Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2020 (n° 2272) :

- Examen pour avis des crédits de la mission Défense (M. Guy Teissier, rapporteur pour avis) ;

•Vote sur les crédits de la mission Défense.

- Examen pour avis des crédits de la mission Immigration, asile et intégration (Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis) ;

•Vote sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

- Examen pour avis des crédits de la mission Économie – commerce extérieur et diplomatie économique (M. Buon Tan, rapporteur pour avis) ;

....................Vote sur les crédits de la mission Économie – commerce extérieur et diplomatie économique

 


Mercredi
23 octobre 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 8

session ordinaire de 2019-2020

Présidence
de Mme Marielle de Sarnez,
Présidente

 


  1 

Examen, ouvert à la presse, davis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2020 (n° 2272) :

La séance est ouverte à 9 heures 30.

 Examen pour avis des crédits de la mission Défense (M. Guy Teissier, rapporteur pour avis) et vote sur les crédits de la mission Défense.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Chers collègues, nous entamons aujourd’hui notre deuxième séance d’examen des avis budgétaires dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, en commençant par la mission Défense, pour laquelle Guy Teissier est notre rapporteur pour avis.

Le budget pour 2020 représente la deuxième année d’application de la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2019-2025, qui prévoit un effort financier de la Nation pour les armées dans un contexte global marqué par la maîtrise de la dépense publique.

Comme en 2019, ce budget prévoit une hausse des moyens accordés à la défense de 1,7 milliard d’euros, ce qui est fidèle à la trajectoire qui doit conduire la France à consacrer 2 % de son produit intérieur brut (PIB) à sa défense d’ici 2025.

Monsieur le rapporteur, vous avez décidé de consacrer une partie importante de votre avis budgétaire aux conditions de vie des militaires. Vous rappelez que la priorité donnée à la modernisation des équipements ne doit pas faire oublier que chaque soldat a besoin d’un soutien à la fois matériel et moral. Ce soutien est indispensable pour préserver l’engagement de nos soldats et accorder une juste compensation à leurs sacrifices.

L’autre partie de votre rapport porte sur l’avenir de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), alors que cette organisation militaire a soixante-dix ans cette année. Vous vous interrogez sur la capacité de l’Alliance à s’adapter aux bouleversements du contexte sécuritaire international et à surmonter ses divisions internes, notamment sur l’épineuse question du « partage du fardeau ».

L’actualité la plus récente – je fais allusion bien sûr à l’agression turque dans le Nord-Est syrien – doit nous conduire à nous demander si le socle de valeurs et d’intérêts communs qui fonde l’Alliance existe toujours. J’ai été frappée comme vous de l’absence à peu près totale de réaction du secrétaire général de l’OTAN, qui a seulement demandé aux Turcs de faire preuve de retenue, alors que les États-Unis avaient abandonné sur le terrain leurs alliés, membres de l’OTAN, et amis kurdes, et que la Turquie, membre de l’OTAN, avait agressé et continue d’agresser ses alliés et amis kurdes dans le combat contre le terrorisme. Comprenne qui pourra !

Monsieur le rapporteur, l’OTAN existe-t-elle toujours ? Vous ne manquerez sans doute pas de revenir sur cette question.

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Madame la présidente, vaste programme que celui que vous venez d’énoncer !

Chers collègues, notre présidente a introduit le sujet. Je ne surprendrai personne en disant que j’attendais avec impatience cette deuxième annuité pour voir si elle s’inscrirait dans la continuité de la volonté présidentielle de porter le budget de la défense nationale à 2 % du PIB attendus d’ici à 2025. Force est de reconnaître que le budget attendu est au rendez-vous avec une hausse des crédits de 1,7 milliard d’euros. Il progresse donc vers ce qui était pour moi non pas un horizon lorsque je présidais la commission de la défense nationale et des forces armées mais un mirage, faute de ne pouvoir être atteint.

Les crédits sont bien au rendez-vous, mais tout dépend toujours de leur exécution, car il y a une partie affichage et une partie réalisation. C’est la raison pour laquelle, pendant mes dix années de présidence, j’avais créé une commission d’abord uniquement constituée de députés, puis de députés et de sénateurs, afin de contrôler tous les trois mois la bonne exécution du budget. Je regrette que, dans l’année qui vient de s’écouler, les armées aient peiné à absorber l’augmentation du budget. Sans doute ont-elles été dépassées par le flot des commandes et par le grand nombre d’infrastructures à construire, mais cela affaiblit le ministère des armées dans les négociations interministérielles.

J’avais créé à l’époque une encoche budgétaire pour les opérations extérieures (OPEX), puisque les armées prenaient sur leur substantifique moelle le budget qui leur était nécessaire, lequel devait ensuite être compensé dans le cadre des négociations interministérielles. Depuis plus de dix ans, les OPEX ont leur budget propre. À mon époque, on y consacrait 400 millions d’euros, ce qui était nettement insuffisant. Aujourd’hui, je reconnais un effort de « sincérisation » du budget, puisque 1,1 milliard sont consacrés aux OPEX et 100 millions sont dédiés aux opérations intérieures (OPINT), montants qui se rapprochent des coûts effectifs des opérations à mener.

Par ailleurs, alors qu’une grande partie des crédits est consacrée à la modernisation des équipements, le ministère des armées doit assurer un suivi rigoureux des programmes d’armement afin d’éviter les retards dommageables au rattrapage capacitaire dans lequel les armées sont engagées. Le développement du Barracuda, nouveau sous-marin nucléaire d’attaque – jusqu’à présent, tous nos sous-marins d’attaque étaient de type dit classique, donc diesel –, a pris trois ans de retard. Il faudrait réduire le retard dans la livraison de nos armements. C’est vrai aussi pour d’autres programmes.

Au-delà de ces considérations budgétaires, j’ai souhaité consacrer mon avis à trois sujets importants pour nos armées : l’amélioration des conditions de vie de nos soldats, hommes du rang, sous-officiers ou officiers ; l’avenir du traité de l’Atlantique nord et le rôle de l’OTAN aujourd’hui ; et enfin, le service de santé des armées, petit service dont on parle peu, presque oublié, mais si important pour la vie de nos soldats, surtout lorsqu’ils se trouvent sur des terrains d’opération.

Concernant les conditions de vie de nos militaires, si le sujet peut paraître périphérique au regard des grands programmes d’équipement en cours, il est en réalité vital pour le bon fonctionnement de nos armées. Si de nouveaux jeunes gens embrassent la carrière militaire, puis y restent, c’est qu’ils se savent soutenus par l’institution et par leur pays.

Je rappelle que la vie militaire et surtout le métier de militaire ne ressemblent à nul autre. Il exige une disponibilité en tout temps et en tout lieu, une mobilité géographique que ne connaît aucun corps de métier – certaines carrières de militaires sont émaillées de dix-huit ou vingt déménagements – et un esprit de sacrifice qui peut aller jusqu’au don de sa vie ou de son intégrité physique. En contrepartie, les militaires ont droit à des compensations qui incluent les permissions, certaines primes spécifiques, un système de pensions particulier ou encore une politique de logement à destination des familles de nos soldats ou des militaires célibataires.

Je n’imaginais pas, avant de réaliser ce rapport, que nos jeunes engagés dans leur premier contrat d’une durée de cinq ans s’intéresseraient autant au problème des retraites. Les hommes du rang et les sous-officiers ont un système particulier qui leur permet d’obtenir, après dix-sept ans de service, une retraite proportionnelle, ce qui, pour les plus modestes de nos soldats, notamment les caporaux-chefs, est très important pour leur avenir. Il apparaît normal que les caporaux-chefs puissent quitter l’institution après dix-sept ans de service, puisqu’on a besoin de jeunesse, de réactivité et parce que ce métier use. Ce système de proportionnalité des années de service est important pour eux. Nous avons eu quelques assurances par des déclarations présidentielles et par le haut-commissaire à la réforme des retraites qui reconnaissent que le métier de soldat est différent des autres et que leur retraite doit connaître une exemption à la réforme générale des retraites.

Nous devons rester attentifs à la préservation de cet équilibre entre sujétions et compensations, qui est au cœur de la condition militaire. Sa remise en cause, au motif que ces compensations seraient des avantages indus, aggraverait les difficultés que rencontrent les armées pour fidéliser dans leurs rangs. Aujourd’hui, le défi de l’armée est d’investir dans les jeunes recrues qui sont très professionnelles mais qui, au bout de cinq ans, peinent à se projeter dans l’avenir et quittent l’institution. Or, le point d’équilibre financier pour les armées se situe à sept ou huit ans. Il est donc nécessaire que nos jeunes soldats aient des conditions de vie les plus proches possible du standard de la vie civile.

Le problème du logement touche tous nos soldats, et notamment les caporaux-chefs, qui ont plus de cinq ans de service, une petite famille et un salaire qui n’est pas très élevé. Cela vaut même pour certains officiers. Dans le cadre de l’élaboration de mon rapport, j’ai rencontré un colonel, que j’avais déjà rencontré au 1er régiment étranger de cavalerie au camp de Carpiagne, à Marseille, qui venait d’avoir son logement à Paris après un long moment d’attente. Père de famille, il a six enfants. Ce problème d’accès au logement complique considérablement la vie de nos hommes et de nos femmes sous les drapeaux.

Le risque de défidélisation existe bel et bien lorsque l’on entend de jeunes soldats, pourtant très éloignés de l’âge de la retraite, s’inquiéter de l’incidence que pourrait avoir la réforme des retraites sur le système des pensions militaires.

Je constate que le Gouvernement a pris la mesure de ce défi, en plaçant la LPM « à hauteur d’homme », selon la formule consacrée. Un plan « Famille » est notamment mis en œuvre pour alléger les contraintes de l’engagement sur les familles des militaires. Si beaucoup de progrès ont eu lieu en matière d’équipement du soldat, des casques aux gilets pare-éclats, c’est beaucoup plus compliqué pour les conditions de vie quotidienne. Non que l’institution ne soit pas allante pour offrir plus de confort, mais souvent, l’étalement foncier n’existe pas aux alentours des casernes, la mise en chantier d’immeubles est compliquée et tout cela est laissé à l’appréciation des chefs de corps.

Je me suis rendu au 3e régiment d’infanterie de marine, à Vannes, qui est le premier des régiments professionnalisés, hors Légion étrangère. Le chef de corps du régiment, qui a le sens de l’humain, a créé des petits logements à loyer très modéré sur des emprises militaires, pour permettre aux arrivants de se loger, soit seul, soit avec leur compagne, dans l’attente d’un logement définitif. C’est un palliatif. Les chefs de corps et les bases de défense sont aussi confrontés au fait que les fonds employés à la préparation des infrastructures pour recevoir les nouveaux équipements, notamment les engins blindés qui arriveront dans ce régiment dès le mois de février, ne peuvent l’être pour le logement de nos soldats.

Le plan « Famille » n’est pas très efficace pour améliorer les conditions d’hébergement en caserne et l’accès au logement dans les zones en tensions comme Bordeaux, Toulon et la région parisienne. Il s’agit pourtant du sujet le plus important pour relever le déficit de fidélisation dans les armées.

La loi de programmation militaire augmente bien les crédits du service d’infrastructure de la défense (SID), mais une partie de ces moyens est orientée vers la construction des infrastructures nécessaires pour accueillir les nouveaux équipements prévus. En outre, le SID a été submergé par les projets. Le service n’est pas assez étoffé pour répondre à la demande.

Je veux insister sur un point : il existe une tendance à l’érosion de la « militarité » et à vouloir faire de nos soldats des « civils en uniforme ». Il faut être attentif au maintien de la militarité dans les rangs de nos soldats. Cela vaut aussi pour la société, notamment ses dirigeants. C’est pourquoi je défends l’idée selon laquelle tous les élèves de l’École nationale d’administration (ENA) puissent faire un stage militaire sur le modèle de l’École polytechnique, qui n’est pas une école militaire mais une école à statut militaire, suivant une réforme qui remonte à Michel Debré.

Je finis sur cette proposition pour passer à la dernière partie de mon rapport, qui porte sur un sujet plus directement relié aux affaires étrangères. Je veux parler de l’avenir de l’OTAN, soixante-dix ans après sa création.

Depuis la fin de la Guerre froide, paradoxalement, les missions de l’OTAN n’ont cessé de s’étendre, de la défense collective, qui constitue sa raison d’être initiale, à la gestion de crise, en ex-Yougoslavie et en Afghanistan, en passant par la conclusion de partenariats de sécurité pour créer les conditions d’un environnement international plus sûr.

S’agissant de cette dernière mission, il faut reconnaître que l’OTAN a davantage contribué à un environnement international moins sûr au Moyen-Orient et à l’est de l’Europe.

Comme par le passé, l’OTAN est aujourd’hui mise au défi de s’adapter à l’évolution des menaces parmi lesquelles le durcissement du terrorisme, le retour de la Russie sur la scène internationale, l’extension des frontières de la guerre, qui intègre désormais l’espace et le cyber, et l’affaiblissement de l’architecture de sécurité collective. Je pense également aux effets de la mondialisation et à la vente à la découpe des ports comme ceux du Pirée et de Haïfa rachetés par les Chinois, ainsi qu’à la mainmise de la Chine sur la quasi-totalité du continent africain.

La capacité de l’Alliance à se transformer, qui explique sa pérennité jusqu’en 2019, fait aujourd’hui face à un défi d’ampleur : celui des divisions internes entre Alliés. D’une part, la question du « partage du fardeau » ne cesse de mettre sous pression la relation transatlantique, alors même que les Européens augmentent leur effort de défense. D’autre part, l’actualité récente conduit à nous interroger sur le devenir, au sein de l’Alliance, d’un pays comme la Turquie, qui représente pourtant la deuxième armée de l’OTAN sur le plan des effectifs.

À l’heure actuelle, compte tenu du rôle fondamental que l’OTAN continue à jouer pour les Alliés, sa survie n’est pas en jeu, mais son rôle pourrait être redéfini.

Les divisions internes entre Alliés sont néanmoins une inquiétude légitime à long terme. Elles pourraient empêcher l’OTAN de s’adapter à l’évolution de la menace et de faire de la place à un nouveau venu dans le domaine de la défense : l’Union européenne. Je parierais plutôt sur la montée en puissance de l’Union européenne pour être en capacité d’intervenir sans l’OTAN sur ce qu’il est convenu d’appeler dans le jargon militaire des conflits de basse ou de moyenne intensité, comme les conflits en Europe centrale, notamment en Bosnie, si tout le monde fait l’effort nécessaire, ce qui n’est pas encore le cas.

Madame la présidente, mes chers collègues, j’ai souvent imaginé un budget pour nos armées de cette importance. Je trouve que ce projet de budget est plutôt bon. Je serai donc favorable à une abstention positive. Si les réponses que nous attendons en séance publique parvenaient à nous convaincre, nous pourrions même peut-être le voter.

M. Jacques Maire. Je remercie Guy Teissier pour son travail. Ce « peut-être » est un encouragement à aller jusqu’au bout de la pensée, puisqu’il est difficile de dire que ce n’est pas un bon budget. C’est un budget qui tient ses promesses, un budget à hauteur de l’ambition de la loi de programmation militaire 2019-2025, un budget qui permet, dans ce domaine, d’être sur la trajectoire des 2 % du PIB d’ici à 2025. Chaque année est un combat particulier à mener et celui-ci se présente plutôt bien.

En outre, cette hausse des crédits alloués repose exclusivement sur une base de crédits budgétaires et non pas sur des recettes exceptionnelles. On nous a souvent fait le coup, pour ce ministère et pour d’autres, et nous avons été déçus, en fin de course.

Du point de vue de la commission des affaires étrangères, la budgétisation des OPEX est un aspect important. Il ne s’agit pas de les encourager mais d’éviter qu’elles n’aient lieu aux dépens de la colonne vertébrale du ministère. Les OPEX, constituent parfois de bons terrains de développement et d’entraînement, mais elles affaiblissent nos capacités. Tel ne sera pas le cas si ce dispositif doté d’un crédit de 1,1 milliard d’euros est maintenu.

C’est aussi un message important sur la poursuite de nos engagements, notamment sur la portée de la présence française avec l’opération « Barkhane », qui doit être dépassée, avec la contribution des pays alliés et des pays de la région. À ce titre, il convient de se satisfaire de ce que ce budget prévoie à terme le renforcement des armées locales. Je pense en particulier que les budgets prévoyant la formation de 30 000 militaires dans le contexte de la force conjointe G5 Sahel représentent une bonne complémentarité au financement de Barkhane, car nous préparons l’avenir.

Un autre élément important pour la commission des affaires étrangères est le renforcement de la modernisation et du renouvellement des équipements. En termes d’équipements, nous sommes à 83 % des crédits d’engagement et 14,7 milliards d’euros, ce qui est important. Par proximité sentimentale, je soulignerai la présence des sept patrouilleurs d’outre-mer qui permettent de montrer le pavillon français et la présence française dans des endroits où nous sommes peu présents sur le plan diplomatique et géographique. Il importe aussi de faire référence au programme SCORPION, puisque nous avons autorisé la ratification, dans cette commission, du programme de coopération CAMO avec la Belgique qui, pour la première fois, va lancer la révolution d’une intégration de composantes belges au sein de l’armée française quand c’est nécessaire. Le programme SCORPION est entièrement respecté et il nous permet d’aller au bout de notre engagement.

Je citerai enfin le renforcement capacitaire dans le cadre des évolutions stratégiques en cours avec les moyens spatiaux et le porte-avions de nouvelle génération dont on lance les études. En termes de projection de puissance et de présence sur les territoires extérieurs, le porte-avions est fondamental.

Nous avons un budget particulièrement complet et, pour toutes ces raisons, Madame la présidente, nous n’hésiterons pas à le voter.

M. Didier Quentin. Tout d’abord, je tiens à saluer l’excellent rapport de notre collègue Guy Teissier, notamment sur les conditions de vie des militaires et l’avenir de l’OTAN.

Comme lui-même, nous nous félicitons de l’augmentation du budget de la défense pour 2020, ainsi que de la fin annoncée et demandée dès 2013 par le groupe Les Républicains (LR), des déflations d’effectifs dans nos armées, qui se concrétise avec la création nette de 300 postes supplémentaires, dont plus de 150 dans le renseignement et près de 100 pour le cyber. En 2020, les effectifs du ministère des armées s’élèveront donc à 271 125 agents, ce qui nous conforte dans notre place de première armée en Europe.

Comme je l’avais indiqué l’année dernière en tant que rapporteur pour avis de notre commission, nous saluons aussi l’effort de « sincérisation » du financement des OPEX. Toutefois si la provision adoptée pour le budget 2020 devrait couvrir en grande partie le financement des OPEX à venir, il n’en est pas de même pour le budget 2019, toujours en cours, qui avait prévu un financement de 850 millions. Plus de 400 millions resteront à financer, alors que le principe de la solidarité interministérielle avait été malencontreusement remis en cause fin 2018, comme l’avait souligné notre collègue François Cornut-Gentille devant la commission des finances. Cette inquiétude forte demeure. Nous demandons donc le respect de cette solidarité interministérielle.

Enfin, nous restons inquiets quant à un éventuel financement par le ministère des armées du service national universel (SNU), ce qui serait contraire à l’article 3 de la loi de programmation militaire 2019-2025. Les crédits inscrits sur le programme 163 Jeunesse et vie associative s’élèvent en effet seulement à 30 millions. De plus, il est inscrit dans le « bleu » budgétaire que des crédits supplémentaires issus d’autres ministères parties prenantes au SNU pourront venir compléter cette dotation, ce qui ne fait que confirmer nos inquiétudes déjà exprimées.

C’est pourquoi les députés LR soutiennent la proposition du président de la commission des affaires étrangères et des forces armées du Sénat de créer une mission budgétaire spécifique consacrée au financement du SNU. Aussi, tout en saluant l’effort supplémentaire de 1,7 milliard d’euros, les députés du groupe LR ne peuvent-ils cacher leur inquiétude devant les montants à mobiliser pour l’avenir. Mais, nous souvenant de saint Augustin disant que « rien nest perdu tant quil reste linquiétude », nous ne voterons pas contre ce budget mais nous nous abstiendrons dans un esprit positif et vigilant, et nous irons peut-être même vers un vote favorable si nous obtenons des réponses positives à nos questions.

M. Bruno Joncour. Il s’agit du deuxième budget de mise en œuvre de la loi de programmation militaire. Nous nous félicitions l’an dernier de l’augmentation substantielle du budget de la défense de 1,7 milliard, et nous sommes satisfaits de constater que l’exécutif tient de nouveau ses promesses en portant le budget de la défense à 37,5 milliards, en hausse de 1,7 milliard.

Nous remercions le rapporteur pour son travail sur la condition militaire et pour l’éclairage qu’il apporte sur un point important de la redéfinition de notre approche en matière de défense et de sécurité collective en portant son regard sur l’avenir de l’OTAN. Vous le rappelez fort à propos, cette organisation doit être profondément repensée, au regard des principes et des objectifs que nous fixons à nos armées. Parmi ces objectifs, nous devons avoir conscience de la probable nécessité d’intervenir davantage à l’extérieur de nos frontières, dans les années qui viennent.

Je souhaiterais à cette occasion rappeler les mots du chef d’état-major des armées, le général Lecointre, au sujet des opérations extérieures : « À lissue de la nouvelle programmation militaire, notre armée ne sera plus éreintée, sous-équipée, sous-dotée. Reste à savoir si elle sera capable dêtre engagée sur plusieurs théâtres dans des conflits peut-être plus violents, dans tous les cas, très différents. » La question se pose, comme vous le soulignez d’ailleurs dans votre rapport. Les guerres à venir seront probablement d’un genre totalement différent de ce que nous anticipions. Il faudra toutefois y répondre. C’est pourquoi, comme nous le redoutons, il faudra se préparer à d’éventuelles interventions dans de nouvelles opérations.

Pour s’y préparer, nous devons donc stabiliser les modes de financement des OPEX. Quelles seraient vos propositions en ce sens ? Par ailleurs, il nous faut recourir plus largement aux Nations unies et aux organisations régionales. Ceci ne peut se faire qu’à la condition d’un renforcement parallèle de notre aide à la stabilisation, ce qui rejoint le débat que nous devons avoir sur l’aide publique au développement. Ne faut-il pas avancer aussi sur ce sujet ? Ne faut-il pas faire davantage de nos forces armées des forces de stabilité et de formation des cadres militaires qui pourront prendre le relais de nos troupes ?

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés donnera un avis favorable aux crédits de la mission Défense.

M. Alain David. Je félicite moi aussi Guy Teissier pour la qualité de son rapport.

Je voudrais poser une question sur notre intervention au Sahel. En particulier, l’intervention militaire que nous effectuons pour la sécurité de l’Europe induit des dépenses très importantes. À plusieurs reprises, des membres de notre commission sont intervenus sur ce sujet. À maintes reprises, la présidente de notre commission a demandé que l’Europe prenne en compte ces dépenses. Des démarches particulières ont-elles été entreprises auprès de Bruxelles et ont-elles des chances d’aboutir ?

Je voudrais appeler l’attention sur la précarité de la situation des jeunes engagés pour des contrats de cinq ans, souvent sur les opérations extérieures pour des périodes de quatre mois, alors que les officiers ont des garanties supplémentaires. Cette précarité, que vous avez signalée, Monsieur le rapporteur, est regrettable à notre époque car elle les empêche d’avoir une vie familiale normale et leur interdit l’accès au crédit. On loue toujours nos militaires pour leur participation aux interventions extérieures, mais on ne sait pas leur accorder une certaine stabilité. Il conviendrait de conforter la situation salariale de nos militaires. Cela vaut également pour la gendarmerie. Ces métiers sont ceux où l’on dénombre le plus de divorces.

M. Christophe Naegelen. Je félicite notre collègue pour son rapport et les points importants qu’il a évoqués, notamment la retraite des militaires. Nous pouvons nous inquiéter que des statuts spécifiques mais justifiés par un engagement quotidien puissent être remis en question par la future réforme des retraites. Nous nous félicitons également de la hausse du budget de la défense.

J’évoquerai le point particulier des militaires morts en exercice et non sur des théâtres d’opération. Un militaire tué en opération extérieure a droit à la reconnaissance du statut de « mort pour le service de la Nation » et ses enfants sont pris en charge, mais pour un militaire tué en exercice, il y a très peu d’aide et ces familles se sentent abandonnées. Il conviendrait donc de dégager des crédits supplémentaires afin d’aider les familles de ces militaires dont on parle peu. La France doit soutenir aussi ces familles.

Mme Frédérique Dumas. Monsieur Teissier, merci pour votre rapport.

Le contexte géopolitique dans lequel nous sommes nous oblige à repenser complètement nos méthodes et nos concepts en matière militaire, notamment en matière de renseignement, de dissuasion et de défense. Les incertitudes face aux décisions américaines, l’augmentation des influences étrangères dans les conflits, l’internationalisation de la guerre et les nouvelles menaces, tous ces facteurs sont propices à la survenance de conflits, qu’ils soient voulus ou accidentels. De nouveaux espaces se dessinent à travers des théâtres d’opération toujours plus complexes, comme cela est le cas pour l’espace et le cyberespace.

Face à des défis, le budget traduit une augmentation que l’on ne peut que saluer, mais il existe des contradictions au regard de la volonté affichée et de la concurrence internationale croissante. Je reviendrai donc sur deux points.

Le premier concerne le budget attribué aux actions civilo-militaires définies dans le projet de loi de finances pour 2020 comme étant des opérations ciblées menées au profit de la population locale et permettant l’intégration de la force française dans son environnement. Ces actions sont plus que déterminantes, elles sont au cœur de la réussite de nos actions sur la durée. À l’heure où les opérations extérieures n’atteignent pas toujours leurs objectifs militaires, elles atteignent de moins en moins leurs objectifs civils. C’est pourtant de la bonne intégration de nos forces dans leur environnement que dépend aussi la confiance et, par conséquent, la sécurité sur le terrain. Or, notre présence est de plus en plus contestée par les populations, notamment dans les pays du G5 Sahel. Des tensions existent au Niger, certes dans une moins mesure, mais l’opération Barkhane est de plus en plus dénoncée par la société civile malienne, et ce sentiment nourrit la montée des rivalités des conflits potentiels.

Il peut être préjudiciable, donc, que l’augmentation du budget de 250 millions pour les surcoûts des OPEX, les crédits passant de 850 à 1,1 milliard d’euros, ne permette pas d’augmenter le budget pour ces actions civiles et militaires de manière plus importante. Ce sont seulement 500 000 euros supplémentaires qui y sont consacrés, puisque cette action passe de 1 à 1,5 million d’euros, ce qui est une infime proportion.

Le budget alloué aux relations internationales est également revu à la baisse, de 6 %, par rapport à 2019. C’est principalement l’action Diplomatie de défense, dont nous avons bien besoin aujourd’hui, qui est impactée, avec une diminution significative de son budget de 8 % entre 2019 et 2020.

Mon second point concerne la question spatiale. La nécessité de remplacer d’anciens satellites par de nouveaux plus performants grâce à une coopération européenne est une bonne chose. Le commandement de l’espace, composé de 220 militaires, qui a des compétences dans la mise en œuvre de la politique spatiale militaire et dans le domaine opérationnel, doit permettre à l’armée de l’air de devenir une armée de l’air et de l’espace. Sa création est très récente. Il est donc difficile de se prononcer à ce jour sur son efficience.

Concernant le budget, la loi de programmation militaire prévoit 3,6 milliards d’euros pour le spatial de la défense. L’inscription de 700 millions supplémentaires a été annoncée par la ministre, ce qui ferait passer ce budget à 4,3 milliards. Pour autant, ce ne sont finalement que 448 millions qui figurent au projet de budget pour 2020. Après les 400 millions de 2019, la trajectoire n’est donc pas évidente. Or les modalités de la conquête spatiale évoluent très rapidement et sont devenues un enjeu prioritaire, alors même que la budgétisation programmée a pris du retard et que certaines parties de ce programme ne sont pas au rendez-vous, comme c’est le cas avec le programme « capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale » (CERES), programme de satellites militaires d’écoute électronique. Ce programme en phase de développement prévoyait le lancement d’un premier satellite en 2020.

En conclusion, ce sont bien la mise en œuvre des dispositifs et la répartition des crédits qui nous conduit à nous interroger. Néanmoins, pour aller dans le sens de mon collègue LR, l’effort est quand même à saluer. De notre côté, nous voterons en faveur de ces crédits.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je voudrais aborder le sujet qui nous occupe ce matin sous l’angle de notre propre commission, c’est-à-dire les affaires étrangères. Sans reprendre les arguments qui ont été développés par mon camarade Bastien Lachaud à la commission de la défense, j’estime que l’on aurait dû commencer par parler de l’usage qui est fait de nos moyens. Que va-t-il se passer au Mali ? Que faisons-nous ? Comment allons-nous y rester ou en sortir ? Que dit le projet de budget à ce sujet ? De même, pour pratiquement toutes les interventions françaises, on aurait dû en faire le tour pour savoir de quelle manière on y affecte ou on y récupère des moyens.

J’ajoute qu’une grande modification s’est opérée dans l’ordre international sans que l’on semble sans émouvoir. Jusqu’à présent, un traité international de démilitarisation de l’espace était en vigueur. Les Nord-Américains ont décidé que c’était fini et nous, Français, avons emboîté le pas. Pourquoi pas ? Pour ma part, j’en suis assez d’accord, compte tenu des conditions créées par les Américains. Nous créons un état-major de l’espace. Quelle en est la stratégie ? Qu’est-ce qui l’accompagne ? Quels en sont les moyens au-delà du financement de l’état-major ? Que va-t-on faire ? Que programme-t-on ? Nous n’en saurons rien.

Cela revêt tout de même une grande importance. On peut se réjouir d’acheter des arcs, des flèches et même des arbalètes, mais c’est assez vain quand d’autres ont des fusils. Or, depuis l’espace, on peut interrompre toutes les communications terrestres. Par conséquent, les neuf dixièmes du matériel militaire français ne serviront strictement plus à rien, à rien du tout !

La même remarque peut être faite à propos de la cyber-armée. Nous n’en entendons plus parler. Nous savons que des moyens y sont affectés, mais lesquels ? Pour quelle stratégie ? Dans quel délai ? C’est pourtant là le cœur des guerres du futur.

J’ai apprécié les euphémismes de mon collègue Guy Teissier à propos de l’OTAN. Il nous a dit d’une manière élégante et à sa manière que l’on ne savait plus très bien à quoi cela servait mais qu’on voyait bien que cela aggravait les problèmes plutôt que cela les réduisait. Il m’amuse de me réclamer de lui pour vous dire qu’à mon avis, l’OTAN ne sert strictement à rien. Si mes informations sont bonnes, nous venons d’essuyer en Turquie un tir d’une armée de l’OTAN auquel nous avons riposté. Nous avons là-bas 300 membres des forces spéciales, qui ne sont pas des boy-scouts et donc en état de faire un maximum de ravages pour faire payer ceux qui nous ont agressés et qui sont censés être nos alliés.

L’OTAN, c’est une machine à faire fonctionner les 2 % de notre budget, dont personne ne nous dit pourquoi 2 %, pourquoi pas 3 %, 4 % ou 1 % ? Si c’est la guerre, c’est 10 %. Une proportion ne veut rien dire, sinon qu’elle nous oblige à monter en puissance dans un budget. Pour quoi faire ? Pour acheter du matériel qui soit interopérationnel avec celui des Nord-Américains et rien d’autre. Autrement dit, ces 2 % sont une machine à relancer l’économie d’armement des Américains et pas la nôtre.

La preuve en est donnée par ce qui est en train de se passer à Alstom. Les turbines qui sont fabriquées là-bas et qui sont maintenant dans la main des Nord-Américains équipent la plupart de nos matériels militaires pourvus de turbine. Que ceux qui croient que les Américains sont nos amis et toujours prêts à nous faire des sourires se souviennent de ce qui s’est passé quand nous avons décidé de ne pas les accompagner en Irak. Ils ont mis un embargo sur le matériel militaire pendant six mois. Pendant six mois, les catapultes du porte-avions Charles de Gaule ne pouvaient plus obtenir de pièces de rechange. Ce seul exemple résume ce que j’en pense. Évidemment, il n’y a pas de montée en puissance à 2 % sans une industrie d’armement française indépendante. Sinon on achète le matériel des autres et on n’est pas en état de décider ce qu’on fait quand il y a besoin d’agir.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous reviendrons largement sur les questions de stratégie en recevant – enfin ! – le chef d’état-major des armées, le mercredi 6 novembre.

M. Jean-Paul Lecoq. Je voudrais saluer le rapport de Guy Teissier, non seulement parce qu’il connaît bien la situation et traduit son expertise, mais encore parce qu’il prend en compte les conditions de vie des militaires. Les députés communistes ont toujours dit qu’ils soutiendraient une augmentation du budget du ministère des armées dès lors qu’elle serait destinée à améliorer les conditions de vie des soldats.

Ce n’est toutefois pas le seul élément notable de ce budget. Comme Jean-Luc Mélenchon, nous nous interrogeons sur l’espace. À qui appartient l’espace ? Avant de se l’approprier et de le militariser, peut-être faut-il se poser la question et envisager de créer des règles d’utilisation de l’espace. Depuis un an, j’ai sollicité la présidente de la commission sur ce sujet.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Une table ronde sur la question de l’espace est en cours d’organisation, qui devrait avoir lieu au début du mois de janvier.

M. Jean-Paul Lecoq. Mais cela fait tout de même un an que je le réclame.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. L’espace est toujours là !

M. Jean-Paul Lecoq. L’autre sujet est la bombe atomique. Quelle est aujourd’hui son utilité face aux menaces et aux enjeux ? Puisque nous sommes à la commission des affaires étrangères, nous observons que pour poser la France comme une des puissances nucléaires, 10,5 millions seront consacrés par jour à la bombe atomique cette année !

Nous apprécions les propos du rapporteur au sujet des retraites. S’il existe en France des régimes spéciaux de retraite, c’est en raison de la spécificité de certains emplois. Ceux des militaires et d’autres en font partie. Que chacun se rappelle de ce qui s’est dit ce matin lorsque nous serons appelés à aborder ce sujet important !

Les communistes ne peuvent plus admettre que l’on considère que l’OTAN, c’est comme avant et que cela ne pose pas de problème. Ce qui s’est passé en Turquie pose totalement la question de notre participation à cette organisation, mais elle se posait déjà avant, au regard de l’évolution des relations internationales, des puissances et du rôle de chacun. Il conviendra d’avoir une autre approche. Notre commission aborde souvent le multilatéralisme et le pouvoir à redonner à l’ONU. Or nous considérons que le multilatéralisme et le pouvoir de l’ONU sont aujourd’hui entravés par une puissance telle que l’OTAN. Je sais qu’une réunion de l’assemblée parlementaire de l’OTAN a eu lieu récemment à Londres, au cours de laquelle il n’a pas dû être simple de savoir quelle position adopter aux côtés des députés turcs.

En outre, au-delà de l’opération Barkhane proprement dite, se pose la question de l’utilisation éventuelle par les États et les chefs d’État dans cette région, qui ne sont pas tous des démocrates, des formations et des équipements que nous apporterions à leurs armées contre leurs propres peuples, comme cela s’est déjà vu. Notre armée devrait avoir une réflexion philosophique sur ce que nous allons laisser après notre départ.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous informe également que la présentation que j’avais suggérée au nom de la commission des affaires étrangères, par les huit présidents de groupe unanimes, d’une proposition de résolution visant à condamner l’offensive turque a été acceptée hier matin en conférence des présidents, ce dont je me réjouis. Ce texte, validé par les huit présidents de groupe, sera débattu mercredi prochain 30 octobre, à 15 heures, dans l’hémicycle. L’Assemblée nationale pourra donc exprimer officiellement et publiquement sa condamnation unanime de ce qui se passe dans le Nord-Est syrien.

M. Michel Herbillon. Je voudrais féliciter notre collègue Guy Teissier de son rapport. Il est intéressant que notre collègue ait fait des focus sur la condition de vie des militaires, sur le service de santé des armées et sur l’OTAN. Il a de nouveau montré sa connaissance de ces questions, notamment du fait de ses précédentes fonctions de président de la commission de la défense.

J’appellerai son attention sur le logement des gendarmes qui n’est pas toujours en bon état, ce qui est un euphémisme. Dans ma circonscription, à Maisons-Alfort, sur le deuxième site de gendarmerie en France et au siège de la première région de gendarmerie, des centaines de familles sont privées de l’accès à leur balcon depuis des années, faute de sécurisation, sans que le ministère ait trouvé des moyens pour régler le problème. Or, vous savez combien les gendarmes ont été sollicités pour les opérations de maintien de l’ordre, notamment récemment avec la crise des « gilets jaunes ».

Mais ma question est relative au SNU. Comme mon collègue Didier Quentin, je m’interroge sur son efficacité et sur son coût. Bien entendu, les deux mille volontaires ont trouvé sympathique de passer du temps avec des gens de leur âge. Puisque c’était leur choix, il est bien normal qu’ils aient été contents. Mais un certain nombre de missions du SNU devraient être prises en compte par d’autres institutions. Je pense à la détection de l’illettrisme par l’école ou aux gestes de premiers secours.

Pour les 30 000 volontaires de l’année prochaine, il est prévu un budget de 30 millions d’euros, mais quand il faudra passer à une classe d’âge de 800 000 jeunes, les estimations font état d’un coût d’un à deux milliards d’euros, la marge d’appréciation montrant d’ailleurs que l’on ne sait pas très bien combien cela va coûter. Se pose donc la question du financement. Sera-t-il assuré par le budget de la défense, contrairement à l’article 3 de la LPM ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Merci au rapporteur. Je concentrerai mon propos sur la politique étrangère et la défense, en particulier sur le chapitre consacré à l’OTAN, que j’ai lu attentivement.

Je me souviens d’une réunion de la commission de la défense, en 2008, où nous avions reçu M. Hervé Morin, ministre de la défense, qui nous disait qu’il fallait abandonner les bases en Afrique, en créer une à Abu Dhabi, réintégrer le commandement militaire intégré de l’OTAN, de sorte que ce serait formidable, nous pèserions davantage et les Américains nous respecteraient. Nous avons vu le résultat. Il est catastrophique.

Je me réjouis évidemment de l’augmentation du budget, mais pour quoi faire ? Nous le voyons en Turquie, au Kurdistan et en Syrie, il n’y a pas de politique étrangère indépendante sans autonomie stratégique. Orn nous n’en avons gagné aucune. Nous avons perdu une indépendance technologique avec l’affaire Alstom. L’interopérabilité est un moyen de casser notre industrie de défense, et nous avons de la chance que Mme Goulard ne soit pas restée ministre de la défense.

D’une manière générale, au-delà des moyens, la question est celle de l’usage des moyens. Si nous ne sommes pas capables de défendre notre industrie de défense et notre autonomie technologique, si nous ne sommes pas capables d’investir de manière autonome, nous pourrons mettre tous les crédits que nous voudrons sur la table, et tant mieux s’il y en a davantage, cela ne permettra pas, aux moments clés, et nous le voyons au nord de la Syrie, d’intervenir différemment des Américains.

Quant à l’OTAN, la seule solution est de sortir de nouveau du commandement militaire intégré, de recouvrer notre autonomie et de bâtir des coopérations européennes avec les pays qui le souhaitent. Mais peut-on continuer à déverser des crédits avec des pays européens qui ne fournissent pas l’effort de défense nécessaire ? Je regardais dans votre rapport le très bon tableau sur les sept pays qui atteignent les 2 %. Nous voyons bien où en est l’Allemagne et où en sont les autres grands pays. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. La question majeure est donc de savoir si la France veut rester indépendante. Sinon, elle sera condamnée à avoir une politique étrangère de parole.

M. Jean-Claude Bouchet. Le rapporteur a dit que ce budget était un bon budget, et la plupart d’entre nous en sont conscients, mais au-delà de l’aspect financier, je reviendrai sur le moral de nos troupes, sur les inquiétudes au sujet des retraites et sur les contrats courts qui font planer beaucoup d’incertitudes. L’armée attire-t-elle toujours ? Guy Teissier a parlé d’une armée qui incorpore des « civils en uniforme » et du problème de la militarité.

Par ailleurs, les événements internationaux qui se produisent actuellement, les différentes décisions de l’OTAN qui peuvent être perçues comme prises à l’emporte-pièce et l’imprévisibilité des États-Unis, sans parler de son président, ne sont-ils pas de nature à entamer la confiance de nos militaires en leur capacité à défendre nos territoires dans le monde ?

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je commencerai par remercier M. Maire de m’avoir remercié… La provision faite aujourd’hui sur le budget des OPEX est intéressante, car elle évitera probablement les difficultés que nous connaissions encore l’année dernière liées à la non-prise en charge du surcoût par la solidarité interministérielle. Ce n’était pas un cas d’école : depuis presque toujours, les armées ont beaucoup de difficulté à récupérer en négociations interministérielles le budget qui doit leur revenir pour les OPEX. Avec la sincérisation de ce budget à 1,1 milliard et à 100 millions pour les OPINT, nous nous rapprochons du coût réel des opérations. Néanmoins, cela restera probablement insuffisant. Nous sommes soumis à des aléas. Va-t-on maintenir une présence aussi importante dans le cadre de l’opération Barkhane que celle d’aujourd’hui ? Peut-on espérer une meilleure répartition de la tâche avec nos voisins européens ? C’est possible puisque, au-delà des Britanniques qui nous fournissent des hélicoptères, nous voyons pour la première fois un engagement des Espagnols, à partir de cette année. Mais cela se fait tout de même à dose homéopathique et la France porte le fardeau.

De manière générale, je le répète, il y a une sous-exécution des crédits par nos armées, ce qui est très regrettable.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Quels domaines cette sous-exécution concerne-t-elle ?

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Nous sommes très en retard dans les dépenses de personnels et d’infrastructures.

Mon excellent prédécesseur Didier Quentin a évoqué le financement du SNU. Je pense que c’est un leurre, une mystification, une rigolade. Cela me fait penser à une joyeuse colonie de vacances

Mme Bérengère Poletti. Tout à fait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Cela n’a strictement rien de militaire. L’établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE) créé par Michèle Alliot-Marie à l’époque où je présidais de la commission de la défense a un squelette reposant sur les armées et présente une tendance à la militarité. Les plus humbles d’entre les nôtres, ceux qui n’ont aucun bagage, ont ainsi la possibilité de suivre une formation pendant six mois, renouvelables six mois. Dans les EPIDE, le taux moyen d’intégration dans l’emploi des jeunes filles et des jeunes hommes, tous français, est d’environ 50 %, ce qui me paraît tout à fait extraordinaire lorsqu’on sait qu’un certain nombre d’entre eux ne savent quasiment pas écrire et parler le français.

Aucun crédit n’est prévu dans le projet de budget de la défense pour le SNU. Il est financé par le ministère des sports. Il y a peut-être une tentation de le faire financer par les armées, je n’en disconviens pas. Soyons donc vigilants.

Monsieur Joncour, l’OTAN est un des piliers de la solidarité transatlantique. Je rappellerai qu’en 1966, lorsque le général De Gaulle quitte à grand fracas le commandement intégré de l’OTAN, les Américains se déchaînent, ont des mots très durs à notre endroit et le président américain a cette formule : « Avec les Français, on peut être les meilleurs ennemis en temps de paix et des alliés en temps de guerre. » Cela résume ce que pourrait être l’OTAN, aujourd’hui. Cela étant, la tendance actuelle de l’OTAN laisse à penser que nous avons plus de difficulté partout où elle est que là où elle n’est pas. Je reviendrai sur le cas emblématique de la Turquie, difficile et douloureux.

La relation avec l’OTAN devrait être faite de partage et équilibre. Or, les États-Unis essaient d’envelopper l’Europe. Il faut savoir qu’il existe dans l’OTAN un bureau « renseignement » ouvert aux alliés et un bureau « renseignement » américain inaccessible aux alliés. Ce qui prouve bien une double action à l’intérieur de l’OTAN, que nous ne sommes pas, les uns et les autres, considérés à égalité dans ce pacte et qu’il y a une relation hégémonique de l’OTAN dans le système de défense européen d’aujourd’hui.

Monsieur David, nous peinons à mettre en place le G5 Sahel, comprenant les cinq pays du Sahel, pour leur laisser la main dans l’opération. Les problèmes qui se posent à nous pour constituer un état-major européen se posent pareillement à nos voisins et amis africains. Ils ne parviennent pas à s’accorder sur la nationalité du général qui pourrait en prendre le commandement. J’ai rencontré un général mauritanien d’excellente qualité qui ferait un excellent chef d’état-major, mais il est récusé par d’autres. Faute d’état-major et faute de chef, nous n’arrivons pas à le mettre en place.

S’agissant des jeunes, vous avez raison, mon cher collègue, la quasi-majorité de ceux qui ont embrassé le métier des armes sont des contractuels, ce qui pose d’importants problèmes de vie. Mais compte tenu de la spécificité du métier des armes, on ne peut professionnaliser immédiatement, avant un premier contrat d’une durée de cinq ans, des jeunes hommes ou des jeunes femmes qui ne connaissent pas ce métier et qui pourraient vouloir le quitter au bout de quelques années. Un système permet de passer du statut de contractuel à celui de sous-officier sous contrat (SOC), mais il n’est ouvert qu’aux sous-officiers. Pour sortir de cette précarité, les hommes du rang ont la possibilité, soit d’intégrer l’école des sous-officiers d’active, soit d’accéder au rang de sergent. Certains officiers servent aussi d’une manière contractuelle : les officiers sous contrat, limités au grade de capitaine et à vingt-deux ans de service.

Notre collègue M. Naegelen a posé la douloureuse question des soldats qui meurent en service. Ainsi, huit légionnaires ont récemment perdu la vie, emportés par une avalanche. On ne peut pas considérer que les soldats morts en entraînement sont morts au combat. Cette distinction a toujours existé et il me paraît normal de la faire. Je ne crois pas que les familles ne soient pas soutenues. Pour en avoir connu plusieurs exemples, je dirai même qu’ils font l’objet d’une attention particulière et qu’un soutien psychologique est apporté aux familles et aux blessés. Au grand hôpital militaire de Marseille, l’hôpital Laveran, j’ai pu apprécier la qualité des soins et l’environnement familial apportés à nos jeunes soldats traumatisés par des accidents graves.

Madame Dumas, c’est le fondement de nos armées de faire du civilo-militaire. Depuis toujours, nos armées ont eu le souci d’apporter de l’eau, de soigner les gens, etc. Je pourrais citer des exemples à n’en plus finir mais je n’en retiendrai qu’un, joli. À Djibouti, après des heures de route en plein désert, j’ai vu, au milieu de rien, ce qu’on appelle en Afrique un kéké, c’est-à-dire un petit épineux auprès duquel les trouvaient deux véhicules de la légion étrangère, dont un véhicule d’évacuation sanitaire. Nos soldats, médecins, infirmiers, recevaient des gens qui avaient cheminé à pied depuis des jours et des nuits pour venir se faire soigner. Cela se fait depuis toujours, mais vous m’accorderez qu’il est plus difficile de faire du civilo-militaire dans les zones hostiles du Sahel que dans des endroits où l’on est en relative sécurité. Il est plus difficile d’aller au-devant des populations qui vous jettent des pierres que de celles qui font la queue devant nos camps à partir de 6 heures du matin pour se faire soigner ou faire soigner leurs enfants, comme je l’ai vu au Tchad. Cela fait la grandeur de notre service de santé, mais pas seulement. Nos militaires apportent aide et assistance aux populations chaque fois qu’ils peuvent le faire dans le temps du service qui leur est imparti.

M. Mélenchon a fait un grand exposé à sa façon que nous apprécions. Vous condamnez l’OTAN d’une manière irréversible en demandant à quoi sert ce budget si ce n’est d’atteindre le niveau de 2 % imposé par l’OTAN aux pays européens ? Vous n’avez pas tort car c’est la norme demandée par l’OTAN. Mais vous êtes dans une forme de contradiction, car plus l’Europe sera puissante, plus elle pourra se défendre elle-même, mieux ce sera et moins nous aurons besoin de l’OTAN. Notre collègue a remarqué que seuls sept pays ont atteint ce pourcentage, dont la Grèce à un niveau extraordinaire…

Mme Bérengère Poletti. En pourcentage !

M. Guy Teissier… mais le reste est insignifiant, notamment dans les anciens pays du pacte de Varsovie et dans les pays scandinaves, qui préfèrent consacrer leur budget à autre chose parce qu’ils pensent bénéficier du paratonnerre de l’OTAN. Des responsables polonais m’ont dit : pourquoi voulez-vous que nous augmentions notre budget, puisque nous avons l’OTAN ? Peut-être faudrait-il mieux avoir une défense européenne plus crédible afin de pouvoir, au moins dans des conflits de basse ou moyenne intensité, se passer de l’OTAN.

Monsieur Lecoq, vous avez introduit une dichotomie entre l’humain et le matériel. Vous avez approuvé la partie de mon rapport sur les hommes, qui nous rassemble tous, tout en étant plus dubitatif sur le reste.

Vous avez évoqué l’arme nucléaire. Citez-moi des pays ayant réduit leur puissance nucléaire !

M. Jean-Paul Lecoq. La Grande-Bretagne.

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Et puis ? La Russie ? La Chine ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce ne sont pas des ennemis !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je m’étonne que vous ne citiez pas en premier la France qui, la première, a fait cet effort.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Puisque nous avons supprimé l’une de nos trois composantes, la composante terrestre. Or vous ne le saviez pas ou vous ne le disiez pas.

M. Jean-Luc Mélenchon. Si, il le sait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Dans ce domaine, s’il est un pays exemplaire, c’est le nôtre, car nous l’avons fait en premier. Malheureusement, nous n’avons pas été tellement suivis.

Je vous suis sur la question des pensions, sauf qu’il faudra que cela reste limité à celles et ceux qui exposent leur vie pour la sécurité et la défense des autres.

M. Jean-Luc Mélenchon. Lesquels, par exemple ?

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Les gendarmes, les policiers, les pompiers.

Monsieur Herbillon, l’état des logements des gendarmes est très préoccupant. La situation est ancienne, dramatique pour les familles, scandaleuse, mais la République a pour habitude de maltraiter ses enfants et ceux qui la défendent.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Dans chacune de nos villes, les bâtiments les moins bien entretenus sont les sous-préfectures, les préfectures, les tribunaux, tout ce qui représente l’État, et, bien entendu, les logements des gendarmes qui sont dans un état pitoyable. Il n’y a pas si longtemps, en montagne, dans une sous-préfecture, la gendarmerie avait encore des parquets en bois datant du siècle dernier et un système de chauffage très ancien.

Je partage aussi votre point de vue au sujet du SID. Il faut partiellement l’externaliser ou le rénover de fond en comble car il est dans une situation de quasi-somnolence. Ils n’arrivent pas à s’en sortir. Tous les chantiers qui ne touchent pas au « confidentiel défense » peuvent parfaitement être gérés par des sociétés civiles.

Notre collègue Dupont-Aignan souligne l’importance de l’autonomie opérationnelle de notre armée et je partage ce point de vue. Ce qui se passe en Syrie est inquiétant et nous n’avons pas l’autonomie nécessaire pour gérer seuls ce type de conflit. Le Président de la République a pris une position qui me paraît aller dans le sens de ce que vous dites et de ce que je dis. La solution n’est sûrement pas de sortir du commandement intégré où nous sommes retournés. Je ne me sentais pas plus mal avant mais je ne me sens pas moins bien aujourd’hui. Je pense qu’il faut davantage peser à l’intérieur de l’OTAN et que nous avons encore des marges de progrès à réaliser.

Monsieur Bouchet, il faut savoir que notre pays, contrairement à presque tous les autres pays européens, continue à attirer, à un rythme variable en fonction des périodes de tension intérieures ou extérieures, des hommes et des femmes vers le métier des armes, en assez grand nombre pour une période de cinq ans. Cela n’est pas plus mal, car nous avons besoin de jeunes, même si le point d’équilibre au regard de l’investissement est plutôt à sept ou huit ans de service. L’armée est le plus gros employeur du pays, avec chaque année 27 000 jeunes engagés pour l’ensemble des armées. Je n’ai pas dit que ces jeunes étaient des « civils en uniforme ». Certes, au moment de leur engagement, ils ne connaissent pas l’armée, ils deviennent militaires après un temps de formation. Mais j’ai dit que la société avait tendance à gommer ce qui fait la singularité du métier de militaire. Ces 27 000 jeunes engagés chaque année sont plutôt de bonne qualité, de bon niveau, alors que nos voisins espagnols peinent à remplir leurs quotas, avec, en permanence, 6 à 8 % des effectifs à couvrir.

Enfin je pense que la Turquie bafoue les règles de l’Alliance en attaquant les Kurdes qui étaient nos alliés et qui ont combattu à nos côtés l’affreuse hydre de Daech. La Turquie menace l’équilibre de la région tout entière. Ce pays qui existe depuis environ cent ans continue à porter le rêve impérialiste ottoman. Cet impérialisme est insupportable. Il y a très peu de temps encore, presque un tiers de la population était composé de chrétiens et il n’en reste plus. Après le massacre des Arméniens, il y a eu celui des assyro-chaldéens, des Grecs, etc. La position actuelle de la Turquie est insoutenable. Elle mérite, Madame la présidente, que nous ayons un vrai débat.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Comme je vous l’ai dit, nous aurons ce débat, à notre demande, mercredi prochain, à 15 heures, en vue d’une condamnation unanime par notre Assemblée nationale.

Mme Sonia Krimi. Madame la présidente, en tant que membre de l’assemblée parlementaire de l’OTAN, je rappellerai tout d’abord que je ne suis ni pro-russe, ni pro-américaine, ni pro-communiste, ni libérale. Je fais seulement partie d’une génération qui pense qu’il faut arrêter le « bashing » de nos institutions.

J’entends dire : « Pourquoi 2 % ? Pourquoi pas 3 % ou 4 % ? » Ce chiffre a été calculé par rapport à l’apport des États-Unis, qui financent actuellement à plus de 70 % le budget de l’OTAN. Les États-Unis sont nos meilleurs amis en temps de guerre et nos meilleurs ennemis en temps de paix, c’est bien résumé.

Je m’étonne que les alliés n’aient pas accès à toutes les sources de renseignement de l’Alliance. Je viens d’envoyer un message au Secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à ce sujet et je m’engage à vous répondre par écrit. Il peut y avoir des cellules de coordination différentes, mais on ne peut pas dire qu’il existe une structure de renseignement interdite aux alliés. Ce serait grave. Cela voudrait dire qu’ils agissent contre nous, ce qui n’est pas vrai.

L’OTAN a évité bien plus de guerres qu’elle n’en a générées. Vous dites que son action est très faible, j’ai envie de vous dire : bienvenue en politique. Nos ennemis poussent, on recule, ils reculent, on pousse. Si on évite de se parler et si on se prive d’organes, même imparfaits, comme l’OTAN, alors ce sera la guerre.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Madame la députée, c’est votre opinion et vous avez le droit et la légitimité de la défendre.

Je ne doute pas que nous reviendrons sur la question de l’OTAN dans les semaines à venir.

Avant de nous prononcer sur les crédits de la mission Défense, je tiens, comme d’habitude, à saluer, au nom de la commission des affaires étrangères, tous ceux qui sont engagés sur le terrain pour notre pays.

Je ne suis saisie d’aucun amendement.

La commission émet un avis favorable à ladoption des crédits de la mission Défense.

*

 Examen pour avis des crédits de la mission Immigration, asile et intégration (Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis) et vote sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Notre ordre du jour appelle maintenant l’examen des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, dont la rapporteure pour avis est Valérie Boyer.

Je ne doute pas qu’un certain nombre de ses propositions vont créer du débat. Je l’ai dit et redit dans l’hémicycle, sur la question migratoire, nous devons changer de paradigme. Nous devons penser une politique globale qui ne soit plus l’apanage d’un seul ministère. Nous devons recentrer le droit d’asile, faute de quoi il mourra, alors que c’est un droit fondamental. Nous devons poser sur la table l’ouverture de voies économiques légales avec des visas multiples, c’est-à-dire favoriser les allers et retours, faute de quoi nous n’arriverons pas à recentrer le droit d’asile. Nous devons, enfin, repenser un partenariat totalement en rupture avec l’Afrique et lui permettre de vivre de ses propres ressources, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas.

Je vous donne la parole, Madame la rapporteure. Puis nous aurons une contribution de Jean-Michel Clément, au nom du groupe Libertés et Territoires.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Madame la présidente, je partage l’intégralité de vos propos, même si ma présentation ne reprendra pas les quatre points que vous venez d’évoquer. D’évidence, sur les questions d’asile et d’immigration, il est urgent de changer de paradigme. Il y va de l’unité nationale et de la paix sociale.

La France est aujourd’hui confrontée à un véritable défi migratoire, et ce ne sont pas des successions de discours qui nous permettront d’y faire face. Je rappellerai que dans les années 1960, le grand démographe Alfred Sauvy avertissait déjà que le phénomène de l’immigration de masse extracommunautaire aurait des conséquences civilisationnelles, sociales, économiques et sécuritaires majeures et probablement hautement sismiques si des mesures de sélection et de contrôle n’étaient pas prises.

Jusqu’à présent, le chef de l’État expliquait qu’il n’y avait pas de crise migratoire. Il s’est même prononcé en faveur de l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans et de l’ouverture de l’espace Schengen à la Roumanie. Je constate aujourd’hui qu’il change de discours. Il a même déclaré en septembre que « la France ne peut pas accueillir tout le monde ».

Je citerai quelqu’un que l’on ne cite pas souvent mais dont certains d’entre nous se souviennent. En 1980, Georges Marchais disait : « Il faut stopper limmigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France, alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés. Nous posons le problème de limmigration. »

Nous le savons, le problème n’est pas derrière nous, car la pression migratoire aux frontières de l’Europe ne devrait cesser de croître au cours des prochaines années. Nous ne pouvons augmenter le budget Immigration à l’infini. Cela ne changera que si nous conduisons une nouvelle politique migratoire. La commission des affaires étrangères s’est donc saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration du projet de loi de finances pour 2020.

Cette mission est articulée autour de trois grands axes d’action : la maîtrise des flux migratoires ; l’intégration des personnes immigrantes en situation régulière et la garantie du droit d’asile.

Comme l’an passé, le budget de la mission est en augmentation. Les crédits de la mission inscrits au projet de loi de finances pour 2020 sont en hausse de 4,47 % pour les autorisations d’engagement et de 7,68 % en crédits de paiement, par rapport à la loi de finances initiale de 2019. Cette hausse s’explique notamment par la nécessité de renforcer les capacités d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile dont l’afflux continu et important en direction de la France ne peut que nous inquiéter.

Fort de ses mots, le Gouvernement a, jusqu’à présent, été assez faible dans les actes pour juguler l’immigration de masse. Nous en voulons pour preuve une baisse des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière de 26,39 % en autorisations d’engagement et de presque 10 % en crédits de paiement, ce qui ne manque pas de m’interpeller fortement au regard des défis auxquels notre pays est confronté en la matière. En fait, les crédits de la mission augmentent, mais les crédits de lutte contre l’immigration irrégulière baissent de 10 %, au moment même où nous aurions dû faire porter là nos efforts.

Mme Bérengère Poletti. C’est scandaleux !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Bien qu’il soit extrêmement compliqué d’obtenir des informations sur le coût de l’immigration, à savoir la différence entre ce qu’elle rapporte et ce qu’elle coûte, il paraît qu’il avoisinerait 12,2 milliards, dont 8,5 milliards pour l’immigration légale et presque 4 milliards pour l’immigration illégale. D’après certains experts, ce chiffre pourrait être plus élevé encore, puisque l’immigration illégale serait en hausse chaque année, ce qui augmenterait naturellement le coût total de l’immigration – un économiste, Jacques Bichot, a réalisé des études sur le coût de l’immigration, dans un ouvrage que je vous recommande – qui s’élèverait au moins à 8,5 milliards au titre des aides sociales et de santé, 4,47 milliards pour les frais de justice, 10 milliards pour l’école et l’enseignement supérieur, 1 milliard pour le logement, 500 millions pour les services publics de transport, dont beaucoup d’études ne tiennent pas compte, soit, en réalité, quelque 25 milliards.

La grosse difficulté à laquelle j’ai été confrontée au cours de cette mission est l’organisation de l’opacité au sein de nos services pour ne pas avoir de comptabilité analytique. Si l’on veut changer de paradigme, il est temps de dire la vérité aux Français. On ne peut plus continuer avec des fantasmes sur les chiffres de l’immigration et surtout avec une organisation administrative qui passe son temps à faire en sorte que nous n’ayons pas d’informations consolidées. Cela n’est pas normal.

Pour autant, j’ai décidé de concentrer mes travaux sur la dimension sociale de l’immigration, en particulier la santé, et sur l’accès aux soins des personnes étrangères et la prise en charge du public vulnérable que constituent les mineurs non accompagnés (MNA). Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. J’estime qu’il y a des failles dans les dispositifs offerts par notre pays. Ils ne sont pas pleinement efficaces et représentent une très lourde charge pour les finances publiques. Par ailleurs, certains d’entre eux ont le tort de contribuer à l’attractivité de la France aux yeux des candidats à l’immigration et de favoriser un « tourisme médical ».

Avant de détailler le régime de protection social des étrangers en France, je ferai le point sur la situation migratoire en Europe et en France, parce que, là aussi, la France occupe une position atypique.

Vous le savez, en dépit d’une diminution d’environ 29 % des mouvements migratoires vers l’Europe par rapport à l’an passé, la France demeure exposée à une forte augmentation des demandes d’asile conduisant à une véritable saturation du système. En 2018, la France a enregistré 123 000 demandes d’asile – record absolu –, soit une augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente, qui était déjà extrêmement élevée. Vous pouvez le constater dans les graphiques figurant dans le rapport. Dans le même temps, le nombre de demandes d’asile diminuait de 10 % dans le reste de l’Europe. Cette diminution s’est illustrée en Italie (– 58 %), en Hongrie (– 80 %), en Autriche (– 46 %), en Allemagne
(– 17 %).

La France se trouve ainsi dans une situation totalement singulière vis-à-vis de ses partenaires européens en raison de deux phénomènes détaillés dans le rapport : les mouvements migratoires secondaires en provenance d’autres pays européens – 30 % des demandeurs d’asile en France ont déjà déposé un dossier dans un autre État membre de l’Union et ne relèvent pas, de notre responsabilité, ce sont les « dublinés » – et la part importante de demandes d’asile émanant de ressortissants de pays que la France considère comme sûrs, c’est-à-dire des pays dans lesquels les droits et libertés sont respectés. D’ailleurs, en 2018, les cinq principaux pays d’origine des demandeurs d’asile dans l’Union européenne sont la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan et l’Iran. Cependant, en France, si les ressortissants afghans sont aussi les plus nombreux, ce sont ensuite les nationalités albanaise, géorgienne, guinéenne, ivoirienne qui sont les plus représentées dans la demande d’asile. La France est ainsi le premier pays de destination en Europe des demandeurs d’asile albanais (44 % du nombre total de demandes de l’Union européenne) et géorgiens (37 %). On voit bien que les failles de notre système nourrissent cet appel d’air.

Nous assistons à un détournement massif du droit d’asile à des fins d’immigration illégale.

La hausse importante de la demande d’asile en France a mécaniquement des conséquences sur le coût de l’allocation perçue par les demandeurs et des financements des structures d’hébergement, conduisant chaque année, comme le relevait au printemps dernier la Cour des comptes, à une surexécution de la mission. Le budget est insincère puisque, chaque année, depuis 2010, les besoins relatifs à la garantie du droit d’asile sont couverts par la levée de la mise en réserve de la totalité des crédits gelée du programme 303 et par l’ouverture de crédits complémentaires dans le cadre d’un décret d’avance ou de la loi de finances rectificatives. Pour ne pas annoncer des dépenses qui explosent, on diminue à chaque fois le budget que nous examinons, puis, en milieu d’année, on est dépassé et on est obligé de faire des rallonges. Cela pourrait servir pour examiner, l’année suivante, un budget consolidé, sincère et réel, mais non ! on continue à minimiser ce budget et à voter en cours d’année, à la va-vite, des crédits de rattrapage. À titre d’illustration, en 2018, s’agissant de l’allocation demandeur d’asile (ADA), la loi de finances initiale prévoyait un montant de près de 318 millions de crédits de paiement. Il a finalement atteint 424 millions en exécution, soit 106 millions de plus, c’est-à-dire 25 % de plus. Est-il raisonnable de voter des budgets qui sont pour le quart non financés ?

Bien qu’aucune solution politique satisfaisante n’ait été proposée à ce stade aux échelles nationales et européenne pour résoudre ces deux phénomènes, l’ensemble des prévisions du Gouvernement reposent, en 2020 comme l’an passé, sur une stabilisation de la demande d’asile, alors que vous constaterez dans le rapport, notamment dans les graphiques, que pour les premiers mois de 2019, l’augmentation est déjà de près de 20 %. Il est évident que cette demande d’asile ne pourra pas baisser. Pourtant, on nous propose de donner un avis favorable au vote de ces crédits. Vous avez compris que je ne les voterai pas.

Nous devons avancer rapidement sur l’harmonisation à l’échelle de l’Union européenne. Il faudrait élaborer une liste européenne commune de pays sûrs qui servirait de référence unique à tous. Là encore, Madame la présidente, nous nous rejoignons. La nouvelle Commission européenne devra, dans les plus brefs délais, apporter des réponses aux nombreux dysfonctionnements constatés, afin que l’Europe se montre plus résiliente face aux flux migratoires et sur la stabilisation du nombre des demandes d’asile. Je propose même que cette liste soit votée par le Parlement, car il n’y a pas de raison qu’on ne se saisisse pas cette question et qu’elle soit traitée dans le secret des bureaux de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Il est impossible aujourd’hui de se dessaisir de cette mission, surtout quand on siège à la commission des affaires étrangères.

Compte tenu des dynamiques à l’œuvre en matière migratoire, il est évident que des prévisions du Gouvernement fondées sur une stabilisation des flux des demandeurs d’asile font preuve, encore une fois, d’une certaine naïveté. L’insincérité dont j’ai parlé apparaît évidente pour qui sait lire un graphique. Une surexécution de la mission est donc de nouveau à craindre. Alors que le système français est déjà en état de saturation, nous savons que ces budgets vont encore exploser.

Il est complexe de faire état des chiffres relatifs de l’immigration illégale, mais certaines données permettent de se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Je pourrais citer Michèle Tribalat, que j’ai auditionnée, mais aussi d’autres démographes de l’Institut national d’études démographiques (INED), qui estiment, à partir de recoupements de chiffres d’interpellations, placements en centres de rétention, aides médicales d’État, déboutés du droit d’asile, etc., que l’immigration illégale représente 200 000 à 400 000 personnes. Jamais la France n’a compté autant d’immigrés sur son sol, réguliers comme irréguliers.

Face à cette crise, les sujets sont multiples : regroupement familial, asile, immigration, étranger condamné, et nous pourrions en débattre pendant des semaines. Mais, dans le rapport, j’ai souhaité insister sur le système de protection sociale des étrangers en France, l’aide médicale de l’État (AME), qui vise à assurer une couverture maladie aux personnes démunies qui résident en France en situation irrégulière en suivant une triple logique : humanitaire, c’est-à-dire donner accès aux soins des personnes fragiles ; de santé publique, afin d’éviter la propagation des maladies ; économique, pour prévenir les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l’urgence. Si nous sommes tous d’accord sur ces principes, au regard de la hausse soutenue des dépenses d’AME, nous ne pouvons que nous interroger fortement sur l’efficience d’un tel dispositif, puisqu’au 31 décembre 2018, plus de 300 000 personnes en étaient bénéficiaires, pour un montant de dépense de 848 millions. Mais nous savons que ce chiffre est bien évidemment dépassé.

Une évolution du dispositif apparaît donc plus que nécessaire. L’AME devrait être fortement encadrée et se limiter à une aide médicale d’urgence ne couvrant que les soins urgents et vitaux, à l’instar d’autres pays d’Europe. À défaut, la prise en charge de soins particulièrement coûteux devrait, a minima, être soumise à l’agrément préalable des caisses d’assurance maladie ou de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), mais on ne peut plus continuer le système tel qu’il est aujourd’hui présenté.

La restriction de l’AME permettrait donc à l’État d’économiser près d’un milliard d’euros par an, somme non négligeable à l’heure où le Gouvernement n’hésite pas à procéder à des coupes budgétaires sur les dépenses sanitaires ou les retraites et à l’heure où l’hôpital est au bord de l’explosion. Bien que le Président soit décidé à ne pas supprimer cette aide médicale de l’État – il a dit lui-même qu’une suppression serait ridicule –, il semble avoir pris conscience des excès qui y sont liés, puisqu’il compte réévaluer le panier de soins.

Malheureusement, là aussi, et je le déplore fortement, il n’existe aucun outil statistique permettant de connaître la répartition par nationalité, par âge et par maladie des bénéficiaires de l’AME. On ne peut donc obtenir des statistiques de santé publique dont on doit absolument disposer quand on travaille dans un domaine comme celui de la santé, surtout la santé des plus fragiles, c’est-à-dire les personnes en situation irrégulière. Cet interdit dogmatique nous empêche de suivre au mieux les populations du point de vue migratoire et épidémiologique. Cette opacité doit absolument cesser. Un tel outil n’a pas pour but de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées mais d’offrir des éléments statistiques pertinents. On ne saurait se priver de ces éléments statistiques. Là encore, la transparence doit être de mise.

Quant à la protection universelle maladie (PUMA), toute personne travaillant ou résidant en France de manière stable et régulière peut bénéficier de cette prise en charge sans jamais avoir cotisé. Les personnes éligibles à la PUMA bénéficient de la même prise en charge qu’une personne qui a cotisé toute sa vie ! C’est le cas des demandeurs d’asile, dès le moment où ils déposent une demande d’asile, pendant toute l’instruction de leur demande, et encore quand ils ont été déboutés du droit d’asile, comme 70 % d’entre eux, une année supplémentaire. En effet, la PUMA relève du droit commun. Or, quand vous avez bénéficié de la sécurité sociale, une année après la clôture de vos droits, vous avez encore droit à la sécurité sociale pendant une année. Les demandeurs d’asile sont éligibles à la PUMA, y compris lorsqu’ils sont déboutés, et comme personne n’en prévient la caisse d’assurance maladie, ils continuent à bénéficier de cette aide. Surtout, puisqu’ils relèvent du droit commun, ils ne sont pas identifiés en tant que demandeurs d’asile. Là encore, nous nous privons de données épidémiologiques, nous ne savons pas comment les personnes, pendant la durée d’instruction de leur dossier, bénéficient de soins : quels soins ? pour qui ? quand ? quel âge ?

Vous le savez, votre numéro de sécurité sociale est composé du sexe, de l’année de naissance et du département de naissance. Pour les bénéficiaires de la PUMA, c’est 99, c’est-à-dire « né à l’étranger », que vous soyez né à Hong Kong ou Singapour ou que vous soyez ressortissant d’un autre pays. Il en est de même pour les demandeurs d’asile. Si leur demande a abouti, il me paraît logique ils bénéficient du droit commun, mais il est d’autant plus aberrant qu’ils en bénéficient pendant la durée de l’instruction que 70 % d’entre eux sont déboutés. C’est une injustice sociale et un manque de transparence auquel il convient de mettre un terme, d’autant que la décision de l’OFPRA n’est pas communiquée aux caisses d’assurance maladie. On voit bien comment le droit asile est détourné.

Il existe un troisième dispositif, unique au monde en matière de santé, la procédure « étrangers malades », prise en charge par l’OFII, qui bénéfice actuellement à 300 000 personnes. À la suite d’un très grand nombre d’abus, des rapports parlementaires ont montré qu’il n’était plus possible de continuer dans de telles conditions. Vous trouverez dans le rapport des analyses détaillées à ce sujet. Aujourd’hui, ce dispositif semble maîtrisé par l’OFII, tant du point de vue sanitaire qu’humanitaire, mais il ne peut que renforcer l’attractivité de notre pays. Je salue les réformes récentes qui ont permis à ce dispositif d’être moins dévoyé. Le nombre de demandes est passé de 44 000 demandes en 2018 à 33 000 personnes aujourd’hui. Cette procédure « étrangers malades » s’ajoute à l’AME et à la PUMA.

Le panier de soins est essentiel pour lutter contre les filières organisées. Interrogeons-nous aussi sur l’usurpation d’identité, la fraude documentaire. Je souhaiterais aussi que les pays d’origine soient mieux accompagnés et que l’on exige la modernisation de leur état civil afin de lutter contre la fraude documentaire, notamment à l’identité. Le système actuel n’est plus fiable. Des pays de l’Union européenne ont beaucoup moins de difficultés que nous dans ce domaine. Ainsi, nous ne connaissons pas la part des personnes qui, après avoir été déboutées du droit d’asile, retournent à l’AME un an après leur couverture à la PUMA. Aucune statistique ne permet de connaître le parcours des personnes, alors que 95 % des déboutés restent en France.

Enfin, s’agissant des mineurs non accompagnés, selon le secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance, 12 000 jeunes ont été reconnus mineurs non accompagnés au cours du premier semestre de 2019, contre 10 500 pour la même période de 2018. La tendance est donc lourdement inquiétante. Ces jeunes sont majoritairement originaires du continent africain, en particulier de l’Afrique subsaharienne, pour 67 % d’entre eux. Ils sont à 95,5 % de sexe masculin.

En France, les MNA relèvent du droit commun de la protection l’enfance et de la compétence des conseils départementaux, qui ne sont plus en mesure de les accueillir correctement et de supporter leur accueil et leur protection. Le sujet est d’une extrême gravité, nos systèmes sont au bord de l’explosion. La faillite du dispositif entraîne des coûts exorbitants. Le montant de la prise en charge des MNA par les départements est estimé entre 30 000 et 40 000 euros par an et par personne, sans compter les frais de santé et les frais de scolarité. On constate une saturation des structures d’accueil dans les départements et un effet d’éviction vis-à-vis des autres mineurs protégés.

J’insiste également dans mon rapport sur l’épuisement des agents en charge de la protection de l’enfance et sur la situation des mineurs, qui méritent traditionnellement notre protection. Cette mise en concurrence n’est plus tenable. Le département des Bouches-du-Rhône, avec Marseille, est un des trois où le nombre de mineurs non accompagné a dépassé le chiffre de mille pour une année. Les étrangers non accompagnés représentent 25 % des mineurs pris charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Entre 2018 et 2019, le coût pour le département est passé de 26 à 37 millions, soit une augmentation de plus de 44 %. La prise en charge des MNA est extrêmement lourde.

Je ne vois pas pourquoi cette compétence est abandonnée aux départements. Vous l’avez dit, Madame la présidente, cela relève plutôt du domaine régalien. On peut d’autant moins maintenir cette situation qu’il existe des difficultés de coordination entre la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les départements et des problèmes d’application du droit. Plusieurs départements ont refusé le dispositif d’appui à l’évaluation de la minorité, le fameux fichier AEM, qui a pourtant fait ses preuves. Il n’est pas normal que sur des sujets aussi sensibles, la règle commune ne s’applique pas à l’ensemble du territoire. La réponse de l’État me paraît très insuffisante, en total décalage avec la réalité des difficultés auxquelles sont exposés les départements.

Au cours des auditions, j’ai eu connaissance de cas d’absence de mises à l’abri de personnes qui se déclaraient MNA et d’inexécutions de décisions judiciaires ordonnant le placement des MNA à l’issue de la phase d’évaluation, ce qui démontre bien la faillite du système, dont les premières victimes, j’y insiste, sont des mineurs en situation de grande fragilité. La problématique des MNA ne relève vraiment pas de la seule protection de l’enfance, c’est avant tout une question migratoire à part entière. Par conséquent, elle doit relever de la compétence et des moyens de l’État, à titre humanitaire. Je propose également que nous recherchions les parents des MNA présents en France. Il est incroyable que l’on n’entreprenne aucune démarche pour rechercher leurs parents. Sous prétexte qu’ils viennent d’Afrique, on accepte qu’ils soient abandonnés par leurs parents. Quand un mineur est seul et en dehors de son territoire, le premier devoir d’humanité, c’est de rechercher sa famille.

En conclusion, le budget de la mission Immigration, asile et intégration n’est pas à la hauteur des enjeux. J’insiste sur la baisse des crédits pour la lutte contre l’immigration irrégulière. Même si les crédits sont globalement en hausse, ils ne répondent pas au défi migratoire auquel la France est confrontée ni aux attentes légitimes de nos concitoyens en la matière. Au-delà des recommandations que vous trouverez dans le rapport, je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. Rousseau disait : « Il ny a point de bonheur sans courage ni de vertu sans combat. » Pour nous prononcer correctement, nous devrions être informés. Or, depuis des années, on nous propose de voter des budgets sous-estimés, on s’organise pour que nous ne disposions pas de comptabilité analytique. Compte tenu de la crise migratoire actuelle, cette situation n’est pas tenable et il est de notre devoir de parlementaires d’exiger des informations à la fois sur les coûts et sur les filières.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je donne la parole à Jean-Michel Clément, contributeur au nom du groupe Libertés et Territoires.

M. Jean-Michel Clément. Madame la présidente, avant d’en venir à mon propos, je vous informe que je viens d’apprendre que trente-neuf corps ont été découverts cette nuit au Royaume-Uni, dans un camion en provenance de Bulgarie. Autant dire que le sujet reste plus que d’actualité. Par ailleurs, je saisis l’occasion pour vous dire que j’ai beaucoup apprécié vos propos dans le débat sur l’immigration.

Les crédits de la mission Immigration, asile et intégration augmentent globalement de 162 millions, en hausse de 9,8 % par rapport au budget passé. L’évolution à la hausse de ces crédits est en partie le reflet de l’augmentation du nombre de personnes ayant obtenu l’asile dans notre pays.

Rappelons que pour élaborer la loi de finances pour 2019 et adapter aux évolutions du contexte migratoire les crédits de la mission relatifs à l’asile, le Gouvernement avait retenu une hypothèse faible d’augmentation de la demande : 10 % seulement en 2018 et 0 % en 2019 et 2020. En réalité, les chiffres ont été relativement différents. Il convient, en conséquence, que les moyens budgétaires suivent. La hausse du budget du programme « Asile et immigration », d’à peine plus de 100 millions, n’est dès lors pas satisfaisante, d’autant plus que l’expérience des précédents projets de loi de finances témoigne d’une sous-estimation chronique de la demande d’asile, comme si on ne voulait pas voir la réalité du monde en face.

D’aucuns prennent le prétexte de cette hausse du nombre des demandes d’asile pour renoncer à notre politique d’accueil en brouillant à dessein les différences entre migrants et réfugiés sans distinction des causes : immigration économique, contraintes sécuritaires ou, plus encore demain, contraintes climatiques. Rappelons que l’asile est avant tout une protection accordée à un individu, parce qu’il est susceptible d’être persécuté et qu’il va trouver refuge dans un autre État que le sien. Il ne s’agit pas d’éloigner des étrangers mais de les protéger.

Lorsqu’ils décident de quitter leur pays, les demandeurs d’asile souhaitent d’abord aller dans un pays limitrophe du leur, comme le prouvent les chiffres des migrations internationales observés depuis de nombreuses années par le laboratoire Migrinter, de l’université de Poitiers.

En réalité, la politique d’asile de la France est aujourd’hui devenue un instrument de sa politique migratoire. L’application systématique du règlement inique de Dublin en est un exemple flagrant, puisqu’il est utilisé par la puissance publique comme un déterminant essentiel pour maîtriser la dépense publique, notamment celle de l’allocation pour demandeur d’asile. Yannick Blanc, ancien directeur de la police générale à la préfecture de Paris, n’a-t-il pas déclaré que le tableau Excel l’emporte de loin sur le code ? En disant cela, il dénonce l’obsession permanente du chiffre, le fait que tout soit normé par la pression du chiffre. Ainsi, nous devrions infléchir certaines politiques publiques pour rendre la France moins attractive et réduire le nombre d’étrangers arrivant dans notre pays, quelle qu’en soit la cause. C’est là que le bât blesse, parce que la réalité est bien différente de celle à laquelle on veut nous laisser croire.

Au-delà de la simple hausse du nombre de demandeurs d’asile, il convient de regarder lucidement les choses. En 2018, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a recensé plus de 70 millions de personnes réfugiées, demandeuses d’asiles ou déplacées internes dans le monde. Par ailleurs, alors que l’Union européenne verse plusieurs milliards d’euros à la Turquie pour gérer les flux migratoires, plus de 300 000 déplacés sont à déplorer depuis le début de l’offensive de l’armée turque. De même, il est à déplorer que l’on sous-traite la traque aux migrants à des pays comme la Libye, dont on renforce les capacités des garde-côtes, alors que ceux-ci se livrent à des exactions documentées.

S’il est de nombreux domaines dans lesquels nous devons aider les pays confrontés aux crises humanitaires, le premier est le renforcement de notre aide au développement, pour le porter au niveau de nos voisins européens.

Et la France, dans tout cela ? Serions-nous face à une submersion qui nécessiterait d’ériger des murs au moyen de dispositifs plus contraignants encore ? Si la France est le deuxième pays européen d’accueil des demandeurs d’asile, derrière l’Allemagne et devant la Grèce, en rapportant le nombre de demandeurs d’asile au nombre d’habitants, la France ne se place qu’au onzième rang en Europe.

Derrière ces chiffres, le discours ambiant énonce à tous crins qu’il faudrait en même temps plus d’humanité et de fermeté. Dans les faits, cela signifie une instruction plus rapide des demandes d’asile et des enfants plus longtemps en centre de rétention administrative. Or, la France reste l’État membre de l’Union européenne qui enferme le plus en rétention, et les délais de rétention augmentent. Ainsi, en 2018, près de deux mille personnes ont été enfermées plus de quarante jours dans les centres de rétention, chiffre en augmentation de 20 à 30 % par rapport à 2016 et 2017. Cette politique exacerbe les tensions au quotidien. L’effet sur la santé, voire la sécurité des personnes se traduit par une recrudescence d’actes désespérés.

Le doublement, depuis le 1er janvier 2019, de la durée maximale de rétention, passée de 45 jours à 90 jours, oblige le Gouvernement à en améliorer les conditions. Ainsi le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse des dépenses d’investissement immobilier en la matière, de 20 millions en crédits de paiement. L’accroissement du nombre de places de centres de rétention administrative est fixé à 480. Des travaux sont également menés pour améliorer le cadre de vie au sein de ces centres, notamment à destination des familles. Vaste et beau projet !

Ces crédits me conduisent à faire deux observations.

D’une part, ils demeurent insuffisants au regard des conditions de vie dans les centres de rétention, le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont rendu des avis très critiques concernant l’enfermement des enfants et constaté de graves manquements dans la prise en charge sanitaire des personnes placées en rétention.

D’autre part, ces crédits pourraient être considérés comme suffisants si la politique du Gouvernement en faveur de l’enfermement quasi-systématique était revue. Bien souvent, cette politique viole les droits des personnes, et les juges administratifs et judiciaires prononcent des délibérations dont les taux atteignent des niveaux très élevés : 38 % en métropole et 25 % en outre-mer.

Rendre la France moins attractive passerait également par la restriction de l’accès à l’aide médicale d’État ou à la couverture de maladie universelle. Comment croire que cela puisse revenir à ériger un mur capable de dissuader les étrangers de venir en France ? Comme s’ils venaient pour cela ! Quand on sait que 36 % ont besoin de soins urgents, quelle image enverrions-nous ? Cette mesure serait d’ailleurs totalement contre-productive en termes budgétaires, puisque l’économie réalisée à court terme ne prendrait pas en compte les coûts générés par la propagation des infections contagieuses au sein de la population, qui pourraient se révéler bien plus élevés.

En nous emparant des sujets relatifs à la politique d’immigration, d’asile et d’intégration, loin de voguer sur les peurs de beaucoup de nos concitoyens peu ou mal informés, notamment de ceux qui rencontrent de sérieuses difficultés dans leur quotidien, il convient inlassablement de faire preuve d’humilité et de responsabilité. Il convient d’insister sur la nécessité de ne pas céder à la hiérarchisation des douleurs humaines. En cela, les efforts budgétaires doivent se montrer à la hauteur des défis imposés, ce qui n’est pas suffisamment le cas de cette mission budgétaire relative à l’immigration, à l’asile et à l’intégration. C’est pourquoi notre groupe considère que cette politique migratoire n’est pas la bonne. Les crédits qui en sont le reflet ne sont pas suffisants et nous voterons contre.

Mme Marion Lenne. Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement et le groupe La République en Marche regardent en face la politique migratoire avec l’engagement de faire évoluer le cadre européen, ou encore, à travers la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, promulguée en septembre 2018.

Plus récemment, lors de la déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, de nouvelles orientations ont été présentées par le Premier ministre. Les objectifs poursuivis sont clairs. Tout d’abord, sur l’asile, dans le prolongement du plan d’action pour garantir le droit d’asile et mieux maîtriser les flux migratoires, nous continuerons d’agir en 2020 pour redonner sa pleine portée au droit d’asile, en simplifiant et en accélérant le traitement des demandes d’asile, en assurant l’efficacité du dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile et en sécurisant le droit au séjour pour les personnes en besoin de protection.

Madame le rapporteure, vous parlez de détournement de la demande d’asile ou des abus du système de soins. Vous venez de mentionner la nécessité d’encadrer l’aide médicale de l’État. L’enjeu est avant tout de faire converger au niveau européen les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Nous poursuivrons également nos efforts pour les éloignements contraints et pour les moyens d’action de lutte contre l’immigration irrégulière. Le Président de la République l’a rappelé hier, à Mayotte.

Enfin, concernant les conditions d’intégration et d’accueil des étrangers en situation régulière, autrement dit l’immigration économique, nous envisageons de réviser la liste des métiers en tension établie en 2008 et jamais réactualisée, sachant qu’aujourd’hui, seulement 15 % des métiers de cette liste sont encore en tension. Nous souhaitons aussi simplifier les procédures d’accès au marché de l’emploi afin de lutter contre le travail illégal et durcir les conditions d’accès à la nationalité française.

Notre majorité s’est engagée à faire plus et mieux en matière d’intégration et à renforcer la prise en compte des compétences rares et des talents. Nous menons actuellement une politique d’intégration ambitieuse, avec 100 000 contrats d’intégration républicaine signés chaque année et des formations linguistiques et civiques renforcées.

Merci, Madame la rapporteure, pour ce rapport fourni et détaillé, toutefois très alarmiste. Vous venez encore de nous en faire la démonstration. Vous parlez de problématique migratoire, ce qui sous-entend que le migrant est un problème ou que les flux migratoires nécessitent une vigilance de tout instant ou restent préoccupants. Or, comme nous l’a rappelé en commission Bertrand Badie, professeur à Sciences Po, le migrant est l’avenir du monde. Ce principe doit être intégré dans le nouveau logiciel des relations internationales. Ce qu’il faut résoudre avant tout, c’est la clandestinité en gouvernant les migrations dans le respect des pays de départ, d’arrivée et des migrants eux-mêmes. Là-dessus, nous sommes d’accord.

Notre majorité s’attelle à maîtriser les flux migratoires tout en souhaitant bien accueillir les réfugiés et migrants réguliers. Ces engagements se concrétisent dans le projet de loi de finances pour 2020, avec une augmentation globale des crédits de la mission. Le groupe La République en Marche donnera donc un avis favorable aux crédits de la mission Immigration, asile et intégration, afin d’assurer une gestion de l’immigration en France plus humaine et efficace, comme s’y est engagé notre Président, le 25 septembre, à New York.

Mme Bérengère Poletti. Madame la présidente, j’ai également apprécié vos propos dans le débat sur l’immigration, comme j’ai apprécié l’exposé de Valérie Boyer. Je considère que nous sommes face à un sujet tabou depuis de nombreuses années. Cela ne date même pas du mandat précédent...

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Depuis Georges Marchais !

Mme Bérengère Poletti. … puisque cela fait des dizaines d’années qu’on se voile la face.

Il faut définir des stratégies en matière d’immigration légale et illégale, en ce qui concerne l’AME, les MNA, la demande d’asile, sujets qui doivent être approfondis et réfléchis. Or Valérie Boyer a raison de dire que nous n’avons pas connaissance des éléments réels nous permettant de juger de ce que la France peut décider de faire. Il y a pourtant urgence au regard des enjeux auxquels nous-mêmes mais aussi l’Europe et les pays développés sont confrontés. Dans les pays en développement, l’explosion démographique, le danger climatique et écologique, les conflits armés à venir font de l’immigration un sujet majeur pour les dix ans qui viennent. Renoncer à faire les analyses nécessaires traduirait un terrible manque de courage. Certes, on peut avoir un débat sur les stratégies à définir, mais comment ne pas s’accorder sur l’exigence de notre commission à obtenir les chiffres et les analyses nécessaires ? Il est temps de regarder les choses en face et de définir ce que veut faire la France dans ce domaine.

Les MNA relèvent de la compétence nationale. Dans mon département des Ardennes, il s’agit uniquement de garçons âgés de seize à dix-sept ans. On n’a pas fait l’effort de comprendre le phénomène. La prise de leur prise en charge, notamment par le département des Ardennes, s’élève à plusieurs millions d’euros, et il lui est très difficile d’assumer cette compétence.

Quelles sont les propositions précises de Valérie Boyer au sujet des MNA ? Comment les coûts sont-ils évalués ? Quel serait le coût global si cette compétence devait être reprise au niveau national ?

Bien entendu, notre groupe suivra l’avis défavorable de Valérie Boyer.

M. Michel Fanget. Nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission Immigration, droit dasile et intégration du projet de loi de finances pour 2020. La rapporteure, Valérie Boyer, a fourni un travail très fouillé et nous la remercions pour les précisions fort utiles qu’elle a apportées, notamment pour l’accueil des mineurs vulnérables. Notre assemblée a eu récemment l’occasion de débattre au fond du sujet qui nous occupe aujourd’hui, et notre groupe, au travers de l’implication personnelle de notre présidente, a rappelé que la solution ne pouvait passer que par une redéfinition de la politique d’immigration dans son ensemble.

Nous faisons tous le constat de l’inefficacité de la politique de reconduite à la frontière, de notre incapacité à faire appliquer les lois que nous votons et de notre manque d’anticipation des phénomènes migratoires, dont nous savons qu’ils vont s’amplifier dans les années à venir. Nous accorder sur ce constat, c’est nous donner également les moyens d’y répondre. C’est pourquoi nous saluons la hausse globale du budget de la mission, même si elle recouvre de fortes disparités entre les différents programmes.

Dans vos propositions, nous vous savons gré, Madame la rapporteure, de traiter de sujets variés qui montrent bien que l’approche doit être globale. Si nous ne partageons pas l’ensemble de ces recommandations, il convient cependant de s’interroger sur l’ambition d’une politique migratoire que nous attendons toujours. Elle concerne bien entendu le ministère de l’intérieur, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère des solidarités et de la santé, mais elle doit aussi concerner le ministère de la culture et de l’éducation nationale.

Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en discuter prochainement à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur l’aide publique au développement. Comme cela a déjà été avancé plusieurs fois, et vous faites une recommandation en ce sens, beaucoup souhaiteraient faire de cette aide un levier de lutte contre l’immigration. Il faut regarder cette proposition avec prudence, car elle risquerait de créer de la confusion en laissant croire à nos concitoyens à une solution du problème migratoire, alors que nous savons bien qu’il est plus complexe et qu’elle nous empêcherait de nous interroger sur les adaptations à prévoir dans notre disposition d’accueil.

Madame la rapporteure, je souhaiterais connaître votre avis sur la concordance entre l’aide publique au développement et la lutte contre l’immigration illégale, ainsi que sur la nécessité ou non de prévoir la création d’un visa de migration circulaire qui permettrait des allers et retours entre pays d’origine et pays d’accueil, pour le travail, par exemple.

Mme Laurence Dumont. Dans le rapport de Mme Boyer, je ne peux que regretter l’étude partielle et partiale du sujet et un mélange odieux de l’immigration régulière, de l’immigration irrégulière et de l’asile. Faut-il ici, en commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, comme l’a dit Jean-Michel Clément, faire le distinguo entre un migrant et un réfugié ? L’asile ne peut pas être une variable d’ajustement de la politique migratoire en France. Cela ne répond qu’à nos engagements internationaux de la convention de Genève.

Le rapport traite de sujets importants mais essentiellement sous l’angle financier, qu’il s’agisse des flux, de la santé ou des mineurs isolés étrangers. Je partage certains constats, tels que la non-sincérité du budget de l’asile, la nécessité de revoir le dispositif d’accueil des MNA, qui ne peut être laissé à la responsabilité des départements et souffrir d’une grande différence de traitement selon territoires, et la nécessité de revoir le règlement de Dublin, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que notre rapporteure. En revanche, je déplore le traitement fait de l’étranger malade, toujours considéré comme un imposteur ; je déplore le discours tenu sur un afflux plus massif en France qu’ailleurs, alors que les chiffres démontrent notre accueil bien timoré ; je déplore la proposition de fixation de quotas, qui méconnaîtrait les conventions internationales qui nous lient et la dignité des personnes ; je déplore l’orientation souhaitée de l’aide publique au développement, c’est-à-dire un tarissement des flux par des mesures sécuritaires et non des actions sur les causes de l’immigration, sujet dont nous discuterons la semaine prochaine. Je déplore aussi la proposition visant rétablir le délit de séjour irrégulier, dont l’abrogation découle, je le rappelle, de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour de cassation. Je déplore enfin l’absence totale de prise en compte de la situation des étrangers actuellement en situation régulière sur notre territoire, qui par l’action des services de l’État et des délais de traitement, se retrouvent en situation irrégulière.

J’en arrive au projet de budget. On ne peut que regretter qu’il soit fondé sur l’hypothèse d’une stabilisation de la demande d’asile et d’une baisse de 10 % du nombre de demandeurs placés sous procédure Dublin, hypothèse qui avait déjà sous-tendu le budget pour 2019 et qui a rapidement été dépassée. La sous-estimation systématique des montants dédiés à l’allocation aux demandeurs d’asile ne permet pas l’établissement sincère du budget, puisque 444 millions d’euros y sont aujourd’hui dédiés, soit une hausse de 32 % par rapport à la loi de finances initiale.

Concernant l’immigration, le projet de budget ne pointe pas les moyens dédiés à l’accueil et au traitement de la situation des étrangers en situation régulière et irrégulière sur le territoire français par les préfectures. Il serait nécessaire d’étudier le programme 354 Administration territoriale de lÉtat, qui prévoit les moyens des préfectures en matière de délivrance des titres. Pour 2020, le budget qu’il est prévu d’allouer à ce programme est en baisse de plus de 16 % et de 471 équivalents temps plein. Les associations d’accompagnement des étrangers ont récemment manifesté pour dénoncer les conditions d’accueil et de traitement de ces dossiers. En effet, aujourd’hui, en France, des personnes en situation régulière ayant un emploi et un logement se retrouvent précarisées et sans papiers, uniquement en raison des délais de traitement de leur dossier par les préfectures. Je ne compte plus dans ma circonscription, et je ne dois pas être la seule, le nombre de personnes dont la situation bascule uniquement en raison de ces délais de traitement, ce qui est absolument inacceptable.

En résumé, nous donnerons un avis défavorable aux crédits de cette mission.

Mme Frédérique Dumas. Je voudrais compléter la contribution de mon collègue et resituer le sujet dans son contexte au travers de ses crédits, comme l’on fait des orateurs précédents.

Nous déplorons la conséquence de décisions prises par ailleurs, en dehors de cette mission. En matière d’immigration, il existe un véritable problème de gouvernance de l’aide publique au développement. Pourtant de nouveaux modèles permettraient de mettre en place des écosystèmes vertueux à partir des pays de départ et de transit, qui tiennent compte de l’ensemble des problématiques que sont le développement de l’emploi, la prise en compte de la condition de la femme ou la nécessité du développement durable. Ce chantier qui devrait être une priorité est sans cesse décalé.

D’autres collègues ont noté les limites de la délégation de la gestion de la gouvernance de l’immigration à d’autres pays. C’est une des raisons qui nous empêche d’intervenir dans le nord-est syrien.

Par ailleurs, en commission des affaires européennes, nous avons adopté une proposition de résolution visant à protéger, à renforcer le droit d’asile et à en faire une politique parallèle à la politique d’immigration pour éviter des amalgames, même si j’ai indiqué qu’une manière de résoudre en partie les problèmes serait de s’attaquer à ce qui se passe notamment en Afrique.

M. Jean-Paul Lecoq. Valérie Boyer a commencé son rapport par une citation de Georges Marchais. Si les citations sorties de leur contexte sont souvent destinées à la manipulation, ce n’était pas le cas. Georges Marchais ajoutait toutefois que l’immigration pouvait être un sujet pour l’avenir de la France, parce que certains en profitaient, les travailleurs migrants permettant à certains de s’enrichir. Il disait que leurs conditions de vie étaient indignes de la société française, puisqu’à l’époque, il existait des camps de travailleurs migrants pour accueillir des gens ayant un emploi et exploités.

Mme Bérengère Poletti. Il y en a encore !

M. Jean-Paul Lecoq. Il ajoutait que la Françafrique favorisait l’immigration, puisque notre pays exploitait les richesses des pays africains sans leur permettre de se développer et de subvenir par eux-mêmes aux besoins de leur population. Dites-vous que depuis cette époque, rien n’a changé.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Cela s’est même aggravé !

M. Jean-Paul Lecoq. Je vous l’accorde, avec les guerres que nous avons suscitées. J’exclus de ce « nous » les communistes, dont le groupe a voté contre l’entrée en guerre en Libye.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il n’a pas été le seul !

M. Jean-Paul Lecoq. Si, le seul groupe !

Cette guerre contre la Libye, que vous avez soutenue, Madame la rapporteure, a eu pour conséquence l’instabilité que nous connaissons aujourd’hui. Je le dis avec tristesse, mais peut-être que les jeunes filles qui ont fui les guerres ou les dictatures au sud du Sahara n’ont pas franchi la Méditerranée parce qu’elles sont passées par la Libye où elles connaissent une existence que nul ne saurait accepter. Notre pays devrait s’en inquiéter, pour les sortir des griffes entre lesquelles elles sont tombées. Il est très bien d’avoir posé la question des jeunes filles.

Notre pays continue à soutenir des régimes qui favorisent l’immigration. Je pense au Tchad, avec Déby, au Cameroun, à la Côte d’Ivoire, avec Ouattara, à Djibouti avec Omar Guelleh, au Ghana, au Congo, au Maroc et aux Comores, où se trouve actuellement le Président de la République. Le soutien de notre pays à ces « démocraties » ne favorise pas les choses.

Je partage le point de vue de ceux qui estiment que notre pays n’est pas à la hauteur pour le régime des réfugiés et de vie en attente. Je ne développerai pas les crédits pour l’accueil des mineurs non accompagnés. Le manque de moyens est une des raisons du mouvement social actuel à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

J’ai eu le plaisir d’entendre un représentant de La République en Marche citer Bertrand Badie, qui est venu nous apporter des explications. Or, curieusement, quand nous traitions de l’immigration dans la commission, ceux qui affichent les positions les plus fermes sur ces questions n’étaient pas présents, alors qu’à la tribune d’aucuns avaient expliqué que ce n’était pas aussi dramatique qu’on voulait bien le dire dans certains discours.

J’évoquerai enfin brièvement l’aide médicale. Je suis député d’un port, et quand des marchandises entrent dans un port, les services vétérinaires commencent par vérifier qu’elles n’apportent pas de maladies. L’aide médiale pour les migrants vise aussi à faire en sorte que leur santé soit la meilleure possible. Il est notre responsabilité de financer cette action. Notre sécurité se profile derrière l’aide médicale, il faut la considérer comme étant salutaire pour les Français eux-mêmes.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Merci pour ce rapport excellent, qui montre le déni de réalité qui s’est emparé des décideurs politiques et de l’appareil d’État depuis des années. On n’est même pas capable de nous fournir les vrais chiffres, parce qu’il ne faut pas les connaître, le sujet est tabou.

Il n’y a pas d’argent pour les infirmières, il n’y a pas d’argent pour les retraités, il n’y a pas d’argent pour les pompiers, il n’y a pas d’argent pour les étudiants et l’aide personnalisée au logement (APL), il n’y a pas d’argent pour ceux qui travaillent, qui ont cotisé, mais il y a de l’argent, bien sûr, pour les migrants, pour l’aide médicale, pour le détournement du droit d’asile, pour subventionner l’immigration. Nous sommes un des rares pays d’Europe qui subventionne l’immigration, alors que des pays voisins, qui ne sont pas des États dangereux, comme le Danemark et l’Allemagne, ont pris des mesures que la majorité se refuse même à imaginer.

Je me réjouis que le Président de la République, qui était dans le déni de réalité, commence à ouvrir les yeux, parce que les faits sont implacables et tragiques dans notre pays. Je me réjouis aussi que Mme Boyer et le groupe Les Républicains passent des paroles aux actes.

Je leur propose de signer le projet de référendum d’initiative partagée que j’avais envoyé avec le sénateur Masson à tous les parlementaires. Celui-ci proposait cinq mesures précises : premièrement, rétablir le contrôle de nos frontières, car si on ne contrôle pas nos frontières, on ne peut pas savoir qui entre ; deuxièmement, mettre en place des quotas par profession et nationalité pour les besoins du pays ; troisièmement, supprimer toute aide sociale pendant cinq ans tant qu’il n’y a pas de cotisation, car ceux qui cotisent ont le droit de recevoir mais pas ceux qui viennent dans notre pays pour profiter des aides sociales. Tout le monde connaît l’appel d’air social. Je rappelle que Mme Merkel l’a fait dans certaines conditions en Allemagne. Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant pour nos concitoyens de savoir que lorsqu’on travaille, on a le droit de les percevoir, mais lorsqu’on ne travaille pas, on ne peut pas vivre au crochet de la société. Ce projet de référendum d’initiative partagée proposait, quatrièmement, de revoir les règles du regroupement familial et du droit du sol, ce qui s’est fait dans beaucoup de pays européens. Le droit du sol n’existe pas en Italie, le Danemark a revu les règles du regroupement familial. Il proposait, enfin, une mesure en vigueur dans la plupart des pays du monde, l’expulsion des délinquants étrangers au terme de leur peine. Je ne vois pas pourquoi nos prisons sont pleines de délinquants étrangers qui ont été condamnés quarante fois, alors même que la plupart des pays du monde le font. (Protestations de plusieurs commissaires du groupe La République en Marche.) Je vois aux réactions de certains membres de la majorité qu’ils ne sont pas prêts à suivre votre Président de la République dans la révolution idéologique qu’il semble proposer. Malheureusement, il n’en aura pas les moyens !

Mme Aina Kuric. Il est toujours intéressant d’aborder ce sujet, mais je constate qu’au stade de l’avis sur les crédits, le débat se porte sur des choix politiques et idéologiques.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est le principe d’une commission !

Mme Aina Kuric. Les crédits sont-ils ou non satisfaisants, sont-ils suffisants ou insuffisants ? À titre personnel, je les voterai, car c’est toujours mieux que zéro, même s’ils ne sont pas encore à la hauteur de nos objectifs en termes d’efficacité. Au-delà de l’effet d’humanité et de fermeté, l’efficacité de nos politiques publiques et la volonté de changer de paradigme importent principalement. En tout cas, ce n’est pas en allant dans le sens des recommandations de Mme la rapporteure que nous en changerons.

En France, on ne constate pas une baisse du nombre de demandes d’asile comme c’est le cas en Allemagne. Mais nous ne saurions nous comparer à ce pays en valeur absolue, compte tenu du nombre de personnes enregistrées sur son territoire.

Cette hausse du budget doit s’accompagner d’une nouvelle approche. Il est inutile de susciter de l’inquiétude parmi les personnes qui nous écoutent ou parmi nos concitoyens au sujet de l’AME, qui représente un enjeu de santé publique. On évoque un tourisme de la santé, alors que le panier de soin est bien plus réduit pour leurs bénéficiaires que pour ceux bénéficiant d’une sécurité sociale.

Quant à la PUMA, je ne vois pas la pertinence de la comparaison avec le chiffre de référence 99 dans le numéro de sécurité sociale, puisqu’il désigne des personnes nées à l’étranger mais aussi des personnes aujourd’hui françaises et nées à l’étranger.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est bien le problème !

Mme Aina Kuric. On n’a jamais compté autant d’immigrés en France, et cela crée la confusion entre les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes qui ne représentent pas du tout les mêmes publics.

Le droit du sol a déjà un peu disparu, puisqu’il a été restreint au fil des années. Aujourd’hui, l’acquisition de la nationalité française par déclaration est déjà très restreinte sur le sol français.

M. Jérôme Lambert. Mes chers collègues, à mon sens, le problème est moins l’immigration que les conditions dans lesquelles elle s’opère et l’intégration de ces populations dans notre pays.

Bien entendu, il convient d’évoquer avant tout toute notre politique d’aide au développement, qui pose un problème.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Tout à fait !

M. Jérôme Lambert. Ces personnes viennent chez nous à cause de problèmes ou de drames survenus dans le pays dont ils sont originaires. Notre souci, est de faire en sorte que chacun soit bien chez soi. Grand pays pratiquant une politique étrangère dans le cadre des institutions, nous devons nous soucier de notre environnement, sur le plan général et sur le plan humain.

Je le répète, pour moi, l’immigration en soi n’est pas un problème. Si elle ne s’opérait pas historiquement depuis toujours dans notre pays, une grande partie d’entre nous ayant dans sa lignée un ancêtre immigré ne seraient pas là. Si la France est historiquement une terre de migration, elle doit sérieusement se poser la question de l’intégration de ces êtres humains dans la société française d’aujourd’hui. Le chômage, les grandes difficultés du service public, l’éducation, la santé, les services administratifs dont on évoquait tout à l’heure les difficultés d’accès, ajoutent non seulement aux difficultés de tous les Français, mais aussi et surtout à celles des Français les plus fragiles et des étrangers en situation d’extrême difficulté. Nous devons y faire face et apporter des réponses.

Je tiens à témoigner que la Charente est une terre d’accueil, non seulement de citoyens anglais ou européens, mais aussi de Maliens, Yéménites, Afghans et Syriens qui sont reçus en grand nombre dans nos petites communes, au bénéfice de tous. Je tiens à vous le dire, à remercier les élus, les associations et les citoyens, qui ouvrent les portes et les cœurs et ont toujours des réponses pour nos frères immigrés.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je trouve le rapport de Mme Boyer techniquement intéressant, en particulier le volet dans lequel elle dénonce les insuffisances du contrôle administratif, statistique, comptable et financier. Nous n’avons pas les outils juridiques, statistiques, intellectuels qui nous permettraient de proposer une politique pleinement satisfaisante. Mais au-delà, je suis profondément choqué par le ton de son rapport et de certaines interventions.

On ne peut pas aborder la question de l’immigration avec ce ton méprisant à l’égard du sort de personnes de courage, de souffrance, qu’on traite comme des imposteurs ou des profiteurs, des victimes qu’on traite en coupables, des pauvres hères qui cherchent souvent à sauvegarder leur vie et qu’on traite comme des délinquants. Où est le Bon Samaritain ? On ne doit pas adopter ce ton, notamment dans cette commission tournée vers l’étranger, vers les relations internationales. On ne peut pas parler de millions de gens qui sont dans cette situation avec ce ton condescendant et arrogant !

Compte tenu des problèmes que nous nous posons, le point de vue du rapport est trop étroit. L’approche du rapport de notre présidente était beaucoup plus large. Les problèmes sont d’ordre géopolitique. La question des migrations se pose totalement différemment d’il y a quarante ans. Il faut prendre cette affaire en main, à bras-le-corps avec d’autres pays, avec les Européens, avec le reste du monde et ne pas s’enfermer dans une vision comptable étriquée. Vous avez raison, nous avons besoin de statistiques et d’outils de connaissance meilleurs mais, que diable, abordons cette affaire avec générosité, avec intelligence et avec le souci de l’ouverture et de la prospective sur le monde de demain !

Mme Isabelle Rauch. Difficile de passer après mon collègue Jean-Louis Bourlanges dont je partage tous les mots. J’ai souhaité prendre la parole ce matin pour exprimer mon opposition à ce rapport dont je n’approuve pas le ton. Il faut remettre de l’humanité et de la conscience politique dans le traitement du sujet et s’extraire des fantasmes et des clichés. Je le répète, je souscris entièrement aux propos de mon collègue Jean-Louis Bourlanges qui a très bien exprimé ce que je ressens. Je voterai pour les crédits, mais si nous pouvions voter contre le rapport, je le ferais volontiers.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Il s’agit d’un rapport budgétaire et non d’un rapport de mission d’information. De fait, les dysfonctionnements que je dénonce créent de l’inhumanité. Personne ne se réjouit que les MNA soient maltraités, personne ne se réjouit de voir des gens dormir porte de la Chapelle, personne ne se réjouit de voir des départements ou des villes qui souffrent, comme la Seine-Saint-Denis et Marseille. Personne ne se réjouit de voir des gens mourir en mer parce qu’on leur fait de fausses promesses. Que valent les leçons d’humanité quand on est confortablement assis dans son fauteuil, quand on n’habite pas des zones difficiles et quand on n’est pas confronté à cette souffrance quotidienne ?

Monsieur Bourlanges et vos collègues qui vous ont chaleureusement applaudi, parce que vous êtes de bons Samaritains et moi une méchante, je vous invite à aller porte de la Chapelle pour voir si les personnes ne souffrent pas, celles qui dorment sur les trottoirs comme celles qui habitent le quartier. Je vous invite à aller voir les conditions dans lesquelles sont accueillis les mineurs non accompagnés par les services de l’ASE, les conditions dans lesquelles les enfants les plus vulnérables sont confrontés à des jeunes adultes qui ont vu le pire. Ce qui se passe dans les foyers de l’ASE est lamentable.

L’organisation de notre impuissance en rendant les statistiques indisponibles nous empêche d’avoir un débat. Preuve en est qu’à chaque fois qu’on parle de ces questions, il y a, d’un côté, les gentils, et, de l’autre côté, les méchants. Depuis l’apparition, dans les années 1970, du système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus (SAFARI), notre pays est traumatisé par les statistiques. Tous les interlocuteurs ont dit qu’on nous empêchait d’avoir accès aux informations. En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette impuissance. Je m’y refuse aujourd’hui.

J’ai été interrogée sur la délivrance des laissez-passer consulaires. Les taux d’éloignement, tout confondu, restent faibles, à peine un sur deux. S’il y a des souffrances dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), c’est parce que les pays d’origine ne veulent pas reprendre leurs ressortissants. Dans le rapport, je m’interroge sur nos relations avec les pays d’origine. Comment imaginer qu’un pays comme le Mali refuse ses ressortissants !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est incroyable !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Nous avons des soldats qui meurent pour assurer la paix au Mali et ce pays refuse ses ressortissants !

Mme Isabelle Rauch. Cela s’est amélioré !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Cela s’est amélioré, mais ce n’est même pas un sur deux. Je vous invite à consulter les tableaux indiquant avec précision les taux de retour.

Vous avez évoqué Mayotte où le Président de la République est actuellement en déplacement. Je ne citerai que quelques chiffres. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), malgré une sous-estimation notoire, 64 % des naissances à Mayotte sont de mères étrangères, 48 % de la population officielle est étrangère. Les demandes d’asile ont augmenté de plus de 110 % entre 2018 et 2017. Pourtant, 30 % de l’habitat ne possèdent pas d’eau courante et 40 % ne possèdent même pas de toilettes, et 40 % de l’habitat est composé d’habitats en tôle, situation en augmentation de 30 % en cinq ans. Plus de 60 % des enfants scolarisés sont de parents étrangers. Il y a des enfants abandonnés sans parents dans les rues de Mayotte. L’insécurité est grande. Le système hospitalier est devenu un immense service d’urgences, sous-tendu par des urgentistes métropolitains. L’absence d’AME à Mayotte a permis de sous-estimer l’AME nationale d’environ 100 millions d’euros et le nombre de bénéficiaires de 100 000 personnes. La situation est identique à Maripasoula, en Guyane.

Il faut être réaliste. Quand le Président de la République propose d’expulser les clandestins, il n’en expulserait qu’un tiers, bien loin des besoins de Mayotte, ce territoire au bord de l’explosion sur tous les plans. Il est franchement lamentable que nous en soyons là aujourd’hui.

Quant à la maîtrise des flux migratoires, elle nécessite une volonté politique.

Madame Lenne, le délai moyen de transfert d’un dossier de l’OFPRA est de cent cinquante jours, soit quatre mois et vingt-huit jours. Après une amélioration, en 2017, des délais de demandes d’étude, on constate une nouvelle dégradation. Vous trouverez à la page 33 du rapport des précisions sur une augmentation de plus d’un mois et demi, compte tenu du dévoiement de la procédure d’asile. Je souscris à ce qu’a dit la présidente. Je suis pour cette procédure, mais son dévoiement pose un problème, notamment aux personnes qui ont réellement besoin d’être accueillies, comme notre pays l’a toujours fait. On ne peut pas continuer à dévoyer l’asile. J’ai cité les nationalités qui demandent le plus l’asile.

Madame Dumas, vous avez parlé de la Turquie. C’est scandaleux, on ne peut pas dire que je ne me suis pas insurgée contre ce qui se passe. Vous trouverez le détail à la page 25 de mon rapport. La semaine dernière, on déplorait un coût de 1 500 euros pour un réfugié en Turquie et 600 euros au Liban, ce qui est lamentable. C’est surtout céder à la diplomatie de la menace de M. Erdogan qui ne se prive pas de nous menacer constamment. Au moment où cela s’est produit, j’ai déploré ce que Mme Merkel a fait dans notre dos, en nous mettant devant le fait accompli.

Monsieur Fanget, les visas circulaires sont une piste à explorer, mais il faudrait absolument, et c’est très loin d’être le cas, sécuriser les documents d’identité. Il y a aujourd’hui une fraude massive à l’identité, parfois d’État. Certains pays la pratiquent, soit parce qu’ils n’ont pas un état civil stabilisé, soit par façon d’être. Comme cela est détaillé dans le rapport, nous avons dépensé des sommes extrêmement importantes dans le cadre de l’aide au développement pour aider ces pays à stabiliser leur état civil. C’est très loin d’être aujourd’hui le cas. De surcroît, nous ne faisons pas le lien entre des documents stabilisés et une carte de santé pour l’accès aux soins. Or il est impératif d’établir un lien entre une identité vérifiée et l’accès aux soins, notamment pour des personnes en procédure de demande d’asile. On ne peut pas continuer à voir notre système nous échapper. Lutter contre la fraude à l’identité est d’une urgence absolue.

Monsieur Lecoq, à plusieurs reprises dans cette commission et ailleurs, j’ai déploré l’uberisation de notre société. Par exemple, je suis choquée que l’Assemblée nationale autorise le remboursement de nos frais de transport par Uber. C’est scandaleux.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

Mme Valérie Boyer. On est à la limite de l’esclavage. Je ne comprends pas comment une personne en situation irrégulière peut travailler dans des conditions proches de l’esclavage et se prévaloir de ce travail pour dire qu’elle est depuis trois mois en France. Vous avez tous lu des articles sur des sociétés comme Uber qui emploient des gens pour la moitié du tarif et dans des conditions lamentables. J’y suis totalement opposée. Notre système non seulement le permet mais le suscite. Il faut donc être cohérent, j’essaie de l’être, et c’est de l’humanité.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est la vraie humanité !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Monsieur Lecoq, je vous invite à vous reporter à la page 37 du rapport. L’AME vise un triple objectif – humanitaire, de santé publique et économique –, auquel je souscris. Je propose une harmonisation européenne et la création d’une aide médicale d’urgence qui prenne en compte le panier de soins d’urgences et pas au-delà.

Mes chers collègues, et cela est détaillé dans le rapport, nous sommes confrontés à des demandes relevant du médico-social mais aussi à des maladies chroniques, au premier rang desquelles, le diabète, première maladie dans le monde. Il n’est pas possible que la France puisse soigner gratuitement, dans ces conditions, des maladies chroniques. Des pays développés comme l’Espagne ou l’Allemagne ne les prennent pas en compte. Si nous avons autant de différence en termes de flux migratoire avec les autres pays européens, c’est évidemment pour des raisons de santé et d’hébergements sociaux. Les aides délivrées sont détaillées à la page 22 du rapport. Les aides pour relocalisation en Afrique peuvent atteindre 6 000 euros pour quelqu’un créant une entreprise ou un petit boulot, contre 600 à 1 500 euros pour des pays sans visa. Je vous invite à prendre connaissance de la générosité française. Il est impératif que nous ayons plus d’information et que cela soit mieux réglé.

Sachez, mes chers collègues qu’une personne bénéficiant d’une aide au retour en France peut très bien la faire valoir dans un autre pays de l’Union, car le système est totalement poreux. Comment, dans l’espace Schengen, peut-il exister de telles différences de taux de protection, par exemple pour l’Afghanistan entre la France et l’Allemagne ? Une personne qui demande une aide au retour en France peut très bien la demander au Danemark ou en Allemagne, où elles sont beaucoup plus nombreuses que les expulsions. Il existe une sorte de business, soutenu par des réseaux de trafic d’êtres humains. J’ai pu obtenir des informations, malheureusement pas énormément, sur le nombre élevé de démantèlements de filières liées aux migrations.

Madame Kuric, concernant les personnes incarcérées, je le répète, nous manquons d’informations. Le ministère de l’Intérieur ne nous a pas répondu. Le seul chiffre dont nous disposons est celui de 3 755 éloignements. À la page 33 sont détaillées les conditions requises pour ne plus faire bénéficier les personnes du statut de réfugié. L’année dernière, seules 194 personnes se sont vues refuser le statut de réfugié. Je ne comprends pas qu’en France, une personne qui s’est livrée à des actes délictueux puisse conserver le statut de réfugié. Pour être allée à Malte, je peux vous dire que ces questions-là ne sont même pas abordées. Or l’actualité a montré que le statut de personnes ayant commis des assassinats était toujours en cours d’examen. Je me souviens d’une affaire qui m’avait particulièrement choqué. Dans le sud-ouest de la France, un demandeur d’asile syrien connu pour violences conjugales, qui avait violé et assassiné une jeune femme, continuait à bénéficier de la protection française et de l’examen de son dossier. Sur ces questions-là non plus, on ne peut plus continuer de cette façon. Il est indispensable que le ministère de l’Intérieur nous communique les informations qui nous sont nécessaires.

Enfin, pour en revenir aux questions de santé que j’ai essayé d’explorer dans le rapport, il est incroyable qu’aujourd’hui, on ne sache pas combien de temps une personne bénéficie de l’AME, son âge et sa nationalité. On ne sait pas comment on passe du statut de débouté du droit d’asile, c’est-à-dire de la PUMA, à l’AME. On ne connaît pas les gens. On ne peut pas les suivre sur le plan épidémiologique. Cela n’est pas tenable. Il est impératif que nous nous organisions pour connaître ces éléments afin de prendre les bonnes mesures. De la même manière, il n’est pas normal de ne pas connaître les décisions de l’OFPRA. Pour quels motifs les personnes demandent-elles l’asile et pour quels motifs cet asile leur est-il accordé ? Aujourd’hui l’opacité est totale. La représentation nationale se doit de connaître tous ces sujets.

Ce sera le seul moyen d’avancer sur ces questions et de cesser, comme vous venez de le faire, Monsieur Bourlanges, avec une facilité d’une autre époque, de se jeter des anathèmes, alors que mon document est un rapport budgétaire et non un rapport de mission d’information. Monsieur Bourlanges, vous n’avez pas le monopole de l’humanité. Quand on crée des conditions pour que des personnes se noient en mer, pour que des personnes vivent comme je l’ai décrit tout à l’heure, porte de la Chapelle ou ailleurs, je ne sais pas où est l’humanité. Sûrement pas dans le mauvais traitement qu’on inflige aux MNA, sûrement pas dans le mauvais traitement fait aux personnes qui se pressent sous nos ponts et dans nos rues.

M. Jean-Michel Clément. Si je dois être un Bon Samaritain, pourquoi pas ? Quand j’anime une association qui vient en aide à des gens qui sont dans un centre d’accueil et d’orientation et que je regroupe autour de moi une centaine de personnes dans un milieu rural que l’on dit oublié, je me dis que l’humanité est aussi présente au fond de chacun de nous. C’est celle-là qu’il faut révéler et mettre en avant.

Monsieur Dupont-Aignan, je ne comprendrai jamais comment on peut raisonner en opposant des êtres humains les uns aux autres, quelles que soient leur nationalité ou leurs origines.

Mme Anne Genetet. J’ai bien écouté votre argumentaire, Madame Boyer, et nous ne sommes absolument pas en phase avec vous. Nous ne revendiquons pas le monopole de quoi que ce soit, nous sommes profondément inscrits dans notre époque, profondément réalistes, profondément conscients des enjeux. Nous étions très nombreux pour l’audition de M. Bertrand Badie, comme l’a rappelé ma collègue Marion Lenne, qui était « décoiffante ». Je remercie beaucoup Mme la présidente de l’avoir organisée, car nous avons été parfaitement éclairés par son propos. Nous ne sommes ni naïfs ni cruels, nous sommes inscrits dans notre époque. Nous avons l’ambition chevillée au corps et au cœur de prendre les problèmes migratoires dans le bon sens. Nous accueillons. Ma collègue Marion Lenne a parfaitement décrit ce que nous avons mis en place.

Nous sommes en désaccord complet avec votre rapport, fût-il budgétaire, et avec les propos que vous avez prononcés. En revanche, nous soutenons les crédits et nous les voterons. Ils nous semblent essentiels et en cohérence parfaite avec la politique que nous menons.

Mme Laurence Dumont. Madame la rapporteure, vous avez évoqué, comme à regret, le fichier SAFARI. Je rappellerai que, dans les années 1970, la mobilisation féroce contre le fichier SAFARI avait donné naissance à la loi relative à informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978. La France s’honore d’avoir été la première à mettre en place une législation assez draconienne sur la gestion des fichiers.

M. Jean-Louis Bourlanges. Madame la rapporteure, je ne crois pas mériter l’accusation d’anathème. J’ai rendu hommage à votre rapport.

Je m’adresse à vous, Madame la rapporteure…

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Oui !

M. Jean-Louis Bourlanges. Oui, dites-vous, d’une voix douce et accueillante.

J’ai prononcé des paroles très positives sur votre dénonciation des insuffisances administratives et statistiques du traitement de la question de l’immigration, matière essentielle de votre rapport qui, à ce titre, est une contribution intéressante. Je maintiens que dans vos propos et dans ceux de certains collègues qui soutiennent votre approche, comme M. Dupont-Aignan, il y avait une morgue, une arrogance, un mépris dont je me réjouis de constater que mon intervention vous a conduite à vous éloigner. Je suis heureux que vous ayez adopté dans la seconde partie de votre intervention un ton beaucoup plus humain à l’égard des sujets que vous abordez

M. Nicolas Dupont-Aignan. La tartufferie de M. Bourlanges est étonnante. Comment oser nous faire des procès en sorcellerie de manque d’humanité, alors que par votre politique, vous êtes responsable de souffrances, de noyades en Méditerranée, alors que vous avez pratiqué la politique de l’autruche depuis tant d’années et que vous êtes toujours dans la même ? Vous devriez vous interroger.

Monsieur Clément, vous faites des choix budgétaires, et je vois que vous privilégiez toujours une immigration folle au détriment de nos concitoyens, qu’ils soient français ou étrangers. C’est une réalité que vous ne voulez pas accepter.

Enfin, nous pourrions avoir un débat avec des désaccords, mais à partir de faits, notamment sur la question de l’aide au développement, car la vraie question, vous le savez tous, c’est le doublement de la population africaine dans les trente ans qui viennent, qui pose à toute l’Europe un problème géopolitique considérable. Mais là encore, vous pratiquez la politique de l’autruche, la tête dans le sable. C’est une folie. À vos réactions aujourd’hui – les Français le verront car nos débats sont télévisés –, je m’inquiète de la suite, car cela veut dire que vous n’êtes même pas capable de voir le problème. On peut être en désaccord sur les solutions, mais arrêtons de nous envoyer à la figure des leçons d’humanité !

Mme Valérie Boyer, rapporteur pour avis. Je présente un rapport, vous me posez des questions, vous faites des remarques, qui plus est sur mon ton, ce qui me semble totalement déplacé dans une commission comme la nôtre. Vous n’êtes ni mon père, ni ma mère, ni un censeur. Les remarques paternalistes, voire sexistes de M. Bourlanges sur ma voix douce, sur la façon dont je m’adresse à lui me semblent totalement déplacées.

En revanche, j’aurais aimé vous entendre poser des questions sur la différence en matière d’asile entre la France et les autres pays d’Europe. Pourquoi le nombre de demandes est-il en augmentation en France et pourquoi est-il en baisse ailleurs ? Pourquoi n’est-ce pas la même population qui vient en France et dans d’autres pays ? De telles remarques de fond nous auraient peut-être permis d’avancer.

Comme l’a dit mon excellente collègue Bérengère Poletti, ce sujet est tellement tabou que l’on réagit avec des sentiments et des a priori parce que je suis députée du groupe Les Républicains et non pas en se préoccupant des questions de fond.

Quant à SAFARI, Madame Dumont, les chercheurs nous ont dit que le mode de fonctionnement de la CNIL empêchait d’avoir des données statistiques qui nous permettraient d’avancer sur ces sujets. Moi qui connais bien les questions de santé, je peux dire qu’en ce qui concerne les données épidémiologiques, nous avons un trésor dont nous ne nous servons pas. Il est indispensable d’évoluer.

Vous avez fait allusion une audition à laquelle je n’ai malheureusement pas pu participer, alors que j’ai réalisé plus d’une vingtaine d’auditions pour ce rapport, dont un déplacement à Malte. J’ai essayé d’être la plus factuelle possible dans le rapport en détaillant les insuffisances de notre législation.

Je ne voterai pas ce projet de budget, parce qu’il est en baisse pour l’immigration irrégulière, alors qu’il est en augmentation pour l’immigration régulière.

Mme Nicole Trisse. Je répondrai à la question relative au retour en Afghanistan. Il existe une différence de traitement entre l’Allemagne et la France parce que l’Allemagne considère qu’un retour peut être opéré même dans un pays en guerre dès lors qu’on y trouve une petite région non officiellement touchée. Or vous savez très bien les horreurs qui se commettent actuellement en Afghanistan avec Al-Qaida, Daech, les talibans. Le pays est en guerre et les civils écopent terriblement. La France a la dignité de considérer que, même si une parcelle de région est épargnée, l’Afghanistan est un pays en guerre et qu’il faut aider les gens. Voilà la différence entre un pays européen comme l’Allemagne et un pays européen comme la France ! En tant que Française et Européenne, je considère que nous avons encore la dignité, la bienveillance et l’humanité qui doivent nous animer en organisant des retours aux pays.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. L’Allemagne et la Suède qui, que je sache, ne manquent pas d’humanité, n’ont pas cette vision. Dans le rapport, je demande la mise en œuvre d’une politique européenne et d’une harmonisation de traitement entre les pays sûrs. Ces personnes viennent en France après avoir été examinées en Suède ou en Allemagne, et il n’est pas normal que les procédures européennes fonctionnent ainsi. Je le déplore et j’appelle à une harmonisation européenne dans ce cadre et à ce que la France vote une liste de pays sûrs. Ces questions ne peuvent être traitées ici avec l’OFPRA.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, je voudrais exprimer une très forte conviction intime. La question des migrations est un des enjeux essentiels des décennies à venir, pas seulement pour la France, pas seulement pour l’Europe, mais pour le monde.

Mme Bérengère Poletti. Tout à fait !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. C’est un défi majeur pour les pays d’origine, pour les pays de transit, pour les pays de destination et pour les pays d’accueil. Je suis convaincue qu’en situant cette grande question à la bonne hauteur, nous parviendrons à trouver sinon l’unanimité, du moins des convergences sur un certain nombre de principes fondamentaux qui vaudront pour les pays d’origine et pour les pays d’accueil, ainsi que pour l’équilibre de l’Europe et du monde. Je suis persuadée non seulement que c’est dans cette direction qu’il nous faut aller, mais aussi que c’est de notre responsabilité d’aller dans cette direction et de traiter cette immense question au niveau où elle doit l’être. C’est ce que les peuples, nos concitoyens, nos compatriotes et les citoyens du monde attendent de nous. Je forme le vœu que nous soyons à la hauteur de ces attentes-là.

Nous allons maintenant nous prononcer sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration sur lesquels je n’ai été saisie d’aucun amendement.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Je rappelle que mon avis est défavorable aux crédits de la mission.

La commission émet un avis favorable à ladoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

*

 Examen pour avis des crédits de la mission Économie – commerce extérieur et diplomatie économique (M. Buon Tan, rapporteur pour avis) et vote sur les crédits de la mission Économie – commerce extérieur et diplomatie économique.

M. Buon Tan, rapporteur pour avis. Avant d’aborder notre dispositif de soutien au commerce extérieur et les crédits budgétaires qui le financent, je voudrais revenir rapidement sur la situation de ce commerce extérieur, car cette année, le contexte international est très particulier.

Notre déficit commercial est stabilisé à un niveau légèrement inférieur à 60 milliards d’euros en 2018, comme en 2017. En année glissante jusqu’en août dernier, le déficit s’est même réduit à moins de 54 milliards. De plus, ce déficit sur les marchandises est largement compensé, dans la balance des transactions courantes, par les excédents enregistrés sur certains échanges de services et de revenus, avec en particulier un solde des revenus des investissements directs qui a été positif de 43 milliards en 2018. Globalement, le déficit de notre balance courante est donc stable aux environs de 15 milliards. Enfin, notre attractivité pour les investissements étrangers progresse en comparaison de celle de nos grands partenaires européens, qui sont confrontés à des difficultés.

Dans le même temps, la croissance française est revenue au niveau de nos principaux partenaires européens depuis 2017. Nous savons que cette situation aurait pu amener un creusement du déficit, mais ce n’est pas le cas. L’essor de notre commerce extérieur contribue à nouveau à notre croissance. Je pense que nous commençons à percevoir les dividendes des politiques de compétitivité engagées depuis plusieurs années, ainsi que de la prise de conscience qui amène nos entreprises à se tourner de plus en plus vers l’international.

Cela n’enlève rien aux inquiétudes que nous pouvons ressentir à l’égard des risques économiques internationaux, d’autant plus que cette année, nous devons faire face à la crainte d’une crise liée à la guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis et aux enjeux qui en découlent.

Pour le moment, il n’y a pas de signe macroéconomique que la France souffre réellement des conflits commerciaux qui se sont déclenchés. Au contraire même, d’après les derniers chiffres disponibles sur les huit premiers mois de 2019, nous constatons que nos exportations ont augmenté de 10 % à 15 %, aussi bien vers la Chine que vers les États-Unis. Il y a sans doute des effets liés à des constitutions de stocks, à des opportunités comme la crise porcine en Chine, ou encore à une volonté de ce pays de favoriser les Européens contre les Américains. Toujours est-il que les effets des tensions sino-américaines restent, en ce qui nous concerne, discrets et indirects.

Toutefois, à très court terme, des menaces beaucoup plus directes se profilent. Même si notre économie est un peu moins ouverte que celles de nos voisins, nous allons souffrir globalement du ralentissement du commerce mondial, dont la croissance sera très faible cette année, voire proche de zéro. De plus, des mesures nous visent aussi directement.

Ce 18 octobre sont entrées en vigueur les mesures de rétorsions des États-Unis dans la vieille affaire des subventions à Airbus. Une taxe de 25 % est appliquée à nos ventes de vins et de la plupart des produits laitiers ; nos ventes d’avions sont également taxées. Or nous vendons jusqu’à présent pour 2 milliards d’euros de vins par an aux États-Unis, dont nous sommes, en valeur, les premiers fournisseurs étrangers. De l’ordre de 5 % de notre production étaient écoulés aux États-Unis, ces dernières années. Il y a donc un vrai risque pour la filière si ces taxes sont appliquées plus longtemps que les quelques mois qui seront couverts par les stocks constitués. De même, nous exportons pour plus de 10 milliards d’euros de biens aéronautiques vers les États-Unis. Ce secteur représente un quart du commerce bilatéral. Ces flux ne seront pas intégralement touchés par les nouvelles taxes, mais il y a là aussi des enjeux considérables.

Les États-Unis nous menacent aussi d’appliquer dans quelques semaines de lourdes taxes sur les importations d’automobiles. La France sera peu concernée directement, mais nous pourrions subir les effets indirects des problèmes massifs que cela entraînerait en Allemagne, notre premier partenaire économique, à laquelle, plus spécifiquement, nous vendons annuellement pour 3,6 milliards d’euros de pièces automobiles qui sont, entre autres, intégrées aux voitures destinées au marché américain.

Il y a enfin, bien sûr, les enjeux du Brexit. Sans m’étendre longuement sur tous ses enjeux, notamment sectoriels, qui sont mentionnés dans le rapport, ni évidemment faire de prévisions, je rappelle simplement que le Royaume-Uni est notre troisième partenaire commercial – nous avons échangé l’année dernière pour 114 milliards de biens et services – et notre plus important excédent bilatéral.

Tous ces risques m’ont conduit à m’interroger sur les destinations susceptibles de rester « porteuses » pour notre commerce extérieur, en raison notamment d’une croissance dynamique. J’en ai identifié trois : l’Europe centrale et orientale, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique. Plus généralement, je souhaite que soit relancée la réflexion stratégique à moyen terme sur les géographies et les secteurs, en mettant en avant des « couples pays/secteur » à prioriser dans le développement de notre commerce extérieur. C’est l’une de me recommandations.

J’en viens à l’organisation de notre système d’accompagnement des exportateurs.

J’exprimerai, tout d’abord, une satisfaction. Depuis des années, on essayait, avec plus ou moins de succès, de mieux faire travailler ensemble les différents réseaux, notamment l’opérateur public Business France, les chambres de commerce et d’industrie et Bpifrance. Depuis un an, nous avons engagé une réforme beaucoup plus intégrée, avec une obligation pour les uns et les autres de partager leurs informations et leurs fichiers clients, pour offrir un parcours complet et coordonné aux exportateurs, dit « Team France Export ». Cette réforme implique des sacrifices, par exemple, que Business France se retire de certains pays étrangers pour être remplacé par d’autres opérateurs. Cette réforme fonctionne. Les nouveaux outils informatiques ont été déployés en un temps record, leur financement a été résolu – nous nous sommes battus contre Bercy, l’an dernier –, même si nous attendons encore le versement effectif de la subvention décidée. Business France s’est déjà retiré totalement ou partiellement de neuf pays où le service public sera assuré par d’autres prestataires, en général les chambres de commerce françaises locales. Au niveau territorial, enfin, onze régions ont déjà signé des conventions et les autres vont suivre prochainement.

Autre avancée, Business France a signé avec ses tutelles, à la fin de l’année dernière, un contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2018-2022. Ce contrat entérine la continuation de la baisse du financement public mais présente l’avantage d’apporter une visibilité. Avec un bémol : si cette baisse des subventions est positive pour nos finances publiques, elle suscite la critique des entreprises qui trouvent les services de Business France trop chers. À cet égard il ne faudrait pas que ces coûts découragent les prospections à l’export. Je rappelle que les facturations aux entreprises représentent déjà plus de la moitié des ressources de Business France. En outre, des opérateurs privés d’accompagnement à l’export dénoncent une concurrence qui serait déloyale sur les créneaux des prestations facturables. Il y a donc un équilibre à trouver.

Par ailleurs, je signalerai un point particulier. Les engagements du contrat d’objectifs et de moyens ne couvrent que la principale des subventions à l’agence, celle provenant de la mission Économie et inscrite sur le programme 134, mais pas celle, résiduelle, provenant du programme 112 de la mission Cohésion des territoires. Or, cette dernière diminue de 17 % dans le présent projet de loi de finances !

S’agissant plus généralement de la présentation budgétaire, je ne peux que réitérer mes observations des années précédentes. Les crédits concourant au commerce extérieur restent dispersés entre un grand nombre de missions et comptes divers. Il n’y a pas de budget du commerce extérieur ni de visibilité budgétaire de ce secteur, ce que je déplore. De même, je recommande, comme les années précédentes, que soit nommé au gouvernement un ministre du commerce extérieur. Ce serait notamment très utile à l’international. Jean-Baptiste Lemoyne joue ce rôle mais n’a pas le titre, ce qui pose parfois problème. Dans le même esprit, le partage administratif des compétences entre Bercy et le Quai d’Orsay n’est toujours pas optimal.

Concernant la dernière question budgétaire, les assurances export publiques, nous assistons à la relance de l’assurance prospection, traduite par une augmentation de 41 %, en 2018, des budgets de prospection couverts. Le financement de l’assurance prospection avait en effet été l’un des grands enjeux du débat budgétaire l’année dernière et j’avais présenté un amendement en vue de l’augmenter.

Plusieurs questions restent cependant posées. D’abord, l’assurance prospection, dite « premiers pas » (A3P) étant condamnée, quel produit pourrions-nous concevoir pour financer la prospection internationale des plus petites entreprises ? Plus généralement, il y a un débat sur les modalités de gestion des assurances export, partagée entre l’État et Bpifrance dans des conditions dont je ne suis pas convaincu de l’efficacité. Nous devrions aussi tirer les conséquences du caractère récurrent des bénéfices tirés de la gestion de l’assurance-crédit, qui existent depuis vingt ans et sont en moyenne de 800 millions par an. Cet argent est actuellement versé au budget général. Je pense que l’on pourrait en recycler une fraction pour des mesures innovantes en matière de commerce extérieur.

J’évoquerai enfin l’enjeu de l’orientation de cette politique d’assurance-crédit par rapport à nos engagements et priorités internationales. Actuellement ce dispositif sert principalement à assurer la couverture de grands contrats en matière d’armement, d’avions, de bateaux de croisière. Les projets plus « verts » pèsent peu. Ceux dans les pays les plus pauvres aussi. Sur les cinq dernières années, l’Afrique subsaharienne a représenté seulement 6 % des montants couverts. Le Gouvernement vient d’annoncer que nous ne couvririons plus les projets charbon, mais je pense que la réflexion doit se poursuivre pour développer des dispositifs plus incitatifs pour les projets verts ou concourant à notre politique de développement.

Tout cela est l’objet d’un amendement que je vous présenterai. En attendant, je vous invite à voter pour les crédits du commerce extérieur en rappelant ce point central de satisfaction qu’est la réussite de la réforme Team France Export.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. De nombreuses avancées en matière de commerce extérieur résultent d’un certain nombre de propositions figurant dans le rapport d’information de Denis Masséglia et Pierre Cordier. Je suis heureuse de le rappeler.

M. Christophe Di Pompeo. J’interviendrai avec concision, car Buon Tan nous a présenté un bon rapport qui s’inscrit dans le prolongement de celui de l’année dernière, en sorte qu’il n’y a plus beaucoup à dire.

Nous vivons dans un monde qui bouge. En 2018, le déficit commercial des États-Unis a augmenté de 12,5 % et est concentré sur la Chine. De là découle une série de mesures américaines, dont les taxations sur l’acier et l’aluminium. Le commerce mondial est en évolution. Nous perdons nos repères. Hier encore, la Chine a demandé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) l’autorisation d’imposer des droits de douane sur 2,4 milliards de dollars de produits en provenance des États-Unis. Shanghai va organiser cette année le deuxième salon des importations. Il eût été inimaginable il y a dix ans que les Chinois veuillent importer des produits. Dans ma circonscription, des Asiatiques viennent acheter des bœufs. Nous assistons donc à un chamboulement du commerce international.

Nous avons toute notre place à prendre dans le nouveau commerce international, mais, pour cela, il nous faut des outils. Nous regroupons les différents outils existants dans Team France Export. C’est une bonne chose et il faut continuer. Je m’interroge toutefois à la lecture de certains chiffres figurant du rapport, notamment un tableau comparatif de ce que verse chaque pays aux organismes du type Business France, avec la part privée et la part publique. En France, on a toujours tendance à penser que plus un financement est privé et mieux c’est. Or, sur les 240 millions versés en Italie, seulement 13 % sont privés. Pour la France, la moitié des 200 millions versés proviennent du secteur privé. Quand une PME veut travailler avec Business France, on lui demande aussitôt de payer. Envoyer une palette de produits à Taïwan a déjà un coût, et payer en plus 2 000, 3 000 ou 4 000 euros à Business France pour faire de la promotion et chercher des clients représente un frein. Dans ce bouleversement mondial, avec ces changements qui se cumulent, ne devrait-on pas conduire une politique financière volontariste et cesser de vouloir faire du privé dans le public ? Nous sommes là pour promouvoir le commerce international. Tout le monde s’y retrouvera si le commerce international continue à augmenter.

M. Frédéric Petit. Vous le savez, je travaille beaucoup avec Buon Tan, puisque je suis rapporteur sur la diplomatie d’influence et que je considère que la diplomatie économique est de la diplomatie d’influence. Il se trouve également que j’ai travaillé à l’étranger, que je suis encore conseiller du commerce extérieur de la France et que je connais bien ces sujets.

Je ne suis pas d’accord avec l’orateur précédent. L’enjeu avec Team France Export, c’est la séparation entre ce qui relève du service public et ce qui n’en relève pas. La régionalisation est une bonne évolution. Je suis très attentif à sa mise en œuvre. Faire descendre des fonctionnaires de Bercy de la structure Business France dans une direction n’a aucun sens pour moi. Ils doivent le faire sous la responsabilité des conseils régionaux, responsables dans notre pays de l’accompagnement des PME. C’est là qu’il faut mettre des moyens publics. Business France est très compétent en matière d’organisation des volontaires internationaux en entreprise (VIE) et d’informatique.

Le travail réalisé par notre rapporteur sur l’assurance export est novateur et nécessaire. La solution dans ce domaine, c’est Bpifrance.

Je pose la question de la présence de Business France dans les pays étrangers. Il ne s’agit pas d’envoyer une palette à Taïwan…

M. Christophe Di Pompeo. C’est la réalité !

M. Frédéric Petit… mais de créer un marché. Une PME n’a pas besoin de faire appel à un service public pour envoyer une palette à Taïwan. Il lui faut juste un bon service logistique et un bon service commercial. J’ai envoyé partout des tuyaux en provenance d’Égypte parce que je disposais dans mon entreprise de moyens pour ce faire. Nous devons agir efficacement dans l’accompagnement au départ, dans le franchissement des barrières, comme le font les régions. J’en connais deux qui le font très bien.

Je présenterai un amendement au sujet de la présence de Business France dans les pays et sur la concurrence ainsi créée. Il y a des entreprises dont c’est le métier et des chambres de commerce et d’industrie qui le font. J’aimerais savoir comment les pays d’où Business France se retire ont été choisis et, d’ici un an, obtenir un tableau comparatif des résultats et des coûts entre les pays où a travaillé Business France et ceux où la chambre de commerce l’a fait, généralement très bien, sur des fonds associatifs. Il faut retirer des freins aux entreprises pour qu’elles exportent, mais il faut également reconnaître que le service public doit intervenir dans des domaines bien identifiés et pas dans des domaines où ce n’est pas son job.

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le rapporteur, l’année 2018 n’a pas été une belle année pour le commerce extérieur français, puisque notre solde commercial s’est creusé à – 59 milliards d’euros, soit une baisse de 2 milliards d’euros par rapport à 2017. Certes, une embellie s’annonce pour 2019, avec un solde commercial qui passerait à 54 milliards d’euros en glissement annuel, mais cela ne doit pas pour autant nous laisser penser que tout va aller mieux dans le meilleur des mondes. Plus que jamais, nous devons rester vigilants et particulièrement actifs.

En effet, même si des politiques ont été mises en place pour inscrire le redressement de notre balance commerciale dans la durée, et nous nous en réjouissons, des signaux négatifs restent très prégnants autour de nous. Il en est ainsi du contexte international et européen incertain. Dans votre rapport, vous indiquez que de lourds sujets d’inquiétude sont nés de la dégradation de la conjoncture mondiale, notamment en raison d’enjeux commerciaux internationaux. Vous faites bien sûr allusion aux mesures protectionnistes prises par les États-Unis à l’encontre de nombreux pays, en particulier la Chine, ainsi qu’aux contre-mesures consécutives. Nous saluons la trêve qui a été récemment trouvée entre ces deux pays, mais nous ne sommes pas naïfs. Nous savons que ce n’est pas cela qui va apaiser le commerce international. 

Si, pour le moment, notre pays semble ne pas véritablement subir les effets de cet affrontement commercial sino-américain, d’autres menaces pèsent sur l’économie française. Vous le dites également dans votre rapport, nous n’avons pas de visibilité sur les conséquences des taxes appliquées par les États-Unis depuis le 18 octobre sur nos vins, certains fromages et Airbus.

Parallèlement, le contexte européen incertain lié au Brexit plonge nos entreprises dans un brouillard économique qui ne leur permet pas d’entr’apercevoir l’avenir de nos relations commerciales avec le Royaume-Uni, qui nous fournit notre plus important excédent bilatéral. Il faut aussi se poser la question de l’avenir de certains secteurs d’activité, comme celui de la pêche française. Un Brexit sans accord priverait nos pêcheurs d’une grande partie de leurs ressources, dans la mesure où un peu plus d’un tiers des quantités débarquées dans nos criées proviennent des eaux anglaises.

Nous devons aussi nous interroger sur la dégradation de la compétitivité de la filière agricole française, point fort du commerce extérieur.

Notre groupe est plus que dubitatif, vous le savez, sur la politique française agricole au regard des accords internationaux comme l’accord économique et commercial global avec le Canada dit « CETA » ou celui avec le Mercosur.

Si nous sommes en faveur d’une ouverture au monde, nous estimons que celle-ci ne doit pas se faire sans protection. Il y a des enjeux environnementaux et sanitaires qu’il est impératif de respecter ; il y a des modèles qu’il faut pérenniser. C’est le cas de notre modèle agricole qui ne peut être sacrifié sur l’autel de la mondialisation et d’un libre-échange sans limite qui fait fi de nos valeurs. Notre groupe attend donc un positionnement plus clair et plus ferme de la France pour la promotion de notre modèle agricole et de nos normes sociales et environnementales en matière de développement durable dans les accords bilatéraux et multilatéraux.

Pour terminer, je rappellerai l’enjeu que représente pour notre pays l’appui sur le formidable maillage de nos PME et PMI. Ce tissu économique qui irrigue nos territoires est un atout que nous devons valoriser et accompagner à l’international. Cela est d’autant plus important que nos PME et PMI restent tournées vers le marché français et peinent à faire valoir leurs atouts à l’étranger. C’est quand elles connaissent des difficultés qu’elles commencent à se poser des questions et qu’elles n’ont pas les moyens d’y parvenir.

Le Gouvernement s’était attelé au chantier de l’accompagnement à l’international et les opérations préconisées par son opérateur Business France allaient dans le bon sens. Je pense en particulier au dispositif Team France Export et au guichet unique proposé dans chaque région. Malheureusement les moyens ne sont pas toujours à la hauteur des défis à relever. Ainsi Business France voit-il ses ressources tomber à 90 millions en 2020.

Mes chers collègues, nos entreprises attendent plus que des ambitions, elles attendent des actes qui doivent trouver leur traduction dans le budget. Pour toutes ces raisons, notre groupe, dans un premier temps, s’abstiendra sur ces crédits.

Mme Nicole Le Peih. Monsieur le rapporteur, dans votre projet d’avis, vous saluez le verdissement de certains dispositifs de garantie publique à l’export. Vous mentionnez notamment l’exclusion des projets « charbon » de la couverture des garanties publiques, permettant la prise en compte de notre empreinte carbone – je rappelle que la France prévoit d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Savez-vous si les émissions de carbone dues à l’export et nos efforts pour les réduire sont pris en compte dans le calcul de la neutralité carbone ? Par ailleurs, l’exclusion des projets « charbon » de ces garanties est le premier temps de la prise en compte de notre empreinte carbone. Savez-vous quelle en sera la suite et si d’autres subventions aux énergies fossiles vont diminuer ou disparaître ?

M. Denis Masséglia. Je souhaite d’abord féliciter mon collègue Buon Tan pour la qualité de ses travaux et les résultats qu’il a obtenus avec des budgets qui ont permis la mise en place des nouveaux outils numériques, plateforme et gestion de la relation client ou CRM (Customer Relationship Management). Nous le devons principalement à lui.

La mise en place de Team France Export dans les régions est une réussite, avec le guichet unique pour toutes les entreprises qui souhaitent se lancer à l’export. Il n’empêche qu’il reste actuellement aujourd’hui la zone blanche que sont les entreprises qui ne pensent pas naturellement à se tourner vers l’export. Je pense plutôt aux petites entreprises de nos territoires composées de cinq, dix ou vingt salariés et dotées d’un très grand savoir-faire qui leur permettrait d’avoir des marchés à l’export. Elles sont souvent dirigées par un patron qui s’occupe à la fois des relations humaines, de la comptabilité et de chercher des marchés, et qui n’a pas le temps de réfléchir ou de travailler sur une stratégie export.

C’est au personnel de Team France Export d’aller à la rencontre de ces entreprises. Sur mon territoire, dont j’ai fait le tour, nous n’avons que 0,5 équivalent temps plein (ETP) pour aller à la rencontre d’un territoire comptant plus de 10 000 entreprises. C’est une tâche gigantesque, voire impossible. Notre volonté d’arriver à 200 000 entreprises exportatrices à la fin du quinquennat risque de se heurter à cette problématique. Je proposerai un amendement en ce sens, la semaine prochaine. Comment pousser les petites entreprises qui ne pensent pas à l’exportation ?

Mme Liliana Tanguy. Monsieur le rapporteur, merci pour la qualité de votre avis. Je souhaite vous interroger sur la politique de verdissement de notre commerce extérieur.

La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) et le projet de loi de finances sont parvenus à initier des transformations d’envergure en direction de l’ensemble de l’environnement économique de nos petites et moyennes entreprises. L’allégement de la pression fiscale, le financement massif de l’innovation et de l’investissement, tout comme le soutien à l’export de nos entreprises, en sont des exemples.

Les fruits de ces transformations semblent d’ailleurs bien résister à la dégradation de la conjoncture mondiale et aux tensions sociales intérieures. Il importe de souligner que, pour la première fois depuis 2004, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qualifie la France de premier moteur de la croissance de la zone euro. Une dynamique est apparue, qui résulte de la stratégie économique et fiscale de la France pour soutenir une croissance durable et équilibrée. Nous devrions l’employer à encourager un verdissement de notre politique commerciale auprès de nos partenaires européens, comme nous l’avons fait lors de la ratification du CETA.

Je souhaite vous interroger sur votre appréciation de ce verdissement et sur l’évaluation d’une priorisation des géographies et des secteurs pour le développement de notre commerce extérieur, tel que vous le recommandez dans votre rapport.

M. Frédéric Petit. Nous venons d’entendre citer l’exemple concret de 0,5 ETP pour une circonscription. Mais, je suis désolé de le dire, l’accompagnement de ces entreprises n’est pas le rôle de l’État, mais celui de la région. Depuis la loi de régionalisation, cette compétence relève de la région. Le personnel de l’État n’a plus cette responsabilité, et c’est très bien. Si un patron continue à faire un peu tout, il doit aussi prendre ses responsabilités et, s’il veut s’orienter vers l’export, s’organiser pour ce faire. Il doit être accompagné non pas par un spécialiste de l’export mais par une aide à son entreprise à se réorganiser. L’accompagnement doit être proche, public, donc régional, parce que les régions s’adaptent.

Ce n’est pas à l’État de dire au patron ce qu’il doit faire. En revanche, mettre en place, ce qui est fait avec les VIE, un système permettant à une petite entreprise d’envoyer, à temps partagé, pour un an ou deux, un jeune ingénieur dans un pays pour tenter le coup relève de la compétence de l’État et est très bien fait. Disposer de la vraie plateforme qu’on attendait depuis longtemps, pour donner accès à tout ce à quoi les entreprises doivent avoir accès, c’est bien. Cela relève du consulaire et du régional. Il existe de nombreux services très peu chers, moins chers que Business France, qui le font très bien. Les entreprises savent où aller le chercher.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. J’abonde dans votre sens. À la conférence des ambassadeurs, nous les avons invités à aller à la rencontre des acteurs économiques pour mettre en œuvre la décentralisation sous l’égide des régions. Cela va dans la très bonne direction.

M. Buon Tan, rapporteur. Frédéric Petit et Denis Masséglia ont abordé le même sujet. Le choix des pays d’où il se retire a été opéré par Business France en fonction de paramètres locaux comme les performances comparées de l’agence et de la chambre de commerce locale. Quand ni l’un ni l’autre ne fonctionnait, on a opté pour la labellisation d’acteurs privés recommandés par l’ambassade. Dans certains pays comme la Russie, des acteurs privés font le travail en lieu et place de Business France.

Un gros travail est demandé aux acteurs locaux. La volonté de décentraliser la démarche est réelle, l’idée étant que, dans un premier temps, les bureaux qui regroupent aujourd’hui les équipes de Business France et des chambres de commerce et d’industrie (CCI) mettent en place le système et intègrent le CRM. Dans un deuxième temps, ils ont pour objectif de recruter des entreprises qui n’ont pas pensé à exporter ou qui n’ont pas le temps de se pencher sur le sujet. Concernant les moyens, au moins 160 emplois sont prévus dans les CCI. S’il en faut davantage, nous adapterons les moyens pour que le travail soit fait sur le terrain. C’est pourquoi il faut augmenter légèrement le budget, car chaque euro investi rapporte beaucoup plus à l’économie locale et nationale.

Monsieur Clément, j’entends ce que vous dites au sujet du secteur agricole, mais il faut essayer de sortir des préjugés. Je reste convaincu que le CETA est un bon accord pour nos agriculteurs. La réaction des Canadiens qui se plaignent d’être perdants montre que nous sommes plutôt gagnants. Certaines rubriques posent problème. On ne peut être gagnant à 100 %, mais nous sommes très favorablement servis. Si l’accord avec le Mercosur n’est pas encore signé, c’est précisément en raison de désaccords sur de nombreux points. Par ailleurs, je ne crois pas que le CETA ait créé quelque risque sanitaire que ce soit. On a mis des barrières ou acté des éléments déjà existants. Le CETA n’a pas introduit de nouvelles faiblesses dans le système existant. Nous verrons ce qu’il en sera à l’usage, mais à mon sens, aujourd’hui, le CETA est plutôt positif. Je suis convaincu qu’en nous organisant mieux, nous pourrons en tirer profit.

Au-delà des recrutements par Business France ou les chambres de commerce locales, un important travail a été entrepris pour former les chefs d’entreprise à l’export, les inciter à apprendre l’anglais, les aguerrir aux méthodes d’exportation, mais il faut du temps pour obtenir des résultats.

Je soutiens le développement d’outils destinés à aider les petites ou très petites entreprises à exporter facilement. L’A3P en est un, mais va être arrêtée. Il faut trouver des leviers faciles à actionner afin que les entreprises désireuses d’agir ne soient pas obligées de constituer plein de dossiers, de passer par différents interlocuteurs.

Madame Le Peih, la neutralité carbone s’analyse au niveau national. Pour le commerce international, un mécanisme d’inclusion carbone est prévu. L’idée est de mesurer l’impact carbone à l’entrée et à la sortie, en exportation mais aussi en importation. Mais cela ne peut être entrepris que si une majorité de pays le font en même temps.

Madame Tanguy, de fait, la France est devenue le premier moteur de croissance de l’Europe, non seulement parce que nous avons amélioré notre compétitivité, mais aussi parce que l’Allemagne et d’autre pays connaissent une période difficile. Nous avons le devoir de poursuivre notre démarche et de surveiller nos exportations, aujourd’hui principalement tournées vers l’Europe. Mais ce marché posant problème, il faut aller plus loin. C’est pourquoi je propose que nous nous tournions plus vers l’Europe centrale et orientale, l’Afrique ou l’Asie du Sud-Est, zones où les taux de croissance sont élevés et où nous sommes peu présents.

La commission examine lamendement II-AE4 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à demander un rapport sur différents points concernant l’assurance export. Il s’agit d’inviter le Gouvernement à regarder cela de plus près, voire de pousser les services à proposer des changements.

M. Frédéric Petit. Je soutiens cet amendement. Comme je l’ai indiqué, je présenterai en séance un autre amendement qui vise à demander un rapport sur la comparaison des résultats et des coûts des implantations des différentes structures à l’étranger.

M. le rapporteur. Un premier point d’étape sur l’efficacité de la nouvelle organisation devrait être fait au printemps 2020. Des chiffres relatifs aux exportations nous serons fournis non pas par Business France mais pas les douanes.

M. Frédéric Petit. Ce rapport proposera une vision globale du résultat, mais les indicateurs de Business France ne correspondent pas à ces données brutes et nous n’aurons pas les coûts consolidés de chaque solution.

La commission adopte lamendement.

Suivant lavis favorable du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à ladoption des crédits du commerce extérieur et de la diplomatie économique sur la mission Économie.

 

 

La séance est levée à 13 heures 15.

----------------

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9 h 30

Présents. - M. Yves Blein, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Valérie Boyer, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Olivier Dassault, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, M. Christophe Di Pompeo, Mme Frédérique Dumas, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Brigitte Liso, M. Mounir Mahjoubi, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Christophe Naegelen, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Hugues Renson, Mme Marielle de Sarnez, Mme Michèle Tabarot, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, M. Guy Teissier, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Moetai Brotherson, M. M’jid El Guerrab, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Christian Hutin, M. Mustapha Laabid, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sira Sylla, M. Sylvain Waserman