans le droit positif.

Je ne pourrai pas répondre précisément à vos deux questions, monsieur Testé. Le ministère de la justice ne disposait pas d’éléments concrets, et vous savez qu’il est difficile pour un parlementaire de faire une étude d’impact sur une proposition de loi. Nous avons essayé de quantifier les plaintes déjà déposées, mais c’est très difficile. Près de 1 800 demandes au titre des nuisances environnementales sont recensés par la chancellerie et 490 recours concernant les troubles anormaux de voisinage auraient été soumis à la Cour de cassation, mais les litiges peuvent être traités par les tribunaux d’instance ou par une procédure de conciliation avec le procureur de la République et un maire, lequel est souvent l’arbitre de proximité.

En intégrant ces notions dans un texte de loi, nous permettons au juge de fonder ses décisions sur une base patrimoniale en appliquant le principe d’antériorité. Si, dans dix ans, un riverain se plaint du bruit que font les cigales sur un territoire comme celui de la Provence, le juge pourra lui opposer que la cigale figure à l’inventaire général du patrimoine et qu’elle est un élément intrinsèque de l’identité des campagnes qu’il serait malvenu de contester.

Chère Agnès Thill, la démarche vous paraît absurde, mais c’est un premier pas, comme je l’indiquais dans mon propos liminaire. Ces dispositions sont novatrices : intégrer dans le droit français les notions de patrimoine sensoriel des campagnes, d’émissions sonores et olfactives est un début. Nous avons été étroitement accompagnés par le ministère, en raison de la complexité du sujet. Le dispositif adopté par l’UNESCO en 2003 au travers de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ayant un objet un peu différent, nous avons choisi comme véhicule législatif le code de l’environnement pour préciser un aspect du patrimoine rural.

La charte mentionnée par Jacqueline Dubois me paraît une excellente initiative, comme toutes celles qui s’appuieraient sur la complémentarité entre les agriculteurs et les citoyens. On l’a vu sur les ressources en eau, les chambres d’agriculture parviennent à régler un certain nombre de conflits au moyen de cet outil, qui aurait d’ailleurs eu sa place dans la proposition de loi.

M. le président Bruno Studer. Avec le changement climatique, on peut imaginer qu’il y aura bientôt des cigales en Bretagne !

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. C’est en établissant l’inventaire qu’on pourra le déterminer. La cigale est en tout cas mise à l’honneur par un groupe de musiciens de Provence qui leur a dédié ce titre : « Touche pas aux cigales ». Je ne résiste pas à la tentation de vous en faire écouter un extrait, même si c’est un peu cru.

M. le président Bruno Studer. Après avoir fait la une au côté du général Georgelin, je serai donc en première page aux côtés des cigales ! (Sourires.)

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Ce serait une belle image : la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale s’ouvre à la musique pour défendre le caractère patrimonial de la ruralité.

M. le président Bruno Studer. Pour en revenir au texte, je partage les inquiétudes exprimées par certains de nos collègues quant à la situation qui nous conduit à légiférer sur un tel sujet. L’objet de cette proposition est toutefois de faciliter la tâche aux maires, et cette seule raison me paraît justifier son adoption, dans la droite ligne de la toute récente loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui a fait l’objet d’un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Je constate avec plaisir que tous les députés de cette commission souscrivent à la fois aux objectifs fixés et au dispositif retenu.

Certes, le texte ne permet pas de régler tous les problèmes posés, et il convient d’être attentif à ne pas donner le sentiment de dresser urbains, néoruraux et ruraux les uns contre les autres. La France est une, même si elle est diverse.

L’inventaire général du patrimoine culturel a été fondé par André Malraux en 1964. Ses missions ont été décentralisées et confiées aux régions en 2004, et ce sont aujourd’hui les services régionaux de l’inventaire qui en assurent la gestion.

L’État a toutefois conservé une partie de ses missions : il fixe la méthodologie des opérations d’inventaire, il accompagne les services régionaux dans la valorisation et la mutualisation des données produites et assure le contrôle scientifique et technique des inventaires. Il assure en outre, au travers de la direction des patrimoines, le secrétariat du Conseil national de l’inventaire général du patrimoine culturel, qui regroupe notamment les différents services régionaux de l’inventaire. Ces derniers sont sollicités par les collectivités territoriales lorsque sont menées des études préalables pour les plans locaux d’urbanisme (PLU), par exemple, ou pour les sites patrimoniaux remarquables. Il est également fait appel à ces services pour les campagnes thématiques – patrimoine scolaire, artisanat – ou pour la préparation d’un certain nombre de décisions, notamment dans le cadre des campagnes pour la préservation du patrimoine culturel immatériel.

Il y a donc une belle articulation entre les missions dévolues à l’État, en l’occurrence à la direction générale des patrimoines, et celles des services décentralisés dans les régions. Cette précision me paraissait utile pour que chacun de vous ait bien en tête le fonctionnement du dispositif actuel d’inventaire du patrimoine.

Mme Jacqueline Dubois. J’ai une réserve au sujet de l’application du principe d’antériorité. Permettez-moi d’illustrer mon propos par un exemple où il s’agira à nouveau de grenouilles. Je vis à la campagne, et nous avons commencé d’entendre les grenouilles quand le ruisseau qui jusqu’alors était pollué par des effluents venant d’un élevage de canards ne l’a plus été. Les batraciens étant très fragiles, ils ne pouvaient survivre dans ce milieu dégradé, mais ils y ont aujourd’hui élu domicile.

M. Franck Riester, ministre de la culture. L’inventaire peut être réévalué à tout moment, selon l’évolution des bruits et des odeurs.

La commission passe à l’examen des articles.

Article 1er : Protection du patrimoine sensoriel des campagnes

La commission examine l’amendement AC2 du rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Cet amendement propose une nouvelle rédaction de l’article 1er. L’insertion intervient non plus dans le code du patrimoine mais dans le code de l’environnement : nous complétons l’article L. 110‑1 par la mention des sons et des odeurs qui caractérisent les milieux naturels terrestres et marins.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.

Après l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement AC3 du rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Cet amendement vise à prendre en compte les territoires ruraux dans l’inventaire général du patrimoine culturel dont M. le ministre vient de rappeler la philosophie. Ces données récoltées par les services des régions permettront d’avoir une vision globale du patrimoine culturel.

M. Franck Riester. Nous avons travaillé en concertation avec l’association Régions de France sur cette articulation.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC4 du rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Une réforme profonde de la responsabilité civile étant à l’étude, nous demandons au ministère de la justice un rapport d’analyse des jurisprudences sur les troubles anormaux de voisinage pour avoir un aperçu de l’ensemble des critères objectifs qui concourent à l’appréciation par le juge du caractère anormal du trouble. Il s’agit aussi d’intégrer dans ces critères qu’il peut tenir compte de l’environnement, notamment la notion de ruralité. Le ministère a donné un accord de principe.

La commission adopte l’amendement.

Article 2 : Gage

M. le président Bruno Studer. Le Gouvernement confirme-t-il qu’il lève le gage ?

M. Franck Riester, ministre de la culture. Le gage est levé.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 22 janvier à 15 heures

Présents. Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Stéphanie Atger, Mme Géraldine Bannier, M. Ian Boucard, Mme Marie-George Buffet, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, M. Alexandre Freschi, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Pierre Henriet, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Paul Molac, Mme Sandrine Mörch, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Maud Petit, Mme Florence Provendier, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill, Mme Michèle Victory

Excusés.  Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Bertrand Bouyx, M. Bernard Brochand, Mme Anne Brugnera, Mme Sylvie Charrière, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, Mme Josette Manin, Mme Cécile Muschotti, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Frédéric Reiss, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Patrick Vignal

Assistaient également à la réunion. Mme Sophie Auconie, M. Olivier Becht