Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, de Mme la médecin général des armées Marilyne Gygax Généro, directrice centrale du service de santé des Armées (SSA)


Mercredi
22 avril 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à onze heures.

Mme la présidente Françoise Dumas. Générale, avant tout, je tenais à vous remercier, au nom de l’ensemble de mes collègues, d’avoir accepté de vous prêter à l’exercice inédit pour notre commission d’une audition par visioconférence.

Le Service de Santé des armées est aux avant-postes de la lutte contre l’épidémie du Coronavirus-Covid19 sur le territoire français, et ce avant même le lancement, le 25 mars dernier, de l’opération « Résilience ».

Dès le 17 mars, le SSA a été mobilisé suite à l’activation du kit MORPHEE.

Le déploiement, le 21 mars, d’un élément militaire de réanimation (EMR) près de Mulhouse a permis d’apporter un soutien, devenu vital, aux services de réanimation alsaciens submergés par la propagation de l’épidémie dans la région Grand-Est.

Depuis le lancement de « Résilience », le SSA poursuit son action, en métropole comme en outre-mer.

Les opérations de transferts de patients, auxquelles le personnel du SSA participe activement, se sont multipliées, par voie aérienne, ferroviaire, routière ou maritime ; en France et vers nos pays voisins et amis.

Par ailleurs, le SSA a activé ses huit hôpitaux d’instruction des armées, afin d’accueillir des patients atteints du Coronavirus-Covid-19. Ainsi, plus d’une centaine de lits ont été mis à disposition pour l’accueil de patients atteints par le virus.

Rapidement, le SSA a mobilisé ses personnels en formation et élèves pour apporter une aide, non négligeable, à l’effort commun. Dans ce cadre, les internes et élèves de l’école du Val de Grâce et des écoles militaires de santé de Lyon-Bron ont été appelés en renfort.

De plus, le SSA a non seulement mis à disposition du ministère de la Solidarité et de la Santé cinq millions de masques chirurgicaux conservés en stock, mais il a également permis de reconfigurer les chaînes de production de la Pharmacie centrale des armées afin de produire du gel hydro-alcoolique.

Enfin, et c’est sur cette note d’espoir que je tiens à clôturer mon énumération non exhaustive de l’exceptionnelle contribution du SSA, ses équipes contribuent actuellement aux actions de recherche d’un traitement, notamment au sein de l’Institut de recherche biomédicale des armées.

Au-delà de cette contribution indispensable, le SSA assure, en toutes circonstances, le soutien médical des forces armées et de la Gendarmerie, en métropole comme sur les théâtres d’opérations. L’épidémie n’a, malheureusement, pas épargné nos forces armées. Récemment, les premiers cas de Coronavirus-Covid19 ont été recensés au sein des effectifs de l’opération Barkhane. De même, le cas du porte-avions et, plus généralement du groupe aéronaval, est emblématique. Ces cas de contamination soulèvent de multiples questions auxquelles la ministre a déjà apporté quelques réponses ces derniers jours.

Notre première question portera donc sur votre appréciation de l’état sanitaire des armées, le nombre de soldats touchés par le virus et les moyens qui sont les vôtres pour leur apporter l’assurance de soins diligents et efficaces. Peut-être pourrez-vous nous apportez des compléments sur la façon dont le SSA a été amené à intervenir pour l’équipage du Charles-de-Gaulle. Nous serions intéressés également de connaître si l’Armée réfléchit à un plan de déconfinement qui lui soit propre.

Générale, la parole est à vous.

Mme Maryline Gygax Généro, directrice centrale du Service de santé des armées (SSA). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie vivement de me donner l’occasion de m’exprimer devant cette commission en cette période particulière durant laquelle le SSA est pleinement mobilisé face à un défi d’une ampleur inégalée : limiter les conséquences sur les forces armées d’une pandémie avec un virus inconnu il y a encore quatre mois, extrêmement contagieux, sans traitement préventif ou curatif découvert à ce jour, et qui peut, même si c'est rare, mener à des formes graves des sujets jeunes et a priori sans comorbidité comme nos soldats. Un virus à propos duquel les connaissances scientifiques évoluent quasiment de jour en jour.

Je voudrais commencer mon propos en m’associant à la peine de la famille et des camarades du militaire décédé il y a quelques jours, portant à 3 le nombre de décès au sein des forces armées et des civils de la défense.

Le soutien santé des forces armées est la mission première du SSA que je dirige. Même si les blessures de guerre représentent notre champ d’action le plus singulier et emblématique, nous avons également une expertise de longue date dans le domaine du risque biologique. Cette expertise repose sur l’expérience des maladies infectieuses dont l’histoire de la santé militaire est émaillée, justifiant le maintien d’un haut niveau de compétences scientifiques chez nos chercheurs à l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) et chez nos infectiologues. En tant que système de santé militaire, le SSA dispose par ailleurs d’une aptitude intrinsèque à gérer des crises sanitaires en milieu d’exception. Depuis le choix de l’hôpital militaire Bégin en 2014 pour prendre en charge – et guérir, d’ailleurs – les deux seuls patients avérés rapatriés sur le territoire français en 2014, et depuis la projection d’un centre de traitement des soignants en Guinée Conakry en 2015 sur décision du président de la république d’alors, nous avons maintenu avec persévérance l’entraînement régulier de nos soignants à faire face à une menace biologique et entretenu nos stocks d’équipements de protection via notre composante d’approvisionnement en produits de santé. Ce n’est pas si facile dans un contexte dominé par la tarification à l’activité et les contraintes budgétaires.

C’est cette combinaison d’expertise et d’entraînement qui a permis au SSA d’être au rendez-vous pour accompagner la santé publique à hauteur de ses moyens, aux côtés des forces armées, dans cette crise inédite.

Je vais consacrer un premier temps de mon propos à la prise en charge du groupe aéronaval autour du porte-avions Charles de Gaulle qui suscite et je le comprends parfaitement beaucoup de questions.

Je souhaite ensuite retracer la gestion de la crise Covid19 depuis le début par le SSA au sein de l’opération Résilience

Je vous dirai quelques mots des modalités d’organisation au sein de nos composantes pour faire face à cette activité extrêmement soutenue.

Et enfin si vous me le permettez, je souhaite vous exprimer mon point de vue préliminaire sur les défis qui vont nous mobiliser dans les prochaines semaines aux heures d’une sortie de confinement.

Concernant plus précisément le groupe aéronaval, l’évolution de la situation épidémiologique a conduit, comme vous le savez, la ministre à décider le 7 avril son retour anticipé à la base navale de Toulon. Dès le 8 avril nous avons projeté plusieurs médecins et infirmiers à bord pour renforcer l’équipe médicale, réaliser une investigation épidémiologique et évacuer trois marins.

Vous savez que l’intégralité des équipages du porte-avions (PA) Charles de Gaulle, du groupe aérien embarqué et de la frégate de défense anti-aérienne Chevalier Paul a bénéficié de tests PCR au Covid-19, soit 2010 tests réalisés. Dans le détail, 1082 tests se sont révélés positifs dont 1051 sur le porte-avions et 17 sur le Chevalier Paul, le reste sur le groupe aérien. Au total, environ 60 % de l’équipage du PA a été testé positif, et 10% de celui du Chevalier Paul. De façon intéressante, à confirmer, il semble que la moitié environ des testés positifs n’a que peu ou pas de symptômes.

Nous avons eu jusqu’à 24 marins hospitalisés à l’hôpital militaire Ste Anne. À la date du 21 avril, ils sont 15 à l’être, dont 3 en réanimation et je formule des vœux pour qu'ils s'améliorent rapidement.

Je vais vous brosser rapidement les mesures médicales en cours.

Depuis leur retour à terre tous les marins sont strictement confinés en milieu militaire, dans des conditions permettant d'assurer leur sécurité médicale. Un suivi médical attentif, par les médecins et infirmiers du SSA, permet de contrôler tous les marins 1 à 2 fois par jour, avec prise de température et mesure du taux d’oxygène à l’aide d’un petit appareil au bout du doigt appelé oxymètre de pouls. Un accompagnement psychologique renforcé est inclus car bien évidemment leur état moral nous importe également. En outre les marins comme leurs familles, comme tous les militaires et civils de la défense d'ailleurs, peuvent avoir accès s’ils le souhaitent à des téléconsultations de psychologues du SSA ou de la marine, ainsi qu’à « Ecoute Défense », notre plateforme anonyme d’appels, accessible 24h sur 24, 7 jours sur 7, et dont le périmètre a été élargi à la crise COVID.

J’ai accompagné hier la secrétaire d’État Madame Darrieussecq et le chef d’état-major de la marine l’amiral Prazuck à Toulon, où j’ai pu croiser certains d’entre vous. J’ai vu une organisation impressionnante, nécessitant un effort important du centre médical des armées comme de l'hôpital militaire Sainte Anne, et je salue leur travail. Ils œuvrent en symbiose étroite avec la marine nationale, le commissariat et la base de défense pour permettre une quatorzaine dans les meilleures conditions possibles.

Les conditions de sortie de quatorzaine ont été établies. Elles comporteront la réalisation systématique de nouveaux tests PCR pour chaque marin, afin d'acquérir la certitude qu'ils ne sont plus porteurs du virus avant de les rendre à leur famille. Ils attendent ce retour avec impatience, mais j'ai pu apprécier qu'ils comprennent bien cette démarche qui les protège ainsi que leurs familles.

Je terminerai cette description en indiquant qu’hier, à Brest, 62 marins du bâtiment de commandement et de ravitaillement « La Somme » ont bénéficié à Brest, pour la 2e fois, de tests PCR, tests de fin de quatorzaine, tous négatifs et peuvent donc sortir de confinement.

Il ne fait aucun doute que cette contamination du GAN nous permettra de tirer des conclusions intéressantes sur le plan épidémiologique, pour les armées bien sûr, mais aussi pour la population générale. L’enquête épidémiologique est complexe en raison de la densité des interactions humaines de plusieurs milliers de personnes dans un espace confiné comme notre porte-avions. La ministre des armées vous a indiqué qu’un premier rapport d’étape sera disponible vers début mai.

Ces éléments précisés concernant le PA CDG, je souhaiterais à présent vous détailler les actions réalisées par le SSA dans le cadre de cette crise sanitaire exceptionnelle via l’opération « Résilience » décidée et lancée par le Président de la république le 25 mars dernier.

 

Je vais maintenant exposer, dans un second temps, la gestion de la crise COVID19 par le SSA via sa participation à l’opération Résilience.

Je rappelle que le volet sanitaire et médical est le premier des 3 pans de l’opération Résilience.

Nos 8 hôpitaux d’instruction des armées répartis sur le territoire national, ont pris en charge, au 21 avril, 7845 patients COVID, dont près de 2140 en hospitalisation, parmi lesquels 400 en réanimation. L’Hôpital Bégin (St Mandé), hôpital référent en infectiologie, est classé établissement de 1er niveau par la santé publique et a réalisé à lui seul 30% de l’activité réanimatoire COVID du SSA, suivi de près par Percy. Les hôpitaux Percy à Clamart, Ste Anne à Toulon, Laveran à Marseille, puis Clermont Tonnerre à Brest, ont été reconnus comme établissements de 2e niveau, et l’Hôpital Robert Picqué à Bordeaux de niveau 3. Travaillant en coopération totale avec la santé publique, nos six hôpitaux dotés de services de réanimation ont très vite augmenté leur capacité de réanimation la triplant quasiment de 57 à 166 lits de réanimation. Lyon et Metz, dont les anesthésistes réanimateurs sont insérés chez les partenaires civils, ont installé des unités de lits permettant une prise en charge de patients covid en médecine intensive. Le SSA compte ainsi actuellement 254 lits de médecine dédiés à la prise en charge covid hors réanimation.

L’opération Résilience dans son aspect sanitaire, c’est aussi l’élément militaire de réanimation du SSA dit EMR-SSA. Une unité médicale opérationnelle aux standards les plus élevés de la réanimation, pensée et équipée à partir de plusieurs concepts d’emploi à visée militaire, qu’il a fallu créer ex nihilo sous l’angle de la prise en charge de patients hautement contagieux. Il s’agit d’un service de réanimation sous tente, agile et sécurisé, qui ne peut fonctionner qu’adossé à un hôpital. Il ne s’agit donc pas un hôpital de campagne, par définition autonome. En l’espace de 6 jours et demi précisément, l’EMRSSA était prêt à recevoir ses premiers patients à Mulhouse, selon le choix du président de la république. J’en profite pour remercier le régiment médical de la Valbonne qui a assuré et assure encore la logistique de cette manœuvre. Je suis fière d’indiquer que cet EMR-SSA, qui est armé par une centaine de personnels du SSA et 30 du régiment médical, a pris en charge au 21 avril 46 patients au total, selon une logique de flux, puisqu’il s’agissait de ne jamais être saturé, afin d’être toujours en capacité d’accueillir de nouveaux malades. 11 de ces patients ont été transférés dans d’autres régions ; 25 ont été transférés vers le CHU de Mulhouse, dont 17 en hospitalisation médicale post-réanimation. On déplore 1 décès.

L’EMR-SSA a pleinement rempli les objectifs qui lui ont été fixés, et accueilli tous les patients qui lui ont été proposés par le CHU. Compte tenu du moindre besoin local, une réarticulation est en cours en vue de permettre si besoin l’engagement de l’EMR-SSA dans une autre région qui en aurait besoin. Une travée de 10 lits est libérée depuis quelques jours en vue d’une bio décontamination et d’une reconfiguration. Il s’agit pour l’EMR-SSA de poursuivre sa réarticulation progressive afin d’être tenu prêt à un redéploiement, selon les besoins qui seront le cas échéant exprimés par la santé publique. Actuellement l’EMR-SSA prend en charge 9 patients.

Pour intensifier le désengorgement du Grand Est, 6 missions successives faisant intervenir le module Morphée ont été réalisées entre le 18 mars et le 3 avril. Morphée est une authentique capacité de réanimation en vol, habituellement destinée à l’évacuation de 6 blessés de guerre gravissimes sur de longues distances depuis tout théâtre d’opérations. Sa dernière utilisation datait de l’Afghanistan.

Ce module Morphée n’avait jamais été employé sur le territoire national, ni pour des malades hautement infectieux, ni sur A330 Phénix de l’armée de l’air, ni de façon répétée. Ce sont au total 36 malades intubés et ventilés qui ont ainsi pu être transférés sans aucune dégradation de leur état clinique vers d’autres régions, pour soulager les services de réanimation du grand Est.

Faute de temps, je ne ferai que citer en sus la participation du SSA aux transferts interzonaux de patients en hélicoptère, en train sanitaire, ou à bord du PHA Tonnerre depuis la Corse, soit plus de 150 patients.

Voilà dressé en quelques exemples un panel démonstratif de la mobilisation du SSA aux côtés des armées et au profit de la santé publique et de notre nation.

Dans ce cadre je souhaite souligner deux éléments :

- Les personnels armant toutes ces capacités sont prélevés au sein des hôpitaux militaires et des centres médicaux des armées, souvent dans un délai court, ce qui nécessite une organisation à la fois flexible et robuste. Nous avons heureusement reçu le renfort très actif de réservistes, ainsi que des élèves de nos Écoles, qui essaient tant bien que mal de préparer en même temps leurs concours et examens !

- Deuxième élément à souligner, ces actions s’inscrivent dans le respect de la mission première du service de santé des armées : le soutien santé opérationnel des forces armées. Nous avons en ce moment même 80 équipes médicales et 6 équipes chirurgicales en OPEX et toutes les gardes, astreintes et alertes opérationnelles sont assurées soit près de 2000 personnels du SSA.

C’est donc bien l’ensemble des femmes et des hommes du SSA, la totalité du Service, qui sont pleinement mobilisés dans la lutte contre le COVID19. Comment le Service s’est-il organisé ?

J’en arrive au troisième temps de mon intervention sur la gestion de la crise COVID par le SSA.

Je suis à la tête d’un Service de 14 700 personnels civils et militaires soignants, péri soignants ou non soignants, exerçant près 200 métiers différents pour assurer le soutien santé des armées. Cette crise nous place dans un niveau d’activité extrêmement élevé.

Je vous ai déjà décrit l’activité de nos hôpitaux.

Placée en proximité des forces armées, notre médecine de premier recours ou médecine des forces s’est fortement mobilisée pour reconfigurer les antennes médicales en vue de créer des circuits sécurisés pour les patients covid. Elle a surtout mis en place en un temps record une capacité très innovante de télémédecine, qui fonctionne en heures ouvrables comme non ouvrables. Actuellement ce sont 800 à 1000 téléconsultations qui sont réalisées chaque jour au profit des militaires, de leurs familles et des civils de la défense.

Notre institut de recherche est en appui de toutes nos actions grâce à son expertise en biosécurité, et représente également une belle force de frappe en recherche virale et en innovation.

L’École du Val-de-Grâce et l’IRBA ont monté de nombreuses formations à l’exercice médical en ambiance contaminée.

Aucune action ne serait possible dans la durée sans le soutien permanent de notre ravitaillement sanitaire, qui reconstitue les stocks malgré toutes les difficultés rencontrées en ces temps de compétition mondiale pour les mêmes produits.

Enfin je voudrais faire un focus sur le CESPA (Centre d’épidémiologie et santé publique des armées), au sein duquel 45 personnes en tout déploient des équipes mobiles pour réaliser les enquêtes et analyses épidémiologiques nécessaires pour protéger les forces armées et aider à la décision. Ils sont également chargés de la veille scientifique et sanitaire internationale, de la synthèse des connaissances en cours et des analyses biostatistiques.

 

Pour terminer mon propos je voudrais vous exprimer mon point de vue sur les défis qui vont nous mobiliser dans les prochaines semaines aux heures d’une sortie de confinement

Comme la nation toute entière, tant qu’un traitement efficace ne sera pas disponible, les armées vont demeurer exposées durablement au risque COVID-19. Elles seront d’autant plus exposées que les activités qu’elles conduisent se caractérisent par des flux en ressources humaines majeurs et par une importante mobilité géographique au sein de la métropole, des DROM COM mais également à l’étranger.

Pour le SSA, se pose avec acuité la question des modalités pour limiter le risque de contamination au sein des unités militaires, sachant qu’à un degré variable selon les armées, mais de façon générique, la vie militaire, l’entraînement militaire, l’esprit militaire sont faits de proximité, de cohésion, d’interactions humaines denses, dans des espaces étroits comme l’intérieur d’un char, un bateau, un sous-marin ou un vecteur aérien.

Ainsi, dès le début de la crise, le SSA a émis de nombreuses recommandations sur la mise en œuvre stricte des mesures barrières, l’adaptation de la vie collective pour permettre une distanciation. De nombreuses procédures, adaptées à l’environnement des 3 armées, ont été réfléchies, mises au point et largement diffusées. Le SSA apporte des conseils en fonction des situations locales et en fonction des données scientifiques connues. Ce travail est réalisé en grande proximité avec le commandement, à qui revient la décision de mise en œuvre des mesures préconisées. Pour être efficace cette action coordonnée doit être continue, attentive, et bien entendu les mesures prises expliquées en détail aux militaires pour obtenir leur adhésion à chaque instant.

Des mesures spécifiques concernant les opérations sont également mises en œuvre, alliant par exemple une quatorzaine avant départ à la réalisation de tests PCR pour les unités très opérationnelles, ou le port de masque dans certaines activités ou circonstances. En OPEX, des zones d’isolement ont été organisées, et un rapatriement sanitaire des formes susceptibles de s’aggraver, prévu.

Avec la sortie de confinement et la reprise à grande échelle des activités des armées, qui doivent rattraper une certaine « dette » d’activités et de recrutement, se pose pour le SSA une équation complexe, qui à mon sens associe quatre enjeux principaux :

1. limiter l’exposition de la force et d’être en capacité de la protéger par le strict respect des mesures barrières et de la distanciation, une capacité de diagnostic élargie par la pratique étendue de tests PCR et un soutien médical adapté au COVID-19, suffisant pour permettre une première prise en charge sur place puis une évacuation médicale vers le territoire national pour des cas graves ou susceptibles de s’aggraver

2. prévenir très précocement le développement d’une épidémie au sein d’une emprise afin de casser les chaînes de transmission et aussi éviter la réapparition de cas sur des territoires qui auraient maîtrisé l’épidémie

3. identifier le personnel immunisé, qui n’aura donc plus besoin de bénéficier de quarantaine

4. permettre la régénération du personnel du SSA, qui, comme la santé publique, s’est investi au maximum de ses forces et n’a pas échappé à la contamination (nous comptons ainsi environ 500 cas cumulés, dont 240 confirmés, et 3 personnels actuellement en réanimation).

Le programme en cours d’élaboration et que nous proposerons à la validation de la ministre reposera notamment sur :

- une capacité de dépistage et de diagnostic renforcée,

- le développement d’un dispositif de supervision des mesures de prévention et de gestion du risque COVID-19 au sein des forces armées,

- la modélisation de l’évolution de l’épidémie de COVID-19 dans les armées,

- le renforcement de l’évaluation des risques sanitaires et de l’intervention épidémiologique dans les armées,

- et bien sûr le développement des travaux de recherche et d’innovation médico-militaire.

Mesdames et Messieurs les députés, depuis les premières heures de cette crise sanitaire exceptionnelle, le Service de santé des armées est engagé dans la durée et avec intensité à hauteur de ses moyens, et même presque au-delà. Même si, après une déflation de près de 10 % de ses effectifs en 4 ans, la LPM actuelle a stabilisé ses effectifs et même prévu une légère remontée en deuxième moitié de LPM, le SSA n’est à l’évidence pas taillé pour soutenir la nation entière en sus de sa mission première de soutien des forces armées.

A n’en pas douter, comme la santé publique et la nation toute entière, nous allons devoir composer avec ce virus pendant encore de nombreux mois. Néanmoins, quatre mois après le début de cette crise, il me semble important de commencer à préparer une analyse, que nous nommons retour d’expérience, afin de tirer des conclusions sur l’« après » en définissant les moyens dont le SSA aura besoin. Il est bien évidemment encore trop tôt pour être plus précise.

Voilà ce que je pouvais dire en quelques mots à cette heure sur le SSA dans le contexte de crise sanitaire et je me tiens maintenant prête à répondre à des questions sur des points plus détaillés si vous le souhaitez.

 

Mme Anissa Khedher. Les personnels du SSA, et je pense en particulier aux élèves des écoles militaires de santé de Lyon-Bron, méritent notre reconnaissance. Envisagez-vous de valoriser leur engagement exceptionnel ? Quelles sont les spécialités prioritairement sollicitées et vos capacités en matière de surveillance et de modélisation ? Sait-on combien de soldats et de réservistes sont infectés ? Enfin, l’HIA Bégin travaille-t-il sur un vaccin ?

Mme Laurence Trastour-Isnart. Y a-t-il des recherches sur un traitement du coronavirus au sein du CESPA ? Des protocoles particuliers ont-ils été appliqués avant le confinement afin de prévenir des contaminations ? Je veux aussi remercier le SSA pour son engagement, en particulier l’hôpital Sainte-Anne de Toulon où j’ai moi-même été prise en charge.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Le savoir-faire militaire pour la prise en charge des blessés par armes de guerre a été partagé lors des attentats de 2015, et la collaboration entre les mondes civil et militaire a été saluée à cette occasion. La crise actuelle donne-t-elle lieu à une transmission de savoirs dans les deux sens ? Par ailleurs, l’EMR déployé à Mulhouse sera-t-il réutilisé ailleurs ?

M. Joaquim Pueyo. La mobilisation des militaires du SSA et à l’engagement des réservistes est un bon signe pour la cohésion de notre pays. Le protocole visant à protéger nos militaires en OPEX est-il suffisant ? Avez-vous suffisamment de matériels en opérations, mais également sur les bases, comme à Gao ? Combien de militaires de l’opération Barkhane ont été contaminés, et comment ? Sur place ou en revenant de métropole ?

Mme la directrice centrale du SSA. Les réponses sont élaborées au fur et à mesure du développement des connaissances sur le virus : elles évoluent, on l’a vu à propos du porte-avions. Nous transposons les mesures préconisées par la santé publique, en particulier les gestes barrières, la distanciation sociale et le port systématique du masque dans certaines circonstances. Je pense qu’il faut également disposer d’une capacité de test élargie et dépister très tôt afin de casser la chaîne de transmission, ce qui suppose de disposer des matériels et des effectifs suffisants. Nous avons commandé des appareils supplémentaires dès le mois de février – nous en avons entre 25 et 30. Nos HIA désignés par la santé publique comme établissements de 1ère et 2e ligne en sont tous équipés, ainsi que l’IRBA. Sitôt reçus les appareils commandés en sus, nous les avons déployés en priorité à Gao, N’Djaména et Djibouti. Notre objectif est d’équiper également le porte-avions lorsqu’il sera prêt à repartir. Une quatorzaine et des tests sont systématiquement prévus avant tout départ en opérations, notamment pour les unités qui œuvrent dans des environnements extrêmement confinés.

Une dizaine de militaires de Barkhane ont été rapatriés et une douzaine sont actuellement en isolement. Les sujets contacts font l’objet d’une quatorzaine très stricte. Les unités étant mobiles et au contact de la population, je ne peux pas dire très précisément où les contaminations se sont produites. Il est impossible d’éviter tout risque, d’autant que nous continuons à prendre en charge les militaires de nos pays alliés, avec lesquels les interactions se poursuivent.

Notre niveau opérationnel n’a pas été affecté par la crise. Pour l’instant, nous avons commencé à reconditionner l’EMR-SSA ; nous le redéploierons en cas de besoin, selon les demandes.

On pensait depuis toujours que les spécialités critiques pour la prise en charge des blessés de guerre étaient surtout chirurgicales – et en particulier orthopédiques. On s’aperçoit qu’il existe d’autres spécialités critiques, comme l’anesthésie-réanimation, ou encore l’infectiologie. Il faudra réfléchir à les développer au sein du SSA, notamment lors de l’appel de réservistes.

Les recherches sur les traitements mobilisent évidemment le SSA comme les autres acteurs. Nous avons répondu aux appels à projets, notamment ceux de l’agence de l’innovation de la défense, dont plusieurs ont d’ores et déjà été validés et financés, parmi lesquels un protocole de prise en charge des pneumopathies graves covid par oxygénothérapie hyperbare, qui a démarré la semaine dernière à l’hôpital Sainte-Anne. Nous participons également à l’essai « Discovery », et nous avons proposé d’autres essais cliniques combinant différentes molécules. Nous ne travaillons pas spécifiquement à un vaccin, mais nous y collaborons. Nous travaillons aussi sur la « séro-neutralisation » du virus, en utilisant les sérums de patients guéris. On observe un élan mondial de recherche, que je veux saluer.

Une étroite collaboration avec la médecine civile est gage d’efficacité en temps de crise. Nous y avons travaillé depuis les attentats de 2015 en insistant en particulier sur l’intérêt d’exercices et de recherches en commun. J’espère que les réservistes, en particulier les jeunes qui nous ont rejoints, auront envie d’être recrutés par le SSA, au moins pour quelques années, ce qui renforcera encore les relations actuelles.

Je crois que le temps de la valorisation de l’engagement exceptionnel de nos élèves et de nos personnels viendra et qu’il sera important. J’y serai attentive, mais je ne pourrai répondre à cette question qu’en lien avec le commandement, l’état-major des armées et la ministre. Nos élèves peuvent voir le SSA en action sur le territoire national, et ils ont ainsi accès à un socle de formation exceptionnel.

M. Olivier Becht. Je voudrais vous remercier, en tant que député du Haut-Rhin, pour le travail de très grande qualité réalisé dans le cadre de l’hôpital militaire de campagne et des vols MORPHÉE. Envisagez-vous de développer de nouvelles unités de réanimation en vue de nouvelles crises sanitaires ?

M. Yannick Favennec Becot. Vos équipes se sont engagées sans compter, après avoir connu des réductions de format significatives lors des précédentes lois de programmation militaire. Quand la réflexion sur vos moyens pourrait-elle aboutir ?

Le comité international de la Croix-Rouge intervient pour aider à lutter contre la pandémie, notamment en Afrique : le SSA s’associe-t-il à certaines de ces actions ?

M. Bastien Lachaud. Constate-t-on une diminution de cas nouveaux, comme au sein de la population générale ? S’agissant du Charles de Gaulle, considérez-vous que les consignes données lors de l’escale à Brest étaient claires ? Aviez-vous été consultée ? On sait désormais que le virus peut se déclarer trente jours après la contamination. Dès lors, les quatorzaines sont-elles toujours le cadre approprié ? Enfin, serait-il possible de réarmer en urgence le Val-de-Grâce ?

M. André Chassaigne. Le SSA a montré une fois de plus son utilité en cas de catastrophe ; or il a été considérablement affaibli depuis au moins trente ans. Les hôpitaux militaires du Grand-Est ont été fermés, de même que le Val-de-Grâce. Vous faites appel à des hôpitaux de campagne : comment fonctionnent-ils et quel est leur coût ? En outre, la recherche médicale militaire a été largement transférée vers le civil. Vous sollicitez aujourd’hui la recherche extérieure. L’appel à projets de 10 millions d’euros, lancé en urgence par l’agence de l’innovation de la défense, vous permettra-t-il de répondre aux enjeux actuels ?

Mme la directrice centrale du SSA. La quatorzaine avant un départ en mission n’est pas une réponse unique, il faut combiner différentes mesures, et aucune ne dispense des gestes barrières et de la distanciation sociale.

Un médecin militaire doit en permanence rechercher le meilleur compromis entre les risques sanitaires et les entraves aux capacités opérationnelles des forces, la décision finale revenant au commandement. La quatorzaine, dont les conditions de réalisation interrogent, doit être associée aux tests. Ces tests, PCR et prochainement sérologiques, permettront d’améliorer la maîtrise des risques, mais la meilleure méthode pour les utiliser reste à formaliser, et c’est pourquoi nos recommandations évoluent continuellement.

Nous devons parvenir à une maîtrise des risques maximale pour les unités les plus opérationnelles ou évoluant dans les environnements les plus confinés. L’analyse des risques est l’essence du service que le SSA doit rendre aux armées, et une vision seulement budgétaire ne lui permettrait pas de remplir cette mission. Ainsi, il n’est pas possible de commander un hôpital militaire de campagne « sur étagère », bien qu’il soit prévu au contrat opérationnel, faute de moyens budgétaires. Nous avons imaginé un concept modulaire : l’antenne de réanimation et de chirurgie de sauvetage (ARCS), qui permet d’opérer deux patients simultanément sur les théâtres d’opérations extérieures. En assemblant un grand nombre de ces éléments et en y adjoignant des capacités de scanner, de biologie poussée, et d’hospitalisation, nous aurons un hôpital de campagne. J’espère que cette crise permettra d’accélérer la réalisation de ces projets dont le report, pour des raisons budgétaires, nous a amenés à créer de toutes pièces l’EMR-SSA.

Les moyens du SSA doivent accompagner la remontée en puissance des armées. Le départ de médecins en chef (colonels) visés par la déflation doit être compensé. Nous avons recréé une chaîne de recrutement qui nous a permis de recruter vingt et un médecins généralistes et dix-huit spécialistes – essentiellement chirurgiens et radiologues – en 2019, mais il nous manque encore une centaine de généralistes, ainsi que des chirurgiens. Les places ouvertes au concours des écoles militaires de santé de Lyon-Bron ont été portées à 115, mais neuf ans sont nécessaires pour former un médecin généraliste, et jusqu’à douze pour un spécialiste ; en attendant, il faut faire appel à des contractuels. Les réservistes constituent un important vivier, et nous projetons un recrutement de cadets du SSA pour attirer des étudiants dès la première année de médecine.

En opérations extérieures nous travaillons avec des organisations non gouvernementales à l’aide médicale à la population – la France est un des seuls pays à le faire. Le contexte épidémique impose de réduire temporairement cette activité. Nous participons également à des protocoles de recherche, notamment avec l’Institut Pasteur, qui ont abouti à des collaborations fructueuses.

La loi de modernisation de notre système de santé a reconnu le SSA comme un acteur à part entière de la santé publique ; les excellentes relations développées avec les acteurs de la santé publique à tous les niveaux portent leurs fruits.

Mme Patricia Mirallès. Le SSA a pu mener à bien ses missions avec le concours du génie, de l’ALAT, de l’armée de l’air. Avez-vous déjà un retour d’expérience sur ces opérations interarmées ?

Avez-vous des précisions sur l’éventuelle immunité des personnes guéries du Covid-19 ? Une quatorzaine semble un délai bien court ; moi qui               ai été atteinte, j’ai été confinée vingt jours par précaution.

M. Jean-Michel Jacques. Le déploiement de l’EMR a permis de compenser en partie le manque de moyens humains, mais les médecins, infirmiers et auxiliaires sanitaires dans les différentes unités auraient pu renforcer le personnel hospitalier civil. Cette collaboration serait plus aisée si plus de conventions étaient conclues avec les hôpitaux civils.

Le recrutement des médecins est difficile, mais nous sommes en pointe s’agissant de la délégation de compétences, et nous disposons d’infirmiers très qualifiés grâce aux centres d’instruction aux techniques de réanimation de l’avant (CITERA). Ne faudrait-il pas pousser dans cette direction ?

M. Thibault Bazin. Les antennes médicales sont parfois éloignées des quartiers des régiments. Les investissements pour les en rapprocher seront-ils accélérés ? Cette crise sanitaire va-t-elle modifier les priorités budgétaires en faveur des infrastructures du SSA ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Quel a été l’apport des navires envoyés outre-mer pour y appuyer les systèmes sanitaires, plus fragiles qu’en métropole ?

M. Jean-Philippe Ardouin. La rapidité du déploiement de l’EMR à Mulhouse et son efficacité ont été unanimement saluées : c’est une réussite sur le plan logistique comme sur le plan sanitaire. Quel bilan en dressez-vous ? Quels sont les besoins de ce type de structure pour les opérations extérieures ? Le SSA est-il équipé pour y répondre ?

Mme Sereine Mauborgne. Je mesure notre chance qu’une femme, pneumologue émérite, soit à la tête du SSA.

Dans quelle mesure la grande capacité de résilience post-traumatique dont ont fait preuve les soignants du SSA pourrait être partagée avec les soignants civils qui ont combattu le Covid-19 dans les services de réanimation ?

Mme la directrice centrale du SSA. Les militaires peuvent librement choisir leur mode de prise en charge, le SSA n’a donc pas connaissance de tous les cas. J’ai instauré une consultation obligatoire au retour dans l’unité afin de nous assurer de la guérison et porter cette mention au dossier médical. Nous comptons au 21 avril, plus de 6 000 cas confirmés, probables et possibles, dont 1 500 cas confirmés (y compris les cas du porte-avions). Une quinzaine de militaires sont en réanimation, et plus d’un millier sont d’ores et déjà guéris.

Le Centre d’épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA) est en train de modéliser l’évolution qu’aurait connue l’épidémie en absence d’intervention. Les résultats de l’étude épidémiologique portant sur le groupe aéronaval seront également riches d’enseignements, car il était très probablement indemne avant son escale à Brest, bien que les incertitudes sur les durées d’incubation et de guérison imposent la plus grande prudence. La ministre a indiqué qu’elle partagera ces résultats avec vous. L’équipe médicale à bord du porte-avions a contribué aux décisions du commandement concernant l’escale à Brest du 13 au 16 mars. Les recommandations faites aux marins étaient très volontaristes au regard des données connues alors : ainsi, les familles n’ont pas été autorisées à monter à bord. Mais le groupe aéronaval remplit des missions très longues, et pour préserver le moral des marins, il est difficile de les maintenir pendant des mois confinés à bord.

La quatorzaine est une mesure préventive, appliquée aux patients asymptomatiques avant qu’ils ne partent en mission. Elle doit être combinée à la réalisation de tests afin de réduire le risque dans les unités très opérationnelles. Les données d’immunité sont encore très balbutiantes, nous avons procédé à de nombreux prélèvements sur les militaires atteints et leur analyse est en cours.

L’opération Résilience a démontré la capacité de nos armées à s’organiser pour répondre aux besoins de la nation. Le SSA s’est adapté aux spécificités de chaque armée pour apporter son soutien. Les entraînements et les exercices conjoints sont essentiels à l’efficacité du SSA. La fonte des effectifs nous a amenés à prioriser le soutien médical aux armées au détriment de notre préparation opérationnelle, que nous devons restaurer. À cette fin, le développement des compétences techniques est essentiel ; nous avons donc tout intérêt à travailler avec des hôpitaux civils. Les médecins des forces et les infirmiers assument un nombre important de gardes en milieu civil, et ils sont allés renforcer les hôpitaux civils dès le début de la crise.

Un A400M sanitaire a été mis à notre disposition par l’Allemagne pour procéder au transfert de deux patients. Nous allons développer nos propres capacités en la matière en installant dans nos A400M Atlas un kit de réanimation baptisé MÉROPE : Mérope était la dernière fille d’Atlas et l’acronyme signifie « missions d’évacuation en réanimation opérationnelle ».

Cette crise a considérablement accéléré les innovations et la télémédecine au sein du SSA. Les téléconsultations sont à la base de la proximité avec les armées, qui ne peut pas être uniquement géographique : le SSA n’a pas les moyens de placer un médecin dans chaque emprise militaire. Pour être efficaces, les effectifs de nos 200 antennes médicales doivent être complétés. Elles ne comptent parfois qu’un seul médecin, alors qu’il en faudrait cinq pour compenser les départs en opération extérieure, en formation ou en congé maternité.

Certaines antennes médicales sont extrêmement vétustes alors que notre personnel devrait disposer de conditions de travail ultramodernes. Les budgets de rénovation des infrastructures sont toujours insuffisants, et les travaux financés doivent être exécutés plus rapidement. Des rénovations s’imposent aussi dans certains hôpitaux, notamment l’hôpital Laveran, à Marseille, dont l’utilité est démontrée. L’importance du budget nécessaire ne doit pas remettre en question son existence, comme cela a été le cas du Val-de-Grâce. Ce dernier a été totalement démantelé, il serait extrêmement coûteux de le rouvrir, mieux vaut développer les huit autres hôpitaux militaires.

Nous avons du mal à recruter pour compenser le départ de 180 médecins en quelques années de déflation. Le développement des compétences, les pratiques infirmières avancées et les délégations de tâches offrent un recours, car des infirmiers en opération extérieure ont démontré leur capacité à maintenir en vie des blessés graves. Les élongations de l’opération Barkhane, imposant parfois d’attendre quatre-vingt-dix minutes un hélicoptère d’évacuation, contre vingt en Afghanistan, ont obligé à accroître les capacités de réanimation de l’avant de nos médecins. C’est une opportunité formidable de développer les délégations de tâches pour nos infirmiers, en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé.

Le développement d’hôpitaux militaires de campagne est prévu dans notre contrat opérationnel ; j’espère obtenir les budgets nécessaires. Les épidémies virales émergentes vont se reproduire, nous devons donc être capables de déployer d’autres unités de réanimation. C’est une des leçons à tirer de cette crise.

Mme Aude Bono-Vandorme. La pharmacie centrale des armées peut-elle contribuer à la production de médicaments essentiels aux personnes en réanimation, ou lors des crises sanitaires ?

M. Jean-Louis Thiériot. La coopération au sein du G5 Sahel est essentielle pour l’opération Barkhane. Le SSA a-t-il évalué les risques sanitaires pour nos alliés, et leurs éventuelles conséquences opérationnelles ?

M. Philippe Chalumeau. Nous serons à vos côtés lors de l’examen de la loi de programmation militaire pour accompagner le développement des innovations que vous nous avez présentées, comme MÉROPE. Il n’est pas question de revenir à ce qui existait il y a trente ou quarante ans, mais d’avoir l’agilité requise pour répondre aux risques actuels. Quel appui apportons-nous aux populations maliennes dans le cadre de l’opération Barkhane ? Le SSA collabore-t-il avec l’institut Pasteur de Dakar ?

Mme la présidente Françoise Dumas. Mme Albane Gaillot m’a demandé de vous transmettre deux questions. Bien que le soutien aux forces armées en opération soit sa mission prioritaire, le SSA a été très sollicité dans la lutte contre le virus. Dans la crise sanitaire actuelle, la baisse de ses effectifs a-t-elle un impact sur l’organisation et la santé au travail des hommes et des femmes du SSA ? Alors que l’usage de la chloroquine fait débat, les militaires français en ont pris jusqu’en 2002 pour se prémunir contre le paludisme. Dispose-t-on d’une étude sur les effets indésirables de cette molécule ?

Mme Carole Bureau-Bonnard. Les écoles de sous-officiers rouvriront dès le 22 avril, avant la fin du confinement. Toutes les mesures ont-elles été prises pour garantir la sécurité des élèves, notamment dans les chambrées ? Par ailleurs, pourquoi ne pas publier un listing des actions menées par le SSA, afin d’en informer les Français ?

Mme Monica Michel. Lors des opérations d’évacuation sanitaire, les moyens de transport étaient-ils saturés ou restait-il une marge de manœuvre ? Qu’en est-il du transport de matériel de protection ?

Mme la directrice centrale du SSA. Madame la députée Sereine Mauborgne, je vous transmettrai, si vous le souhaitez, une fiche détaillée sur la manière dont nous accompagnons psychologiquement les équipes de l’EMR-SSA.

Le chef d’état-major vous répondra mieux que moi sur les aspects géopolitiques de l’opération Barkhane. Ce que je peux vous dire, c’est que nous aidons les Maliens à développer un ROLE 2 à Gao : pour qu’ils puissent mener leur propre action antiterroriste, il faut qu’ils aient un service de santé efficace.

Nous travaillons en étroite collaboration avec tous les instituts Pasteur, y compris celui de Dakar, qui a souvent été dirigé par d’anciens médecins militaires.

Nous prenons toutes les précautions pour que le retour des élèves dans les écoles d’officiers se déroule dans de parfaites conditions, dans le respect des gestes barrières et avec des chambrées desserrées.

La pharmacie centrale des armées fabrique du gel hydroalcoolique. Elle avait déjà produit un antiviral au moment de l’épidémie de grippe H1N1. Dès lors que nous disposons des matières premières, nous pouvons produire des médicaments, mais nos lignes de production ne sont pas extensibles, ce qui implique de faire des choix.

La molécule que prenaient nos soldats en prévention du paludisme était non pas l’hydroxychloroquine, mais le sulfate de chloroquine, dont les effets secondaires sont moins importants. Les bons résultats obtenus par un médicament in vitro ne sont pas toujours une garantie de succès in vivo : il faut faire preuve de prudence et attendre le résultat des essais cliniques.

Le SSA a dû s’adapter à la réduction des effectifs. C’est une opportunité pour améliorer l’organisation, mais il y a des limites. Il est donc important d’atteindre les effectifs autorisés par la LPM, grâce aux recrutements que j’ai évoqués.

Nous travaillons très étroitement avec la santé publique, et le partage se fait dans les deux sens. Nous transposons aux armées les leçons tirées afin de les appliquer autant que possible à nos militaires, et il faudra ensuite partager l’ensemble des enseignements de la crise, comme nous l’avons fait à la suite des attentats de 2015. Nous devrons probablement attendre quelques mois pour réaliser ce retour d’expérience, et je ne suis pas sûre que notre service de santé d’après sera le même qu’avant la crise – de même, la France d’après sera peut-être un peu différente.

Des militaires participent aux cellules de crise interministérielles pour leur apporter leur savoir-faire en matière de logistique. En ce qui concerne les moyens de transport de malades, nous restons en alerte afin de réaliser de nouvelles missions MORPHÉE et MÉROPE en cas de besoin.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci pour la clarté, la précision et la sincérité de vos réponses. Nous ne manquerons pas de transmettre un compte rendu exhaustif à la mission d’information, dont je suis co-rapporteure. Nous serons extrêmement attentifs à la question des moyens, matériels mais aussi humains, face à de futures pandémies. Vous pourrez compter sur le soutien de toute la commission, notamment lors des débats budgétaires. Le SSA fait la fierté de nos armées, et de notre pays.

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La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

 

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, Mme Albane Gaillot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Fabien Lainé, M. Jean Lassalle, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Nicolas Meizonnet, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, M. Jean-François Parigi, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Bernard Reynès, M. Gwendal Rouillard, M. Joachim Son-Forget, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Sylvain Brial, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Gilles Le Gendre