Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition de Mme Florence Parly, ministre des Armées, sur le projet de loi de finances pour 2020.

 

 


Mardi
1er octobre 2019

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 02

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à vingt-et-une heure cinq.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, je suis heureuse d’accueillir Mme Florence Parly, ministre des armées, pour cette audition – ma première en tant que présidente de la commission – sur les crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances (PLF) pour 2020.

Madame la ministre, nous entrons dans la deuxième année de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, et nous avons plaisir à constater que les engagements pris sont tenus.

S’établissant à 37,5 milliards, en croissance de 4,5 % par rapport à l’année dernière, le budget consacré à la défense atteint maintenant 1,86 % du produit intérieur brut (PIB), en conformité avec la trajectoire fixée qui vise la cible de 2 % à l’horizon 2025. C’est un budget qui illustre les priorités affirmées du Gouvernement, et plus particulièrement deux d’entre elles : la modernisation des équipements majeurs destinés à nos armées pour que celles-ci puissent disposer des moyens de répondre efficacement à l’accroissement et à la diversification des menaces ; l’amélioration des conditions de vie des militaires, conséquence d’une LPM « à hauteur d’homme », avec notamment la poursuite du plan famille et un effort porté sur l’hébergement.

Rappelant que cette audition se déroule à huis clos, je vous donne la parole pour que vous nous détailliez ce budget, après quoi les rapporteurs pour avis puis les commissaires, en commençant par les représentants des différents groupes politiques, vous interrogeront.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la présidente, Mesdames, Messieurs les députés, c’est le troisième budget que j’ai l’honneur de vous présenter, et c’est un plaisir de vous retrouver.

Je veux, tout d’abord, féliciter tous ceux qui ont été nouvellement élus au Bureau de votre commission, et vous au premier chef, Madame la présidente. Vous êtes la présidente d’une commission particulière, qui est le lieu privilégié du débat démocratique, du contrôle et de l’évaluation de la politique de défense, c’est-à-dire un domaine puissamment régalien. Tout comme Jean-Jacques Bridey avant vous, que je salue et remercie pour tout le travail qu’il a accompli, je sais que vous aurez à cœur de faire vivre la citation du général de Gaulle affichée sur les murs de cette salle : « La défense ! C’est là, en effet, la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même. » Il n’y a rien de tel pour se mettre le pied à l’étrier qu’une soirée pour parler de ce qui est le nerf de la guerre, c’est-à-dire l’argent.

La deuxième année de mise en œuvre de la loi de programmation militaire est scrutée avant autant d’attention que la première, peut-être même davantage. Je sais à quel point vous êtes attentifs au chevet de cette loi de programmation militaire.

Dans le passé, les armées ont connu diverses LPM, qui étaient parfois obsolètes avant même la fin de leur première année de mise en œuvre. Ce n’est pas le cas de celle-ci qui fait mentir l’ancien Premier ministre Michel Rocard qui estimait qu’une loi de programmation militaire était un pur exercice de poésie. Eh bien non, la loi de programmation militaire 2019-2025 voulue par le Président de la République n’est pas une promesse poétique, mais un cap que nous avons fixé ensemble et que nous comptons bien tenir ensemble. Nous avons pris des engagements forts pour la remontée en puissance de nos armées afin que jamais celles-ci ne faillissent à leur première mission : protéger les Français.

Nous savons que les Français nous font confiance. Ils consentent des efforts importants pour nous donner les moyens de notre mission. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas les décevoir. Leur confiance et leurs efforts nous obligent. Mon devoir est de bâtir les armées qui, demain, nous protégeront. Et notre devoir à tous, au ministère des armées, est de mettre en œuvre la loi de programmation militaire qui poursuit cet objectif, de veiller à sa bonne exécution dans chaque régiment, dans chaque unité, en métropole comme outre-mer. Je suis donc très heureuse de vous présenter ce soir un projet de loi de finances qui s’inscrit strictement dans le cadre fixé par la LPM.

La grande nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de surprise, puisqu’il s’agit d’un budget conforme à la loi de programmation militaire. Je commencerais par rappeler que nous n’avons pas attendu la loi de programmation militaire pour doter nos armées de moyens en hausse. C’est, en effet, dans le cadre du budget de 2018 que la première forte progression budgétaire a été décidée. C’est donc la troisième année consécutive de hausse des moyens budgétaires accordés aux armées.

La loi de programmation militaire prévoyait pour 2020 une croissance de 1,7 milliard d’euros, à périmètre constant, par rapport à 2019 : de fait, notre budget s’élève à 37,5 milliards d’euros et notre effort de défense représente 1,86 % du PIB. Nous sommes donc sur le chemin qui doit nous mener à l’objectif de 2 % en 2025.

Vous sachant fins observateurs de tout, notamment des chiffres, je ferai un petit point de méthode. Certains d’entre vous ont peut-être remarqué que le montant du budget inscrit en LPM pour 2020 est de 37,6 milliards. Ce n’est pas qu’il manque 100 millions d’euros, c’est une mesure de périmètre. Dans le passé, Bercy augmentait les crédits des différents ministères à hauteur de loyers budgétaires correspondant à la valeur des surfaces occupées par les administrations, dans le but d’inciter ces dernières à réduire le plus possible ou à rationaliser leurs emprises immobilières. Ce dispositif a été supprimé l’année dernière pour tous les ministères. Comme l’année dernière était celle de l’entrée dans la LPM, nous avons demandé que nous soient épargnées, alors même que l’encre de la LPM était à peine sèche, des mesures de périmètre susceptibles de perdre tout le monde, ce qui fut fait. Nous avons eu une année de grâce, et nous nous voyons donc appliquer cette année cette mesure qui concerne l’ensemble des ministères. Pour le ministère des armées, l’effet de cette mesure de périmètre liée aux loyers budgétaires représente 85 millions d’euros. Comme il n’y a ni charges, ni ressources, cela dégonfle en quelque sorte les masses de notre budget. Autrement dit, il ne manque pas un euro par rapport à la progression promise dans le cadre de la loi de programmation militaire.

Comme vous l’avez dit, Madame la présidente, cette hausse représente une progression de 4,5 % de nos moyens par rapport à 2019, dans un contexte budgétaire que l’on sait toujours contraint pour l’État, ce qui marque la priorité donnée par le Gouvernement à la poursuite du renforcement des fonctions régaliennes, au premier rang desquelles nos armées. C’est aussi la marque du respect de l’engagement fort du Président de la République de porter l’effort national en faveur de la défense à 2 % de la richesse nationale d’ici à 2025. Cet objectif est non seulement symbolique mais aussi nécessaire à la fois pour réparer et préparer nos armées.

Il m’est agréable de le répéter, il s’agit d’un budget sincère constitué exclusivement, cette année comme les précédentes, d’une part, de crédits budgétaires, d’autre part, de la provision destinée à couvrir les surcoûts des opérations extérieures (OPEX) et des missions intérieures (MISSINT). Cette provision atteint désormais son palier définitif, celui prévu par la LPM, avec un montant de 1,1 milliard. Un montant réaliste par rapport au surcoût réel des OPEX –, auquel il faut ajouter 100 millions d’euros pour les opérations intérieures. Au total, la provision s’élève à 1,2 milliard, à comparer au surcoût de 1,4 milliard d’euros constaté à la fin de l’année 2018. L’écart à financer en fin de gestion sera donc considérablement réduit. Souvenez-vous de notre premier exercice commun de fin de gestion 2017 : la provision étant de 450 millions d’euros, il avait fallu trouver un milliard sur le budget de l’État pour assurer le financement de l’ensemble. Nous nous situerons désormais dans une zone qui permet de réduire l’impasse liée à l’incertitude du coût final de ces opérations extérieures et intérieures.

J’en viens au contexte stratégique dans lequel nous nous situons. Vous vous souvenez qu’à l’automne 2017, les travaux liés à la revue stratégique avaient été conduits dans un contexte déjà marqué par la poursuite de la lutte contre le terrorisme, l’affirmation plus offensive des États puissance et l’extension des conflits à de nouveaux espaces, ainsi que par l’érosion des cadres multilatéraux. Rien, dans cette analyse et ce diagnostic, n’a fondamentalement changé. Dans ces conditions, le budget donne les moyens à la France de ne pas être démunie, de garantir la protection de ses intérêts et de ses ressortissants, sur le territoire national comme à l’étranger.

Voyons maintenant à quelles actions seront affectés les 37,5 milliards du budget en fonction des quatre axes de la loi de programmation militaire.

Le premier axe de la LPM la définissait comme « à hauteur d’homme » ; le budget est donc, de même, à hauteur d’homme. D’abord, le plan famille, dont on oublie souvent que la moitié des mesures s’appliquent aussi aux personnels civils, continue de se déployer partout en France. Le budget qui y est consacré atteindra 80 millions d’euros en 2020, contre 57 millions en 2019. Ce montant permettra d’ouvrir de nouvelles places en crèche – par exemple à Mérignac ou à Calvi – et de poursuivre l’extension du déploiement du wifi outre-mer et à l’étranger au profit de nos forces prépositionnées.

Nous consacrerons 120 millions d’euros en crédits de paiement à l’amélioration des conditions d’hébergement des militaires, en particulier des militaires du rang de l’armée de terre, qui en ont bien besoin. Nos visites respectives dans les forces nous ont montré combien certaines infrastructures sont rudimentaires et vétustes, indignes du xxie siècle. À cette somme s’ajouteront 540 millions d’euros pour la maintenance et l’entretien des bâtiments et des infrastructures.

Le projet de loi de finances n’oublie personne puisque nous veillons également à améliorer les conditions de travail et de vie des agents civils du ministère des armées, ce qui est indispensable, car ils contribuent, eux aussi et ô combien, dans leurs domaines de compétence, à l’efficacité de nos armées.

La loi de programmation militaire a prévu une trajectoire de créations nettes d’emplois. Là aussi, comme pour les crédits, les engagements sont tenus avec la création de 300 emplois nets pour renforcer les domaines prioritaires que nous avions identifiés : le renseignement, la cyberdéfense et le numérique. Dans ces trois domaines, nous sommes confrontés à de réels problèmes d’attractivité ; notre objectif est donc d’attirer et de retenir les compétences et les talents. Tout ne passe pas par la feuille de paie, bien sûr, néanmoins, en 2020, nous allouerons 40 millions d’euros de mesures catégorielles nouvelles destinées à améliorer la fidélisation de nos agents et à favoriser le recrutement, y compris d’agents contractuels, notamment dans le domaine du numérique.

Les mesures à hauteur d’homme se traduiront par des évolutions très concrètes pour nos militaires. En 2020, nous étendrons l’expérimentation, lancée en 2019, du double équipage dans la flotte de surface de la marine nationale. Ce système de rotation permet de rééquilibrer le temps passé à terre et le temps passé en mer pour chaque membre d’équipage, tout en accroissant le nombre de jours à la mer de nos navires, en particulier les frégates.

Parmi les mesures à hauteur d’homme, il y a, enfin, les livraisons d’équipements indispensables au quotidien de nos soldats. En 2020, seront livrés 12 000 fusils HK 416F supplémentaires, leur nombre dans les forces se trouvant ainsi porté, à la fin de l’année, à 41 000. Nous achèverons également d’équiper nos militaires déployés en OPEX du nouveau treillis ignifugé F3, qui les protège nettement mieux. Le déploiement en avait débuté en 2019 et nous avions promis de le terminer à la fin 2020 ; ce sera chose faite.

Le deuxième axe de la LPM consacrait le renouvellement des capacités opérationnelles des armées. Outre les petits équipements du quotidien, pour lesquels nous tenons nos promesses, le projet de loi de finances accélère la modernisation et le renouvellement d’autres matériels vieillissants. Nous passons, en quelque sorte, à la vitesse supérieure. Deux chiffres en attestent : en 2019, nos prises de commandes, c’est-à-dire nos autorisations d’engagement, s’élevaient à 8 milliards d’euros pour les programmes à effet majeur. Elles atteindront 14,6 milliards d’euros en 2020, soit une progression de 85 % en un an. C’est la traduction extrêmement concrète de l’engagement pris par le Président de la République en faveur de nos armées.

Autre chiffre que je crois très parlant, les deux tiers des crédits de paiement qui constituent la progression de 1,7 milliard d’euros entre les budgets de 2019 et de 2020 seront consacrés à ces mêmes programmes d’armement majeur pour nos armées. Au total, les crédits de paiement – services votés et mesures nouvelles – alloués à ces programmes majeurs atteindront 6,8 milliards d’euros en 2020, contre 5,7 milliards en 2019, soit une progression de plus de 18 %.

Je vous livre ici quelques illustrations concrètes et tangibles, à la fois de nos livraisons et de nos commandes.

Au titre des livraisons, en 2020, l’armée de terre recevra 128 blindés Griffon ainsi que les quatre premiers blindés Jaguar dans le cadre de la poursuite du déploiement du programme Scorpion, qui a débuté en 2019. Nous commanderons à nouveau des matériels qui appartiennent à ce programme Scorpion : 271 blindés Griffon supplémentaires, les 364 premiers blindés Serval et 42 Jaguar.

La marine verra la livraison du Suffren, premier sous-marin du programme Barracuda, de deux hélicoptères NH90 et de deux avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés. Nous engagerons les premières commandes de renouvellement des avions de surveillance maritime qui concerneront sept appareils dits AVSIMAR et trois avions de guet aérien, les avions Hawkeye.

Enfin, l’armée de l’air réceptionnera les deux premiers Mirage 2000D rénovés, un avion ravitailleur supplémentaire Phénix MRTT ainsi que deux avions A400M supplémentaires. Nous commanderons un simulateur de drone Reaper et la rénovation de quatre avions de transport tactique, les C-130 d’ancienne génération Hercules.

Cette liste n’est pas exhaustive, et je suis à votre disposition, avec mon cabinet, pour vous fournir tous les détails qui seront, bien évidemment, transmis aux rapporteurs. Chacune des armées pourra ressentir les effets de la remontée en puissance insufflée par cette LPM et ses différentes déclinaisons budgétaires, année après année.

Le troisième axe de la loi de programmation militaire et de notre budget est la consolidation de notre autonomie stratégique et la préparation du futur.

Dans ce domaine, le budget est aussi une contribution supplémentaire à l’autonomie stratégique européenne. Il nous prépare aux enjeux du futur en accordant une importance particulière à l’innovation. En 2020, 821 millions de crédits de paiement seront spécifiquement consacrés à l’innovation et à la préparation de l’avenir au travers des contrats et des études amont qui permettront de concevoir les technologies de demain. Par rapport à 2019, c’est donc une nouvelle augmentation de 8 % qui nous rapproche de notre objectif commun du milliard d’euros dédiés à l’innovation et que nous atteindrons en 2022.

Plus concrètement, l’effort en faveur des PME sera poursuivi avec près de 50 millions d’euros dédiés au dispositif RAPID (régime d’appui à l’innovation duale). L’année 2020 sera également marquée par la montée en puissance des actions d’innovation ouverte, menées par l’Agence de l’innovation de défense, dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la robotique et de la santé du militaire. Des études seront conduites pour préparer les capacités spatiales futures de renseignements et de télécommunications.

Le domaine spatial est l’un des nouveaux champs de conflictualité dans lequel nous souhaitons continuer d’investir. Au début du mois de septembre, nous avons créé le nouveau Commandement de l’espace, qui s’installera à Toulouse et qui montera progressivement en puissance au cours de l’année 2020. Ce sont ainsi 448 millions d’euros qui seront consacrés au développement de nos capacités spatiales et à la poursuite du renouvellement de nos satellites.

Enfin, vous le savez, nous n’économisons aucun effort pour développer et renforcer nos capacités dans la cyberdéfense. Les rangs des cybercombattants seront renforcés par quatre-vingt-treize nouvelles recrues en 2020, avec l’horizon de recruter 1 000 cybercombattants supplémentaires d’ici à 2025.

Enfin, le budget ancre la responsabilité du ministère dans la poursuite de sa transformation. En introduction, je vous disais que les Français nous font confiance et que cette confiance nous oblige. Nous avons des moyens exceptionnels et donc aussi des responsabilités exceptionnelles. C’est celle du ministère des armées de poursuivre sa transformation, de simplifier et d’améliorer la performance de ses processus. C’est un sujet qui me tient très à cœur. Il y a un an, lors de la présentation du budget pour 2019, j’avais adopté au quotidien la maxime d’un ancien Premier ministre qui disait : « Le propre d’un réformateur, c’est de réussir les réformes. » C’est toujours aussi vrai cette année. Par conséquent, je m’assure continuellement que les chantiers de transformation du ministère avancent dans la bonne direction et au bon rythme.

Jeudi dernier, j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant les cadres militaires et civils du ministère au sujet d’une grande politique interministérielle : la transformation des administrations centrales. En la matière, le ministère des armées ne fait pas exception. Nous avons tout à fait conscience que cette transformation est opérée dans les meilleures conditions puisque, par opposition, si je puis dire, aux précédentes, elle ne se fait pas sous le poids de la contrainte budgétaire des réductions de moyens et d’effectifs, mais, au contraire, dans un contexte de croissance. Cette transformation consiste principalement à modifier nos méthodes de travail pour être en mesure de relever les défis du futur. Il ne s’agit pas seulement d’un changement d’organigramme ou de la dématérialisation de certaines procédures, ce sont des actions et des gestes pour améliorer le quotidien de tous.

J’ai souhaité commencer par ce qui est à la base de tout, c’est-à-dire la transformation au plus près du terrain. Ainsi, les commandants de base de défense disposent aujourd’hui de plus de latitude et de moyens pour agir. La rénovation de fonctions clés telles que la restauration ou l’habillement est engagée ; les effectifs du commissariat sont redéployés vers les unités ; nous mettons en place des espaces ATLAS destinés à simplifier la vie quotidienne de nos soldats, marins et aviateurs, au plus près du terrain. D’ailleurs, je vous invite à aller les visiter dans le cadre de vos déplacements. Cette innovation de proximité préfigure, d’une certaine manière, les espaces France Services que le Gouvernement veut déployer dans les territoires.

Au-delà des actions que nous avons engagées au plus près du terrain, il fallait aussi revoir l’organisation au sommet, c’est-à-dire l’organisation des états-majors, des directions et des services, pour les recentrer sur leurs missions stratégiques, les faire mieux travailler ensemble, les rendre plus efficaces et dégager des effectifs pour les redéployer sur les fonctions prioritaires de la LPM. Lors de nos débats, nous n’avons pas prétendu satisfaire toutes les priorités qui sont devant nous avec les « seules » créations nettes d’emplois. Pour pouvoir le faire, il faut aussi redéployer, et c’est ce à quoi nous nous employons. C’est en ayant cela à l’esprit que nous réduisons le nombre de strates hiérarchiques, que nous faisons en sorte de briser les silos, que nous délocalisons certains services depuis l’Île-de-France vers les régions. Nous allons donc renforcer en effectifs et en moyens les pôles d’expertise dont nous disposons en région à Rennes, à Tours ou à Toulouse. Cette volonté de délocaliser ou de déconcentrer l’administration s’explique très simplement : comme vous, je suis attachée à la qualité de l’exécution des décisions que nous prenons, et c’est sur le terrain que nos réformes prennent corps et que la loi de programmation doit être mise en œuvre.

Tous ces changements doivent aussi accroître la responsabilité et l’autonomie de chaque agent du ministère, à tous les niveaux. Il s’agit de favoriser les initiatives individuelles, la créativité et l’émergence dans notre ministère d’une culture de projets, qui si elle n’est pas absente, doit être généralisée.

Pour illustrer la modernisation de ces processus, le PLF 2020 prévoit une nouvelle répartition des responsabilités financières dans le domaine des infrastructures. Vous me direz que c’est une mesure de périmètre et que nous avons réorienté les millions entre les différents programmes. C’est vrai. Ainsi, les crédits du programme 146 « Équipement des forces » seront abondés des crédits d’infrastructures correspondant aux grands programmes d’armement pour permettre de garantir la cohérence entre la livraison des équipements, d’une part, et la livraison des infrastructures, d’autre part, qui devront à l’avenir se penser de façon solidaire et non pas déconnectée, comme cela a pu être trop souvent le cas dans le passé.

De même, les armées disposeront désormais, dans le cadre du programme 178 « Préparation et emploi des forces », des budgets des infrastructures opérationnelles, par exemple la construction et l’entretien des stands de tir, des quais et bassins de la marine, ou bien des infrastructures aéroportuaires. Là aussi, l’objectif est d’être en mesure d’exprimer un besoin mieux défini, mieux valorisé, qui permettra à ceux qui produisent les bâtiments de le faire aussi dans des délais plus courts. Ce que je disais tout à l’heure au titre de la responsabilisation s’incarne dans ces mouvements de crédits entre différents programmes.

Resteront donc à la charge du programme 212 « Soutien de la politique de défense » les infrastructures générales, les réseaux d’intérêts communs et la politique du logement ou d’hébergement, qui sont des compléments indispensables aux autres types d’infrastructures, mais aussi des priorités politiques qui seront désormais préservées dans leur programmation et leur exécution à l’intérieur du programme 212.

En résumé, ce budget est au rendez-vous des engagements de la LPM. Il accélère les investissements en matière d’équipements. Il appuie notre volonté de concevoir et déployer des mesures à hauteur d’homme. Il confirme ainsi nos ambitions.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, Madame la ministre.

Je vais d’abord donner la parole aux rapporteurs pour avis.

M. Jacques Marilossian. En préparant mon rapport pour avis sur les crédits de la marine nationale, j’ai rencontré récemment les membres du Conseil de la fonction militaire (CFM) de la marine. Après vingt ans de réformes et de LPM déflationnistes, nos marins sont globalement satisfaits de la nouvelle LPM, de ses ambitions et de son exécution. Ils regrettent la lenteur parfois constatée dans la mise en œuvre de certaines mesures ainsi que le décalage entre annonces et réalisations, mais ils comprennent les contraintes de votre ministère.

Ainsi, ils attendent toujours la liaison Brest-Toulon ; ils se lamentent de la crise de l’habillement, qui se traduit par des problèmes de délais, de ruptures de stock, de matériels non conformes, et ils attendent avec impatience le wifi sur les bâtiments à quai. Cependant, ils mesurent les avancées du plan famille, et vos efforts sur l’hébergement, l’habillement, la formation ou encore l’organisation en double équipage garantiront sans nul doute une meilleure fidélisation. La grande angoisse qu’ils expriment, et dont je souhaite vous faire part, porte évidemment sur l’avenir de leur retraite, comme vous le savez. Je vous invite, par conséquent, à réaffirmer, autant que faire se peut, la spécificité de la fonction militaire.

Au niveau européen, différents dispositifs très encourageants sont en place : Fonds européen de la défense (FED), Agence européenne de défense (AED), coopération structurée permanente (CSP) et, bien sûr, l’initiative européenne de défense. Notre budget défense est toujours en hausse, nous avons une commissaire européenne, Sylvie Goulard, à qui est confié le portefeuille de l’industrie de la défense, et nous avons une députée européenne, Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission « sécurité et défense » au Parlement européen : avec ce fantastique alignement des planètes, quel est votre plan d’action pour pérenniser le Fonds européen de la défense et, plus largement, pour développer la fameuse autonomie stratégique européenne ? De quelle façon pouvez-vous associer les parlementaires à ce processus ?

M. Claude de Ganay. Merci pour cette présentation et pour le document très pédagogique et très clair qui nous a été remis. Comme vous l’avez dit, le bilan est conforme et sans grande surprise, c’est pourquoi ma question portera plutôt sur l’un des autres axes stratégiques que vous avez mentionnés. Votre ministère a d’ailleurs, à juste titre, axé sa communication sur la contribution, voire le leadership français, afin de garantir à l’Union européenne une certaine autonomie stratégique. Je précise que je suis rapporteur pour avis sur les programmes 178 « Préparation et emploi des forces » et 212 « soutien de la politique de la défense ».

La lettre de mission de Mme von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission européenne, à Sylvie Goulard, future commissaire au marché intérieur, est des plus encourageantes. La nomination, qui attend toujours confirmation, d’une Française à ce poste est primordiale en ce qu’elle devrait permettre des avancées notoires dans les domaines de la souveraineté technologique, de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité, de la stratégie industrielle, de la coopération entre les PME, de la clarification des marchés publics et des régimes de propriété intellectuelle – des thématiques centrales pour le développement d’une industrie européenne de défense.

Confié au commissaire au marché intérieur, le Fonds européen de défense est doté de 13 milliards d’euros sur sept ans. Si peu de communications détaillées ont été faites à son sujet, il s’agit d’un projet supranational pris sur le budget de l’Union européenne, donc contrôlé par le Parlement européen, et qui se retrouve sous le chapeau de la coopération structurée permanente. Pouvez-vous nous préciser les modalités du contrôle que le Parlement effectuerait sur ce fonds, en particulier s’il se ferait uniquement en amont de sa mise en œuvre annuelle ou aussi à la fin du contrôle financier pluriannuel, et quel serait l’impact de ce contrôle ?

Mme Aude Bono-Vandorme. En tant que rapporteure pour avis sur la gendarmerie nationale, ma question porte sur les soutiens de la gendarmerie nationale assurés par les armées. Encadré par une délégation de gestion (DDG) signée en 2008 entre le ministère des armées et le ministère de l’intérieur et reconduite en 2015 sans limitation de durée, ce soutien, qui recouvre des domaines variés, dont certains sont très sensibles, ne donne pas lieu aujourd’hui à un mécanisme de remboursement. En effet, la gendarmerie a transféré aux armées près de 940 ETP dans le domaine du soutien depuis 1998 et, à ce titre, les armées disposent de moyens pour le soutien de la gendarmerie sans que celle-ci ait à en rembourser les coûts.

Toutefois, des bruits de coursives évoquant une remise en cause de ce principe se font entendre. En cas de confirmation, cela constituerait un recul et instaurerait une logique de silo entre le ministère des armées et le ministère de l’intérieur, pourtant appelés à coopérer étroitement et en synergie pour la protection du territoire national, notamment en situation de crise. Pouvez-vous nous faire part de votre vision sur ce sujet ?

Par ailleurs, les armées considèrent que la gendarmerie nationale doit rembourser les coûts résultant de l’emploi par le GIGN de quatre Puma du groupe interarmées d’hélicoptères (GIH) pour les missions d’entraînement. Le sujet n’étant pas consensuel, les armées ont suspendu la participation du GIH aux missions d’entraînement du GIGN, ce qui fragilise les compétences aéromobiles de ce dernier. Quelle est votre analyse de la situation et que pourriez-vous entreprendre pour la débloquer ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Depuis trois ans les engagements pris sont respectés et l’exécution est conforme aux prévisions. Cependant, comment pensez-vous parvenir à l’objectif d’un budget équivalent à 2 % de la richesse nationale, soit 40 milliards d’euros, pour 2025, compte tenu du fait que les prévisions de croissance du PIB risquent d’être déçues, mais aussi compte tenu de notre engagement en OPEX, en particulier en bande sahélo-saharienne (BSS) et au Levant, dont tout porte à croire qu’il va s’intensifier et, enfin, de votre volonté légitime et louable d’accroître nos capacités cyber et spatiales, et de développer des programmes ambitieux et nécessaires, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) ?

M. Thomas Gassilloud. L’année 2020 sera la deuxième année de LPM et, il n’est pas inutile de le rappeler, la troisième année d’une remontée en puissance engagée dès le budget 2018.

Pour l’armée de terre, les manifestations de cette LPM sont très concrètes et appréciées au sein des forces. J’étais jeudi dernier auprès du 7e bataillon de chasseurs alpins à Varces, en Isère, et j’ai pu échanger longuement avec les militaires, qui se félicitent d’avoir perçu les nouveaux HK 416F, qui équipent déjà la moitié du bataillon – celui-ci, qui se trouve actuellement en bande sahélo-saharienne, se prépare à l’arrivée prochaine des Griffon.

Par ailleurs, on m’a présenté l’équipement récent du soldat de montagne, et je peux également vous dire que l’apparition des primes de technicité de haute montagne sur les bulletins de solde a été notée avec une grande satisfaction – deux points illustrant parfaitement l’idée d’une LPM à hauteur d’homme.

Cependant, plusieurs points de vigilance subsistent.

Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger avec vous au sujet du respect des plannings de livraison du programme Scorpion, en commençant par les quatre-vingt-douze Griffon de 2019, et j’ai pris note de la vigilance dont vous faites preuve sur ce point, Madame la ministre.

Je souhaite donc plutôt vous interroger au sujet de l’hébergement, une question concernant en grande partie l’armée de terre, qui concentre la moitié des hommes et des femmes en uniforme relevant de votre ministère. Les problèmes d’hébergement qui se présentent actuellement, et dont j’ai eu un aperçu à Varces, ont des conséquences en termes de fidélisation du personnel. L’expérience passée a montré que notre maîtrise d’ouvrage interne ne permettait pas toujours de tenir les délais, ni de maîtriser le coût des bâtiments. Pouvez-vous nous préciser la méthode mise en œuvre pour réaliser les 120 millions d’euros d’investissements prévus en 2020, et nous indiquer si un recours à l’externalisation des bâtiments non techniques est envisagé ?

Mme Sereine Mauborgne. Pour compléter la question de Thomas Gassilloud, j’aimerais savoir si vous jugez que vos services et directions sont suffisamment armés aujourd’hui, notamment sur le plan juridique, afin d’identifier, de résoudre et éventuellement de sanctionner les retards industriels lorsqu’ils surviennent. Je pense notamment aux retards sur le Griffon : à l’heure actuelle, nous pensons que les quatre-vingt-douze exemplaires seront livrés d’ici à la fin de l’année, mais nous n’avons pas de certitude sur ce point. Pouvez-vous nous confirmer que les Griffon seront livrés en temps et en heure et, s’ils ne l’étaient pas, de quelle manière le retard pourrait être sanctionné ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Permettez-moi tout d’abord de rendre hommage au président Jacques Chirac : s’il y a une réussite à mettre à son actif dans le périmètre de notre commission, c’est bien la professionnalisation de nos armées. Jacques Chirac disait que les promesses n’engagent que ceux qui les croient, mais force est de constater que les engagements pris en matière de lois de finances, notamment l’an dernier, sont tenus.

Nous allons examiner les crédits de nos armées en séance publique le 30 octobre prochain. Ces crédits sont conformes, il faut s’en féliciter, à une loi de programmation militaire ambitieuse sur le plan du renouvellement de nos capacités, sur le plan de la remontée en puissance de nos forces et, au fond, sur la réponse aux défis stratégiques des années à venir.

Pour ce faire, la loi de programmation militaire mise en partie sur la coopération avec nos principaux alliés. Le 30 octobre sera la veille de la date limite fixée pour le Brexit, c’est pourquoi je souhaite vous interroger sur votre évaluation des conséquences possibles du Brexit, avec accord ou sans accord. Avez-vous des inquiétudes concernant la volonté ou la capacité des Britanniques à poursuivre nos programmes en commun – je pense, par exemple, au système de lutte anti-mines marines du futur (SLAMF) ? Quel peut être l’impact du Brexit sur notre base industrielle et technologique de défense (BITD) qui, comme vous le savez, s’approvisionne au Royaume-Uni, et qui est parfois déjà transnationale – je pense ici à des industriels comme MBDA ? Plus largement, quelle stratégie entendez-vous mettre en œuvre pour éviter que nos amis et partenaires britanniques ne tournent les yeux davantage vers le grand large que vers nous ?

Mme Florence Parly, ministre des armées. Je commencerai par répondre à M. Marilossian et à M. de Ganay sur le Fonds européen de la défense. Comme vous l’avez tous deux souligné, ce fonds est l’une des grandes innovations des trois dernières années, et c’est ce qui va permettre la coopération entre les États membres dans le domaine de la recherche et technologie (R&T) de défense et le développement capacitaire. C’est donc probablement l’un des outils contribuant à l’approfondissement ou à la construction d’une autonomie stratégique européenne.

La Commission sortante, qui n’est pas chargée de faire adopter le cadre financier pluriannuel, avait néanmoins fait une proposition visant à doter ce fonds en régime de croisière, c’est-à-dire à partir de 2021, à hauteur de 13 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Il appartiendra aux équipes de la nouvelle Commission européenne et du Parlement européen de confirmer cette orientation, ce qu’elles feront, je l’espère. J’ai d’ores et déjà eu l’occasion d’échanger avec la nouvelle présidente de la Commission, Mme von der Leyen, sur le fait que nous avions de fortes attentes et que nous ne pouvions pas imaginer que le montant que je viens d’évoquer ne serait pas confirmé.

Avant cela, nous pouvons compter sur de premiers financements puisque, dans le domaine de la recherche, des moyens ont été mobilisés pour la période 2017-2019 à hauteur de 90 millions d’euros, ce qui doit permettre de financer, entre autres, un projet de démonstrateur de drone maritime, tandis que, pour la période 2019-2020, un programme européen de développement industriel de défense (PEDID) doté de 500 millions d’euros a vocation à financer notamment des projets tels que l’Eurodrone, auquel la France est partie prenante, ou le projet de radio logicielle ESSOR.

Pour en revenir aux 13 milliards d’euros dotant le Fonds européen de la défense, nous avons un accord partiel du Conseil sur le règlement d’utilisation de ces crédits, ainsi qu’un accord partiel du Parlement européen. Ce qui manque, en réalité, c’est la manière dont des pays tiers pourraient être associés à ce fonds, et donc bénéficier de ses financements : les règles déterminant les modalités d’un éventuel accès de pays tiers à ce dispositif n’ont pas encore été fixées.

Vous m’avez demandé comment, en tant que parlementaires, vous pouviez aider et soutenir ces différentes initiatives. Toutes les initiatives que vous, parlementaires français, pourriez prendre vis-à-vis de vos nouveaux collègues parlementaires européens pour assurer le bon aboutissement à la fois de l’élément manquant du règlement d’utilisation du Fonds européen de la défense et du bon aboutissement du calibrage financier de ce fonds seraient évidemment tout à fait bienvenues.

M. de Ganay m’a posé une question très précise sur les modalités du contrôle auquel devrait être soumis le Fonds européen de la défense. Au niveau du Parlement européen, il y a déjà un premier niveau de contrôle, constitué par le vote initial pour doter ce Fonds. Ensuite, je pense que le Fonds fera l’objet d’un suivi approfondi – je ne sais pas selon quelles modalités précises, celles-ci ayant vocation à être déterminées ultérieurement, mais je ne peux imaginer que, sur une politique aussi nouvelle et aussi fondamentale pour l’Union européenne, le Parlement européen se désintéresse du suivi et de la mise en œuvre des financements qui auront été alloués.

Pour ce qui est du protocole passé entre la gendarmerie et le ministère des armées au moment de leur séparation fonctionnelle, il n’est évidemment pas question de remettre en cause des protocoles de soutien profitant aux armées comme à la gendarmerie en matière de santé ou d’action sociale : c’est, au fond, le trait d’union qui permet d’illustrer l’unicité du statut militaire. Mais ce protocole est vivant et nous en revisitons le contenu très régulièrement, ce que nous continuerons à faire.

En ce qui concerne les hélicoptères utilisés au profit de la gendarmerie, le règlement de certaines sommes dues par le ministère de l’intérieur est attendu, et nous sommes en discussion avec la place Beauvau sur ce point. Je n’ai pas encore d’éléments très précis à vous livrer mais une chose est certaine, c’est que lorsqu’il y a des dettes, celles-ci doivent être apurées, comme le veut l’adage selon lequel les bons comptes font les bons amis – or les gendarmes sont nos amis…

M. Ferrara m’a interrogée sur la manière d’atteindre l’objectif de 2 % du PIB. Nous avons déjà eu une discussion sur ce point, et ce que nous pouvons constater ensemble, Monsieur Ferrara, c’est que jusqu’à présent, les engagements sont tenus – il est d’ailleurs indispensable qu’ils le soient pour permettre d’atteindre la cible de 2 %. Avec les moyens que j’ai décrits tout à l’heure concernant le projet de budget pour 2020, nous allons porter l’effort de défense à 1,86 % de la richesse nationale, alors qu’au début de la législature, en 2017, nous en étions à 1,78 %. Nous progressons pas à pas, nous sommes sur la bonne trajectoire et nous la tenons, mais nous savons aussi, les uns et les autres, qu’il y a devant nous un certain nombre de marches d’escalier régulières lorsqu’on raisonne en pourcentage, et un peu moins régulières lorsqu’on raisonne en valeur absolue. En ce qui me concerne, je suis confiante quant à notre capacité de maintenir notre progression. En tout état de cause, tout continuera à se faire sous votre contrôle, puisque nous avons une clause de rendez-vous en 2021, qui devra permettre d’inscrire – dans le dur, je l’espère – les engagements qui ont été pris pour les années 2024 et 2025.

En dépit de la confiance que l’on peut avoir dans l’avenir, je suis tout à fait déterminée, car je pense qu’attendre avec confiance que les choses se fassent toutes seules, de façon mécanique, n’est pas une attitude responsable. Vous pouvez donc compter sur le fait que, dès le début de l’année 2020, tous les services du ministère des armées seront mobilisés pour préparer cette clause de rendez-vous de 2021 – autant dire demain. Rendre tangibles et concrets, comme le permet le budget 2020 et comme le permettaient les budgets précédents, les engagements qui ont été pris, ne peut que nous aider à obtenir confirmation des engagements budgétaires pour la dernière partie de la loi de programmation militaire.

Vous vous êtes également inquiété, Monsieur Ferrara, de ce que nous pourrions faire pour répondre aux besoins de nos armées si le PIB devait voir sa croissance ralentie pour des raisons tenant au contexte macroéconomique et stratégique mondial. À cette question, je n’ai pas de réponse toute faite. Je crois qu’il faut tout faire pour continuer d’avoir une croissance économique dynamique, sachant que tout ne dépend pas de nous et que l’on ne peut pas complètement écarter l’hypothèse d’une croissance inférieure aux prévisions. Cela nous obligerait à nous adapter, mais c’est aussi à cela que doit servir la clause de revoyure. Nous avions d’ailleurs bien noté qu’il était plutôt périlleux, au début de l’année 2018, de tracer avec certitude une perspective en fonction de prévisions d’évolution du PIB à l’horizon 2025. La clause de revoyure doit donc aussi nous permettre de tenter de réconcilier, si je puis dire, d’un côté, les prévisions plus assurées que l’on pourra faire en matière de PIB, de l’autre, l’expression des besoins de nos armées.

Pour ce qui est du planning de livraison des Griffon, j’ai eu déjà l’occasion de dire que nous étions très attentifs à ce que les premières livraisons – outre les trois premiers exemplaires livrés durant l’été – arrivent à bonne date, c’est-à-dire d’ici à la fin de l’année 2019. Si nous sommes vigilants, c’est parce que les industriels ont rencontré plusieurs difficultés à la fin de l’année 2018, et qu’il a fallu mettre en place des plans d’action de fiabilisation. Ces plans d’action, placés sous l’étroite surveillance de la direction générale de l’armement (DGA), ont permis me semble-t-il de résoudre une très grande partie des problèmes, et je suis donc actuellement tout à la fois vigilante et confiante sur la capacité des industriels à livrer ces équipements.

En tout cas, je peux vous confirmer que les représentants de la DGA sont en contact extrêmement régulier avec les industriels, y compris sur les chaînes de montage, afin de s’assurer que les cadences de production et la qualité de production sont au rendez-vous. Nous aurons évidemment l’occasion d’en reparler puisque nous sommes amenés à nous revoir au cours des prochaines semaines mais, jusqu’à présent – je reste prudente –, il n’y a pas de raison particulière de douter de la capacité à obtenir les livraisons requises. Quant à savoir ce qui se passerait si ce n’était pas le cas, je n’ai pas le détail du contrat, mais celui-ci prévoit certainement un système de pénalités, comme il est d’usage dans les contrats que nous passons avec les industriels.

L’hébergement, vous avez raison, est un critère qui peut faire obstacle à la fidélisation des personnels. Nous devons donc, comme je l’ai dit, proposer à nos militaires des conditions d’hébergement dignes du XXIe siècle. J’ai cité tout à l’heure un montant de 120 millions d’euros mais, si l’on considère les travaux de construction et de réhabilitation, nous disposerons, en termes de commandes, de 177 millions d’euros d’autorisations d’engagement en 2020. C’est un effort très significatif puisque, en 2018 et en 2019, ce sont 100 millions d’euros en termes d’engagement que nous y avons consacrés. Cela doit nous permettre d’améliorer la qualité de notre parc, ce qui est nécessaire, car 20 % des hébergements présentent des dégradations nombreuses ou généralisées, et les deux tiers ont dépassé leur mi-vie. Nous voulons aussi augmenter quantitativement l’offre d’hébergement, en particulier dans les zones tendues – notamment en Île-de-France – et au profit de l’armée de terre, qui a vu ses effectifs croître de façon massive au cours des quatre dernières années.

Pour réaliser mieux et plus vite ces hébergements, nous emploierons effectivement de nouvelles méthodes. En premier lieu, il s’agira de standardiser un peu les besoins, afin que la production des hébergements de casernement puisse être, en quelque sorte, « industrialisée ». La deuxième façon d’améliorer les choses consiste à recourir à la maîtrise d’ouvrage déléguée. Sur ce point, nous sommes en train de travailler à un accord-cadre national qui permettra ensuite à chaque établissement, au niveau des régions, de se concentrer sur la commande et le suivi de la réalisation des travaux. Enfin, nous aurons recours de façon accrue à des programmistes, et nous augmenterons le nombre d’ingénieurs d’infrastructures.

Autrement dit, le service d’infrastructure de la défense (SID) va passer, pour les opérations qui ne sont pas spécifiquement militaires – c’est notamment le cas de l’hébergement –, de la culture du « faire » à la culture du « faire faire ».

Pour ce qui est des conséquences du Brexit, je crois que l’enjeu, quels que soient les conditions et le calendrier de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, c’est d’abord d’ancrer le Royaume-Uni dans une coopération bilatérale riche et structurante pour notre défense, et dans tous les domaines. Comme vous le savez, le Royaume-Uni est un pays européen avec lequel nous partageons beaucoup de choses en termes d’ambitions, de capacité de projection, de dissuasion nucléaire, mais aussi de capacité de mener des opérations de haute intensité, comme cela a encore été démontré en avril 2018 dans le cadre de l’opération Hamilton. Nous allons poursuivre cette coopération en 2019. Sur le plan politique, nous allons tenir prochainement notre troisième conseil ministériel de défense franco-britannique. Sur le terrain, comme vous l’avez sans doute lu récemment, nous poursuivons nos déploiements conjoints et nous les prolongeons, puisque les hélicoptères Chinook britanniques qui soutiennent aujourd’hui l’opération Barkhane le feront de façon renouvelée jusqu’en août 2020. Je n’irai pas jusqu’à dire que ce principe a été acquis sans difficulté, mais du moins l’est-il désormais : des décisions ont été prises, dans un contexte national que l’on sait pourtant terriblement difficile. Par ailleurs, nous allons développer le CJEF (Combined Joint Expeditionary Force), qui atteindra sa pleine capacité opérationnelle en 2020.

En ce qui concerne les programmes capacitaires, nous avons un projet de futur missile antinavire / futur missile de croisière (FMAN/FMC), nous ambitionnons de développer deux systèmes de drones pour la guerre des mines, et nous avons reçu il y a quelques jours des assurances du Royaume-Uni sur leur poursuite du programme de guerre des mines – un élément positif dans un contexte qui n’est pas simple sur le plan national. Nous poursuivons, par ailleurs, le développement de briques capacitaires du futur système de combat aérien.

Bien sûr, le Brexit est une source d’incertitude, notamment au niveau bilatéral, même si je dois dire que mon nouvel homologue britannique m’a fait part de sa détermination, sur le plan politique, non seulement de poursuivre, mais d’amplifier cette relation bilatérale. Sur le plan européen également, il faudra, le moment venu, définir des modalités d’association du Royaume-Uni à l’Union européenne.

Tout cela soulève des questions sur les plans fiscal et douanier. Il est trop tôt aujourd’hui pour dire quelles pourraient être les conséquences du Brexit tant que nous en sommes réduits aux supputations sur le point de savoir s’il y aura ou non un accord – et, le cas échéant, en quoi il consistera. Une chose est sûre, c’est que ni les uns ni les autres de part et d’autre de la Manche ne veulent rater le dixième anniversaire des accords de Lancaster House. C’est pourquoi, avec mon homologue, nous avons décidé de mettre en place des groupes de travail pour réussir ce rendez-vous.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Notre époque a connu des évolutions majeures en termes d’enjeux et de moyens militaires, notamment sur les risques cyber et la défense spatiale. C’est sur ce dernier point que je souhaite quelques précisions.

Le programme CSO devait être mis en œuvre dans les temps, et vous avez indiqué que la livraison des trois satellites composant ce programme serait effectuée en 2020…

Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous voulez sans doute parler du programme CERES, car CSO n’est qu’un programme d’observation optique.

M. Jean-Pierre Cubertafon. C’est effectivement au sujet de CERES, qui comporte une capacité de renseignement électromagnétique, que je souhaite vous demander quelques précisions.

Par ailleurs, je tiens à vous dire que la brochure qui nous a été remise par vos services est beaucoup plus pertinente que celle de l’année dernière.

Mme Florence Parly, ministre des armées. C’est vrai, nous avons fait un effort, et je vous remercie de le remarquer !

M. Joaquim Pueyo. Après vous avoir dit que nous sommes satisfaits que la LPM soit respectée à la lettre, je souhaiterais, en premier lieu, que vous nous apportiez des précisions sur les mesures annoncées pour fidéliser nos militaires et améliorer le recrutement. En mai dernier, la Cour des comptes a pointé un excédent de 148 millions d’euros dans le budget 2018, du fait d’un défaut de fidélisation et de difficultés de recrutement. Dans le PLF 2020, vous avez prévu un budget de 40 millions d’euros pour la fidélisation et l’attractivité de nos armées, dont 12,5 millions destinés à financer des primes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Deuxième point, nous savons l’importance de la recherche et de l’innovation pour éviter toute rupture capacitaire dans les années à venir ; la défense exige, en effet, sur ces questions, une vision de long terme. Les crédits consacrés à l’innovation atteindront 821 millions d’euros en 2020, soit une augmentation de 8,3 %, ce qui est très positif. Pouvez-vous nous détailler quels seront les domaines prioritaires ?

Enfin, la LPM, indique que le report de charges serait limité à 16 % en 2019, pour atteindre 10 % en 2025. Or ce report reste relativement important pour 2018. Pouvez-vous néanmoins nous garantir que nous respecterons cette trajectoire en diminution ?

M. Charles de La Verpillière. Vous nous avez indiqué qu’une provision de 1,1 milliard d’euros serait inscrite au budget pour les opérations extérieures. Comment voyez-vous ces opérations extérieures – c’est-à-dire Barkhane et Chammal – évoluer en 2020, compte tenu de la situation sur le terrain et de l’attitude des Américains ?

En ce qui concerne les primes de fidélisation et d’engagement, j’ai lu cette semaine un article dans lequel il était question d’une refonte complète des primes attribuées à certaines spécialités très pointues, notamment les ingénieurs nucléaires ou les médecins. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Bastien Lachaud. Madame la ministre, vous venez nous présenter le budget de la mission « Défense » alors même que l’annexe budgétaire ne nous a pas encore été communiquée. Depuis une semaine, vous distillez donc vos éléments de langage dans les médias, sans qu’il soit possible de rien vérifier, et donc d’argumenter. Ce n’est pas ainsi que nous concevons le débat démocratique et le travail parlementaire.

Vous avez fait, cet été, des annonces sur la stratégie spatiale, concernant notamment la création d’un état-major dédié assorti d’une action budgétaire, ainsi que le fait que le ministère des armées doit devenir un opérateur à part entière. Nous parlons ici d’un budget estimé à 448 millions d’euros : quels sont les programmes et les actions inclus dans ce décompte, et quels sont ceux qui ont été mis à contribution pour abonder cette nouvelle action ? Quelles conséquences cette nouvelle organisation aura-t-elle sur le financement et le rôle du Centre national d'études spatiales (CNES) ?

Concernant la sécurisation de la navigation dans le Golfe, vous avez annoncé, le 7 septembre, que la France était favorable « à des actions complémentaires coordonnées avec les États-Unis ». Je trouve cette formulation assez ambiguë, voire hypocrite, dans la mesure où la France avait jusqu’alors prétendu, tout à fait légitimement, ne pas suivre les États-Unis dans leur volonté de former une coalition internationale qui assure le contrôle de la navigation dans le détroit. Pourriez-vous nous indiquer en quoi consistent concrètement ces initiatives complémentaires et quelles seraient leurs incidences budgétaires ?

M. Olivier Becht. Je voudrais vous remercier, au nom du groupe UDI et indépendants, pour le respect des engagements pris dans la LPM – c’est suffisamment rare pour être souligné et cela mérite notre respect.

Je me félicite des annonces du Président de la République concernant notre politique de défense spatiale : 440 millions d’euros ont été budgétés pour la financer, ce qui inclut notamment la rénovation de trois radars SATAM, quatre stations sol et un satellite MUSIS / CSO. Des moyens nouveaux vont-ils être consacrés au commandement de l’espace qui doit-être installé à Toulouse ?

M. Yannick Favennec Becot. La création du commandement de l’espace est une très bonne nouvelle. Elle répond à la nécessité de protéger nos systèmes de transport, nos hôpitaux, ainsi que l’évolution de nos forces armées, en particulier sur les théâtres d’opérations extérieures, autant d’éléments vitaux pour notre défense. Cette stratégie doit, par conséquent, s’appuyer sur un budget à la hauteur des défis à relever : considérez-vous que 440 millions d’euros sont une somme suffisante ?

Mme Manuéla Kéclard-Mondésir. Dans les territoires d’outre-mer, les régiments du service militaire adapté (SMA) accomplissent un travail d’insertion et de formation des jeunes qui mérite d’être salué.

Le PLF 2020 témoigne des efforts faits en faveur notamment du personnel encadrant et du bâti. Cela étant, le SMA souffre d’une difficulté liée aux problèmes de transport que rencontrent certains jeunes de nos territoires pour rejoindre les régiments – on estime à 200, en Martinique, le nombre de jeunes qui, chaque année, ne bénéficient pas de ce SMA. Pouvez-vous m’indiquer si cela est pris en compte dans votre budget ?

Mme Florence Parly, ministre des armées. Pour ce qui est du satellite CERES, nous avons constaté une anomalie sur un boîtier, qui a nécessité une reprise totale du matériel. En conséquence, les trois satellites qui devaient être lancés en 2020 ne le seront que début 2021. Cela ne signifie nullement que nous sommes sans capacité d’ici là, puisque les satellites Élisa resteront en service jusqu’à cette date.

En ce qui concerne la fidélisation des personnels, nous aurons l’occasion de revenir, dans le cadre de la fin de gestion de l’exercice 2019, sur la réalisation du schéma d’emplois. Notre priorité du moment, c’est de faire en sorte que ce schéma d’emplois se réalise. Nous avons travaillé pour cela sur différents aspects, financiers ou non – j’ai évoqué l’hébergement –, et enclenché les mesures nécessaires.

De manière prosaïque, sur la feuille de paie, une prime participe de la fidélisation. Nous avons créé la prime de lien au service, à partir notamment d’anciennes primes qui ne remplissaient plus leur fonction, pour en faire un instrument de fidélisation à destination soit de personnels détenant des compétences spécifiques et rares, pour lesquels nous n’avons pas de solution de remplacement immédiate, soit de personnels qui veulent partir mais dont nous souhaitons prolonger l’engagement. Il s’agit d’un dispositif assez souple, au sens où son montant pourra varier en fonction des situations, plus aisément que dans le cas habituel des primes destinées aux agents publics. J’annonce, par ailleurs, d’ores et déjà qu’il n’y aura pas de postes à prime ou de postes sans prime, puisqu’il s’agit de répondre à un problème spécifique, qui peut être résolu par le recrutement d’un personnel ayant vocation à rester durablement en poste, ce qui dispensera de l’usage des primes. Pour ce qui concerne les spécialités éligibles, ce sera aux gestionnaires de les définir mais, dans l’attente d’une évaluation, ce dispositif assez flexible me paraît à même de répondre aux besoins.

En matière d’innovation, 821 millions d’euros ont été budgétés pour les études amont. Nous allons poursuivre notre effort en faveur des PME et PMI. Le dispositif RAPID est consolidé et une nouvelle tranche du fonds Definvest va nous permettre, via des participations, de soutenir des entreprises stratégiques mais fragiles.

Nous avons, par ailleurs, identifié plusieurs domaines prioritaires : l’énergie, la lutte contre les menaces hybrides, l’intelligence artificielle, la robotique, le commandement, le soutien, la santé du militaire et les relations avec l’usager.

Nous maintenons également nos efforts dans le domaine de la cybersécurité et de la cyberdéfense et, dans le cadre du renouvellement des deux composantes de la dissuasion ; nous poursuivons nos études sur le programme franco-britannique de missiles ainsi que sur le démonstrateur de planeur hypersonique V-max – Véhicule manœuvrant expérimental. Sont aussi concernés le SCAF, en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne, et l’évolution de l’architecture des réseaux et des systèmes de traitement des données en masse, ou big data.

Enfin, je ne peux pas ne pas mentionner les premiers résultats des études préparatoires du porte-avions de nouvelle génération et le lancement des études sur les futures capacités spatiales de renseignement et de télécommunication appelées à prendre la suite de CSO, d’une part, et de CERES, d’autre part.

Pour ce qui concerne le report de charges, en 2018, nous avons tenu notre prévision de report de charges, qui était de 3,4 milliards d’euros. Il s’agit d’un indicateur suivi d’extrêmement près et, s’il m’est impossible d’avancer un chiffre pour 2019, l’année n’étant pas tout à fait terminée, je puis vous dire que nous ferons tout pour que l’objectif de 3,8 milliards soit respecté, sachant qu’il nous faudra progressivement réduire ce report de charges pour respecter la cible fixée par la loi de programmation militaire.

J’ai été interrogée sur le coût des OPEX, leur maîtrise et, plus généralement, sur l’avenir des deux principaux théâtres d’opérations extérieures. Il est clair que le facteur financier n’est en rien déterminant dans la poursuite ou non de ces opérations, qui sont avant tout dictées par des considérations stratégiques. En revanche, une fois qu’une opération est lancée, il est tout aussi clair que nous devons rendre des comptes sur la manière dont les moyens engagés sont pilotés et maîtrisés. Vous nous interrogez régulièrement sur cette question, et nous vous fournirons, comme chaque année, les éléments nécessaires.

En ce qui concerne l’évolution des opérations proprement dites, beaucoup de hauts responsables militaires ont eu l’occasion de s’exprimer devant votre commission au sujet de Barkhane ; ils vous ont dit que c’était une action qui ne pouvait s’évaluer sur le court terme, qu’elle devait plutôt s’apprécier dans le temps long. Néanmoins, nous avons remporté de vrais succès en 2018 et en 2019, tant dans la lutte contre le terrorisme que dans l’accompagnement et la formation au combat des forces armées nationales.

Il n’est pas réellement à l’ordre du jour de cette audition d’entrer dans le détail de ce qui a été fait et de nos objectifs pour les prochaines semaines, mais je peux indiquer que nous avons fortement investi la zone du Liptako, puis étendu ce contrôle de zone à la frontière ouest du Liptako, vers le Gourma. Nous avons également été amenés, ces dernières semaines, à opérer au Burkina Faso, à la demande de ce dernier, suite à de violentes attaques qu’il avait subies.

Je tiens également à mentionner nos efforts pour articuler, d’une part, l’action militaire de sécurisation de ces zones et, d’autre part, le retour des institutions nationales et la mise en œuvre de projets de développement qui permettent d’enclencher une dynamique économique vertueuse pouvant déboucher sur un semblant de vie normale.

Pour ce qui est de l’opération Chammal, nous restons engagés dans le cadre de la coalition internationale. Notre dispositif est maintenu et nous opérons toujours depuis la base H5 en Jordanie, avec une légère évolution de la répartition de nos vols, les vols destinés à frapper étant en diminution, malgré de récentes frappes ces jours derniers, au profit des vols d’observation et de reconnaissance.

Quant à se projeter dans l’avenir, il m’est difficile de me prononcer sur le long terme. Ce que je peux dire, c’est que nos partenaires américains ont été d’un grand soutien logistique sur l’opération déployée au Sahel et que nous comptons bien que ces moyens soient reconduits et renouvelés. Concernant Chammal, après les doutes et les interrogations qu’avait provoqués, fin 2018, l’annonce par le président des États-Unis du retrait des forces américaines, le constat que ce retrait ne s’est produit ni dans les proportions ni à la vitesse attendues est une bonne nouvelle. Cela étant je ne m’aventurerai pas à des pronostics ni sur le court ni sur le moyen terme.

Monsieur Lachaud, je voudrais d’abord m’inscrire en faux sur votre remarque au sujet de l’annexe budgétaire : elle est disponible en ligne, et il suffit de la consulter. Inutile de prétendre le contraire, il suffit de cliquer. Si je ne suis pas en mesure, il est vrai, de vous dire quel jour cette annexe a été mise en ligne, je peux en revanche affirmer qu’il n’est pas habituel que les annexes des différents budgets soient communiquées le même jour que le projet de loi de finances à proprement parler. Elles ne sont, en général, disponibles que dans les jours, voire les semaines qui suivent. Le projet de loi de finances vient d’être déposé sur les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, et nous avons essayé de fournir le plus rapidement possible toutes les informations. Nous n’avons aucune intention de dissimuler quoi que ce soit et d’empêcher le Parlement d’exercer son contrôle sur le projet de loi de finances et, plus généralement, sur l’action de l’exécutif.

Je crois avoir détaillé la stratégie spatiale au mois de juillet. Vous souhaitez des précisions budgétaires : comme je l’ai indiqué, nous avons provisionné en LPM 3,6 milliards d’euros, qui doivent couvrir le complet renouvellement de nos capacités satellitaires, d’une part, et la modernisation de nos capacités radar, d’autre part. Le projet de loi de finances met en œuvre la tranche 2020 de ce programme.

M. Bastien Lachaud. Ma question portait plus précisément sur les conséquences budgétaires des annonces que vous avez faites.

Mme Florence Parly, ministre des armées. S’agissant du commandement à proprement parler, il s’agit de regrouper des moyens qui étaient jusqu’à présent dispersés. Au coût du déménagement à Toulouse près, il n’y aura donc pas a priori de surcoût budgétaire lié à la constitution de ce commandement de l’espace. En revanche, il n’est pas impossible que, dans le cadre de la stratégie spatiale que j’ai énoncée fin juillet, nous ayons besoin de reconsidérer la manière dont nous allouons certains moyens. Nous y travaillons et cela fait partie des sujets que nous évoquerons dans le cadre de la clause de revoyure.

Vous avez également abordé la question des moyens du CNES. Ces moyens ne sont pas remis en cause pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage de nos programmes spatiaux militaires. Les réductions de crédits qui ont été prévues dans le cadre du PLF 2020 concernent des moyens transverses du CNES, qui s’assimilent à des moyens de fonctionnement mais ne sont en aucun cas liés aux programmes spatiaux développés par le CNES pour nos besoins.

Vous avez enfin posé la question des opérations de sécurisation maritime dans le Golfe. En juillet, c’est-à-dire dès les premiers signes de tension, nous avons fait savoir que nous ne souhaitions pas nous associer à l’initiative américaine, dans la mesure où la stratégie américaine vis-à-vis de l’Iran est celle de la pression maximale et que nous avions la conviction que cela ne pourrait pas produire d’effet positif, ce que la suite a d’ailleurs confirmé. En conséquence, nous n’avons pas souhaité placer de capacités navales à l’intérieur d’un groupement américain.

En revanche, nous sommes conscients que, compte tenu de l’importance du trafic maritime dans la zone, il importe de pouvoir contribuer à la sécurité de la navigation. Pour cela, une initiative européenne nous paraît une solution permettant de distinguer notre action de celle des Américains. Cela ne signifie pas que, une fois ces moyens organisés, ils ne soient pas coordonnés de manière à maximiser l’efficacité de la présence dissuasive de navires qui, tous, vont contribuer à la sécurité du trafic maritime. Il faut donc bien faire la différence entre, d’une part, le fait de se placer sous parapluie américain, ce qui nous empêcherait, diplomatiquement et politiquement, de nous démarquer de la stratégie des États-Unis vis-à-vis de l’Iran et, d’autre part, des considérations pratiques, à savoir qu’une fois les bateaux déployés dans la zone – en l’occurrence le Jean Bart – il faut aussi que nous puissions communiquer et échanger du renseignement. C’est ce que j’entendais par coordination : il ne s’agit pas de coordination politique, mais de coordination pratique entre bateaux, pour avoir la meilleure évaluation possible des situations.

En ce qui concerne le service militaire adapté, j’ai bien noté, Madame Kéclard-Mondésir, votre souci que le plus grand nombre de jeunes y ait accès, d’où votre question sur les transports. Cependant, je ne suis pas certaine que cela relève de la compétence de l’État ; ce serait plutôt celle de l’exécutif local. En tout état de cause, j’évoquerai cette question avec Mme Girardin, car c’est le ministère des outre-mer qui a la responsabilité de ce service militaire adapté, contrairement à ce que pourrait laisser entendre la dénomination de ce dispositif.

Mme Patricia Mirallès. Vous savez l’importance que j’attache aux conditions de vie quotidienne de nos soldats, auxquelles la LPM a, fort heureusement, apporté des améliorations substantielles. Pour 2020, ce sont 80 millions d’euros qui seront consacrés aux mesures d’action sociale et de reconversion. J’aurais voulu que vous puissiez nous détailler la nature de ces mesures ainsi que le calendrier de leur entrée en vigueur.

M. Fabien Lainé. Co-rapporteur, avec mon collègue Laurent Furst, de la mission d’information sur la politique immobilière du ministère des armées, je me félicite que vous ayez accéléré, au-delà de ce qui était prévu dans la LPM, les programmes de rénovation de l’hébergement. Les 120 millions d’euros alloués à cette rénovation représentent une somme quatre fois plus importante que ce qui était consenti il y a quelques années par des gouvernements, dont on comprend, à l’aune de ce chiffre, quel respect ils avaient pour nos militaires.

Cela étant, c’est une nécessité au vu de l’état du patrimoine de la première armée européenne : nous avons visité le camp de Canjuers, et nous n’avons pu qu’éprouver de la honte. Je sais les efforts qui sont les vôtres pour rattraper notre retard en la matière, mais seront-ils suffisants, compte tenu de l’ampleur de la tâche ?

M. Christophe Blanchet. En juillet dernier, lors de son audition, j’ai interrogé le délégué général pour l’armement sur Franky Zapata et son Flyboard Air. À ma grande surprise, il a répondu qu’il n’avait reçu aucune instruction de la part du ministère ou des armées pour œuvrer à son développement. Ma seconde surprise fut de voir ledit Franky Zapata survoler les Champs Élysées quelques jours plus tard, lors du défilé du 14 juillet, puis traverser la Manche quelques semaines plus tard.

J’aimerais donc savoir si cet industriel français, qui voudrait pouvoir développer son prototype en France mais est très sollicité de l’autre côté de l’Atlantique, bénéficie d’un accompagnement de la part de votre ministère. Pouvez-vous nous préciser quelle est votre position sur cette innovation et sur le projet de véhicule volant que M. Zapata serait en passe d’expérimenter ?

M. Didier Le Gac. Cette année encore, la LPM fait la part belle à la cybersécurité et à la cyberdéfense. Vous en parlez souvent, et à juste titre, car on sait qu’il s’agira là d’enjeux majeurs pour nos armées dans les années à venir. En matière de cybersécurité maritime, notamment, il y va de la souveraineté sur les espaces maritimes. Lors du comité interministériel de la mer (CIMER), à Dunkerque, en 2018, le Premier ministre a annoncé un ensemble de quatre-vingt-deux mesures, parmi lesquelles la création d’une commission pour la cybersécurité, et la préfiguration d’un centre national de coordination de la cybersécurité pour le maritime. Les travaux de la commission de préfiguration ont-ils commencé ? Où en est-on s’agissant de la cybersécurité appliquée au domaine maritime ?

M. Fabien Gouttefarde. Outre le cas de Franky Zapata, pourriez-vous nous détailler la ventilation des crédits destinés à l’innovation, afin que nous soyons en mesure de connaître in concreto les grands axes prioritaires de l’Agence de l’innovation de défense pour 2020 ?

Mme Florence Parly, ministre des armées. Le budget d’action sociale est fixé à 110 millions d’euros en 2020, en augmentation de 5,1 %, auxquels il faut ajouter 7 millions d’euros de crédits destinés à l’amélioration des conditions de vie en enceinte militaire, que nous avons décidé de déconcentrer au niveau des commandants des bases de défense. Cette hausse traduit la priorité que je mentionnais tout à l’heure, d’un budget à hauteur d’homme. Les crédits comprennent également la subvention à l’institution de gestion sociale des armées (IGESA), l’opérateur social du ministère, qui est en charge de nombreuses mesures du plan famille – la gestion des crèches, le versement des prestations à destination des familles, etc.

Pour ce qui concerne les mesures de reconversion, l’agence de reconversion de la défense, Défense mobilité, accompagne chaque année vers l’emploi 20 000 militaires – y compris des gendarmes –, civils et conjoints. Elle participe au renouvellement des compétences et à leur valorisation. Dans le cadre du plan famille, les conjoints bénéficient d’un effort accru, et Défense mobilité a augmenté de 44 % les inscriptions de conjoints en 2018. La même année, le nombre de conjoints accédant à l’emploi a progressé de 18 %.

En 2020, les principales évolutions seront les suivantes : la mise en œuvre d’un dispositif dérogatoire d’accès aux fonctions publiques pour les militaires ; le développement de la certification professionnelle, en liaison avec les armées et en partenariat avec France compétences ; le développement de l’alternance, pour capter un plus grand nombre de militaires du rang et leur permettre d’accéder à l’emploi ; la refonte des processus et de l’organisation de Défense mobilité, compte tenu de sa transformation numérique, pour renforcer le lien entre les candidats, les recruteurs et les conseillers de cette agence ; le développement de l’expertise de Défense mobilité au profit de l’interministériel, puisque l’agence a servi de « modèle » pour les travaux de réflexion du plan action publique 2022.

En ce qui concerne l’hébergement, nous partageons tous le constat que vous avez dressé. C’est d’ailleurs en raison de ce constat que nous avons revu fortement à la hausse le niveau des dotations pour l’hébergement, d’une part, et la maintenance des infrastructures, d’autre part. L’objectif est évidemment de prolonger l’effort consenti en 2020 au cours des années suivantes, c’est-à-dire tout au long de la loi de programmation militaire. Par ailleurs, Geneviève Darrieussecq aura, je pense, l’occasion de détailler devant vous le programme de réhabilitation des lycées militaires, qui se poursuit lui aussi, car l’attractivité de l’armée commence par une action auprès des jeunes, notamment dans les établissements scolaires. La priorité est donc d’enrayer la dégradation tendancielle, puis d’inverser la tendance. Oui, cela prendra du temps, et je ne pense pas que nous serons vraiment en situation d’inverser la tendance avant 2023. Certes, c’est long, mais si nous avions continué au même rythme que précédemment, nous n’aurions jamais pu espérer y parvenir.

En ce qui concerne le Flyboard, nous avons, nous aussi, été un peu étonnés d’apprendre que M. Zapata n’était pas soutenu par l’armée. En réalité, l’Agence de l’innovation de défense lui apporte, dans le cadre d’un projet RAPID, un soutien de 1,3 million d’euros, ce qui n’est pas tout à fait négligeable. Mais peut-être M. Zapata se concentre-t-il surtout sur l’innovation technologique et ne suit-il pas personnellement les questions d’intendance ! Quoi qu’il en soit, cette erreur a été réparée par la suite, puisque, vous l’avez peut-être entendu, M. Zapata a chaleureusement remercié le ministère des armées pour son soutien, et nous avons tous compris, le 14 juillet, que son projet avait bel et bien un lien avec les armées.

L’intérêt pour le ministère de soutenir un innovateur de cette nature, c’est d’essayer de comprendre à la fois les contraintes et la manière de surmonter les problèmes liés à des interventions dans des zones extrêmement difficiles d’accès, par exemple très escarpées. Nous n’en sommes pas encore à pouvoir développer un concept utilisable pour les armées, mais il est aussi extrêmement intéressant et stimulant de pouvoir accompagner cet innovateur. Il y a encore beaucoup à faire : vous avez remarqué que l’engin n’est pas vraiment discret ; or les usages auxquels nous pensons nécessiteront de progresser beaucoup dans ce domaine. Il faudra aussi rendre beaucoup plus robuste le mode de propulsion. De plus, la traversée de la Manche a révélé la nécessité de procéder fréquemment à des ravitaillements, qui peuvent parfois se révéler périlleux. Quoi qu’il en soit, nous restons en lien avec M. Zapata pour étudier les éventuelles adaptations du Flyboard à des fins militaires ; nous apprenons beaucoup à son contact.

La création d’un centre national de coordination de la cybersécurité maritime a été décidée lors du comité interministériel de la mer de 2018. Elle est pilotée par le secrétariat général pour la mer. [_cab1]Le ministère des armées y concourra, mais j’insiste sur la dimension interministérielle de la structure : le projet est piloté par le Premier ministre.

En ce qui concerne l’innovation, il est vrai que je n’ai pas détaillé tous les montants, mais je ne suis pas sûre de pouvoir vous présenter une ventilation systématique des actions. Je puis vous préciser que, en 2020, nous affecterons 25 millions d’autorisations de programme et 18 millions de crédits de paiement à la cybersécurité et à la cyberdéfense, et 76 millions d’autorisations de programme et 138 millions de crédits de paiement, dont 45 pour la coopération avec l’Allemagne et l’Espagne, au SCAF. Pour le reste, de peur de ne pas être parfaitement exhaustive, je préfère vous renvoyer à des éléments plus précis que nous vous fournirons dans le courant de la semaine.

M. Jean-Michel Jacques. Je salue la bonne exécution de la LPM, particulièrement en ce qui concerne les réformes relatives aux procédures d’acquisition et aux programmes d’armement qui ont été conduites par votre équipe. Tout cela a pris forme sur le terrain ; reste à continuer à surveiller la mise en œuvre. En tout cas, je vous remercie, parce que ce n’est pas le tout d’avoir des crédits, encore faut-il les dépenser de façon efficiente.

Vous aviez annoncé, le 5 avril dernier, à Saclay, que 100 millions d’euros seraient consacrés, d’ici à 2025, à la création d’une cellule de coordination de l’intelligence artificielle de défense. Pourquoi une telle cellule et quel sera son périmètre ?

M. Christophe Lejeune. Il est vrai que c’est un grand plaisir de constater une bonne exécution budgétaire. Surtout, je retiens le message très fort que nous avons envoyé à nos armées : il est important, en particulier lorsqu’on a besoin de procéder à des recrutements nombreux et très réguliers, d’offrir une visibilité réelle aux jeunes qui vont rejoindre nos forces.

Vous l’avez rappelé à Helsinki à la fin du mois d’août, le changement climatique contribue à la déstabilisation des zones les plus fragiles du globe. C’est pourquoi je soutiens votre appel aux armées européennes à réduire leur empreinte environnementale. Lors d’une récente visite au 2e régiment étranger de génie, vous avez pu constater les efforts en ce sens fournis par le personnel. Depuis 2010, le régiment a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 90 % et sa consommation d’énergie de 45 %, grâce notamment à la mise en place d’une centrale solaire, il y a deux ans. J’ai bien vu, dans le fascicule que vous nous avez distribué, que les panneaux solaires étaient à l’ordre du jour ; c’est effectivement très important, mais quels autres moyens allez-vous engager en 2020 pour rendre le monde français de la défense plus écologique ? Deux des priorités du budget que vous nous présentez sont le soutien aux infrastructures et la mise en œuvre du plan famille ; en quoi représentent-elles des leviers pour diminuer l’empreinte environnementale des armées ?

Mme Josy Poueyto. Alors que nous allons étudier un budget engagé et conforme à ce qui avait été annoncé, nous connaissons les contraintes qui peuvent être les vôtres par rapport à d’autres ministères. Dans une perspective d’efficience et de rationalisation de l’emploi des deniers publics, je souhaite vous interroger sur les suites qui ont été données par le ministère, et la DGA en particulier, à la réflexion relative aux financements innovants, entamée au début du mandat.

Par ailleurs – et j’associe mon collègue Stéphane Baudu à cette question –, une évolution financière est-elles d’ores et déjà envisagée s’agissant des économies résultant de l’amélioration de la performance énergétique des armées, voire des rentrées d’argent qui pourraient provenir du déploiement d’installations de production d’énergies renouvelables sur nos emprises foncières ?

Mme Séverine Gipson. Vous l’avez rappelé, Madame la ministre, les objectifs de la LPM 2019-2025 sont notamment de moderniser, transformer et simplifier le fonctionnement des armées, dans le but de faciliter l’action de nos troupes sur le terrain. L’un des principaux freins identifiés est lié à l’organisation centrale des services du ministère. Aussi avez-vous décidé de proposer de nouvelles solutions volontaristes. Pouvez-vous nous exposer un peu plus précisément quels sont les effets attendus de ces réorganisations en matière d’innovation et de procédures d’achat, notamment pour la DGA ?

M. Stéphane Baudu. Au cours de l’été, le ministère des armées a délivré deux informations principales : la publication de la stratégie spatiale de défense, avec des investissements complémentaires annoncés d’ici à 2025 et un premier impact sur le projet de loi de finances pour 2020, mais aussi l’annonce, plus modeste mais tout aussi importante à mes yeux, d’une analyse des nouveaux enjeux stratégiques dans l’Arctique. Je soutiens totalement cette démarche. L’Arctique est effectivement une zone hautement sensible, qui pourrait devenir à court terme un espace de confrontation, au vu des ambitions commerciales et énergétiques des États riverains – susceptibles, d’ailleurs, d’être appuyées militairement, côté russe, par des brise-glace nucléaires et le récent déploiement des systèmes antiaériens de déni d’accès S-400. Aussi, Madame la ministre, je m’interroge sur la déclinaison de cette stratégie ambitieuse dans les futurs projets de loi de finances. Son impact est peut-être moindre, ou en tout cas moins visible, que celui de la démarche spatiale, mais elle peut se révéler un peu plus pragmatique à court terme.

Mme Anissa Khedher. Dans le cadre de la mission d’information relative au suivi des blessés, nous avons pu mettre en lumière les mesures en faveur des blessés, qui occupent une place croissante au sein de la politique de défense, avec l’extension du financement des prothèses de nouvelle génération, la transformation de l’Institution nationale des Invalides, mais aussi le plan famille. Le budget de ce plan ambitieux, lancé en octobre 2017, a été porté à 530 millions d’euros dans la LPM 2019-2025. Il vise à faciliter la vie de nos militaires et de leurs familles, par exemple en préservant leur trésorerie, en améliorant les conditions d’hébergement, en permettant de maintenir le contact ou encore en soutenant leur moral. Le kit pour les enfants dont les parents sont partis en OPEX, édité à 20 000 exemplaires, y participe ; il aide les uns et les autres à mieux appréhender l’absence. Cette expérimentation, parmi d’autres mesures, témoigne a minima de notre reconnaissance des sacrifices consentis par les familles. Est-il prévu, dans le budget, de la poursuivre, voire de la généraliser ? D’autres dispositifs expérimentaux destinés aux enfants seront-ils engagés à l’avenir ?

M. Philippe Folliot. La présentation de qualité que vous nous avez faite nous permet de constater que nous nous inscrivons tout à fait dans la ligne de la loi de programmation militaire, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé. Tous ici, nous ne pouvons que nous en féliciter.

En cette année 2019, le soixante-dixième anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord a été célébré, d’une certaine manière, en catimini – sans doute de peur que le locataire actuel de la Maison-Blanche ne trouble les cérémonies. Parlant aussi au nom de mes collègues de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je souhaiterais que vous nous rappeliez le montant des engagements de la France au sein de cette organisation, sachant que nous en sommes le troisième contributeur, à hauteur de 10 % de son budget, en ce qui concerne tant le fonctionnement que les différents engagements.

Certaines opérations sont menées par les alliés et non par l’Alliance en tant que telle. Je pense, par exemple, à l’opération Barkhane, à travers laquelle nous n’intervenons pas seulement pour nous-mêmes : nous le faisons pour l’ensemble des pays de l’Europe, mais aussi de l’Alliance en général. Vous semblerait-il possible de faire en sorte – et nous pourrions relayer ce message au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN – que le caractère global de ces OPEX soit pris en compte, de manière à alléger le surcoût, supporté par le seul ministère de la défense français ?

M. Alexis Corbière. Je voudrais rebondir, sans aucune volonté polémique, sur ce que disait tout à l’heure mon collègue Bastien Lachaud. Je le dis avec franchise, et pour le confort de nos débats généraux : que nous soyons amenés à vous poser des questions dont les réponses se trouvent dans l’annexe budgétaire ne me semble pas être à la hauteur du travail de contrôle que nous sommes censés effectuer, Madame la ministre. Certes, c’est à raison que vous avez corrigé Bastien Lachaud : l’annexe a bien été mise en ligne, mais il y a deux heures ! Ce n’est pas une manière de travailler, car votre temps est précieux. Il faut, à l’avenir, que nous disposions d’au moins une journée ou deux pour travailler sur les documents, et ainsi profiter de votre présence en vous posant des questions s’y rapportant. Discutons plutôt sur les faits et voyons si nous sommes d’accord ou pas ! Je crois que nous affaiblissons le rôle du Parlement si nous acceptons de débattre comme nous le faisons. Vous n’en êtes peut-être pas responsable, mais je tenais à le dire.

Je ferai un commentaire sur la base de la plaquette que vous nous avez distribuée, au demeurant fort bien faite, concernant les OPEX et les missions intérieures. Vous affichez une augmentation des crédits de 250 millions et vous dites que, cette fois, le budget est sincère. En vérité, l’engagement est au même niveau que l’année dernière – c’est-à-dire 1,2 milliard, en cumulant opérations extérieures et missions du type Sentinelle, après le budget rectificatif qui avait apporté 250 millions, plus 20 % pris au niveau interministériel. Autrement dit, vous annoncez une hausse mais, concrètement, pour ceux qui sont sur le terrain, cela ne signifie pas une augmentation du budget. Certes, d’un point de vue comptable, le budget est peut-être plus sincère cette année, mais cela ne permet en rien d’augmenter concrètement nos capacités d’intervention et de répondre aux besoins de nos troupes sur le terrain, alors même que les difficultés sont nombreuses, comme nous l’avons constaté, notamment du fait du manque de matériel.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, nous avons essayé de structurer notre démarche pour assurer un déploiement à la fois maîtrisé et accéléré, puisque c’est un outil qu’il nous faut absolument pouvoir introduire dans nos usages et dans nos matériels. Nous en avons confié le pilotage à un coordinateur ministériel placé auprès de l’Agence de l’innovation de défense. Cette petite structure, composée d’une dizaine d’experts pluridisciplinaires, a pour mission de définir et coordonner l’action du ministère et de piloter les recommandations issues d’un rapport, qui a été publié, relatif aux orientations en matière d’intelligence artificielle. La structure a démarré ses travaux. Par ailleurs, la Direction générale de l’armement a créé, au début de l’année 2019, un nouveau métier qui contribue, lui aussi, au développement de l’intelligence artificielle, dans le domaine de la data science. Cela permettra de constituer des ressources d’ingénierie très utiles. Notre objectif est de pouvoir nous appuyer, d’ici à 2023, sur un réseau d’experts composé d’environ 200 spécialistes de l’intelligence artificielle, dont une centaine seront situés en Bretagne, plus précisément à Bruz, à côté de Rennes, au sein du centre technique de référence de la DGA, la DGA Maîtrise de l’information (DGA/MI).

S’agissant de l’environnement, il est tout à fait exact de dire que l’empreinte carbone du ministère des armées ne serait probablement pas la meilleure si l’on devait établir un palmarès de l’ensemble des ministères. Nous avons commencé à réduire les consommations d’énergie, hors carburants opérationnels, mais il nous faut maintenant aller plus loin et investir dans les économies d’énergie. Il s’agit de mettre aux normes énergétiques des immeubles administratifs ou résidentiels, de remplacer dans les plus brefs délais nos chaufferies au charbon et au fioul lourd, de raccorder les bases de défense à des réseaux de chaleur urbains – trente-cinq l’ont d’ores et déjà été –, et de généraliser l’achat de véhicules électriques pour le parc « banalisé », c’est-à-dire à usage administratif. Parallèlement, notre foncier peut être utile au développement de projets photovoltaïques. Nous avons ainsi décidé de réserver 2 000 hectares de parcelles d’ici à 2022 pour accueillir des installations photovoltaïques dans le cadre du plan « Place au soleil » ; elles doivent permettre, non seulement de produire de l’électricité pour l’usage des régiments eux-mêmes, mais aussi d’en vendre. À cet égard, nous entendons tout faire pour que le produit de cette commercialisation continue de bénéficier au ministère des armées.

En ce qui concerne les procédures d’achat, nous avons d’ores et déjà, au cours des derniers mois, significativement assoupli les règles en faveur de la DGA. Nous évoluons dans le cadre législatif de la commande publique et, bien évidemment, nous le respectons. En revanche, nous pensons qu’il est possible d’aller plus vite en ce qui concerne la dotation des nouveaux équipements. Nous avons ainsi mis en place une réforme de la conduite des programmes d’armement. Désormais, il y a un document unique et commun à l’état-major des armées (EMA) et à la Direction générale de l’armement pour l’expression du besoin, et ces deux entités travaillent désormais en plateau avec l’industrie dès la phase amont, afin d’éviter les impasses technologiques ou budgétaires – les unes allant parfois de pair avec les autres. Nous essayons donc de fluidifier autant que possible les relations entre l’EMA et la DGA, mais aussi d’êtres innovants dans nos procédures d’achat, ce qui nous a amenés à revoir les instructions ministérielles concernant les programmes d’armement et les achats.

Oui, nous recourons aux financements innovants. Par exemple, nous avons utilisé la location-vente pour les avions Pilatus, qui assurent la formation des pilotes de l’armée de l’air. Grâce à un autofinancement conséquent d’Airbus Helicopters, nous avons également réussi à faire avancer plus vite le programme d’hélicoptères interarmées légers (HIL) : nous avons gagné un an pour la commande et deux ans pour les livraisons. De la même façon, pour les missiles d’interception, de combat et d’autodéfense (MICA) de nouvelle génération, nous nous appuyons sur un autofinancement accru par l’industriel MBDA. Au-delà, c’est le rôle de l’Agence d’innovation de défense que de proposer une stratégie globale de création et de financement de l’innovation.

Monsieur Baudu, l’Arctique est effectivement une zone absolument stratégique ; la France s’y intéresse depuis longtemps, aussi bien sur le plan de la recherche que sur le plan stratégique. Nous avons également des engagements opérationnels significatifs dans la zone Arctique : nous sommes le deuxième contributeur dans le cadre de l’OTAN aux exercices Arctic Challenge, le pays hôte étant la Norvège ; nous sommes également le deuxième contributeur à la police du ciel dans les États baltes ainsi qu’à l’exercice Trident Juncture de l’OTAN, effectué à la fin de l’année 2018.

Nous avons testé en 2018 le kit que nous avons développé pour les enfants dont les parents militaires sont amenés à partir en opération. Nous en avons fourni 20 000 exemplaires. J’invite ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas à le feuilleter : il est très intéressant. Nous allons amplifier le déploiement de ce kit, puisque nous avons prévu de livrer entre 15 000 et 35 000 boîtes par an au cours des quatre prochaines années.

Pour ce qui concerne l’OTAN, la contribution de la France en 2020 s’élèvera à 186 millions d’euros. Il s’agit d’une quote-part fixe, qui n’a pas vocation à être remise en cause.

Par ailleurs, nous essayons, dans le cadre de la mutualisation de nos efforts sur les différents théâtres, d’attirer à nos côtés un certain nombre d’Européens. Il ne s’agit pas tant de les faire payer à notre place que de les faire contribuer en plus de ce que nous faisons – ce qu’ils font effectivement, de plus en plus et de mieux en mieux. Je mentionnais tout à l’heure la contribution britannique, mais j’aurais pu parler aussi des contributions estonienne et espagnole. Nous avons, de cette manière, des apports en nature, en quelque sorte, qui sont extrêmement bénéfiques.

Enfin, pour répondre à Alexis Corbière, je ne reviendrai pas sur la procédure. Je ne savais pas que l’annexe avait été mise en ligne aujourd’hui à 20 heures : toutes mes excuses. Je veux simplement rappeler que nous ne sommes pas totalement maîtres des horloges, puisque les annexes budgétaires sont publiées par Bercy. Par ailleurs, je suis la première invitée de votre commission dans le cadre des auditions budgétaires : la conjonction entre la date de cette audition et le moment où l’annexe a été publiée n’est pas optimale, j’en conviens parfaitement. Nous essaierons de faire mieux la prochaine fois.

En ce qui concerne l’évolution de la provision pour couvrir le coût des opérations extérieures et des missions intérieures, vous avez parfaitement raison, Monsieur Corbière : du point de vue du militaire engagé en opération, cela est parfaitement neutre. D’ailleurs, les questions budgétaires ne sont pas le sujet et ne doivent pas l’être : lorsqu’on est en opération extérieure, on a d’autres préoccupations que celles des moyens et de l’intendance, si je puis dire. En revanche, ce qui est important, c’est que, une fois ces opérations extérieures engagées et menées, le ministère ait la capacité d’en assurer le financement. Dans le passé, les provisions inscrites dans le budget étaient très décalées par rapport au coût final des opérations. Depuis maintenant trois ans, nous avons entrepris de remonter progressivement le niveau de la provision pour que l’écart par rapport au coût probable soit aussi réduit que possible, même s’il est toujours un peu difficile de s’avancer a priori sur le coût final d’une opération. Nous poursuivons cette démarche dans le projet de budget. Certes, cela ne change rien pour le soldat en opération, mais cela réduit l’impasse budgétaire dans laquelle on arrivait en cours d’année et qui nécessitait soit des taxations interministérielles soit des redéploiements internes. Autrement dit, cela réduit le niveau d’incertitude et améliore la sincérité du budget.

Mme la présidente Françoise Dumas. Un grand merci, Madame la ministre, pour cette audition tout à fait exhaustive et passionnante.

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La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philippe Chalumeau, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Sabine Thillaye, M. Stéphane Trompille, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Sylvain Brial, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. André Chassaigne, M. Jean-Baptiste Djebbari, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Thierry Solère, Mme Alexandra Valetta Ardisson


[_cab1]Localisation non encore décidée.

Ce futur centre pourra cependant bénéficier des synergies déjà existantes avec les armateurs via notre centre de partage des informations maritimes, basé à Brest.