Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Saurat, secrétaire générale pour l’administration du ministère des Armées.


Mercredi
27 mai 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 55

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à onze heures.

Mme la présidente Françoise Dumas. Madame la Secrétaire générale, nous avons le plaisir de vous auditionner ce matin dans le cadre des travaux de notre commission sur la gestion de la crise sanitaire et sur les conséquences de cette crise pour nos armées.

 

C’est la deuxième fois que nous vous auditionnons en commission depuis votre prise de fonction l’année dernière à la tête du secrétariat général pour l’administration. Nous vous avions déjà reçue en octobre dernier afin d’évoquer les grandes orientations de la loi de finances pour 2020, des orientations dont nous espérons qu’elles seront maintenues dans la prochaine loi de finances pour 2021.

 

Je sais, Madame la secrétaire générale, les mesures que vous avez prises au sein de votre administration, dès le début du confinement, au profit de l’ensemble des militaires.

 

Vous avez tout d’abord réorganisé les sept directions et services regroupés au sein du SGA afin d’y décliner le plan de continuité de l’activité. Vous avez ainsi décidé de la fermeture des musées, écoles et services extérieurs du ministère des armées et organisé le télétravail pour quelque 60 % de vos effectifs. Vous avez également été chargée par la ministre des armées de mobiliser l’ensemble de la chaîne sociale auprès des familles, et en particulier des personnels déployés en opération.

 

Vous avez dû assurer le bon fonctionnement de la manœuvre RH pendant la crise et en vue de l’après-crise – une manœuvre très complexe, on le sait, dans les armées du fait du taux de mobilité très élevé des militaires et de l’importance numérique des recrutements quotidiens au sein des forces.

 

D’ailleurs, un projet de loi, actuellement en navette au Sénat, prévoit plusieurs dispositions pour pallier l’absence de recrutements pendant le confinement – une absence de recrutements qui est particulièrement problématique dans l’armée de terre et la gendarmerie.

 

Nous souhaitons bien sûr que vous développiez plus avant ces points liés aux ressources humaines mais également les décisions ayant des répercussions économiques, je pense notamment à celles prises quant au délai de paiement des factures du Ministère, notamment à l’égard des PME.

 

Nous sommes conscients, Madame la secrétaire générale, des difficultés de l’action que vous avez menée et que vous continuez à mener, en cette période complexe, pour soutenir l’effort de nos militaires et cette audition est aussi pour nous l’occasion de la saluer.

 

Mme Isabelle Saurat, secrétaire générale pour l’administration du ministère des armées. Le 13 mars, et en quatre jours, le SGA a basculé dans un plan de continuité d’activité (PCA), piloté par une cellule de crise, pour assurer les missions essentielles malgré le confinement, préserver la santé et la sécurité des personnels et stopper la chaîne de transmission. Le 17 mars, moins de 15 % de nos 15000 agents se trouvaient sur site, alors même que, pendant la crise, les services du SGA sont en appui des armées et en soutien des personnels et de leurs familles. Nous avons ainsi porté nos positions ministérielles dans tout le travail interministériel, et la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) a établi une quarantaine d’arrêtés relatifs à la fonction publique, en vue d’organiser le travail au sein du ministère.

 

La continuité de l’activité a été assurée, dans des conditions dégradées, sur tous les sites de l’administration centrale et des cabinets des deux ministres. La maintenance des infrastructures opérationnelles et non opérationnelles l’a également été, grâce, à la fois, à nos personnels et à nos entreprises partenaires qui sont restés mobilisées. Nous avons soutenu ces dernières, pour la plupart des PME, principalement en effectuant le paiement rapide de leurs factures, afin de soulager leur trésorerie. Dès le 20 mars, des mesures d’allégement des contrôles pour les factures de moins de 5 000 euros nous ont permis d’en régler pour 180 millions d’euros.

 

Dans la lignée du plan famille mis en place depuis trois ans par la ministre, nos services ont été particulièrement mobilisés sur l’action sociale ministérielle, afin de rassurer et d’aider les familles, notamment celles du personnel en opérations extérieures (OPEX), en agissant particulièrement sur la garde d’enfants et autres aides d’urgence.

 

Le dialogue social a été très vite identifié comme une mission stratégique prioritaire dans le cadre du plan de continuité. Nous avons maintenu un contact permanent avec les organisations syndicales dans les emprises, directions et services. Nous nous sommes ainsi assurés que les mesures de protection et de sécurité sanitaires étaient bien appliquées.

 

Les centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) sont tous rouverts : en application des mesures sanitaires, les entretiens s’y déroulent sur rendez-vous, après prise de contact en amont par la voie numérique. Reste que, aucun engagement n’ayant pu être signé pendant le confinement, nous avons plus de 2 000 recrutements à rattraper. Ce déficit devrait être résorbé d’ici fin 2021.

 

Les commémorations ont été maintenues sous une forme différente, grâce aux préfets qui les ont organisées dans les territoires selon les instructions de Madame la secrétaire d’État. Nous avons créé une nouvelle identité numérique pour le cycle commémoratif : le site cheminsdememoire.gouv.fr accueille désormais de nombreuses ressources visant à donner de la visibilité à notre histoire.

 

La Journée défense et citoyenneté (JDC) a été suspendue, tout comme le service militaire volontaire (SMV). Je souhaite néanmoins remercier ici tous les jeunes qui se sont portés volontaires pour prêter main-forte aux entreprises du marché de Rungis afin d’assurer la logistique nécessaire au ravitaillement de la population. Onze d’entre eux ont d’ailleurs été engagés en contrat à durée indéterminée par l’une des entreprises.

 

Nous travaillons à capitaliser la transformation profonde qu’a connue le SGA sous le régime du plan de continuité de l’activité. Nous avons sollicité les retours d’expérience des personnels sur cette période, pendant laquelle 15 % d’entre eux ont travaillé en présentiel et 60 % en télétravail. Malgré l’absence d’anticipation, plus de 2 000 équipements ont dû être distribués en quelques jours. L’ensemble des dossiers a été traité avec une grande efficacité.

 

C’est bien une transformation du management qui s’est accomplie, avec plus d’autonomie pour les personnels, plus de confiance entre les collaborateurs et probablement davantage de capacités à partager. De nombreuses initiatives ont également été prises par les personnels eux-mêmes, afin d’assurer le lien entre collaborateurs, grâce notamment au développement de nouveaux outils numériques.

 

L’urgence sanitaire nous a également conduits à une simplification massive de nos processus – certains seront pérennisés. Nous élaborons actuellement un bloc de simplification que nous proposerons à la ministre d’ici à la fin juin.

 

Si le ministère des armées a démontré sa résilience dans toutes ses composantes, c’est aussi le cas des organismes civils et des prestataires. Je suis fière des personnels qui ont accompli cette manœuvre. Dans le cadre d’un prochain retour d’expérience, nous examinerons quelles adaptations introduites par le plan de continuité d’activité et apportées à nos contrats nous permettraient d’être encore plus efficaces si un tel événement venait à se reproduire.

 

La reprise d’activité se déroule par étapes, toujours dans le respect des dispositions sanitaires, avec une priorité donnée aux personnels dont la qualité de service a été dégradée par le télétravail et à ceux qui ont été dans l’incapacité de travailler – je pense aux chantiers d’infrastructure qui, pour la majorité, ont dû fermer.

 

Nous nous attachons aussi à résorber la dette qui s’est accumulée dans certains secteurs. Nous sommes particulièrement mobilisés sur le recrutement et l’accompagnement du plan annuel de mutation (PAM) des militaires, une machine qu’il est important de bien manœuvrer, même dans les conditions difficiles de cette année.

 

M. Joaquim Pueyo. Les personnels dans le soutien logistique qui étaient en première ligne toucheront-ils une prime en reconnaissance de leur engagement ?

 

Serez-vous en mesure d’assurer les recrutements nécessaires ? Les candidatures seront-elles suffisantes ?

 

M. Claude de Ganay. Le recrutement de 2 000 militaires sur douze mois risque de saturer un outil de formation déjà sous pression. Les armées seront-elles capables de maintenir leur niveau d’engagement ?

 

Quels sont les secteurs ou les armes les plus touchés par la pénurie de personnels civils et militaires ?

 

Quelles seraient les conséquences d’un éventuel arbitrage budgétaire défavorable dans le projet de loi de finances (PLF) sur vos services, notamment sur votre capacité de recrutement et sur le taux de fidélisation ?

 

Mme Josy Poueyto. La fermeture des frontières affectera-t-elle les recrutements dans le corps emblématique de la Légion étrangère ?

 

M. Alexis Corbière. La crise sanitaire remet-elle en cause l’objectif d’une normalisation du soutien de l’administration centrale opérationnelle à l’été 2020 ? Les suppressions de postes prévues, notamment par la réduction des niveaux hiérarchiques, sont-elles toujours d’actualité ?

Mme Isabelle Saurat. Nous avons, en effet, dressé une liste des personnels non-soignants éligibles à une prime exceptionnelle pour leur particulière présence ou efficacité. Celle-ci sera mise en paiement en juin ou juillet.

 

Les personnels civils recrutés – quelque 4 000 par an – sont déjà formés ; ils ne mobilisent donc pas les outils de formation. Tous les concours prévus entre les mois de mars et de juin ont été reportés, mais le recrutement de contractuels a pu avoir lieu durant le confinement.

 

Le recrutement des militaires est marqué par deux difficultés : il faut recevoir les candidats pour qu’ils signent leur engagement – ce qui est désormais possible avec la réouverture des CIRFA –, et organiser les formations. Un effort significatif est en cours pour mettre en place des enseignements à distance, notamment pour la formation académique. Une partie de la programmation sera revue afin d’augmenter l’offre de stages, et une partie de la charge de la formation sera reportée sur les unités dans lesquelles les jeunes recrues seront affectées.

 

Il est possible que la fermeture des frontières est une forte contrainte pour le recrutement dans la Légion étrangère, mais nous enrôlons principalement des étrangers qui vivent déjà en France.

 

La transformation de l’administration centrale consisterait à transférer le soutien de celle-ci du SGA au service du commissariat des armées (SCA), qui est déjà spécialisé dans la normalisation du soutien de l’administration opérationnelle, et qui a montré toute sa puissance durant le confinement, notamment en assurant la diffusion du gel hydroalcoolique, des masques, etc.. sur tout le territoire national, outre-mer et en OPEX. Ce transfert interviendra à partir du 1er octobre, car le SCA est en train de réorganiser tout le soutien de la région Île-de-France.

 

Aucune suppression de poste ne touchera les forces opérationnelles. La réduction concernera 160 postes au sein de l’administration centrale du SGA.

 

Mme Patricia Mirallès. Alors que le patrimoine immobilier de nos armées est fort vétuste, les chefs militaires locaux, notamment les chefs de corps, ne sont que très peu impliqués dans la définition de la politique de logement des militaires. Comment comptez-vous les faire participer ?

 

M. Fabien Gouttefarde. Le dernier bilan social du ministère des armées, celui de l’année 2018, fait état d’une augmentation du nombre d’agents civils en télétravail de 47 %, le ratio, avec 199 agents sur 60 000, étant de 0,33 %. Dans l’après-crise, envisagez-vous que cette proportion puisse passer à 20 % ou 30 % ?

 

M. Thibault Bazin. Les capacités d’accueil des centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM), où les jeunes recrues doivent se présenter pour signer leur engagement, ont été réduites du fait des règles de distanciation. Avez-vous réfléchi à la pertinence d’ouvrir exceptionnellement d’autres CFIM pour rattraper le retard dans les recrutements ?

 

M. Jacques Marilossian. Une augmentation de 300 postes est inscrite au programme 212 « Soutien de la politique de défense » de la loi de finances 2020, au titre de l’annuité de la trajectoire définie par la loi de programmation militaire (LPM) de 6 000 recrutements dans les emplois spécifiques liés à la protection du territoire national, à l’action numérique et au renseignement. La pandémie a-t-elle bouleversé ces objectifs ?

 

Le confinement soulève-t-il de nouveaux besoins dans ce même programme 212, dont il conviendrait de tenir compte dans le prochain PLF ?

 

Mme Isabelle Saurat. La politique d’investissement en faveur du logement a été renforcée dans le cadre du plan famille. Nous instaurons une plus grande proximité avec les commandants des bases de défense (Com BdD), notamment en déconcentrant des crédits. Dans la loi de finances 2020, des crédits ont été transférés entre les programmes 212 et l78 de sorte que les Com BdD puissent faire réaliser des travaux. Des crédits supplémentaires leur seront attribués dans les prochaines semaines.

 

Nous partons effectivement de très loin en matière de télétravail. Je vous ai livré les chiffres du SGA ; le taux de télétravail de la direction générale de l’armement (DGA), a été de près de 70 %. Sans aller jusqu’à préconiser le télétravail pour tout le personnel, je donnerai l’impulsion nécessaire pour que les méthodes apprises dans l’urgence puissent être reprises. Des instructions en ce sens devraient être données avant le 4 juillet, de manière à favoriser une nouvelle organisation à la rentrée.

 

Nous sommes très engagés dans la poursuite de la loi de finances et de la LPM telles qu’elles ont été votées ; nous n’envisageons aucun bouleversement en termes de recrutement à ce stade – nous attendons les retours d’expérience.

 

Nous avons pris l’option, non pas de multiplier les CFIM, mais de développer les enseignements à distance et de reporter certaines formations sur les unités dans lesquelles les recrues seront affectées. Les centres de formation ont également été réorganisés, comme tous les services du ministère, en « bordées », les premières équipes commençant tôt le matin et les dernières terminant tard le soir.

 

M. Charles de La Verpillière. Pouvez-vous détailler les aides, en matière de logement, d’écoles ou encore d’emploi du conjoint, qui seront apportées aux familles des militaires dont la mutation interviendra cet été ?

 

Mme Natalia Pouzyreff. Pour quelle raison le personnel des armées n’a-t-il pas bénéficié des facilités offertes au personnel civil en ce qui concerne la scolarisation des enfants ? Quel appui le ministère pourrait-il apporter aux familles, notamment monoparentales ?

 

Mme Isabelle Saurat. Le plan de mutation concerne 17 000 ressortissants et leurs familles, dont 5 000 en outre-mer et à l’étranger.

 

Nous sommes intervenus auprès des fédérations professionnelles du déménagement afin que les militaires soient prioritaires. Le SCA a ouvert une plateforme lui permettant de suivre chaque militaire dans sa relation avec la société de déménagement qu’il a choisie. Nous avons également procédé à des allégements administratifs, par exemple en matière du nombre de devis réclamés ou de circulation des camions.

 

Les bureaux logement, à la disposition des Com BdD, sont les premiers à avoir été rouverts. Les attributions de logements auront néanmoins du retard, d’autant que nous ne savons pas encore, compte tenu des circonstances, combien de militaires partiront avec leur famille ou en « célibataires géographiques ».

 

La question de la recherche d’un emploi pour les conjoints a motivé la réouverture de toutes les antennes Défense Mobilité dès le 11 mai.

 

Concernant la scolarisation, nous avons rediffusé à l’ensemble des Com BdD un guide que nous partageons avec l’éducation nationale pour les inscriptions, afin qu’ils puissent appuyer les familles auprès des directeurs d’école et des services départementaux de l’éducation nationale.

 

Je tiens à souligner que l’action sociale ministérielle a été poursuivie en dépit des contraintes liées au confinement, qu’il s’agisse de l’accompagnement des ressortissants par les travailleurs sociaux ou de la délivrance des prestations. La mobilisation des antennes d’action sociale tant par les ressortissants que par le commandement est restée soutenue.

 

Il est vrai que, hormis les personnels soignants du service de santé des armées, les personnels civils et militaires des armées ne bénéficient pas de la même priorité pour la scolarisation et la garde d’enfants que les personnels soignants et les forces de l’ordre. Ils assurent la continuité des missions de l’État, mais sont en deuxième priorité. Les familles monoparentales, qui résultent d’une séparation ou de départs en OPEX, ont bénéficié, dès le début de la crise, de l’accompagnement de nos assistantes sociales, qui ont été mobilisées, dans un premier temps, pour leur trouver un moyen de garde d’enfants et, désormais, pour les aider à régler les questions de scolarité, jusqu’au 4 juillet.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. La question des enfants était, en effet, particulièrement prégnante, non seulement pour le conjoint isolé, mais aussi pour celui qui était loin et qui en nourrissait de la culpabilité.

 

Mme Isabelle Saurat. Les crédits alloués aux forfaits de communication internet des militaires en OPEX ont été doublés précisément pour qu’ils puissent garder le lien avec leurs familles.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, Madame la Secrétaire générale.

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La séance est levée à douze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexis Corbière, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Philippe Folliot, M. Claude de Ganay, M. Fabien Gouttefarde, Mme Anissa Khedher, M. Fabien Lainé, M. Didier Le Gac, M. Jacques Marilossian, M. Nicolas Meizonnet, Mme Monica Michel, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Sylvain Brial, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, Mme Laurence Trastour-Isnart