Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition du général François Lecointre, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2020.

 

 


Mardi
15 octobre 2019

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 10

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à dix-neuf heures cinq.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, nous avons le plaisir ce soir d’accueillir le chef d’État-major des armées, le général François Lecointre.

 

Cet horaire est quelque peu inhabituel, mais il s’explique par l’organisation cet après-midi d’un scrutin public sur le projet de loi relatif à la bioéthique et par l’éloge funèbre rendu à notre collègue Patricia Gallerneau.

 

Ces événements nous ont amenés à reculer à deux reprises l’horaire de cette audition pour permettre aux députés d’être présents dans l’hémicycle. Je vous remercie, mes chers collègues, de votre compréhension et vous, mon général, de votre patience.

 

Notre audition est consacrée au projet de loi de finances (PLF) pour 2020, ce millésime étant la deuxième année de mise en œuvre de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Nous avons d’ores et déjà auditionné les chefs d’État-major de l’armée de Terre, de la Marine et de l’armée de l’Air. Il était logique, général, que nous vous réservions, dirai-je, le dernier mot !

 

Le PLF pour 2020 est conforme aux engagements pris et hisse notre effort de défense à 1,86 % du produit intérieur brut (PIB), en bonne voie pour atteindre la cible de 2 % à l’horizon 2025.

 

Nous sommes intéressés par votre réaction face à ces chiffres mais plus encore par votre lecture de ces masses budgétaires, notamment sur les thématiques qui sont pour nous autant de points de vigilance.

 

Premièrement, estimez-vous que les mesures prises dans le projet de loi de finances qui se veut, comme la loi de programmation militaire, « à hauteur d’homme », soient de nature à répondre aux défis de la fidélisation et du recrutement du personnel militaire ?

 

Deuxièmement, les augmentations du budget de la défense depuis trois ans contrastent avec les restrictions qui ont marqué les années précédentes. De manière plus globale, cette hausse s’inscrit dans un contexte mondial d’augmentation des dépenses militaires, tout particulièrement en Chine et aux États-Unis. Estimez-vous que les sommes dégagées soient de nature à assurer une augmentation et une modernisation efficace de nos matériels, que d’autres solutions doivent être également privilégiées et pourraient être approfondies ? Je pense à des efforts sur la disponibilité des matériels ou à une mutualisation accrue avec nos partenaires européens.

 

Troisièmement, ce budget veut privilégier l’innovation. Une telle priorité vous paraît-elle suffisamment affirmée ?

 

Quatrièmement, dans un document que vous aviez publié peu après votre prise de fonction, vous vous interrogiez sur l’adéquation de certaines procédures au regard d’une accélération nécessaire des prises de décision et de la responsabilisation des chefs militaires. Ce PLF comporte sa part de modernisation des processus en ce qui concerne, par exemple, les nouvelles responsabilités financières dans le domaine des infrastructures. Ces mesures sont-elles de nature à répondre à vos attentes ?

 

Si cette audition s’inscrit dans un cycle budgétaire, elle intervient dans le cadre d’une actualité particulière, qui est celle de l’attaque unilatérale turque depuis la fin de la semaine dernière dans le nord-est de la Syrie. Un conseil de sécurité, de défense et de sécurité nationale s’est réuni spécifiquement dimanche à ce sujet. Le communiqué rendu public à l’issue du conseil estimait que cette offensive comportait le risque d’entraîner des conséquences humanitaires dramatiques, une résurgence de Daech dans la région et une déstabilisation durable du nord-est syrien. Est-ce ce qui est effectivement en train de se passer à cette heure ?

 

Cette audition se déroulant à huis clos, et je souligne auprès des commissaires sur l’obligation qui est la nôtre de le respecter, je me permets de vous poser la question du devenir de nos forces militaires présentes dans le nord-est syrien.

 

Général, je vous cède la parole. Nous poursuivrons par la séance traditionnelle des questions-réponses qui aura, ce soir, une prégnance particulière.

 

Général François Lecointre, chef d’état-major des armées. Mon propos liminaire sera assez rapide afin que nous puissions ensuite aborder l’ensemble des sujets que vous avez évoqués, Madame la présidente, car ils sont importants. Certes, je les traiterai en partie, mais le sujet le plus actuel et le plus brûlant ne sera pas abordé dans le propos introductif que je vais maintenant tenir, lequel portera essentiellement sur le projet de loi de finances 2020.

 

Votre propos sur le huis clos est important. Je suis tenu au respect de la confidentialité des délibérations du Conseil de sécurité et du Conseil de défense restreint ; pour autant, j'essaierai de répondre le plus franchement possible en vous livrant le maximum d'éléments et en étant très attentif à votre besoin de compréhension et d’information. J’ai toute confiance en vous pour que les informations de nature confidentielle que je pourrais vous livrer soient préservées entre ces murs. S’il me semble important que la représentation nationale soit informée, il me semble tout aussi essentiel que ces informations restent entre nous.

 

Avant de commencer cette audition, je voudrais saluer le nouveau Bureau de cette commission, et en particulier sa nouvelle présidence en votre personne, Madame Dumas. Je sais que vous êtes déjà depuis longtemps très investie et que vous possédez une belle maîtrise des sujets de défense, comme tous les députés ici présents, mais en tant que vice-présidente, vous avez eu à vous impliquer plus particulièrement.

 

Je voulais également adresser un signe amical et respectueux à M. le député Jean-Jacques Bridey qui a été le président de cette commission jusqu’en septembre et avec lequel j'ai eu énormément de plaisir à collaborer et à échanger au cours de ces deux premières années que nous avons commencées ensemble, dirais-je, lui en qualité de président, moi en tant que chef d'état-major des armées. Soyez assuré, Monsieur le député, que ma mémoire en restera marquée !

 

Je veux enfin saluer l'ensemble des députés de cette commission. Votre travail, votre investissement nous sont absolument indispensables. Je tiens à vous remercier parce que vous vous attachez à la compréhension des enjeux, à la singularité militaire et à l'institution militaire dans ce qu’elle a de très particulier et d’unique. Je pense que vous mesurez au fur et à mesure des visites de nos bâtiments, de nos bases aériennes, de nos régiments, des différents services des armées ou lors de vos déplacements en opération à quel point ce monde est particulier et à quel point il a besoin d'ambassadeurs. Ces ambassadeurs, c'est vous ! Depuis désormais plus de deux ans que je suis chef d'État-major des armées, j'ai le sentiment que nous sommes compris, que vous assumez, au-delà de votre rôle de parlementaires, ce lien absolument indispensable entre les armées et leurs concitoyens, qui reste pour nous essentiel.

 

Le PLF 2020 s'inscrit dans une loi de programmation militaire définie à l'issue de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 dont les conclusions ont porté une vision extrêmement réaliste de l'état du monde, des facteurs de transformation des enjeux, des tensions géopolitiques et du contexte de sécurité auxquels nous sommes confrontés.

 

Pour répondre à cette description très claire des enjeux – je ne pense pas qu’elle était fausse ; ce qu'elle traçait comme perspectives ne me semble pas avoir été démenti depuis –, la nation a décidé un effort financier important en faveur du ministère des armées. Cette loi permet de réparer, puis d'entreprendre la modernisation de nos armées. Les 50 milliards d'euros visés en 2025 permettront de répondre à l’Ambition 2030 de disposer d'un modèle d'armée complet, modernisé, fondé sur une dissuasion nucléaire crédible afin de faire face à l'ensemble des menaces décrites dans la revue stratégique.

 

J'observe que cet effort national n'est pas produit par la totalité de nos partenaires européens et qu’au moment où nous menons cet effort, l'ensemble des autres grandes ou des moyennes puissances du monde l’engagent de leur côté. Si nous comparons les efforts européens à ceux d'autres grands acteurs de la scène mondiale, nous constatons que l'écart se creuse. L’effort entrepris par la France devrait inspirer nos partenaires européens ; la nécessité d'une prise de conscience est urgente.

 

De mon avis d'officier, cet effort de la Nation de redressement des budgets du ministère est sans précédent. L'officier que je suis, qui donc n'a jamais vécu cette période extraordinaire de redressement au profit des armées et qui doit ainsi être capable de conduire leur reconstruction et leur remontée en puissance, mesure à quel point cet effort de la Nation nous oblige et à quel point l'ensemble des équipes qui m'entourent, des chefs militaires qui sont avec moi aux commandes de nos armées, sont conscients de ces obligations.

 

Mon propos liminaire se décomposera en quatre parties. J’évoquerai très rapidement l'engagement actuel de nos armées en opérations pour revenir sur la gestion de 2019 et sur ce qui sous-tend concrètement le projet de loi de finances 2020 ; j’aborderai les axes d'effort et, enfin, mes points de vigilance pour la suite de la loi de programmation militaire.

 

Les opérations sont notre raison d'être. Nous visons l'excellence pour permettre à la France d'être la puissance d'équilibre que le Président Macron veut, dans un contexte géopolitique de plus en plus chaotique.

 

Les tendances de la revue stratégique se confirment, s'accélèrent, le monde réarme, les relations internationales se militarisent et le multilatéralisme est contesté. Les sujets de tension malheureusement se multiplient.

 

Nous sommes toujours et même de plus en plus sollicités – malheureusement pour longtemps encoreet de plus en plus. La sollicitation des armées ira en augmentant dans les années qui viennent. Il y va de la protection de la France, de la défense de ses intérêts, sur le territoire national comme à l'étranger. Au moment où je m'exprime, plus de 30 000 militaires sont engagés quotidiennement dans la défense de notre pays, 8 000 sont en opérations extérieures, essentiellement au Levant et dans la bande sahélo-saharienne, ainsi qu'au Liban ; 20 000 sont engagés sur le territoire national dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime ou de sécurité aérienne, dans l'opération Sentinelle et au sein des forces de souveraineté dans nos collectivités d'Outre-mer. Enfin, 3 700 militaires sont prépositionnés comme forces de présence à l'étranger.

 

Rapporté à nos effectifs aujourd'hui, ce niveau d'engagement soutenu depuis de nombreuses années est inédit et il ne devrait pas fléchir dans les années à venir, car les foyers de crise sont nombreux ; je crains qu’ils ne prolifèrent et s’aggravent.

 

Pour garantir la capacité des armées à remplir leur mission, la LPM entreprend la réparation et la modernisation de notre outil de défense.

 

La première annuité de la LPM, avec une marche à 1,7 milliard, confirme la volonté politique d'un véritable redressement de nos armées dans le domaine des équipements, de leur entretien et des ressources humaines. En effet, alors qu'ils étaient à bout de souffle, nos parcs de véhicules, d'aéronefs et de bâtiments ont commencé à opérer leur mue par la livraison de matériels de dernière génération qui correspond à un montant total de 19,6 milliards de crédits de paiement au profit des équipements en 2019. Les livraisons attendues cette années parmi les plus emblématiques sont les 92 premiers véhicules blindés multirôles Griffon,  en remplacement du véhicule de l'avant blindé (VAB) entré en service en 1976 ; la cinquième frégate multimissions admise au service actif, La Bretagne ; le deuxième MRTT – Airbus A330 Multi Role Tanker Transport – qui a permis à l'armée de l'air de déclarer récemment une première capacité opérationnelle de la mission de dissuasion aéroportée.

 

L'effort a également porté sur l'entretien programmé des matériels (EPM) à travers un plan de transformation et de maintien en conditions opérationnelles terrestre, naval et aérien. La transformation du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique en particulier est portée par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) qui rénove notamment l'architecture contractuelle, à l'image des marchés qui ont été notifiés récemment pour les Fennec de l'armée de Terre, les Rafale de l'armée de l'air et de la marine nationale, et l'A400M.

J'attends de cette réforme des résultats concrets en termes de disponibilité technique et opérationnelle de nos matériels dans les années à venir.

 

En 2019, nous avons aussi poursuivi nos efforts de recrutement. Pour l’heure, les résultats sont conformes aux attendus, voire légèrement supérieurs ; ils ne doivent toutefois pas masquer les difficultés que les gestionnaires militaires rencontrent en matière de recrutement et de fidélisation, dans un contexte de très forte concurrence du secteur civil et en raison de la grande exigence du métier des armes, souvent en contradiction avec les tendances sociétales.

 

En ce qui concerne la fidélisation, nos préoccupations concernent toutes les catégories de personnels, y compris nos cadres, notamment nos officiers supérieurs. Ce sujet me tient particulièrement à cœur. Je veille, d'une part, à préserver un rapport adapté entre le personnel militaire et le personnel civil dans ce contexte compliqué ; d'autre part, à garantir à tous un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. De ce point de vue, le plan d'accompagnement des familles et de l'amélioration des conditions de vie des militaires, conduit par Mme la ministre de façon très active, très volontaire et avec un investissement personnel profondément sincère, y concourt. De ma vie d’officier, je n'ai jamais vu un ministre à la tête de ce ministère prendre à ce point en compte, au-delà de tous les sujets qui forment la vie quotidienne du ministère, qu'il s'agisse des opérations, des exportations d'armement, des sujets de coopération internationale, de l'équipement et les grandes masses financières que cela représente, de ma vie d'officier, je n'ai jamais vu, disais-je, un ministre s'investir aussi personnellement, aussi concrètement et avec autant de précision dans les efforts au profit de la vie des femmes et des hommes qui servent nos armées.

 

Après une première année de réparation qui se poursuivra, le PLF 2020 lance résolument la modernisation des armées. Cette deuxième annuité est conforme aux dispositions de la loi de programmation militaire. Elle consacre, à périmètre constant, une nouvelle marche de plus 1,7 milliard, portant le budget total à 37,5 milliards. Il s’agit de la hausse en valeur la plus importante de toutes les missions du budget général de l'État, avec un effort de défense qui, de 1,84 % du PIB en 2019, passera à 1,86 % en 2020.

 

Sur cette hausse, 1,1 milliard sera consacré à l'équipement des forces armées, ce qui témoigne de la volonté de réparer notre outil de défense en diminuant les réductions temporaires de capacité qui avaient été consenties précédemment et en modernisant les équipements. Les livraisons attendues en 2020 en attestent, en particulier les quatre premiers engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar, les 128 nouveaux Griffon et les moyens de transmission tactique adaptés qui permettront à l'armée de Terre une véritable entrée dans l'air du combat Scorpion – le général Burkhard a dû l’évoquer devant vous. La livraison du premier sous-marin nucléaire d'attaque de la classe Barracuda, le Suffren, marquera un saut capacitaire majeur des forces sous-marines dans le domaine de la lutte sous la mer, mais également en offrant une nouvelle capacité de frappe dans la profondeur. L'intégration d'une capacité armement sur le Reaper – sur Block 1 à la fin de 2019 et sur Block 5 à compter de 2020 – offrira également à nos forces de nouvelles possibilités de frappe immédiate de cibles d'intérêt, sans avoir à attendre l'arrivée des avions de combat ou des hélicoptères, même si cette nouvelle capacité s'accompagne d'un souci très précis que nous entretenons de définir une doctrine d'emploi respectueuse du droit international, du droit des conflits armés et de l'éthique militaire que nous devons à tout prix respecter.

 

L'effort de modernisation est également tangible dans le domaine de la dissuasion nucléaire après une période principalement consacrée à la consolidation des capacités. En 2020, la France consacrera 4,7 milliards de crédits de paiement, soit une hausse de 6 % par rapport à l'an dernier, essentiellement consacrée au renouvellement des deux composantes aéroportées et océaniques, ainsi qu’à l'ajustement des moyens de transmission qui sont dédiés à la mise en œuvre des frappes nucléaires. Un chantier emblématique de cette modernisation sera le lancement en réalisation du sous-marin nucléaire lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération.

 

L'effort de modernisation se concrétise également dans les champs de conflictualité plus récents, ceux du cyber et de l'espace.

 

Dans le domaine cyber, nous poursuivons le développement des capacités de protection de nos systèmes d'information, ainsi que les moyens de lutte informatique défensive et d'action numérique. Ainsi, nous prévoyons une augmentation de 54 personnes sur le périmètre du CEMA et environ 80 millions qui seront consacrés aux opérations cybermilitaires et à la réalisation du programme cyber. Nous décentralisons et densifions ces capacités dans la région de Rennes, où la ministre a inauguré, au début du mois, le commandement du cyber dans un local de 11 000 m2 à la Maltière. Nos soldats du numérique travailleront en symbiose avec les ingénieurs de la délégation générale pour l’armement (DGA) de Bruz, à la pointe de l'innovation dans ce domaine également.

 

Dans le secteur de l'espace exo-atmosphérique, dont le commandement, créé le 1er septembre dernier, s’est installé à Toulouse dernièrement, l'ambition de la France se concrétise par un budget d'environ un demi-milliard d'euros et un accroissement de 36 postes dans un premier temps.

 

Le renforcement de nos capacités de détection et de réaction dans l'espace est entrepris. Il s'appuie sur des moyens, des équipements et la recherche de partenaires efficaces, notamment européens, afin de réduire la vulnérabilité de nos capacités. Dans un premier temps, un effort sera entrepris pour acquérir des moyens d'observation de l’espace et l'achat de services nouveaux. Il s'agit d'améliorer nos capacités de surveillance et de caractérisation des menaces et ensuite de défendre nos intérêts nationaux. Les moyens de défense active seront développés.

 

Les crédits budgétaires au profit des services de renseignement s'élèveront à 421 millions. La direction du renseignement militaire (DRM) a, pour sa part, achevé un premier cycle de réformes afin de permettre des manœuvres multicapteurs, au plus près des forces, tout en poursuivant sa mission de veille stratégique. Elle se prépare également à acquérir des capacités innovantes, en particulier dans le domaine cyber.

 

Côté innovation, 926 millions d'euros seront consacrés aux études amont. Cet effort atteindra un milliard en 2022. Face à des adversaires de plus en plus inventifs, évolutifs, de plus en plus rapides, qui savent recourir de façon audacieuse, innovante et imaginative à des techniques et à des technologies très nivelantes, il est important que nous soyons en pointe dans l’innovation de défense et que nous fassions preuve de beaucoup d'audace et de dynamisme, tant dans la recherche amont qui permet de développer de nouvelles technologies que dans l'usage que l'on peut faire des technologies existantes. C’est la raison pour laquelle les armées, aux côtés de la DGA, sont très investies.

 

Enfin, nous pourrons bénéficier des initiatives européennes en cours, telles que la coopération structurée permanente qui est entrée dans sa troisième vague de sélection de projets et la mise en place d'un fonds européen de défense. Il s'agit bien de disposer de moyens supplémentaires pour les projets de notre pays, de notre ministère et de nos armées. Les crédits qui pourront être dédiés au développement de projets français dans le cadre de la coopération structurée et permanente bénéficiant du Fonds européen de défense ne seront pas déduits des ressources budgétaires accordées aux armées dans le cadre de la loi de programmation militaire.

 

Quels sont les axes d'effort  ??

 Le premier pilier, celui des ressources humaines, représente aujourd'hui un véritable défi. Vous l'avez évoqué, Madame la présidente, dans votre introduction. 

Après les attentats de 2015, la décision avait été prise de rompre avec la logique de déflation des effectifs afin de conserver une certaine masse critique. Désormais, il s'agit de disposer de soldats, de marins, d'aviateurs en nombre suffisant, qualifiés, entraînés, armés dont le matériel est entretenu, dont les familles sont soutenues, qui sont confiants dans leur avenir et fiers de servir, conformément à l'ambition « à hauteur d'homme » de cette loi de programmation militaire.

En 2020, la mission Défense voit son schéma d'emplois fixé à plus de 300 effectifs. C'est l’un des rares en croissance sur le périmètre de l'État puisque le solde global est de moins 47 équivalents temps plein (ETP), même si ce schéma est inférieur au schéma d’emploi qui est alloué aux missions Justice et Sécurité. Pour autant, nous pourrons jouir de personnels supplémentaires au profit de nos priorités que sont le renseignement, le cyber et le numérique.

 

Plusieurs leviers permettent de renforcer l’attractivité du métier des armes et de garder nos militaires les plus expérimentés ou les plus qualifiés, tout en répondant à l’impératif de jeunesse. Parmi ces leviers, un certain nombre de mesures ont été prévues cette année et vous ont déjà été présentées, parmi lesquelles :

 

De nouvelles mesures catégorielles en 2020, à hauteur de 40 millions d’euros, dont 12 millions seront consacrés à la deuxième étape de mise en œuvre de la prime de lien en service, essentielle à la conservation des compétences.

 

La poursuite du « plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires », environ 80 millions d’euros étant dédiés à cette priorité en 2020. Après une consultation territoriale au premier semestre 2019, une orientation de l’effort portera cette année sur l’emploi des conjoints, la petite enfance, une meilleure prise en compte des familles fragilisées et l’Outre-mer.

 

Une enveloppe de 120 millions sera utilisée pour améliorer l’hébergement de nos militaires, les ensembles de restauration des emprises, ainsi que le logement des familles.

 

Plusieurs sujets d’actualité auront aussi un impact majeur et direct sur notre ressource humaine : la réforme des retraites, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et la sortie de crise Louvois. Nous restons très vigilants sur ces sujets sensibles car ils suscitent beaucoup d’attentes et d’inquiétudes. Avec Mme la ministre, nous sommes attentifs à la mise en œuvre des promesses et des orientations très claires présentées par le Président de la République et veillons au fait que, au-delà des orientations générales, le système de retraite et une nouvelle politique de rémunération des militaires répondent bien à nos objectifs d’attractivité. La NPRM devrait contribuer à mieux prendre en compte les spécificités du métier des armes et les missions confiées aux militaires.

 

Les travaux sur la NPRM se poursuivront en 2020. De premières orientations sont attendues cette année, dont la mise en œuvre est prévue dès 2021. Nous veillerons à répondre aux attentes de nos hommes et de nos femmes.

 

Le logiciel Source solde a été déployé dans la marine nationale au printemps, au moment, toujours délicat dans les armées, du plan annuel de mutation. À ce stade, grâce à un suivi intense et très précis, le basculement s’est déroulé dans de bonnes conditions. Nous en présenterons un retour d’expérience à Mme la ministre au mois de novembre et préparons activement le basculement de l’armée de Terre vers ce nouveau logiciel de rémunération. Le succès de la manœuvre est important, il redonnera confiance aux personnels.

 

Le second pilier est la détention de capacités interopérables et renouvelées qui doit garantir la supériorité opérationnelle en toutes circonstances, aujourd’hui et demain. Ce pilier repose sur deux fondements. D’une part, le comblement des réductions temporaires de capacités, décidées notamment lors de la précédente LPM. En corollaire, nous devons conserver des matériels d’ancienne génération dont la disponibilité constitue un enjeu majeur sur la période de la LPM mais entraîne un surcoût de MCO. D’autre part, l’augmentation technique et numérique des segments capacitaires, notamment le segment médian du programme Scorpion ou les frégates multimissions. Pour autant, rappelons-nous d’où nous venons. Concernant les blindés médians de l’armée de Terre, emblématiques de la notion de masse sur le champ de bataille, nous disposions, en 2008, de 452 véhicules chars de combat médians : les AMX10RC et ERC 90 Sagaie. La cible pour 2030, modèle fixé dans l’ambition qui procède de la revue stratégique établie en 2017, est de 300 Jaguar qui viendront donc remplacer les 452 blindés médians dont nous disposions en 2008. Bien sûr, ils auront une disponibilité technique et des capacités très supérieures. Toutefois, rapportons ce chiffre à ce que risque d’être l’état du monde à l’horizon 2030.

 

Concernant le segment frégate – dont le Président de la République et nous-mêmes mesurons chaque jour davantage la nécessité – le besoin défini en 2008 était de 17 frégates multimissions (FREMM), 2 frégates de défense aérienne (FDA) et 5 frégates Lafayette (FLF), soit 24 bâtiments en tout ; en 2015, la cible Ambition 2030 a été réduite à 15 bâtiments.

 

Enfin, pour l’aviation de combat, l’armée de l’Air disposait en 2007 de 420 avions de combat ; Ambition 2030 fixe une cible de 185 avions polyvalents. Le Rafale est un avion polyvalent. Qu’il puisse assurer à la fois des missions de défense aérienne, d’appui air-sol et de reconnaissance justifie que nous n’ayons pas besoin d’autant d’avions. Néanmoins, mesurez bien que les cibles fixées, si elles permettent à notre armée moderne et aux équipements renouvelés une très bonne disponibilité technique opérationnelle pour faire face, grâce à un modèle absolument complet, à l’ensemble des opérations dans lesquelles nous serons engagés, en réalité, définiront ou traceront le format d’une armée qui ne sera toujours pas en mesure d’être engagée dans une déflagration mondiale majeure. Nul n’est capable de prédire la situation en 2030.

 

Le niveau de sollicitation de certains équipements au cours de ces dernières années a été supérieur à ce que prévoyaient les contrats opérationnels. Cette surexploitation a accéléré le vieillissement général et requiert aujourd’hui un surcroît de maintenance et l’effort d’entretien programmé des matériels, qui est une des priorités prise en compte par la loi de programmation militaire. Néanmoins, en nous projetant dans l’avenir, à la lumière de l’analyse que nous faisons de la situation internationale et de la rapidité croissante des évolutions, nous devons nous demander si le modèle que nous concevons aujourd’hui, qui, une fois encore, sera moderne, complet et cohérent à l’horizon 2030, sera à même de répondre aux sollicitations futures auxquelles la France devra répondre avec ses Alliés.

 

Le troisième et dernier pilier vise à développer et à entretenir la coopération internationale. Défense de l’Europe et Europe de la défense sont liées et s’articulent autour de l’Union européenne, de l’OTAN et de notre réseau de relations multilatérales, à l’instar de l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI), et bilatérales, comme le traité de Lancaster House, dont c’est le dixième anniversaire.

 

Nous adoptons, sans nous décourager et sans nous lasser, une attitude particulièrement proactive pour renforcer notre influence auprès de l’ensemble de nos partenaires afin de favoriser le développement d’une culture stratégique commune et la prise de conscience d’une autonomie stratégique européenne ; telle est notre ambition, au travers de IEI notamment. Cette approche devra rester en cohérence avec notre propre autonomie stratégique et la force du lien transatlantique qui menace tous les jours de se distendre et auquel nous tenons.

 

L’ensemble de ces actions reste non seulement structurant pour les armées mais apparaît plus que jamais indispensable pour renforcer à moindre coût les champs opérationnels, diplomatiques et capacitaires. Sur ce dernier point, nous poursuivons nos études sur les programmes futurs majeurs que sont le Main ground combat systems (MGCS), le futur char de bataille, et le système de combat aérien futur (SCAF), avec nos partenaires choisis, avec lesquels il est parfois difficile de coopérer.

 

L’enjeu de cette LPM consiste à maintenir l’équilibre nécessaire entre ces trois piliers, interdépendants, pour porter notre institution. À en négliger un, quel qu’il soit, nous mettrions les autres en péril.

 

Mon attention se porte aussi sur deux points particuliers, que je voudrais à présent développer : la performance et la réactivité.

 

La performance est essentielle et voulue par les armées. Son ambition est contenue dans le plan stratégique des armées que j’ai rédigé l’an dernier. Par des efforts de subsidiarité, de déconcentration et de décentralisation, nous poursuivrons résolument, en appui de Mme la ministre, tout ce qui permet cette plus grande performance. De ce point de vue, la ministre des armées a décidé une évolution de l’architecture budgétaire, principalement sur le périmètre des dépenses d’infrastructure afin d’améliorer la performance du ministère, dans un contexte de remontée en puissance, et tout en s’inscrivant dans ma vision stratégique qui consacre la subsidiarité comme principe de l’organisation militaire.

 

La nouvelle architecture budgétaire renforce le principe de responsabilité des chefs d’état-major d’armée afin de leur permettre de mieux répondre à leurs missions et de mieux prioriser leurs besoins. Elle promeut une plus grande subsidiarité dans l’utilisation des crédits du budget opérationnel de programme de la politique immobilière. Elle confère ainsi aux armées une capacité d’arbitrage sur une assiette plus large, entre le fonctionnement et les investissements, par l’application de la fongibilité.

 

C’est ainsi que, dès 2020, 1,8 milliard d’euros sera réparti au sein de la mission Défense, selon une logique de performance, de subsidiarité et de responsabilisation plus globale.

 

C’est aussi dans une logique de performance que les armées sont engagées dans un processus de transformation. Je n’évoquerai pas davantage les plans qui vous ont été présentés par les trois chefs d’état-major d’armée, qu’il s’agisse des plans Au contact de l’armée de Terre, Mercator de la Marine et Plan de vol de l’armée de l’Air.

 

Le processus de transformation que nous portons vise à mettre en cohérence et à durcir notre organisation, afin de trouver un mode de fonctionnement respectueux de la singularité militaire et tourné vers le combattant. Je compte ainsi poursuivre les efforts renforçant la proximité entre le soutien et les forces, comme je l’ai entrepris avec les commandants des bases de défense dès ma prise de fonctions en initiant et en encourageant une transformation et une évolution du commissariat des armées.

 

Je veille aussi à préserver l’un des principes de la singularité militaire : le maintien des conditions de l’autonomie d’intervention et d’engagement des armées. En effet, en cas de menace pour la Nation, les armées doivent pouvoir réagir sans délais. Cela passe par des principes d’organisation qui ne sont pas ceux de l’administration civile, pas plus qu’ils ne sont les principes d’organisation des entreprises privées. Au-delà de l’instrument premier de la défense de la Nation, les armées sont – tel est leur rôle – l’instrument principal de résilience de la Nation en cas de crise grave.

 

Cela passe aussi par la possession de stocks de munitions importants. En effet, le niveau actuel de consommation de munitions en opération et les efforts de re-complètement des stocks ne laissent pas entrevoir de fragilités à court terme pour les engagements en cours. Toutefois, les prises de risque décidées sur les stocks de munitions dans la précédente LPM ont entraîné des fragilités qui persistent, notamment pour les missiles EXOCET et ASTER.

 

Pour conclure, je vous livre mes points d’attention. 

Je suis vigilant sur la fin de gestion. Dans un premier temps, la mission Défense doit obtenir la levée de la réserve avant la mi-novembre, en particulier celle du programme 178 relatif à la préparation et à l’emploi des forces, qui s’élève à 241 millions. L’enjeu consiste à réaliser l’activité prévue en 2019 et à éviter un effet d’éviction sur les matériels devant être livrés. Dans un second temps, il faudra couvrir par une loi de finances rectificative, début décembre, les surcoûts nets liés aux opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT), à hauteur de 411 millions. Je sais la ministre très investie sur ce sujet ; le dialogue interministériel a d’ailleurs déjà débuté. Il en va de la bonne exécution de la première annuité de la LPM 2019-2025 et de la suivante qui, autrement, en subirait les conséquences.

 

Nous restons également vigilants quant à la tendance haussière des budgets militaires des organisations internationales, qui se poursuit en 2020 et au-delà, en dépit des efforts déployés par la France pour la contenir. Pour 2020, concernant l’OTAN, une hausse de 2,2 % par rapport à 2019 est demandée, elle porte notre contribution à 183 millions d’euros.

 

Enfin, au regard de ce que je pressens de l’évolution de la conflictualité, que l’actualité récente confirme, je mesure plus que jamais à quel point cette loi de programmation militaire est pertinente et adaptée aux défis actuels. La question que j’ai soulevée dans mon propos liminaire devra être abordée au moment de l’actualisation de 2021 : il s’agit de savoir si elle n’est pas « juste » pertinente et « juste » adaptée. 

L’actualisation à venir sera l’occasion d’ajuster les équilibres entre les quatre axes de la LPM à l’aune des différents bilans. Je crains que, d’ici là, la dégradation des grands équilibres géopolitiques perdure.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, général. 

Avant de passer aux questions, je voudrais souhaiter la bienvenue à un nouveau commissaire, Jean-François Parigi, du groupe Les Républicains.

 

Mme Patricia Mirallès. Général, je tiens à vous remercier de votre discours sur la base aérienne d’Avord lors des dernières universités de la défense. Parler de la guerre n'est jamais facile. Vous avez utilisé des mots que nous pouvons reprendre et qui nous permettent de nous exprimer différemment lorsque l'on nous interroge. Je voulais vous en remercier.

 

L'actualité récente nous a malheureusement rappelé la difficulté de percevoir avec efficacité les signes de radicalisation au sein de nos services. Un article paru dans Le Point jeudi dernier rappelle le travail de nos collègues Éric Diard et Éric Pouillat. Le rapport qu'ils ont rendu souligne que, au sein de l'État, les armées sont l’organisation la plus étanche à la radicalisation et que, selon la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la menace est faible. Toutefois une dizaine d'anciens militaires auraient déjà rejoint les rangs de l'État islamique, notamment un ancien membre des forces spéciales ayant effectué le stage RAPAS.

 

Je connais votre vigilance en la matière et je suis informée des dispositifs adoptés ainsi que du maillage humain en lien avec la DRSD. Cependant, ne croyez-vous pas nécessaire de renforcer certains de ces dispositifs et surtout d'assurer un bien meilleur suivi par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) des dossiers de ces hommes qui quittent le service ? Par ailleurs, la possibilité que le groupe Défense conseil national (DCI) soit nationalisé a été évoquée. Disposez-vous d’éléments à nous fournir sur ce dossier ?

 

M. Fabien Lainé. Mon général, merci des précisions exhaustives que vous avez apportées sur le budget des armées, toujours utiles en cette veille de débat budgétaire. 

Avec mon collègue Laurent Furst, nous sommes rapporteurs d'une mission qui porte sur la stratégie immobilière des armées, particulièrement sur l'hébergement et le logement. Ces deux éléments sont essentiels au moral de nos armées, à la condition des militaires et aux relations familiales. De bases en casernes, ce que nous visitons n’est guère réjouissant, voire en piteux état.

 

Venue s’exprimer devant notre commission, Mme la ministre a évoqué le sujet. Elle a accordé des moyens non négligeables au titre de la LPM – ils ont même été augmentés depuis. Pensez-vous que nous arriverons à bout de ce problème d'ici à la fin de cette LPM ?

 

Quel est votre avis sur le logement dont la situation est compliquée dans les zones tendues de Toulon, Bordeaux ou Paris ?

 

M. Joaquim Pueyo. Général, je reviens maintenant à un sujet plus large qui a trait à la fidélisation et au recrutement. Au-delà de la question de l'attractivité, se pose celle du nombre de jours consacrés à l'entraînement et aux formations au sens large. 

Au sein de l'armée de Terre, les documents budgétaires se fondent sur un indicateur évaluant le niveau de formation et d’activité d'entraînement. Or le bleu budgétaire indique que, pour mieux rendre compte la préparation opérationnelle menée au sein de l'armée de Terre, un nouveau sous-indicateur a été instauré en 2019 qui porte sur le nombre de jours de formation et d'entraînement (JFE).

 

Avec l’arrivée des nouveaux matériels, la formation et l'entraînement devront être soutenus pour que nos militaires s'adaptent, notamment au niveau des matériels livrés. En 2018, le taux d'entraînement avec les nouveaux matériels s’est établi à 54 %. Il est prévu à 57 % en 2019 – je ne sais s'il sera atteint. Le document budgétaire évoque un taux d’entraînement de 59 % avec le matériel majeur au titre de 2019 et de 93 % à la fin de la programmation militaire. Dès lors, plusieurs questions se posent.

 

Face à un recrutement parfois insuffisant et à un emploi en opérations extérieures et en missions intérieures exigeant, le nombre de journées de formation et d'entraînement vous semble-t-il suffisant ?

 

La Cour des comptes, dans un rapport de 2018, a mis en avant un défaut de fidélisation et d'attractivité. Dans la mesure où des opérations de recrutement ont eu lieu depuis – il y a peu de temps d'ailleurs –, peut-être la situation s’est-elle améliorée. Le colonel en charge de cette question pour le Grand-Ouest a voulu rencontrer les élus sur ce thème.

 

Avec l'arrivée des nouveaux matériels, le besoin en qualification pourra-t-il intervenir dans de bonnes conditions si le taux d'engagement OPEX et missions intérieures reste identique car le succès de ces opérations est lié au temps d’entraînement des militaires ?

 

M. Olivier Becht. Général, la stratégie de défense spatiale, déclinée par le Président de la République dans son discours à l’hôtel de Brienne, est un thème qui est cher aux députés que nous sommes, en particulier à mon collègue Stéphane Trompille ! 

Pour l'heure, les décisions se prennent à budget constant. La LPM se décline pour les satellites de composante spatiale optique (CSO) du programme Multinational space-based imaging system for surveillance (MUSIS).

 

Nous savons également que des dépenses nouvelles seront probablement nécessaires pour remplacer les systèmes de radar de grand réseau adapté à la veille spatiale (GRAVES) ou les télescopes pour l'observation des orbites géostationnaires, sans compter d'autres équipements type satellites « chiens de garde », voire drones spatiaux « couteaux suisses », de type X-37 B. Comment envisagez-vous les incidences de ces stratégies de défense spatiale sur le plan budgétaire, bien sûr, hors de la PLF 2020 ? Faut-il prévoir une clause de revoyure au moment de la révision à mi-parcours de la LPM ou pensez-vous qu’il faille opérer des arbitrages en interne à la LPM pour dégager des crédits nouveaux en faveur de cette stratégie de défense spatiale ? Les matériels des autres armes sont justes en quantité pour faire face à un conflit de haute intensité, mais nous savons que le spatial comptera.

 

Général François Lecointre. Madame Mirallès, merci de vos propos. Nous ne pouvons avoir de bons ambassadeurs que si nous arrivons à les convaincre. Sur ce sujet particulier de la guerre, je peux apporter le témoignage de ce que j'ai vécu, qui me permet de parler d'où je suis, d'où j'ai été et d'où sont mes hommes aujourd'hui. J'essaye de le faire autant que possible même si cela oblige parfois à s'ouvrir un peu le ventre.

 

S’agissant de la radicalisation dans les armées, vous connaissez les chiffres. Moins de dix personnes sont suivies par la DRSD, soit 0,03 % de personnes identifiées dans la Marine nationale, 0,05 % dans l'armée de Terre et encore moins dans l'armée de l'Air.

 

Vous avez raison, d’anciens militaires sont partis combattre à l'étranger. Vous souhaitez un meilleur suivi par la direction générale de la sécurité intérieure. À ce jour, les mesures prises par les différents services de renseignement au titre du suivi des personnes enregistrées au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) garantissent un suivi par la DGSI, et cela y compris lorsque les personnes qui ont été fichées dans les armées quittent les armées. Les échanges d'informations garantissent le suivi. Il n'y a pas de solution de continuité entre le suivi qui est fait par les armées des militaires d'active et l’après.

 

Sur ce sujet particulier, même si je suis très méfiant, car nous ne sommes jamais à l'abri d'un inconvénient, d'un risque ou d'un accident, il faut savoir qu’un criblage de l'ensemble du personnel militaire qui s'engage est effectué. C'est là une exigence ancienne, qui d'ailleurs a nécessité une augmentation forte des effectifs de la DRSD pour faire face à l'effort de recrutement que l'armée de Terre a opéré à partir de 2015-2016.

Le personnel est criblé parce qu'on lui confie une arme. Il est criblé aujourd'hui parce que l'on s'inquiète de savoir s’il n'est pas en voie de radicalisation. Il était criblé hier parce que l’on s'inquiétait de savoir s'il n'était pas un délinquant ordinaire, s'il n'était pas drogué ou s'il n'était pas susceptible de saisir une arme, de tirer sur ses camarades ou de se suicider. Cette attention est très ancienne dans les armées. Si elle est aujourd'hui plus focalisée sur le risque de radicalisation, il n’en reste pas moins dans les faits que chaque soldat à qui l’on confie une arme et des munitions de guerre est suivi de très près, non seulement par la DRSD mais également par l'ensemble des officiers de sécurité qui forment un maillage fin, présent dans toutes les unités des armées : de l'armée de Terre, de la Marine nationale ou sur les bases aériennes de l'armée de l'Air.

 

Par ailleurs, le maillage territorial de la DRSD, les échanges constants entre les officiers de sécurité des régiments et la DRSD me semblent être la meilleure garantie en ce qu’elle est le signe de l'implication personnelle du commandement en cette matière du suivi de la radicalisation.

 

Un lieutenant chef de section qui emmène ses 40 hommes au tir est accompagné de ses sergents, chefs de groupe. Chacun d’eux est derrière le soldat au moment où celui-ci engage son chargeur dans l'arme ; le chef de groupe est très soucieux de vérifier que le soldat en question n’est pas tenté soit de se tirer une balle dans la tête, soit de tirer sur ses camarades. La meilleure des garanties réside dans cette implication forte et constante du commandement qui a la mesure et la conscience très claires de ce que représentent ces armes. J’ajoute que le criblage est renouvelé au moment de l’engagement des militaires dans les contingents Sentinelle afin de s’assurer de l’absence de risques dans la mesure où les armes ne sont pas uniquement utilisées au champ de tir ou sur un théâtre de guerre mais sur le territoire national. Tout s'est bien passé jusqu'à présent. Au début de l'opération Sentinelle, tout le monde éprouvait des craintes quant à la capacité des soldats à maîtriser leur arme, en raison de possibles fragilités psychologiques qui les auraient conduits à les employer contre leurs camarades ou contre eux-mêmes, mais aussi parce que la maîtrise de l'arme individuelle du combattant par un soldat est en soi un sujet. Dans les faits, nous sommes très peu souvent confrontés à des incidents de tirs. Chaque fois que cela s’est produit, c'était dans des conditions « respectueuses » de la sécurité, les armes étant dirigées dans des directions non dangereuses.

 

Je suis moi-même surpris, je l’avoue, du degré de professionnalisme auquel sont parvenus les soldats dans la maîtrise de leur armement. Cette bonne maîtrise est due à une nouvelle technique d'instruction de tir de combat, en vigueur dans l'armée de Terre depuis une dizaine d’années et qui a considérablement professionnalisé les militaires. Au-delà de la radicalisation, une attention constante du commandement est portée à la relation du soldat à son arme et aux risques que le port d’une arme fait courir à ses camarades et à son environnement.

 

Vous avez interrogé sur la nationalisation du groupe DCI. Il n’y a aucune raison de faire évoluer son statut.

 

Monsieur Lainé, vous m'avez interrogé sur l'hébergement et le logement des familles. Parviendrons-nous à résoudre la question d’ici à la fin de la LPM ? Un effort marqué porte sur la partie « logement » en métropole et Outre-mer, qu'il s'agisse des logements domaniaux qui sont remis en état ou par des contrats passés avec des sociétés de logements sociaux pour notamment assouplir la situation là où elle est la plus tendue, avec une priorité marquée en Île-de-France et à Toulon, deux zones où la tension locative est forte – mais d'autres garnisons sont également concernées.

 

Un plan ayant pour vocation de résorber les points noirs de la situation de l'hébergement dans l'ensemble des formations des armées a dû être lancé en 2013 ou 2014. Ce plan est toujours en cours d'exécution ; un effort supplémentaire a été inscrit dans cette loi de programmation et en gestion, la ministre ayant demandé que nous déléguions des crédits supplémentaires aux commandants de base de défense sur le programme 178 et que nous leur permettions de conduire des travaux de proximité dans l’ensemble des formations qui dépendent de leur ressort.

 

La nouvelle architecture budgétaire permet aux armées de dédier une partie de leurs ressources budgétaires d'infrastructures à la préparation opérationnelle. L’hébergement et le logement, dans leur partie administrative, restent entre les mains de la secrétaire générale, mais la nouvelle architecture permettra, grâce au processus de décentralisation et de déconcentration de l'engagement de ses moyens auprès des commandants de bases de défense (COMBDD) de dépenser mieux, plus vite et en cohérence.

 

D'ici à la fin de la LPM, un tiers du parc de logements et un tiers du parc d'hébergement arriveront à mi-vie. Il faut garder à l’esprit que c'est un effort constant qu'il nous faut produire. Les efforts que nous engageons aujourd'hui et qui, au titre de la LPM, feront passer le budget des infrastructures des armées de 1,2 ou 1,3 milliard à 1,7 milliard d’euros, nous permettent de résorber ce qui n'a pas été fait et de mettre aux normes actuelles ce qui doit l’être tout en luttant contre le vieillissement qui est inéluctable. Ces efforts ne sont pas uniquement nécessaires pour rattraper le retard de mise aux normes accumulé, mais également pour faire face au vieillissement qui se poursuit. Tous les vingt ans au moins, l'ensemble des hébergements nécessitent d’être refaits. C'est un sujet qui se dessine durablement devant nous, en ce qui concerne plus particulièrement le logement des familles auquel nous sommes tous très sensibles parce que nous avons tous des familles et que nous sommes tous dans l’obligation de nous loger. Nous allons essayer d'aborder cette question par le biais de la NPRM. Un nouveau dispositif mettant en avant la singularité militaire permettrait de prendre en compte la grande mobilité et son impact, en particulier l'accès au logement, et faciliterait l'accès à la propriété de l'ensemble des militaires.

 

Monsieur Pueyo, vous avez parlé du nombre de jours d'entraînement et de formation. Quatre-vingt-dix journées de préparation opérationnelle doivent être atteintes en 2025. Ainsi que vous l’avez relevé très justement, ce n’est pas tant le nombre de jours qui est important que le nombre de jours de préparation avec matériels majeurs qui constitue le haut de gamme et le haut d'exigence de la préparation opérationnelle de nos forces. J'observe, cependant, que nous évoluons avec l'arrivée de matériels nouveaux. Aujourd’hui, ces matériels majeurs sont accompagnés de programmes de simulation extrêmement ambitieux de préparation des hommes qui utilisent ces équipements aux quartiers et non plus seulement dans les grands camps d'entraînement comme c'était le cas auparavant. Lorsque je commandais la 9e brigade d'infanterie de marine et que je visitais le régiment d'infanterie chars de marine (RICM) à Poitiers, j’étais surpris de voir que les soldats passaient trois fois plus de temps sur des simulateurs que dix ans auparavant. Ce mouvement ne cesse de s'accroître et de s'accélérer.

 

Le système de missiles de moyenne portée (MMP) qui commence à être livré comprend un simulateur absolument extraordinaire, de la même façon d'ailleurs que l'ensemble de nos systèmes de combat aérien ou maritime. La part de la simulation jouant un rôle toujours plus large dans la préparation opérationnelle, il faut que nous prenions en compte la place croissante de cette préparation opérationnelle et de ce qu’elle implique en termes de formation des personnes qui mettent en œuvre les outils de simulation au profit des soldats, de formation des techniciens qui entretiennent ces outils et de leur coût de maintenance.

 

J'espère que les objectifs fixés par l'armée de Terre seront atteints. J’observe qu’avant de partir au combat, rien ne remplace l'entraînement réel sur des équipements majeurs en unités formées. Nous avons déployé des efforts considérables pour relever la disponibilité technique opérationnelle des équipements. Notre effort en matière d'entretien programmé des matériels est payant. De 37 % en 2016, la disponibilité technique opérationnelle des véhicules de l'avant-blindé – le mulet de l'armée de Terre – est passée à 56 % en 2018 et devrait atteindre 59 % en 2019 et 2020. La remontée est constante. Je vous prie de croire, monsieur Pueyo, que, pour le soldat qui vit au quotidien dans son régiment ou son camp d'entraînement, une telle progression en trois ans est considérable. Elle s’accompagne, en outre, du positionnement croissant de parcs de services permanents au sein des unités, autorisant ainsi, avant de partir au combat, une plus grande familiarité des équipages avec leurs engins.

 

Il convient de préserver la préparation opérationnelle, même si le niveau d'engagement est maintenu à très haut niveau ou progresse. Je suis, par ailleurs, extrêmement soucieux de la préservation de la vie personnelle. Je sais trop que les militaires – et moi qui suis le premier d'entre eux – trop souvent poussés par leur désir de bien faire et de bien servir les armes de la France, sont prêts à sacrifier des jours de permission, des week-ends et des heures à la préparation opérationnelle qui doit impérativement être faite et qui nécessite du temps. Les militaires sont toujours en train de courir après le temps. L’équilibre entre l'engagement opérationnel, le niveau de préparation opérationnelle souhaitable et l'équilibre de la vie personnelle est un souci que les chefs militaires ont constamment à l’esprit, que j'ai rappelé encore récemment au chef d'État-major de l'armée de Terre. Je pense qu’il y est attentif parce qu’en dépend la fidélisation de notre ressource humaine. Croyez bien que nous sommes en permanence attachés à ce souci d’équilibre et que nous continuerons de l’être, mais s'il y a bien une chose que nous ne pouvons augmenter, même si nous augmentons les crédits de la loi de programmation militaire, c'est le temps !

 

Monsieur Becht, vous avez indiqué que le spatial se faisait à budget constant et qu’il nécessitera des arbitrages internes. Il ne se fait pas à budget constant. Le travail d’ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM) réalisé cette année – anciennement la version actualisée du référentiel (VAR) de la LPM – a conclu au redéploiement d’une partie des crédits dégagés sur le titre II au profit notamment du domaine spatial. Pour 2020, 450 millions d’investissement vont être consentis.

 

Un effort a été produit à périmètre de ressources constant. Il sera difficile d’aller au-delà. D’autres arbitrages devront intervenir. Ensuite, ce sera le vote d’une nouvelle LPM. La vie des programmes est ce qu’elle est. Mais, à ce jour, un choix très clair a été arrêté et annoncé par la Ministre et par les armées de privilégier ce segment spatial grâce au rédéploiement d’un excédent de titre II.

 

M. Yannick Favennec Becot. Mon général, je voudrais vous interroger sur le Brexit que l’on peut maintenant considérer comme inéluctable. Pensez-vous qu’il aura des incidences en matière militaire ? Ces incidences sont-elles susceptibles de modifier nos relations bilatérales dans le cadre des accords de Lancaster House ou les possibilités de coopération multilatérale dans un cadre européen ?

 

M. André Chassaigne. Mon général, je poserai des questions précises sur les conséquences concrètes de l’appartenance d’un État à l’OTAN.

 

Un État membre comme la Turquie est-il ou non soumis au commandement intégré ?

 

Les avions des pays membres comme la Turquie sont-ils directement liés à l’état-major de l’OTAN comme le sont les Rafale français par un canal spécifique de radio ?

 

L’armée turque utilise-t-elle, comme la France, des drones Reaper, propriété des États-Unis, avec les techniciens qui vont avec, pour illuminer les cibles de l’aviation dans ses bombardements ?

 

L’armée turque utilise-t-elle des matériels français fournis avec une clause de maintenance, mettant, de fait, la Turquie dans la dépendance de la France pour certaines armes ? Si oui, de quels matériels s’agit-il ?

 

Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Le Drian, dans un article publié ce matin dans Le Figaro, dit « suspendre les projets d’exportation d’armes ». Certaines ventes sont-elles engagées et maintenues ? À quoi servent ou serviront les armes déjà vendues ?

 

M. Jean-Michel Jacques. Général, vous avez évoqué le niveau de l’effort financier de nos partenaires européens. Il est vrai que, de ce point de vue, la France se singularise. Comment les accrocher sur le plan opérationnel ? Dans la bande sahélo-saharienne, nous consentons un effort important au travers de l’opération Barkhane et de l’opération Sabre par laquelle nos soldats essaient de donner à nos partenaires africains les moyens de combattre les groupes terroristes. L’Europe est incluse dans ce dispositif de formation. Sans doute avez-vous une idée sur la question car vous l’avez abordée lors de votre dernière audition, ainsi que la ministre lors de son passage à Pau. Ne serait-il pas intéressant, pour être plus efficaces et amener nos partenaires européens à aller plus loin, de réarticuler tous les efforts européens opérationnels autour d’un combined joint special operations task force (CJSOTF) ou d’un nouveau concept inspiré des operational mentor and liaison teams (OMLT) utilisé en Afghanistan ? Les victoires communes sont un bon ciment pour promouvoir une armée européenne plus forte.

 

M. Patrice Verchère. Général, en 2020, l’armée de Terre prendra livraison de son premier système de drones tactiques, qui améliorera considérablement ses capacités de reconnaissance et de frappe au sol. Comment ces drones modifieront ils l’interaction entre nos armées de Terre et de l’Air, notamment dans le cadre des frappes au sol réalisées par nos Mirage et Rafale en soutien de nos forces terrestres et, de manière générale, dans le cadre de l’occupation de l’espace aérien ?

 

Vous le savez, si nous voulons disposer d’un chasseur de nouvelle génération en 2040, un compte à rebours est à respecter. Beaucoup se demandent si le système de combat aérien du futur (SCAF) décollera un jour.

 

M. Jacques Marilossian. Général, merci pour votre exposé et vos premières réponses.

L’année dernière, je vous avais interrogé sur le fonds européen de la défense (FED) destiné à financer des programmes d’armement majeurs en matière de défense européenne. Aujourd’hui nous devons définir des objectifs et des programmes stratégiques avec nos partenaires européens, ces jolis processus répondant aux noms de capability development plan (CDP), coordinated annual review on defence (CARD), coordination structurée permanente (PESCO), etc. Nous ne pouvons plus dépendre des seuls objectifs stratégiques de l’OTAN. Or nous continuons à l’être contre la violence terroriste et nous observons les remontées en puissance de la Russie, de la Chine, de l’Iran, sans oublier les tensions dans le Golfe et l’invasion de la Turquie en Syrie, laquelle est pourtant notre alliée au sein de l’OTAN. Nous pouvons aujourd’hui financer le développement de nos capacités de défense européenne, mais où en sommes-nous dans les objectifs stratégiques européens ? Que partagez-vous réellement aujourd’hui sur le plan stratégique avec vos principaux homologues allemands, espagnols et italiens ?

 

Général François Lecointre. Au risque de lasser votre patience, la réponse à chacune de vos questions exigerait un exposé interminable.

 

Vous m’interrogez sur les conséquences du Brexit sur notre coopération avec les Britanniques. Le Brexit aura d’abord une incidence vis-à-vis de l’Union européenne sur des systèmes comme Galileo et sur la part des Britanniques dans le contrôle et l’accès à certains de ces signaux. L’Union européenne devra passer un accord de défense et de sécurité particulier avec le Royaume-Uni afin qu’il ne soit pas considéré comme un État tiers banal. Il faudra étudier les sujets qui ne l’ont pas encore été dans le cadre de l’accord global du Brexit que proposaient les Européens. C’est le cas de la Combined Joint Expeditionary Force (CJEF), ce corps expéditionnaire dont nous espérons atteindre la pleine capacité en 2020 et pour lequel nous devons maintenir nos efforts de coopération, de rapprochement des procédures, de travaux d’états-majors. Il n’y a pas de raison que nous le remettions en cause. Ni les Britanniques ni nous ne le souhaitons, nous poursuivons sur cette voie.

 

Il y a ensuite les engagements réels en opération. J’observe que, là aussi, du côté français comme du côté britannique, nous n’avons aucune intention d’y mettre un terme, qu’il s’agisse de l’enhanced forward presence battlegroup (eFP) en Lettonie, à laquelle nous renouvelons régulièrement notre participation soutenue, ou de l’engagement des Britanniques à nos côtés, par l’envoi de Chinook au Mali. Tous les contacts que j’ai avec mon alter ego, le général Carter, et tous les contacts qu’a la Ministre laissent à penser que les Britanniques ont l’intention de maintenir cette présence, peut-être plus qu’avant. Parce qu’ils sont en train de brexiter, ils essaient, sur le plan militaire, d’entretenir cette relation privilégiée, même si cela paraît paradoxal. En bilatérale, ils sont extrêmement coopérants et désireux de maintenir leur coopération entre les deux véritables puissances militaires européennes.

 

Concernant la coopération en matière d’armement, nous conservons quelques briques technologiques du système de combat aérien du futur, quel qu’il soit, en commun avec les Britanniques. Un programme de missiles de croisière antinavires, un programme de guerre des mines continue d’être porté en commun. Certes, la coopération industrielle sera compliquée, la position d’industriels comme MBDA sera difficile mais, sur le strict plan de la coopération militaire, dans le cadre du CJEF ou dans le cadre opérationnel, je ne relève pas de risque de dégradation de notre grande proximité.

 

Sur le système de drones tactiques, parliez-vous des Patroller ou de l’évolution du Reaper, qui n’est pas un système de drones tactiques ?

 

M. Patrice Verchère. Je parlais des Patroller.

 

Général François Lecointre. La difficulté dans la troisième dimension, c’est une sorte de guerre larvée et permanente entre l’armée de Terre et l’armée de l’Air, cette dernière se disant l’armée de la troisième dimension et l’armée de Terre manifestant son besoin d’espace aéroterrestre et l’impossibilité de conduire des actions au sol sans des actions dans l’air. D’où l’aviation légère de l’armée de Terre, qui a d’ailleurs un mode opératoire et des doctrines tactiques différents de celles de l’armée de l’air. Le rythme d’une intervention d’avions Rafale est très différent de celui des hélicoptères de l’armée de Terre. Ils se déplacent, se meuvent et interviennent au rythme de la manœuvre terrestre, tandis que la manœuvre aérienne se programme très longtemps à l’avance, dans un espace non chaotique, avec une très grande précision et sans s’adapter en permanence au mouvement de troupes au sol. La détention par l’armée de Terre de moyens spécifiques est donc justifiée. En opération, cela ne pose aucun problème, car il n’y a plus d’armée de Terre, ni d’armée de l’air, ni de marine, il existe heureusement et depuis longtemps une coopération extrêmement étroite de tous les acteurs qui sont d’abord interarmées. Si le système de drones Patroller n’a pas encore fait l’objet d’une définition de protocole, non pour l’engagement simple mais pour l’exploitation maximale des potentialités en matière de coopération terre-air, cela devrait intervenir rapidement.

 

De même, nous réfléchissons à l’emploi de drones armés. Nous devons y être attentifs. Nous adoptons une première doctrine que nous ferons évoluer au gré de l’emploi des équipements nouveaux.

 

La question sur les objectifs stratégiques des Européens mériterait une conférence en soi.

 

Nous n’avons pas réellement d’objectifs stratégiques européens, ce que je trouve tragique. De façon très macro, je pense que les Européens n’ont toujours pas compris que le centre de gravité mondial autour duquel s’organisent les alliances était en train de changer et de basculer de l’Atlantique au Pacifique. Pourtant, c’est annoncé, dit et revendiqué. Ils auraient dû lire les conclusions publiées par La revue stratégique en 2017. L’attitude du Président Trump que tout le monde s’accorde à trouver incohérente ne l’est pas tant que cela. Sans doute est-elle brutale, mais une constante se dessine dans l’évolution américaine qui s’explique parfaitement.

 

Le nouveau lieu de tension sera donc le Pacifique. La confrontation se fera avec un bloc asiatique qui détournera les Américains de leur effort en direction des Européens. La France l’a parfaitement mesuré et les déclarations du Président de la République sont très claires à ce sujet. Malheureusement, nos Alliés européens paraissent pour certains prêts à accepter ou à revendiquer un surcroît de vassalisation vis-à-vis des Américains, dans l’espoir qu’ils ne les abandonneront pas, ou du moins à donner des gages, comme sur les frais de fonctionnement de l’Aliance. Il y a aussi, car c’est ainsi que les Américains considèrent de plus en plus l’OTAN, la grande difficulté des Européens à résister aux pressions des Américains quant à l’achat de leurs équipements et matériels de guerre, le marché européen représentant pour les Américains un marché extrêmement important. Nos Alliés européens ont donc des difficultés à prendre conscience de cette situation. Je n’évoquerai pas les différences politiques profondes liées à des raisons historiques ou conjoncturelles. 

Il est en revanche un  endroit où l’on peut commencer à attirer les Européens pour leur faire comprendre que nous avons des enjeux communs et un objectif de sécurité collective à assumer : il s’agit de l’espace méditerranéen et de l’Afrique. Depuis deux ans que je suis chef d’état-major des armées, j’observe une prise de conscience croissante de nos principaux partenaires de la nécessité de nous engager ensemble en Afrique pour faire face à la déstabilisation de la zone sahélienne, aux crises environnementales, aux crises politiques graves et aux impacts qu’elles peuvent avoir sur les migrations qui viennent déstabiliser nos vieilles démocraties européennes. J’en veux pour exemple la déclaration du Président, à l’occasion du G7, en faveur de la création d’un pacte de stabilité et de sécurité pour le Sahel qui a immédiatement rencontré un vif succès auprès de nos partenaires. Le chef d’état-major des armées allemand m’a dit : « Oui, bien sûr, faisons quelque chose ensemble ! ». Ne serait-ce que sur le plan du partenariat militaire opérationnel et de la coopération militaire, nous allons essayer de structurer nos efforts avec l’ensemble de nos partenaires européens qui le souhaitent – et ils sont nombreux.

 

M. Jacques a évoqué le CJSOTF, acronyme barbare qui signifie combined joint special operations task force et qui désigne le groupement de forces spéciales dont nous avons proposé à nos partenaires européens la mise en œuvre dans le Sahel en accompagnement des forces armées maliennes, lorsque nous estimerons – c’est le cas aujourd’hui – qu’elles seront arrivées à un niveau de maturité presque suffisant et que l’ennemi face à elles, dans le Gourma, aura été suffisamment amoindri et abîmé pour qu’elles n’aient plus besoin du soutien direct de l’opération Barkhane. Nous souhaitons entraîner un maximum de partenaires européens dans la mise en place de cette force d’accompagnement au combat des forces armées maliennes. Notre proposition rencontre un vrai succès.

 

De même, sans savoir aujourd’hui le succès que cela va rencontrer, la France développe dans le Golfe persique une initiative de surveillance maritime détachée de l’initiative américaine. Les Européens sont assez satisfaits d’envisager une compréhension stratégique européenne commune permettant d’être présents sans risquer d’être entraînés dans une attitude américaine « escalatoire » vis-à-vis de l’Iran.

 

Concrètement, se dessinent peu à peu les axes stratégiques sur lesquels nous pouvons entraîner nos partenaires européens. Il faut le faire avec beaucoup de patience et d’humilité – nous sommes la grande nation souvent taxée, parfois à raison, d’arrogance – sans prétendre prendre la tête d’une coalition et en nous débarrassant de l’attitude schizophrénique consistant à vouloir entraîner les Européens derrière nous en leur disant que « c’est nous le chef ». Il faut les entraîner avec nous, en acceptant de ne pas être le chef.

 

Concernant la suspension des projets d’exportation d’armes, vous connaissez le mécanisme de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG). Des licences accordées à des industriels qui souhaitent effectuer des ventes d’armes leur ouvrent le droit de prospecter auprès d’un pays. Ce n’est pas parce qu’il y a une licence qu’un accord de livraison d’armes ou un marché est automatiquement passé. La CIEEMG peut suspendre et ajourner des licences, puis les refuser. Les ajournements successifs de la CIEEMEG peuvent aussi être à durée indéterminée. La mesure prise aujourd’hui par la France n’est pas une mesure neutre, elle aura de l’effet et a un sens.

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Mon général, je souhaite approfondir la question de notre collègue Favennec Becot au sujet de notre partenariat avec le Royaume-Uni. Je reviens de Londres où je me suis entretenu avec des autorités britanniques sur l’avenir des coopérations entre nos deux pays dans le contexte du Brexit et où j’ai participé à une réunion de l’assemblée parlementaire de l’OTAN. Vous avez souligné la pertinence de nos coopérations dans les domaines capacitaire et opérationnel ainsi que l’importance de la force expéditionnaire commune qui s’exerce actuellement au large de Glasgow et qui devrait atteindre sa pleine capacité opérationnelle à l’horizon 2020. Vous avez mentionné le programme Futur missile antinavires / Futur missile de croisière (FMAN/FMC), sur lequel nos deux marines doivent pouvoir converger en matière de besoins opérationnels, le programme Maritime mine counter measures (MMCM) en matière de guerre des mines et l’importance que revêt la filière missilière avec l’initiative « One MBDA ». On pourrait ajouter notre coopération dans le domaine nucléaire avec les programmes réussis TEUTATÈS et EPURE, Expériences de physique utilisant la radiographie « éclair ».

 

Que pourrions-nous mettre dans la corbeille de la mariée du nouvel accord Lancaster 2020 ? Avez-vous identifié des domaines particuliers, comme l’intelligence artificielle, le spatial, le cyber, la robotique ? Quels champs vous paraissent prioritaires ? Peut-on aller plus loin en matière de coopération opérationnelle, dont vous avez souligné le caractère essentiel ? Enfin, faudrait-il songer, comme je l’ai souvent entendu récemment au Royaume-Uni de la part de sources aussi europhiles qu’audacieuses, à en faire une forme d’accord tripartite ou, du moins, à y associer notre partenaire allemand ?

 

M. Thomas Gassilloud. Mon Général, il y a presque un an, vous indiquiez ici même : « Je n’ai pas de scénario qui permette de faire face à un conflit de masse ». Aujourd’hui, le même message inquiétant a été envoyé au sujet de la masse de nos armées, notamment via une comparaison des quantités de matériels entre 2008 et 2030. Au-delà du matériel, il y a les hommes. Vous citez souvent cette phrase de Thucydide : « La force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens. » À ce sujet, la sous-consommation de plus de 150 millions d’euros des crédits du titre II en 2018 nous inquiète et sonne comme une alerte. Ma question porte donc sur le développement des réserves opérationnelles. Beaucoup a été fait depuis 2015. Chaque jour, plus de 4 000 réservistes sont sur le terrain, au côté de l’armée d’active qui ne saurait plus aujourd’hui fonctionner sans eux. Je suis convaincu qu’il faut aller plus loin, ce qui permettrait aux éléments d’active de consacrer davantage de temps à la préparation opérationnelle ou à leur vie personnelle, élément nécessaire à la fidélisation. Le spectre d’un conflit majeur n’impose-t-il pas de mettre en œuvre dès aujourd’hui des changements structurels dans nos réserves, en termes de volume, de missions et d’organisation ?

 

J’ai également une question de Mme Sereine Mauborgne, qui souhaite savoir à quoi correspondent les 241 millions du programme 178, actuellement gelés.

 

Mme Marianne Dubois. Général, la force conjointe du G5 Sahel a souvent été qualifiée de porte de sortie de nos forces actuellement engagées dans la bande sahélo-saharienne. À quelle échéance pensez-vous que cette porte s’ouvrira à nos soldats ?

 

M. Stéphane Trompille. Mon général, j’ai obtenu une première partie de réponse à ma question sur le domaine spatial mais j’aimerais la compléter. Quels crédits seront alloués au commandement de l’armée de l’air et de l’espace à Toulouse ? Quel en sera le champ opérationnel et quelles seront les missions qui seront confiées à ce grand commandement ?

M. Christophe Lejeune. Mon général, lors d’une précédente audition, vous avez dit que le modèle de nos armées ne serait pas déconstruit, comme vous aviez déconstruit les armées à l’époque de la déflation. Dans cette suite logique, vous évoquiez le plan de transformation de MCO et la création de la direction de la maintenance aéronautique (DMAÉ) pour remettre d’équerre le maintien en condition opérationnelle des aéronefs militaires, en vue de responsabiliser les industriels par des contrats globaux et de longue durée, en exigeant de leur part une véritable obligation de performance et non plus de moyens. C’est une nouvelle méthode qui se met en place. Quel bilan faites-vous de l’action de cette nouvelle direction ? Le PLF pour 2020 a pour objectif de poursuivre la transformation engagée au sein du ministère en ce qui concerne la verticalisation des contrats de MCO. Les moyens financiers permettent-ils de répondre aux exigences ?

 

Général François Lecointre. Que pourrait-on ajouter dans la corbeille avec nos amis britanniques ? Nous avons déjà une coopération forte dans le domaine cyber sur le plan opérationnel. Nous devons apporter des projets et nous y travaillons. Mon principal souci est d’opérationnaliser le Combined joint expeditionary force. Avec le général Carter, je souhaite, dès que l’occasion m’en sera donnée, lancer quelque chose qui, sans être une brigade ou un régiment, puisse être mis sous le signe des accords de Lancaster House, pour opérer un premier déploiement opérationnel réel. C’est la réponse que le chef militaire opérationnel que je suis peut vous donner. Ce souci est partagé avec le général Carter.

 

Vous avez évoqué l’idée d’y adjoindre les Allemands. J’ai relancé les rencontres de CEMA en format E3 depuis que j’ai pris mes fonctions. Je ne peux vous dire ni plus ni moins que ce que j’ai répondu tout à l’heure à M. Marilossian. Nous travaillons à rapprocher les visions stratégiques. C’est beaucoup plus facile avec les Britanniques avec lesquels nous avons une vision partagée, en dehors de l’OTAN, je le répète, mais nous essayons de rapprocher les Allemands de cette vision.

 

Une enceinte particulière, la Counter violent extremist organization (CVEO), réunit le cœur de la coalition. Nous nous retrouvons à treize chefs d’état-major d’armée : américain, canadien, australien, italien, allemand, britannique, danois, norvégien, etc. Nous nous rencontrons à l’occasion d’une réunion environ tous les trois mois, précédée par des réunions d’états-majors.. Dans ce cadre nous mettons de plus en plus l’accent sur la capacité de cette alliance ,iniatlement très centrée sur le Levant, à s’investir au Sahel et en Afrique. Je porte de plus en plus ce projet et nous allons continuer à le porter. En particulier, et je l’évoquais tout à l’heure avec M. Marilossian, nous allons essayer, d’approfondir notre partenariat et de notre coopération militaire avec tous les pays d’Afrique de l’Ouest, et de mieux coordonner les efforts, . Ce n’est pas simple, mais avec de la persévérance et de l’humilité, on y arrive !

 

Monsieur Gassilloud, vous m’interrogez sur les réserves opérationnelles. Sur un objectif de 40 000 hommes, aujourd’hui l’objectif de 38 000 est atteint. Comme vous l’indiquiez, 4 000 sont sur le terrain, dont 1 000 sur le territoire national, ce qui est beaucoup. Aujourd’hui, les armées ne sauraient fonctionner sans la réserve. Vous avez raison de demander si, en prévision d’une montée en puissance brutale et rapide, il ne faudrait pas prévoir un système de réserve plus opérationnel et plus robuste. Le système actuel donne satisfaction. Il permet à l’armée de temps de crise de faire face à des pics d’activité et à des engagements sur le territoire national très consommateurs. Je répondais tout à l’heure à M. Pueyo que les réservistes contribuent pour beaucoup à répondre à notre souci de ménager non seulement l’entraînement et la préparation opérationnelle mais aussi la vie personnelle. Si on devait envisager une montée en puissance, il faudrait réfléchir au rappel de la réserve opérationnelle 2 et non la réserve opérationnelle 1. Vous ne pouvez pas considérer que tous ces soldats professionnels qui ont de cinq à quatorze ou quinze ans de service dans les armées, voire davantage, et qui sont dans la vie active, ne seraient pas capables d’être au moins aussi rapidement une force opérationnelle que pouvaient l’être les contingents d’appelés à l’époque de la conscription. Je ne voudrais pas que les réflexions en cours à ce sujet depuis quelques années aboutissent à remettre en question l’efficacité de la réserve opérationnelle  que nous avons mise sur pied et qui fonctionne de mieux en mieux. Aujourd’hui, nous cherchons à prévoir éventuellement des taux de rotation différents, notamment sur le territoire national, afin, plus encore, de les employer, car il est difficile pour un réserviste de s’extraire de son travail.

 

Madame Dubois, vous m’avez demandé si la force conjointe G5 était une porte de sortie. Je pense ne l’avoir jamais dit. Il s’agit d’un complément de notre action et d’une nécessité pour répondre à l’aspect transfrontalier du conflit, mis à profit par les groupes terroristes. De ce fait, nous avons imaginé un processus nouveau et original consistant à demander aux cinq pays de créer une force destinée à agir spécifiquement sur ces zones frontalières, avec un droit de poursuite de bataillons d’un pays dans l’autre. Cette force est complémentaire de l’opération Barkhane, de ce que font les armées nationales, l’ONU et l’Union européenne. Je n’imagine donc pas la force conjointe G5 constituer brutalement, et même à moyen ou long terme, pour les Européens ou l’ONU, la porte de sortie du Sahel. Elle est un complément indispensable et doit être de plus en plus opérationnelle. C’est une partie de la réponse à cette crise, mais une partie seulement, de même que notre action militaire n’est qu’une partie de réponse à cette crise globale de développement, de gouvernance, c’est-à-dire une crise politique au sens large.

 

Monsieur Trompille m’a interrogé sur le commandement de l’espace, du budget et du champ opérationnel. Les effectifs montent en puissance : il récupère en 2019 43 personnels du commandement interarmées de l’espace; 136 au centre militaire d’observation par satellites (CMOS) et 36 au centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS) pour arriver au format global de 217 personnels en 2020. Globalement, ce commandement s’occupe de tout ce qui concerne l’espace. Il s’agit d’un commandement organique à vocation interarmées placé sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de l’Air mais qui, pour son emploi, est placé sous l’autorité du chef d’état-major des armées. Ce commandement gère, commande et manœuvre nos objets militaires dans l’espace. Il passe par un partenariat accru avec le Centre national d’études spatiales (CNES) et par le développement de capacités militaires de manœuvre des objets spatiaux dans l’espace. Ce commandement assure aussi la surveillance de l’espace. La manœuvre s’effectue généralement sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, puisqu’il s’agit d’activités opérationnelles. Pour le reste, comme les autres armées, chacune dans leur champ de compétence, ce commandement travaillera sur la doctrine, la recherche capacitaire et l’évolution du système.

 

Il est trop tôt pour dresser un bilan de la verticalisation des contrats en termes de disponibilité technique opérationnelle (DTO). Ce qui prend du temps, c’est la négociation que mènent Mme Legrand-Larroche et ses équipes avec les industriels pour obtenir une verticalisation efficace, pour trouver la bonne place au service industriel de l’aéronautique (SIAé) sur le plan du soutien industriel et opérationnel et la bonne place de l’armée de l’air. Elle-même évolue beaucoup, contribuant ainsi à l’évolution de son niveau de soutien opérationnel dont le général Lavigne a dû vous parler, ce qui, de ce simple fait, participe à l’amélioration de la DTO. Il est un peu tôt pour dire ce qu’il en est, mais il n’est pas trop tôt pour dire où l’on en est. Les MCO des Fennec de l’armée de Terre, du Tigre, de l’A400M et des Rafale, en dehors du moteur, ont fait l’objet d’un contrat. Nous verrons ce que cela va donner. Je suis empli d’espoir. Mais nous n’avons pas le choix. Je persiste à dire qu’Ambition 2030 est une belle ambition qui nécessite un effort national important, mais que se passera -t-il d’ici 2030 et dans quelle situation serons-nous ? Nous avons aujourd’hui une armée et nous aurons en 2030 une armée en bon état, opérationnelle, mais capable de faire face aux crises actuelles, et l’on voit bien que ces crises vont s’amplifiant.

 

Il existe plusieurs façons de répondre à ce défi. La première est l’augmentation de la disponibilité des équipements : si les frégates étaient plus disponibles qu’elles ne le sont aujourd’hui, nous aurions plus de frégates à engager. Aujourd’hui, je compte les frégates pour faire face aux contraintes opérationnelles, à la fois dans le golfe Persique où notre présence est permanente, pour la sécurité du détroit de Bab El-Mandeb et dans le canal de Syrie pour surveiller Idlib et faire respecter les lignes fixées par le Président de la République en cas d’emploi d’armes chimiques. J’ai besoin de ces frégates pour défendre notre bastion et permettre à nos sous-marins nucléaires de se diluer dans l’océan, dans le golfe de Gascogne. J’ai besoin de ces frégates pour surveiller la sortie des sous-marins russes de leur propre bastion, dans l’Atlantique Nord. Vous le voyez, je suis à la limite de mes possibilités. Si j’augmente ma disponibilité technique opérationnelle, je me donne de la marge. Si je fais ce qu’a décidé la Ministre sur notre recommandation et à la demande du chef d’état-major de la Marine, je dote certains bâtiments de doubles équipages, afin de bénéficier au mieux de l’effet d’augmentation de la disponibilité de ces équipements et, là encore, je me redonne de la marge. Mais cela a une limite.

Une autre solution consiste à partager le fardeau, donc d’inciter nos partenaires européens à intervenir davantage avec nous. Nous avons évoqué quelques exemples. Nous essayons de le faire et nous continuerons d’essayer de le faire. Se posera ensuite la question globale du format, pas seulement le nôtre mais celui des Européens. Or j’observe que l’effort que nous faisons, nous Français, est important, puisqu’il atteindra 2 % du PIB en 2025, et que celui de nos partenaires européens est globalement insuffisant. Dans un monde qui se réarme, l’écart se creuse entre l’effort insuffisant des Européens et l’effort des compétiteurs auxquels nous risquons d’être confrontés demain.

 

M. Jean-Louis Thiériot. Ma question résulte d’échanges avec des membres d’unités de cavalerie lourde. Certains officiers estiment que si la protection sol-air est aujourd’hui relativement bien assurée, notamment par nos missiles Mistral, en revanche, en matière de protection sol-air à moyenne portée, la disparition des missiles de types Roland ou Crotale et le transfert de la mission à l’armée de l’air ne garantissent pas la protection de nos forces de mêlée en cas de conflits de haute intensité. Estimez-vous qu’il y a un trou dans la raquette ? Si oui, quelles réponses peuvent être apportées ? Les officiers de l’armée de Terre avec lesquels j’ai échangé m’ont indiqué que les moyens dont dispose l’armée de l’air sont sans doute suffisants pour protéger les bases mais qu’ils ne permettraient pas nécessairement de protéger des forces de mêlée.

 

Mme Séverine Gipson. Général, vous avez rappelé que nos armées sont largement déployées dans le monde. Si nous nous intéressons d’abord à leurs actions militaires, nos armées mènent aussi des actions civiles de développement. Comment celles-ci sont-elles choisies et coordonnées ? Par ailleurs, pensez-vous qu’il soit intéressant d’envoyer nos soldats dans les pays qui ne sont pas en guerre mais situés dans des zones instables ou concernées par des conflits – je pense au partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S) – afin de tisser des liens avec les populations et de mieux appréhender le terrain ?

M. Joaquim Son-Forget. Général, vous avez fait état de vos craintes de stricte suffisance de cette LPM en cas d’évolution défavorable de la situation géopolitique. Vous avez rappelé les difficultés des grands projets industriels à long terme, notamment en termes de concurrence intra-européenne sur les projets d’aviation comme sur d’autres et vous avez exprimé vos craintes en matière de munitions, en particulier de missiles. Dès lors, pourquoi nous inscrivons-nous dans une dynamique peu souveraine en matière de munitions, y compris de petit calibre nécessaire à l’entraînement et en cas de nécessité ? Dans ma circonscription, une entreprise est intéressée par la création d’une usine d’assemblage de munitions dans l’est de la France. Lors d’un rendez-vous à la DGA, ses responsables n’ont obtenu pour toute réponse qu’elle n’était pas intéressée par de tels projets. Pourtant, une dynamique d’emplois pourrait ainsi être créée.

 

Enfin, je vous remercie pour vos explications sur la question kurde, sujet sur lequel je travaille depuis longtemps. J’avais essayé de prévenir des amis du risque de survenue d’un tel scénario. Nos opérateurs sont censés obéir aux ordres et ne pas avoir d’états d’âme, mais que se passe-t-il dans leur tête quand ils sont contraints de se désengager, au regard des liens qu’ils ont noués avec les gens qu’ils ont formés et qui furent un temps des frères d’armes ?

 

M. Xavier Batut. Général, j’associe à ma question Jean-Jacques Ferrara, qui a été obligé de partir et qui lira attentivement votre réponse. Compte tenu de l’évolution de la situation au Burkina Faso et de la probable extension des opérations dans ce pays, pensez-vous que le CG5 Sahel soit arrivé au bout de l’exercice ? Le cas échéant, faut-il envisager une nouvelle structure mobilisant d’autres ressources face à la montée des périls dans la bande sahélo-saharienne ?

 

Général François Lecointre. Vous avez raison, le choix a été fait il y a quinze ans d’abandonner la capacité de défense sol-air d’accompagnement qui était assurée par les Roland, système de missiles à moyenne portés sur caisse blindée chenillée qui pouvaient accompagner dans la bataille, en particulier, le corps blindé mécanisé. En remplacement, nous avons essayé de développer la capacité d’accompagnement du système de défense sol-air à très courte portée Mistral, ce qu’il fait moins bien, puisqu’il ne peut se déplacer au rythme des blindés ni sur les mêmes terrains. De son côté, l’armée de l’Air avait conservé un système identique de courte portée, le système Crotale, conçu pour les bases aériennes et non pour le champ de bataille. Par ailleurs, nous disposons du système à moyenne portée SAMP/T, mis en œuvre par l’armée de l’Air. Les moyens dont nous disposons aujourd’hui en courte ou en moyenne portée, Crotale et SAMP/T, permettent de défendre les bases aériennes et les bases à vocation nucléaire dans le cadre du contrat opérationnel en matière de dissuasion, mais ils ne permettraient pas d’accompagner au combat une manœuvre mobile offensive d’un dispositif terrestre. Je le répète, il y a le pis-aller du missile sol-air à très courte portée (SATCP) et le choix qui a été fait tient à ce que nous considérons que nous avons ou que nous aurions la supériorité aérienne.

 

Vous avez raison, le phénomène drone change la donne, assez peu contre des véhicules blindés, mais ce que nous savons de l’attaque contre le site Aramco en Arabie Saoudite montre que des drones assemblés à partir de moyens récupérés dans divers endroits du monde peuvent menacer très sérieusement des dispositifs tactiques ou mobiles. Nous y réfléchissons. La question aujourd’hui est de déterminer la vraie menace dans la troisième dimension. Alors que j’étais raisonnablement couvert en très courte portée, moyenne portée et courte portée par une adaptation des procédés de la très courte portée, comment vais-je prendre en compte dans les années qui viennent la menace qui apparaît de plus en plus forte ? Je pense aux technologies « nivelantes » qui se retrouveront très prochainement sur les théâtres où nous sommes déployés, en particulier en Afrique. Nous lançons une réflexion sur ce thème.

 

Dites bien aux officiers que vous rencontrez que c’est à ce quoi ils doivent penser. Ils pensent Roland, défense sol-air courte portée d’accompagnement, des schémas que j’apprenais à l’école de guerre ? Tout cela est fini et la situation évolue très vite. Je comprends leur réflexion, elle est saine, mais ils doivent la resituer dans un cadre plus global de nouveaux entrants, de nouveaux mobiles dans la troisième dimension et de nouveaux moyens de menaces sur nos propres forces.

 

Madame Gipson, vous m’interrogez sur l’action civilo-militaire. J’ai évoqué et vous avez évoqué vous-même le P3S qui a été lancé par le Président de la République et pour lequel les Européens vont se mettre en ordre de marche afin de mieux coordonner leurs actions de développement civil. Je vous disais que j’essaie de mon côté, en m’appuyant sur le général Eberhard Zorn, le chef d’état-major des armées allemand, d’obtenir qu’à la charnière du civil et du militaire, nous coordonnions mieux nos efforts de coopération et de reconstruction de ces armées. Il s’agit à la fois de mieux coordonner nos actions dans un cadre bilatéral et de mieux coordonner nos actions bilatérales avec les actions européennes de type mission European union training mission in Mali qui fait de la formation de ces armées.

 

Par ailleurs, un travail est réalisé en coordination et en cadencement précis avec l’Agence française de développement (AFD), notamment dans l’opération Barkhane. Depuis plus d’un an, un conseiller de développement issu de l’AFD est placé aux côtés du commandant de l’opération Barkhane, qui a réussi à changer les esprits et les mentalités – il y avait sans doute une prévention contre les armées dans le monde du développement – et la vision qu’un projet de développement ne peut être qu’à très long terme. Les armées étaient soupçonnées de vouloir instrumentaliser l’aide au développement ou l’action civile pour mieux favoriser leurs objectifs militaires, ce qui n’est pas faux, puisque les deux sont très liés. Nous avons réussi à désarmer ces préventions et à obtenir que l’AFD, tout en continuant à développer des projets de très long terme, imagine avec nous de développer des projets de court ou de moyen terme permettant d’accompagner le retour de l’État au moment même où nous reconstruisons les forces et où nous battons l’ennemi. C’est en cours et fonctionne très bien. Nous essayons de le faire également avec les Maliens, non dans le cadre de Barkhane mais dans celui de la coopération renforcée que nous avons avec eux depuis quelques mois.

 

Monsieur Son-Forget, vous avez raison, nous avons renoncé à l’autonomie en matière de munitions de petit calibre. On ne peut pas tout faire. La DGA a choisi de se concentrer sur les technologies à haute valeur ajoutée et les armes et munitions complexes dans lesquelles nous introduisons des outils de géo-positionnement et d’autres éléments technologiquement en pointe. Je comprends les risques qui pèsent sur l’emploi et les difficultés que cela représente mais, de même que nous avons abandonné la filière des armements de petit calibre en France, il ne me paraît pas incohérent d’abandonner la filière des munitions de petit calibre. Même si l’armée de Terre a rencontré des problèmes avec des munitions de 5,56 mm il y a une dizaine d’années, ce qui nous avait conduits à saisir le DGA et à exiger une plus grande rigueur dans les marchés à l’étranger, je ne peux pas ne pas prendre en compte notre intérêt à concentrer nos efforts sur la technologie à haute valeur ajoutée, qui fait notre puissance.

 

Par ailleurs vous avez raison, il y a nécessairement une difficulté morale au désengagement.

Par définition, le soldat s’engage en fraternité. La France a fait et fait encore le maximum pour être auprès des Kurdes et retenir le plus longtemps possible ses Alliés auprès d’eux.

M. Batut m’a posé une question sur le Burkina Faso. Comme je l’ai dit tout à l’heure, le G5 Sahel ne répond pas spécifiquement à la situation du Burkina Faso. Il a vocation à travailler sur les frontières et sur des bandes de cinquante kilomètres de part et d’autre de chaque frontière, avec une force unique placée sous un commandement unique au niveau opératif et, au niveau tactique, sous des commandements de secteurs qui sont autant de frontières, pour coordonner étroitement l’action de bataillons dédiés à cette force. Même si, demain, la force conjointe G5 Sahel, qui bénéficie d’un équipement et d’un effort financier particuliers des Européens, devient très opérationnelle, cela ne résoudra pas le problème du Burkina Faso et de l’extension de la crise à d’autres zones que celle dans laquelle elle était confinée au départ. Vous avez raison, il faut poursuivre nos efforts, mais en travaillant sur les armées nationales. Elles doivent se consolider. Nous devons poursuivre nos efforts pour le G5 Sahel bien sûr et par l’ONU. C’est ce que nous faisons dans le cadre du CJSOTF, en imaginant des coalitions ad hoc permettant l’engagement de plus d’Européens dans ce combat. Je ne vois pas comment imaginer une organisation spécifique, comme M. Kaboré et M. Issoufou l’ont réclamée. En tout cas, je n’arrive pas à fédérer les Européens dans une sorte de coalition internationale antiterroriste spécialement dédiée à ces pays. En réalité, cette coalition internationale existe déjà. L’ONU est présente. Elle a rappelé récemment, à l’occasion du renouvellement de son mandat, la priorité à accorder au centre du Mali, la zone à partir de laquelle s’opère la contagion au Burkina Faso. Nous mettons sur pied le CJSOTF qui aura vocation à agir aussi au nord du Burkina Faso. Je ne vois pas ce que nous pourrions créer de nouveau, mais nous poursuivons nos efforts.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, général, pour ces éclairages nombreux et importants que vous nous avez apportés.

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La séance est levée à vingt et une heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, M. Jean-François Parigi, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Joachim Son-Forget, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Sylvain Brial, M. Alexis Corbière, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Thierry Solère

 

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Warsmann