Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, de Mme Florence Parly, ministre des Armées, sur le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France 2020.

 


Mardi
7 juillet 2020

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 66

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à dix-neuf heures.

Mme la présidente Françoise Dumas. Madame la ministre, tout d’abord, je ne dissimulerai pas notre plaisir de vous retrouver aujourd’hui dans les fonctions qui sont les vôtres. Nous vous félicitons pour votre reconduction à la tête du ministère des armées. (Applaudissements.)

Nous vous recevons pour la présentation du rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France. Je rappelle que le principe qui prévaut dans notre pays est l’interdiction de toute activité liée à la fabrication et au commerce des armes, sauf autorisation délivrée par l’État. Le rapport décrit ainsi, avant d’aborder les chiffres pour 2019, le contrôle interministériel rigoureux des dérogations et licences d’exportation accordées à nos industriels de défense. Il rappelle également qu’à ce contrôle interministériel a priori s’ajoute un contrôle ministériel a posteriori sur le respect des conditions imposées lors de la délivrance d’une licence.

Ce rapport, dont je salue l’effort pédagogique, est instructif à plus d’un titre.

Tout d’abord, il établit le montant total des commandes pour 2019 à 8,3 milliards d’euros. Malgré une baisse de 700 millions d’euros par rapport à l’année 2018, ce chiffre peut être qualifié, ainsi que l’indique le rapport, de « bon résultat », car il convient de ne pas oublier que les cinq dernières années ont été exceptionnelles, notamment en raison de l’apport des ventes de Rafale. Il s’inscrit dans la moyenne observée des dix dernières années.

Ce rapport révèle également une forte réorientation de nos exportations vers nos partenaires européens, aux dépens de nos clients traditionnels, notamment moyen-orientaux. Alors que la part des pays du Moyen-Orient dans le total des commandes est passée de 50 % en moyenne lors des années précédentes à 30 % en 2019, la proportion des clients européens est quant à elle passée de 10 à 42 % – 45 % si l’on inclut les États non membres de l’Union européenne (UE). De même, trois de nos cinq premiers clients sont européens, le principal étant notre voisin belge, qui nous a commandé des navires chasseurs de mines pour 1,8 milliard d’euros. Comme vous l’avez vous-même souligné, Madame la ministre, cette hausse des exportations vers nos partenaires européens « n’est pas le fruit du hasard » et est en parfaite cohérence avec la volonté de développer l’Europe de la défense que vous portez depuis maintenant trois ans.

La forte part des contrats navals dans le total des exportations est également inédite. Alors que le secteur naval représentait en moyenne 10 % du total des commandes au cours des années précédentes, cette proportion s’est élevée à 50 % en 2019. Nous aimerions connaître votre appréciation quant à cette performance exceptionnelle du secteur naval, ainsi que sur les résultats des secteurs terrestre et aéronautique.

Vous soulignez toutefois, dans votre avant-propos au rapport, les difficultés que devront affronter nos industries de défense à la suite de la crise liée au covid-19, notamment le durcissement de la concurrence internationale pour des contrats d’armements potentiellement moins nombreux, compte tenu de la restriction des budgets publics. De fait, de nombreux industriels de la défense m’ont fait part d’une inquiétude similaire et craignent tout à la fois les conséquences des annulations des salons internationaux, le renforcement de la concurrence et les restrictions des budgets publics. Très souvent, en effet, les exportations représentent 50 % de leur chiffre d’affaires total.

La revue stratégique de 2017 indiquait : « En apportant un volume d’activité complémentaire à la commande nationale et en stimulant l’innovation dans un environnement international très concurrentiel, l’export reste capital pour une industrie de défense compétitive et le maintien des compétences. » Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, si l’activité à l’exportation faiblissait pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), l’État n’aurait que deux options : soit renoncer à l’autonomie stratégique française, soit payer plus cher ses propres équipements. Les travaux de Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot sur l’industrie de défense devraient, je le suppose, aborder cette problématique.

J’ai conscience que le développement à l’export passe aussi par l’absolue certitude du respect de nos engagements internationaux, et notamment des embargos sur les armes. Cette exigence est la condition indispensable à la préservation d’un consensus national. Vous y contribuez d’ailleurs, Madame la ministre, en venant chaque année devant nous. Des améliorations sont sans doute encore possibles, notamment dans le domaine du contrôle parlementaire, et notre commission attend avec intérêt les conclusions des travaux entrepris sur ce sujet par Jacques Maire et Michèle Tabarot.

Enfin, le rapport 2020 met en lumière les demandes croissantes, de la part de nos partenaires internationaux, de transferts de technologie, ce qui constitue un enjeu particulier en termes de non-prolifération et de préservation des intérêts de sécurité de notre pays. Là encore, nous souhaiterions connaître la façon dont vous envisagez ce défi dans les années à venir.

Mme Florence Parly, ministre des armées. C’est toujours un plaisir de répondre à votre invitation, mais je vous dirai que je suis particulièrement heureuse d’être aujourd’hui avec vous. Le Président de la République et le Premier ministre m’ont fait l’honneur de me reconduire à la tête du ministère des armées. Je suis plus que jamais déterminée à mener à bien la mission qui m’a été confiée de reconstruire nos armées et de mettre en œuvre la loi de programmation militaire que vous avez votée. Tout ceci m’oblige. Je sais à quel point vous êtes vigilants sur le fait que nous atteignons les objectifs fixés et je sais aussi que je peux compter sur votre soutien.

Je réponds à l’invitation de votre commission pour présenter le rapport annuel sur les exportations d’armement de la France, qui a été transmis aux membres des commissions chargées de la défense et des affaires étrangères le 1er juin dernier, avant d’être adressé à l’ensemble des membres du Parlement, comme la loi le prévoit. Cette audition me donne l’occasion de revenir sur un certain nombre d’éléments soulignés dans le rapport.

Je commencerai par quelques mots de contexte. Si le ministère des armées remet chaque année au Parlement le rapport sur les exportations d’armement, je crois que nous avons rarement fait face à un environnement stratégique aussi bouleversé et aussi imprévisible que celui que nous connaissons actuellement.

La crise sanitaire emporte évidemment de nombreuses conséquences sur notre industrie de défense, en particulier dans le secteur de l’aéronautique. Nous avons fait des annonces dans ce domaine. Je rappelle que j’ai décidé d’accélérer des commandes militaires d’un montant de 600 millions d’euros pour soutenir l’industrie aéronautique.

C’est une première étape de l’aide que nous devrons organiser et fournir aux entreprises qui concourent à la défense nationale. Ma priorité, pour les mois à venir, est d’éviter que le choc économique induit par la pandémie ne touche trop durement notre base industrielle et technologique de défense. Mais, soyons lucides, nos industriels seront nécessairement affectés par la baisse des commandes civiles.

Après de nombreuses visites, tant chez les « poids lourds » de la défense que dans des PME, je peux témoigner de la volonté des entreprises d’affronter la crise et du courage dont elles font preuve. Elles se sont largement mobilisées pour assurer la continuité de leurs activités – et donc des nôtres – durant la période de confinement.

Il faut avoir conscience du fait que, si la crise sanitaire affecte nos économies, elle modifie aussi profondément les comportements des décideurs publics. Cela aura une incidence directe sur nos exportations : nos partenaires étrangers seront encore plus exigeants et plus attentifs aux retours industriels de leurs investissements en matière de défense. La compétition fera très certainement rage entre les grandes nations exportatrices, et je ne serais pas étonnée que l’on constate une tendance croissante au repli sur soi. Cela ne doit nous conduire ni au fatalisme, ni au découragement, bien au contraire. Nous nous sommes d’ores et déjà mis en ordre de bataille pour soutenir nos entreprises et les accompagner à l’export. Les partenariats que nous avons noués à l’international sont solides. Face à des menaces croissantes, nos partenaires savent qu’ils ne devront pas baisser la garde et qu’ils peuvent compter sur la France.

J’en viens au bilan de nos exportations, dont le montant s’élevait, en 2019, à 8,33 milliards d’euros. Sur les cinq contrats majeurs entrés en vigueur l’année dernière, trois concernent l’Europe : les bâtiments de guerre des mines pour la Belgique, les hélicoptères H225M et H145M pour la Hongrie et les satellites de télécommunications pour l’Espagne ; les autres contrats concernent des corvettes pour les Émirats arabes unis et le contrat de conception pour les sous-marins australiens.

S’agissant de notre politique d’exportations, j’ai eu à cœur, depuis trois ans, d’engager un tournant européen. Dès mon arrivée, en 2017, j’ai souhaité que nous multipliions et que nous renforcions les partenariats européens. Au cours des deux premières années, le choix de l’Europe pour nos exportations a commencé à porter ses fruits. De très belles coopérations ont vu le jour, à l’image du contrat CAMO de renouvellement de la capacité motorisée belge – qui consiste à exporter vers la Belgique le programme Scorpion. L’an dernier, 25 % des prises de commande de nos industriels émanaient de pays européens.

L’année 2019 a couronné de succès la politique d’exportations européennes puisque, désormais, 42 % de nos clients sont des pays de l’Union européenne, et près de 45 % si l’on compte les autres pays européens, hors UE. Quatre pays de l’Union – la Belgique, les Pays-Bas, la Hongrie et l’Espagne – figurent parmi nos cinq principaux clients : c’est une première, c’est historique, mais ce n’est pas le fruit du hasard. Cette évolution est le fruit d’efforts soutenus, de longues discussions engagées avec mes homologues, de nombreux entretiens pour convaincre et de multiples déplacements pour promouvoir l’excellence et la fiabilité de notre industrie de défense. Parmi les efforts significatifs qui soutiennent notre politique d’exportations, je mentionnerai notamment l’accord que nous avons conclu en octobre 2019 avec l’Allemagne sur les exportations de matériels de défense. C’est une avancée majeure pour accompagner les programmes menés en coopération et les échanges de composants entre nos industriels.

J’aimerais m’arrêter sur la question, légitime, de l’utilité et de la nécessité de nos exportations d’armement : pourquoi exporter des équipements et pourquoi faire le choix de l’Europe ? Si j’emploie mon énergie à me faire l’avocate de nos exportations, c’est parce qu’elles dynamisent notre industrie de défense, sont essentielles à notre balance commerciale et sont constitutives de notre économie et de la vitalité de nos territoires. Elles jouent un rôle d’autant plus essentiel que nous avons pour priorité d’assurer la relance économique. Comme vous le savez peut-être, à l’heure actuelle, 13 % des emplois industriels relèvent du secteur de l’armement. Chaque jour, 200 000 personnes travaillent sans relâche à bâtir nos armées du futur en construisant des équipements plus sûrs, plus robustes, plus performants et ce, sur l’ensemble du territoire français. Ce maillage d’entreprises, petites et grandes, de Cherbourg à Toulon, contribue tant à la vitalité de notre tissu économique qu’à la protection de nos forces et de nos concitoyens.

Exporter des équipements, c’est aussi vital pour notre diplomatie. Si la France peut aujourd’hui porter sa voix dans le monde, si elle est écoutée et considérée, c’est grâce aux partenariats stratégiques que nous développons de l’Europe à la région Indo-Pacifique. Entretenir des relations économiques et développer des coopérations avec nos partenaires étrangers, c’est garder la main sur nos intérêts de sécurité dans des régions clés et sécuriser nos approvisionnements stratégiques.

Enfin, la politique d’exportations concourt à la consolidation de notre autonomie stratégique. Les exportations sont nécessaires à la viabilité de nombre de programmes d’armements et de beaucoup d’entreprises stratégiques ; elles contribuent à doter nos armées des moyens dont elles ont besoin et à assurer notre défense. Afin de garantir la supériorité de nos forces sur le terrain, de préserver notre liberté d’action, quand nous le souhaitons et où nous le voulons, il nous faut pouvoir compter sur nous-mêmes. Le développement de notre base industrielle et technologique de défense garantit notre autonomie stratégique ; elle nous permet de nous engager, d’innover, de remplacer nos équipements ou d’assurer leur maintien en condition opérationnelle. C’est essentiel.

La France a toujours voulu préserver sa liberté d’action et son autonomie stratégique. Nous avons, de longue date, cherché à protéger notre souveraineté, particulièrement en matière de défense. Aujourd’hui, une telle ambition n’a de sens que si elle s’inscrit dans le projet européen. Nous savons que, pour protéger nos concitoyens, nous avons grand besoin de l’Europe. C’est plus qu’un besoin, c’est une chance qu’il faut saisir. Voilà pourquoi nous avons fait le choix résolu et engagé de l’Europe pour nos exportations, et nous en mesurons toute la pertinence. Nous créons des partenariats, nous favorisons l’interopérabilité des armées avec, en ligne de mire, la volonté d’agir ensemble. Pierre par pierre, contrat après contrat, c’est l’Europe de la défense que nous construisons. Nous le faisons par les actes et par les moyens, pas seulement par les idées ou par les mots.

À cet égard, les progrès que nous avons réalisés dans les grands programmes franco-allemands méritent d’être soulignés. Le système de combat aérien du futur (SCAF) comme le programme de char du futur (MGCS) ont franchi des étapes déterminantes, que j’estime irréversibles au vu de l’engagement politique de nos deux pays. Beaucoup de commentateurs jugeaient les obstacles infranchissables et l’entreprise dans laquelle nous nous sommes engagés, illusoire. Le renoncement ne fait pas partie de ma nature, et j’ai toujours considéré que ces projets répondaient à une aspiration profonde de nos pays ; c’est un état d’esprit que mes homologues, Mme von der Leyen et, aujourd’hui, Mme Kramp-Karrenbauer ont toujours partagé.

Pour 2020, une chose est certaine : nous poursuivrons une politique européenne ambitieuse. Nous œuvrons au quotidien pour créer des partenariats et faire émerger des instruments qui favoriseront la création d’un véritable marché européen des équipements de défense.

La crise à laquelle nous faisons face renforce notre volonté de développer la base industrielle et technologique de défense européenne. Nous avons du travail sur ce front, mais aussi des idées et des ambitions : doter le fonds européen de défense d’un budget substantiel, développer les financements européens pour les acquisitions d’équipements de défense, prôner une plus grande régulation du marché intérieur pour favoriser les projets européens sans dépendances extérieures, ou encore, lever les freins à l’exportation s’agissant des capacités développées entre pays européens. La ressource, nous l’avons ; il s’agit à présent de la convertir en moyens, et surtout d’avoir la volonté d’utiliser ces moyens au service des intérêts et des valeurs de l’Europe.

La semaine dernière, j’ai indiqué devant la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen – qui m’auditionnait pour la première fois – la nécessité de doter le fonds européen de défense d’un budget ambitieux. Je suis convaincue que ce fonds peut et doit être un instrument de la relance économique pour nos emplois et nos PME, qui font la richesse du tissu industriel européen.

Comme je vous le disais en introduction, le montant des exportations s’élevait en 2019 à 8,33 milliards d’euros. C’est un très bon chiffre, dont nous sommes fiers, d’autant plus qu’il a été réalisé sans « contrat Rafale ». Une fois encore, ce résultat confirme l’excellence de l’offre française, reconnue très largement au-delà de nos frontières. Si l’industrie française est à ce point appréciée, c’est parce qu’elle sait s’adapter aux besoins des armées des pays clients et interagir avec les industries de défense étrangères. Nous avons la chance d’avoir une offre extrêmement variée, riche en innovations, grâce au talent de nombreuses PME. Des grands programmes d’armement aux petits équipements, nous disposons d’une véritable vitrine de l’excellence et du savoir-faire français, que je continuerai de faire vivre et de mettre en valeur auprès de mes homologues, au cours de chacun de mes entretiens et de mes déplacements à l’étranger.

Je veux vous assurer que nous continuerons de mener cette politique dans le respect le plus strict des exigences qui s’appliquent aux exportations d’armement, en pleine conformité avec nos valeurs et nos engagements internationaux. À cet égard, je tiens à rappeler le dispositif très strict qui encadre, sous l’autorité du Premier ministre, toute délivrance de licence. La règle est l’interdiction et l’exception, l’autorisation. Les demandes sont d’abord soumises à l’examen des services des ministères de l’Europe et des affaires étrangères, des armées et de l’économie et des finances, avant de faire l’objet d’un arbitrage au sein de la commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre (CIEEMG). Elles sont évaluées avec la plus grande rigueur et la plus extrême minutie, sur le fondement de critères aussi variés que la situation sécuritaire et géopolitique, nos intérêts stratégiques, l’impact opérationnel d’une éventuelle livraison de matériel, les enjeux industriels, ainsi que l’adéquation des demandes à nos orientations de politique étrangère et aux engagements internationaux de la France, en particulier dans le domaine du droit international humanitaire.

Nous continuerons par ailleurs à cultiver la transparence vis-à-vis des Français. Comme vous l’avez constaté, c’est la deuxième fois que nous publions le rapport sous un format qui a été entièrement repensé il y a un an afin d’apporter un maximum de clarté et de lisibilité. De manière inédite, il intègre, dans l’annexe 11, page 103, le rapport annuel établi au titre du traité sur le commerce des armes (TCA), qui porte non pas sur des prises de commande, mais sur des flux réels, c’est-à-dire des livraisons et importations réellement effectuées.

Après ce propos liminaire, je ferai un rapide tour d’horizon de nos opérations extérieures, en me concentrant sur deux zones : la Méditerranée et le Sahel – au lendemain du sommet de Nouakchott.

La Méditerranée est devenue, ces dernières semaines, un nouveau terrain d’intimidation et de démonstration de force, où la Turquie manifeste chaque jour un comportement de plus en plus préoccupant. Beaucoup ne savaient pas, jusqu’à récemment, que l’OTAN mène une opération de sûreté maritime en Méditerranée orientale appelée Sea Guardian, dont une des missions consiste à assurer la surveillance maritime contre les trafics. Elle s’inscrit dans le contexte de l’embargo imposé par les Nations unies sur les livraisons d’armes à la Libye.

Il y a quinze jours, alors qu’un navire français, opérant sous commandement OTAN, contrôlait un cargo suspect en provenance de Turquie, des frégates turques qui accompagnaient ce navire ont interféré, et l’une d’entre elles a, comme on dit en langage militaire, « illuminé » le navire français avec son radar de conduite de tir. C’est un acte agressif et indigne d’un allié de l’OTAN. Je l’ai dit très clairement lors de la dernière réunion ministérielle de l’OTAN, qui s’est tenue il y a quelques jours. J’ai été soutenue par beaucoup de mes homologues européens, et je les en remercie vivement.

Nous sommes censés être une alliance. Il n’est pas acceptable qu’un allié viole consciencieusement les règles que l’alliance est censée faire respecter et tente de menacer ceux qui l’interrogent. Nous avons donc formulé quatre demandes pour que ce type d’incidents ne se reproduise pas : la réaffirmation solennelle du respect de l’embargo ; le rejet catégorique de l’utilisation par la Turquie des indicatifs OTAN pour mener ses trafics ; une meilleure coopération entre l’Union européenne et l’OTAN ; enfin, la mise en place de mécanismes de déconfliction. Dans l’attente de clarifications sur ces points, le Président de la République a pris la décision de retirer, jusqu’à nouvel ordre, les moyens français consacrés à l’opération Sea Guardian.

En revanche, nous sommes et nous restons engagés au sein de l’opération de l’Union européenne Irini – « paix », en grec –, qui a été lancée en mars dernier pour renforcer le contrôle du respect de l’embargo sur les livraisons d’armes à la Libye.

En Méditerranée, notre priorité est de conserver notre capacité d’appréciation autonome dans un environnement qui devient de plus en plus contesté, et de continuer à projeter nos valeurs : la liberté de navigation et le respect de la souveraineté territoriale des Européens.

Au Sahel, le sommet de Nouakchott a permis, la semaine dernière, d’effectuer un premier bilan de la dynamique impulsée par le Président de la République au sommet de Pau en janvier 2020. Aux côtés du Président Macron et des chefs d’État des cinq pays du Sahel, se trouvaient aussi la chancelière Angela Merkel, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez, le président du conseil italien Giuseppe Conte et le président du Conseil européen Charles Michel, qui ont attesté la mobilisation et la solidarité des pays européens, à la suite des réunions ministérielles de la coalition pour le Sahel, qui se sont tenues mi-juin. L’Union africaine était également représentée en la personne de Moussa Faki, président de la Commission de cette organisation.

Le bilan qui a été fait à Nouakchott est positif. Des progrès importants ont été constatés. Les succès militaires sont réels dans la région des trois frontières : les groupes armés terroristes perdent du terrain, les populations reviennent peu à peu, notamment dans les villages de Labbezanga et Tiloa, à mesure que les armées locales et leurs partenaires gagnent leur confiance. Autre succès, on observe une mobilisation des partenaires autour des projets de la coalition pour le Sahel, dont les effets sont déjà visibles sur le terrain : la coordination a été renforcée dans tous les domaines, en particulier grâce au mécanisme conjoint de coordination pour les opérations militaires.

Notre objectif est maintenant de pérenniser ces premiers résultats en continuant de mettre l’accent sur l’accompagnement et la montée en puissance des forces armées locales, ainsi qu’en portant un effort particulier sur le développement et le retour de l’État.

Dans ce contexte, le Président de la République a annoncé le maintien de l’effort de la France au Sahel. Au cours de l’été, le lancement de la force Takuba apportera une capacité européenne nouvelle pour accompagner les armées sahéliennes au combat. Elle se déploiera la semaine prochaine avec des forces spéciales françaises et estoniennes. D’ici au début de l’année 2021, nous attendons des soldats tchèques, suédois et probablement italiens. Je me rendrai à Rome après-demain pour en discuter avec mon homologue. En amont, la consolidation du mandat de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), qui s’étendra davantage sur le territoire, permettra de renforcer l’appui à la formation des soldats maliens.

Enfin, nous le savons, et le Président de la République l’a rappelé à Nouakchott, l’action militaire seule ne suffira pas. C’est la logique qui a conduit au lancement de la coalition pour le Sahel, afin de répondre aux défis sécuritaires, économiques et sociaux. Sur le terrain, les militaires de Barkhane accompagnent le retour de l’État, comme ils l’ont fait il y a quelques semaines à Labbezanga. Il faudra faire plus, mais les premiers résultats sont encourageants et nous sommes sur la bonne voie.

Permettez-moi, pour conclure, Madame la présidente, de vous redire la fierté et le plaisir que j’ai à continuer de diriger le ministère des Armées, où l’on trouve des hommes et des femmes de très grande qualité, qui veillent, dans un monde troublé, à porter haut les couleurs de la France et de l’Europe.

M. Christophe Lejeune. Nous sommes heureux de vous retrouver, Madame la ministre. Nos armées auront de lourds défis à relever et je sais que nos militaires seront à la hauteur.

L’offre française en matière d’équipements militaires est variée. Des grands programmes d’armement aux petits équipements et aux innovations de nos PME, qui sont parties prenantes du savoir-faire et de l’excellence de notre pays, l’industrie de défense mobilise des investissements qui font la vitalité de notre économie et créent des emplois non délocalisables partout en France. Pouvez-vous nous préciser la part de la valeur ajoutée de nos PME dans l’ensemble des exportations françaises d’armement ?

M. Claude de Ganay. Madame la ministre, permettez-moi, à mon tour, de vous féliciter pour votre reconduction dans vos fonctions. Le choix de la continuité est le bon lorsqu’il s’agit d’accompagner une LPM ambitieuse.

Je vous remercie d’avoir accepté, cette année encore, de répondre à nos questions sur ce sujet sensible. Notre action en la matière est nécessaire à la souveraineté de notre nation et à la supériorité opérationnelle de nos armées.

Quel bilan faites-vous du retour sur investissement pour nos armées de la politique de soutien aux exportations (SOUTEX) qu’elles effectuent, qui peut prendre la forme de l’estampillage de nos systèmes d’armes comme étant « combat proven » ou de détachement de personnels afin d’épauler nos industriels ?

Les contrats de vente à l’étranger que signent les industriels français contribuent certes à faire baisser, par des économies d’échelle, le prix unitaire de nos équipements, mais le prix payé par nos armées est-il le même que le prix catalogue demandé aux armées étrangères ? En d’autres termes, les industriels appliquent-ils la même marge aux produits vendus aux armées françaises qu’à ceux cédés aux armées étrangères ? Par quels mécanismes vos services s’assurent-ils que toute augmentation de la commande et des ventes à l’étranger se traduit par une baisse du prix d’achat et d’entretien des équipements de nos armées ?

N’y a-t-il pas un conflit entre votre ministère et Bercy sur les bénéfices que dégagent les industriels, étant rappelé que ceux-ci peuvent être reversés sous la forme de dividendes à l’Agence des participations de l’État ? N’existe-t-il pas un risque que Bercy mette en avant la nécessité de maintenir, voire d’augmenter les crédits destinés à l’achat d’équipements pour les armées françaises, tout en sachant qu’il récupérera sa mise ?

Mme Josy Poueyto. Nous sommes heureux, au sein du groupe MODEM et apparentés, de votre maintien à la tête du ministère des armées, et demeurons à vos côtés.

Du fait de la baisse de la demande civile, de nombreux avionneurs et sous-traitants voient leurs commandes décroître. Les estimations sont-elles similaires pour les commandes aéronautiques militaires – avions comme hélicoptères ? Cette situation aura-t-elle une incidence sur le prix d’achat de nos équipements auprès des industriels, compte tenu de la baisse des économies d’échelle ? Le cas échéant, quelle politique de soutien doit-elle être envisagée à l’exportation et pour renforcer la BITD à l’échelle européenne ? En effet, la commande publique et le plan aéronautique français, s’ils doivent être ardemment soutenus, ne résoudront pas à eux seuls les difficultés de nos fleurons.

Par ailleurs, l’estimation à la baisse des masses financières à l’import de plusieurs pays – c’est le cas de l’Inde, pour les Rafale – révèle-t-elle un risque de substitution de matériels hautement qualitatifs et chers, que nous produisons, par du matériel sur étagère ou de niveau technologique moindre, de nature à favoriser des concurrents étrangers dans des gammes où nous sommes absents ?

M. Joaquim Pueyo. Madame la ministre, je vous adresse mes plus vifs compliments pour votre reconduction à la tête du ministère des armées. Je vous remercie pour l’effort de pédagogie et de précision qui est engagé depuis deux ans. Vous connaissez l’exigence des députés s’agissant du contrôle parlementaire sur l’exportation des armes. Peut-être aurons-nous des échanges sur la nécessité de faire évoluer davantage ce contrôle.

En 2019, comme vous l’avez indiqué, 42 % de nos clients étaient des pays de l’Union européenne. Le maintien des exportations à un niveau élevé est essentiel pour garantir la visibilité des industries de défense, dont dépend notre indépendance stratégique. Il faut donc saluer l’achat intra-européen. Vous connaissez l’attachement que je porte à l’Europe de la défense, qui nous offre une certaine indépendance face aux très gros exportateurs, notamment les États-Unis. Cette orientation est en adéquation avec les objectifs et les principes édictés par la loi de programmation militaire. Il faudra bien sûr être attentif aux évolutions en la matière, notamment à la suite de la crise du covid-19. L’orientation européenne réduit le risque qu’en exportant vers certains pays, nous nous trouvions en situation délicate vis-à-vis de nos engagements internationaux, notamment au regard du traité sur le commerce des armes.

Il avait été établi une liste de dix-huit projets devant être entrepris dans le cadre de la coopération structurée permanente. Avez-vous des informations sur leur état d’avancement ? J’ai cru comprendre que cela piétinait un peu. Nous plaidons, depuis de nombreuses années, pour un renforcement de l’Europe de la défense. La décision d’accroître la coopération structurée permanente était importante, notamment pour nos industries de défense.

Je vous ai sans doute posé ma dernière question, Madame la ministre, en tant que membre de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je voudrais remercier l’ensemble de mes collègues, de tous les bords politiques, pour les relations que j’ai tissées avec eux. Je vous quitterai dans quelques semaines, avec beaucoup de regrets. (Applaudissements.)

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, cher collègue, nous vous regretterons unanimement. Je rappelle que vous nous quittez pour la mairie et la communauté urbaine d’Alençon.

M. Jean Lassalle. Madame la ministre, bien que je n’aie pas l’honneur de vous connaître aussi bien que mes collègues, je vous adresse à mon tour mes félicitations pour votre maintien à ce poste difficile. J’ai apprécié la clarté de vos explications, ainsi que la passion, perceptible dans vos propos, avec laquelle vous menez à bien votre mission.

En ma qualité de député, il me paraît légitime de m’interroger sur le caractère constitutionnel de cette réunion, comme de celles qui se tiendront jusqu’à ce que M. le Premier ministre tienne son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale. Je ne suis pas certain que cette condition soit remplie, mais peu importe.

Madame la ministre, je suis de plus en plus surpris, à chacune des interventions de vos chefs d’état-major, du niveau d’agressivité qui gagne la Méditerranée orientale. Vous avez déjà indiqué la réaction de la France à l’acte très inamical que nous avons subi. Vous avez aussi affirmé que la solution, dans cette région, ne passerait pas uniquement par les armes. Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il pourrait exister une autre voie ?

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous nous sommes également interrogés sur cet aspect constitutionnel. Sous la Ve République, le Gouvernement est installé dès sa nomination par le Président de la République, sans qu’il soit besoin d’un vote de confiance. Les commissions sont maîtresses de leurs travaux selon l’article 40 du règlement de l’Assemblée nationale. En conséquence, puisque notre ministre continue sa mission, nous avons pu maintenir cette audition, qui nous paraissait très importante et qui était fort attendue. Elle nous permet, avant d’achever la session extraordinaire, de tenir ce débat, comme Mme Parly l’avait souhaité, et comme nous nous y étions engagés : si nous avions dû le reporter à la rentrée, il aurait perdu en saveur et en contenu.

M. Alexis Corbière. Je souscris aux propos de Jean Lassalle. Ce n’est pas une question personnelle, et cela ne concerne pas spécifiquement la commission : demain, on se livrera à un exercice de questions à un gouvernement dont on ne connaît pas la politique générale, puisque le Premier ministre prononcera son discours de politique générale le 15 juillet.

Cela étant, la reconduction de Mme Parly offre l’avantage de la continuité : je peux continuer à lui poser les mêmes questions. Comme vous le savez, plusieurs ONG et groupes politiques – dont le mien – réclament un contrôle plus étendu et plus transparent sur les exportations d’armement. Le rapport annuel connaît une amélioration, mais n’en demeure pas moins nettement insuffisant aux yeux de ceux qui sont attachés à un vrai contrôle parlementaire. Pour simplifier, le contrôle des exportations d’armes demeure entre les mains de l’exécutif et exclut quasiment le Parlement. Cela a pour conséquence, selon nous, que certaines exportations ne sont pas légales, puisqu’elles contreviennent aux traités internationaux que nous avons signés. En particulier, l’Arabie Saoudite est, comme vous le soulignez dans le rapport, le troisième client de la France, alors qu’elle conduit une coalition militaire au Yémen qui a causé la « pire crise humanitaire au monde », selon l’ONU. Dans les prochains jours, les membres du groupe La France insoumise déposeront une proposition de loi visant à créer une délégation parlementaire qui aura pour rôle de contrôler le processus de délivrance des licences d’exportation. Cette proposition aura pour objet de renforcer le contrôle a posteriori de l’action du comité ministériel. Cela contraindrait les fournisseurs à respecter les engagements internationaux de la France. Chez nos voisins européens – je pense à la Belgique, à l’Allemagne, au Royaume-Uni –, les contrôles parlementaires sont plus affirmés. Seriez-vous favorable à l’adoption de cette proposition de loi, afin que le Parlement joue tout son rôle ?

Les règles d’attribution, les délibérations et les décisions de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre sont protégées par le secret défense. Le Parlement est absent du processus décisionnel. Il est impossible de connaître les critères retenus par la CIEEMG, d’avoir connaissance de l’évaluation du risque à laquelle elle procède. On ne peut donc vérifier le respect des obligations posées par le traité sur le commerce des armes. Quel poids respectif accorde-t-elle à l’intérêt économique et financier d’une exportation et au risque que le matériel soit utilisé pour commettre des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire ? Vous comprendrez que je continue à m’opposer à nos ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, qui participe aujourd’hui à une guerre terrible pour les populations civiles.

M. Sébastien Nadot. Madame la ministre, je veux vous dire, au nom du groupe Écologie démocratie solidarité, que nous nous réjouissons de la continuité qui prévaut en matière de défense et de votre présence dans ce nouveau gouvernement. Je tiens également à saluer le projet européen que vous portez pour la France, en particulier dans notre relation avec l’Allemagne.

S’agissant du rapport au Parlement, je note que des progrès significatifs ont été accomplis en matière de transparence : pour la première fois, il inclut le rapport annuel établi au titre du traité sur le commerce des armes. Toutefois, malgré ces informations supplémentaires, les progrès demeurent relatifs, notamment en comparaison d’autres pays européens. Il existe, en France, un contrôle interministériel, assuré par la CIEEMG, et un contrôle ministériel, comme l’a précisé, en introduction, Mme la présidente. Cela étant, le principe même du contrôle – par définition, externe –, en particulier d’un contrôle démocratique, qui passe nécessairement par le Parlement, n’est pas encore effectif. La confusion entretenue entre l’évaluation, qui est aujourd’hui pratiquée, le contrôle interne, le contrôle ministériel et le contrôle parlementaire ne trompe plus les citoyens. On se trouve dans une situation extrêmement problématique. Je forme le vœu que vous soyez à l’écoute des propositions qui vous seront faites par Jacques Maire et Michèle Tabarot, dans leur rapport d’information sur les exportations d’armement, ainsi, éventuellement, que de la proposition de loi qu’Alexis Corbière vient d’évoquer. En effet, il y a, pour reprendre une expression du sud-ouest toulousain, un « trou dans la raquette ».

Le rapport 2020 sur les exportations d’armement de la France indique que la politique d’exportation peut « s’accompagner de partenariats stratégiques conformes aux priorités diplomatiques de la France » et qu’il s’agit d’un « outil diplomatique au service d’une stratégie, vecteur d’influence […] ». La France continue de livrer des armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis : je crois que vous connaissez ma position à ce sujet.

Le pétrolier SAFER, transformé en unité flottante de stockage et de déchargement et amarré au large du Yémen, en mer Rouge, est dans un état de délabrement avancé. Il est à craindre que les 1,1 million de barils de pétrole brut à son bord, tels une bombe flottante, engendrent une catastrophe écologique sans précédent. En tant que ministre des armées d’un pays « écouté et considéré », pour reprendre vos mots, entendez-vous intervenir auprès des pays en guerre au Yémen pour éviter le pire, si tant est, comme l’a dit à plusieurs reprises le Président Emmanuel Macron, que notre pays porte une ambition écologique ?

M. André Chassaigne. Madame la ministre, nous examinons aujourd’hui un rapport à vocation publique. Or, l’audition est à huis clos, donc confidentielle : on peut s’en étonner. De plus, on ne constate pas d’évolution tendant à associer plus étroitement le Parlement aux décisions en matière d’exportation d’armement et à instaurer avec celui-ci une collaboration permanente, ce qui contribuerait à renforcer la transparence. Cela déclenche des réactions de la société civile et de nombreuses organisations humanitaires, qui regrettent une forme d’opacité.

Vous affirmez contrôler strictement l’attribution des licences d’exportation et, ce faisant, respecter le droit international. Aussi, je ne comprends pas l’absence de réponse à ma question écrite du 14 janvier 2020 portant sur la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) pour qu’elle enquête sur la responsabilité des décideurs d’exportation d’armes utilisées pour commettre des crimes de guerre. Une enquête de la CPI constituerait une avancée historique à laquelle devrait s’associer le gouvernement français qui a, comme je viens de le dire, toujours considéré que, grâce à un contrôle strict de l’attribution des licences d’exportation d’armes, il respectait le droit international. Pourquoi ne pas soutenir l’action des organisations non gouvernementales auprès de la Cour pénale internationale ?

J’en viens à l’accord franco-allemand relatif au contrôle des exportations en matière de défense, qui a deux dimensions : d’une part, les programmes intergouvernementaux et les coopérations industrielles ; d’autre part, les composants intégrés à des systèmes réexportés. L’accord prévoit que la France et l’Allemagne accorderont sans délai les autorisations d’exportation ou de transfert vers l’autre partenaire, sauf si l’opération « porte atteinte » aux « intérêts directs » ou à la « sécurité nationale » de l’un des deux États. Il semblerait que l’Allemagne ait changé de position. Jusqu’à présent, on notait des restrictions liées à une approche plus éthique de notre voisin ; il existe en particulier un contrôle très strict du Bundestag – je vois là une possible limite à l’accord. De la même façon, pour les composants, un État ne pourra plus s’opposer, en dehors de l’une des deux exceptions que j’ai indiquées, à l’exportation réalisée par son partenaire, en deçà d’un seuil de 20 % de la valeur du système final exporté – il avait été question, dans un premier temps, d’établir la limite à 25 %. Cet accord marque, semble-t-il, une victoire de la France – l’Allemagne semblait avoir une position beaucoup plus restrictive à l’égard de certaines exportations. Dans la présentation qui a été faite, il a été uniquement question des entreprises françaises, mais je pense que la réciprocité s’applique.

M. Jean-Charles Larsonneur. Madame la ministre, recevez nos chaleureuses félicitations pour votre reconduction à la tête de ce magnifique ministère des armées.

Je voudrais d’abord vous interroger sur les discussions en cours avec la Grèce en vue de la conclusion d’un partenariat stratégique de sécurité. On ne peut bien sûr évoquer la République hellénique sans saluer vos propos d’une grande clarté et d’une fermeté bienvenue vis-à-vis de la Turquie. Ce partenariat stratégique de sécurité devrait comporter trois volets et se traduire par une présence accrue de la marine nationale dans la région, une coopération industrielle renforcée et des opérations communes, maritimes comme terrestres. Rappelons que la Grèce a récemment rejoint le programme visant à concevoir une corvette européenne, que nous conduisons avec l’Italie et l’Espagne. Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions concernant le contrat de partenariat gouvernemental avec la Grèce – sur le modèle de la coopération CAMO avec la Belgique – relatif à deux frégates de défense et d’intervention (FDI), qui pourraient être équipées de missiles de croisière navals ? Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce partenariat et sur les opportunités qu’il pourrait receler pour nos industriels ?

Par ailleurs, je souhaiterais revenir, à l’instar du président Chassaigne, sur l’accord franco-allemand relatif au contrôle des exportations en matière de défense, signé en octobre 2019. Pouvez-vous éclairer la commission sur sa mise en œuvre effective, en particulier du côté allemand ? L’accord prévoit la création d’un cadre robuste pour préparer l’exportation des programmes construits en commun – tels SCAF ou MGCS –, ce dont nous nous félicitons. S’agissant de la règle de minimis, qui s’applique dès à présent aux équipements intégrant des composants de l’autre partie, la portée de l’accord n’est-elle pas limitée par l’exclusion de nombreux produits, tels les matériels létaux et les composants essentiels, comme les châssis, les moteurs, ou encore les cellules pour avions de combat ?

Mme Florence Parly, ministre des armées. La BITD représente 200 000 emplois directs et indirects, je l’ai dit, dont 21 % au sein de PME – on compte environ 4 000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans ce secteur. Les exportations concernent aussi bien les grands groupes que les entreprises de petite taille. S’agissant de la valeur ajoutée, je n’ai pas les chiffres pour 2019. Les derniers éléments statistiques datent de 2016 : la part des PME était évaluée à environ 20 %, ce qui est tout à fait significatif.

Nous cherchons à renforcer cette part. Vous connaissez les 21 mesures concrètes du plan Action PME. Nous avons notamment créé un label indiquant que les matériels sont utilisés par les armées françaises. C’est un facteur de crédibilité et de fiabilité très apprécié : les PME nous disent que cela facilite leur accès aux clients. Néanmoins, il ne suffit pas de décerner des labels : il faut aussi apporter un soutien financier. Nous finançons, par l’intermédiaire de la Banque publique d’investissement, des produits d’assurance prospection ciblés sur les PME pour la conquête de nouveaux marchés à l’export. Par ailleurs, les grands groupes ont la responsabilité de définir des plans de portage pour intégrer les PME et les ETI et il leur appartient d’informer l’ensemble des fournisseurs français sur les besoins en matière d’exportation.

Il existe, en outre, des dispositifs animés par Business France et par la direction générale de l’armement (DGA), ainsi que des salons. Nous avons malheureusement dû en annuler beaucoup au cours des derniers mois, mais nous espérons que le salon Euronoval pourra se tenir en octobre – je reste prudente car la situation peut changer à tout instant.

La France est bien souvent le premier client de sa BITD. Nous payons le développement et la production des programmes d’armement. Lorsque ces derniers trouvent des clients à l’exportation, il existe un mécanisme de redevances : les industriels reversent à l’État une partie des frais de développement. Cette rétrocession représente chaque année quelques dizaines de millions d’euros. Vous savez, par ailleurs, que les industriels réalisent systématiquement un autofinancement d’une partie des programmes d’armement. Cela ne se fait pas toujours dans les proportions que l’on pourrait souhaiter, mais cela existe. Nous utilisons aussi un mécanisme qui permet, comme nous l’avons fait pour le MICA NG, de réduire a posteriori le prix de vente pour les clients français.

L’articulation avec Bercy est excellente : nous n’avons pas de conflit sur les modalités de rétrocession. Bercy a une approche d’actionnaire qui n’est pas en contradiction avec les mécanismes de redevance que je viens de mentionner.

Il est évident que la crise aura un impact. On peut craindre une moins bonne performance de nos industriels à l’exportation dans les prochains mois. Tout est fait pour les soutenir et on peut aussi se dire que certains pays, dans le contexte stratégique que j’ai rapidement décrit tout à l’heure, feront le choix de maintenir leurs investissements en matière de défense. Y a-t-il un risque de substitution, dans le contexte de compétition très vive que nous connaissons, entre des importations dont le prix peut être élevé et des produits low cost, si je puis dire, vendus sur étagère ? C’est possible mais je reste convaincue que certains pays ne feront pas leurs choix au détriment du format des armées et des performances des équipements. En Australie, la décision a été prise est d’augmenter l’effort de défense face à une menace chinoise qui ne se dément pas. Par ailleurs, même si l’Inde a réaffirmé sa volonté de développer sa propre industrie de défense, je pense que ce pays restera un partenaire avec lequel la France continuera à mener des coopérations, notamment dans le domaine industriel.

La CSP est un cadre politique destiné à favoriser la coopération entre les États membres autour d’engagements ambitieux et contraignants. Vingt-cinq pays y participent aujourd’hui. L’objectif est d’avoir, le plus possible, un réflexe européen. Celui-ci n’est pas encore assez développé, même si je me réjouis de voir la part des Européens grandir dans nos exportations. Si nos partenaires de l’UE avaient tous le réflexe européen, les chiffres seraient encore plus brillants… La CSP est une manière de faire émerger des projets et de développer la préférence européenne.

Tous les projets agréés dans le cadre de la CSP se valent-ils et sont-ils au même niveau de développement ? La réponse est négative. C’est pourquoi il y aura cette année une revue stratégique. Nous participons, pour notre part, à trente-six des quarante-six projets lancés depuis 2017, et nous en coordonnons onze. Certains ont un grand avenir devant eux.

Je pense notamment au projet MAC-EU, destiné à s’affranchir des ruptures d’approvisionnement en composants et matériaux critiques qui ne sont pas fabriqués ou conçus au sein de l’UE. Cela veut dire aussi regagner un peu de souveraineté : on ne le dit pas comme ça, car certains risqueraient d’avoir les oreilles qui leur tintent, mais il s’agit bien de favoriser une moindre dépendance vis-à-vis de partenaires non-européens.

Je voudrais également citer un projet concernant le combat collaboratif. Vous savez que la connectivité est mise en avant dans le cadre du char de combat du futur et du SCAF, qui sont des projets franco-allemands, et que nous avons déjà commencé à la développer à travers le programme Scorpion, pour les équipements terrestres. Le projet ECoWAR a pour vocation de préparer l’arrivée d’autres partenaires que la France et l’Allemagne dans les projets très structurants que sont le char de combat du futur et le SCAF.

La revue stratégique sera très utile pour faire la part des choses, entre les projets qui avancent et les autres. Ceux que j’ai cités ont une très grande valeur, à mes yeux, pour la suite.

Je reviens sur le comportement agressif de la Turquie à notre égard – la France, quant à elle, est restée extrêmement paisible. L’« illumination » de la frégate Courbet n’est pas l’acte le plus hostile que la Turquie a commis au cours des dernières semaines. Il y a eu aussi des forages illégaux dans la zone économique exclusive de Chypre, la contestation de la souveraineté de la Grèce sur une partie du plateau continental et l’exercice d’une très forte pression migratoire sur ce pays. Tous ces agissements sont inacceptables. La solution ne peut évidemment pas être militaire : c’est à une solution politique qu’il faut travailler. Nous nous y employons dans le cadre du dialogue bilatéral, à tous les niveaux, notamment entre les ministres de la défense et des affaires étrangères, au sein de l’OTAN, pour faire en sorte que la Turquie revienne à la raison – c’est notre souhait –, et dans le cadre de l’Union européenne, pour sanctionner Ankara lorsque c’est nécessaire. Face à des agissements agressifs, je crois qu’il faut montrer que nous ne nous laissons pas faire, mais aussi qu’il existe des voies de discussion et de négociation.

S’agissant des décisions en matière d’exportation d’armement, le cadre constitutionnel n’a pas changé. Conformément à l’article 20 de la Constitution, les autorisations d’exportation relèvent du Gouvernement : les licences sont délivrées sous l’autorité du Premier ministre. J’ai résumé dans mon propos introductif le processus, qui est longuement détaillé dans le rapport. Je n’ose pas dire que cet exercice de transparence est aussi abouti que possible mais il est poussé assez loin dans le cadre constitutionnel que je viens de rappeler. Pour ce qui est des comparaisons avec d’autres pays, mon rôle n’est pas de vous dire si nous faisons mieux ou moins bien qu’ailleurs, mais je pense que nous avons progressé. Nous essayons chaque année de vous fournir un document plus précis encore. Il me semble que le rapport établi selon les prescriptions du traité sur le commerce des armes mérite votre attention : il porte sur les livraisons et détaille, d’une manière systématique, les types de matériel. Au lieu de présenter simplement des montants, en millions ou en milliards d’euros, nous précisons les types d’équipement livrés selon les pays. C’est un progrès. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais nous essayons, chaque fois, d’être plus transparents.

Vous vous opposez, Monsieur Corbière, aux ventes d’armes à l’Arabie Saoudite – et vous faites preuve de constance dans cette position. Je n’arriverai sans doute pas à vous convaincre mais j’aimerais partager quelques éléments. Comme l’indique une annexe du rapport, l’Arabie Saoudite est notre troisième client sur la période 2010-2019. Je ne suis pas comptable des années 2010-2016, durant lesquelles la part de ce pays était beaucoup plus importante ; en 2019, nos exportations ont représenté 200 millions d’euros. Il y a eu au Royaume-Uni, l’an dernier, une contestation devant les tribunaux de ces exportations d’armement – alors qu’il existe en la matière un contrôle parlementaire. Je précise, sans porter de jugement, que l’arrêt qui limitait les licences délivrées vient d’être annulé : les autorisations d’exportation vers l’Arabie Saoudite ont été rétablies. Vous savez, par ailleurs, que le Royaume-Uni est infiniment plus dépendant que nous aux exportations d’armement vers ce pays.

Je pense avoir également répondu à votre question, Monsieur Nadot.

Je comprends votre volonté, Monsieur Chassaigne, de moraliser le plus possible les ventes d’armes. Une grande partie des leaders dans ce domaine n’ont pas signé, et on peut le regretter, le traité relatif à la CPI : ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni Israël, ni la Turquie, qui font partie des principaux exportateurs d’armement, n’en sont signataires. Je ne sais pas quelle est la bonne méthode, mais je ne suis pas convaincue que ce soit celle que vous préconisez. S’agissant des pays européens qui sont signataires de l’accord, la CPI appliquerait le principe de subsidiarité : ce sont normalement les tribunaux nationaux qui doivent être saisis, et non la CPI. Par ailleurs, je pense qu’il existe d’autres moyens de promouvoir de bonnes règles. Selon moi, la meilleure façon de procéder en ce qui concerne les exportations d’armement est d’accroître la part des pays européens et de faire prévaloir, le plus possible, la préférence européenne.

Vous m’avez interrogée sur un pétrolier qui semble en mauvaise posture au large du Yémen. Je pense qu’il vaudrait mieux poser la question à Jean-Yves Le Drian, mais je vais regarder ce qu’il en est.

Si les ventes d’armes sont un vecteur d’influence, je n’ai jamais considéré qu’il s’agissait d’une baguette magique. Nous achetons des armes aux Américains mais cela n’implique pas que nous soyons à leurs ordres. Il existe un équilibre complexe et délicat en la matière. Ce sont des investissements de long terme – je ne parle pas d’argent, mais d’une relation, d’un partenariat, d’une coopération. Lorsqu’on développe un partenariat avec un pays tel que l’Australie, en vendant des sous-marins, on crée aussi une relation durable, dans une zone où les tensions sont très fortes et où la France a des intérêts à protéger.

Nous avons enfin conclu avec l’Allemagne un accord, entré en vigueur, au sujet des exportations d’armes. Je dis « enfin » car la discussion a été longue et parfois délicate, mais l’essentiel est le résultat. Les règles prévues permettent de donner de la visibilité sur la manière d’exporter vers des pays tiers, dans un domaine qui est également très sensible en Allemagne, et de simplifier et d’accélérer certaines décisions. En vertu de la clause de minimis, on n’a pas besoin de suivre une procédure longue et compliquée jusqu’à 20 % de composants provenant de l’autre pays – l’accord est fondé sur la réciprocité : cela concerne aussi bien les composants français que ceux allemands. L’exportabilité, si je puis dire, est alors de droit. Tout cela permet d’avoir des procédures plus simples et plus efficaces mais aussi une convergence de vues plus forte.

S’agissant de la Grèce, je ne peux malheureusement pas vous fournir autant de précisions que je le souhaiterais car les discussions ne sont pas encore totalement finalisées. Nous travaillons sur un projet d’accord intergouvernemental – un partenariat stratégique – et sur différents prospects, depuis plusieurs mois. L’un d’entre eux concerne, comme vous l’avez souligné, le domaine naval. Dès que nous aurons du nouveau, nous vous le ferons savoir. Nous travaillons très activement.

M. Jacques Maire. Je veux à mon tour exprimer mon profond respect pour votre travail et votre engagement.

Nos propositions ont été anticipées puisque les éléments du traité sur le commerce des armes sont intégrés au rapport. Pourtant, le progrès n’est jamais linéaire et je note que ne figure plus dans les annexes le détail des refus de licence d’exportation.

Il est intéressant que vous évoquiez l’Europe comme un relais de croissance et de diversification. Le sujet est important car le choix du client est la principale garantie contre le risque. De ce point de vue, la performance 2019 est exceptionnelle : j’aimerais savoir si elle se confirmera en 2020.

Avec le Président de la République, vous faites à juste titre de la France le chevalier de l’intégration européenne de l’armement – je pense au Fonds européen de défense et à la coopération structurée permanente. Or le modèle français paraît assez déséquilibré aux yeux de nos partenaires, puisque dans les autres pays exportateurs, les parlements ont un rôle, y compris de contrôle à l’export ; en France, les parlementaires peuvent avoir quelques échanges, mais pas d’accès véritable à l’information. Ne pensez-vous que l’exécutif et le législatif pourraient marcher de conserve dans ce domaine ? Si le Parlement avait un rôle, l’offre française en matière de leadership ne serait-elle pas plus attractive ?

Mme Patricia Mirallès. Vous avez déjà répondu à mes questions, mais je saisis cette occasion pour vous féliciter et vous remercier, aussi, de votre proximité avec les soldats, les familles, et les proches endeuillés.

M. Didier Le Gac. Le rapport montre un secteur naval en forte hausse. Sa part dans les prises de commandes, d’ordinaire de 10 %, atteint presque 50 % cette année. Il convient de souligner que le programme de renouvellement des bâtiments chasseurs de mines belges et néerlandais, piloté par la Belgique, représente à lui seul 40 % des commandes du secteur. Il serait intéressant de se projeter au-delà de 2019, pour savoir si les performances du secteur à l’exportation peuvent se poursuivre, sachant que, dans ce domaine, la concurrence, est forte entre les pays de l’Union européenne.

Naval Group se trouve toujours dans la phase de négociation pour certains contrats qui devraient être signés en 2021 et 2022 : trois frégates doivent être livrées à la Grèce, quatre sous-marins aux Pays-Bas et quatre corvettes à la Roumanie. Quelle part l’État prend-il dans ces négociations ? Participe-t-il aux discussions ?

Enfin, l’industrie navale européenne doit se consolider, mais selon quel périmètre et à quelle échéance ?

Mme Florence Morlighem. La demande de transfert de technologie et de coopération industrielle via des contrats de compensation, ou offset, va croissant dans le marché de l’armement. De nombreux clients, fidèles aux commandes françaises, cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis de leurs fournisseurs étrangers et à développer l’industrie locale. Ces contrats de compensation doivent faire l’objet d’une surveillance étroite, puisqu’il faut trouver l’équilibre entre la nécessité d’exporter et le risque que de futurs concurrents ne montent en puissance.

Une directive de 2009 interdit ces contrats sur le marché européen. Si la France n’a, pour sa part, pas recours aux contrats de compensation, cette directive est appliquée de manière fort diverse par les États membres. Ne faudrait-il pas plaider en faveur du respect de cette directive ? Elle favoriserait les Européens sur leur propre marché et encouragerait les coopérations industrielles entre les États membres.

M. Jacques Marilossian. Je vous félicite pour votre reconduction à la tête de nos armées. Je félicite aussi la DGA pour la rédaction de ce rapport très pédagogique, notamment dans la description des processus de contrôle – car il y a bien un contrôle des ventes d’armes en France.

L’accord franco-allemand d’octobre 2019 a créé une base commune pour les exportations d’armement et prévoit une clause de minimis. Pouvez-vous présenter un premier bilan de cet accord ou préciser comment vous espérez l’appliquer ? Devons-nous envisager des accords similaires avec d’autres partenaires européens, comme l’Italie, dans le domaine naval, ou le Royaume-Uni, dans celui des missiles ?

Mme Séverine Gipson. Vous vous félicitez à juste titre de nos excellents résultats en matière d’exportations vers l’Europe : comment analysez-vous ces résultats ? S’agit-il d’une tendance de fond ?

La loi de programmation militaire prévoit de réformer le soutien aux exportations (SOUTEX) grâce, notamment, à la création de 400 postes supplémentaires. Dans le contexte de crise économique, comment l’État peut-il soutenir ses entreprises sur les marchés à l’export ? La trajectoire votée en LPM doit-elle être renforcée ? Est-il envisagé de soutenir d’autres mesures, telle l’offre de Bpifrance Assurance Export ?

M. Jean-Louis Thiériot. Les mesures contracycliques prises dans le cadre du plan de relance permettront de soutenir l’industrie d’armement, mais la crise touchera l’ensemble de la supply chain, surtout lorsque l’activité des PME est duale et concerne à la fois la défense et d’autres secteurs, comme dans l’aéronautique.

Des PME pourraient faire l’objet de prédations par le biais d’investissements directs étrangers. Pourriez-vous préciser les modalités de votre collaboration avec Bercy dans ce domaine ? Lorsqu’un contrôle débouche sur un avis négatif, les problèmes de restructuration et de fonds propres restent entiers. Bpifrance a lancé le fonds d’investissement Definvest, mais à quelles autres solutions réfléchissez-vous pour venir en aide aux PME dont l’activité est essentielle à notre autonomie stratégique ?

Mme Carole Bureau-Bonnard. Je vous félicite, ainsi que Geneviève Darrieussecq, pour votre reconduction au ministère. Nous nous enorgueillissons de voir que le matériel de défense français est à la pointe de la technologie, mais l’innovation entraîne une augmentation constante du coût unitaire. Comment évaluez-vous les conséquences de cette évolution sur nos clients futurs ?

M. Charles de la Verpillière. On sait que notre plus grand allié, les États-Unis, est aussi notre plus grand concurrent. Non seulement il exerce sa suprématie au sein de l’OTAN en imposant ses normes et en vendant des F35, mais il contrôle aussi nos exportations vers des pays tiers en appliquant la réglementation sur le trafic d’armes au niveau international (ITAR), dès lors que les matériels contiennent des composants américains sensibles. Pourriez-vous faire un point sur l’évolution de la position américaine ?

Par ailleurs, où en sont les deux programmes d’armement sur lesquels nous collaborons avec l’Allemagne, le SCAF et le MGCS ?

M. Joachim Son Forget. Je m’apprêtais à me désoler de votre absence, au cas où vous auriez été nommée Première ministre…

Les annexes du rapport font état de volumes mineurs s’agissant de l’exportation d’armement de petit calibre – de fait, l’armurerie du coin vend davantage. Je ne m’explique donc pas, compte tenu du faible volume de pièces vendues, les 31 millions d’euros que ces transactions auraient rapportés. Ce chiffre inclut-il, au-delà des systèmes complets, des pièces de rechange ou du maintien en condition opérationnelle sur des contrats passés ?

Quoi qu’il en soit, je sais que la décision de ne plus fabriquer ce type d’armement relève d’une stratégie délibérée consistant à favoriser les technologies à plus haute valeur ajoutée, mais n’est-elle pas appelée à évoluer alors que le contexte nous impose de renforcer notre souveraineté dans un certain nombre de domaines ? La crise du covid-19 a en effet montré que l’approvisionnement en matériel peut s’avérer difficile. L’instabilité globale nous commande, me semble-t-il, de disposer sur le sol national de réserves suffisantes en munitions et en armements de petit calibre.

Mme Nathalie Serre. En effet, puisque cette filière n’existe plus en France, il n’y a pas d’exportation de munitions de petit calibre et nous nous trouvons totalement dépendants de nos fournisseurs étrangers. Pourriez-vous préciser le montant des importations de munitions de petit calibre en 2019 et nous indiquer quels sont nos principaux fournisseurs ?

Envisagez-vous une évolution de nos sources d’approvisionnement, dans la mesure où vous avez pour ambition de faire prévaloir la préférence européenne ?

Mme Florence Parly, ministre des armées. J’ai bien noté que ce rapport comptait des plus et des petits moins. Nous essaierons de faire mieux l’année prochaine !

La performance enregistrée en 2019 est-elle appelée à se reproduire ? Je ne pense pas faire excès de prudence en vous disant que l’année 2020 sera moins bonne. D’abord parce que nous avions, cette année, les trois gros contrats que sont les dragueurs de mines, à destination de la Belgique et des Pays-Bas, les hélicoptères pour la Hongrie et les satellites pour l’Espagne ; ensuite, si des pays peuvent confirmer leur volonté de faire croître l’effort de défense, d’autres feront le choix inverse ; enfin, la crise a retardé la prise de décision, et les contrats qui auraient pu être concrétisés en 2020 ne le seront probablement qu’en 2021, année où l’on pourra constater, comme dans bien des domaines, un rattrapage.

S’agissant du contrôle sur les exportations d’armement, ce qui est important à mes yeux, c’est que nos produits soient fiables et reconnus, et que nous puissions agir ensemble lorsque des exportations sont inclues dans les partenariats. Il ne m’a jamais été indiqué que nos partenaires et clients considéraient le système de contrôle français comme un handicap.

Je relève que le partenariat, dans le cadre d’un contrat de gouvernement à gouvernement, tel celui que nous avons conclu avec la Belgique, est très apprécié. Cela fait partie des atouts que nous pouvons mettre en avant.

Il est vrai que l’année 2019 a été particulièrement brillante pour le secteur naval. Les grandes entreprises sont performantes. Leur visibilité sur le marché mondial est accentuée par le développement de produits pour le compte du client France, comme les sous-marins nucléaires d’attaque de nouvelle génération, dont les essais sont prometteurs, les frégates de défense et d’intervention – j’ai récemment assisté à la cérémonie de découpe de la première tôle – ou les bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), dans le cadre du partenariat franco-italien.

Quelles sont les perspectives ? J’espère pouvoir répondre plus précisément sur le contrat passé avec la Grèce. Vous vous souviendrez peut-être que Naval Group a remporté l’année dernière le contrat avec la Roumanie, au terme d’une compétition très disputée. Mais l’un des vaincus, mauvais joueur, dépose recours sur recours. J’ai expliqué récemment à mon homologue qu’à ce rythme, la Roumanie ne pourrait espérer disposer des corvettes avant vingt ans ! Mais je ne désespère pas que la victoire de Naval Group se concrétise prochainement. Le groupe français a été également présélectionné, aux côtés de deux autres finalistes, pour la commande de sous-marins par les Pays-Bas. Nous entrerons bientôt dans une phase de dialogue compétitif ; croyez que je serai très mobilisée sur ce dossier.

Quel soutien l’État apporte-t-il aux exportations ? D’abord, le ministère est fort actif, à commencer par la DGA ; nos armées ont à cœur de démontrer les performances des matériels, et les exercices conjoints sont aussi l’occasion de promouvoir les produits français. Moins d’événements de ce type ont été organisés cette année en raison de la crise sanitaire, mais ce n’est que partie remise. Il convient ensuite de souligner l’effort du réseau diplomatique : les ambassades soutiennent les entreprises, celles, notamment de la BITD. Enfin, les membres du Gouvernement dont c’est le rôle assurent la promotion jusqu’à la finalisation des contrats.

S’agissant des mesures contracycliques, le plan de soutien à la filière aéronautique sera suivi d’un plan de relance à l’automne. J’espère pouvoir mettre en avant les industries de défense : ce sont des investissements qui profitent aux territoires, puisqu’ils se traduisent par des emplois, pour la plus grande part français.

J’ai lancé, il y a quelque temps déjà, le fonds d’investissement Definvest, qui permet de financer en fonds propres les entreprises en difficulté. La crise, et les besoins bien plus importants qu’elle entraîne, m’ont amenée à décider le doublement de ce fonds, dès 2020. Nous travaillons à d’autres outils ; nous cherchons notamment à fédérer les grandes entreprises de l’aéronautique autour d’un système qui leur permette de venir en aide et de financer les entreprises de plus petite taille.

En ce qui concerne les tentatives de prédation, une sorte de task force a été mise en place au sein de la DGA : en lien avec la Direction générale des entreprises à Bercy, elle identifie les entreprises qui sont en difficulté et celles qui ont besoin d’être secourues en urgence. Nous essayons, avec le ministère de l’économie, dont c’est la prérogative, de mobiliser les bons outils. Il faut éviter qu’à la faveur de la crise, les savoir-faire ne partent à l’étranger.

S’agissant du SCAF, le contrat d’architecture a été passé à la fin de l’année 2019, pour un montant de 65 millions d’euros ; le contrat de recherche et de technologie a été validé début 2020, pour un montant de 150 millions. Le démonstrateur devant pouvoir voler en 2026, nous travaillons à un contrat qui porte sur les années 2021 à 2026 et qui devrait être validé avant les élections allemandes, au plus tard en mars de l’année prochaine. Nous avons conclu en mai, sans tambours ni trompettes – confinement oblige –, le contrat d’architecture du char de combat du futur. L’idée est de notifier le contrat de recherche et de technologie au premier semestre 2021.

Notre partenaire américain est un concurrent qui reste agressif, voire le devient davantage. La situation, que j’ose qualifier de catastrophique, de Boeing incite l’entreprise à se montrer plus offensive encore à l’exportation. Et s’agissant de l’utilisation des outils extraterritoriaux, nous ne constatons, hélas, aucune amélioration.

Il est vrai que la filière des munitions de petit calibre n’a pas été considérée comme essentielle à la souveraineté française. Le contexte nous invite à nous demander si elle est désormais incontournable. Le fait est que ni le ministère des armées ni le ministère de l’intérieur n’ont rencontré de problème d’accès à ces munitions : les fournisseurs, notamment en Europe, sont nombreux, le marché est très ouvert et fluide. Je ne peux que vous inviter à poursuivre la réflexion, mais il me semble qu’il est d’autres domaines où nous devons retrouver en priorité, et de façon urgente, notre souveraineté.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, Madame la ministre, pour la qualité et l’exhaustivité de vos réponses, ainsi que pour votre disponibilité.

 

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La séance est levée à vingt et une heures quinze.

 

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Olivier Becht, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Nicolas Meizonnet, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Nathalie Serre, M. Joachim Son-Forget, M. Jean-Louis Thiériot, M. Pierre Venteau, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Thibault Bazin, M. Sylvain Brial, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Gilles Le Gendre

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Mireille Clapot, M. Jacques Maire, M. Sébastien Nadot