Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Examen de la proposition de loi de M. Pierre Dharréville visant l’instauration d’une garantie salaire-formation au service de la transition écologique et sociale de l’économie (n° 3007) (M. Gabriel Serville, rapporteur)              2

 

 


Mercredi
10 juin 2020

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 46

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 10 juin 2020

La séance est ouverte à 17 heures

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La commission examine la proposition de loi de M. Pierre Dharréville visant linstauration dune garantie salaire-formation au service de la transition écologique et sociale de léconomie (n° 3007) (M. Gabriel Serville, rapporteur)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je précise que Gabriel Serville, désigné rapporteur, n’a pu quitter sa circonscription en raison des difficultés qui subsistent dans les transports aériens. Pierre Dharréville va donc le suppléer pour cette réunion.

M. Pierre Dharréville, suppléant M. Gabriel Serville, rapporteur. L’épidémie de covid-19 n’a pas fini de produire ses effets sur nos vies : parce qu’elle a eu un impact profond sur les activités humaines, nous risquons un tsunami social dont nous ne mesurons pas l’ampleur. D’après l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le produit intérieur brut de la France a diminué de 32 % pendant le confinement, à tel point que l’OFCE considère qu’« une telle chute de lactivité [...] na jamais été observée, à part peut-être en temps de guerre. »

En 2020, la France devrait connaître une récession de 11 %. Il faudrait s’entendre sur ce que mesure exactement ce chiffre, sur ce qu’il recouvre en termes d’utilisation du travail et de la matière, de modes de production et de consommation, de modes de déplacement et de logement, de modes de vie. Il ne fait toutefois aucun doute que des millions d’emplois sont menacés par cette déflagration économique. La ministre du travail a d’ailleurs d’ores et déjà pris acte que le taux de chômage dépasserait la barre symbolique des 10 % cette année, alors que l’objectif était fixé à 7 % à l’horizon de 2022.

Dans ce contexte, le prolongement du dispositif d’activité partielle annoncé par le Gouvernement ne suffira pas. Entre le 1er février et le 30 avril dernier, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire sans aucun emploi déclaré, a crû de plus de 1 million, dont 843 000 rien qu’au mois d’avril, ce qui marque une augmentation de 22,6 % par rapport au mois de mars. Les trois quarts de la hausse du chômage s’expliquent par le passage en catégorie A de demandeurs d’emploi en mars. Les travailleurs précaires sont les premiers touchés, alors que la réforme de l’assurance chômage de 2019 les avait déjà particulièrement fragilisés. Par ailleurs, de nombreux travailleurs en emploi stable risquent de connaître le chômage ou la précarité.

L’envolée du chômage affecte particulièrement les secteurs qui ont été les plus pénalisés par le confinement : l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, le bâtiment ou encore le monde du spectacle. Les jeunes sont aussi particulièrement touchés, avec une augmentation de 29,4 % de demandeurs d’emploi en avril pour les moins de 25 ans. Cela devrait empirer avec l’arrivée sur le marché du travail de 700 000 jeunes en fin d’études ou de formation. Il y a donc urgence à agir.

La crise que nous traversons a mis en lumière les insuffisances de notre protection sociale, ainsi que l’inadaptation de notre mode de vie aux exigences environnementales. Les carrières sont de moins en moins rectilignes, plus variées, plus hachées, en raison de la précarisation de l’emploi, des mutations économiques, et peut-être aussi d’un désir de diversification des expériences. Cela appelle la création de nouveaux droits pour sécuriser les revenus et mieux accompagner les transitions, en donnant aux travailleurs plus de prise sur leur trajectoire et en favorisant l’élévation du niveau de qualification.

C’est l’occasion d’en appeler au respect des métiers, de l’œuvre, des œuvriers, pour éviter un retour, sous des formes nouvelles, du travail à la tâche – qui correspond à une économie de la débrouille déstructurée et incapable de répondre correctement aux besoins de tous, dégradant le travail au lieu de le rendre émancipateur. C’est dans cet esprit que nous devons innover socialement. Il faut créer les conditions sociales permettant à chacun de contribuer sereinement par son travail à répondre aux besoins humains.

En ces temps de crise, il est moins acceptable que jamais de rogner sur les protections sociales, comme s’y emploie, hélas, la réforme de l’assurance chômage, qui doit être urgemment et définitivement abandonnée, tant elle provoque de dégâts. Il faut en outre renforcer les moyens de Pôle emploi, comme le préconisait Stéphane Viry en février 2019 dans le cadre de la mission « flash » consacrée à cet organisme.

Il faut parallèlement nourrir une plus grande ambition sociale et écologique. Nous devons relever conjointement deux défis : la crise et l’accélération de la transition écologique. Nous n’affronterons pas le premier en renvoyant le second aux calendes grecques – ce serait irresponsable et dramatique –, ni ne répondrons au second en pariant sur les dégâts mécaniques de la dépression.

Nous devons transformer profondément nos modes de production et de travail, cesser de gaspiller le travail et la matière. Cette crise ne doit pas interrompre les mutations engagées. Des dispositifs publics d’accompagnement à la transformation des outils de production doivent être institués dans les filières et les entreprises. Cette transition est d’abord humaine ; elle nécessite donc un accompagnement des travailleurs pour qu’ils soient pleinement acteurs du changement des modes de production, dans leur branche ou leur métier, ou pour qu’ils apportent de nouvelles réponses dans les domaines en développement.

Il est urgent de mieux prendre en compte les enjeux de la transition écologique et sociale dans la formation initiale et continue et dans la formation des demandeurs d’emploi, mais aussi dans les parcours eux-mêmes et les cycles des entreprises. La transition écologique est un vecteur de création d’emplois dans tous les secteurs.

Nous avons besoin du travail humain dans de nombreux domaines et devons refuser les logiques d’exclusion de l’emploi organisées par le marché. Il convient de repenser le travail, de mieux le partager et le protéger, de soigner les métiers, les qualifications et leur reconnaissance au lieu d’entretenir la précarisation. Il faut également maintenir un niveau de rémunération qui contribuera à une relance par la réponse aux besoins.

La présente proposition de loi, détaillée dans le rapport de Gabriel Serville, constitue un embryon de réponse. La garantie salaire-formation porte en elle une perspective réjouissante de sécurisation sociale des parcours envisagée comme une liberté pour les salariés et un atout pour une économie au service de l’humain, dans le respect de la planète.

Notre proposition consiste en un dispositif ambitieux d’accompagnement des demandeurs d’emploi, pour ne pas reproduire les erreurs des politiques publiques d’hier qui ont, d’une certaine façon, pris acte de la précarité et du chômage. La garantie salaire-formation entend protéger les salariés en contrat précaire et les licenciés économiques victimes de cette crise, tout en les accompagnant pour leur permettre, dans le respect de leur libre choix, de se former ou de se reconvertir professionnellement, notamment vers des secteurs-clés de la transition écologique et sociale. Ce dispositif pourrait être encore approfondi mais, parce qu’il répond aux enjeux du double défi que j’ai évoqué, il paraît nécessaire de le généraliser sans attendre.

Le texte s’inspire largement de deux outils qui ont fait leurs preuves mais qui sont pour l’heure réservés aux salariés licenciés pour motif économique. Le premier est le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), créé en 2011 et accessible aux salariés licenciés d’entreprises de moins de 1 000 salariés. Les grandes lignes du CSP sont fixées par la loi et ses modalités concrètes de mise en œuvre ont été définies par les partenaires sociaux dans le cadre d’un accord national interprofessionnel. Le second dispositif est le congé de reclassement, qui existe depuis 2002 dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés. Les deux outils se distinguent essentiellement par leur mode de financement : le CSP est cofinancé par l’employeur, l’Unédic et l’État, tandis que le congé de reclassement est intégralement pris en charge par l’employeur.

Ces deux dispositifs, dont la durée maximale est fixée par défaut à douze mois, ont pour objectif de favoriser le reclassement ou la reconversion professionnelle des salariés qui font l’objet ou qui sont visés par un licenciement pour motif économique, grâce à des mesures d’accompagnement renforcé vers l’emploi et la formation et à une indemnisation spécifique. Les bénéficiaires du CSP ont ainsi droit à une indemnisation plus avantageuse et plus incitative que celle de droit commun, ainsi qu’à un accompagnement plus intensif et personnalisé par Pôle emploi, qui met à leur service un conseiller unique dont le portefeuille de demandeurs d’emploi est réduit.

Ces outils ont fait leurs preuves. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (DARES), depuis 2015, les deux tiers des bénéficiaires du CSP ont retrouvé un emploi dans les vingt-quatre mois suivant leur prise en charge. Pour 40 % des bénéficiaires, il s’agissait d’un emploi durable. Toutefois, malgré leur succès indéniable, ils demeurent réservés à un très petit nombre : près de 72 000 demandeurs d’emploi ont bénéficié du CSP en 2018, soit à peine 2 % des inscrits à Pôle emploi.

C’est pourquoi nous proposons d’élargir le champ des bénéficiaires du CSP et du congé de reclassement et d’ajuster leurs objectifs. Au lieu d’entériner la casse économique et sociale que les forces de la finance essaieront de produire, et face à laquelle la puissance publique devra être au rendez-vous, il nous faut agir de manière complémentaire à la politique publique de sauvegarde des emplois. Celle-ci devra impliquer la mobilisation de tous les instruments nécessaires – planification industrielle, formation professionnelle – pour accompagner, à titre préventif, les salariés et les entreprises.

Un autre outil reste à inventer pour l’amont, car le dispositif d’activité partielle, dont la mobilisation était nécessaire, est insuffisant : trop statique, il ne crée pas de droits, notamment à la retraite. Il faudrait introduire, à côté de l’assurance chômage, une assurance sociale emploi-formation offrant une plus grande plasticité au service de ceux qui travaillent, dans le cadre d’une économie en prise avec les besoins et sortie des fers du productivisme. Ce premier dispositif d’aval, qui se veut un relais, s’inscrit dans cette dynamique.

L’article 1er transforme le CSP en contrat de transition, accessible à tout salarié d’une entreprise de moins de 500 salariés licencié pour motif économique ou – c’est la principale nouveauté –, arrivant au terme d’un contrat court : contrat à durée déterminée (CDD), intérim ou contrat de chantier. Il sécurise également le niveau d’indemnisation du salarié en fixant un plancher égal à 75 % du salaire brut antérieur – soit l’équivalent du salaire net – et étend la durée maximale du contrat à deux ans. L’élargissement des droits offrira la possibilité aux bénéficiaires de suivre des formations plus longues et d’acquérir de nouvelles qualifications, tout en bénéficiant d’une garantie de revenu. Ils pourront envisager une progression ou une reconversion professionnelle leur permettant notamment de devenir moteurs de la transition écologique et sociale.

Par ailleurs, le seuil de 1 000 salariés, qui détermine l’application du CSP ou du congé de reclassement, serait abaissé à 500 salariés, car nous considérons que les entreprises d’au moins 500 salariés ayant recours aux contrats courts ont les moyens de financer la reconversion et la formation de leurs salariés. Pour les entreprises d’au moins 500 salariés, l’article 2 transforme le congé de reclassement en congé de transition, avec les mêmes objectifs : sécuriser les transitions professionnelles des salariés en contrat précaire et accorder une plus grande place à la transition écologique et sociale dans les objectifs de formation. Les actions d’accompagnement resteraient intégralement prises en charge par l’employeur.

Enfin, l’article 3 maintient les partenaires sociaux au cœur du dispositif en renvoyant à une négociation interprofessionnelle le soin de déterminer les modalités d’accompagnement des salariés pour faire face à la crise économique et, en particulier, les conditions de financement et de mise en œuvre du contrat et du congé de transition. Depuis le début du quinquennat, les partenaires sociaux ont été trop souvent tenus à l’écart des réformes importantes, comme celle de la formation professionnelle ou de l’assurance chômage. La crise impose de les replacer au centre du jeu : il s’agit pour nous d’une exigence qui ne peut se satisfaire de la seule concertation. La puissance publique doit, à notre sens, avoir un rôle d’impulsion.

Ce texte, qui a vocation à évoluer au fil de son appropriation, mérite des enrichissements, par exemple sur la situation particulière des sous-traitants ou la possibilité pour le salarié d’activer lui-même ces nouveaux droits, sous certaines conditions.

Afin que nous ne soyons pas condamnés à vivre dans le monde d’avant, en pire, la proposition de loi nous offre un moyen d’affronter les défis du monde d’après, de ne pas subir, de parier sur l’humain et ouvre la porte à l’invention sociale.

Nombre de femmes et d’hommes s’interrogent sur l’orientation à donner à leur vie et expriment de nouveaux désirs : ne les laissons pas se faire balayer par la crise. Il nous faut accélérer les changements, défendre les outils industriels, relocaliser des productions, nous laisser plus de temps pour vivre, libérer le travail et éradiquer le chômage comme la précarité. Nous ne voulons renoncer à rien de tout cela. Par cette proposition de loi, nous entendons apporter une modeste contribution à cet effort.

Mme Fadila Khattabi. La crise sanitaire que nous traversons a et aura un impact sur notre économie et, par conséquent, sur l’emploi. Si nous partageons vos objectifs, à savoir éviter un maximum de destructions d’emplois, protéger davantage les publics précaires et revoir notre appareil de formation, nous divergeons sur la méthode. C’est, à notre sens, aux partenaires sociaux d’engager la réflexion au travers d’une concertation annoncée le 4 juin dernier : cette méthode correspond d’ailleurs à une demande des organisations syndicales elles-mêmes, ainsi que leurs représentants vous l’ont indiqué au cours des auditions.

Par ailleurs, face à l’urgence, plusieurs dispositifs peuvent déjà être mobilisés par les entreprises en difficulté, comme le nouveau dispositif d’activité partielle de longue durée ou les accords de performance collective, qui permettent tous deux de préserver l’emploi.

Il nous faudra aller plus loin et agir en amont, en faisant confiance au dialogue social territorial pour cibler les personnes dont l’emploi est fragilisé, en déployant des dispositifs tels que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et en travaillant tant sur les compétences transversales que sur l’offre de formation, afin de sécuriser au mieux les parcours professionnels.

Préserver l’emploi à tout prix : telle est la priorité absolue du Gouvernement et de la majorité. Parallèlement, dans le cadre d’une vision de long terme, nous partageons votre volonté d’orienter l’économie vers une croissance plus verte. Les plans de relance et de soutien sectoriels apporteront des réponses en la matière. Concernant la formation professionnelle, un plan d’adaptation de la politique des compétences se conjuguera avec le plan de relance économique. Il aura pour objectif de permettre à chaque salarié en activité partielle et à chaque demandeur d’emploi de mettre à profit cette période difficile pour développer des compétences dans le domaine du numérique, de la transition écologique ou de l’aide à la personne.

Compte tenu de ces enjeux, le groupe La République en Marche ne votera pas la proposition de loi.

M. Alain Ramadier. La crise sanitaire a fait place à une crise économique et sociale d’une ampleur aussi inquiétante qu’inédite. Nul n’ignore ici que les mois, voire les années à venir seront cruciaux pour endiguer le chômage, dont la progression s’annonce exponentielle. Il est plus qu’impératif de limiter la crise sociale à venir et d’accompagner tous les Français qui auraient perdu leur emploi durant et après le confinement : au-delà de l’économie, il y va de notre avenir à tous.

La proposition de loi vise à créer un congé de transition et un contrat de transition sur la base du contrat de sécurisation professionnelle et du contrat de reclassement. Le CSP, créé en juillet 2011 par Gérard Cherpion, Bernard Perrut et Jean-Charles Taugourdeau, vise à accompagner, pendant un an, tout salarié d’une entreprise de moins de 1 000 salariés licencié pour motif économique ; celui-ci bénéficie d’une aide pour retrouver un emploi tout en continuant à percevoir son salaire. Preuve de son succès, 55 000 personnes en bénéficient, avec un taux de retour à l’emploi très satisfaisant.

Malheureusement, cette proposition de loi semble irréaliste en ce qu’elle vise à allonger la période d’application de ce contrat et à l’étendre à l’intérim, aux CDD et aux contrats de chantier, soit à 2 à 3 millions de bénéficiaires supplémentaires. Le coût du dispositif exploserait, alors que notre dette connaît un accroissement sans précédent. De surcroît, Pôle emploi ne pourrait pas traiter dans l’urgence des millions de dossiers supplémentaires : les portefeuilles des conseillers vont encore s’étoffer avec la crise.

Il est essentiel d’accompagner les Français qui ont subi de plein fouet la crise sanitaire, mais il faut le faire de manière adaptée, pragmatique, cohérente et en tenant compte de la réalité de nos comptes publics et de la dette.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas la proposition de loi.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Afin de limiter le nombre de décès liés au covid-19, le pays a dû mettre son économie en sommeil pendant deux mois et demi. Ce choix assumé par le Gouvernement s’est accompagné de dépenses colossales pour préserver l’emploi : 100 milliards d’euros au titre des prêts garantis par l’État, 25 milliards au titre du chômage partiel, 4 milliards au titre du fonds de solidarité et 3 milliards au titre du report de charges. Un certain nombre d’entreprises ne pourront malgré tout passer le cap : nous devrons faire face, au cours des mois à venir, à de nombreux licenciements ainsi qu’à des difficultés accrues d’accès au marché de l’emploi.

Dans ce contexte, certains outils performants, comme le CSP et le congé de reclassement, nous permettront de sécuriser les actifs et d’accompagner les demandeurs d’emploi. Au vu de leur efficacité, vous proposez de renforcer les moyens qui leur sont dévolus et d’en élargir le champ des bénéficiaires, tout en portant la durée maximale de l’accompagnement à vingt-quatre mois.

Si cette piste paraît intéressante, elle appelle plusieurs réserves : elle ne répond pas aux besoins de tous, et l’affectation de moyens à son profit pourrait conduire à limiter d’autres modalités d’intervention ; restreindre l’accompagnement aux seuls métiers de l’économie sociale et écologique priverait certains salariés de son bénéfice ; les paramètres des contrats de transition professionnelle étant fixés par les partenaires sociaux, il n’est pas possible d’étendre, par ce texte, leur durée d’application ; aucune étude d’impact ne permet d’évaluer le public concerné.

Par ailleurs, alors que le Gouvernement et les partenaires sociaux ont commencé à discuter des solutions à appliquer en matière d’emploi, vous proposez que la concertation n’ait lieu qu’une fois la loi votée.

Pour ces raisons, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne soutiendra pas la proposition de loi.

M. Joël Aviragnet. La proposition de loi de Pierre Dharréville, qui vise à instaurer un dispositif de garantie salaire-formation au service de la transition écologique et sociale de l’économie, est intéressante à plusieurs égards. Les crises économiques ont toujours des conséquences désastreuses sur les salariés, même si elles ne sont pas nécessairement immédiates – les effets de la crise financière de 2008 sur l’économie réelle se sont prolongés jusqu’en 2015. Le texte présente l’avantage de proposer un mécanisme global et pérenne de protection des salariés tout en visant à mieux nous préparer à la transition écologique et sociale.

Toutefois, certaines imprécisions demeurent, notamment sur le volet financier du dispositif, qui pourrait faire l’objet de discussions entre les partenaires sociaux. Notre rôle serait alors de promouvoir un outil de soutien à l’emploi pour faire face à la récession économique.

Si cette proposition ne suffira pas à faire face à la crise d’ampleur qui s’annonce, elle apporte un début de réponse. Il est en outre indispensable et urgent d’abandonner la réforme de l’assurance chômage de juillet 2019, qui contribue à affaiblir notre système de protection sociale et mettra en difficulté de nombreux travailleurs.

Afin d’apporter une réponse globale à la crise à venir, le groupe Socialistes et apparentés a travaillé à un plan intitulé « Pour un rebond économique, social et écologique », qui propose notamment le maintien jusqu’en juin 2020 du dispositif d’activité partielle, l’augmentation de la capacité d’emploi dans les structures de l’insertion par l’économie, la prolongation de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » et le renforcement des effectifs de Pôle emploi. Ces propositions pourraient compléter celles faites par le groupe communiste. Nous sommes disposés à travailler à un plan d’action ambitieux visant à sauver des emplois dans notre pays.

Cette proposition de loi apporte une réelle contribution, sans doute incomplète mais utile, aux réflexions actuelles en matière d’emploi. Le groupe Socialistes et apparentés lui apportera donc son soutien.

M. Philippe Vigier. Lorsque nous avons examiné, la semaine dernière, d’autres textes visant à répondre à la crise terrible du chômage que nous allons connaître – on dénombre déjà 850 000 chômeurs de plus –, j’ai fait partie de ceux qui ont considéré qu’il ne fallait pas balayer ces propositions d’un revers de la main. Nous devons tous être mobilisés sur cette question, quel que soit le groupe politique auquel nous appartenons.

Cette proposition de loi fait partie des éléments de réflexion qu’il faut prendre en compte, dans une démarche aussi large que possible, si nous voulons affronter dans les meilleures conditions la vague, absolument terrible, qui va nous frapper. Vous soulevez la question des licenciements massifs, tout en prévoyant, dans votre générosité légendaire, que les intérimaires, les personnes en CDD et toutes celles en situation de précarité pourront aussi bénéficier des mesures que vous appelez de vos vœux.

Je trouve intéressant que vous distinguiez les grandes et les petites entreprises – même si j’aurais préféré que l’on s’arrête au seuil de 250 salariés.

Mettre la formation professionnelle au cœur du travail de demain est, par ailleurs, un objectif qui nous rassemble tous.

En revanche, on ne peut pas faire peser uniquement sur les entreprises le prix du drame qui nous frappe. Le ministre de l’économie et des finances a apporté ce matin un soutien massif à la proposition de loi que nous avions rejetée la semaine dernière. Ce qui paraît erroné un jour peut être jugé pertinent le lendemain...

Les partenaires sociaux doivent être au centre des dispositifs. Je crois au dialogue social, vertu qui a trop souvent été abandonnée – on a mis les représentants des salariés, qui assurent la gestion de l’assurance chômage, devant des trous abyssaux en matière de financement –, et je ne vois pas comment les régions pourraient ne pas être là, également, puisque la formation professionnelle fait partie de leurs compétences. Nous sommes favorables à une territorialisation de toutes les actions : plus on est près, plus on fait du sur‑mesure.

Même si le groupe Libertés et Territoires regarde ce texte plutôt avec bienveillance, je pense qu’il n’est malheureusement pas réaliste en l’état actuel. Il faut continuer à explorer cette piste ensemble. Enfin, vous avez raison de vouloir émettre un signal en matière de transition écologique.

M. Adrien Quatennens. Quand j’observe la crise actuelle et les réactions des uns et des autres à la proposition de loi, je me demande ce qu’il nous faudra, collectivement, pour admettre que le temps est venu de changer en profondeur de modèle. Je ne sais pas quelle est l’ampleur de la catastrophe qu’il faudrait pour y parvenir... La crise du covid-19 n’était peut‑être pas prévisible, mais nous savons que d’autres crises, d’une autre dimension, nous attendent, notamment la crise écologique dont il est aussi question dans le texte. Jusqu’à quel point devrons-nous nous approcher du mur avant d’admettre qu’il faut changer de trajectoire, en prenant un virage qui n’a certes rien de confortable mais qui est nécessaire ? On parle beaucoup, depuis le déconfinement, de la nécessité de relancer la machine mais on s’interroge assez peu sur le reste : quelle machine veut-on relancer, à quelles conditions et pour quoi faire ?

La proposition de loi déposée par Pierre Dharréville pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a l’avantage, majeur, de traiter deux réalités auxquelles nous serons confrontés : d’abord, l’inévitable deuxième vague économique et sociale que nous allons connaître, notamment en matière d’emploi – le Président de la République souhaite que les Français achètent des voitures, mais ils sont davantage soucieux, à l’heure actuelle, de conserver ou de trouver un emploi ; ensuite, la nécessité d’organiser la bifurcation de notre modèle économique, au service de la transition écologique, qui est impérative.

La crise nous montre que nous avons besoin de l’État plutôt que du laisser-faire du marché, de la coopération et de l’entraide plutôt que de la compétition généralisée, de la souveraineté et de la relocalisation des activités essentielles plutôt que du grand déménagement du monde qui se poursuit en plein cœur de la crise du covid-19 avec la conclusion de traités de libre-échange. Il faut, au lieu de relancer la même vieille machine, en changer : telle doit être la conclusion de ce que nous vivons. La crise est certes tragique, mais elle peut constituer une véritable opportunité, d’autant que la France dispose des atouts, des savoir-faire et des compétences nécessaires pour réaliser la bifurcation qui s’impose.

Ce texte est un modeste mais néanmoins nécessaire point de départ. Notre commission s’honorerait de l’adopter plutôt que de le balayer d’un revers de main. Le groupe La France insoumise soutient cette bonne proposition de loi.

M. Paul Christophe. La crise sanitaire a été un révélateur des spécificités du modèle français de l’emploi, de ses failles et de ses atouts. Nos concitoyens expriment beaucoup d’inquiétudes, à la fois au sujet du maintien de leur activité après la crise mais aussi, pour certains, du commencement de leur vie professionnelle.

Vous avez souligné la souffrance du service public Pôle emploi. Le manque de moyens est, en effet, criant. Un rapport remis lors de l’approbation des comptes de l’année 2019 démontre qu’un renforcement des effectifs doit être réalisé pour assurer l’accueil, l’indemnisation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi dans de bonnes conditions. Le groupe Agir ensemble est favorable à un soutien adapté et continu, qui est primordial pour assurer le succès de la recherche d’un emploi.

On a constaté, lors de l’épidémie, que certaines professions – en particulier dans le secteur médicosocial –, qui se sont révélées indispensables pour le quotidien de nos concitoyens, n’étaient pas valorisées à leur juste valeur. Il est essentiel de donner une plus grande importance à ces compétences, à la fois pour que des vocations naissent mais aussi pour encourager les valeurs du vivre ensemble. Votre proposition de mieux prendre en compte les impératifs de la transition écologique et sociale dans la formation et les projets de reconversion professionnelle des actifs me semble adaptée aux nouveaux enjeux.

L’article 2 de la proposition de loi tend à transformer le congé de reclassement destiné aux salariés susceptibles d’être licenciés pour motif économique, dans des entreprises d’au moins 1 000 personnes, en un congé de transition accessible aux salariés de toute entreprise d’au moins 500 personnes qui seraient menacés de licenciement économique ou qui arriveraient au terme d’un contrat précaire. Ils bénéficieraient d’un dispositif d’accompagnement vers un nouvel emploi, à la charge de l’employeur, d’une durée maximale de deux ans pendant laquelle le contrat de travail et le salaire net antérieurs seraient maintenus.

La charge du financement reposant sur l’employeur, je m’interroge sur l’adéquation entre le dispositif proposé et les impératifs économiques que connaissent actuellement les entreprises et qui vont se renforcer à cause de la crise financière qui s’annonce. Je ne suis pas convaincu, à ce stade, que cette augmentation des charges ira dans le sens de la reprise économique.

M. Sylvain Maillard. Vous traitez d’un sujet essentiel que l’on ne peut pas balayer d’un revers de la main. Cela étant, lors des auditions, FO, la CGT et la CFTC ont souligné qu’il fallait laisser vivre la concertation et qu’il existe déjà beaucoup de dispositifs, dont certains viennent tout juste d’être créés : en instituant un nouvel outil, estiment-ils, on risque d’entraver leur application. Quelle réponse apportez-vous à cette revendication forte et largement partagée ?

M. Pierre Dharréville, suppléant le rapporteur. Notre responsabilité, dans le cadre des « niches » parlementaires, est de faire des propositions. Il serait dommage de les considérer systématiquement – je l’ai observé ce matin – comme des mises en cause de l’action du Gouvernement. Nous proposons des réponses à la situation actuelle car il est urgent d’agir.

Des dispositions ont été prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Il faut maintenant que la démocratie parlementaire retrouve sa place. Il est nécessaire de débattre des solutions à mettre en œuvre face à la crise et à la montée du chômage. Nous avons, toutes et tous, une responsabilité politique. Nous ne pouvons pas nous contenter de la regarder de loin.

Chacun sait que nos propositions ne seront pas adoptées dès demain matin, compte tenu de notre mode de fonctionnement. Nous n’avons pas la possibilité, pour notre part, de demander une habilitation à légiférer par des ordonnances qui seraient publiées après‑demain...

Bruno Le Maire a déclaré hier : « nous allons être amenés à prendre des mesures originales, singulières ». Il a affiché l’ambition de réagir à ce qui est en train de se passer, ce que je trouve tout à fait nécessaire. Pour sa part, le Président de la République a déclaré vendredi dernier : « Le monde daprès sera résolument écologique. Je my engage. Nous le bâtirons ensemble. Nous avons une opportunité historique de reconstruire notre économie et notre société sur de nouvelles bases, de nous réinventer, dinvestir dans un avenir décarboné. » Ce sont des préoccupations au sujet desquelles nous devrions être capables d’engager une discussion.

Vous avez dit que vous partagiez nos objectifs, madame Khattabi, et je vous en remercie, tout en faisant part d’une divergence à propos de la méthode. Vous avez évoqué, comme Sylvain Maillard, la concertation. Les organisations syndicales ne l’ont pas plébiscitée lors des auditions : elles ont demandé à pouvoir jouer tout leur rôle dans les décisions prises et dans la démocratie sociale. La réunion a d’ailleurs commencé par une critique assez forte, à la suite d’une confusion : nos interlocuteurs ont cru que c’était le Gouvernement qui faisait, par notre voix, ces propositions, et j’ai noté chez eux une certaine colère, à vrai dire une exaspération, à l’égard de la manière dont les organisations syndicales ont été traitées. Une vraie question se pose, qui est de savoir, quand on formule des propositions de ce type, quelle place doit revenir à ces organisations. La concertation, en tout cas, n’est pas la négociation. Depuis trois ans, nous vivons plutôt sous le régime de la concertation, ce qui a été beaucoup critiqué.

La nécessité d’orienter notre économie vers une croissance verte fait partie des sujets sur lesquels nous devons travailler, en effet. Reste à s’entendre sur les outils à utiliser.

Monsieur Ramadier, vous avez jugé cette proposition irréaliste au motif qu’elle s’appliquait sur une durée plus longue et incluait les plus précaires. La durée – maximale – de deux ans nous semble nécessaire à l’acquisition d’une qualification solide ; une période de douze mois est, dans certains cas, insuffisante. Par ailleurs, il faut prendre des mesures pour les plus précaires, qui sont les plus fragilisés. Je mesure l’ambition de la proposition de loi, mais aussi la nécessité de changer notre vision des choses. Le Président de la République a dit « quoi qu’il en coûte » ; notre proposition aurait un certain coût, mais permettrait de répondre aux besoins d’une partie de la population, ce qui ne serait pas neutre économiquement.

Monsieur Maillard, vous avez évoqué les risques liés à l’ajout de nouveaux dispositifs, mais nous ne faisons qu’accroître la portée de mécanismes existants et performants – FO et la CGT estiment d’ailleurs que ce sont de bons dispositifs. Il faut évidemment veiller à ce que leur extension ne se fasse pas au détriment d’autres mesures. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas réduire cette proposition aux métiers verts, car la transition écologique concerne tous les domaines, mais cette question doit être débattue. L’article 3 invite d’ailleurs les partenaires sociaux à conclure un accord national interprofessionnel précisant les modalités d’application et de financement du dispositif. Nous voulons prendre en compte le plus largement possible la position des organisations syndicales.

Monsieur Aviragnet, nous entendons en effet, par ce texte, protéger les salariés de manière globale et pérenne. Nous avons souhaité que les modalités de financement soient définies dans le cadre des discussions. Par ailleurs, comme Michèle de Vaucouleurs et moi‑même l’avions indiqué dans notre communication du 13 mai sur le suivi de l’état d’urgence sanitaire dans le domaine des solidarités, nous demandons à ce que l’on revienne sur la réforme de l’assurance chômage.

Je vous remercie, monsieur le président Vigier, de considérer que notre proposition est à intégrer dans la réflexion. Nous sommes en effet attentifs à la distinction entre petites et grandes entreprises ; la prise en compte du seuil de 250 salariés que vous évoquez pourrait entrer dans le cadre de nos discussions.

Monsieur Quattenens, vous avez souligné la nécessité de changer de trajectoire et nous avez invités à nous interroger : veut-on relancer la machine actuelle ou en changer ? La crise appelle en effet cette réflexion. Je vous remercie de votre soutien.

Monsieur Christophe, nous nous accordons sur le fait qu’il faut donner les moyens à Pôle emploi de faire face aux difficultés qu’il rencontre. Vous avez évoqué la question du financement. En tout état de cause, des dépenses supplémentaires devront être engagées, dont nous devons définir la répartition – je regrette que, jusqu’à présent, nous n’en ayons pas débattu de manière approfondie.

Monsieur Maillard, nous sommes attachés à l’association des salariés et des acteurs sociaux à la construction de ce dispositif.

La commission en vient à lexamen des articles.

Article 1er : Transformation du contrat de sécurisation professionnelle en contrat de transition

La commission rejette successivement les amendements rédactionnels AS1, AS2, AS3 et AS4 du rapporteur.

Puis elle rejette larticle 1er.

Article 2 : Transformation du congé de reclassement en congé de transition

La commission rejette successivement lamendement rédactionnel AS5 et lamendement de coordination AS6 du rapporteur.

Puis elle rejette larticle 2.

Article 3 : Négociation nationale et interprofessionnelle en vue de définir les dispositifs daccompagnement des salariés pour faire face à la crise économique, ainsi que les modalités de financement et de mise en œuvre du contrat et du congé de transition

La commission rejette larticle 3.

Article 4 : Compensation financière

La commission rejette larticle 4.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

M. Pierre Dharréville, suppléant le rapporteur. Je voulais rappeler que l’accord national interprofessionnel, que l’article 3 invite les partenaires sociaux à conclure, occupe une place élevée dans la hiérarchie des normes. L’examen du texte a permis d’entamer une discussion qu’il faudra approfondir. Je souhaite que nous soyons, chacun dans notre rôle, force de proposition. L’action du Gouvernement ne doit pas nous empêcher d’adopter des propositions issues de notre assemblée, sous peine de remettre en cause notre légitimité à y siéger. Je vous encourage à amender le texte d’ici à l’examen en séance publique.