Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Parly, ministre des Armées et de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées.


Vendredi
17 avril 2020

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 41

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à quinze heures cinq.

Mme la présidente Françoise Dumas. Madame la ministre, Madame la secrétaire d’État, nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation et que cette audition en visioconférence – une première pour la commission de la défense – soit retransmise en direct sur le portail de l’Assemblée nationale afin que nos concitoyens soient directement informés du soutien qu’apportent les armées dans la lutte contre le Covid-19 et de la façon dont la crise sanitaire affecte leurs moyens et leurs actions.

Je tiens au préalable à rendre hommage à l’adjudant-chef Olivier Michel et le brigadier Vincent Monguillon du cinquième régiment d’hélicoptères de combat, victimes d’un crash hier, lors d’une mission d’entraînement. Cinq de leurs camarades ont été blessés. À leurs familles, à leurs frères d’armes, particulièrement ceux du 5e RHEC, déjà durement éprouvé, je présente au nom de mes collègues toutes nos condoléances.

Mes pensées vont à tous les militaires qui ont répondu présent pour soulager les hôpitaux civils, transférer les malades, rechercher des solutions innovantes ou venir en aide aux outre-mer par l’envoi de deux porte-hélicoptères. Le service des santés des armées a su s’adapter, notamment à Mulhouse où il a réalisé un magnifique exploit. Enfin, je salue nos collègues élus engagés dans la réserve sanitaire et ceux touchés par le virus.

L’opération Résilience, qui assure la coordination des moyens militaires, porte bien son nom : cette capacité à résister aux chocs et aux attaques, à les surmonter et à continuer d’aller de l’avant. Cette opération s’ajoute aux missions traditionnelles des armées, dans le cadre des opérations extérieures ou pour la permanence de la posture nucléaire. J’ai aussi une pensée pour ces militaires éloignés de leurs familles confinées sur le sol national.

Demain, ce sera à notre tour d’appuyer nos armées et de veiller attentivement à ce qu’elles disposent de tous les moyens pour assurer leurs missions. L’investissement dans la défense contribue à protéger la France et les Français contre les menaces, et cette crise peut même en aggraver. L’apport de nos industries de défense sera également décisif après le déconfinement pour soutenir la relance de notre économie. Tout euro qui y sera investi, loin d’affecter négativement la balance commerciale, peut avoir un effet démultiplicateur sur l’économie nationale. La commission de la défense sera attentive à ce que le budget des armées soit préservé : il serait absurde d’opposer le sanitaire et le militaire. Demain comme aujourd’hui, ils sauront aller de pair.

L’actualité concerne les marins du Charles de Gaulle, dont vous avez pris la décision d’anticiper le retour. Les éléments du groupe aéronaval ont rejoint leurs bases et les marins ont été pris en charge par le service de santé des armées, sous le contrôle des préfets maritimes de l’Atlantique et de la Méditerranée. Les opérations de désinfection des aéronefs et des bâtiments de surface sont réalisées en lien avec les industriels. Un tiers des 1 767 marins testés serait atteint par le Covid-19. Certains sont encore hospitalisés, dont un en réanimation. Pouvez-vous nous donner de leurs nouvelles ? Qu’en est-il de ceux autorisés à observer une période de confinement à domicile ? En sait-on davantage sur l’origine de la contamination ? Comment le virus a-t-il pu circuler aussi largement au sein de l’équipage ?

Mme Florence Parly, ministre des armées. Nous tenons également à rendre hommage à l’adjudant-chef Olivier Michel et au brigadier Vincent Monguillon. Chaque jour, à l’entraînement ou en opération, nos soldats, marins et aviateurs risquent leur vie pour défendre la France et protéger les Français. Leurs cinq camarades blessés ont été immédiatement pris en charge par les hôpitaux de Toulouse et de Tarbes, et j’en remercie le personnel soignant et les secours, déjà très fortement sollicités.

Je vous adresse également tous mes vœux de santé. La maladie est entrée dans votre quotidien d’élu et nos concitoyens vous interrogent. Dès les prémices de cette crise, les armées se sont mobilisées, en France comme à l’étranger, contre l’épidémie, malgré l’épidémie, pour soutenir nos concitoyens, en particulier nos personnels de santé et les plus vulnérables.

Le Covid change-t-il nos plans et nos prévisions ? Oui, nous devons bien sûr nous adapter à cet environnement inédit. Le Covid nous dévie-t-il de nos objectifs et de nos missions ? Non. Le Covid n’ôte rien à l’urgence des combats que nous menons pour les Français, ni à notre détermination, pas plus qu’il ne fait disparaître les menaces, Daech ou Al Qaïda. Le virus pourrait même être saisi comme une opportunité par ces groupes terroristes, ne serait-ce qu’à des fins de communication : c’est déjà ce que fait Boko Haram pour déstabiliser les États du Sahel. N’oublions pas non plus que Daech et Al Qaïda ont depuis longtemps manifesté un intérêt pour les armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC), et particulièrement leur composante biologique.

Mais nous ne nous laisserons pas distraire. La lutte contre le terrorisme reste ma priorité. C’est pourquoi Résilience est bien distincte de Sentinelle, et c’est pourquoi nous maintenons notre engagement au Sahel et au Levant, avec près de 6 000 personnes. Notre combat ne faiblit pas, il s’adapte aux circonstances. Au Sahel, les unités ont été relevées en février, juste avant que la crise ne touche la France. Le mandat actuel pourrait être prolongé d’un ou deux mois au besoin. La relève du poste de commandement de la force Barkhane est intervenue plus récemment, avec des mises en quatorzaines dès le départ.

Nous maintenons la pression sur les terroristes et nous continuons à accompagner nos partenaires au combat dans la région des trois frontières : les terroristes sont frappés durement et régulièrement, comme nous nous y étions engagés lors du sommet de Pau. Du coup, les forces armées des pays du G5 Sahel s’affermissent à nos côtés et reprennent confiance face à la menace. Il est essentiel de pérenniser ces résultats encourageants. Nous avons lancé officiellement la task force Takuba le 27 mars dernier. Malgré l’épidémie, la coalition pour le Sahel tient bon. Nos alliés européens sont toujours présents à nos côtés, preuve que l’Europe de la défense est solide et solidaire, même en temps de crise. Reste à savoir comment le continent africain absorbera l’épidémie. La France a pris des initiatives multilatérales importantes pour soutenir les pays africains les plus pauvres, et il n’est pas exclu que nous fassions évoluer nos modes d’action.

Au Levant, l’épidémie et la montée des tensions entre les Américains et les milices chiites en Irak ont conduit les forces irakiennes à suspendre les activités de formation. Nous avons donc rapatrié nos formateurs il y a deux semaines. Cette suspension est temporaire : notre objectif reste de défaire durablement Daech au Levant. Nous disposons toujours de capacités de surveillance et de frappes, en coordination avec les Américains et les Britanniques. La base aérienne H5 en Jordanie est toujours opérationnelle et nos avions volent tous les jours. Au Liban, la force Daman, au sein de la FINUL, a effectué ses relèves avant la crise.

Dans le Golfe, en revanche, nous avons été contraints d’en repousser certaines du fait de la fermeture des frontières. C’est le cas des quelques dizaines de militaires déployés au Koweït et de la task force Jaguar en Arabie Saoudite.

En mer, la mission Agénor de surveillance maritime dans le détroit d’Ormuz se poursuit avec les Néerlandais, avec un seul point d’appui à Abou Dhabi, les autres ports de la région ayant progressivement fermé. Seule l’opération Corymbe, dans le Golfe de Guinée, a été suspendue : la fermeture des ports de la région ne nous a pas laissés d’autre choix. Nous discutons avec un des pays riverains pour obtenir l’autorisation d’organiser des escales techniques.

Les autres opérations se poursuivent au prix d’adaptations temporaires, et notamment des quatorzaines systématiques avant le départ en mission. La santé de nos militaires étant le nerf de la guerre, notre stratégie est simple : prendre en charge tout militaire déployé dès l’apparition de symptômes.

L’état de santé des marins du porte-avions Charles de Gaulle me tient particulièrement à cœur : quand on est ministre des armées, on a charge d’âmes. 1 760 marins étaient à bord du porte-avions depuis le 21 janvier : d’abord engagés dans l’opération Chammal en Méditerranée orientale, ils ont ensuite participé à plusieurs exercices multinationaux et à la protection des approches maritimes européennes en Atlantique nord et en mer du Nord – leur mission devait se poursuivre jusqu’au 24 avril. Mais, le 7 avril, j’ai été informée par le chef d’état-major de la marine de la présence de trente-six cas symptomatiques à bord. J’ai aussitôt pris la décision de mettre fin à la mission du porte-avions et d’anticiper le retour du groupe aéronaval. Le même jour, j’ai ordonné l’envoi immédiat d’une équipe du Centre d’épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA) pour réaliser une enquête et une première série de tests.

Dès le 8 avril, cette équipe a réalisé une soixantaine de tests à bord, dont cinquante se sont révélés positifs. Sur ses conseils, trois marins ont été évacués le 9 avril et l’un d’eux est toujours en réanimation. Parallèlement, nous avons commencé à organiser la manœuvre de débarquement sanitaire, en lien avec les autorités locales de Toulon. Les marins de toutes les unités – le porte-avions, les frégates, le pétrolier ravitailleur, état-major embarqué, aéronefs – ont regagné leur base, les avions et hélicoptères dès le 11 avril, les bâtiments les 12 et 13 avril. Les marins du porte-avions et de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul sont confinés au sein de la base navale de Toulon, du pôle Écoles Méditerranée de Saint-Mandrier et de la base d’aéronautique navale d’Hyères. Les pilotes ont été pris en charge et confinés pour quatorze jours sur leur base aéronavale : Hyères pour les hélicoptères, Lann-Bihoué pour les Hawkeye, Landivisiau pour les Rafale. En raison des résultats négatifs de l’enquête épidémiologique, l’équipage de la frégate anti-sous-marine La Motte-Piquet basée à Brest a été autorisé à effectuer son confinement à domicile.

Pour les mêmes raisons, deux groupes ont été différenciés au sein de l’équipage du bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme : une centaine de marins négatifs ont été autorisés à effectuer sa période de confinement à domicile, tandis qu’une soixantaine de « cas contacts » restent confinés par précaution au centre d’instruction navale de Brest.

Cette campagne de tests sans précédent se poursuit : 2 010 tests ont permis de détecter 1 081 marins positifs ; tous les résultats ne sont pas encore connus. Cinq cent quarante-cinq marins présentent des symptômes. Ils sont tous sous surveillance médicale étroite du service de santé des armées et vingt-quatre sont hospitalisés à l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne de Toulon, dont un en réanimation.

La situation est complexe car beaucoup de personnes infectées n’ont pas ou peu de symptômes ; la détection n’est pas simple et la situation est très évolutive. Au fur et à mesure de la campagne de tests, nous adaptons les conditions de logement des marins, en isolant dans une chambre seule chaque marin négatif et en logeant deux par deux les marins positifs ne nécessitant pas d’hospitalisation, afin de garantir une surveillance mutuelle.

Geneviève Darrieussecq se rendra en début de semaine prochaine à Toulon pour apporter notre soutien aux marins et s’assurer de leur bonne prise en charge. Le navire sur lequel continuent de se relayer trois équipes de service est décontaminé par une équipe du deuxième régiment de dragons de Fontevraud. Nous en sommes à 30 % du chantier.

La maladie, le confinement sont des épreuves supplémentaires, au retour d’une mission exigeante dont nos militaires peuvent être très fiers. Mais il fallait les protéger ainsi que leurs familles. Pour ce qui est de l’origine de la contamination, l’enquête épidémiologique en cours retracera le cheminement du virus jusqu’au porte-avions. Une enquête de commandement établira les décisions prises par les différents acteurs et permettra de tirer les enseignements de la gestion de l’épidémie.

Plusieurs hypothèses sont à l’étude : le porte-avions a fait escale à Brest entre le 13 et le 16 mars, juste avant le début du confinement en France, un mois après l’escale effectuée à Limassol, à Chypre, du 21 au 26 février. Cette escale a été maintenue sur décision du commandement opérationnel de la marine nationale pour des raisons logistiques mais aussi de régénération de l’équipage, très sollicité.

Le commandant du porte-avions a-t-il souhaité interrompre la mission lors de cette escale ? Cette rumeur est fausse. Elle a été démentie par le commandant puis, de façon publique, par le porte-parole de la marine nationale. Le commandement pouvait-il mesurer l’ombre portée de l’épidémie ? Les activités prévues lors de cette escale et la venue des familles à bord avaient été annulées. En revanche, les marins étaient autorisés à voir leur famille à terre moyennant certaines précautions. En pareille chose, il faut savoir rester humble : le commandement est un art difficile, les connaissances sur le virus et l’épidémie étaient alors limitées et les restrictions n’étaient pas encore en vigueur. Et nous ne savons toujours pas encore si le virus était présent à bord avant l’escale du 13 mars. L’enquête épidémiologique devra répondre à cette question et retracer l’enchaînement qui a conduit à la propagation du virus dans ce cluster si particulier. Parallèlement, l’enquête de commandement permettra de retracer les décisions prises et la manière dont les mesures prescrites ont été appliquées. Je souhaite qu’elles soient menées sereinement et sans parti pris. J’ai demandé que leurs conclusions soient rendues publiques, afin que tout un chacun puisse savoir exactement ce qui s’est passé, et que nous puissions collectivement tirer les leçons de cette situation inédite.

Nos armées sont fières, courageuses et résolument engagées dans la protection de nos concitoyens. Protéger la santé de nos forces est donc ma priorité car elle conditionne leur capacité à remplir leur mission au service des Français : protéger, défendre, dissuader. Je continuerai évidemment de suivre attentivement l’évolution de la santé de nos marins, comme je le fais chaque jour pour l’ensemble des personnels du ministère. La médecine des forces a récemment créé un service de télémédecine. Des consultations à distance sont organisées à destination du personnel civil et militaire du ministère, ainsi que de leurs familles ; je tiens à saluer cette initiative du service de santé des armées. C’est cet esprit d’innovation et cette rapidité d’exécution qui fonde la résilience de notre nation.

Notre enjeu collectif, c’est que la nation reste debout. Cette crise nous a plongés dans l’inconnu mais, pour les armées, l’inconnu ne signifie pas l’inattendu. La capacité d’adaptation dont nos militaires savent faire preuve au quotidien, notamment en opération, est particulièrement utile dans la lutte contre le Covid-19. L’opération Résilience, lancée le 25 mars par le Président de la République a pour but d’apporter de la cohérence, de la coordination et du commandement à l’ensemble de nos missions ; elle s’articule autour de trois piliers essentiels.

Premièrement, le soutien médical et sanitaire : les opérations de vol MORPHEE, les vols médicalisés d’hélicoptères de l’armée de terre et de l’armée de l’air, l’évacuation de patients par le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre.

Deuxième pilier : le soutien logistique. Le PHA Mistral est arrivé hier à Mayotte avec plusieurs centaines de tonnes de fret, dont des denrées alimentaires et du matériel médical. Le PHA Dixmude est en train d’accoster à Saint-Martin, aux Antilles.

Troisième pilier : les missions de surveillance et de protection. Trente-cinq missions en cours pour protéger des entrepôts contenant du matériel médical ou pour dissuader des pillages.

L’opération Résilience a accompli 284 missions au total, soit douze missions par jour. Elle a ainsi permis le déplacement de 143 patients et de 152 soignants sur le territoire et vers l’étranger pour soulager les hôpitaux les plus éprouvés ; 6 125 personnes ont été accueillies au titre du Covid-19 dans les hôpitaux d’instruction des armées ; plus de cinquante missions ont été réalisées pour la désinfection d’aéronefs ayant transporté des patients ou de bâtiments publics. Des équipes logistiques spécialisées ont été mises à disposition des agences régionales de santé dans neuf départements. Du matériel médical et sanitaire a été livré à des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), des centres hospitaliers et des établissements funéraires.

De son côté, la direction générale de l’armement (DGA) met son expertise technique et sa capacité d’innovation au service de la lutte contre le virus. Depuis la mi-mars, l’établissement de Vert-le-Petit, spécialisé notamment dans la protection biologique, s’est mobilisé pour contribuer à définir un cahier des charges de fabrication de masques grand public. À ce jour, près de 400 équipements ou matériaux ont été testés dans le laboratoire de la DGA, et les industriels produisent désormais massivement ces modèles. La DGA a également, à travers l’Agence de l’innovation de défense, apporté son soutien financier à plusieurs PME proposant des tests de diagnostics virologiques ou sérologiques.

Avant de répondre à vos questions, il me semble essentiel de vous dire quelques mots sur l’Europe. Nous sommes tous, et tous en même temps, éprouvés par cette crise. Nos pays sont dans leur majorité confinés et, à l’heure où certaines puissances sont tentées d’instrumentaliser cette crise pour renforcer leur emprise, nous nous montrons soudés. Je suis fière que nous défendions la coopération plutôt que le repli sur soi, la solidarité européenne plutôt que l’oubli de nos partenaires.

La solidarité européenne s’est exprimée à de nombreuses reprises : ainsi, l’Allemagne, le Luxembourg, l’Autriche et la Suisse ont accueilli dans leurs hôpitaux des patients français. J’échange très régulièrement avec mes homologues, ainsi qu’avec les membres de l’initiative européenne d’intervention (IEI). C’est dans le cadre de l’IEI que nous avons envisagé une coopération avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni dans les Antilles, puisque nos trois pays acheminent des moyens dans la région. Cela s’est traduit par la création d’une cellule de coordination tripartite basée à Fort-de-France. L’Europe est capable de créer des projets concrets pour défendre ses intérêts. Une task force a été mise en place pour accroître nos échanges sur la gestion de la crise du Covid-19. L’Union européenne devra jouer un rôle important pour nous aider à sortir de la crise et à progresser vers une Europe plus résiliente et plus souveraine.

M. Didier Le Gac. Il faut vous remercier, Madame la présidente, d’avoir pris l’initiative de cette audition : en temps de crise, l’activité du Parlement garantit la continuité de la vie démocratique et demeure le meilleur moyen de désamorcer les fake news qui minent la cohésion de notre pays.

Madame la ministre, l’origine de la contamination à bord du Charles de Gaulle restant une énigme, vous avez rapidement diligenté une enquête de commandement et une enquête épidémiologique. Dans quel délai leurs résultats seront-ils rendus publics ? Par ailleurs, et compte tenu de l’importance de ce porte-avions dans les missions de la marine nationale, pouvez-vous nous indiquer quand le Charles de Gaulle pourra enfin repartir en mer ?

M. Charles de La Verpillière. Je remercie chaleureusement les militaires qui participent à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’opération Résilience, notamment le régiment médical de l’armée de terre et le 68e régiment d’artillerie d’Afrique, stationnés dans l’Ain.

L’épidémie de Covid-19 révèle à quel point nos armées sont à la limite de la rupture, en tout cas en tension. L’armée française doit déjà mener de front deux opérations majeures : l’opération extérieure Barkhane et l’opération Sentinelle sur notre sol ; l’épidémie de Covid-19, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La contamination des marins du Charles de Gaulle entraîne son immobilisation pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois : contrairement aux Américains, nous n’avons pas d’autre porte-avions opérationnel. Lors de l’examen de la loi de programmation militaire 2019-2025, le groupe Les Républicains avait reconnu les progrès accomplis, tout en soulignant que l’armée française resterait vulnérable en cas de crise majeure. Or nous y sommes précisément : il faudra en tirer les conséquences.

Mme Josy Poueyto. J’aurai tout d’abord une pensée émue pour le 5e régiment d’hélicoptères de combat, cher à la ville de Pau et durement touché pour la deuxième fois. Je regrette que le confinement nous empêche de rendre à ces hommes et ces femmes l’hommage qu’ils méritent. Quand pourrons-nous le faire ? J’ai également une pensée pour les blessés, à qui je souhaite de se rétablir physiquement et moralement.

Ma question porte précisément sur les conditions dans lesquelles se tiendront les grands hommages nationaux à nos combattants, en particulier la fête nationale. Pensez-vous que les festivités du 14 juillet pourront être maintenues ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner des informations sur l’état de santé des pensionnaires de l’Institution nationale des Invalides (INI) et de la Légion étrangère ?

M. Joaquim Pueyo. Madame la ministre, vous avez fait preuve de la plus grande transparence : dès le 8 avril, vous avez su prendre les dispositions qui s’imposaient pour nos marins. Mais que s’est-il passé avant ? Vous nous avez assuré que les deux enquêtes que vous avez diligentées seront transparentes et rendues publiques, mais j’ai déjà été inspecteur durant ma carrière : j’ose espérer que chacun pourra s’exprimer sans trop de difficultés. Quelle durée avez-vous prévu pour garantir tout à la fois la rapidité des résultats et un travail en profondeur ? Par ailleurs, vous avez rappelé l’exemplaire mobilisation des armées. Une prime est-elle prévue pour les militaires engagés dans la lutte contre l’épidémie ?

Mme la ministre. Nous nous sommes fixé un délai de deux semaines pour la restitution des conclusions des deux enquêtes, à tout le moins pour faire un point d’étape.

Le retour à la mer du Charles de Gaulle était initialement planifié pour le 24 avril ; il était prévu d’accorder des permissions et d’effectuer des opérations de maintenance et maintien en condition opérationnelle (MCO). Ces activités étant désormais précédées d’une quatorzaine pour l’équipage et d’une décontamination du navire, on pourrait l’envisager à partir du mois de juin.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. En raison du confinement, les cérémonies mémorielles du 26 avril, pour la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation, ainsi que celles du 8 mai sont évidemment annulées dans chaque département, d’autant que les anciens combattants et les porte-drapeaux sont particulièrement exposés. Je déposerai, seule, des gerbes le 26 avril, au Mémorial de la Shoah et au Mémorial des martyrs de la déportation à Paris. Le 8 mai, une cérémonie sera organisée dans un format particulier et sera retransmise dans la France entière mais il n’y aura pas de cérémonies locales. Concernant le 14 juillet, rien n’est encore arrêté : la décision sera prise en fonction de l’évolution de la situation sanitaire.

Les pensionnaires de l’Institution nationale des invalides (INI) sont confinés depuis de très nombreuses semaines : ils vont bien et il n’y a pas de cas de contamination parmi eux ; il en va de même pour les pensionnaires de l’Institution des invalides de la Légion étrangère.

Pour les anciens combattants, j’ai chargé l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC) de mener des actions départementales au plus près de ses ressortissants. L’ONAC passe environ 1 500 appels téléphoniques par semaine pour soutenir les anciens combattants les plus fragiles ; il a également débloqué pour eux un fonds de solidarité, avec des dossiers beaucoup moins lourds à monter. Nous portons donc une attention soutenue à tous nos anciens combattants.

Enfin, nous devrons nous contenter de rendre un hommage très sobre aux deux militaires du 5e RHC qui viennent de trouver la mort dans des circonstances dramatiques. Bien sûr, une cérémonie plus solennelle pourra être organisée ultérieurement ; en attendant, nous ne pouvons que nous associer à la douleur des familles et leur témoigner notre attention.

Mme la ministre. Les deux enquêtes relatives au Charles de Gaulle seront conduites de façon distincte : l’enquête de commandement sera effectuée conjointement par l’inspection de la marine et le service de santé des armées, l’étude épidémiologique par des experts du centre d’épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA).

Les personnels de santé des armées, de même que les personnels civils et militaires du ministère des armées, ont évidemment vocation à bénéficier des primes annoncées par le Premier ministre pour ceux qui se sont trouvés en première ligne.

M. Olivier Becht. En tant qu’élu du Haut-Rhin, je remercie les services des armées pour la mise en place de l’opération MORPHEE et le déploiement d’un hôpital de campagne à Mulhouse, qui nous ont permis de faire face à l’afflux massif de patients en réanimation. On a déploré très peu de décès au sein de cette unité de réanimation, et aucun cas de contamination du personnel, preuve de son travail remarquable.

Pensez-vous qu’il soit possible de dupliquer ce type d’opération ? Je sais qu’une partie de l’hôpital va être reconditionnée et pourra être redéployée, mais dispose-t-on d’autres unités déployables en d’autres points du territoire où la situation sanitaire devient tendue, notamment outre-mer ?

M. Yannick Favennec Becot. Après une offensive particulièrement dure de Boko Haram près du lac Tchad, l’armée tchadienne a dû intervenir au Tchad, mais aussi au Nigeria et au Cameroun. Pouvez-vous nous dire quelles sont les conséquences de ces opérations pour la zone des trois frontières ?

M. Bastien Lachaud. Je me félicite d’apprendre que les enquêtes épidémiologiques portant sur le Charles de Gaulle seront rendues publiques : en ferez-vous de même pour celle concernant la base de Creil, ce qui permettrait de faire taire les rumeurs ?

Il a semble-t-il été décidé que le Dixmude mettrait deux semaines au lieu d’une habituellement pour traverser l’Atlantique, afin de permettre à l’équipage d’effectuer sa quatorzaine durant cette période. Mais est-on certain que ces deux semaines de confinement seront suffisantes pour garantir qu’aucun des marins ne sera contagieux ?

M. André Chassaigne. À l’initiative de l’agence de l’innovation de défense (AID), la DGA a publié le 19 mars un appel à projets visant à lutter contre la pandémie dans les domaines de la protection des personnes, de la prise en charge médicale, de la détection de virus dans l’environnement ou encore de la facilitation du déploiement d’hôpitaux de campagne. Au-delà de la lutte contre le Covid-19, les projets retenus pourront également servir à faire face aux conséquences de l’utilisation de l’arme bactériologique dans un conflit. Cette opération coûtera 10 millions d’euros, ce qui peut sembler beaucoup par rapport aux 3 millions d’euros mobilisés par l’agence nationale de la recherche, mais ne représente que dix-huit heures de dépense de dissuasion nucléaire. Des projets ont-ils été repérés, sinon retenus, et dans quels domaines ?

Enfin, pouvez-vous nous dire si certains personnels des bâtiments qui accompagnaient le Charles de Gaulle dans sa mission, notamment ceux de la Somme et de La Motte-Picquet, ont été contaminés ?

Mme la ministre. Si le déploiement de l’élément militaire de réanimation (EMR) a constitué une prouesse, il a surtout rendu un immense service aux patients et aux soignants du Grand-Est en permettant de desserrer la pression sur l’hôpital de Mulhouse. Cet hôpital de campagne d’une capacité de trente lits, qualifié le 19 mars, a commencé à être monté le 21 mars par le régiment médical de l’armée de terre et a été opérationnel dès le 24 mars. Depuis, il a accueilli quarante-trois patients, dont treize sont toujours en attente de leur transfert vers une unité de sevrage en ventilation. Un module de dix lits désormais inoccupés a été décontaminé et est en cours de démontage ; une fois reconditionné, il pourra ensuite être redéployé, en concertation avec le ministère des solidarités et de la santé. Aucune décision n’a encore été prise sur sa future affectation, mais il est bon de savoir que nous pourrons y recourir en cas de besoin.

L’armée tchadienne est engagée sur de nombreux fronts : contribuant à la MINUSMA au nord du Mali, elle est également présente au sein de la force conjointe du G5 Sahel et de la force multinationale mixte aux côtés du Niger, du Nigeria et du Cameroun, face à Boko Haram. En mars dernier, après qu’elle a perdu près de 100 soldats à Bohoma, le président Idriss Déby a déclenché l’opération « colère de Bohoma » : grâce à l’engagement de 3 000 hommes, le Tchad aurait neutralisé plusieurs centaines de terroristes, ce qui devrait permettre de stabiliser la zone du lac. Nous sommes évidemment aux côtés du Tchad qui a prévu d’engager un bataillon au Niger, dans la zone des trois frontières, au sein de la force conjointe du G5 Sahel.

L’enquête épidémiologique sur la base de Creil, réalisée avec le concours des armées, n’est pas terminée ; mais dans la mesure où elle est conduite par la direction générale de la santé et ce n’est pas à moi de décider si ses conclusions doivent être rendues publiques.

Si le Dixmude a mis quatorze jours à traverser l’Atlantique, c’est effectivement pour permettre à l’équipage d’effectuer une quatorzaine complète : il a adapté sa vitesse en conséquence. Je précise que seule une petite partie de l’équipage débarquera, et après avoir fait l’objet d’un test. La santé de nos militaires est au cœur de nos préoccupations, pour eux-mêmes et pour la protection sanitaire des populations sur le territoire desquelles ils pourraient évoluer.

Au 12 avril, date de clôture de l’appel à projets lancé par l’AID, 2 500 dossiers avaient été déposés. Parmi les 550 projets retenus, certains ont déjà fait l’objet d’un premier financement. C’est le cas du projet de dépistage sanguin rapide de la PME NG Biotech, que nous avons financé à hauteur de 1 million d’euros, tout en commandant des tests. Nous avons également soutenu, à hauteur de 1,8 million d’euros, un projet d’automate mobile, modulaire et connecté, développé par la TPE BforCure, qui permet de dépister une infection en moins de trente minutes. Les commandes seront passées très rapidement.

Pour ce qui est des bâtiments accompagnant le Charles de Gaulle, les marins de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, mis en quatorzaine, sont pris en charge par le service de santé des armées à proximité de Toulon. La frégate anti-sous-marine La Motte-Picquet et le bâtiment ravitailleur Somme sont rentrés à Brest. Compte tenu des résultats négatifs de l’enquête épidémiologique effectuée à bord de la première avant qu’elle ne touche terre, ses personnels ont été confinés à terre. Les résultats de l’enquête à bord de la Somme ont conduit à répartir ses personnels en deux groupes : une centaine de marins testés négatifs ont été autorisés à rester confinés à domicile, tandis qu’une soixantaine d’autres, identifiés comme des cas contact, ont été confinés par précaution au centre d’instruction navale de Brest.

Mme Patricia Mirallès. J’adresse mes pensées émues aux familles et aux camarades des deux soldats du 5e RHC qui ont récemment trouvé la mort.

Comme vous, Madame la ministre, j’estime qu’un militaire doit être en bonne santé pour accomplir sa mission, et que l’engagement de nos forces contre le coronavirus est essentiel. Alors que cette épidémie menace le monde entier, un autre fléau perdure, celui du terrorisme, que nos forces combattent en de nombreuses régions du monde, notamment au Sahel et au Levant dans le cadre des opérations Barkhane et Chammal. Les États africains déjà fragilisés voient eux aussi ce virus affaiblir davantage leur structure politique et sociale. Au Sahel, l’opération Barkhane contribue à déconstruire les nœuds terroristes qui prolifèrent et à maintenir la stabilité institutionnelle des États souverains. Quelles dispositions sont prévues pour garantir à nos soldats en OPEX leur propre sécurité sanitaire ? La mise en condition finale (MCF) leur permet-elle de maîtriser les gestes et les connaissances essentielles pour éviter d’être contaminés ?

M. Jean-Michel Jacques. Si nos armées font actuellement preuve de résilience, après la crise viendra le moment du renouveau et du retour d’expérience. Premier investisseur de l’État, le ministère des armées aura un rôle essentiel à jouer dans la relance économique de notre pays. Y voyez-vous l’occasion de faire davantage appel aux sociétés françaises et de revoir notre façon d’aborder le maintien en condition opérationnelle (MCO), que vous avez largement amélioré mais qui mérite toujours une attention particulière, au moment où nos hélicoptères et nos A400M sont déployés sur différents théâtres d’opérations ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Quel est l’impact de l’épidémie sur la préparation opérationnelle et sur le calendrier des relèves ? Quelles mesures ont été prises pour accompagner les familles confrontées à un allongement des absences ?

Peut-on envisager une participation logistique des armées à l’acheminement d’équipements de protection individuelle ou d’autres types de matériels en Corse ?

M. Jean-Charles Larsonneur. J’ai une pensée particulière pour les marins confinés de la Somme et de La Motte-Picquet, ainsi que pour nos pilotes de l’aéronavale, à Lann-Bihoué et Landivisiau. Mais qu’en est-il de la protection des équipages des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) ?

Quel doit être le rôle de l’industrie de défense dans la relance de l’économie ? Peu délocalisable et bénéficiant d’un très bon multiplicateur keynésien – nous importons peu dans ce domaine –, cette industrie semble pouvoir jouer un rôle fondamental, ce qui se confirmera sans doute l’année prochaine, dans le cadre de l’examen de la loi de programmation militaire.

Mme Sereine Mauborgne. Ma question est à la fois celle d’une commissaire à la défense et celle d’une soignante. Les personnels de santé du Grand-Est et de l’Île-de-France étant confrontés à des décès massifs en réanimation, je me demande si l’armée de terre, qui a fait ses preuves dans la prévention du risque post-traumatique, ne pourrait pas être aux avant-postes dans la création de sas de protection du stress post-traumatique. Ce dispositif a fait ses preuves sur nos soldats revenant de mission ; nos soignants pourraient ainsi passer d’un sas de mort à un sas de vie.

M. Claude de Ganay. La pension afférente au grade supérieur (PAGS) empêche les sous-officiers et les officiers ayant quitté les armées de rejoindre la réserve opérationnelle mobilisée dans la lutte contre l’épidémie. Philippe Gosselin avait déposé l’an dernier une proposition de loi visant à permettre le cumul afin de valoriser la garde nationale en disposant d’un vivier de personnes compétentes sans être forcément âgées. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, les personnes sous engagement à servir dans la réserve (ESR) qui se trouvent éloignées de leur lieu d’affectation du fait du confinement regrettent de ne pas être plus sollicitées pour travailler sur des dossiers qui ne seraient pas à caractère confidentiel : ne pourrait-on remédier à cette situation ?

M. Philippe Folliot. Déjà fragile, l’outre-mer craint le pire. Si la solidarité entre territoires joue dans l’hexagone – nous l’avons vu avec les transferts de patients assurés par l’armée –, elle est très difficile à mettre en œuvre dans ces départements et collectivités éloignés. Certes deux bâtiments sont déjà sur place et un A400M est prévu pour la Polynésie. Est-il prévu une montée en puissance des moyens de secours s’ils sont confrontés à une aggravation de l’épidémie ? Des mécanismes de solidarité avec les pays voisins sont-ils envisagés afin d’assurer un soutien mutuel ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Le ministère de l’intérieur a communiqué sur l’emploi d’une part réduite de ses réserves opérationnelles, notamment pour la protection des bureaux de poste. Compte tenu des besoins liés au confinement et de la nécessité de relever nos forces actives sur le long terme, j’aimerais avoir des précisions sur la stratégie d’emploi de la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) mais aussi de deuxième niveau (RO2), Je mets à part le grand vivier que constituent les réservistes du service de santé des armées qui rendent compte de leurs disponibilités à leur commandement.

Mme Florence Morlighem. Déploiement de l’élément militaire de réanimation à Mulhouse, accueil des personnes atteintes du Covid-19 dans les huit hôpitaux d’instruction des armées, engagement des internes et des élèves de l’École du Val-de-Grâce, gestion du numéro vert « Écoute Défense », mobilisation des réservistes : le service de santé des armées, avec ses 14 800 membres, dont 2 400 médecins, joue un rôle primordial dans la crise sanitaire. Après vingt ans de baisse continue de son budget, connaîtra-t-il une hausse de ses crédits dans le prochain PLF ? Un changement dans l’orientation de ses actions est-il envisagé pour l’après-crise ? « Plus rien ne sera comme avant » a dit le Président de la République…

M. Philippe Chalumeau. Mme la ministre ayant répondu par avance à mes questions sur l’Agence de l’innovation de défense, je me contenterai de rendre hommage à nos soldats disparus et de saluer l’engagement du service de santé des armées et son implication dans le déploiement du dispositif MORPHEE.

Mme la ministre. L’épidémie nous oblige évidemment à adapter nos méthodes d’entraînement. Grâce à des mesures préventives strictes – isolement, tests en cas de suspicion de contamination – nous sommes parvenus à préserver les périodes indispensables à la préparation opérationnelle avant tout départ en mission.

Pendant la phase de mise en condition finale, qui précède le déploiement en opération extérieure, nous veillons à ce que les unités concernées maîtrisent l’ensemble des savoir-faire techniques et tactiques indispensables, y compris le secourisme au combat. À cette occasion, les soldats répètent les gestes et procédures qui leur permettent de prévenir les contaminations.

Quant aux relèves, nous faisons tout pour qu’elles aient lieu à bonne date, notamment en mettant en œuvre des quatorzaines, mais il arrive que nous soyons amenés à nous adapter.

Y aura-t-il d’autres opérations de transport entre la Corse et le continent ? Dans le cadre de l’opération Résilience, les forces armées sont prêtes à répondre, dans la mesure de leurs possibilités, à toutes les demandes des autorités, formulées au plus près du terrain notamment par les préfets, leurs interlocuteurs naturels.

Les industries de défense ont fortement ralenti leurs activités depuis le début du confinement mais une reprise progressive permet d’assurer les opérations de MCO grâce auxquelles les évacuations de patients ont pu être effectuées dans les meilleures conditions.

Pour soutenir les petites entreprises, qui irriguent nos territoires et créent des emplois en France, le ministère des armées a décidé d’accélérer la liquidation et le paiement de toutes les factures de moins de 5 000 euros : depuis le 20 mars, nous avons traité 22 000 factures pour un montant de 23 millions d’euros. Nous réfléchissons à la manière de tirer le meilleur parti possible des commandes des armées, en fonction des capacités des entreprises, pour contribuer au redressement de l’économie française dans le cadre des crédits ouverts dans le cadre de la loi de finances initiale, puis dans celui de la prochaine loi des finances. Il s’agit aussi de consolider le principe de souveraineté qui était au cœur de la loi de programmation militaire et que nous promouvons à l’échelle européenne avec le Fonds européen de la défense

S’agissant des sous-marins, je n’ai pas pour habitude de communiquer sur les heures de départ des patrouilles ou les coordonnées GPS de nos bâtiments… Je peux seulement vous dire que nous prenons toutes les précautions possibles pour assurer la continuité de leurs missions. J’espère que vous comprendre et pardonnerez le caractère cursif de ma réponse.

Le Gouvernement porte une grande attention à l’outre-mer où les armées occupent une place particulière, entre forces de souveraineté et service militaire adapté (SMA). Le dialogue entre les différents commandements et les autorités civiles, préfets et hauts-commissaires, est intense. Porter secours à tous les Français où qu’ils se trouvent est un enjeu de solidarité nationale. Plusieurs actions ont déjà eu lieu dans le cadre l’opération Résilience et nous poursuivons la sécurisation du centre spatial guyanais et la lutte contre l’orpaillage illégal. Deux PHA sont mobilisés pour le ravitaillement en produits alimentaires, produits de santé et matériels, à Mayotte et aux Antilles – le Dixmude fera une boucle Saint Martin-Guadeloupe-Fort-de-France. Une partie de l’hôpital de campagne est en cours de reconditionnement en vue d’un éventuel redéploiement – son futur lieu de projection n’a pas encore été fixé. Nous nous tenons prêts à répondre aux autorités locales qui en exprimeraient le besoin.

Enfin, nous n’avons pas attendu l’épidémie pour remonter les moyens du service de santé des armées. Depuis 2017, loi de finances après loi de finances, nous avons revu à la hausse crédits et effectifs. Le SSA, au même titre que le système de santé public, doit tirer les enseignements de la crise. À ce stade, il est trop tôt pour savoir de quelle manière, mais il est au cœur de nos préoccupations.

Mme la secrétaire d’État. Chaque établissement hospitalier a déjà mis en place des cellules de soutien psychologique pour soulager les personnels en suractivité, mais s’il y a des demandes particulières, les armées sont bien sûr prêtes à partager leurs expériences et leurs compétences en ce domaine, notamment autour des sas de décompression qu’elle met en place pour les militaires de retour de missions éprouvantes, où ils réapprennent à vivre. Des échanges ont déjà lieu avec la médecine civile pour soigner les syndromes post-traumatiques : c’est d’ores et déjà une habitude bien établie.

Les réservistes opérationnels sont intégrés à l’armée d’active. Près de 4 000 d’entre eux sont employés chaque jour dont 1 000 pour la protection du territoire national. Le service de santé des armées a fait massivement appel à ses réservistes : près de 150 sont employés chaque jour depuis six semaines, notamment des anesthésistes, des réanimateurs et des infirmiers. Autre apport crucial de la réserve : le renforcement du niveau territorial, c’est-à-dire le soutien logistique et la protection des populations dans les zones de défense au plus près des demandes des préfets et des agences régionales de santé. Nos armées ne peuvent se passer de l’apport de la réserve mais elles parviennent à assurées toutes leurs missions ; nous n’envisageons donc pas de recourir à la réserve opérationnelle de deuxième niveau. Sa doctrine d’emploi correspond à des situations de mise en péril de la continuité de l’action de l’État et de la sécurité de la population, ce qui n’est pas le cas. Dans le domaine médical, rappeler les anciens personnels de l’armée pourrait avoir des conséquences sur les hôpitaux ou les cliniques où ils travaillent souvent après leur carrière militaire.

Nous nous attachons à protéger les compétences des réservistes qui doivent continuer à être formés et entraînés. Et nous veillons à préserver leur santé de la même manière que celle des militaires d’active.

M. Thibault Bazin. Grands dortoirs, sanitaires partagés, rampes communes : le Charles de Gaulle a été un lieu propice à la propagation du virus parmi ses 1 700 membres d’équipage. Mais ce cas est bien différent de celui du grand rassemblement évangélique en Alsace, en février dernier : les marins sont tous identifiés et il est possible de les tester afin de limiter les risques de contamination à leur retour. Envisagez-vous de mener une étude épidémiologique plus approfondie afin d’évaluer la contagiosité à bas bruit ? Est-il possible d’assurer le suivi d’autant de marins ? Comptez-vous avoir recours, au-delà des tests PCR, aux tests sérologiques ? Combien parmi les marins testés ont développé des symptômes alors que les résultats des tests étaient négatifs ? Je souhaite en tout cas prompt rétablissement à tous nos marins malades.

M. Fabien Gouttefarde. En Allemagne, des soldats de la Bundeswehr ont été mobilisés pour tester une future application de traçage permettant de lutter contre l’épidémie. Est-il envisagé de solliciter nos soldats pour la mise en œuvre technique de l’application Stop-Covid ?

M. Jacques Marilossian. La pandémie a un impact sur notre base industrielle de défense. Les chantiers navals sont à l’arrêt. Des actions spécifiques sont-elles prévues dans le budget pour 2021 pour relancer l’activité, par le biais de la construction des patrouilleurs, par exemple ? Envisagez-vous une révision de la loi de programmation militaire ?

M. Fabien Lainé. Que vous inspire le cynisme dont fait montre la Chine dans le cadre de sa politique d’influence en mettant en scène, en particulier en Afrique, ses livraisons de matériels, au demeurant souvent défectueux, pendant que nos hommes se battent dans des conditions dégradées ? On a même vu un de nos diplomates assister à ce genre de cérémonie en République centrafricaine. Assistons-nous aux prémices d’une nouvelle guerre froide dont les principaux acteurs ne seraient plus les États-Unis, mais les Chinois, sans cesse à la manœuvre ?

M. Jean-Louis Thiériot. Les conséquences économiques de la crise sanitaire risquent de rendre le monde plus dangereux et plus instable. Êtes-vous en mesure de nous assurer que les réorganisations budgétaires qui s’imposeront n’affecteront pas le budget d’investissement de nos armées ? La révision à mi-vie de la LPM ne sera-t-elle pas l’occasion de faire passer à la trappe des investissements qui n’auront pas pu être réalisés cette année ?

Mme Natalia Pouzyreff. Dans de nombreux pays, les armées ont été mises à contribution dans la lutte contre le virus. La survenance d’une crise sanitaire est-elle susceptible de figurer au rang des scénarios envisagés par les états-majors coopérant au sein de l’Initiative européenne d’intervention, créée en 2018 ? Une telle crise renforce-t-elle les arguments en faveur de l’instauration d’un Conseil de sécurité européen ? Des discussions sont-elles en cours à cet effet ?

M. Christophe Blanchet. La Chine a-t-elle réussi à neutraliser ou à diminuer nos capacités opérationnelles grâce à un virus ?

M. Alexis Corbière. Le Charles de Gaulle a fait escale à Brest du 13 au 17 mars. Le Président de la République a annoncé le confinement de la population dès le 16 mars. Sur la base de quels éléments précis a-t-on estimé que les risques de contamination n’étaient pas assez élevés pour retenir ce bâtiment à Brest ? N’étaient-ils pas déjà évidents ?

M. Louis Aliot. Existe-t-il des freins à l’emploi de la garde nationale dans le cadre de la pandémie ? Tous les militaires de la force Barkhane et plus généralement nos soldats présents en Afrique seront-ils testés pour éviter des déboires comparables à ceux du Charles de Gaulle ?

Mme Séverine Gipson. Comment la Délagation générale pour l’armement (DGA) et l’Agence Innovation défense accompagnent-elles notre base industrielle de défense dans la lutte contre le Covid-19 ? Quels sont les axes de recherche privilégiés dans les appels à projets ?

Mme Manuéla Kéclard-Mondésir. Les députés des outre-mer s’associent à vos hommages et votre soutien. Une partie seulement, avez-vous dit, de l’équipage du porte-hélicoptères Dixmude sera testée. Selon quels critères ? Cette information n’est pas sans susciter l’inquiétude aux Antilles. Quels sont les effectifs de cet équipage et combien seront au contact de nos populations ?

Mme la secrétaire d’État. La question de votre collègue Thibault Bazin est très pertinente : la propagation du virus à bord du Charles de Gaulle est un véritable cas d’école. Une étude épidémiologique complète sera très utile à maints égards sur le plan scientifique, non seulement pour les armées mais aussi pour la société civile. Encore faudra-t-il prendre le temps de la mener en profondeur, ne serait-ce que pour mesurer l’évolution de l’immunité.

Mme la ministre. Parmi les militaires qui participent à l’opération Barkhane et, de manière générale, aux opérations extérieures, ceux qui présentent des symptômes sont testés afin que nous puissions les prendre en charge de la manière la plus adaptée possible. Cela nous a d’ores et déjà conduits à procéder d’ores et déjà à quelques évacuations.

Seule une partie de l’équipage du Dixmude, soit une douzaine de marins – les équipages d’hélicoptères, les équipes de désinfection et un officier de liaison –, sera testée, parce que tous les autres membres de l’équipage ne viendront pas à terre et resteront confinés sur le navire.

Le ministère des armées n’a pas été sollicité pour tester l’application qui pourrait être utilisée à l’issue du confinement, et dont le développement se poursuit.

Nous allons examiner les éventuels retards, s’il y en a, que pourraient prendre certains programmes ainsi que leurs conséquences et nous étudierons, le cas échéant, la possibilité d’accélérer, en contrepartie, d’autres programmes. Mais nous y reviendrons ultérieurement, car nous n’avons pas encore une vision complète des retards que nos industries de défense seront capables de rattraper et de la montée en puissance qu’elles seront en mesure d’assurer dans les prochaines semaines.

Le ministère des armées dispose du premier budget d’investissement de l’État ; celui-ci est donc potentiellement un outil au service du soutien de notre économie. Mais il n’est pas temps de préjuger des arbitrages budgétaires. Nous nous inscrivons dans le cadre de la loi de programmation militaire ; nous verrons quelles leçons doivent être tirées de cette très grave épidémie ; je ne veux pas me prononcer par anticipation. En tout état de cause, nous avons à cœur de tirer le meilleur parti des outils dont nous disposons pour soutenir la base industrielle et technologique de défense.

Nos capacités opérationnelles ne sont en aucun cas neutralisées par ce virus. Certaines d’entre elles – je pense au Charles de Gaulle – peuvent être temporairement placées en décontamination ; pour le reste, nos forces continuent d’assurer la défense avancée de notre territoire en mer, sous les mers, dans les airs et sur terre. Les opérations extérieures au Levant et au Sahel se poursuivent activement.

Le Président de la République a indiqué ce matin que nous ne savions sans doute pas tout ce qui s’était passé en Chine. Le virus est d’abord une calamité, et non une arme ; il faut se garder, là encore, des procès inutiles.

Une réunion de l’Initiative européenne d’intervention s’est tenue fin mars. C’est dans ce cadre qu’est née l’idée de concevoir une coopération européenne dans les Antilles, regroupant la France, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. C’est un bon exemple de ce que nous pouvons faire concrètement ensemble en cas de crise. Nous avions déjà eu l’occasion d’intervenir conjointement avec les Pays-Bas en 2018, lorsque les ouragans avaient frappé les Bahamas. Nous n’avions peut-être pas imaginé le scénario d’une épidémie, mais nous avions prévu celui de catastrophes naturelles. L’Union européenne aura un rôle important à jouer au sortir de la crise.

Plus de 150 projets sont en cours d’instruction dans le cadre de l’appel à projets lancé par l’AID dès le 19 mars. Je rappelle par ailleurs le rôle très important joué par la DGA et son laboratoire NRBC de Vert-le-Petit en testant les textiles qui serviront à confectionner les masques grand public en cours de production. Nous nous sommes efforcés de mobiliser nos trésors d’expertise et de savoir-faire pour les redéployer au service des besoins les plus urgents de la nation.

Les bonnes décisions ont-elles été prises, notamment par le commandement de la marine nationale, s’agissant du départ du Charles de Gaulle de Brest ? Nous avons diligenté des enquêtes pour pouvoir répondre de manière précise à ces questions. Ce que je peux dire dès à présent, c’est que le porte-avions a quitté son escale de Brest le 16 mars au matin : le Président de la République n’est intervenu que le soir. Sa décision concernant le confinement n’était donc pas connue de l’équipage, non plus que de nous tous.

Geneviève Darrieussecq et moi-même nous tenons à l’entière disposition de votre commission. Un tel exercice est indispensable dans le contexte actuel.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, Mesdames les ministres, pour le temps que vous nous avez consacré, la clarté de vos réponses et votre honnêteté intellectuelle. Nous vous sommes tous reconnaissants pour ce magnifique exercice démocratique. Ceux de nos collègues qui n’ont pu intervenir aujourd’hui auront la priorité pour vous interroger lors de votre prochaine audition.

Nous allons reprendre un rythme de travail assez intense, puisque des auditions seront organisées chaque mercredi matin et des tables rondes se tiendront, tous les quinze jours, le jeudi après-midi.

 

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La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.

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