Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Table ronde, à huis clos, sur les aspects sanitaires de l’opération Résilience avec M. le médecin général Édouard Halbert, chef de la cellule de crise COVID-19 du service de santé des armées ; M. le médecin chef des services de classe normale Serge Cremades, médecin chef adjoint de l’hôpital d’instruction des Armées BEGIN (à Saint-Mandé) ; M. le lieutenant-colonel (armée de Terre) Christophe Rohmer du Centre interarmées de défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique ; M. le lieutenant-colonel de l’armée de l’Air Laurent Guerrier, commandant le centre d’expertise sécurité nucléaire NRBC.


Jeudi
28 mai 2020

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 56

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous continuons aujourd’hui nos tables rondes, qui alternent avec des auditions plus classiques et qui ont pour objet, en réunissant des acteurs œuvrant au plus près du terrain, de nous faire partager et connaître les « coulisses » de l’opération Résilience.

 

Notre précédente table ronde, vous vous en souvenez, avait une thématique géographique, la région du Grand-Est. Celle d’aujourd’hui permettra une meilleure compréhension du volet principal de l’opération Résilience, le volet sanitaire, les deux autres volets, étant, je le rappelle, la logistique et la protection.

 

Nous sommes donc ravis d’accueillir aujourd’hui :

 

-          Le médecin général Édouard Halbert, le chef de la cellule de la crise COVID-19 du service de santé des armées, qui nous dressera un bilan de l’action de cette cellule tout au long de la crise ;

 

-          Le médecin chef des services de classe normale Serge Cremades, médecin chef adjoint de l’hôpital d’instruction des Armées Begin, qui nous présentera l’action de la chaîne hospitalière et de son personnel dans la prise en charge des patients COVID-19 avec un focus bien sûr sur l’hôpital BEGIN. Cet hôpital est situé à proximité de Paris, à Saint-Mandé, dans le Val de Marne et a été très vite référencé comme hôpital de première ligne ;

 

-          Le lieutenant-colonel Christophe Rohmer, du centre interarmées de défense nucléaire, radiologique biologique et chimique (plus connu sous le signe de CIA NRBC) ;

 

-          Et le lieutenant-colonel de l’armée de l’Air Laurent Guerrier, commandant le centre d’expertise sécurité nucléaire NRBC.

 

Ces deux derniers intervenants nous présenteront plus précisément le savoir-faire unique des Armées en matière de décontamination, une compétence dont a pu notamment bénéficier le Palais Bourbon.

 

Je suis certaine que cette audition nous permettra de mieux comprendre comment dans chacun des domaines qui sont les vôtres les Armées ont pu, avec des moyens relativement réduits, grâce à leur réactivité et créativité, apporter une aide aussi conséquente à la lutte contre le coronavirus.

 

M. le médecin général Édouard Halbert, chef de la cellule de crise covid-19 du service de santé des armées. Le service de santé des armées (SSA) a pour mission générale d’assurer le soutien médical des forces armées avant, pendant et après les engagements opérationnels. Il est pourvu de compétences spécifiques qui sont utilisées dans tous les milieux, notamment : le traumatisme de guerre, le domaine nucléaire, radiologique et chimique, et les pathologies infectieuses.

 

Notre expertise se nourrit de la réflexion sur la collectivité que déclenche la réponse à chaque événement individuel, en matière de prévention, de contre-mesures ou de surveillance. Plusieurs capacités sont mobilisées à cette fin : un parcours de soins allant de la blessure à la rééducation, une chaîne de ravitaillement intégrée, des formations adaptées à notre pratique, un institut de recherche, une veille sanitaire.

 

Sous l’autorité de la directrice centrale du SSA, la cellule de crise que je dirige a été créée le 7 février pour coordonner toutes les actions conduites dans la lutte contre l’épidémie, dans ses aspects scientifiques, techniques et opérationnels, en vue de préserver autant que possible la capacité opérationnelle des armées.

 

Dès l’apparition du nouveau coronavirus en Chine, le SSA a participé aux échanges d’information de veille sanitaire avec le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, tout en poursuivant sa mission au profit des forces armées. Au tout début de la pandémie, les armées et le SSA ont été sollicités pour la mise en œuvre de deux opérations de rapatriement, les 31 janvier et 2 février.

 

Malgré la menace de la covid-19, les opérations militaires se poursuivaient. Nos dispositifs de soutien médical ont tous été renforcés, au profit des forces tant en opération que sur le territoire national. Nous sommes intervenus, et continuons à le faire, dans le processus de traçage des cas contacts au profit de la population du ministère des armées, ainsi que sur tous les points de présence des forces françaises.

 

Nos huit hôpitaux d’instruction des armées (HIA) ont presque triplé leurs capacités en réanimation.

 

Après celui de Mulhouse, un nouvel élément militaire de réanimation du service de santé des armées (EMR-SSA), d’une capacité de dix lits, se déploie à Mayotte, qui sera intégré dans le centre hospitalier de Mamoudzou. Il sera complètement opérationnel début juin, avant le pic attendu de l’épidémie sur zone.

 

Le SSA a réalisé de nombreuses évacuations par voie aérienne ou maritime et contribué aux opérations par voie ferrée. Six opérations ont été conduites au total, entre le 18 mars et le 3 avril, pour le transfert de trente-six patients lourds intubés et ventilés, auxquels il faut ajouter les douze patients évacués de Corse par voie maritime. Aucun décès n’a été déploré lors de ces transferts.

 

Pour répondre à la demande dans les régions Grand-Est et Île-de-France, à partir du 28 mars, l’armée de Terre et l’armée de l’Air ont mis à disposition des hélicoptères dont la médicalisation a été assurée par des équipes médicales civiles renforcées par des équipes du SSA ; 106 patients ont bénéficié de transferts héliportés. Le SSA a également adjoint des équipes médicales aux transferts effectués par trains sanitaires. Deux porte-hélicoptères amphibies ont été envoyés vers les territoires ultramarins, dans le cadre de l’opération Résilience, permettant l’évacuation de dix-sept patients.

 

Toutes ces missions ont nécessité une très grande réactivité et ont été menées grâce à l’appui de nos cinq composantes : la médecine des forces, les hôpitaux d’instruction des armées, le ravitaillement médical, la réanimation et l’évacuation. Les structures de formation, de recherche et de surveillance épidémiologiques ont également été impliquées et poursuivent leur action. Nous avons, en outre, fait appel à nos élèves en formation et aux réservistes qui, plus que jamais, ont joué un rôle essentiel dans la réalisation de la mission du SSA.

Pour conclure, si nous ne sommes pas l’ultima ratio de la santé publique, nous contribuons à hauteur de nos moyens.

 

M. le médecin chef des services de classe normale Serge Cremades, médecin chef adjoint de l’hôpital d’instruction des armées Bégin. Si soigner dans le chaos de la guerre est, depuis trois siècles, sa raison d’être, le service de santé des armées s’est historiquement impliqué dans les situations sanitaires exceptionnelles où son expertise est requise.

 

Les huit hôpitaux des armées sont engagés dans une transformation profonde pour s’adapter à leur double mission prioritaire : assurer le rôle 4 de la chaîne de prise en charge des blessés en opérations extérieures et être immédiatement mobilisables pour la résilience sanitaire des armées afin d’être utiles à la résilience nationale. Cette transformation est conduite selon trois grands principes : la concentration des moyens dans deux ensembles hospitaliers militaires – Bégin et Percy au Nord, Laveran et Sainte-Anne au Sud ; la différenciation, avec, au sein de chaque ensemble, un hôpital disposant de capacités chirurgicales renforcées et l’autre, d’un service des maladies infectieuses, et enfin l’ouverture vers le territoire militaire et au profit du territoire de santé.

 

La préparation à la gestion de crise est essentielle. Elle permet de déployer immédiatement des plans d’action sanitaire selon une doctrine fixée à l’avance et mise en œuvre par la direction des hôpitaux (DHOP) – dans le contexte de pandémie, sous la conduite de la cellule de crise covid-19.

 

La direction des hôpitaux a veillé à la continuité de nos missions de projection et de soins aux blessés des théâtres d’opérations. Elle a également assuré la poursuite de la prise en charge des urgences et adapté les capacités d’hospitalisation pour accueillir un nombre important de patients atteints de covid. Elle a enfin déployé des mesures d’hygiène hospitalière pour éviter les transmissions croisées.

 

Au 24 février, les hôpitaux d’instruction des armées disposaient de 59 lits de réanimation ; en moins de deux semaines, ils ont été portés à 163, et près de 300 lits d’hospitalisation conventionnelle ont été dédiés au covid-19.

 

Avec ses huit hôpitaux employant 840 médecins, la composante hospitalière militaire représente 0,7 % de l’offre de soins française. L’activité covid-19 des HIA a atteint 1,6 % de l’activité hospitalière covid nationale, et 2,04 % de l’activité de réanimation nationale. La létalité observée des patients en réanimation est identique à celle du secteur hospitalier civil. Tous nos HIA ont admis des patients covid-19. Établissement de santé de référence de niveau 1 pour le risque infectieux émergent, Bégin a confirmé sa position de pointe en infectiologie et a réalisé, à lui seul, 32,2 % de l’activité de réanimation covid des hôpitaux militaires.

 

Dès la description des premiers cas de pneumonie virale en Chine, en décembre 2019, nos chefs de service de biologie et de maladies infectieuses ont organisé une veille régulière des connaissances et apporté un conseil technique au commandement militaire. La cellule de crise de Bégin s’est réunie quotidiennement, sans interruption depuis le 24 février, en lien avec celles de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France et de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

L’hôpital Bégin a accueilli dès le 27 février les premiers patients suspects d’infection en provenance de Creil. Au mois de mars, les admissions se multiplient, rendant nécessaire une augmentation rapide des capacités d’hospitalisation. Le 9 mars, la déprogrammation de toutes les activités non urgentes est décidée. Un circuit est dédié à l’accueil des patients, avec l’installation de trois postes sous tentes dressées devant les urgences pour les patients peu symptomatiques ; une filière spécifique pour les militaires et les très hautes autorités est créée au même endroit. Les avis médicaux sont assurés par les praticiens de toutes les spécialités. Jusqu’à 120 patients par jour sont accueillis ; 754 patients infectés non hospitalisés sont suivis.

 

Dès le 26 février, une unité d’hospitalisation spécifique de vingt chambres individuelles est activée, qui permet de doubler les capacités du service des maladies infectieuses. Le 15 février, douze lits supplémentaires sont ajoutés, après le regroupement des autres spécialités à un étage distinct. Dix lits d’hospitalisation sont réservés en priorité aux militaires.

 

Le service de réanimation de douze lits est préparé à l’accueil des patients infectés à la covid-19 dès le début de l’épidémie. En quelques jours, deux autres services sont également équipés pour porter la capacité à trente-huit lits de réanimation, dont cinq réservés en priorité aux militaires.

 

Ce défi mobilise toutes les énergies : de nombreux infirmiers sont formés aux soins spécifiques requis par ces patients et plus de cent personnels en renfort nous parviennent de la réserve opérationnelle, des écoles de santé militaire de Lyon-Bron, de la médecine des forces, de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Les matériels récupérés des salles de bloc opératoire ou des salles de réveil équipent les nouveaux lits de réanimation. Les stocks de médicaments et d’équipements de protection individuelle sont particulièrement évalués ; les procédures d’hygiène sont diffusées.

 

Tout début avril, avec le renforcement de la vague épidémique, les premiers transferts interrégionaux interviennent pour retrouver des capacités de réanimation. Un très lent reflux des nouvelles admissions s’amorce à partir du 16 avril.

 

En dépit de la très grande activité de l’établissement, sur 1 068 personnels de l’hôpital Bégin, seuls 21 ont été testés positifs par PCR, soit 1,96 %, et 8 ont été absents pour cause de covid-19, soit 0,74 %. Le soutien managérial, social et psychologique, au moyen notamment de techniques de relaxation et de séances d’information, a permis de limiter la description de souffrances au travail.

 

Le SSA est un système de santé intégré qui dispose de l’ensemble du spectre médical nécessaire pour le soutien sanitaire des armées. La composante hospitalière est indissociable de la médecine des forces, de la chaîne d’approvisionnement, des écoles, de la recherche et d’une capacité d’analyse et d’anticipation en santé publique. Les hôpitaux des armées peuvent être mobilisés avec une agilité et une réactivité exceptionnelles. Bégin et Laveran comptent parmi les premiers établissements disponibles en cas de pandémie. Le maillage territorial des HIA doit assurer une couverture satisfaisante des territoires de défense. Nos deux ensembles hospitaliers forment des groupements d’excellence pour le polytraumatisme, d’une part, et les maladies infectieuses, d’autre part. Ils doivent être consolidés dans ces dimensions.

Une gestion prévisionnelle adaptée des moyens et des compétences, de la recherche et de l’innovation doit permettre d’assurer la résilience sanitaire des forces armées au risque épidémique en opérations extérieures comme sur le territoire national.

 

Lieutenant-colonel Christophe Rohmer, du Centre interarmées de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique. J’occupe, depuis l’été 2018, les fonctions de chef du bureau doctrine, études et prospective au centre interarmées de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique. J’interviens devant vous au titre de ma projection, dans le cadre de l’opération Résilience, à l’état-major de zone de défense et de sécurité (ZDS) Sud de Marseille, du 30 mars au 1er mai 2020, où j’étais responsable de la gestion de l’aspect nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) de la crise. Mon propos traduira donc la vision interarmées que j’ai pu avoir de cette crise, et non pas une vision armée de Terre. J’avais une mission de conseil, de soutien et d’organisation de formations, notamment à la désinfection, au profit des non-spécialistes NRBC.

 

L’aspect biologique des risques et menaces NRBC est le plus difficile à maîtriser, une difficulté exacerbée, pour la covid-19, par la contagiosité des porteurs asymptomatiques ou peu symptomatiques. L’application de procédures de désinfection et de mesures de prévention face au virus constitue donc en permanence un enjeu majeur nécessitant une implication de chacun. Seuls les spécialistes du domaine NRBC détiennent les capacités à conduire des actions de décontamination ou de désinfection approfondies. Afin d’alléger la pression sur ces derniers, le centre interarmées de défense NRBC a travaillé, dès le début du mois de mars, pour définir un socle commun de procédures qui pourrait s’adresser aux non-spécialistes, de façon qu’ils puissent eux-mêmes conduire des actions de désinfection à la fois préventives et curatives, dans un cadre strictement défini. L’évaluation et la priorisation des besoins relatifs à l’emploi des uns ou des autres ont constitué une préoccupation constante de mon action.

 

Mon engagement s’est révélé essentiel pour appuyer l’état-major de Marseille, en complément de la présence indispensable de référents NRBC à chaque niveau de commandement. Leur formation a été identifiée comme un processus nécessaire dans les armées bien avant la crise de la covid-19.

 

La pertinence et la complémentarité du maillage territorial ont également été décisives. Pour le domaine NRBC, cela s’est traduit par le renfort de la ZDS Sud par deux équipes de désinfection, armées par l’armée de Terre et l’armée de l’Air. Celles-ci ont effectué des actions de désinfection et contribué à la formation des non-spécialistes. Cette pertinence justifie donc pleinement de disposer d’un modèle d’armée complet dès le temps de paix.

 

Un point très positif de cet engagement aura été la capacité des spécialistes NRBC de l’ensemble des armées à fonctionner en réseau, tant horizontalement que verticalement, afin de partager et de diffuser la connaissance et les bonnes pratiques. Là encore, cette capacité repose très largement sur l’identification des bons points de contact dès le temps de paix, et pourrait s’étendre aux spécialistes d’autres ministères.

 

Ce fonctionnement en réseau a été particulièrement utile lors de la phase de préparation des opérations de désinfection du porte-avions Charles de Gaulle. Les contacts préexistants avec les marins de la base de Toulon ont permis un gain de temps significatif. Au cours de cette mission inédite au caractère éminemment interarmées, les moyens engagés se sont avérés complémentaires : les équipes de désinfection de la marine avaient la connaissance du navire, et le 2e régiment de dragons NRBC apportait sa solide expérience en matière de désinfection. Cette mission a enrichi la connaissance mutuelle des acteurs.

 

La prestation des équipes de désinfection terre et marine a été excellente, dans un contexte difficile lié à la nature même du chantier – continuité de service des installations nucléaires, multiplicité des acteurs –, alors qu’une grande partie de l’équipage était porteuse du virus. Il s’agit bien d’une réussite collective : les spécialistes y ont largement contribué, grandement aidés par les non-spécialistes, très impliqués dans l’application des mesures visant à empêcher la réintroduction du virus à bord.

 

Lieutenant-colonel de l’armée de l’Air Laurent Guerrier, commandant le centre d’expertise sécurité nucléaire NRBC de l’armée de l’Air. Je commande le centre d’expertise sécurité nucléaire NRBC, unité du centre d’expertise aérienne militaire (CEAM), qui a pour mandat de garantir la capacité d’intervention de l’armée de l’air en situation d’urgence radiologique « armes » ainsi que sa capacité d’accomplir ses contrats opérationnels « dissuasion », « protection », et « projection » dans un environnement NRBC. Le CE SN NRBC est pour le domaine NRBC un centre de formation, d’expérimentation des matériels nouveaux de l’armée de l’Air et centre référent pour les travaux de doctrine.

 

Lors de la crise du covid-19, la désinfection des aéronefs a été effectuée par les pompiers de l’air, dont ceux de la section d’intervention NRBC.

 

La décontamination intérieure est essentielle lors d’une mission de transport aérien dans un contexte NRBC. Le risque biologique et la désinfection étaient déjà pris en compte pour les transports ponctuels de patients porteurs du virus Ebola.

 

En janvier, la contamination possible et donc la désinfection d’un A340 de l’escadron Esterel, dans un temps contraint, constituaient une situation nouvelle. L’ampleur de la crise et la diversité des situations qui allaient suivre confirmaient l’ensemble des solutions techniques initiales retenu fin janvier avec l’acquisition de brumisateurs.

 

La désinfection aéronautique a été caractérisée par la réactivité, le travail d’équipe, la spécificité et l’innovation.

 

En quatre jours, du 28 au 31 janvier, un groupe d’experts a déterminé, recherché, acquis, fait livrer les matériels, puis rédigé les procédures nécessaires à la désinfection des aéronefs, aux fins de passer le relais.

 

En une quinzaine de jours nous avons proposé un panel de procédures permettant de couvrir quasiment tous les aéronefs en service dans le respect des spécificités de chaque flotte. En dix jours, 600 pompiers de l’air, spécialistes aéronautiques et NRBC, ont reçu cette instruction complémentaire.

 

Depuis le 28 janvier, les experts du CEAM, appuyés par leurs homologues du SSA, de la délégation générale de l’armement et de la direction de la maintenance aéronautique, ont défini les modes opératoires. L’armée de l’Air et les groupe de soutien des bases de défense ont mis en place les équipements nécessaires, l’armée de l’Air a défini une stratégie d’emploi et confié le capitanat de ces opérations aux pompiers de l’air. Avec la section d’intervention NRBC, 125 pompiers, répartis dans dix-huit équipes de décontamination « air » en métropole et sept hors de métropole, œuvrent quotidiennement sur les plateformes de stationnement des aéronefs depuis le début de la crise. Hors de la métropole, six bases aériennes disposent d’équipes de désinfection ; sur cinq autres sites, les pompiers de l’air assurent la direction des opérations avec l’appui des spécialistes du 2e régiment de dragons NRBC.

 

La désinfection des aéronefs comporte des spécificités. Si le produit utilisé doit détruire le virus, le mode d’application doit être autorisé pour chaque aéronef. Les opérations de désinfection sont déterminées par une analyse des risques fondée sur les conditions préalables, les mesures préventives, et les circonstances du vol. Les procédures doivent se décliner en fonction de l’état final recherché. Ainsi, la désinfection approfondie des hélicoptères-ambulances est réalisée chaque jour, et des désinfections opérationnelles sont effectuées entre chaque noria.

 

Si nous avons retenu une technologie, nous sommes attentifs à toutes celles qui seraient compatibles avec le milieu aéronautique pour disposer d’une panoplie optimale, qu’il s’agisse de l’extension du domaine d’emploi du DAF 3000 ou de technologies utilisant les ultraviolets et l’ozone. Enfin, nous travaillons sur plusieurs projets pour réduire la contamination des aéronefs. L’agence de l’innovation de défense (AID) a notamment repris PEGASE 2, une capacité de transport aérien des patients contaminés, lancée avec l’appui des experts BIO du SSA.

 

Le fait NRBC ne doit pas remettre en cause la liberté d’action de l’armée de l’Air. La décontamination en général et la désinfection en particulier de ses aéronefs sont essentielles. L’armée de l’Air a pu faire face à un cas non conforme dans des temps contraints, car elle disposait d’une expertise au CEAM et de pompiers de l’air spécialistes NRBC formés et entraînés.

 

M. Jacques Marilossian. Du fait de la pandémie, le déficit de recrutement dépasse 3 000 hommes dans l’armée de Terre. Le service de santé des armées est-il également affecté ?

 

Quelles seraient vos recommandations s’il fallait réviser la loi de programmation militaire pour se préparer à l’apparition d’un nouveau virus dans les prochaines années ?

 

M. Jean-Louis Thiériot. Dans les zones de défense, les secrétaires généraux ou les officiers généraux semblent avoir été peu mobilisés. Comment la coordination a-t-elle été assurée au sein des centres opérationnels de zone ? Avez-vous ressenti un manque de personnel, notamment réserviste, pour des missions de décontamination ?

 

Des évolutions importantes de dimensionnement sont-elles nécessaires pour faire face à un virus plus virulent ou à des attaques bactériologiques ou chimiques terroristes ?

 

M. Stéphane Baudu. Quels enseignements tirer des conditions de mobilisation de nos moyens militaires en réponse au covid-19, dans l’éventualité d’une crise NRBC majeure sur le territoire national ?

 

Du fait de leur très haute technicité ou du manque de moyens civils, les forces armées vont apparaître comme le premier plutôt que comme l’ultime recours. Une évolution de nos moyens militaires vous apparaît-elle nécessaire pour nous préparer à l’éventualité d’une nouvelle crise sanitaire ?

 

M. Yannick Favennec Becot. L’armée va-t-elle utiliser à grande échelle l’application StopCovid, tant pour susciter l’adhésion de la population que pour limiter la diffusion du virus ?

 

Comment l’armée pourrait-elle favoriser la production de tests dans les territoires d’outre-mer ?

 

Est-il prévu de créer des lits de réanimation en Guyane, qui risque de connaître une importation du virus en provenance du Brésil ?

 

M. André Chassaigne. Les importants moyens du service de santé des armées, en termes de personnel, de capacités et de recherche, ont été peu à peu transférés vers les services de santé civils. Dans la durée, les spécificités du SSA seront-elles suffisantes pour faire face à de nouvelles pandémies ou en cas d’attentats terroristes ?

 

Le domaine civil a-t-il bien pris le relais des recherches qui étaient menées par les armées, notamment dans le domaine biologique ?

 

M. Thibault Bazin. Quand avez-vous pris conscience de la dangerosité du covid-19 ? Les informations venues de Chine puis d’Italie vous ont-elles semblé fiables ? Avez-vous échangé avec les services de santé des armées étrangers, notamment parmi les membres de l’OTAN ?

 

D’autres armées ont-elles détecté et protégé plus tôt et mieux, notamment en étant capables de doter des navires de machines de tests ?

 

M. Jean-Pierre Cubertafon. Sur le terrain, qui, des ARS, des hôpitaux ou des forces armées, avait le pouvoir de décision sur les unités d’appui sanitaire ? Comment s’est organisée la coopération civilo-militaire ?

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Mme Anissa Kheder me charge de vous remercier pour votre mobilisation. Elle-même a pu constater l’excellence de la médecine et de la recherche des armées françaises, tout comme les citoyens ont été témoins de la grande réactivité et de la capacité d’adaptation hors du commun des armées françaises pour faire face à l’épidémie et sauver des vies.

 

M. le médecin général Édouard Halbert. D’une manière générale, le processus de recrutement a été impacté par le confinement et les restrictions de mobilité associées. Depuis sa levée le 11 mai, le service de santé des armées a ouvert toutes ses antennes d’expertise médicale initiale pour faciliter la reprise des activités. Pour répondre à ses propres besoins, le SSA a un plan de recrutement ambitieux, essentiellement ciblé sur les praticiens, afin de compenser les départs avant la limite d’âge. Pourvoir à l’ensemble des postes est essentiel pour assurer le très haut niveau de projection requis actuellement (200 % pour les chirurgiens). Et malgré un marché extrêmement concurrentiel, nous restons très attractifs au regard des recrutements en école. À ce stade, le plan de recrutement du service de santé des armées n’a été que peu altéré par le confinement, mais il est vrai qu’il porte sur de très petits volumes comparé au reste des armées.

 

Dans la zone Est, la coordination a été excellente entre l’ARS, le site hospitalier Émile Muller et l’officier général de zone de défense et de sécurité (OGZDS). Elle a, entre autres, donné lieu à l’organisation d’une filière de soins de suite qui a permis le désengagement de l’EMR SSA dans des conditions optimales. De même, le dialogue entre l’OGZDS et l’ARS, qui bénéficie d’un officier de liaison du Service, a grandement facilité l’articulation civilo-militaire lors des transferts de patients par trains sanitaires, notamment ceux à destination de Bordeaux.

 

L’heure n’est pas encore au retour d’expérience général de cette épidémie, nous sommes maintenant pleinement engagés dans une phase de contact tracing qui mobilise de nombreuses équipes.

 

Le SSA a gardé toutes ses capacités, mais au prix d’un format échantillonnaire. Nous avons toujours conservé nos compétences dans les domaines de la médecine de guerre, des pathologies infectieuses et du NRBC, mais nous avons dû jeter toutes nos forces dans la bataille lors de cette crise. Nous poursuivons l’effort en projetant un élément militaire de réanimation à Mayotte, où le nombre de cas de covid-19 est en augmentation, mais il serait très compliqué d’en installer un en Guyane. En sus de la crise COVID-19, nous avons continué d’assurer le soutien des engagements opérationnels avec 366 personnes prêtes à partir en cas d’alerte, dont du personnel dédié pour les évacuations médicales. L’EMR-SSA s’est ajouté aux postes sur les théâtres d’opérations. Ainsi, les 104 réanimateurs du service ont dû œuvrer au sein des HIA, de l’EMR-SSA et des structures de soins en opérations en passant de l’un à l’autre pour certains. Le niveau d’engagement est très élevé. Notre format nous permet d’assurer nos missions, mais en engageant la totalité de nos moyens.

 

L’application StopCovid a notamment été testée par des militaires. Compte tenu des missions spécifiques au ministère et du besoin de protection de certaines données, je laisse le soin aux autorités compétentes de répondre plus avant.

 

M. le médecin chef des services de classe normale Serge Cremades. Le SSA va essayer de réduire au minimum les délais de l’expertise médicale initiale pour le traitement des dossiers des jeunes recrues. Ces délais parfois excessifs ont notamment été à l’origine de décisions d’inaptitude temporaire, faute d’accès aux avis spécialisés. Depuis le 11 mai, les hôpitaux des armées appliquent une nouvelle circulaire permettant de donner des réponses rapides aux demandes d’avis spécialisés pour le recrutement.

 

Nous rencontrons également des difficultés pour recruter des spécialistes dans les domaines en lien avec les contrats opérationnels – chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs –, afin de constituer nos soixante-cinq équipes chirurgicales. Ces recrutements constituent une priorité, car ils conditionnent la réponse opérationnelle.

 

La crise sanitaire démontre la pertinence de maintenir une capacité médicale de prise en charge en infectiologie et plus généralement en médecine, permettant de tenir sur la durée, car, à la différence d’un attentat qui provoque un afflux ponctuel de blessés, une épidémie entraîne des hospitalisations prolongées et étalées dans le temps.

Sous la direction des ARS, les établissements de santé réécrivent, eux aussi, des plans d’organisation de la réponse aux situations sanitaires exceptionnelles, en particulier pour faire face aux risques épidémiologiques émergents. Le SSA, par son expérience en matière de préparation et de rôle 4, est très engagé dans la conception et la préparation de plans ; c’est ce qui lui permet de déclencher la réponse avec une réactivité exceptionnelle. Ensuite, il faut passer le relais aux structures civiles, car, avec 0,7 % des capacités hospitalières nationales, il n’est pas en mesure de porter la gestion d’une crise nationale d’ampleur. Notre plus-value, en matière de prise en charge, se trouve dans notre capacité à réagir vite, dans notre résilience, et dans le fait que la réponse aux contrats opérationnels reste prioritaire en toutes circonstances.

 

Lieutenant-colonel Christophe Rohmer. D’après mon expérience à l’état-major de la ZDS Sud, la coordination au sein des ZDS a été très fluide : le centre opérationnel interarmées des ZDS était en liaison quasi-permanente avec le centre opérationnel de zone – civil – aux ordres du préfet, comme l’étaient les autorités préfectorales et les autorités militaires. Cela a conduit, dans les premiers moments de l’opération Résilience, à une lecture large de la règle des « 4 i » – les moyens militaires sont engagés au profit de l’autorité civile dès lors que les moyens civils sont « inexistants, inadaptés, insuffisants ou indisponibles ».

 

Je n’ai pas eu le sentiment d’un manque de personnel : le centre opérationnel de la ZDS Sud a été suffisamment pourvu, à la fois par des permanents, des réservistes et des renforts.

 

En matière de dimensionnement de nos capacités militaires, le retour d’expérience de la crise du covid-19 est déjà engagé. Nous en tirerons des orientations pour améliorer nos capacités de réponse, déjà systématiquement préparées pour faire face à l’ensemble des menaces existantes, notamment NRBC, et susceptibles d’être adaptées à toutes sortes de situations.

 

S’agissant des unités d’appui spécialisé, nous avons reçu, pour celles qui étaient déployées à l’hôpital de la Conception à Marseille, des retours très positifs, tant de la part des civils que des militaires et du secteur hospitalier, en particulier au regard de l’engagement des légionnaires du 2e Régiment étranger de génie. La coordination de cette manœuvre au profit de l’ARS zonale a été assurée par l’officier général de ZDS Sud, pour que les moyens militaires restent dans la chaîne de commandement militaire, mais son emploi a été décidé conjointement avec les autorités de l’hôpital. Cette expérience, couronnée de succès, a été étendue à partir de la fin du mois d’avril à d’autres hôpitaux de la zone Sud.

 

Lieutenant-colonel Laurent Guerrier. En matière de ressources humaines et de recrutement, nous devons rester vigilants à maintenir les niveaux de personnels suffisants. La politique appliquée dans l’armée de l’Air, pour répondre aux risques NRBC, est celle du « juste besoin ». Toute la difficulté étant de le définir hors période de crise, le besoin étant naturellement plus bas qu’en situation de crise.

 

Pour tenir dans la durée et pouvoir redoubler d’efforts en cas de nouvelle crise, nous devons d’abord régénérer notre capacité – humaine mais aussi matérielle – car durer, c’est réduire, chaque fois que cela est possible, les contraintes sur le personnel. Pour répondre au besoin des équipes médicales engagées à bord de l’A330 MORPHEE, une zone de récupération à côté du bloc a été montée. Plus généralement, nous recherchons les voies de nature à faire baisser la pression sur le personnel opérationnel et le rendre le plus résilient possible.

 

Enfin, s’agissant de la préparation interministérielle, je mentionnerai l’importance des entraînements interministériels zonaux qui sont effectués dans chaque ZDS. La base aérienne de Cazaux est le centre d’entraînement zonal sud-ouest. À ce titre, nous avons des relations régulières avec l’état-major interministériel de zone.

 

M. le médecin général Édouard Halbert. Je souhaite préciser que l’alerte précoce a été rendue publique et partagée entre tous les acteurs, sans distorsion de l’information. Un réseau existe entre les armées, le ministère de la santé et celui de l’Europe et des affaires étrangères, qui nous a permis de partager les outils de veille sanitaire et d’échanger des informations.

 

Des échanges ont également eu lieu entre services de santé. Dans le cadre du comité des chefs de services de santé de l’OTAN, à Bruxelles, de très nombreux groupes de travail – comme le Force Health Protection – réunissent plusieurs fois par an des experts pour partager des informations. Quant à savoir si d’autres armées ont mieux été protégées et détectées, le retour d’expérience nous le dira. Toute comparaison devra nécessairement prendre en considération les variations dans les stratégies retenues par les différentes nations.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Vos retours d’expérience serviront les réflexions à venir quant aux moyens dont vous devez bénéficier ; il faudra défendre en la matière la notion de juste besoin. Je salue particulièrement la capacité d’anticipation, de réactivité et de résilience du SSA, qui a été très précieuse en complément des dispositifs civils existants.

 

J’ai personnellement pu observer, à l’hôpital de la Conception de Marseille, combien la coopération entre le 2e Régiment étranger de génie de Saint-Christol et les personnels soignants avait été extraordinaire ; elle a créé et renforcé des liens qui perdureront et feront évoluer notre appréhension des risques sanitaires sur les territoires.

 

Je souhaite vous exprimer notre gratitude pour tout ce que vous avez fait, en opérations extérieures, en préparation opérationnelle ou en soutien. Aux pires moments de la crise, les images de la construction de l’EMR à Mulhouse ont été pour beaucoup la seule note d’espoir ; elles resteront gravées dans la mémoire nationale.

 

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La séance est levée à quinze heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Jean-Jacques Bridey, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Thomas Gassilloud, M. Jean-Michel Jacques, Mme Anissa Khedher, M. Didier Le Gac, M. Jacques Marilossian, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Thiériot, M. Pierre Venteau

Excusés. - M. Sylvain Brial, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Blanchet