Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, du général Michel Friedling, commandant du commandement de l’espace.

 


Mercredi
8 juillet 2020

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 67

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


  1  

La séance est ouverte à neuf heures.

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, mes collègues et moi-même avions hâte de vous recevoir. Notre commission aborde régulièrement les questions spatiales, mais le plus souvent au détour d’auditions non exclusivement consacrées au sujet. Notre dernière réunion consacrée spécifiquement à ce sujet était destinée à l’examen, en janvier 2019, du rapport de nos collègues le président Becht et Stéphane Trompille sur le secteur spatial de la défense.

Ce constat est symptomatique d’une époque aujourd’hui révolue, où le spatial militaire était davantage considéré comme un « plus » dans les opérations que comme un champ de confrontation possible ; on ne le percevait pas encore comme l’épine dorsale de nombre de technologies, civiles ou militaires, que nous utilisons quotidiennement. Personne ne conteste désormais que notre dépendance aux moyens spatiaux constitue une potentielle vulnérabilité, et leur défense un enjeu de résilience.

L’année 2019 a marqué un tournant dans l’histoire de notre politique spatiale de défense.

L’année précédente, la loi de programmation militaire (LPM) avait programmé 3,6 milliards d’euros pour le renouvellement de nos capacités. Mais nombre d’entre nous ont eu l’impression que ni la revue stratégique de défense et de sécurité nationale ni la LPM n’avait pleinement intégré les changements à l’œuvre dans ce domaine : contestation des leaderships technologiques traditionnels par le New Space ; avancées technologiques majeures à même de changer la donne dans l’espace ; émergence de la Chine, aussi fermement résolue que peu transparente ; activités d’espionnage dans l’espace ; grands doutes sur les missions de navettes américaines, etc.

L’espace est devenu un nouveau champ de conflictualité ; toute la question est de savoir si les grandes puissances réussiront à établir un cadre de droit international de nature à éviter une folle escalade, à l’instar de ce que l’on a réussi peu ou prou à faire pour le nucléaire, ou si l’espace est appelé à devenir un nouveau Far West sans réelle régulation des rivalités. On peut souhaiter que le premier scénario se réalise, mais il serait imprudent de ne pas se préparer au second.

C’est pourquoi la ministre a lancé, dès septembre 2018, un travail visant à établir une stratégie spatiale de défense, publiée au printemps 2019. Pour contribuer à la réflexion stratégique, notre commission avait confié un travail de même nature au président Becht et à Stéphane Trompille. Je note d’ailleurs que leurs conclusions et leurs préconisations se retrouvent pour leur quasi-totalité dans la stratégie ministérielle. Vous pourrez, général, nous présenter votre vision de cette stratégie et la façon dont vous la mettez en œuvre.

Votre seule présence ici témoigne d’ailleurs de la mise en œuvre d’une de ces préconisations : nos collègues, comme le groupe de travail ministériel, s’accordaient à dire qu’il fallait à la défense spatiale une « incarnation organique ». Il existait depuis 2010 un organe interarmées appelé commandement interarmées de l’espace, que vous commandiez. Il s’agissait, en 2019, de changer nettement d’échelle, de placer clairement l’espace dans la continuité des missions de l’armée de l’air et de faire de celle-ci une armée de l’air et de l’espace. C’était encore une préconisation de nos collègues Becht et Trompille ; il est temps qu’elle soit pleinement mise en œuvre.

Nos collègues plaidaient pour que le commandement de l’espace (CDE) vaille à son titulaire sa quatrième étoile. Je ne peux qu’espérer que ce soit de bon augure pour vous !

Plus sérieusement, votre commandement a été institué et vous a été confié en septembre 2019. Comment vous l’avez-vous conçu et mis en place, quelles sont ses perspectives de croissance d’ici à l’échéance de la programmation, c’est-à-dire 2025 et au-delà ?

Dans les temps troublés que nous traversons, il y a peut-être des opportunités à saisir au travers du plan de relance. N’hésitez pas à nous dire comment le secteur spatial, largement dual, pourrait contribuer à la relance, pour le plus grand bien de notre outil de défense comme de notre économie.

Général Michel Friedling, commandant du CDE. Madame la présidente, mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de me fournir l’occasion d’évoquer le passionnant sujet de l’espace et de faire le point sur notre montée en puissance, un an après les décisions politiques que vous avez évoquées. Je tiens à vous dire toute l’attention que portent notre ministre et son cabinet, ainsi que le chef d’état-major des armées et le chef d’état-major de l’armée de l’air, à cette montée en puissance et au sujet spatial en général.

Après avoir rappelé le bouleversement considérable du paysage spatial, ces dix dernières années, je vous apporterai un éclairage sur quelques événements survenus dans l’espace et rapportés par la presse ouverte – d’autres sont classifiés, que je n’évoquerai pas ici. Je rappellerai ensuite non pas ma vision, mais la stratégie que nous portons collectivement. Je vous dirai enfin où nous en sommes un an après – et nous avançons vite.

Quelques clés de lecture pour commencer. L’espace est un milieu particulièrement hostile, avec des températures extrêmes, très froides ou très élevées, sujettes à des variations énormes dans des temps très brefs, et des rayonnements cosmiques très agressifs sur les objets spatiaux. Les frontières n’existent pas et le cadre juridique y est particulièrement libéral.

L’espace commence à partir d’une centaine de kilomètres à partir de la surface de la Terre et n’a pas de limites.

On distingue trois types d’orbites. Sur les orbites basses, entre 160 et 2 000 kilomètres, sont placés les satellites d’observation de la Terre, civils et militaires, les satellites d’écoute, et se déploient les grandes constellations comme celle d’Elon Musk, dénommée Starlink. Les vitesses de déplacement sont très élevées : environ 7 km/seconde pour les objets, soit 25 000 km/h. Il ne faut que 90 minutes pour faire le tour de la Terre. À l’opposé, les orbites géostationnaires se trouvent à environ 36 000 kilomètres ; les objets qui y sont placés, vus de la surface du globe, paraissent fixes. C’est là qu’on trouve les gros satellites lourds de télécommunications et de broadcasting, dont le marché est en disruption depuis l’arrivée des constellations de communication dans les orbites basses. Entre les deux, sur les orbites moyennes, à environ 20 000 kilomètres de la surface de la Terre, se trouvent les constellations de positionnement et de navigation : le GPS américain, les systèmes Galileo européen, Glonass russe et Beidou chinois.

En dix ans, le paysage spatial a subi un bouleversement radical. Le nombre des pays investissant dans le domaine spatial est passé de trente à quatre-vingt-cinq ; le montant global des investissements, hors marchés dérivés, a été multiplié par deux, passant de 36 à plus de 80 milliards de dollars ; la part du secteur civil est passée de 50 % à plus de 60 %, le volume des investissements militaires de 17 à 30 milliards de dollars. La Chine a multiplié par huit ses dépenses, passant à un peu moins d’1 milliard à un peu plus de 7 milliards de dollars, et par trois le nombre de ses lancements annuels. Le nombre de pays mettant en œuvre au moins un satellite est passé de trente à plus de soixante-dix et ne cesse de croître. En dix ans, le nombre de satellites opérationnels dans l’espace a plus que doublé.

Le ravitaillement de la station spatiale internationale, et même, depuis peu, le transport d’équipages, auparavant assuré par des opérateurs étatiques comme la NASA l’est désormais par des opérateurs commerciaux.

En grande difficulté au début de la décennie, l’entreprise SpaceX est devenue un acteur majeur de l’industrie spatiale, avec deux lancements en 2010 et vingt-cinq attendus en 2020, soit davantage que l’Union européenne. Les « cubsats » étaient, il y a dix ans, de petits satellites dédiés à l’expérimentation et à l’enseignement dans les universités ; ils sont lancés par centaines dans des constellations aux applications commerciales et militaires. Il y a dix ans, plus personne ne parlait de la Lune ; aujourd’hui, les Américains, les Chinois, l’Europe et même l’Inde sont engagés dans une entreprise de conquête. Alors que personne n’envisageait d’exploiter les corps célestes, sous l’impulsion des États-Unis, des accords internationaux sont en gestation pour faire permettre et développer ce genre d’activités.

Enfin, alors que personne n’envisageait la création de forces spatiales ou d’opérations spatiales militaires, les États-Unis se sont dotés d’un commandement opérationnel dédié, l’United States Space Command, 11e commandement opérationnel, créé en août dernier, et d’une Space Force, sixième branche des forces armées américaines. En Europe, la France a ouvert la voie et montré l’exemple avec son commandement de l’espace : mi-juin, l’Italie a annoncé la création d’un commandement de l’espace et le Royaume-Uni, après avoir créé très récemment une direction interarmées de l’espace, s’apprête également à annoncer la création d’un commandement dédié.

Dans ce paysage international bouleversé, la compétition s’intensifie, les risques et les menaces sont de plus en plus présents. On observe ces derniers mois un accroissement du nombre d’évènements préoccupants. Plusieurs exemples récents d’événements ont fait l’objet de publications dans la presse ouverte et de communication ou de protestation de la part des Américains. Il s’agit essentiellement de développements et d’essais de capacités anti satellite, de manœuvres de rapprochement et de proximité non coopératifs en orbites basses et géostationnaires et de manœuvre d’espionnage ou d’intimidation. Nous suivons et analysons tous ces évènements avec nos alliés pour comprendre, analyser et tirer ensemble des enseignements. Ils viennent conforter l’analyse faite à l’occasion de la revue spatiale qui a abouti à la publication de notre stratégie spatiale de défense.

J’en viens maintenant à celle-ci. Elle part du double constat désormais bien connu et que je viens d’évoquer en préambule : en premier lieu l’espace est un milieu essentiel pour notre sécurité comme pour notre économie et par ailleurs nous avons affaire à une compétition stratégique, économique et industrielle sans précédent. Et qui s’accélère.

Vous l’avez dit, Madame la présidente, la nouveauté de cette stratégie, c’est qu’elle reconnaît l’espace exo-atmosphérique non seulement comme un milieu à part entière aux enjeux propres, mais également comme le cinquième domaine de confrontation, après les domaines aérien, maritime, terrestre et cyber. Elle représente un tournant majeur pour nos armées, parce qu’elle implique le développement d’une capacité à agir dans tous les milieux et à défendre nos intérêts dans l’espace.

Il s’agit d’abord de répondre aux menaces émergentes en protégeant nos satellites et en développant notre aptitude à surveiller l’environnement spatial. Il s’agit ensuite de construire et consolider notre autonomie stratégique en saisissant les possibilités offertes par ce qu’on appelle le New Space et en revisitant notre modèle industriel. Cela signifie capitaliser sur la meilleure des deux approches, l’approche industrielle classique et l’approche plus agile, ce qui a abouti à la création du New Space, dont certains disent qu’il est déjà dépassé par le Post New Space, le Next Space ou le Power Space, quel que soit son nom

Un autre élément de consolidation de notre autonomie stratégique est l’élargissement des coopérations avec nos partenaires et alliés au domaine des opérations dans l’espace, et leur ouverture à de nouveaux partenaires.

La feuille de route de notre stratégie est articulée autour de quatre axes.

Premier axe, une nouvelle doctrine des opérations militaires dans l’espace, déclinée en quatre fonctions : le soutien aux capacités spatiales, la connaissance de la situation spatiale, l’appui aux opérations, à partir de moyens traditionnels d’observation ou de télécommunications, et l’action dans l’espace pour protéger nos moyens.

Deuxième axe : une nouvelle ambition capacitaire. Il s’agit de développer, pérenniser et améliorer nos capacités d’appui et de veille stratégique, de développer une capacité à comprendre et surveiller ce qui se passe dans l’espace sur toutes les orbites de manière autonome, et de nous doter, d’ici à 2030, d’une capacité de défense active dans l’espace.

Troisième axe : adapter la gouvernance du spatial militaire par la création du commandement de l’espace et la revisite de la relation entre le ministère des armées et le centre national d’études spatiales (CNES).

Quatrième axe : développer l’expertise spatiale dans la défense par la constitution d’une filière d’expertise et de parcours professionnels attractifs.

Créé pour répondre aux principes d’efficacité opérationnelle, de cohérence, de visibilité et de simplicité, le commandement de l’espace vise à concentrer l’expertise spatiale, rare au sein du ministère, dans une entité spécifique pour lui confier des responsabilités et les ressources nécessaires à l’exercice de ses responsabilités. C’est à la fois un organisme interarmées – j’ai également autour de moi des officiers de l’armée de terre et de la marine – et un commandement de l’armée de l’air. Le CDE est placé sous l’autorité fonctionnelle du chef d’état-major des armées pour ce qui concerne les opérations et la politique spatiale militaire, c’est-à-dire la stratégie, les coopérations, les capacités. Le chef d’état-major de l’armée de l’air en exerce le commandement organique, c’est-à-dire qu’il est notamment responsable de la génération d’expertises et de la préparation des forces.

Ce commandement a pour mission de fédérer et coordonner les moyens du spatial de défense, conduire les opérations spatiales militaires et contribuer à la définition de la politique spatiale militaire. À ce titre, nous recueillons et enrichissons les besoins en capacités spatiales exprimés par les armées, directions et services, et nous les portons vers l’état-major des armées. Nous identifions et exprimons les besoins en capacités pour la maîtrise du milieu spatial, incluant la surveillance et l’action dans l’espace, et nous les portons également vers l’état-major des armées. Il faut noter que les officiers en charge des programmes spatiaux appartiennent au commandement de l’espace, ce qui est une originalité, les officiers « programmes » se trouvant généralement dans les états-majors centraux. Le CDE dispose ainsi d’une concentration d’expertises techniques et d’expertises métiers judicieuse, de nature à accroître l’efficacité de nos actions, en lien avec la direction générale de l’armement (DGA). Ces officiers programmes sont particulièrement qualifiés : pour la plupart titulaires d’un double diplôme de l’école navale, de l’école de l’air ou de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, ils se sont dotés à mi-parcours d’un deuxième diplôme d’une grande école d’ingénieur, comme SUPAERO ou TELECOM PARIS. Certains sont même titulaires d’un doctorat.

Cette double subordination fonctionnelle et organique du commandement de l’espace, ainsi que l’étendue de ses responsabilités, en fait un objet à part.

Son rattachement à l’armée de l’air est une bonne décision, cohérente avec l’histoire. Je le dis sans parti pris, malgré l’uniforme que je porte. Il faut se souvenir par exemple que l’aventure spatiale française commence en 1947 par la création du centre d’essai et d’expérimentation du Sahara, devenu en 1948 le centre interarmées d’essai d’engins spéciaux (CIEES), sur l’aérodrome de Colomb-Béchar, en Algérie. Le premier noyau de personnel, presque entièrement issu de l’armée de l’air, arrivé début septembre 1947, prend en charge le soutien de ce centre et la création de la base aérienne 145, ainsi que la conduite des premières expériences. C’est le premier pas de tir spatial français. Il est hébergé, soutenu et armé par des aviateurs de la base aérienne 145, accompagné de personnels de la direction des études et fabrications d’armement (DEFA), l’ancêtre de la DGA, et de personnels du comité de recherche spatial (CRS), l’ancêtre du CNES. Les premières fusées françaises, baptisées Véronique, y sont conçues et testées dans les années 1950 et jusqu’au milieu des années 1960. La base aérienne 145 et le CIEES ont d’ailleurs le même insigne et le général de brigade aérienne Robert Aubinière, qui commande le centre et la base aérienne de Colomb-Béchar entre 1957 et 1962, devient par la suite le premier directeur général du CNES.

Ce rattachement à l’armée de l’air est également cohérent avec la culture de la troisième dimension et des questions de commandement et conduite des opérations (C2) dans un milieu global et transverse. Il ancre enfin le spatial militaire sur un socle organique indispensable au recrutement et au développement des talents et compétences dont nous avons besoin.

Son caractère interarmées répond par ailleurs à une nécessité. L’espace exo-atmosphérique est un milieu à part entière, distinct mais non disjoint du milieu aérien, aux enjeux et spécificités propres. Les services offerts par l’espace sont indispensables aux opérations, aux armées, directions et services qui doivent rester présents et investis pour garantir la prise en compte de leurs besoins. Dans la mesure où l’on ne comprend un milieu et ses enjeux que lorsque l’on est partie prenante, il est important que les autres armées restent des acteurs du spatial de défense.

Le CDE est donc un objet un peu à part, à la fois interarmées et air, particulièrement agile, disposant de responsabilités et de ressources pour les exercer sous la double autorité du CEMA et du CEMAA. Cet équilibre est bon et il doit être maintenu. Et j’aime reprendre ce propos que me confiait le chef d’état-major de l’armée des armées à ce sujet : « Le commandement de l’espace est l’incarnation la plus parfaite de ce que je souhaite en matière de subsidiarité. »

Mais le commandement de l’espace n’est pas le seul acteur. Il est un élément d’un collectif mobilisé pour mettre en œuvre la stratégie spatiale de défense et comprenant de nombreux acteurs, aux premiers rangs desquels, pour ne citer que les principaux, l’état-major des armées, l’état-major de l’armée de l’air, la DGA, la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et le CNES.

Le CNES est réellement notre premier partenaire, dans une logique de pérennisation de la dualité — un des principes fondateurs du spatial français -, d’efficacité et de recherche de synergies. C’est un partenaire incontournable dans la durée, pour tous les sujets : innovation, programmes, opérations et formation. Nous bâtissons avec le CNES une collaboration pérenne et bénéfique pour l’intérêt général, pour le ministère et pour le CNES lui-même. Cette collaboration est très active. Au travers de différents groupes de travail conjoints entre le ministère et le CNES, nous traitons l’ensemble des sujets qui nécessitent cette coordination pour mettre en œuvre la stratégie spatiale de défense.

Où en sommes-nous concrètement dans notre montée en puissance ? Nous avançons sur tous les fronts avec détermination et agilité : notre petite structure dispose des bonnes compétences et le ministère a la volonté d’avancer. Nous avons organisé notre montée en puissance comme une opération militaire définissant douze lignes d’opération, allant des opérations spatiales ou de la définition de la doctrine à l’implantation physique, juridique et réglementaire sur le site du centre spatial de Toulouse (CST), en passant par les aspects capacitaires, juridiques, financiers, et d’autres encore. Je vais en détailler quelques-unes.

Sur le plan capacitaire tout d’abord, la LPM a fourni un effort financier initial de 3,6 milliards d’euros sur le programme 146, auxquels il faut ajouter les crédits du programme 144 et d’autres attribués à l’occasion de la revue stratégique spatiale. Environ 5 milliards d’euros sont prévus pour le domaine de l’espace, tous programmes confondus, permettant la mise en service de plusieurs capacités spatiales majeures durant la période de la LPM, comme celle des satellites de la composante spatiale optique (CSO). Le premier a été lancé en décembre 2018. Le deuxième le sera en novembre prochain dans le cadre du programme d’armement MUSIS (Multinational Space-based Imaging System). En 2021 seront lancés les deux premiers satellites de la constellation CERES (capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale). Le cœur souverain de nos télécommunications sécurisées sera renouvelé avec les satellites SYRACUSE 4A et B lancés fin 2021 et mi-2022 et la mise en service des segments sol. Enfin, le lancement du premier incrément du programme OMEGA (opération de modernisation des équipements GNSS des armées) permettra, en cohérence avec les calendriers des porteurs Rafale et du porte-avions Charles de Gaulle, la réception bimode GPS et Galileo « PRS » pour le positionnement, la navigation et le timing. Nous avons également lancé les travaux de préparation des capacités appelées à remplacer ces programmes à l’horizon 2028, les cycles programmes étant généralement d’une dizaine d’années. Il s’agit des programmes IRIS et CELESTE pour l’observation et l’écoute.

Par ailleurs, nous avons lancé les travaux relatifs au programme à effet majeur ARES (Action et Résilience Spatiale) décidé et annoncé par la ministre des armées, qui couvre l’ensemble des moyens de surveillance de l’espace et d’action dans l’espace. Dans ce cadre, le successeur du radar GRAVES (grand réseau adapté à la veille spatiale) est en cours de définition. Une première capacité opérationnelle est prévue en 2023 et une pleine capacité est visée à l’horizon 2030. Le radar GRAVES figure sur la feuille de route capacitaire de maîtrise de l’espace ARES qui, comme indiqué dans la stratégie spatiale de défense, préconise un mélange de capacités patrimoniales et d’achat de services. Nous avons d’ailleurs signé un premier contrat de services de fourniture de données de surveillance de l’espace auprès de la société Safran Data Systems, visant à enrichir notre connaissance de l’espace à partir de données de surveillance dans le domaine des radiofréquences.

Dans le cadre du programme à effet majeur ARES encore, nous nous employons à définir notre système de commandement et de contrôle des opérations spatiales qui sera le cœur de notre capacité future. Nous avons engagé un travail en mode agile pour disposer d’une première capacité en 2023, à partir d’un outil développé par des opérateurs militaires qui se trouve au pôle opérations à Balard, avec le soutien de la DGA et du CNES. Nous en avons montré les premières évolutions au Président de la République lors de son déplacement à Orléans à l’occasion de ses vœux aux armées.

Conformément aux décisions de la ministre révélées en juillet 2019 à Lyon, nous lancerons en 2023 un démonstrateur de nano-satellites guetteur-patrouilleur, destiné à prouver notre capacité à mener des opérations en orbite géostationnaire. La réalisation de ce démonstrateur est un modèle d’opération agile, audacieuse, innovante, rendue possible par une volonté commune et un travail conjoint avec la DGA, le CNES et l’Agence de l’innovation de défense. Certains pensaient que cela ne serait pas possible avant 2028. Or, si tout va bien, nous aurons en 2023 cette capacité en orbite géostationnaire, qui représentera à la fois une première démonstration, une première capacité opérationnelle et une source d’enseignement majeur pour une vraie et pleine capacité à l’horizon 2030. En parallèle, nous avons lancé avec la DGA des études sur les charges utiles embarquées dans les satellites d’action et de surveillance.

Dans tous ces travaux relatifs à la maîtrise de l’espace, la donnée sera un facteur clé de succès et de souveraineté. S’il convient d’avoir des capteurs, des charges utiles, des plateformes et un système de commandement, la donnée sera un élément central et nous prenons actuellement la mesure des capacités en termes de stockage, de processing et d’intelligence artificielle, dont nous devons nous doter, mais également des nouveaux métiers liés à la donnée, jusque-là inconnus au commandement interarmées de l’espace (CIE) et au CDE, qu’il nous faut développer. C’est un enjeu majeur de souveraineté et nous devrons être capables de maîtriser totalement ces données pour disposer d’une appréciation autonome de situation spatiale et de caractérisation des menaces, préalable à toute action diplomatique ou militaire en vue de protéger nos capacités stratégiques.

Un deuxième axe de notre feuille de route concerne les ressources humaines et la génération de compétences qui nécessite d’identifier les nouveaux métiers, les compétences requises, la ressource, le recrutement et la formation des spécialistes. Depuis plusieurs mois, nous analysons avec l’aide du CNES les fonctions nécessaires au contrôle des segments spatiaux, celles nécessaires pour armer les postes d’un centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales militaires et la répartition des tâches entre le personnel du ministère des armées et du CNES.

C’est à partir de ce travail et de la feuille de route capacitaire que nous avons conçu la cible RH 2025 du domaine spatial et la montée en puissance nécessaire. Alors que nous étions un peu moins de 230 lors de la création du commandement de l’espace en septembre 2019, la ministre a validé une maquette RH d’environ 500 personnes en 2025 au sein du commandement de l’espace. Dès la rentrée 2019, nous avons commencé à former nos premiers opérateurs. Deux lieutenants, formés par le CNES, sont devenus des ingénieurs missions opérationnels pour les segments de contrôle des satellites CSO et Helios. En septembre 2020, quinze militaires rejoindront ces deux premiers officiers à Toulouse pour être formés par le CNES à des métiers d’appui aux opérations ou pour développer leur expertise en orbitographie, discipline indispensable pour la surveillance de l’espace. En deux ans, nous aurons formé dix-sept militaires, ce qui est à la fois peu et beaucoup, afin de constituer le noyau dur de notre future capacité de conduite des opérations et d’armer les postes du futur centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales militaires. Le retour d’expérience que nous allons accumuler sera essentiel pour améliorer et optimiser les cursus futurs.

Nous utilisons la compétence et l’expertise du CNES, mais nous regardons ce que font nos partenaires et alliés, notamment les Américains, qui opèrent leurs satellites depuis longtemps et qui possèdent des centres d’opérations spatiales, mais également les Italiens qui opèrent leurs satellites militaires par du personnel militaire, sans oublier les acteurs industriels qui opèrent des satellites et des constellations pour le compte de clients étrangers. Nous construisons ainsi notre vision du futur centre d’opérations spatiales militaires et de la façon la plus judicieuse d’opérer vers, depuis ou dans l’espace.

L’essentiel du commandement de l’espace sera prochainement installé à Toulouse. La montée en puissance sera rapide, conformément aux décisions ministérielles. Nous avons exprimé nos besoins et obtenu les crédits pour la construction de nos infrastructures au centre spatial toulousain (CST). Elles seront livrées en deux tranches, une première tranche en 2023 de bâtiments destinés à l’accueil de nos 200 premiers militaires et une seconde qui accueillera le centre d’opération proprement dit, le laboratoire d’innovation spatiale et l’académie, au cœur du CST. Bien davantage que des bâtiments, ces infrastructures seront des éléments constitutifs de notre capacité opérationnelle et de l’identité du spatial militaire national. Là encore, nous pouvons nous réjouir d’avoir battu des records en la matière avec notre premier bâtiment en 2023, ce qui est un délai particulièrement réduit pour une opération d’infrastructure de ce type et montre l’implication de l’ensemble des acteurs du ministère pour mettre en œuvre la stratégie de défense spatiale.

Nous allons développer un laboratoire d’innovation spatiale des armées. Pleinement intégré dans l’écosystème piloté par l’agence de l’innovation de défense, agissant en synergie avec le DGA, le CNES et l’ONERA, cet outil du ministère facilitera des projets d’accélération de l’innovation labellisés par l’agence. Un premier échelon précurseur est composé d’un jeune officier et d’un ingénieur civil recruté et financé par le biais d’une convention conclue entre le ministère des armées et le pôle Aerospace Valley de Toulouse. Ces deux personnes insérées au sein du pôle Aerospace Valley sont notre tête de pont dans l’écosystème spatial français. Après avoir établi une cartographie de cet écosystème et de son potentiel en termes de réponses à nos besoins militaires, ils ont identifié quatre premiers projets qui seront prochainement présentés à l’Agence de l’innovation de défense.

Un autre axe de notre stratégie est la coopération. Au nom de la ministre, nous avons signé, le 12 février, à Ottawa, l’acte d’adhésion de la France à la communauté spatiale des opérations militaires, qui regroupe les cinq nations anglo-saxonnes, plus la France et l’Allemagne. Avec l’Allemagne, au nom de la ministre et conformément à la volonté exprimée par les deux ministres en septembre dernier, nous avons signé en mars des termes de références pour structurer notre coopération dans le domaine de la surveillance. Nous avons également signé en juin une lettre d’intention avec l’Australie en vue de développer notre coopération et nos échanges en matière de surveillance de l’espace. Nous travaillons à relancer le partenariat stratégique avec le Japon sur la base. Malheureusement, l’élan a été freiné par le covid, mais nos deux pays souhaitent vivement une coopération dans le domaine spatial militaire. Enfin, nous avons engagé des discussions avec l’Inde, dont l’attente est aussi très forte. Des discussions sont en cours pour définir une lettre d’intention en vue de développer notre partenariat stratégique dans le spatial militaire.

Pour terminer, la France a transmis à l’OTAN sa candidature pour accueillir un centre d’excellence dédié à l’espace. Nous considérons que la candidature française est une proposition à forte valeur ajoutée. La stratégie spatiale de défense nous met en mesure de couvrir le panel le plus complet de missions spatiales militaires et de compétences. Nous sommes les seuls à avoir cette ambition en Europe qui ne nous limite pas à l’appui aux opérations et à la surveillance de l’espace. Par ailleurs, son implantation à Toulouse est une formidable opportunité pour bénéficier de la concentration d’expertise spatiale qui s’y trouve. En s’implantant à Toulouse, le centre d’excellence OTAN sera également à côté du commandement de l’espace français et de son centre d’opérations. Il sera également proche du centre de formation aux opérations spatiales, qui sera un des éléments de l’académie de l’espace. Le développement capacitaire et la réflexion doctrinale seront également irrigués par la proximité de notre space lab ou de notre centre de formation. Dans tous ces domaines, les synergies seront très fortes. En avril, nous avons transmis le détail de notre proposition. Nous allons maintenant élaborer une feuille de route concrète pour montrer que nous pouvons aller vite et que notre proposition est sérieuse.

Vous l’avez compris, les défis à relever sont nombreux. Si je devais les résumer, je dirais que le premier est de conduire la montée en puissance sur tous les fronts en vue d’obtenir des résultats rapides, de concrétiser la feuille de route de maîtrise de l’espace, de générer la compétence et de piloter notre installation à Toulouse. Le deuxième, c’est de continuer à être très présent dans les instances où les intérêts de la France sont en jeu pour le spatial militaire et pour l’espace en général – je pense en particulier aux travaux conduits dans un cadre européen, à ceux relatifs à d’éventuelles normes de régulation ou de contrôle du trafic et à ceux relatifs aux normes de comportement dans l’espace. Le dernier, c’est de conserver une réflexion prospective pour préparer l’avenir. Les évolutions sont en effet très rapides. Notre mission n’est pas de préparer le lendemain du monde d’hier, mais de préparer l’aube du monde de demain… Dans le monde de demain, on ne remplace pas une capacité par une capacité un peu meilleure. Le monde de demain dans l’espace sera différent. Il faut désormais l’aborder et le penser de manière globale, systémique. L’espace ne sera plus un milieu où sont placés des objets fournissant des capacités, mais un milieu dans lequel évolueront des systèmes de systèmes. À cet égard, le projet Blackjack de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) d’architecture multicouches est particulièrement éclairant. Il faut s’y préparer dès maintenant.

Pour conclure, je paraphraserai avec gourmandise la phrase célèbre du directeur de la mission Apollo 13 qui, confronté à une situation extraordinaire, aurait dit : « L’échec n’est pas une option ».

M. Stéphane Trompille. Général, je suis heureux de vous avoir entendu parler des ressources spatiales alors que notre présentation de rapport et nos auditions avec Olivier Becht, avaient suscité une certaine réticence et quelques moqueries… Nous y avions mis l’accent sur le défi de la surveillance de l’espace : compte tenu de la prolifération des moyens spatiaux en orbite et de leur capacité de manœuvre croissante, la surveillance de l’espace requiert des capacités de traitement croissantes. Lors de notre visite à la base de Mont Verdun, le lieutenant-colonel Thierry Cattaneo observait que le territoire français était survolé environ dix mille fois par jour par des objets spatiaux. Parallèlement, la prolifération des débris conduit à multiplier le nombre des objets à surveiller : au moment de la publication de notre rapport, le catalogue américain recensait 20 000 objets ; il pourrait en recenser 300 000 quand la précision des outils de surveillance américains atteindra un centimètre. Quelle est la position de la France et quelles sont les innovations en matière de surveillance des objets et des débris ?

Enfin, la lune redevient attractive : les Chinois sont sur la face cachée. Envisagez-vous de recourir à des satellites pour surveiller les activités lunaires ?

M. Charles de la Verpillière. Vous avez parlé de la coopération de la France avec des pays alliés, notamment les « Five Eyes », l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Sur quels sujets pouvons-nous attendre des progrès ?

Vous dites qu’une de vos missions est la mise en œuvre d’une « défense active » d’ici à 2030. Pourquoi 2030 ? Pourquoi pas avant ? Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Enfin, la possession par la France du pas de tir de Kourou est-elle un avantage pour l’utilisation militaire de l’espace ?

M. Stéphane Baudu. La conquête spatiale offre une possibilité rare et enthousiasmante pour nos contemporains. Du sentiment de participer à une aventure humaine et scientifique à la découverte de solutions aux problèmes terrestres, cette aventure est porteuse d’espoir, et quel meilleur recruteur que l’espoir ? Aux États-Unis, un spot publicitaire pour la Space Force dit clairement : « Lorsqu’on regarde la lumière d’une étoile, on regarde dans le passé, mais moi, j’y vois l’avenir, l’exploration, le courage, j’y vois mon pays trouver de nouveaux horizons, j’y vois des ruptures, je m’y vois. Le futur est là où je ferai l’histoire. » La culture populaire s’est emparée du sujet par le biais de la comédie Space Force et d’autres films. Ces éléments popularisent une culture de l’aventure spatiale devenue profondément humaine. Quelle est l’ambition de votre commandement pour le recrutement de talents, au-delà des seuls militaires ? Comment entendez-vous populariser votre jeune armée en participant à la construction de cette culture en France ?

M. Yannick Favennec Becot. Les opérations spatiales militaires obéissent aux mêmes règles que les opérations spatiales des acteurs privés. En juillet 2019, la ministre des armées avait souhaité l’intégration dans notre droit interne de la spécificité des opérations spatiales militaires, comme aux États-Unis ou en Finlande. Un avant-projet de loi est annoncé. Que souhaitez-vous voir figurer dans notre droit sur les opérations spatiales afin d’assurer une réelle prise en compte des spécificités militaires ?

Le budget spatial européen est revu à la baisse, à 15 milliards d’euros sur sept ans. Est-ce à la hauteur de l’enjeu, sachant qu’en 2020, les États-Unis auront dépensé 60 milliards de dollars dans le secteur spatial ?

M. Bastien Lachaud. La militarisation de l’espace inquiète. La France doit faire entendre sa voix au niveau international en faveur d’une désescalade et d’une démilitarisation dans le respect du traité garantissant que l’espace reste une res nullius. Que fait la France dans les institutions internationales pour l’engagement de négociations visant à interdire les armes antisatellites ? Puisque les Russes sont actifs dans ce domaine, pourquoi ne pas les prendre au mot et leur demander de contribuer à cette interdiction ?

Le retard du programme Ariane 6 va-t-il affecter le développement de nos capacités ? Devrons-nous nous rabattre sur Ariane 5 au risque d’échecs croissants ?

Enfin, quel est l’intérêt d’être opérateur plutôt que de travailler en étroite collaboration avec le CNES en lui maintenant ce statut ?

M. Olivier Becht. Général, c’est pour nous un grand plaisir de vous entendre évoquer la politique de défense spatiale pour laquelle Stéphane Trompille et moi avons plaidé. Dans notre rapport du 15 janvier 2019, nous soulignions que la stratégie de défense spatiale devait être de voir et d’agir. Les radars GRAVES seront-ils bien remplacés, à l’horizon 2023, par un système de radars de nouvelle génération capable d’observer les orbites basses ? Est-il prévu de le dupliquer, comme nous le préconisions ? Où en est-on des capacités d’observation des orbites géostationnaires ? La mise en service que nous préconisions, pour un coût relativement modique, de plusieurs télescopes répartis sur un axe Guyane-La Réunion passant par la Nouvelle-Calédonie, figure-t-elle dans le calendrier d’achat ? Nous avions également préconisé, dans l’hypothèse d’un conflit à haute intensité, de dupliquer le centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS), situé à Mont-Verdun, vers un territoire d’outre-mer. Enfin, le démonstrateur de nanosatellite est-il l’équivalent du X-37B américain ? S’agit-il d’un couteau suisse de l’espace permettant d’agir au gré des besoins ?

Je me réjouis d’entendre parler de l’exploitation des ressources spatiales. Quand nous avions évoqué le sujet avec mon collègue Stéphane Trompille, on nous prenait pour de doux dingues… Les Chinois sont aujourd’hui présents sur la face cachée de la Lune, non plus, comme jadis les Américains, pour la conquête scientifique, mais dans la perspective d’exploiter l’hélium 3 et d’autres ressources stratégiques. Quels sont nos moyens pour rester dans la course ?

M. André Chassaigne. Mon collègue Olivier Becht devrait éviter de parler de couteau suisse en présence du député de Thiers que je suis… (Sourires.) Je partage la remarque de Bastien Lachaud au sujet de l’évolution du traité de 1967 : l’espace ne doit pas être un lieu d’affrontement mais un lieu de coopération et d’exploration d’un bien commun. S’oriente-t-on vers une militarisation reconnue par traité ou y aura-t-il une volonté de maintenir ce bien commun comme espace pacifique ?

Le glissement de doctrine d’un usage pacifique vers un usage offensif entraîne des investissements militaires considérables. La LPM prévoyait 3,6 milliards d’euros pour le développement de satellites à usage militaire, répartis entre la composante spatiale optique (CSO) – vous avez parlé de deux satellites, alors que le programme en prévoyait trois pour 2021 – et le programme CERES de microsatellites. L’agenda de la LPM est-il respecté ou est-il accéléré ?

Général Michel Friedling. La surveillance de l’espace est un sujet prégnant. À l’occasion de mes participations à des forums internationaux, je constate que c’est le sujet sur lequel tout le monde travaille et sur lequel beaucoup reste à construire. Certains pays sont en avance, les Américains disposent des meilleures capacités au monde, mais l’accroissement considérable du nombre d’objets actifs ou inactifs dans l’espace comporte des risques pour les opérateurs étatiques ou privés. Redoutant le syndrome de Kessler, une réaction en chaîne dont le film Gravity s’est dramatiquement inspiré, où les satellites se percuteraient les uns les autres, tout le monde veut savoir ce qui se passe dans l’espace, notamment les opérateurs privés, qui veulent sécuriser leurs moyens.

La terminologie n’est pas définie. Les uns parlent de Space Surveillance and Tracking (SST), d’autres de Space Situational Awareness (SSA). Dans le langage militaire, nous employions l’abréviation SSA, pour distinguer usage militaire et usage civil, mais tout le monde parle désormais de SSA, même les opérateurs privés. Dans le secteur civil, les besoins se résument essentiellement à des moyens anticollision pour assurer la sécurité des équipements mis en orbite ; les militaires sont confrontés à la nécessité de maîtriser l’environnement spatial : nous avons besoin d’autres capacités afin d’établir l’ordre de bataille adverse, caractériser les menaces, les actes illicites ou hostiles. Il faut non seulement prévenir le risque de collision, mais aussi identifier qui est qui et ses intentions. On peut éviter une collision en manœuvrant un satellite sans savoir qui est en face, mais nous, nous avons besoin de le savoir. C’est pourquoi nous avons introduit la notion de Space Domain Awarness (SDA), que nos alliés Américains du Space Command avaient les premiers, imaginée. À la connaissance de l’environnement spatial des orbites et des risques de collision, nous ajoutons la couche militaire – la caractérisation des menaces, l’identification et les réponses à apporter – qui est au cœur de notre métier, ce qui suppose de disposer de capteurs et d’architectures différents.

Avec le CNES, nous réfléchissons aux meilleurs architectures et synergies possibles, s’il ne serait pas possible de fusionner les données issues de différents capteurs pour couvrir les besoins civils et militaires depuis un centre unique ; mais si nous avons besoin des mêmes données, nous ne les traitons pas de la même façon. Nous aurons donc deux « catalogues » des objets spatiaux en orbite dans l’espace, à partir desquels on peut calculer des conjonctions de collisions et proposer des manœuvres d’évitement, un catalogue à des fins d’anticollision civiles et un catalogue à des fins de défense. C’est un peu la même chose que pour le contrôle aérien : le contrôle aérien civil doit savoir en temps réel où sont les avions, la surveillance de l’espace aérien national et de ses approches est une mission militaire qui nécessite d’autres moyens. Il existe en France des centres de contrôle civils et des centres de contrôle militaire, qui s’échangent des données, mais qui n’ont pas les mêmes capteurs et les mêmes besoins. Notre conclusion est donc que si les synergies seront grandes, deux centres distincts seront nécessaires.

Par ailleurs, nous avons besoin de données de natures diverses. Selon les orbites, on n’utilise pas les mêmes capteurs et les mêmes données : il faut détecter, mais également suivre et identifier, ce qui est très difficile. Qui plus est, un élément nouveau est apparu ces dernières années : auparavant, un objet, une fois injecté en orbite, tournait sur une orbite dite képlérienne, donc prédictive. Aujourd’hui, les objets deviennent mobiles et changent de plan d’orbite comme d’altitude : c’est vrai pour des objets commerciaux, mais cela l’est encore plus pour les menaces. Si les besoins civils portent plus sur des objets prédictifs képlériens, nous, militaires, avons besoin d’identifier les objets qui évoluent, qui apparaissent là où on ne les attend pas. D’où l’architecture en construction, qui combine des capteurs patrimoniaux, sur lesquels nous avons la main, et des données achetées à des fournisseurs, dûment certifiées pour garantir la robustesse de la construction : il faut aussi être résilient. Si nous perdons des données fournies par un prestataire, il faut être capable de continuer à construire une situation spatiale. Toutes ces données, optiques, radars, radiofréquences, surveillances du spectre électromagnétique et des émissions des objets spatiaux, doivent être compilées et traitées pour les rendre interprétables et utilisables.

Par ailleurs, il y a le sujet de la donnée. Ces orbites non képlériennes obligent, quand apparaît dans l’espace un objet non détecté, menaçant ou suspect, à reconstituer sa trajectoire durant les semaines ou les mois précédents afin d’identifier son origine, son propriétaire, et d’imaginer les actions à entreprendre. Nous devons être capables de retracer l’historique des objets depuis leur lancement et leur injection en orbite. Un objet spatial tel qu’on le voit aujourd’hui reste un petit point blanc ; nous devons développer les moyens d’en savoir davantage, nous devons être capables non seulement de détecter ou de suivre mais aussi d’identifier, c’est-à-dire d’en prendre une photo, en quelque sorte. Ce qui suppose de développer et d’acquérir tout un ensemble de capteurs adéquats mais aussi de moyens de traitements des données et donc d’intelligence artificielle.

Notre feuille de route capacitaire ne prévoit pas de moyens de surveillance de la Lune. Cette mission n’entre pas dans nos attributions de la stratégie spatiale de défense ; nous nous intéressons aux orbites circumterrestres. Nous avons toutefois évoqué ce point. De même qu’il y a l’action de l’État en mer ou l’action de l’État dans l’air, il y a l’action de l’État dans l’espace, sujet qui donnera lieu, dans les mois et les années à venir, à des réflexions intéressantes.

D’un point de vue des coopérations internationales, nous estimons qu’elles sont de trois catégories : politiques, capacitaires ou opérationnelles. Notre premier objectif est de développer les coopérations opérationnelles. En vue d’opérer avec nos partenaires et alliés dans l’espace, nous avons intégré le forum Combined Space Operations (CspO – opérations spatiales interalliées) destiné à la compréhension commune des enjeux, à la définition de règles de bon comportement dans l’espace, à promouvoir des voix coordonnées dans les instances internationales, à la définition de normes d’interopérabilité et à la mise en œuvre de moyens de communication adaptés. Il faut connecter nos centres d’opérations spatiaux futurs. Nous sommes en contact quasi quotidien avec nos camarades américains du centre d’opérations spatiales de Vandenberg, en Californie par des moyens de communication basiques comme le chat et la téléphonie sécurisée, mais nous souhaitons être capables d’échanger des données classifiées avec les Américains, les Japonais, les Indiens, les Australiens et évidemment nos partenaires européens... Pour ce faire, encore faut-il définir le besoin commun, le format des données et des canaux d’échange. Sur le plan opérationnel, il y a beaucoup à attendre de cette coopération. Les objets tournent vite : ceux qui étaient au-dessus de la France en début de séance sont maintenant en train de survoler l’Australie… Nous devons être en contact quasi-permanent avec nos homologues à l’autre bout de la planète.

Sur le plan capacitaire, nos coopérations concernent Helios 2 et le satellite CSO et visent à développer des programmes en commun ou d’échanger des capacités. Avec les Allemands ou les Italiens, nous échangeons de la capacité optique contre de la capacité radar.

Pourquoi attendre 2030 pour la défense active ? C’est un domaine totalement nouveau : il faut maturer les technologies, mettre au point les concepts, mettre en l’air des démonstrateurs, sachant que les charges utiles peuvent être très variées. Nous avançons vite sur les nano-satellites patrouilleurs, mais cela prend un certain temps, ne serait-ce que pour apprendre : nous partons d’une feuille blanche.

Les avantages de la base de Kourou sont connus : sa proximité de l’équateur permet d’injecter des satellites en orbite de manière économique, mais nous sommes soumis à une forte concurrence. Chacun veut développer son port spatial. Il y en a un en Nouvelle-Zélande. Les Britanniques veulent en développer un pour faire du lancement réactif au Royaume-Uni, mais Kourou garde un avantage compétitif par sa situation géographique.

Sur l’interdiction des armes dans l’espace, le blocage est total sur ce sujet dans les instances internationales. La France considère que l’application d’un tel traité serait invérifiable. Et il est intéressant de constater que les pays les plus actifs quant à cette interdiction sont également ceux qui sont les plus actifs pour développer des capacités d’action dans l’espace. Nous préférons promouvoir des normes de comportement responsable, une transparence totale des activités dans l’espace, être capables de comprendre ce qui se passe et de nommer les éventuels acteurs indélicats.

Concernant nos ambitions en matière de recrutement, nous souhaitons, grâce à une académie de l’espace, créer une filière d’expertise et des parcours professionnels – sujet en apparence simple, mais particulièrement compliqué. Nous achevons la cartographie des nombreux acteurs de la formation dans le domaine spatial dont chacun veut jouer un rôle essentiel. À côté d’un pilier purement académique, relatif à la connaissance des lois physiques de l’espace et du milieu spatial, il y a le pilier opérationnel, relatif aux opérations spatiales militaires, qui reste largement à explorer. Nous avons établi une première version des parcours professionnels envisagés pour nos officiers et un référentiel des activités et des compétences, première brique de construction des parcours de formation. Nous recrutons des officiers issus de l’École navale, de Saint-Cyr et de l’École de l’air ayant suivi une formation à mi-parcours dans une école d’ingénieurs. Nous recrutons aussi de jeunes officiers sous contrat, comme par exemple très récemment un jeune diplômé en orbitographie de l’université Paul Sabatier de Toulouse, ou un autre, qui sort d’une formation universitaire de haut niveau en intelligence artificielle et traitements de données massifs.

Il y a donc différents types de recrutements. Nous attirons beaucoup de candidatures, y compris des réservistes, nous avons un afflux de candidatures pour la réserve, pas uniquement des jeunes, des gens d’un certain âge aux compétences très pointues viennent proposer leurs services, et auxquels nous cherchons à donner un statut d’officier spécialiste de haut niveau.

Le budget spatial européen de 15 milliards d’euros est-il suffisant ? Il permet en l’état de couvrir les programmes déjà lancés ; un peu d’argent est mis sur deux programmes, GOVSATCOM, le futur programme européen de communications gouvernementales par satellites, et un début de capacité de surveillance de l’espace (EUSST). Ce n’est évidemment pas suffisant pour développer une capacité européenne de surveillance de l’espace. L’Europe poursuit Copernicus et Galileo, ses deux programmes phares, et lance de premières études pour d’autres programmes phares, mais nous ne pourrons pas aller beaucoup plus loin.

M. Jacques Marilossian. Dans la Revue Défense nationale, en mars dernier, l’amiral Prazuck, chef d’état-major de la marine, a publié un article sur les zones grises, situées en dessous du double seuil de l’agression et de l’attribution, expliquant qu’il n’y a pas un seuil objectif d’agression mais trois perceptions subjectives : le ressenti de l’agressé, celui revendiqué par l’agresseur et celui reconnu par la communauté internationale. Pour l’attribution, seuls les États, en principe, sont comptables des agressions armées. Dès lors, un lien doit être établi entre l’agresseur et l’État visé pour donner lieu à une résolution de l’ONU. La défense spatiale est un espace commun et nouveau pour lequel il convient de trouver entre les États un consensus pour caractériser une agression spatiale, notamment pour de nouvelles hostilités en deçà du seuil. Pouvez-vous nous préciser la doctrine française en matière d’agression et d’attribution dans le cadre de la défense spatiale ?

M. Christophe Blanchet. Vous avez évoqué Elon Musk et la société SpaceX, qui projette 4 000 satellites à proche horizon, qui a envoyé le 3 juin deux astronautes, qui envisage des voyages touristiques dans l’espace. Quelle est votre vision d’Elon Musk et de SpaceX ? Son développement présente-t-il des possibilités, des avantages ou des inconvénients ?

M. Fabien Gouttefarde. En 2016, selon la version non classifiée d’un rapport de l’Air Force Studies Board, Russes et Chinois disposaient déjà d’armes supersoniques et hypersoniques évoluant sur des trajectoires imprévisibles par rapport aux missiles balistiques classiques. On parle de déploiement de missiles capables d’atteindre des vitesses de mach 5, mach 15, voire au-delà. Le défi de la vitesse posé par la menace hypersonique touchera bientôt l’ensemble des domaines nécessitera des capacités de rapidité d’alerte. Comment le commandement de l’espace est-il associé et armé pour faire face à cette nouvelle menace qu’est l’hypervélocité, en somme, à l’aube du monde de demain ?

Mme Séverine Gipson. Le 13 juillet dernier, le Président de la République annonçait la création du commandement de l’espace, dans le but de rendre plus efficace la gouvernance de la stratégie spatiale française. En septembre 2018 a été créée l’Agence de l’innovation de défense réunissant tous les acteurs du ministère et les responsables des programmes contribuant à l’innovation en boucle courte. Comment la réalisation du projet de démonstrateur de nanosatellite patrouilleur est-elle organisée avec l’AID ? D’autres projets sont-ils envisagés en matière de traitement de données, le plus grand défi que le commandement de l’espace devra relever ?

Mme Patricia Mirallès. L’espace est devenu un nouveau théâtre de conflictualité. Les principales puissances mondiales cherchent à s’en approprier la capacité d’exploration et, à plus long terme, d’exploitation. Parallèlement au retour en force de la guerre des étoiles, ces dernières années ont été marquées par l’émergence d’intérêts mercantiles échappant à toute législation et faisant naître la crainte de conflictualités inédites. Le droit qui reste à élaborer représente une large part de la définition de votre stratégie de l’espace. Comment entendez-vous appréhender la dimension légale et législative d’une politique spatiale souveraine ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Général, votre action à la tête du commandement de l’espace m’évoque cette maxime latine : ad astra per espera, sans référence à un récent film hollywoodien !

Grâce au système de navigation Beidou, dont le dernier satellite a été mis en orbite le 23 juin dernier, la Chine s’affranchit du GPS américain et du système français Galileo. Quelle est la précision du système chinois et quelle est notre capacité à le brouiller ?

Le Département américain de la défense a dévoilé, le 17 juin, sa nouvelle stratégie de défense de l’espace. Ses objectifs sont ambitieux, notamment en matière de réseaux de satellites de géolocalisation ; on y évoque même l’hypothèse d’attaques nucléaires dans l’espace. Vos services en ont-ils fait une lecture ?

Mme Monica Michel. Par leur adhésion à l’initiative CSpO, la France et l’Allemagne se sont associées aux cinq autres nations en vue de l’échange de données classifiées. Pourtant la relation franco-américaine en matière spatiale n’a pas toujours été au beau fixe. Comme l’a évoqué Bruno Sainjon, PDG de l’ONERA, lors d’une audition au Sénat, lors de la mise en œuvre du système de surveillance de l’espace GRAVES, en 2005, les Américains avaient retiré les coordonnées de nos satellites de peur que nous n’en fassions autant… Quel est l’état des relations de coopération entre nos deux pays en matière spatiale ?

M. Thomas Gassilloud. Le 25 juillet dernier, à la base aérienne de Lyon-Mont- Verdun, Florence Parly annonçait la stratégie spatiale. Moins d’un an après, nous vous retrouvons avec plaisir pour en constater l’avancée.

Notre situation tactique dans l’espace dépend en grande partie de notre allié américain. Quel sera notre niveau de dépendance en 2030, quand le système de radar GRAVES aura atteint sa pleine capacité ? Pouvez-vous dire quelques mots du projet EUSST (EU Space Surveillance and Tracking Project) visant à mutualiser les capacités à l’échelle européenne ? Vous avez souligné la capacité de la réserve à fournir de l’hypertechnicité. Votre budget « réserve » est-il suffisant ?

M. Jean-Philippe Ardouin. La surveillance de l’espace est un enjeu crucial pour les prochaines années. On décompte 2 000 satellites actifs autour de la Terre et leur nombre devrait significativement augmenter dans les deux décennies à venir, ce qui compliquera l’identification et la surveillance des satellites des autres puissances. À cela s’ajoutent des dizaines de milliers de débris qui mettent en danger nos propres satellites. Quelles sont les capacités françaises et européennes de surveillance de l’espace ? Sont-elles suffisantes comparé aux évolutions rapides du domaine spatial ? Certaines puissances ont-elles une avance technologique sensible sur notre pays ?

M. Nicolas Meizonnet. Vous avez abordé les questions majeures de la souveraineté et de l’autonomie de gestion, de stockage et de traitement de données, domaines dans lesquels de gros efforts restent à faire. Vous avez parlé des data centers, des ressources humaines, de data analyses et de data managers. Quel est notre niveau de dépendance en matière de données ? La crise sanitaire et la crise économique qui en découle peuvent-elles porter atteinte aux projets du CDE, à son agenda et à ses ambitions ?

Général Michel Friedling. L’hypervélocité ne figure pas directement dans le portefeuille d’activité du commandement de l’espace. Au travers de plusieurs plan d’études amont (PEA), les activités d’études se poursuivent afin de maintenir le savoir-faire des industriels et continuer les réflexions et progrès autour de cette thématique. Par ailleurs, l’alerte spatiale a été proposée par la France et plusieurs autres États Membres comme un pilier du futur projet européen de contribution à la défense anti-missile qui rentre dans le cadre de la coopération structurée permanente (PESCO TWISTER).

Le projet de nano-satellite patrouilleur est porté par l’Agence de l’innovation de défense. Il fait l’objet d’un travail collectif avec le CNES, la DGA et l’AID. Les deux premières personnes qui sont notre harpon du laboratoire d’innovation spatiale des armées seront chargées de promouvoir prochainement auprès de l’AID quatre projets d’investissement et d’innovation à labelliser.

En matière de données, nous nous adossons à des compétences que nous n’avons pas en propre. Nous discutons notamment de la construction et de l’hébergement des centres de données avec les experts de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI), de la direction générale du numérique du ministère (DGNUM) et de la DGA. Mais nous échangeons également avec d’autres acteurs. À titre d’exemple, nous avons initié à ce sujet des échanges avec l’institut de recherche technologique (IRT) Saint-Exupéry de Toulouse, dont Mme Fioraso est présidente. L’IRT dispose en effet de compétences pointues en matière de traitement de données et d’intelligence artificielle. Nous ne souhaitons pas nous adosser à une solution industrielle clé en main, mais développer une expertise sur le sujet de la donnée spatiale car il s’agit d’un enjeu d’efficacité opérationnelle et de souveraineté.

La coopération avec les Américains est excellente. Elle a été structurée au sein d’un forum de coopération, le Space Cooperation Forum. Nous nous rencontrons tous les six mois dans un format politico-militaire. Côté américain, un sous-secrétaire à l’espace du Pentagone codirige la partie US avec le commandant du Space Command ; côté français, le pilotage est assuré par la direction générale des relations internationales et de la stratégie et le commandement de l’espace. La DGA et d’autres acteurs du ministère participent à ces échanges en fonction des sujets qui sont extrêmement variés. Ce forum est très utile et très productif. J’ai également des échanges téléphoniques réguliers.

La crise du covid n’affectera pas la montée en puissance du commandement de l’espace. Elle a eu un effet limité sur les activités spatiales conduites par le CDE : nous avons assuré nos missions de surveillance de l’espace, d’alerte aux populations en cas de rentrées à risque, d’analyse de conjonctions d’anticollision en mettant les personnels dans des positions particulières. Il n’aurait cependant pas fallu que la crise dure plus longtemps car nous avions des contraintes fortes sur le personnel dues au régime de continuité d’activité. Ses incidences sur le renouvellement de nos capacités spatiales ont été relativement faibles, malgré la fermeture du centre spatial de Kourou et les décalages des tirs. À l’inverse, un plan de relance pourrait être l’occasion d’accélérer certains projets.

La loi sur les opérations spatiales devra être adaptée. Un groupe de travail a été mis en place, coprésidé par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le ministère des armées, auquel participent des représentants du ministère des affaires étrangères, du ministère de la transition écologique, du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), du secrétariat général des affaires européennes, du CNES et de l’autorité de sûreté nucléaire. Ce groupe a étudié les axes d’évolution de la loi pour les opérations spatiales et mis en avant plusieurs recommandations, qui s’articulent autour de trois idées-forces : améliorer le suivi par l’État des activités spatiales pour lesquelles la France pourrait être responsable ; clarifier les responsabilités relatives aux activités spatiales conduites par l’État, notamment le ministère des armées qui, jusqu’à présent, n’était pas opérateur spatial, et par les acteurs privés ; accompagner l’innovation relative aux évolutions concernant l’accès à l’espace, les méga-constellations et les services spatiaux.

L’activité de l’entreprise d’Elon Musk introduit une disruption dans l’écosystème spatial industriel national et européen, en menaçant la filière des lanceurs, pose la question de la méga-constellation – 12 000 satellites à terme –, et remet en question le modèle économique. Certes, la crise du covid a accéléré la chute de la société OneWeb, mais je crois qu’il ne s’agit pas là du principal facteur. Si l’on compare à d’autres projets, OneWeb proposait une génération ancienne et une architecture non exempte de défauts. La France a envisagé la reprise de OneWeb, sachant que Airbus et Arianespace sont impliqués dans ce projet de constellation. Mais, d’un point de vue militaire, même si ses constellations d’orbite basse peuvent fournir des services à la défense et aux armées, OneWeb n’était pas la meilleure option.

Je ne peux me prononcer sur le système chinois Beidou. Sa précision est comparable à celle du système GPS américain ; à croire ce qu’il en est dit dans la littérature ouverte, les applications militaires du système Beidou ont une capacité comparable à celle du PRS de Galileo. Comme tous les systèmes de localisation, il est brouillable au sol sur les récepteurs, mais il est difficile de brouiller les satellites émetteurs d’une constellation.

En matière de surveillance de l’espace, l’EUSST est un consortium de nations volontaires de l’Union européenne, qui étudie des architectures et propose des services de surveillance de l’espace à partir des capacités fournies par les nations membres du consortium. La phase 1 se termine en 2021. Comment ce consortium continuera-t-il à travailler ? Il est trop tôt pour le dire. Une répartition des rôles a été opérée entre les nations membres pour offrir des services de SST et nous avons également bénéficié de financements pour la rénovation partielle de nos propres capteurs, dont les données alimentent les services EUSST. À mon sens, EUSST ne progresse pas vite et n’est pas la réponse à un besoin de surveillance globale de l’espace. Derrière EUSST, il y a des enjeux industriels et des Nations qui poussent leurs propres projets capacitaires. Mais il n’y a à ce stade aucune alternative. Il faut donc continuer à progresser. Ce que nous faisons avec le CNES et la DGA dans les différents groupes de travail EU SST.

Je n’ai pas de problème de budget pour les réserves. Toutefois, nous avons une telle demande et de telles ambitions de recrutement que mes adjoints me mettent régulièrement en garde. Je considère que nous avons une très belle offre de services de la part de gens dotés de grandes compétences au-delà du domaine spatial. De jeunes ingénieurs trentenaires d’Airbus veulent faire de la réserve ; des quinquagénaires cadres de haut niveau dans différents domaines veulent également nous aider à conduire notre transformation et réussir notre montée en puissance. Nous accueillons volontiers toutes ces compétences, et nous sommes en train de les recruter.

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, je tiens à vous remercier pour la qualité de vos propos. Nous avions tous envie de vous entendre évoquer la progression du commandement de l’espace.

*

*      *

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.

*

*      *

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Stéphane Baudu, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Didier Le Gac, M. Jacques Marilossian, M. Nicolas Meizonnet, Mme Monica Michel, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Nathalie Serre, M. Stéphane Trompille, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Thibault Bazin, M. Sylvain Brial, M. Alexis Corbière, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Benjamin Griveaux, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Jean-François Parigi, M. Joaquim Pueyo, M. Aurélien Taché