Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

         Table ronde, ouverte à la presse, sur l’espace et ses enjeux scientifiques, stratégiques, industriels et environnementaux, avec le général Michel Friedling, commandant du commandement de l’espace au sein de l’Armée de l’air, M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES), Mme Yaël Nazé, astrophysicienne de l’Institut d’astrophysique et de géophysique de l’Université de Liège, M. Thomas Pesquet, spationaute, et M. Johann-Dietrich Wörner, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ASE)                            2

         Informations relatives à la Commission.................. 36

 

 

 


Mercredi
22 janvier 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 25

session ordinaire de 2019-2020

Présidence
de Mme Marielle de Sarnez,
Présidente

 


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Table ronde, ouverte à la presse,
sur l’espace et ses enjeux scientifiques, stratégiques, industriels et environnementaux

La séance est ouverte à 9 heures 35.

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8630137_5e28062ef1278.commission-des-affaires-etrangeres--l-espace-et-ses-enjeux-scientifiques-strategiques-industriels-22-janvier-2020

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous avons ce matin une table ronde très importante sur l’espace. Elle nous permettra, chers collègues, d’identifier les enjeux environnementaux, stratégiques, scientifiques qui y sont attachés et offrira désormais un cadre de référence pour les travaux à venir de notre commission sur cette grande question. L’espace est bien notre nouvelle frontière et les personnalités que nous accueillons aujourd’hui y sont toutes engagées, à différents titres, mais toutes à un très haut niveau d’excellence.

L’espace est depuis toujours une source de réflexion, d’inspiration pour les civilisations humaines. Il constitue un au-delà qui nous interroge sur la place de l’humanité dans cette étendue infinie qu’est le cosmos.

Soixante-trois ans après le lancement de Spoutnik, cinquante ans après les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, l’humanité continue d’explorer, de parcourir l’espace, repoussant sans cesse les limites de la connaissance. La conquête spatiale suscite une compétition de plus en plus marquée, avec l’arrivée en grand nombre de nouveaux États, mais aussi la visibilité peut-être plus importante d’acteurs privés, américains ou britanniques par exemple.

Les enjeux sont pour nous très importants. Le premier de ces enjeux est bien sûr l’avenir de notre planète. L’observation de la Terre, cette planète si fragile vue du ciel, doit nous permettre de mieux comprendre son fonctionnement, de mesurer l’impact du réchauffement climatique, de parvenir à des comportements plus vertueux.

Ces enjeux sont aussi d’ordre scientifique et technologique, avec les programmes visant à lancer des missions habitées vers Mars ou les projets d’installation de base scientifique permanente sur la Lune, par exemple le « Moon village » dont vous pourrez nous parler.

Ces enjeux sont également d’ordre économique. L’industrie spatiale européenne a engendré en 2019 un chiffre d’affaires d’environ 8,48 milliards d’euros. La gestion des ressources naturelles posera quelques questions aussi et offrira peut-être des perspectives. Je pense en particulier à la question de l’exploitation minière des astéroïdes, qui pourraient receler d’importants gisements de terres rares.

Ces enjeux sont d’ordre stratégique. En lien avec notre sécurité, la surveillance de nos satellites, la prise en compte des risques et d’éventuelles confrontations dans l’espace sont autant d’enjeux qui concernent notre souveraineté nationale.

Enfin, se pose la question de la gouvernance. De nombreux aspects juridiques et légaux relèvent du droit international et de discussions menées sous l’égide des Nations unies. Il nous faudra être particulièrement vigilants sur ces différents points, agir pour faire primer une approche coopérative et pacifique. L’espace constitue à nos yeux un patrimoine commun qu’il convient de protéger pour le bien de l’humanité. C’est vraiment la raison d’être de notre table ronde de ce matin.

M. Johann-Dietrich Wörner, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ASE) (European Space Agency – ESA). [Propos traduits de l’anglais] Nous parlons ici d’enjeux de nature assez différente : des enjeux climatiques, mais aussi des enjeux tels que les ressources naturelles, l’énergie. D’autres enjeux encore concernent les catastrophes naturelles, les conflits sur Terre et la santé. Tout cela peut être traité depuis l’espace.

Je vais m’intéresser plus particulièrement au changement climatique. Il faut comprendre la logique du problème. Premièrement, il faut découvrir, comprendre que cet enjeu existe. Le changement climatique n’a en fait pas été découvert sur la Terre, mais sur Vénus. C’est après une mission d’exploration sur cette planète, où l’effet de serre est extrêmement fort, que les gens ont pensé que, s’il y a un problème sur cette planète, ce problème existe peut-être aussi sur Terre. Ensuite, l’enjeu est de surveiller ce changement climatique. Nous savons que plus de 50 % des variables climatiques ne peuvent être observées que depuis l’espace. Peut-être en découvrirons-nous d’autres à l’avenir. Il faut ensuite transformer les données scientifiques en données pour vous, les décideurs politiques, mais aussi pour la population au sens large. C’est aussi un grand pas que de passer de la science à un discours qui explique ce qu’il se passe. Enfin, n’oubliez pas qu’il faut atténuer le changement climatique en prenant des mesures, y compris depuis l’espace et dans l’espace, en utilisant en fait l’espace dans tous ses aspects.

On revient ainsi à ce que j’expliquais aux États membres lors de la réunion ministérielle de Séville l’an dernier. Il y a trois aspects.

Le premier concerne la société au sens large, car nous sommes convaincus que nous pouvons, avec l’espace, orienter la société dans une direction positive. Il faut motiver la population. La motivation vient de l’inspiration et l’inspiration vient de la fascination. L’espace fascine tout le monde et la fascination est un mouvement positif qui se produit dans le cerveau. Si vous êtes fasciné et inspiré, vous pouvez avoir un rêve et concrétiser ce rêve. C’est ce qu’il nous faut pour l’avenir, pour que la population ait l’impression qu’elle peut rêver, qu’elle peut concrétiser ce rêve, qu’il soit dans l’espace ou ailleurs. Personnellement, je suis ingénieur en génie civil, j’ai été motivé par Spoutnik. Je n’avais que trois ans lorsque mon père m’a dit : « Regarde, Johann, là-haut dans le ciel, il y a un satellite. » Je ne le voyais pas, mais lorsque votre père vous le dit, vous le croyez. Je pensais qu’il y a quelque chose là-haut et cela m’a motivé. Je suis devenu ingénieur et ensuite, ce n’est que beaucoup plus tard que j’en suis venu à travailler dans une organisation spatiale.

Le deuxième aspect est la concurrence : nous souhaitons qu’il y ait une industrie spatiale compétitive au niveau mondial et il faut soutenir cette industrie.

Enfin, le troisième aspect concerne l’environnement. Cela signifie bien sûr qu’il faut se tourner vers la Terre. Le changement climatique réchauffe la planète, mais il faut comprendre que l’environnement, c’est aussi l’espace autour de nous. C’est une infrastructure que nous utilisons pour la navigation, les télécommunications, pour l’observation de la Terre. Il faut donc mieux s’en occuper et s’occuper de l’environnement autour de nous. Nous le faisons grâce à l’observation de la Terre. Nous pouvons ainsi surveiller notre planète.

Un autre versant de ce troisième aspect concerne les dangers spatiaux. Ils sont de diverses natures et ils sont dangereux pour nous, sur la Terre. Il y a d’abord les débris spatiaux qui mettent en danger nos satellites et notre infrastructure spatiale. Il y a ensuite les astéroïdes. Il est possible qu’un astéroïde vienne percuter la Terre. Il est très probable que les dinosaures se sont éteints du fait de l’impact d’une météorite. Il ne faut pas simplement regarder le ciel, se dire qu’une météorite arrive et qu’il faudrait prévoir quelque chose. Nous développons un plan visant à repousser les astéroïdes pour en apprendre plus sur ces astéroïdes et ensuite, mettre cela en pratique.

Il y a ensuite le Soleil. Le Soleil est magnifique aujourd’hui à Paris. Si vous allez au pôle Nord ou au pôle Sud et que vous voyez les aurores boréales ou australes, c’est vraiment magnifique. Mais, en fait, les aurores sont créées par les particules et les rayonnements que le Soleil envoie vers la Terre. Cela peut avoir un effet spectaculaire sur la surface terrestre. Il est bien connu que cela s’est produit en 1859 en Amérique. L’internet n’existait pas à l’époque ni le réseau électrique, mais il existait un système de télégraphe. Ce système télégraphique a été fortement touché. On a même dit que le papier brûlait dans les stations télégraphiques.

Pendant la guerre du Vietnam, des mines ont explosé du fait d’une protubérance solaire. En 1989, une protubérance solaire a frappé la partie septentrionale du Canada. C’était tellement puissant que les centrales électriques sont tombées en panne et cela a provoqué des feux de forêt. Nous nous occupons de tous ces dangers spatiaux ainsi que de la cybersécurité et de la sûreté.

Il faut aussi parler d’autres choses dont s’occupent les organes juridiques : les aspects réglementaires de la gestion du trafic spatial. Il y a de plus en plus de satellites en orbite qui se mettent en danger les uns les autres. Il y a quasiment eu une collision l’an dernier entre un satellite américain et un satellite européen. Nous, les Européens, avons eu l’intelligence d’éviter cette collision, mais c’est quelque chose dont il faut s’occuper du point de vue réglementaire à l’avenir. L’Agence spatiale européenne ne peut apporter que des solutions techniques, mais nous avons besoin de vous, du Parlement européen également, ainsi que de tout autre organe législatif, pour s’occuper de ces aspects dans le cadre d’accords mondiaux.

Tous ces aspects géopolitiques devraient relever d’une stratégie de coopération mondiale. Nous ne comptons pas sur nos contrats ou nos accords avec d’autres pays. Ce que nous essayons de faire, c’est d’aborder tous ces contextes sur une base stratégique. Que cherchons-nous à faire ? Nous cherchons à partager les investissements parce que d’autres ont de meilleurs financements, de meilleures capacités. Nous faisons cela aussi du point de vue géopolitique. Nous savons qu’il y a toujours des crises sur Terre, mais, avec l’espace, nous pouvons jeter des passerelles au-dessus de ces crises. Nous survolons ces crises et nous pouvons donc mener des activités conjointes dans l’espace.

Pour tout cela, l’ESA a développé ses travaux selon quatre piliers : la science et l’exploration avec le robot Curiosity, ce qui permet d’inspirer la population ; la sûreté et la sécurité depuis l’espace sur la Terre, mais aussi dans l’espace, comme je le disais auparavant ; les applications : la navigation, les télécommunications et l’observation de la Terre ; ce que nous appelons les activités habilitantes, facilitatrices et de soutien, avec des opérations de développement, mais aussi les systèmes de lancement, notamment en Guyane française.

Nous avons fait une réunion réussie, qui s’appelait « Space19+ », avec les ministres. Nous avons obtenu un engagement de 14,5 milliards d’euros, dont voici la répartition entre les différents piliers : science et exploration, applications, activités facilitatrices et de soutien ont un peu plus de 30 % chacun. Sûreté et sécurité constituent un nouveau pilier qui représente environ 5 %.

Tout cela relève de la géopolitique. Je vais vous montrer cette photographie, parce que je sais que vous connaissez tous Thomas Pesquet. La plupart d’entre vous sont convaincus que c’est un astronaute français, mais ce n’est pas le cas. Non, ça n’est pas le cas. C’est un spationaute européen, avec un passeport français, un permis de conduire français, une carte d’identité française. J’insiste là-dessus. C’est la beauté de notre corps d’astronautes européens, parce que cela fait de ce corps de spationautes européens un corps empreint d’esprit européen. C’est sûr qu’il est français. Mais pour moi, il est européen, tout comme je suis européen. Je ne suis plus seulement allemand, je suis européen, un Européen qui a un passeport allemand.

Je vais vous donner un exemple. En 2014, le conflit en Crimée a débuté. Vous connaissez tous les sanctions, etc. Bien sûr, du point de vue politique, ce n’est pas une question dont je pourrais traiter, mais nous avions prévu un vol d’astronautes et j’avais vraiment peur que ce vol soit supprimé du fait de la question géopolitique. Voici une photographie qui a été prise à Baïkonour. Vous voyez, de droite à gauche, un astronaute américain, un cosmonaute russe et un spationaute européen qui, à l’époque, étaient ensemble pour partir avec un Soyouz, une toute petite capsule, sans problème de visa, pour aller sur la station spatiale internationale, sans question de passeport là-bas. Ils pouvaient partir de la partie russe de la station pour aller dans la partie américaine, la partie japonaise et la partie européenne sans devoir passer par des contrôles aux frontières. Cela montre vraiment la beauté de l’espace.

J’ai d’autres exemples. Voici la photographie que je montre dans le monde entier pour expliquer qu’il existe un esprit européen. Vous connaissez cette personne à gauche, c’est un célèbre journaliste français. Peut-être ne connaissez-vous pas l’homme à droite. Nous, nous le connaissons bien, il s’agit de Tim Peake. Il n’est pas français, il est britannique. Il est passé aux actualités. Il a fait une interview de plusieurs minutes et quand j’ai vu cette interview, cela m’a réchauffé le cœur de voir à la télévision française un astronaute européen avec un passeport britannique. Je pense que cela a vraiment fait changer les choses. Cela, c’était à la télévision allemande. Nous voyons qu’il n’y a pas d’Allemand sur cette photographie, mais Thomas Pesquet est sur la photographie. Là encore, nous voyons qu’avec les astronautes, nous pouvons jeter des passerelles au-dessus des crises sur Terre et nous pourrons faire cela aussi sur la Lune.

Nous avons créé un concept ouvert, multipartenaire. Il est ouvert à tout le monde, public et privé, à toutes nations du monde. Les journalistes m’ont dit que ce n’était pas très percutant pour la communication, qu’il fallait changer. On m’a recommandé d’appeler cela « Moon village ». La réaction est que j’ai eu beaucoup de propositions pour devenir maire de ce village lunaire, mais l’idée reste la même. Il ne s’agit pas du seul projet de l’ESA. Nous avons plusieurs projets pour aller sur la Lune. Nous souhaitons rassembler les différents acteurs du monde entier autour d’une compréhension commune, disons, pour explorer la Lune. Nous faisons cela en particulier avec les Américains, dans le cadre du portail que nous appelons la « Gateway » lunaire. Cela devrait être une sorte d’arrêt de bus pour aller sur la surface lunaire.

La Lune est intéressante pour la science, le développement technologique, mais aussi pour l’entente internationale. Quand les Américains disent : « Nous retournons sur la Lune », je dis « non, nous ne retournons pas sur la Lune, et nous allons vers la Lune ». L’état d’esprit est complètement différent de ce qu’il était il y a cinquante ans. Le but est d’aller de l’avant vers la Lune. Cela signifie que nous aurons des Européens sur la surface de la Lune.

Parlons maintenant des aspects géopolitiques. Vous voyez de nouveau Tim Peake au milieu, dans le laboratoire de l’ESA et, à droite et à gauche, vous avez des astronomes venant des Émirats arabes unis (EAU). Ils ne font pas partie de notre corps de spationautes, mais cela montre que nous travaillons ensemble.

J’ai déjà parlé de la planète Mars. Le but n’est pas de la coloniser parce qu’il faudrait vivre dans des boîtes de conserve et ce n’est pas très agréable. Les astronautes peuvent vous confirmer que l’endroit le plus agréable de l’univers pour nous est la Terre. Mais, du point de vue scientifique, aller sur Mars a un intérêt parce qu’elle peut nous montrer ce qui pourrait se passer, ce qui pourrait arriver à la Terre. Mars avait autrefois une meilleure atmosphère et une meilleure température. Maintenant, ce n’est plus un endroit vivable. Y a-t-il eu de la vie sur Mars ? Nous ne le savons pas, mais nous pourrions aller l’étudier pour savoir s’il y a un jour eu de la vie. Nous prévoyons d’y aller cette année avec un petit astromobile (rover) qui va forer la surface martienne pour voir si l’on peut trouver des traces fossiles de vie.

Ensuite, une grande étape sera d’aller sur Mars lors des missions ExoMars avec les Russes et Mars Sample-Return avec les Américains. C’est une mission de retour d’échantillons martiens avec les Américains de la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Il s’agit d’envoyer un rover, de prélever des échantillons que l’on mettrait dans de petits conteneurs. Ensuite, le rover américain viendra récupérer ces prélèvements, il les apportera sur un site de lancement. Le lanceur américain enverra ces conteneurs en orbite martienne puis dans l’espace. Dans l’espace, nous pouvons compter sur la gravité. Lorsque ces conteneurs seront en orbite autour de Mars, un vaisseau spatial européen viendra les récupérer pour les rapporter dans les laboratoires européens.

Voici un autre exemple d’interaction géopolitique avec le Japon : BepiColombo est une sonde qui se dirige vers Mercure, la planète la plus proche du Soleil. Il faudra sept ans pour y arriver, avec un système de propulsion électrique. Tout le monde parle de la mobilité électrique ; nous avons un peu d’avance puisque cela fait maintenant sept ans que nous sommes en voyage vers cet endroit si éloigné et il n’y a pas de borne de recharge sur le chemin pour recharger le satellite : nous faisons cela avec des panneaux solaires. En plus de cette mission BepiColombo avec les Japonais pour aller sur Mercure, il y aura en février un lancement avec les Américains pour étudier le Soleil. Comme je le disais, le Soleil est particulièrement intéressant du fait des protubérances solaires. L’ESA travaille donc facilement avec l’Orient et l’Occident. Nous avons des projets pour faire des expériences dans l’espace avec les Chinois. C’est le programme Solar Wind Magnetosphere Ionosphere Link Explorer (SMILE) qui va se pencher sur la magnétosphère solaire.

Mais, bien sûr, ce n’est pas qu’un effort mondial. Il y a aussi une meilleure coopération européenne, qui est très importante pour nous. Vous connaissez le projet Copernicus et le projet Galileo avec l’Union européenne (UE). C’est le meilleur système de navigation par satellites au monde. Il y aura un prochain lancement cet automne pour le programme Copernicus : Sentinel-6A.

J’espère que tout cela vous aura convaincus que, avec l’espace, nous avons la possibilité de travailler ensemble dans le monde entier, surtout en Europe, pas avec les États-Unis d’Europe, mais peut-être avec l’espace unique d’Europe.

M. Thomas Pesquet, spationaute. Nous venons de voir l’espace européen de manière assez globale. Nous avons vu qu’il allait se passer beaucoup de choses, qu’il y avait beaucoup de thèmes. L’espace est très vaste ; je vais faire un petit zoom sur une partie de tout cela, celle de l’exploration spatiale. Je vais présenter ce que nous y faisons exactement, pourquoi c’est important et quel est le futur, au travers de mon expérience personnelle.

Je vais commencer par le présent, c’est-à-dire la station spatiale internationale (International Space Station, ISS) que j’ai eu la chance de visiter. 70 mètres de long, 100 mètres de large, 110 kW, soit la puissance d’une petite ville, huit terrains de basket à peu près de surface de panneaux solaires. C’est un objet absolument fantastique. Je pense que c’est l’objet le plus complexe qui ait jamais été réalisé de main d’homme. Comme son nom l’indique, elle est internationale. Je vous ai mis un petit code couleur en fonction de l’origine des différents modules. Nous voyons bien qu’en bleu les États-Unis sont les partenaires majeurs, mais, depuis 1998 et le lancement du premier module, l’Europe a sa place avec plusieurs modules, le cargo de ravitaillement Automated Transfer Vehicle (ATV), beaucoup d’expériences scientifiques et surtout les missions des astronautes européens. Nous allons fêter cette année vingt ans de présence humaine ininterrompue à bord de la station spatiale internationale.

Que faisons-nous dans cette station ? Nous n’envoyons pas les astronautes uniquement pour leur faire plaisir, même s’ils sont très contents d’y aller. Nous y faisons essentiellement de la recherche scientifique. Le but numéro un, c’est la recherche. Nous utilisons les propriétés de l’environnement spatial pour avoir accès à des choses qui sont cachées sur Terre. Cela peut être dans le domaine médical : nous faisons de la recherche sur les vaccins, l’immunologie, nous faisons aussi de la physiologie, de la recherche sur les muscles, les os. Cela peut être dans le domaine des matériaux. Le but du discours ici n’est évidemment pas de vous assommer avec la liste des expériences que j’ai eu la chance de réaliser à bord de la station : il y en avait presque deux cents. Le programme d’une mission comme la mienne, c’est essentiellement de pratiquer la recherche scientifique dans beaucoup de domaines.

Mais nous ne faisons pas que cela et c’est important de comprendre aussi que, à bord de la station spatiale, nous préparons la suite de l’exploration spatiale. Cette station n’est pas un but en soi. C’est une étape sur la route de l’exploration spatiale. Pour pouvoir aller plus loin demain, il faut apprendre à vivre de manière prolongée dans l’espace. Pour une mission sur Mars, on parle de neuf cents jours ! Il faut d’abord apprendre à vivre à proximité de la Terre, avec des possibilités de communication, de ravitaillement, de suivi médical pour pouvoir ensuite envisager ces missions-là. On me voit par exemple ici en train de piloter un rover à la surface de la Terre. Ce sont des scénarios d’exploration, comme dans la présentation de M. Wörner, sur des surfaces planétaires, que ce soit Mars ou la Lune.

Nous nous servons également de cette plateforme pour l’éducation, pour nous adresser aux jeunes, pour avoir des activités qui sont vraiment à but éducatif. Pendant ma mission, nous avons eu la chance de déployer des CubeSats. Ce sont des microsatellites, de la taille d’un Rubik’s cube ou le double, qui peuvent être réalisés par des universités, par des PME. Cela donne accès à l’espace à des gens qui, traditionnellement, n’ont pas le budget, le temps et les ressources pour y accéder. C’est déployé par un bras robotique à bord de la station spatiale et nous en avons déployé trente-sept au cours de ma mission. Nous avions aussi tout un programme, notamment au travers des activités du Centre national d’études spatiales (CNES), pour des expériences éducatives à réaliser avec des kits distribués dans les écoles. Ainsi, les gens au sol, les étudiants, les élèves réalisaient les mêmes expériences que moi à bord de la station spatiale et nous les aiguillions vers des phénomènes physiques ou biologiques en fonction des résultats. En général, leurs résultats étaient meilleurs que les miens d’ailleurs. Peut-être devrais-je me poser des questions, mais c’est ainsi que cela s’est passé.

La sortie extra-véhiculaire est l’image d’Épinal de l’astronaute, nous ne pouvons pas y échapper. Mais c’est assez rare, en fait, juste une fois de temps en temps. Le but de ces sorties est la maintenance, l’entretien ou l’installation d’expériences scientifiques à l’extérieur de la station. La station est un peu comme un sous-marin, complètement étanche, complètement hermétique évidemment puisqu’il n’y a pas d’atmosphère respirable à l’extérieur. Sortir est toujours un peu compliqué. Nous ne le faisons que quand nous y sommes obligés. J’ai eu la chance d’en faire deux.

Je souhaite dire deux mots à propos de la coopération internationale puisque nous sommes là pour cela. Voici une photographie qui a été prise deux mois et demi après mon départ de l’ISS. J’ai eu la chance de voler avec trois de ces six personnes. Nous portons une banderole avec tous les petits drapeaux des gens qui ont visité l’ISS. Aujourd’hui, dix-huit nations ont eu la chance de voler à bord de l’ISS. Le partenariat est constitué de la NASA qui représente les États-Unis, de nos collègues russes, japonais, canadiens et européens. Au sein de l’Europe, dix pays à peu près participent au programme de la station spatiale internationale et ont eu la chance d’avoir leurs ressortissants à bord de la station. C’est important, car cette coopération est visible comme nous l’avons dit tout à l’heure. Elle est exposée aux yeux de tous et cela permet parfois de désamorcer des antagonismes qui pourraient sans cela devenir gênants.

La coopération a lieu aussi au niveau mondial, avec aujourd’hui beaucoup de nouveaux acteurs. Vous voyez ce drapeau sur la capsule : c’est le drapeau chinois. La Chine a un programme spatial ambitieux, notamment dans le domaine des vols habités. Elle a réussi à lancer par ses propres moyens ses astronautes à bord. L’une des trois personnes à bord de ce panier de récupération est Matthias Maurer, un collègue allemand du corps des astronomes de l’Agence spatiale européenne. Peut-être verrons-nous demain des Européens voler dans l’espace avec des Chinois. Ce n’est pas encore la réalité, mais le spatial par nature s’ouvre à des coopérations.

Tout cela est très technique et très scientifique, mais il y a un aspect important que je voulais également évoquer : lors d’une mission spatiale, ce point de vue exceptionnel que nous avons sur la Terre ne fait a priori pas vraiment partie de la mission au début. Mais nous avons à cœur de le partager et j’essaie de partager cette expérience, ce regard sur la planète Terre, essentiellement à travers des photographies ou des vidéos. Nous avons la chance d’avoir une vue fantastique depuis la station et cela permet de montrer beaucoup de choses. Ici, nous voyons la France, le Royaume-Uni, Londres, la Belgique avec les autoroutes éclairées. C’est très facile de repérer la Belgique de nuit. Cela permet de montrer beaucoup de choses, de montrer la beauté de la Terre, mais aussi sa fragilité. J’en ai parlé depuis mon retour et tous les astronautes ont le même discours. Il y a un côté témoins. Dire lanceurs d’alerte est peut-être un peu fort, mais, comme témoins, nous prêtons aux gens le regard que nous pouvons avoir sur la Terre. À une échelle un peu élevée, voilà comment nous voyons le delta du Nil, la mer Rouge. En zoomant un peu, on commence à distinguer le canal de Suez, les villes. Quand on zoome encore plus, les détails augmentent et à la fin, au téléobjectif, on distingue quasiment les rues, les voitures. On voit notamment les pyramides, que j’ai mis trois mois à trouver pendant la mission.

Les phénomènes climatiques aussi sont très visibles. Vous imaginez la taille de cet ouragan ; c’est Florence vue de la station spatiale. Ce cliché a été pris par mon collègue Alexander Gerst. C’est l’œil du cyclone pris depuis la station. Les murs de ce phénomène climatique mesurent tout de même 20 kilomètres de hauteur.

Nous voyons aussi la pollution des rivières. Je ne vais pas dire où sont prises ces deux photographies, mais c’est sur le territoire français. Nous voyons la déforestation, en haut en 2003, et en bas très récemment. Vous voyez qu’il ne reste plus grand-chose de vert sur la deuxième photographie. Vous voyez très clairement l’utilisation des sols, la différence entre zones irriguées et non irriguées. C’est un exemple d’agriculture extensive dans le sud de la France.

La fonte des glaciers est visible sur la succession des missions, les unes après les autres, sur ces images en Patagonie. Voici aussi la fragilité des atolls, dans l’océan Pacifique. J’ai eu à cœur de témoigner de tout cela. J’avais apporté l’accord de Paris pour sensibiliser les gens. Immédiatement après ma mission, malheureusement, les États-Unis se sont retirés de cet accord. C’est très fâcheux, mais c’est la réalité à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Encore une fois, comme nous l’avons vu avec la présentation de Johann Wörner, nous, les astronautes, sommes le regard humain. Mais les agences telles que le CNES ou l’Agence spatiale européenne disposent d’une flotte de satellites qui vont étudier en détail la hauteur des vagues, la température, la concentration des gaz à effet de serre et qui permettent de conclure scientifiquement sur nombre de phénomènes. En tant qu’astronautes, nous proposons notre regard, nous montrons ce que nous voyons depuis la station spatiale. Nous avons tout de même des arguments scientifiques qui confortent ce regard, ce n’est pas seulement une vue de l’esprit.

Parlons également des nouveaux acteurs dans le programme spatial, comme SpaceX. Actuellement, dans le domaine des vols habités, ils sont fournisseurs de services pour la station spatiale, c’est-à-dire qu’ils ravitaillent les astronautes à bord en équipements. Dans le futur, il y aura des missions habitées. Vous voyez ici l’intérieur de la capsule Crew Dragon de SpaceX. Ces missions habitées seront sur budget du programme de l’ISS en fait. Ce n’est pas Elon Musk qui, sur budget propre, lance des gens dans l’espace. C’est la NASA qui passe des contrats avec l’industrie pour emmener des gens à bord de l’ISS. En dehors de SpaceX dont on entend beaucoup parler, Boeing, qui est un acteur plus « traditionnel » du spatial, dont on entend moins parler, a aussi un projet de capsule habitée que vous voyez ici sur le pas de tir en Floride. Voici l’intérieur de la capsule. Pour ma seconde mission qui se profile, j’aurais sans doute la chance de partir dans l’espace avec l’un de ces deux acteurs. Je vous présente un programme des projets en cours. En haut à droite, vous voyez un tout petit « ESA - Thomas Pesquet » avec une date qui pour l’instant se trouve aux alentours de juin-juillet 2021. C’est la deuxième mission annoncée pour moi, comme pour tous mes camarades de promotion. Tout le monde devrait retourner une deuxième fois dans l’ISS. C’est à prendre avec des pincettes, parce que nous sommes en phase de développement de ces nouvelles capsules. Cela peut changer, mais pour l’instant, il est prévu six mois à bord de la station spatiale, au départ de Cap Canaveral cette fois-ci, et non pas de Baïkonour avec nos partenaires russes.

Quelques mots sur le futur maintenant. Il y a trois destinations, pour l’exploration humaine et robotique. Je ne parle pas de science, mais vraiment d’exploration. Ces destinations sont le voisinage de la Terre, la Lune et Mars. Il y a un facteur 1000 à chaque fois. Le voisinage de la terre, c’est 400 kilomètres d’altitude pour la station spatiale. La Lune, c’est 384 000 kilomètres, donc en gros 400 000 kilomètres. Mars, c’est en gros entre 40 et 400 millions de kilomètres. Les gens disent : pourquoi est-ce si difficile ? Entre un voyage de 200 kilomètres en voiture, un voyage de 200 000 kilomètres ou un voyage de 200 millions de kilomètres, ce n’est évidemment pas la même limonade, si vous me passez l’expression !

Il y a donc trois destinations et quatre missions. Sans rentrer dans les détails, la première consiste à envoyer des humains en orbite basse pour la science. La deuxième consiste à envoyer des humains autour de la Lune pour la science et l’exploration. La troisième est une exploration robotique de la Lune pour préparer l’exploration humaine. La quatrième est l’exploration robotique de Mars. Voici à peu près le programme international et européen d’exploration spatiale.

Il faut un véhicule pour accéder à la Lune. Pour ce véhicule, qui s’appelle Orion, l’ESA est partenaire avec la NASA. Il faut une destination, une petite station en orbite autour de la Lune qui s’appelle Gateway, un nom un peu futuriste. Enfin, il faut un programme sur la surface de la Lune, comme M. Wörner l’a décrit, avec des utilisations de ressources in situ, quelque chose d’un peu plus durable en fait. Nous ne voulons pas aller juste planter un drapeau cette fois, nous voulons utiliser les ressources. Nous voulons avoir quelque chose de plus réutilisable, pour un programme scientifique et une présence de longue durée, pas uniquement aller planter un drapeau et se féliciter.

Après la Lune, ce sera Mars. Nous sommes déjà sur Mars : voici ExoMars Trace Gas Orbiter (TGO), un orbiteur de l’ESA qui est à poste depuis 2016. Voici le rover que nous avons vu tout à l’heure en vue d’artiste ; ici, c’est la photographie au moment de l’assemblage pour un lancement en 2020 afin de chercher des traces de vie sur Mars.

La collecte d’échantillons est vraiment compliquée. Un rover va collecter des échantillons, les encapsuler et un autre les récupérera. On les renverra en orbite pour les récupérer et les rapporter à 400 millions de kilomètres. Je ne sais pas si vous imaginez la complexité de la mission. C’est extrêmement ambitieux. Tout cela pour qu’un jour, on puisse envoyer des humains à la surface de la planète rouge.

Une conclusion pour vous dire que ce ne sont pas juste des rêves ou des élucubrations. Nous avons vraiment un plan, comme vous le voyez, avec nos trois destinations qui sont à gauche et nos quatre missions qui sont à droite. Nous avons une manière d’y parvenir. Ce sont aussi les conclusions de la réunion ministérielle de l’ESA en novembre : renforcer cette approche. C’est maintenant à nous de la mettre en œuvre et à moi d’y jouer ma petite part, à partir de 2021, à bord de la station spatiale. Ensuite, nous verrons !

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES). Chacun connaît le CNES : c’est l’établissement public chargé de l’espace en France. L’espace est un sujet très lié à notre politique européenne et internationale.

Commençons par quelques mots de présentation du CNES. Il a été créé en 1961 par le général de Gaulle. Nous allons bientôt fêter nos soixante ans. L’espace est d’abord bien sûr une ambition politique. Le CNES est un moteur de développement social et économique. Nous avons un budget qui est en hausse avec, pour l’année écoulée 2019, de grands sujets au-delà de l’Europe, mais aussi, sur le plan franco-français, des sujets liés à la défense dont le général Friedling parlera plus tard, ainsi qu’à la science. Nous avons tenu l’année dernière un séminaire de prospective scientifique.

Nous avons quatre centres d’excellence et un total de 2 363 collaborateurs : un siège à Paris, une direction des lanceurs à Paris également, un centre spatial à Toulouse et le centre spatial guyanais que tout le monde connaît, à Kourou, d’où partent les fusées, notamment Ariane. Le dernier lancement a eu lieu la semaine dernière.

Nous avons cette année un budget exceptionnel, une croissance de 14 % qui, dans le contexte actuel, montre l’intérêt que la représentation nationale et le gouvernement portent à l’espace ainsi que tout l’intérêt qu’il y a à investir dans l’espace. Nous avons un budget d’à peu près 2,8 milliards d’euros, avec lequel nous finançons bien sûr l’Agence spatiale européenne dont nous sommes le premier contributeur et nous avons un programme national.

Un mot sur la géopolitique qui montre que l’espace est une ambition pour l’Europe. En France, l’industrie française des lanceurs, des satellites et des applications représente 20 000 emplois et notre mission est de véhiculer ce que j’appelle le « réflexe France ». Certains d’entre vous sont venus, et je vous en remercie, au stand du CNES au salon du Bourget. Le salon du Bourget est un évènement très important, parce que le monde entier y défile et cela permet, sur notre stand, de montrer nos réalisations. Nous avons clairement montré ce que faisait la France spatiale.

Comme je l’ai dit, nous sommes le principal contributeur de l’Agence spatiale européenne et je crois que, plus que jamais, nous pouvons dire que le CNES est le moteur et la référence de l’Europe spatiale. Johann Wörner a parlé de la conférence de Séville. Nous considérons que l’Europe a fait un pas de géant à Séville. La France a mis beaucoup d’argent. On aime parfois faire des classements. Je crois pouvoir dire sans fausse honte que l’Europe est le numéro deux mondial dans le domaine spatial. En tête, il y a évidemment les États-Unis. La Chine lance beaucoup, mais ses satellites, en termes de technologies, ne sont pas au même niveau que ce que fait l’Europe. L’Europe est numéro deux mondial avec une très grande efficacité et une capacité à coopérer. J’ai la faiblesse de penser que la France est quand même un peu la colonne vertébrale de cette Europe. Nous avons aussi la Commission européenne, bien sûr, avec une stratégie qui a été développée au cours de ces dernières années et un budget qui constitue à peu près 50 % du budget de l’ESA. Vous le voyez, l’Europe est un sujet très important, dans lequel la France joue tout son rôle et, dans le monde, le CNES est un acteur à part entière de la diplomatie internationale. Nous avons de nombreux accords de coopération – un total de soixante-dix –, dont des accords très importants avec les États-Unis, la Chine, le Japon et quelques autres. Cela nous permet, grâce à notre stratégie de niche, d’embarquer des instruments scientifiques extrêmement performants sur des sondes développées par autrui. En 2017, nous avons posé l’instrument français SEIS à la surface de Mars en coopération avec les États-Unis. Nous faisons de l’océanographie avec l’Inde. Nous allons aller sur Phobos, l’une des lunes de Mars, avec le Japon. Nous avons donc une coopération tous azimuts, avec un effet démultiplicateur bien sûr puisque, lorsque nous envoyons un instrument scientifique grâce à une sonde développée par quelqu’un d’autre, la sonde coûte beaucoup plus cher que l’instrument, mais nous en tirons tous les bénéfices. Voilà ce que je voulais vous dire sur la géopolitique.

Passons aux trois secteurs d’activité qui nous préoccupent et sur lesquels nous travaillons. Le premier de ces secteurs concerne les lanceurs. Chacun connaît le programme Ariane. Nous avons fêté l’année dernière les quarante ans du premier lancement d’Ariane : c’était le 24 décembre 1979. Le hasard a bien fait les choses puisque, à ce moment-là, il y avait eu 250 lancements d’Ariane. Depuis, nous avons fait le 251e. L’avenir est assuré avec Ariane 6 qui est en train d’arriver et Vega-C pour des charges utiles plus petites. Nous préparons aussi l’avenir, parce que je ne peux pas me résoudre à laisser SpaceX faire la une des journaux télévisés. Nous travaillons nous aussi sur le réutilisable, sur du spatial disruptif, parce que c’est très important. L’expérience montre que ce que nous avons fait réussit finalement, le succès d’Ariane est là pour le prouver.

Le deuxième volet de nos activités concerne les satellites. Les satellites sont aujourd’hui incontournables dans notre vie quotidienne et nous pouvons nous enorgueillir de vrais succès avec les satellites que nous développons. Chacun d’entre vous a vu les images Pléiades, les images d’observation de la Terre. Je peux vous dire que nous faisons des images encore beaucoup plus précises dont se sert le général Friedling pour les missions militaires. Nous avons en projet des satellites pour effacer les zones blanches en matière d’internet à la surface du territoire. Nous avons des projets de satellites pour les sciences. C’est donc une activité complète et une très large panoplie.

Le troisième volet d’activités concerne les applications. Il faut avoir certains chiffres à l’esprit dans le spatial moderne. L’industrie manufacturière des lanceurs au niveau mondial représente quelques milliards de dollars, l’industrie manufacturière des satellites un peu moins de 20 milliards de dollars. Pour l’industrie des applications du spatial, des dizaines de milliards de dollars sont en jeu. On n’en parle pas beaucoup, bien sûr, parce que, un peu comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, chacun d’entre nous utilise beaucoup de satellites sans même s’en rendre compte. L’anecdote est connue : lorsqu’on prend un taxi qui est guidé par satellite dans Paris et que l’on passe dans un canyon urbain où le signal satellite est coupé, si vous dites au chauffeur que c’est normal, car on ne voit pas le satellite, il a parfois beaucoup de mal à admettre que son système se sert des satellites. Pourtant, les satellites sont partout dans notre vie quotidienne et c’est un sujet sur lequel le CNES met l’accent parce que c’est là que se trouvent les emplois de demain. C’est là que se trouve la croissance. C’est pour cela que nous avons développé de nombreux services, comme « Connect by CNES », un fonds d’investissement afin que les satellites entrent de plain-pied dans la vie quotidienne et surtout créent de l’activité, créent de l’emploi comme une retombée des investissements que nous faisons dans les lanceurs et dans les satellites. L’avenir, ce sont les applications.

Quelques mots peut-être sur les trois sujets « chauds » en quelque sorte de 2020. Le premier sujet est bien sûr l’innovation. L’innovation est vraiment le mot-clé et s’il y a un mot que je vous demande de retenir de cette présentation, c’est bien celui-ci parce que la France a montré, depuis soixante ans qu’elle fait du spatial, qu’elle arrivait à faire la course en tête parce qu’elle avait la capacité d’innover. Mais cette innovation a explosé au cours des dernières années en Californie et en Asie. Nous avons décidé de ne pas laisser les autres être seuls sur le devant de la scène. Nous innovons. Tout ce que nous faisons au CNES, c’est de l’innovation. Nous avons lancé récemment un nanosatellite Argos Néo on a Generic Economical and Light Satellite (ANGELS). C’est quelque chose de tout à fait innovant. Sur les lanceurs, nous faisons des innovations ; sur la science, nous faisons de l’innovation. C’est vraiment le sujet majeur. Toute l’action du CNES tourne autour de l’innovation.

Le deuxième sujet concerne le climat. C’est un sujet dont nous avons pris conscience en 2015, lors de la préparation de la Conference Of Parties (COP) 21 qui a donné lieu à l’accord de Paris. À peine élu, le Président de la République a lancé l’initiative One Planet Summit et a vraiment pris la tête de cette réflexion sur le changement climatique au niveau mondial, surtout à un moment où les États-Unis ont un peu baissé la garde. Le climat est fondamental. Le climat passe forcément par les satellites. Lorsque l’on veut parler du climat, il y a cinquante variables climatiques essentielles. Sur ces cinquante variables, vingt-six, c’est-à-dire plus de la moitié, ne peuvent être observées que par les satellites.

C’est pour cela que nous avons décidé de créer le Space Climate Observatory – en bon français, l’Observatoire spatial du climat – dans lequel nous fédérons toutes les agences spatiales du monde entier, afin de pouvoir standardiser les données. Très souvent, en effet, nous sommes confrontés au problème suivant : lorsqu’un satellite chinois observe qu’il y a des émissions de gaz carbonique, les Américains peuvent dire « oui, mais vous n’observez pas les mêmes données ». Nous appelons donc à une standardisation des données, de sorte que toutes les données de tous les satellites puissent être comparables, puis à une mise en commun pour que nous puissions confronter ces données spatiales aux données in situ et de sorte que nous ayons un outil universel et incontestable d’observation et de lutte contre le changement climatique. C’est le deuxième sujet et c’est un sujet qui va continuer de s’imposer, parce que le changement climatique est une réalité. On le voit bien en Australie, où nos satellites d’ailleurs aident à orienter les secours. C’est une vraie question et nous montrons l’exemple avec deux satellites extrêmement performants que nous développons. Le satellite MicroCarb va observer les émissions de gaz carbonique. L’idée est, un peu comme vous regardez la météo le soir à la télévision où vous voyez des nuages qui sont de la vapeur d’eau, d’observer les nuages de gaz carbonique pour voir qui sont les pollueurs, ce qui permettra évidemment de les contrer. Nous développons aussi un satellite du même type, Merlin, pour le méthane.

Le troisième enjeu est l’exploration. Le vol de Thomas Pesquet a mis l’exploration sur le devant de la scène. Ce n’est pas du tout péjoratif dans ma bouche, mais les vols qui ont précédé celui de Thomas sont finalement passés un peu inaperçus. On voyait au journal télévisé, durant quelques secondes, le décollage de la fusée, deux jours plus tard l’accostage à la station et six mois plus tard le retour. Aujourd’hui, grâce notamment aux réseaux sociaux, Thomas Pesquet a mis l’espace au centre de la vie quotidienne. Le fait qu’il ait envoyé chaque jour sur sa page Facebook une photographie qu’il avait prise lui-même depuis l’espace est absolument extraordinaire et cela a touché tout le monde dans la vie quotidienne. Quelqu’un qui travaille dans mon immeuble me faisait part tous les matins du fait qu’elle regardait la photographie de Thomas. Lorsqu’il a mis la photographie de Lisbonne – vous avez deviné que cette personne est portugaise –, elle pensait que c’était pour elle. C’est véridique ! C’est absolument formidable et il y a un regain pour l’exploration spatiale, avec le vol habité et avec les sondes automatiques. En 2020, nous allons être servis. Vous savez que nous ne pouvons aller vers Mars que tous les vingt-six mois. Nous allons lancer, au niveau mondial, quatre sondes vers Mars : ExoMars avec l’Agence spatiale européenne dont la France sera un des principaux contributeurs pour les instruments scientifiques ; Mars 2020, le rover de la NASA, dont nous fournissons l’instrument principal SuperCam qui a été fabriqué à Toulouse. J’étais aux États-Unis la semaine dernière. Nous avons livré SuperCam sur Mars 2020 ; les Émirats arabes unis lanceront une sonde pour aller observer Mars ; les Chinois en lanceront une autre.

Ainsi, les trois sujets vraiment « chauds » de 2020 sont l’innovation, le climat et l’exploration. Pour terminer, je voudrais vous donner quelques nombres-clés, car les chiffres frappent les esprits.

Parlons de Galileo. Il y a quelque temps, on souriait quand on disait : « Oui, Galileo, ce sera le GPS européen. » Aujourd’hui, Galileo a passé la barre des 1,2 milliard d’utilisateurs. Il y a 30 à 50 millions de smartphones qui se vendent chaque mois dans le monde et, à chaque fois, ce sont autant d’utilisateurs nouveaux pour Galileo et autant d’utilisateurs en moins pour le GPS. Il y a cinq ans, nous disions comme une boutade : « Oui, aujourd’hui on dit que Galileo, c’est le GPS européen, mais peut-être qu’un jour, on dira que le GPS est le Galileo américain. » Cela se fera : dans deux ans, il y aura beaucoup plus de gens qui utiliseront Galileo que le GPS et c’est un succès de l’Europe.

D’autres chiffres qu’il faut citer : je vous ai parlé des 250 lancements d’Ariane. Nous avons actuellement dix-sept satellites à propulsion électrique en cours de fabrication ou en développement. Nous avons vingt-six satellites français sous surveillance anticollision. Nous avons soixante-dix pays et organisations internationales qui sont partenaires du CNES. En 2021, Thomas Pesquet va revoler et c’est une excellente nouvelle. Ainsi, la France, au sein de l’Europe bien sûr, est présente et même très présente dans le domaine spatial.

Notre objectif en 2020 est de continuer à faire la course en tête. Au niveau français, je vous ai parlé de la défense, de la science, d’innovation. Au niveau de l’Europe, nous avons à mettre en œuvre les décisions fantastiques de la conférence de Séville. La nouvelle Commission européenne, avec Thierry Breton à Bruxelles, va définir une nouvelle politique spatiale européenne. Au niveau mondial, nous allons continuer, notamment sur les enjeux climatiques et les enjeux industriels. Je suis convaincu que les emplois de demain résident dans le spatial. C’est l’industrie de demain et le CNES est absolument fondamental pour pousser les atouts de l’industrie spatiale à l’international.

Mme Yaël Nazé, astrophysicienne. Quand on parle d’espace, l’astronomie vient immédiatement à l’esprit et il faut bien avouer que, ces derniers temps, nous avons eu la chance de faire de grandes découvertes. Je rappelle, par exemple, la première détection directe des ondes gravitationnelles, un siècle après leur prédiction. Ces ondes sont des vibrations du tissu de l’espace-temps, donc de ce qui constitue véritablement notre univers. C’est une nouvelle fenêtre sur l’univers, puisque jusqu’ici, on le regardait principalement avec la lumière. Nous avons déjà des surprises avec les détections que nous venons de faire. Il est clair que nous venons seulement de soulever un coin du voile, et nous risquons d’avoir encore beaucoup de surprises à l’avenir. Nous avons de nouveaux détecteurs qui sont en projet et en construction, en commençant bien sûr par le projet spatial européen Laser Interferometer Space Antenna (LISA) et le successeur des projets Laser Interferometer Gravitational-wave Observatory (LIGO) et Virgo au sol, qui sera le télescope Einstein. Ce télescope serait construit à proximité de Liège.

L’autre sujet qui occupe le devant de la scène concerne les exoplanètes, ces planètes qui tournent autour d’autres étoiles. Nous en connaissons actuellement plus de 4 000, dont 3 000 systèmes. Il y a de nombreux systèmes multiplanètes. Évidemment, parmi toutes ces planètes, certaines sont petites. Nous connaissons une cinquantaine d’objets assez petits, de la taille de la Terre ou des super Terres, qui ne se trouvent ni trop près ni trop loin de leur étoile. Elles sont potentiellement tempérées et on les appelle habitables. Entendons‑nous, c’est un vocable très mal choisi : nous n’en sommes pas encore à dire qu’elles sont véritablement habitables au sens français du terme, mais les missions prochaines, les projets futurs iront plus loin que la simple détection et caractériseront véritablement ces objets. Nous ne sommes pas en train de parler de déménager sur ces planètes. Nous sommes en train d’essayer de comprendre l’origine du système solaire, de comprendre son futur, mais également la diversité planétaire, les atmosphères de ces planètes. Peut-être aussi, plus tard, chercherons‑nous des traces, des signatures de la présence de vie dans leur atmosphère, ce que nous appelons des biosignatures.

Nous ne sommes pas restés non plus les bras croisés dans le système solaire. Nous avons eu là aussi énormément de missions et de succès ces derniers temps. Vous connaissez bien sûr la sonde Rosetta qui est allée voir la comète Tchouri, mais ce n’est pas fini. Nous avons déjà évoqué un certain nombre de fois ici les missions martiennes qui vont partir cette année chercher des traces de vie sur Mars. Il y a également une très grosse mission européenne, nommée Jupiter Icy Moons Explorer (JUICE), qui va partir vers Jupiter. Le départ est prévu dans moins de dix ans. Il y a également des projets qui se rapprochent plus de notre planète. Nous étudions les petits corps, ces fameux objets – comètes ou astéroïdes – qui se baladent dans le système solaire, dont certains peuvent croiser l’orbite terrestre et pourraient nous tomber dessus. Si, un jour, nous en repérons un qui risque de nous tomber dessus, il faut, pour savoir que faire, les caractériser, les connaître et savoir comment dévier ce genre de choses.

Voyons ce qui concerne le Soleil. Voici une photographie du Soleil avec une éruption et la Terre à l’échelle. Soyons clairs, nous ne pouvons pas changer les éruptions solaires ; contrairement à ce que présente le filon hollywoodien, nous ne pouvons rien y faire et nous allons les subir. Mais nous essayons de savoir quels sont les mécanismes qui conduisent à ces éruptions, comment les repérer, les observer, peut-être les prédire. C’est ce que l’on appelle la météorologie spatiale. Nous avons certes de jolies aurores quand il y a des tempêtes géomagnétiques, mais il peut aussi y avoir des problèmes dans les réseaux de télécommunications et le réseau électrique. Nous ne pouvons pas rester à ne rien faire dans ces domaines.

L’astronomie a aussi de très grands projets. Voici les projets qui sont en cours de développement et de construction. En optique, la photographie du bas vous montre le futur télescope européen qui se trouvera au Chili. Il mesurera environ 40 mètres. Vous le voyez comparé à l’Arc de Triomphe et à l’observatoire actuel ce qui vous donne une idée de sa taille. Nous sommes vraiment dans une autre dimension au niveau du télescope lui-même.

En radioastronomie, l’observatoire Square Kilometer Array (SKA) est un très gros projet, actuellement en cours de construction et, grâce à l’Agence spatiale européenne, nous avons également un prochain grand télescope spatial Advanced Telescope for High-ENergy Astrophysics (ATHENA) qui observera en rayons X. En plus de ces grands observatoires, il y a aussi des projets de télescopes un peu plus petits qui vont faire ce que l’on appelle des « surveys », c’est-à-dire des observations continues de l’ensemble du ciel. C’est le projet Large Synoptic Survey Telescope (LSST) qui depuis quelques jours a été rebaptisé le Vera Robin Observatory.

Tous ces projets ont deux grands points communs. D’une part, il s’agit d’efforts internationaux et, d’autre part, à chaque fois, vous avez une quantité énorme de données, ce qu’on appelle le big data. C’est aussi un défi que nous allons devoir relever dans les années qui viennent, un défi en termes de moyens de calcul, mais également en termes de personnel. Il va falloir des gens formés pour pouvoir comprendre tout cela et c’est extrêmement important dans les années qui viennent pour être prêt quand ces télescopes commenceront à observer.

Dans cette exploration qui continue, nous avons déjà fait beaucoup de choses, mais il reste énormément à faire. L’univers recèle encore énormément de mystères, et pas seulement sur les sujets médiatisés comme les exoplanètes ou les confins de l’univers. Il reste aussi énormément à faire sur des sujets qu’on pense peut-être bien connus. Je vais prendre un cas que je connais bien, puisque c’est mon domaine, le cas des étoiles, en particulier des étoiles massives. Vous allez me dire qu’on connaît bien les étoiles. En fait, pas tant que ça ! En ce qui concerne les étoiles massives, nous connaissons quelques grandes lignes de leur formation, mais ce n’est pas encore totalement clair. Il y a encore de nombreuses zones d’ombre dans leur vie. Elles perdent énormément de matière ce qui ensemence l’univers. C’est très important, mais il y a énormément de débats sur les mécanismes et les moments où cela se produit. La majorité de ces étoiles, une énorme majorité, environ 80 % de ces étoiles, vivent au moins en couple voire en triplé ou en quatuor. Pourquoi ? Pourquoi celles-là et pas les autres ? Que s’est-il passé ? Il reste énormément à faire pour répondre à ces questions. Quant à leur mort en supernova, il reste également des calculs théoriques à faire et des points à comprendre.

En plus de cette complémentarité des sujets, il y a aussi une complémentarité des instruments. Je vous ai montré de grands projets, mais il y a également des petits télescopes qu’il ne faut pas oublier. Ainsi, il y a vingt-cinq ans a été découverte la première planète qui tournait autour d’une étoile de type solaire. Nous l’avons trouvée avec le télescope de 193 centimètres de l’observatoire de Haute-Provence. C’est un petit télescope puisqu’à l’époque nous étions en train de construire des télescopes de huit mètres. C’était vraiment un tout petit télescope et pourtant, cette découverte a obtenu un prix Nobel. Il est clair que les petits télescopes ont tout à fait leur place dans l’astronomie actuelle et peuvent faire des découvertes importantes. Pour prendre un autre exemple récent dans le domaine spatial, nous avons des petits télescopes dans des nanosatellites, comme le Microvariability and Oscillations of Stars (MOST) ou le Bright(-star) Target Explorer (BRITE). Ce sont des télescopes minuscules, mais qui ont révolutionné ce que l’on connaissait sur la variabilité de nombreuses étoiles. De véritables découvertes peuvent être faites aussi avec de petits moyens. Cela a totalement sa place et cela s’inscrit en complément des grands projets.

J’insiste aussi sur la complémentarité entre les différents domaines, notamment les différents domaines de longueur d’onde. Nous couvrons très bien les rayons X et l’infrarouge, mais l’ultraviolet est un peu le parent pauvre. Or il est crucial pour énormément de choses. Il va falloir combler ce manque dans les années qui viennent. Soyons clairs. Il faut garder à l’esprit que l’innovation vient toujours, ou souvent, d’une direction inattendue. Il faut donc faire de grands projets pour lesquels les résultats sont en quelque sorte garantis ou très fortement espérés. Mais, il faut aussi laisser un espace de liberté, j’oserais même dire de fantaisie, qui permet aux chercheurs de rêver à des solutions différentes, risquées, peut-être à de fausses pistes, mais qui peuvent déboucher sur des choses extrêmement intéressantes.

Nous avons évidemment notre lot de défis également. La durabilité, dans toutes ses acceptions, est un très gros problème. Nous avons le problème des débris spatiaux. Il ne faut surtout pas perdre l’accès à l’espace et, pour le garder, il faut résoudre le problème des débris. Cela ne pourra être fait que par une coopération internationale. Les mégaconstellations de satellites, dont on parle régulièrement au niveau médiatique, sont très mignonnes, mais ont un certain impact, non seulement sur les observations du ciel depuis le sol, mais également sur les observations du sol depuis le ciel. Je vais prendre un exemple qui n’est pas spatial, mais on sait que le déploiement et l’utilisation de la 5G vont provoquer quelques petits problèmes, des bruits parasites, notamment dans des bandes que les météorologues utilisent pour mesurer l’humidité de l’air. Cela pourra poser des problèmes pour les prévisions météorologiques. Il faut essayer d’éviter cela pour ces mégaconstellations et donc en discuter avant, pas une fois que c’est fait évidemment.

Je terminerai avec un point peut-être pas très politiquement correct, mais néanmoins important. Lorsque l’on construit une mission scientifique, il y a certes des contrats industriels à la clé, mais c’est une mission scientifique. Le but est de faire de la science. Quand nous avons réussi à mettre en place, au sol ou dans l’espace, un outil extraordinaire, il faut absolument l’utiliser jusqu’au bout de ses capacités. Les extensions de mission ont un coût absolument négligeable comparé à la mise en place de la mission. Ce sont des montants très faibles, mais, en revanche, le retour scientifique est démultiplié. Je prendrai pour exemple trois missions qui ont eu des retours extraordinaires, qui ne sont pas terminées pour certaines, et qui ont vécu deux décennies. Il s’agit de l’International Ultraviolet Explorer (IUE), du télescope spatial Hubble et du télescope X-ray Multi-Mirror (XMM-Newton). La mission IUE, par exemple, n’est plus en place depuis des années, mais, aujourd’hui encore, nous l’utilisons sans arrêt. C’est absolument phénoménal et l’héritage est lié à la durée des missions.

Pour finir, n’oublions pas l’éducation. C’est quelque chose d’important, et l’espace est assez facile à utiliser pour intéresser les gens aux sciences, pour les amener vers les sciences, qu’il s’agisse du public ou de futurs étudiants. De plus, ce spatial est facile à utiliser en coopération puisque nous sommes tous avec le même espace, le même ciel.

Général Michel Friedling, commandant du Commandement de l’espace de l’armée de l’air. La France a publié en juillet dernier une stratégie spatiale de défense ambitieuse. Elle avait été souhaitée par le Président de la République. Elle a été élaborée par un groupe de travail piloté par Mme Parly, la ministre des armées, qui y a travaillé pendant un an, lors de nombreuses consultations avec un groupe de travail interministériel. Cette stratégie part d’un triple constat, bien connu, que je vais rappeler.

En premier lieu, l’importance cruciale de l’espace et des services qu’il offre pour le fonctionnement de nos sociétés, leur prospérité économique, mais également pour la sécurité et du point de vue militaire. Ces services sont indispensables à l’exercice de notre autonomie stratégique, à la prise de décision politique, à l’appui, à la préparation, la planification et la conduite de nos opérations militaires. La dépendance n’a jamais été aussi forte vis-à-vis des services spatiaux, concernant la défense et la sécurité, mais également l’économie.

Le deuxième constat concerne le bouleversement de l’écosystème spatial mondial, avec la démocratisation de l’accès à l’espace, avec l’apparition de nombreux acteurs nouveaux non étatiques notamment et la multiplication des projets commerciaux.

Enfin, le dernier constat est la vulnérabilité des activités et des infrastructures spatiales, qui n’a jamais été aussi grande face à des risques et des menaces qui ne cessent de croître.

Quelles sont ces menaces dans l’espace ? Je voudrais d’abord souligner une forme de paradoxe. L’espace est un milieu transparent, par nature physique et également par le caractère libéral, non contraignant, de son cadre juridique. Mais il fait pourtant preuve d’une forme d’opacité, pour nous militaires, en raison de son immensité, des distances auxquelles évoluent les objets spatiaux par rapport à la Terre, ou encore de leur vitesse. C’est un milieu dans lequel il est extrêmement difficile de savoir précisément ce qu’il se passe. Il est très difficile de comprendre qui fait quoi. Ce paradoxe est d’ailleurs une véritable incitation, et nous l’avons constaté pour certains acteurs, à conduire des actions que je qualifie de « grises », c’est-à-dire qui ne sont pas véritablement des actions hostiles, en temps de paix. Compte tenu de l’importance que l’espace offre aux opérations militaires et à l’autonomie stratégique, c’est également, compte tenu des caractéristiques du milieu spatial, une incitation à conduire des actions offensives pour priver un adversaire dès les premières heures d’un conflit des services que l’espace offre à ses opérations militaires et prendre un avantage décisif. Il est intéressant de faire un comparatif avec les débuts de l’arme sous-marine, pendant la Première guerre mondiale et entre les deux guerres, avec les débats juridiques et stratégiques de l’époque.

Parlons plus précisément des menaces. On le sait – c’est maintenant de notoriété publique –, plusieurs puissances spatiales ont développé et continuent de développer des systèmes en mesure d’espionner, de neutraliser, de brouiller ou de détruire des systèmes spatiaux adverses. Selon notre évaluation, les actions hostiles dans l’espace peuvent prendre différentes formes, avec des effets réversibles ou non réversibles. Elles peuvent s’appliquer sur les segments au sol, sur les segments spatiaux, sur les moyens de communication, de liaison entre les segments au sol et spatiaux ou sur les systèmes embarqués. Elles peuvent prendre différentes formes, se manifester par des attaques cybernétiques, par des actions de renseignement ou d’interception, par du brouillage électronique, par la neutralisation ou la destruction à l’aide d’armes à énergie dirigée, de satellites saboteurs ou kamikazes ou inspecteurs, ou des missiles antisatellite. Trois pays ont expérimenté des missiles antisatellite ; l’Inde est le dernier en date, il y a quelques mois. Dernier point, ces actions peuvent être effectuées par des satellites qui ont l’apparence de satellites civils ou de satellites scientifiques, ce qui rend extrêmement difficile la caractérisation et l’attribution de l’acte hostile.

Enfin, cela a été mentionné, mais je voulais le rappeler, la congestion progressive de l’espace avec l’apparition de ces mégas-constellations, la multiplication des débris qui accompagne cette congestion, mettent en péril la soutenabilité de nos activités spatiales futures. C’est un point véritablement majeur et doit constituer un point d’attention tout particulier. Vous savez probablement que le Président Trump, par une directive spatiale, a confié récemment au département du commerce américain la responsabilité de la surveillance de l’espace à des fins civiles et des services associés pour tous les opérateurs spatiaux. Je crois que nous avons là un très gros enjeu.

Pour conclure le constat de manière très synthétique, le domaine spatial a connu ces dix ou douze dernières années une révolution majeure. Il continue de connaître une révolution majeure qui est à la fois technologique, commerciale et industrielle, mais également stratégique et militaire. Face à ce constat, notre stratégie spatiale de défense énonce la ferme volonté de la France de ne pas rester absente, de relever les défis qui se posent, notamment en matière de sécurité et de défense. Elle vise donc à renforcer l’autonomie stratégique de la France selon trois axes. Le premier axe consiste à renforcer nos capacités spatiales de veille stratégique et d’appui aux opérations militaires. Le deuxième axe consiste à étendre nos capacités de surveillance de la situation spatiale, pour être en mesure de surveiller en permanence l’activité sur toutes les orbites de manière autonome. Le troisième axe enfin, puisque les menaces deviennent une réalité dans l’espace et que celui-ci devient un champ possible de confrontation militaire, consiste à développer une capacité spatiale de défense active. Nous voulons être en mesure, le cas échéant, de défendre nos intérêts spatiaux dans le respect du droit international. Nos intérêts spatiaux ne se limitent pas nécessairement aux satellites militaires, mais peuvent inclure des satellites civils, alliés ou des satellites de l’Union européenne.

Nous allons consacrer, sur la loi de programmation militaire en cours, environ 5 milliards d’euros d’ici 2025 à renouveler nos capacités spatiales militaires, construire une architecture de surveillance militaire de l’espace et développer une véritable capacité d’action de défense dans l’espace d’ici 2030. Nous souhaitons mettre en œuvre à terme des capacités couvrant l’ensemble du spectre, offrant une large palette d’options, pour pouvoir agir de manière continue, flexible et proportionnée, en particulier face à un adversaire qui agirait en dessous du seuil des conflits armés. Nous avons également créé, par décision du Président de République, un commandement de l’espace que j’ai l’honneur de commander, afin d’améliorer l’efficacité opérationnelle, la cohérence, la visibilité et la simplicité de notre gouvernance et de notre organisation qui était jusque-là beaucoup trop dispersée. Ce commandement est intégré à l’armée de l’air, mais c’est néanmoins un commandement interarmées, ce qui veut dire qu’il comprend du personnel de l’armée de terre, de la marine et d’autres services.

Ce commandement aura pour rôle de fédérer l’ensemble des moyens consacrés au spatial dans le domaine militaire. Il a également la charge, sous la responsabilité du chef d’état-major des armées et de la ministre des armées, de l’élaboration de la politique spatiale militaire, ce qui inclut les coopérations et les partenariats ou encore le développement des capacités spatiales militaires, mais également la conduite des opérations spatiales militaires et le développement d’une filière et d’un vivier d’expertise spatiale militaire. Il sera basé principalement à Toulouse, au cœur du centre de gravité de l’écosystème spatial français. Nous y installerons un centre opérationnel. Ce centre opérationnel conduira, à terme, toutes les opérations spatiales militaires d’appui aux opérations de surveillance de l’espace ou de défense, si besoin. C’est un travail qui est en cours et nous travaillons en totale synergie avec le CNES, auprès duquel nous allons nous installer. Il y aura auprès de ce centre d’opérations un Space Lab dédié à l’innovation du spatial de défense. Nous y travaillons en collaboration avec la direction générale de l’armement (DGA) et le CNES. Il y aura également un centre de formation aux opérations spatiales militaires qui sera ouvert à nos partenaires étrangers. Il s’insérera dans une véritable académie de l’espace qui a été souhaitée par notre stratégie, en fédérant toutes les formations du ministère pour susciter des vocations, favoriser les carrières spatiales et constituer ce vivier d’expertise que nous devons réaliser.

Cette stratégie nationale n’est pas pour autant exclusive d’une volonté de coopération et de partenariat. La France cherche en effet à développer et à partager, avec des partenaires capables et volontaires, une vision commune des enjeux stratégiques du spatial, notamment sur les menaces dans l’espace, avec une ambition d’autonomie européenne dans ce domaine. Nous développons à cet effet un certain nombre de coopérations et des partenariats, dans des cadres bilatéraux ou multilatéraux. Ces coopérations peuvent être de nature capacitaire : il s’agit de compléter nos capacités ou de les partager par des programmes en commun ou des échanges de capacités. Un certain nombre de satellites que nous mettons en œuvre ou que nous développons font l’objet de ces coopérations. Ces coopérations peuvent aussi être de nature opérationnelle : il s’agit d’opérer ou de se préparer à opérer dans le domaine spatial avec nos alliés, dans un milieu qui est nouveau et largement inconnu sur le plan militaire, par nature global au sens anglo-saxon du terme ce qui implique des partenaires parfois nouveaux par rapport à nos partenaires traditionnels dans le monde militaire. Ces coopérations peuvent être également de nature politique ou stratégique : il s’agit dans ce cas d’ajouter un volet spatial militaire à des partenariats stratégiques que nous avons déjà. Je pense en particulier à l’Inde et au Japon.

S’agissant de l’Europe, la stratégie énonce clairement que la France apporte son soutien au développement d’une Europe spatiale en mesure de contribuer directement à la construction de l’Europe de la défense et de la sécurité du continent. L’Europe sait construire des projets ambitieux ; Galileo et Copernicus en sont le parfait exemple. Nous devons protéger ces systèmes, garantir la continuité de leurs services. Pour cela, nous souhaitons renforcer notre capacité à détecter, identifier et caractériser tous les objets spatiaux autour d’un projet global de surveillance européenne de l’espace. Nous souhaitons également une gouvernance opérationnelle robuste de ces systèmes, nous permettant de réagir en cas d’incident, de crise ou de conflit.

Pour conclure, je veux redire que la France n’est pas engagée dans une démarche belliciste ou dans une course aux armements dans l’espace. Pour autant, dans le contexte que j’ai décrit et je reprends ici l’expression de Mme Parly, l’espace ne doit pas devenir un Far West. C’est l’objet de cette stratégie : la soutenabilité ou la pérennité de nos activités spatiales, la sécurité de nos infrastructures spatiales sont en jeu, et, avec elles, notre prospérité, notre développement durable, notre sécurité collective. Disposer d’une défense spatiale est donc essentiel pour conserver notre autonomie stratégique, notre liberté d’appréciation et d’action dans l’espace. En parallèle, nous poursuivons nos efforts diplomatiques, avec nos partenaires européens en particulier, mais plus largement avec l’ensemble des États intéressés, pour promouvoir et garantir un usage pacifique de l’espace.

Les défis mentionnés sont des défis qui sont communs. Beaucoup n’ont pas encore pris conscience de ces défis parmi nos partenaires étrangers. Je pense que nous avons ouvert un chemin avec cette stratégie nationale, mais relever collectivement en Europe ces défis est une nécessité. Tout ce qui pourra contribuer en matière de capacité de gouvernance à la sécurité, à la paix et la préservation de nos capacités spatiales sera évidemment bienvenu pour nous.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Cet éclairage était important. La nature coopérative de cette action qui sera désormais à mener est une quasi-première initiée par la France.

Mme Brigitte Liso. La ministre chargée de la défense a présenté, il y a quelques jours, la stratégie militaire pour le spatial français. D’ici à 2025, 700 millions d’euros supplémentaires seront dédiés à construire notre autodéfense et notre surveillance spatiale, en plus des 3,5 milliards débloqués par la loi de programmation militaire. L’objectif est simple : être prêt au cas où nos satellites seraient menacés. Au nom de mes collègues de La République en Marche, je me réjouis de cette stratégie qui est bienvenue et essentielle pour la stratégie de défense française. Car, nous le savons, l’espace est désormais un lieu où les puissances chinoise, américaine et russe exercent une véritable course à l’innovation industrielle ayant pour but, avoué ou non, d’intimider l’adversaire.

Néanmoins, je souhaite vous poser deux questions qui me paraissent fondamentales. D’abord sur nos capacités matérielles, j’émets un double constat : d’une part, le marché mondial, pour les usages civils et militaires du spatial, connaît une croissance inédite. À moyen terme, le nombre d’objets en orbite devrait atteindre 8 000, c’est-à-dire quatre fois plus qu’actuellement. D’autre part, nous pouvons nous appuyer sur nos atouts. Sur ce marché du « New Space », la France est déjà présente. Depuis déjà plusieurs années, nos PME, TPE et startups sont à pied d’œuvre pour proposer des solutions spatiales d’excellence et font un travail formidable avec nos donneurs d’ordre, dont le CNES. Elles sont sur tous les fronts : observation de la Terre, télécommunications, lasers de défense, etc. Afin de passer à la vitesse supérieure, comment sera organisé le fléchage des financements annoncés ? Que proposez-vous pour faciliter la commande publique puisque les entreprises seront bien plus sollicitées à l’avenir ?

Deuxième question importante, celle de la gouvernance. Je me réjouis de la naissance du grand commandement de l’espace à Toulouse, qui est le point névralgique de l’industrie aérospatiale. Si l’Europe veut rester dans la course, nous devrons faire bon usage de cette nouvelle enceinte attendue depuis longtemps. Au vu de vos différentes fonctions, comment percevez-vous à l’avenir le fonctionnement de ce commandement et comment inclure nos voisins européens de manière effective ?

Mme Bérangère Poletti. J’ai trois questions, la première sur l’exploitation des ressources, l’exploration et la conquête. Deux termes dont le sens est loin d’être anodin. Le premier semble être privilégié par les scientifiques quand le second se retrouve le plus souvent dans la bouche des politiques et des acteurs économiques. La conquête de l’espace, tout comme la conquête terrestre, s’accompagne d’une appropriation des ressources. Dans cette perspective, l’exploitation des ressources de l’espace peut prendre plusieurs directions : l’exploitation de l’eau sur la Lune ; l’exploitation des minerais, qui semble être aléatoire au vu du nombre d’astéroïdes répertoriés, dans leur majorité composés de fer et de nickel ; l’exploitation d’une énergie d’avenir avec l’hélium 3, présent sur la Lune.

Aujourd’hui, en l’absence d’une législation internationale forte, les États légifèrent de façon indépendante sur l’exploitation des ressources spatiales. Les États-Unis depuis 2015, le Luxembourg depuis 2017 font une interprétation unilatérale de l’article 2 du traité de l’espace qui dispose que l’espace extra-atmosphérique n’appartient à personne, en autorisant l’usage commercial des richesses naturelles se trouvant sur les astéroïdes et la Lune. L’absence d’un accord international sur la question de l’exploitation des ressources de l’espace ne risque-t-elle pas d’aboutir dans le futur à des conflits entre les États ? Quelle est votre analyse scientifique sur ce sujet ?

Ma deuxième question concerne la militarisation. Le 27 mars dernier, l’Inde a détruit un de ses propres satellites en orbite basse avec un missile. Il s’agit du quatrième pays, après les États-Unis, la Russie et la Chine à prouver sa capacité à détruire un satellite en orbite basse. Cette militarisation pousse les États dans une course qui n’est pas sans rappeler celle que se sont livrée les deux superpuissances au cours de la guerre froide. En effet, l’année dernière, Donald Trump a exprimé le souhait de créer une Space Force, une sixième branche de l’armée américaine. Ce n’est pas passé inaperçu du côté des Européens qui projettent également de créer une Space Force dans le cadre du développement d’une armée européenne. Le général Friedling vient de nous en parler. Ma question concerne cette militarisation qui risque d’avoir des conséquences dangereuses et votre analyse. En appelez-vous à une réglementation ? Quelle est votre approche scientifique ?

Enfin j’ai une question subsidiaire et rapide. Quelle est, selon vous, la différence de coût et d’intérêt entre une mission habitée et une mission robotisée ?

M. Michel Fanget. Nous saluons la tenue de cette rencontre, qui permet de mettre en évidence des aspects trop souvent ignorés de notre défense, de notre industrie et dont les conséquences sont pourtant très importantes. En la matière, nous ne pouvons que saluer les exploits réalisés par l’Europe et être heureux d’une telle réussite, qui conduit à des destins hors normes, à l’image de ce qu’accomplissent nos astronautes dont nous avons ici l’un de nos plus éminents représentants. Cette démarche s’inscrit en outre dans le contexte de la conférence spatiale européenne, qui se déroule en ce moment même à Bruxelles. Nous voyons bien que nous entrons désormais dans une nouvelle phase de ce que l’on a appelé la conquête de l’espace. Aujourd’hui, la question est moins de savoir qui sera le premier à poser le pied sur la planète Mars que de savoir si notre espace européen sera capable à l’avenir d’assurer son propre développement spatial, avec toutes les retombées que cela peut avoir dans les domaines économique, environnemental, industriel et bien sûr militaire. De ce point de vue, une prise de conscience a eu lieu parmi les plus hauts responsables. Des engagements ont été pris, à commencer par le Président de la République, des engagements que nous soutenons fermement. À ce titre, dans une entrevue au Point de janvier 2019, vous affirmiez, monsieur le président du CNES, monsieur Le Gall, être très optimiste pour l’avenir, revendiquant pour l’Europe une place prépondérante. Nos partenaires européens semblaient par ailleurs nous emboîter le pas dans la définition d’une ambition retrouvée de l’Europe pour l’espace. Aussi, à l’aune de ces déclarations, comment percevez-vous la position de la Finlande, qui présidait à la fin de l’année dernière le Conseil de l’Union européenne, et qui souhaitait réduire de 10 % les crédits européens, alors que nous savons qu’il est de plus en plus nécessaire d’accélérer notre investissement dans les années à venir ?

M. Alain David. Ces problématiques spatiales sont aussi passionnantes qu’inquiétantes dans la mesure où elles dépassent de très loin l’échelle française et même européenne. Il existe, je crois, une accélération de notre prise de conscience des enjeux spatiaux et de leur importance, mais il semble que les ambitions de la Commission européenne en la matière soient loin de faire l’unanimité parmi les États membres censés les financer.

Selon vous, quels sont les projets les plus prioritaires pour exister face aux États‑Unis, à la Russie ou à la Chine, qui développent également des stratégies de défense, d’espionnage voire d’attaque dans le milieu spatial ? La France entend apparemment pouvoir répondre à ces potentielles menaces et protéger ses intérêts militaires, ses intérêts civils, ainsi que ceux des projets spatiaux européens dans l’espace. Mais comment justifier ces programmes coûteux dans un contexte budgétaire très contraint ? Pour améliorer et renforcer les structures spatiales de l’Europe, la Commission européenne réclame 16 milliards d’euros aux États membres. L’espace est devenu une priorité, apparemment, sur l’agenda européen. Le pacte vert adopté pour aller vers la neutralité carbone en 2050 ne pourra pas se faire sans l’aide des technologies spatiales. Transition verte et transition digitale doivent s’articuler notamment via les infrastructures spatiales. Malheureusement, les négociations entre les États démarrent mal. L’enveloppe spatiale a été amputée de 10 %, à 14 milliards, avec des coupes de 20 % sur Galileo, 20 % sur Copernicus et l’enveloppe du futur Fonds européen de défense chargé de développer un volet spatial militaire a été amputée de 50 %. Les négociations sont compliquées pour obtenir un accord entre les vingt-sept pays, et nous allons perdre la part budgétaire britannique. Justement, à ce propos, pensez-vous que le Royaume-Uni va pouvoir rester un partenaire important dans notre aventure spatiale ?

M. Antoine Herth. Je voudrais aborder brièvement quatre points, à commencer par la question de la défense. Le 5 février prochain, l’Assemblée parlementaire franco-allemande se réunira à Strasbourg et elle va, selon toute probabilité, valider la création d’un groupe de travail sur les sujets de défense à l’échelle franco-allemande, mais évidemment dans une perspective européenne. Seront traités des sujets comme le rapprochement industriel, comme la présence européenne au Sahel. Mais à vous entendre, je me dis : est-ce qu’il ne faudrait pas partir au contraire sur une page blanche et mettre en priorité la convergence des points de vue sur une défense spatiale européenne ? Mon Général, pourriez-vous nous préciser quelles sont les données du problème ? Quels sont les nuages de points de vue qu’on peut rencontrer sur ces thématiques à l’échelle européenne ?

Merci à Thomas Pesquet pour ce témoignage très touchant de son séjour dans l’espace. Je crois que c’est très important de donner un visage et de montrer des expériences très concrètes à nos concitoyens. Ce sont des budgets publics qui sont mobilisés, il faut que nos concitoyens comprennent l’intérêt du sujet. Cependant, si vous me pardonnez l’expression, il y a un côté « Bisounours » dans l’ISS. Quand je vois le développement de réflexions sur la défense spatiale, je me pose cette question : est-ce que nous ne sommes pas à la fin d’une histoire ? Est‑ce que l’ISS n’est pas une parenthèse entre la guerre froide et les futurs conflits ? Quel est le contexte géopolitique qui est nécessaire pour que cette aventure de l’ISS puisse perdurer ?

Je voulais poser la question de l’impact du Brexit, ce qui vient d’être fait par l’orateur précédent.

Enfin, je voudrais revenir sur la question des déchets. Nous observons tous des continents de plastique dans nos océans. Est-ce que nous aurons bientôt un espace rempli de déchets ? Ne faut-il pas là aussi faire preuve de créativité ? Peut-être un nouvel accord de Paris ou de Berlin, pour une politique globale, créer les éboueurs de l’espace, se préoccuper de la collecte et du recyclage ? Peut-être imaginer une taxe sur les lancements spatiaux pour financer ces politiques ? Je lance un certain nombre d’idées, mais je crois qu’il faut vraiment s’en préoccuper.

M. Yannick Favennec. Je voudrais saluer la démarche de Thomas Pesquet en matière de pédagogie, de sensibilisation, notamment des enfants, comme il l’a fait il y a quelques mois, dans mon beau département de la Mayenne. Tout le monde s’en souvient encore.

Le 16 janvier dernier, à l’occasion du premier lancement de l’année pour Ariane 5, depuis la base de Kourou, Stéphane Israël, le PDG d’Arianespace, s’est référé à la série télévisée des années 1970, L’Homme qui valait trois milliards, pour dire que M. Wörner valait bien plus : 14,4 milliards depuis Space19+. Cette conférence, qui s’est tenue en novembre dernier, a en effet été un succès. Les ministres ont voté un budget de 14,4 milliards pour l’Agence spatiale européenne, permettant de valider plusieurs missions d’exploration et de continuer sereinement la transition vers Ariane 6. La France, avec plus de deux milliards d’euros, est d’ailleurs le deuxième contributeur avec l’Allemagne.

Cette conférence a notamment été l’occasion d’adopter un nouveau programme consacré à la sécurité spatiale. La surveillance de l’espace est en effet devenue un enjeu majeur pour les États, afin de préserver leurs intérêts économiques et militaires. Quelque 8 950 satellites, dont 2 100 sont actifs, ont été placés en orbite depuis 1957. Quelque 23 000 objets de plus de dix centimètres, comptabilisés par l’armée américaine, gravitent autour de la Terre à plus de 20 000 kilomètre par heure. À cette vitesse, toute collision peut détruire un satellite et engendrer un grand nombre de débris. Je crois d’ailleurs savoir que l’un des satellites Starlink de SpaceX a failli provoquer une collision début septembre, ce qui a obligé l’ESA à dévier la trajectoire du satellite Aeolus pour éviter la catastrophe. La connaissance de la situation spatiale est donc un prérequis pour l’exploitation commerciale et la conduite d’opérations militaires dans l’espace.

Aussi, pouvez-vous nous expliquer comment vous comptez œuvrer efficacement à la sécurisation de l’espace alors que les débris et les risques de débris spatiaux ne cessent de se multiplier, notamment avec la mise en orbite des constellations de satellites ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Je veux vous dire qu’il existe en France un enthousiasme général pour les questions de l’espace et que M. Pesquet en est la figure marquante après celle de Jean-Loup Chrétien dont on ne pourra pas oublier ici la contribution à l’aventure spatiale française. Les Français ne peuvent pas oublier qu’ils sont le deuxième peuple au monde pour la contribution individuelle au financement de programmes de l’espace. J’ai évoqué cet enthousiasme pour la question de l’espace en tant que nouvelle frontière de l’humanité lors d’un meeting que j’ai tenu pendant la campagne, au cours duquel la question de l’espace était posée. J’ai abordé trois thèmes que je vais reprendre rapidement devant vous. Celui de la pollution de l’espace vient d’être évoqué et je n’y ajoute rien. Je partage la préoccupation que représente cette pollution gigantesque vis-à-vis de laquelle bien sûr il y a des moyens de connaissance, mais dont on ne voit pas très bien à l’heure actuelle quels vont être les moyens de réplique ou de réparation sinon qu’une bonne partie d’entre eux vont tomber tout seuls sur la Terre. Nous en serons par conséquent débarrassés, mais peut-être n’est-ce pas le cas de tous les corps qui flottent.

J’évoquerai deux autres questions qui me paraissent plus directement transversales pour la politique française. La première est celle de la militarisation de l’espace. Je commence par dire que je me réjouis de la création d’un commandement particulier sur le sujet, parce que cela atteste d’une prise de conscience politique qui est partagée par tous sur la nécessité et l’importance d’un tel commandement. Cependant, je commencerai quand même par déplorer que nous en soyons là, car la militarisation de l’espace était interdite par les traités de 1967. Vous nous avez dit, général, que quatre pays sont maintenant capables de détruire des satellites en orbite basse. Nous avons tous mesuré ce que cela peut vouloir dire pour la sécurité, la permanence des liaisons et la surveillance du sol comme de l’espace. Quatre pays : les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde. Le premier qui a commencé à rompre avec l’interdiction de la militarisation d’espace est le Président Donald Trump en 2018, en annonçant vouloir créer un corps spatial d’armée. Je vais être direct : êtes-vous autorisé à nous dire si nous sommes nous-mêmes en état, Français, de détruire des satellites en orbite basse ? Cela serait une information décisive pour comprendre quel est le rapport de force avec d’autres pays.

Ma seconde question concerne la privatisation de l’espace. Le traité international de 1967 déclare que l’espace, la Lune et les autres corps célestes ne peuvent faire l’objet d’aucune appropriation. Or nous avons appris avec tristesse en 2015 que, par la loi Space Act aux États‑Unis, les entreprises privées sont autorisées à explorer, extraire et vendre les ressources spatiales, à s’approprier les corps célestes sur lesquels le drapeau des États-Unis viendrait à flotter le premier. Quelles réponses apportons-nous à cette situation ? Acceptons-nous la compétition et la course à la propriété des corps célestes ?

Enfin, de manière plus européenne, il va de soi que, pour ma part, je souhaite le renforcement permanent du CNES qui est un outil magnifique dont disposent les Français et qui prouve sans cesse sa capacité et ses performances. Il participe à l’action européenne de la France en matière spatiale. Dans ces conditions, puisque l’Europe a été beaucoup évoquée, que doit-on penser, Président, et que répond-on au fait que le Luxembourg ait décidé d’introduire une nouvelle réglementation autorisant les entreprises, notamment minières, implantées sur son territoire à exploiter et s’approprier les ressources spatiales ? Est-ce là un comportement loyal par rapport au fonctionnement du reste des pays de l’Europe ?

M. Sébastien Jumel. Figurez-vous que Thomas Pesquet est européen, français, mais qu’il a fait ses études à Dieppe, chez moi, et que cela constitue évidemment une fierté irréfragable. Il ne perd jamais l’occasion de rappeler qu’il est le fruit de l’école de la République. C’est ma première question. Comment faisons-nous en sorte de conserver l’avance historique de la France dans le domaine spatial en nous donnant les moyens de former les astronautes de demain ? Quel plan la France peut-elle développer dans ce domaine-là d’une manière efficace ?

Ensuite, Thomas Pesquet, dans sa capacité à démocratiser d’une certaine manière l’accès à l’espace, à vulgariser les enjeux de sa mission, en prenant le soin de sensibiliser les jeunes générations – je me souviens d’un conseil des enfants à Dieppe – a joué un rôle déterminant dans la prise de conscience de la fragilité de la planète. Il a dit : « Cette petite planète paraît si fragile vue d’en haut, une bulle de savon avec l’enveloppe fine de l’atmosphère qui l’entoure. » Ce sont des mots forts. Évidemment, l’un des enjeux est de savoir comment les missions spatiales peuvent consolider, objectiver la connaissance scientifique sur les défis climatiques et environnementaux. Comment la question de la soutenabilité des actions spatiales futures peut-elle nous permettre de ne pas faire dans l’espace ce que nous avons fait pour la planète ? Avec quels outils juridiques, avec quels outils concrets pouvons-nous prendre soin de l’espace, y compris pour en tirer des conséquences pour la Terre ? Voilà ma deuxième question.

La troisième question concerne l’intervention du général. Je valide l’opportunité qu’il y ait un commandement dans ce domaine, vu les enjeux. Mais les enjeux militaires dans l’espace, la compétition d’une certaine manière déjà lancée dans ce domaine-là ne risquent-ils pas de bousculer, de perturber, de fragiliser l’historique de la coopération internationale dans le domaine spatial ? L’ISS, fruit de la coopération intelligente, car mutuellement consentie par les pays associés, ne risque-t-elle pas d’être fragilisée par cette compétition militaire ?

Mme Yaël Nazé. Je vais juste rebondir sur deux questions ou remarques. À propos des ressources, il existe un traité international, le Moon Treaty qui a été signé en 1979, mais extrêmement peu de pays l’ont ratifié. La Belgique l’a ratifié, mais les puissances spatiales, dont la France, ne l’ont pas fait. Ce traité posait des bases plus concrètes justement à ce patrimoine commun que devrait rester l’espace. Mais je crois qu’il y a un grand problème juridique à ce niveau-là. Si vous voulez collaborer sur ces questions-là, je crois que, chez nous, au Belgian Sciences Policy Office, il y a justement quelqu’un qui est spécialisé dans ces questions et qui est tout à fait prêt à coopérer avec tous les pays européens. Sachant que nous avons évidemment un voisin, le Luxembourg, qui va être difficile à convaincre, je crois.

Sur la question de l’exploration robotique et de l’exploration humaine, je crois qu’il faut voir dans quel contexte nous y allons. Quand nous avons une exploration humaine, il peut y avoir des objectifs scientifiques, mais il y a également des questions de prestige, des questions d’occupation de territoire. L’état d’esprit est un peu différent. Je crois que nous ne pouvons pas les opposer. Ce sont des choses complémentaires, à voir au cas par cas selon ce que nous voulons faire. Il faut regarder quels sont les objectifs de la mission. On décidera ensuite si on le fait en robotique ou avec des astronautes, selon les résultats que l’on veut obtenir.

M. Hubert Julien-Laferrière. Comme Jean-Luc Mélenchon, je voulais rappeler le traité de 1967 qui affirmait que l’espace est un patrimoine commun de l’humanité dont aucun État ne peut se prévaloir. Pouvons-nous estimer aujourd’hui que ce traité est encore appliqué ?

On disait autrefois que qui domine la mer domine le monde. Aujourd’hui, qui domine l’espace domine la Terre et vous l’avez brillamment montré, s’il fallait encore nous en convaincre, concernant le domaine civil. Concernant le domaine militaire, comme cela a été rappelé, la Chine a fait la preuve il y a douze ans qu’elle pouvait détruire des satellites, l’Inde il y a quelques mois. L’Europe doit-elle se doter de cette capacité en commun ? Rentrons-nous dans une course aux armements, comme celle que nous avons connue pendant la guerre froide ?

Mme Liliana Tanguy. Je souhaitais vous interroger sur la politique spatiale européenne et le rôle d’acteur mondial que l’Union européenne et la France entendent jouer dans la coopération spatiale. Le règlement sur la politique spatiale européenne, qui a été adopté en avril 2019, conforte le développement des projets phares que sont Galileo et Copernicus, en vue d’un accès autonome à l’espace de l’Union et de ses États membres. Le renforcement de l’autonomie stratégique est également un enjeu capital qui a été mentionné par le général Friedling. Il est capital pour assurer notre sécurité et cela constitue d’ailleurs le cœur de la stratégie spatiale de défense voulue par notre Président de la République.

Vous l’avez souligné, la France est le principal contributeur à l’Europe spatiale et le spatial est un levier de croissance important pour notre pays, ainsi que pour l’Europe. Dans ce contexte, je souhaitais vous interroger sur la coopération spatiale entre l’Union européenne et ses partenaires. Avec le Royaume-Uni tout d’abord, cela a été évoqué, où Airbus et Thalès ont des succursales et dont les chercheurs et les entreprises ont contribué largement à Galileo. De quelle manière les Européens souhaitent-ils intégrer le Royaume-Uni à la politique spatiale européenne après le Brexit ? Concernant le partenariat avec la Russie, pensez-vous que le programme commun ExoMars résulte de l’incapacité de l’Union à développer seule une telle mission ou est-ce une volonté marquée de coopération pour faire face à la Chine et aux États‑Unis qui lanceront aussi leurs propres gros programmes vers Mars en 2020 ?

Enfin, je voulais ajouter que la Croatie, qui assure actuellement la présidence du Conseil de l’Union européenne, prévoit un Conseil sur le volet espace en mai 2020. Quelles avancées peut-on en espérer en matière de budget, de gouvernance du futur programme spatial pour 2021-2027 ?

M. Rodrigue Kokouendo. L’espace reste une zone encore peu réglementée. Le premier accord date de 1967, avec la signature du traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Il s’ensuivit bien sûr plusieurs accords et conventions. Un flou juridique persiste néanmoins sur un sujet qui prend de plus en plus d’importance au niveau national, européen ou tout simplement au niveau mondial, c’est l’écologie. Ma question est donc la suivante : aujourd’hui, notre société prend pleinement conscience des enjeux écologiques, environnementaux et de la nécessité d’agir. Le gouvernement français en a fait une des principales priorités avec notamment le projet de loi sur l’économie circulaire, mais aussi au niveau européen avec le « Green Deal » adopté lors du dernier Conseil européen de décembre. Mais qu’en est-il au niveau de l’espace ? L’écologie a‑t‑elle selon vous un rôle à jouer dans cet espace que vous connaissez ?

L’espace abriterait plus en plus de déchets spatiaux susceptibles d’engendrer des risques pour les satellites. Quelle solution serait donc envisageable ou réalisable ? Ces déchets constituent-ils de réels dangers pour la Terre ? Comment contraindre les États à respecter scrupuleusement un nouveau projet de convention dans les années à venir ?

M. Pierre Cabaré. Je ne peux être qu’heureux, d’abord parce je suis toulousain. Quand nous voyons Toulouse abriter le nouveau commandement de l’espace, mais aussi le CNES, je ne peux être qu’heureux de voir ce centre d’expertise évoluer de cette façon-là. Vous le savez, monsieur le Président, le groupe d’études spatiales et aéronautiques que je copréside avec M. Lagleize est un de vos fervents soutiens. Je voudrais, au-delà de tout cela et de tous ces bonheurs, parler de ce traité de l’espace qui date de 1967. C’est aujourd’hui un vieux traité. Comment le faire évoluer dans une Europe chaotique et dans une Europe pour laquelle il faut avoir une confiance totale lorsque l’on parle d’espace. Combien de pays ? Notre Président avait suggéré l’idée d’une Europe un peu restreinte sur certains sujets. Y a-t-il une possibilité d’armée spatiale européenne ? Dans ce cas-là, ce que nous n’avons pu faire sur Terre serait peut-être possible dans l’espace. Je demanderai si d’autres pays européens peuvent s’agréger à une telle identité. Je le redis, il la faut totalement transparente, alors qu’aujourd’hui on parle souvent de zones grises.

Je veux remercier Thomas Pesquet qui nous parle de sciences, d’exploration et d’éducation. Je trouve que c’est la ligne de conduite d’un Terrien qui est résolument tourné vers les étoiles.

Mme Annie Chapelier. Ce rêve qu’était l’espace est devenu, en devenant accessible, le théâtre de la convoitise, de l’avidité et de l’esprit de conquête des humains. Mais il est aussi un lieu où les nations apprennent à travailler de concert, à partager leurs recherches et leurs connaissances au service de l’humanité. L’Observatoire spatial pour le climat, créé en 2017 sous l’impulsion de la France, en est un exemple. Les données collectées dans l’espace permettent d’apporter de nombreuses réponses aux défis mondiaux. Le domaine de la santé n’est pas en reste. En effet, grâce à la télé-épidémiologie, les données collectées par les satellites sur l’atmosphère, les océans, la végétation ou les réseaux hydrographiques, combinées à des informations recueillies sur le terrain, permettent de mieux comprendre le déclenchement d’une épidémie. Ne serait-il pas alors possible de collecter également ces données au niveau international, sous la forme peut-être d’un observatoire spatial de la santé, afin de prévenir les épidémies et leur propagation ?

Mme Olga Givernet. C’est avec fierté que nous voyons l’activité spatiale de l’Europe se développer et ses succès. Vous avez évoqué un certain nombre de vulnérabilités en général. J’aimerais en souligner une particulière, celle des déchets spatiaux. Ces déchets spatiaux qui prolifèrent ont été évoqués également dans les interventions de certains de mes collègues. L’Agence spatiale européenne décompte 8 000 tonnes de débris en orbite autour de la Terre. Cela forme un énorme nuage de déchets. C’est environ 300 000 à 500 000 objets qui tournent en orbite. Je vais m’adresser à M. Pesquet qui se dit témoin, observateur de ce qui se passe là-haut. Est-ce comme si on avait un déchet à chaque coin de rue ? Est-ce la mer de déchets que nous pouvons voir sur certains de nos océans ? Nous aurions besoin d’avoir cette visibilité.

La loi de 2008 relative aux opérations spatiales réglemente le lancement d’objets spatiaux. Pourtant, elle reste floue puisqu’elle évoque simplement que ces déchets doivent être limités. Le CNES contribue à la recherche de solutions telles que celle consistant à mettre sur une orbite cimetière les satellites géostationnaires en fin de vie. Cette méthode est-elle vraiment viable ? Je suis dubitative. Pourquoi chacun ne ramènerait-il pas ses déchets chez lui pour les recycler ? Un nombre croissant d’entreprises privées de pays émergents s’intéresse à l’espace. Comment faire en sorte que l’attractivité économique ne fasse pas oublier le respect des valeurs écologiques et ne menace pas la sécurité spatiale ? Enfin, sommes-nous aujourd’hui capables, techniquement et réglementairement, de lutter contre la prolifération des débris spatiaux ? Sommes-nous en mesure de les gérer ?

M. Denis Masséglia. Je suis comme M. Wörner un Européen passionné par ces sujets‑là, comme des millions d’Européens. D’ailleurs, je ne suis pas député, je suis un industriel qui fait une petite pause, parce que la vraie passion de millions d’Européens est l’industrie. C’est ce que vous représentez, à votre niveau, par vos travaux, par vos résultats et vous tirez l’Europe vers le haut. Certains ici ont l’Europe faible. Certains ici ont l’Europe critique, sans cesse en train de dire et de mettre en avant tout ce qui nous sépare. Alors que nous devons mettre en avant l’Europe, ce regroupement de petits pays qui sont ensemble capables d’être la première puissance mondiale, qui sont ensemble capables d’exploits extraordinaires. Ce qu’il se passe aujourd’hui au travers de l’aéronautique et de l’aérospatial, demain au travers des batteries, avec la stratégie que nous avons nous, Européens, de financer, doit nous rassembler. Je rappelle que les Allemands ont mis un milliard d’euros, les Français, 700 millions d’euros pour développer les technologies de demain. Je voudrais avoir votre vision de façon politique. Pour nous battre contre certaines personnes qui souhaitent détruire l’Europe, demain nous rendre esclaves de certaines puissances étrangères, ne devrions-nous pas, plutôt que de mettre en avant ce qui nous sépare, mettre en avant tous ces projets industriels en commun qui pourraient nous regrouper, nous rassembler et nous permettre d’être demain cette première puissance qui mettra en avant les valeurs qui sont les nôtres ?

M. Jean François Mbaye. Je voudrais plus particulièrement m’adresser au directeur général de l’Agence spatiale européenne puisque, en novembre dernier, les pays membres de l’Agence spatiale ont voté une hausse record de son budget avec plus de 7 milliards d’euros par an pour les prochaines années. L’Agence spatiale européenne a pratiquement doublé les moyens dont elle disposait en 2019. Je rappelle qu’ils étaient aux alentours de 4,1 milliards.

Dans un contexte où la concurrence internationale devient de plus en plus farouche, notamment de la part de pays comme la Chine ou l’Inde, voire de la part d’acteurs privés comme SpaceX, l’Europe a en effet tout intérêt à se doter de moyens matériels afin de ne pas se laisser distancer dans ce que certains surnomment la guerre des étoiles. Néanmoins, au-delà de son intérêt stratégique et économique, la maîtrise de l’espace constitue aussi un paramètre assez crucial s’agissant de problématiques qui dépassent les clivages. Je pense bien évidemment aux enjeux climatiques et environnementaux. Alors ma question est toute simple : parmi les 14,4 milliards dont s’est dotée l’Agence spatiale européenne pour la période 2020-2024 et les 16 milliards qui sont versés par la Commission européenne pour la période 2021-2027, quelle est la part consacrée à la recherche et au développement de moyens innovants qui vont permettre d’observer et d’agir sur les problématiques climatiques et environnementales ? Quels grands projets, si vous pouvez nous en dire un peu plus, sont d’ores et déjà en cours d’élaboration en la matière, en Europe et dans les autres États en lice dans la course à l’espace ?

Mme Nicole Le Peih. Il est important que l’Union européenne et la France continuent à innover et à intéresser les citoyens dans ce domaine, afin que de futures générations puissent continuer sur cet élan. Ma question s’adresse plus particulièrement à Thomas Pesquet. J’ai eu l’honneur de vous rencontrer lors de la remise du prix du rayonnement français en octobre 2017 au Quai d’Orsay. Vous avez sans doute fait pétiller les étoiles dans les yeux des enfants, mais aussi des adultes. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur la façon de favoriser l’émergence de telles vocations parmi les jeunes générations et d’assurer ainsi la relève. Vous venez de Normandie, vous avez été formé à Toulouse, véritable capitale de l’aéronautique et du spatial. Comment avez-vous développé votre passion ? Pensez-vous que développer des initiatives au niveau local puisse faire apparaître de nouveaux intérêts chez les jeunes ? Je pense ici à un musée qui existe dans ma circonscription, dans la petite ville de Monterblanc. J’ai eu l’occasion d’inaugurer l’exposition sur la conquête spatiale en octobre dernier. Cette exposition présente aux visiteurs une maquette de la fusée Saturn 5, dédicacée par James Irwin, ainsi que d’autres maquettes rares. Comment, selon vous, permettre aux jeunes et aux moins jeunes aujourd’hui d’avoir des carrières telles que la vôtre ? Nous souhaitons orienter bien sûr vers des métiers d’exploration, d’innovation et de recherche. Vous avez dit jeter des passerelles autour de la Terre. Pour terminer, puisque vous avez bien dit « je souhaite respirer cet espace », l’espace, c’est là que résident les emplois de demain.

Mme Samantha Cazebonne. Nous le savons, les satellites jouent un rôle non négligeable dans la lutte contre le dérèglement climatique, notamment grâce aux informations qu’ils permettent de recueillir sur ce sujet. Mais nous savons aussi que le développement des activités spatiales contribue malheureusement à ce dérèglement climatique. D’où ma question : quelles sont les pistes actuelles pour diminuer cet impact environnemental, sur la Terre comme dans l’espace ?

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Pour répondre aux questions, je vous propose de donner la parole au général Michel Friedling auquel ont été adressées de très nombreuses questions.

Général Michel Friedling, commandant du Commandement de l’espace de l’armée de l’air. Il y a beaucoup de questions que j’ai essayé de regrouper par thématiques. Il me semble qu’il y a un certain nombre d’un certain nombre de questions et de préoccupations sur le sujet du droit de l’espace et de la militarisation de l’espace. Certains d’entre vous ont mentionné le traité de l’espace de 1967. Il me semble utile de préciser quelques petites choses au sujet de ce traité, parce que l’un d’entre vous a dit que ce traité interdit la militarisation de l’espace. Ce n’est pas exact. Lorsque nous avons travaillé pour élaborer cette stratégie spatiale de défense, les juristes ont évidemment été associés à notre réflexion, à la fois les juristes du ministère des armées, mais également les juristes du Quai d’Orsay. Nous avons des experts et d’ailleurs l’un de mes officiers porte l’expertise française dans les différents groupes de travail internationaux sur ces sujets.

Pour revenir sur le traité de 1967, le premier point est qu’il a une définition juridique un peu ambivalente de ce qu’est l’espace. Il ne définit pas une altitude à partir de laquelle on est dans l’espace. Le droit de l’espace s’applique aux objets qui sont en orbite autour de la Terre. Il ne s’applique pas aux objets qui transitent dans l’espace. C’est le premier point.

Ce qui est vrai, c’est qu’il indique un principe de non-souveraineté dans l’espace, un principe de libre utilisation. Il prône l’usage pacifique de l’espace.

Ce qu’il interdit explicitement, c’est le placement d’armes de destruction massive dans l’espace. Il n’interdit pas en revanche le placement dans l’espace d’armes qui ne seraient pas de destruction massive. Cela n’est pas formellement interdit. Ce qui est donc l’interprétation juridique que nous en faisons, c’est que le fait de placer une arme dans l’espace n’est pas en soi contraire au traité de 1967. Ce qui peut être contraire, c’est l’usage que l’on en fait. Ce que dit donc clairement la stratégie spatiale défense, c’est que nous allons nous doter de moyens de défense active, et nous exercerons le droit à la légitime défense que prévoit l’article 51 de la Charte des Nations unies. Ceci est strictement conforme au traité de l’espace dans notre vision.

J’apporte également une précision sur les mots. On parle de « militarisation de l’espace ». Je pense que l’espace a déjà été militarisé, dès les premiers jours. Il y a des satellites militaires dans l’espace depuis toujours. Je pense qu’il faut distinguer la militarisation de l’espace de « l’arsenalisation » de l’espace. Ce sont des sujets un peu différents.

Il y avait une autre question sur le thème des coopérations, de l’armée européenne de l’espace et ce que nous pouvons faire avec nos alliés. S’agissant de l’armée européenne de l’espace, je pense que c’est une vision probablement très lointaine et très ambitieuse. Ce n’est pas notre objectif. En revanche, nous développons et nous cherchons à développer des coopérations avec nos partenaires capables et volontaires en Europe. Nous travaillons très précisément avec les Allemands et les Italiens. J’ai d’ailleurs, dans mon équipe, un officier de liaison allemand et un officier de liaison italien qui représentent chacun leur pays et qui nous aident à développer cette coopération. Nous cherchons à accroître ces coopérations. C’est une ferme volonté de notre ministre. Nous avons, notamment avec l’Allemagne, le projet de construire une architecture commune de surveillance de l’espace à des fins militaires.

Je précise à cette occasion, mais je l’ai dit tout à l’heure, que les besoins civils en termes de sciences de l’espace ne sont pas tout à fait les mêmes que les besoins militaires. Les besoins civils concernent la détection de tous les débris spatiaux à des fins de sécurité des objets spatiaux. Les besoins militaires consistent à suivre, identifier et caractériser l’ensemble des satellites actifs pour être en mesure de comprendre qui fait quoi, ce qui se passe dans l’espace et de caractériser les actions. Ce qui m’amène à dire, et c’est une réponse assez large à certaines des préoccupations que j’ai entendues, que la première chose que nous voulons faire, un des axes prioritaires de la stratégie, est savoir qui fait quoi dans l’espace. C’est la première brique essentielle, la colonne vertébrale d’une forme de dissuasion. Il faut éviter que l’espace devienne un champ de confrontation militaire. Nous ne le souhaitons pas. Néanmoins, nous sommes obligés de constater que le monde n’est pas tel que nous le souhaitons. Nous avons déjà dans l’espace des moyens offensifs qui sont de réelles menaces. Pour éviter que ces menaces ne se concrétisent et que l’espace ne devienne un champ de confrontation, nous devons d’abord être en mesure de savoir précisément qui fait quoi. Ensuite, nous devons faire savoir que nous avons les moyens de réagir le cas échéant. C’est une forme de dissuasion, qui doit fonctionner. C’est précisément pour que nous puissions continuer à coopérer dans l’espace avec nos partenaires en matière d’exploration, de recherche scientifique que nous devons poser les conditions d’un usage pacifique de l’espace et empêcher que cet espace soit utilisé à des fins offensives, ce qui serait d’ailleurs dommageable pour tous. Quand je discute avec tous mes collègues et partenaires, les Américains en premier, qui sont peut-être les plus allants sur ce sujet, eux-mêmes disent : « Nous ne souhaitons pas une confrontation dans l’espace. Personne n’en sortira gagnant. » C’est donc vraiment une forme de dissuasion qui s’installe.

La deuxième chose, et cela répond aussi à une des questions qui ont été posées, c’est que toutes les capacités que nous cherchons à développer ont pour préoccupation de ne pas créer de débris supplémentaires. Ce sujet est clairement identifié et c’est pour nous une préoccupation majeure pour toutes les capacités que nous explorons, telle que la capacité de surveillance depuis le sol ou depuis l’espace. Nous allons développer des capacités de surveillance depuis l’espace, mais toutes les capacités de défense active seront définies avec l’idée majeure de ne créer aucun volume dans l’espace. Ce sera donc de la neutralisation probablement. Je ne peux pas vous en dire plus à ce stade. Nous réfléchissons à diverses options, mais sans débris.

Il y avait également une question sur la façon dont ce commandement va s’organiser. Nous sommes au début de l’histoire dans ce domaine. Nous avons une ambition. Nous avons commencé à travailler étroitement avec le CNES et nos partenaires pour créer ce commandement. Comme je l’ai dit, il a plusieurs responsabilités. C’est un objet assez unique dans le paysage du ministère, puisque l’idée de départ était d’y concentrer l’expertise spatiale qui existe au sein des armées et du ministère chargé de la défense et de lui confier, non seulement des responsabilités, mais également des ressources pour les exercer. C’est ce que nous avons fait. Ces responsabilités et ces ressources restent finalement partagées. Nous travaillons avec le CNES. Nous avons également travaillé avec la DGA pour la définition de notre capacité future et la conduite des programmes. Maintenant, il faut monter en gamme, il faut prendre des compétences. Il y aura un échelon qui sera toujours chargé de préparer cette politique spatiale militaire, de définir les besoins futurs, d’accroître nos partenariats. J’ai cité l’Allemagne, mais nous travaillons aussi à construire quelque chose de plus consistant avec l’Italie, en Europe. Il y aura également un échelon opérationnel très important à Toulouse. Nous avons tout à construire et c’est un chantier fascinant.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je pense qu’il est extrêmement important, et les différentes interventions allaient, me semble-t-il, toutes dans ce sens, de graver dans le marbre l’usage pacifique et coopératif de l’espace. Il faut le faire sans naïveté, en agissant pour prévenir les risques de conflits ou de confrontation, mais l’objectif final est bien celui-là. C’est celui de considérer et de faire vivre l’espace comme un bien commun de l’humanité. Au fond, c’est un défi pour nous tous.

M. Jean-Yves Le Gall, président du CNES. J’ai été impressionné par le nombre et la précision des questions qui ont été posées, qui montrent qu’au-delà des présentations qui ont été faites ce matin, l’espace fait recette. Je remercie vraiment les parlementaires d’avoir cette capacité de connaissance et d’analyse de ce que nous faisons. Il y a cinq sujets sur lesquels je souhaiterais revenir.

Le premier concerne la question des moyens et du budget. Il me semble qu’aujourd’hui, l’espace en France bénéficie d’une conjoncture favorable parce que, depuis l’élection du Président de la République, nous voyons bien qu’il y a trois thèmes d’importance pour le développement de l’activité scientifique, technologique et économique du pays : l’innovation, l’Europe et l’international. C’est exactement l’ADN du spatial tel que nous le pratiquons en France depuis soixante ans.

S’agissant de l’innovation, j’ai insisté lourdement dans mon exposé sur le fait que la France a toujours été à la pointe de l’innovation. Si Ariane a le succès que nous avons, ce n’est pas pour rien. Dans les années 1970, lorsque la France a décidé de développer Ariane 1 et que les États-Unis développaient la navette spatiale, d’aucuns souriaient. In fine, cela nous permet de faire la course en tête depuis quarante ans.

S’agissant de la construction européenne, l’espace est forcément européen. J’ai rappelé à quel point nous travaillons main dans la main avec nos partenaires européens au sein de l’Agence spatiale européenne depuis une quarantaine d’années et maintenant à Bruxelles.

Quant au troisième sujet, l’international, être à l’écoute de ce qui se fait ailleurs et avoir des coopérations internationales : j’ai rappelé que le CNES avait plus de soixante coopérations internationales. Je peux vous dire à quel point je suis fier d’aller rendre visite à nos partenaires internationaux. D’abord parce que nous avons un effet démultiplicateur lorsque nous travaillons avec eux, mais surtout, nous donnons, en particulier aux nouveaux venus dans la conquête spatiale, ce que j’appelle le « réflexe France ». Ainsi, le CNES a été la première agence spatiale à signer un accord de coopération avec l’Agence spatiale des Émirats, avec celle de l’Égypte, avec quelques autres agences de par le monde. C’est ainsi que le CNES intervient de façon fréquente un peu partout dans le monde en soutien bien sûr à notre industrie. Demain encore, j’irai en Inde, car l’Inde est un très bon client de l’industrie spatiale française et nous devons la soutenir.

En ce qui concerne l’Europe, j’ai entendu qu’il y avait des inquiétudes sur le budget que la Commission européenne va consacrer au spatial. Je répondrai que nous sommes dans le cours du processus. Vous seriez venu il y a quelques mois, alors que nous préparions Séville avec Johann Wörner, nous avions les mêmes inquiétudes. D’ailleurs, je dois dire que nous avons peut-être manqué d’ambition parce que nous avons obtenu 14,5 milliards alors que nous avions demandé un peu plus de 14 milliards. Certains nous ont dit que nous aurions dû demander davantage, mais nous sommes dans un processus de construction. Nous verrons où nous atterrissons avec l’objectif de 16 milliards à la Commission. Cela dit, actuellement, le budget est de 11,4 milliards. Même si ce n’est pas tout à fait 16 milliards, cela représentera quand même une augmentation importante par rapport à ce que nous avons aujourd’hui.

Le troisième sujet, ce sont les débris. Les débris constituent vraiment le sujet du moment, surtout à un moment où on voit la multiplication des projets de mégaconstellations. Je ne suis pas certain qu’ils se feront tous. Elon Musk parle de 42 000 satellites en orbite ; pour l’instant, ils en ont lancé 120. On voit que quand même que, globalement, il va y avoir plus de satellites que par le passé. Il est clair qu’il va falloir se préoccuper d’abord de ne pas polluer l’espace. De ce point de vue-là, la France a été pionnière, puisque la loi sur les opérations spatiales qu’a votée ce Parlement en 2008 oblige à ce que les satellites puissent être désorbités. D’ailleurs, cette loi fait florès, nombre de nos partenaires internationaux nous demandent comment faire. Mais la meilleure façon de ne pas avoir de débris est de ne pas en créer, bien sûr. Par ailleurs, la gestion de la navigation des satellites en orbite est très importante.

Le quatrième point concerne le climat. Est-ce que l’espace pollue ? J’ai envie de dire oui et non. C’est vrai que lorsque l’on envoie une fusée en orbite, on crée du gaz carbonique et du méthane. Mais c’est une quantité inférieure à celle d’un vol Paris-New York en avion-biréacteur. Il y a des dizaines de vols Paris - New York en avion-bioréacteur par jour. En revanche, les satellites contribuent de façon considérable à lutter contre le changement climatique.

Le dernier point qui a été abordé est celui de la politique du Luxembourg. Le Luxembourg a été toujours innovant en la matière. Il y a une trentaine d’années, lorsque nous développions en France les satellites Télédiffusion de France (TDF) avec l’Allemagne et TV‑SAT, le Luxembourg innovait avec la Société européenne des satellites (SES) et Astra‑SES. Trente ans plus tard, SES est le leader mondial des télécommunications spatiales. C’est un leader européen, je crois qu’il faut s’en féliciter. C’est vrai que les initiatives qui ont été prises pour l’exploitation minière des astéroïdes posent des questions, ont parfois fait sourire. Mais c’est vrai qu’il y a peut-être quelque chose à faire, à un horizon qui ne sera pas demain, il faut y réfléchir. Je crois qu’il faut rendre hommage au Luxembourg d’avoir pris cette initiative. Comme je suis résolument européen, je préfère que cette initiative ait été prise au Luxembourg plutôt que dans un État non européen.

M. Thomas Pesquet. De la même manière, j’ai essayé de regrouper les questions qui me concernent en différents thèmes.

Le premier que je voudrais évoquer rapidement, parce qu’il est assez récurrent, est la question de la comparaison mission habitée - mission robotique. On a envie d’opposer ces deux notions traditionnellement en France. J’ai eu la question de nombreuses fois, peut-être parce que c’est un peu plus simple, mais ce sont deux bras d’une même initiative. D’ailleurs, au sein de l’ESA, je fais partie de la direction Exploration qui regroupe les explorations robotique et humaine. Il n’y a pas de distinction. Nous ne sommes pas en compétition pour les budgets. Nous travaillons ensemble. Ce sont deux objectifs un peu différents de la même démarche. Nous envoyons des sondes, des robots quand c’est trop dangereux, quand c’est trop compliqué pour les hommes. Nous les envoyons pour défricher, mais l’exploration robotique n’est jamais une fin en soi. Je pourrais prêcher pour ma paroisse, mais ce n’est même pas moi qui le dis. Ce sont les scientifiques eux-mêmes, ceux qui travaillent sur Curiosity. Ils sont frustrés parce qu’avec un rover comme Curiosity, on envoie une commande, on a un retour quelques heures après, on a un problème, on l’analyse, on renvoie une commande… C’est extrêmement long. On avance, je crois, de 50 mètres par jour avec un rover sur Mars. Alors que le petit buggy des astronautes américains sur la Lune a fait 36 kilomètres en deux jours et demi. Ce n’est pas moi qui le dis, parce que je vous autoriserais à ne pas me croire, mais c’est la communauté scientifique qui dit avoir hâte que des astronautes soient sur Mars, parce que nous pourrons enfin démultiplier le retour scientifique. Cela a un coût, évidemment, d’envoyer des hommes et des femmes. Il faut assurer leur survie. Les missions d’exploration du système solaire nécssitent un budget important, même si elles sont uniquement robotiques.

Pour revenir sur le budget, parce que c’est important aussi d’avoir des ordres de grandeur, le coût de la station spatiale est estimé à 100 milliards de dollars, globalement. La majorité de cette somme a été payée par les Américains et les Russes. Nous avons 8,5 % du programme, au nom de l’Europe. Si j’arrondis à 10 %, cela fait dix milliards de dollars. Nous avons 20 % de cela au titre de la France. Cela fait deux milliards de dollars en vingt ans, depuis 1998. Je ne vous ferai pas l’injure de vous citer le budget du PSG qui est à 540 millions d’euros par an ou même des choses dans le domaine public qui sont infiniment supérieures. Il ne s’agit pas de faire des compétitions et de dire qu’untel a plus qu’un autre. C’est vrai que tout le monde est toujours un peu en compétition pour le budget public, mais je m’insurge sur le fait que l’exploration humaine habitée est très chère. Cela ne l’est pas. Ce sont des budgets importants, je suis d’accord. Il faut en premier lieu traiter les problèmes que nous avons sur Terre, mais il ne faut pas s’interdire de préparer le futur. C’est important et les coûts ramenés par habitant ne sont pas aussi élevés que les gens l’imaginent parfois. Évidemment, nous avons toutes les données pour montrer cela au sein des agences.

Le deuxième thème est celui des débris spatiaux. Je voudrais préciser le vocabulaire. Je préfère dire « débris spatiaux » plutôt que « déchets spatiaux ». « Déchets spatiaux » donne vraiment l’impression que nous jetons nos poubelles et ce n’est pas le cas. Ce sont des débris qui sont inertes dans l’atmosphère basse terrestre, un espace a priori dépourvu de vie. Ce n’est pas vider son bidon d’huile près d’un joli petit cours d’eau. Cela ne veut pas dire que c’est bien, évidemment, mais je préfère dire « débris spatiaux » plutôt que « déchets spatiaux ». Il m’a été demandé de témoigner, de dire si j’ai vu les débris. Cela m’arrange que vous posiez cette question, parce que cela permet de remettre l’église au milieu du village. Tout le monde a en tête l’image de la Terre, entourée d’un nuage de points blancs. Nous avons tous vu cette image-là, mais il faut bien voir que, sur cette image, chaque point blanc est à peu près de la taille d’un département, par rapport à l’échelle de la planète qui est derrière. On a l’impression qu’il y a un nuage de débris, que nous ne pouvons pas passer, qu’il faut slalomer comme dans Star Wars. Ce n’est pas le cas. Ce sont des débris de la taille d’une pièce de deux euros ou un tout petit peu plus grand et, entre deux débris, il peut y avoir 400 à 800 kilomètres quand même, des distances qui sont énormes. Ce n’est pas pour dire que c’est bien et que nous pouvons continuer, mais, à bord de la station spatiale, on ne peut pas voir les déchets spatiaux à cause des vitesses relatives. Cela se croise à la vitesse de deux balles de fusil ; c’est impossible à percevoir et nous n’avons eu qu’une seule fois à modifier la trajectoire de la station, pour éviter de prendre le risque de croiser un débris à moins de cinq kilomètres. Nous n’en sommes pas au point où les activités humaines sont impossibles en orbite, mais c’est un problème dont il faut se préoccuper.

Comment s’en préoccuper est une question qui est revenue assez souvent. Cela tombe bien, nous avons des idées là-dessus. À l’ESA, je pense que Johann Wörner va en parler, il y a une initiative qui s’appelle le « Clean Space » qui vise justement à avoir une démarche vertueuse dans l’espace. Cela signifie, aussi bien au sol que lors du cycle de vie de toute la mission, en fin de vie, lors de la construction, du lancement, qu’il faut avoir l’impact minimum sur l’environnement. Je pense personnellement que c’est l’aspect technique qui est important. Il y a aussi un aspect législatif qui va être important au niveau international. Chaque État ne peut pas faire ce qu’il veut. Ce que nous pouvons faire à notre niveau, pour l’instant, c’est de montrer l’exemple. Nous voulons être des leaders dans le domaine de l’espace et nous le sommes. Cela nous donne aussi des responsabilités qui sont de montrer aux gens comment faire cela de manière vertueuse et éventuellement de les aider technologiquement. Je pense que nous en avons pris la voie en France et en Europe.

À propos de l’impact environnemental des activités spatiales : quand vous envoyez quelque chose dans l’espace, que vous faites un lancement, cela a évidemment un impact environnemental, comme toutes les activités humaines. Malheureusement, c’est un peu le propre de l’homme d’avoir des impacts environnementaux. Il faut faire une analyse coûts-bénéfices. L’internet par exemple a des implications environnementales qui sont non négligeables. On en parle beaucoup en ce moment, avec le stockage des données, etc. Néanmoins, je pense personnellement que c’est un progrès majeur pour l’humanité, pour l’accès à la connaissance. Va-t-on se priver d’internet ? Je ne le pense pas. C’est un peu la même chose pour le spatial. Quels sont les bénéfices, surtout en termes de protection de l’environnement ? On l’a dit, on l’a répété, c’est depuis l’espace que nous avons conclu au réchauffement climatique. Sans les satellites, nous serions encore dans le flou. Certes, envoyer des satellites produit un peu de CO2, comme toutes les activités humaines, mais il faut voir ce que nous y gagnons et faire une analyse coûts-bénéfices. Je pense que c’est en faveur de l’activité spatiale de manière assez impressionnante.

Sur le sujet des ressources spatiales, je pense que je ne suis pas le mieux placé pour m’en saisir. À mon avis, face à des États qui veulent légiférer tout seuls, nous avons une ressource, qui est le multilatéralisme. Nous avons des forums pour parler de l’espace au niveau international. Nous avons un organe des Nations unies, le Bureau des affaires spatiales des Nations unies (BAS-NU) ou United Nations Office for Outer Space Affairs (UNOOSA), qui a pour vocation de rassembler les pays et d’émettre des avis sur les utilisations de l’espace entre autres. On sait bien qu’en ce moment, on se détourne un petit peu du multilatéralisme, mais malheureusement, c’est peut-être là que la solution se trouve, notamment pour tout ce qui est législation de l’espace.

Cela me permet de rebondir sur le contexte géopolitique, car j’ai beaucoup aimé la question. C’est vrai que nous avons l’impression que, dans le monde de l’ISS, tout va bien, tout est beau, mais qu’ailleurs c’est un peu difficile. L’ISS ou le programme spatial, comme toute organisation, est une organisation, c’est-à-dire une somme de stratégies individuelles. Une fois cela compris, on fait de la coopération, parce que chacun y trouve quelque chose. C’est comme partout, comme dans une équipe de sport. Évidemment, si on ne trouve plus ce qu’on était venu y chercher, la coopération s’arrête. Le grand avantage de ces coopérations est qu’elles sont à long terme, qu’elles sont peut-être plus durables que les cycles de réchauffement, de tension et d’apaisement des relations internationales. C’est valable parce qu’au moment où les tensions se créent entre des pays, ce programme qui a été décidé il y a dix ans les maintient visiblement ensemble. Ensuite, la tension va s’apaiser. Le temps que la tension s’apaise, nous aurons le temps d’engager les programmes suivants. C’est en ce moment qu’il faut engager les coopérations qui se feront dans vingt ans. Si nous nous laissons surprendre par des petits antagonismes, nous n’allons pas le faire et c’est dans vingt ans que nous en paierons les conséquences.

Cela me permet de faire un plaidoyer aussi en faveur de l’Europe. Ma carrière se fait au niveau européen, je suis allé dans l’espace grâce à l’Europe. Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut plus faire aujourd’hui parce que nous n’en avons pas les moyens au niveau national. Les faire au niveau européen permet d’être plus ambitieux et cela coûte moins cher par citoyen. Je ne vais pas être naïf, je sais qu’il y a beaucoup de choses qui se jouent à ce niveau‑là. Mais mon expérience personnelle est que l’Europe est un « enabler » comme disent les Américains. Cela permet de faire des choses que nous n’aurions pas été capables de faire seuls.

Le dernier petit point concerne l’éducation. On l’a dit, je crois très fort au rôle de l’école publique, laïque et gratuite en France. Je pense que c’est extrêmement important. On a parlé de la relève des astronautes, des ingénieurs ou de tous les gens du spatial. Comment faire en sorte que nous ayons les talents, que les gens se lancent vers ces métiers ? Comment les aider à réussir, les mettre en position de réussir ? Le pire, c’est que les gens ne se lancent pas, sous l’effet d’un phénomène d’autocensure. On se dit « c’est trop dur pour moi », « je ne peux pas y arriver », « ce n’est pas pour moi », « c’est trop loin », « je suis dans mon petit territoire, loin de la capitale ». Je pense que l’important est de faire le lien : les gens ne vont pas se lancer vers quelque chose qui ne les touche pas. Si les gens ont l’impression que pilote, médecin, ingénieur, tous ces métiers sont trop éloignés de leur situation et qu’ils n’ont pas de rapport avec eux, ils ne vont pas avoir le réflexe de se lancer. C’est important d’aller chercher les gens. J’ai essayé de le faire avec ma mission, de gommer cette distance, de dire : « Regardez, cela vous parle, c’est comme vous, nous sommes proches » et cela a très bien marché.

Je pense que c’est important d’aller chercher les gens, de les prendre par la main pour qu’ils ne se censurent pas, partout, dans tous les territoires et de leur dire : « C’est possible, on peut faire cela. Regardez, il y a des exemples, il y a des possibilités. » Ce n’est pas facile, quand on est jeune, de se lancer. Je suis allé dans de nombreux départements. Je n’ai pas parcouru toute la France, mais j’ai quand même essayé de me démultiplier. Je n’ai pas pu aller partout, mais, si je le pouvais, j’irais partout, dans toutes les écoles, pour dire aux gens : « Lancezvous, c’est possible ! »

M. Johann-Dietrich Wörner, directeur général de l’ASE. [Propos traduits de l’anglais] J’ai des réponses à toutes les questions, des remarques, mais je n’aurai pas le temps de les faire. Peut-être aurez-vous la possibilité de m’envoyer vos questions par mail, car je pense que toutes les questions méritent attention. J’y répondrai par écrit.

Lorsque nous avons préparé la conférence de Space19+ de l’ASE, c’était un nouveau pilier la sécurité spatiale et nous avons fait preuve de prudence pour ne pas demander trop d’argent. Je n’ai pas reçu le budget que je souhaitais, mais en tout cas, maintenant, nous avons une mission qui va éliminer des débris spatiaux d’un lancement précédent. Il s’agit de l’étage supérieur d’un lanceur de satellites qui en est encore en orbite aujourd’hui. Nous avons proposé à l’industrie de sélectionner l’un de ces étages de lanceur de l’ASE pour le faire redescendre. Nous souhaitons aussi dans l’avenir agir pour prévenir la production de débris. Cette unique mission aura pour but de réduire les débris, et nous avons aussi développé une technologie visant à prévenir la production de débris futurs. Ce sera une nouvelle technologie, une nouvelle méthodologie.

C’est important parce que notre centre opérationnel dit que, chaque jour, plusieurs actions sont entreprises pour éviter des collisions. Il y a des alertes collision tous les jours. Il faut donc que nous prenions des mesures et maintenant nous préparons des systèmes d’évitement de collision grâce à l’intelligence artificielle. Globalement, malheureusement, nous n’avons pu allouer à cette opération que 3 % des budgets. Nous souhaitons en avoir plus, mais nous commençons. Nous sommes la seule agence dans le monde à avoir lancé ce processus visant à éliminer des débris spatiaux. Même si ce n’est qu’un petit montant, en tout cas, nous faisons notre part.

Deuxièmement, vous parliez du financement, du côté de l’Union européenne et du côté de l’ASE. Les 16 milliards, réduits ou non, je ne sais pas, constitueront un financement pour sept ans. Il faut donc diviser par sept pour connaître le budget annuel. L’ASE, avec les 14,5 milliards déjà engagés lors de la réunion ministérielle par les États membres, dispose d’un budget global de 6,7 milliards d’euros par an, sur lequel 20 % proviennent de l’Union européenne.

La question est de savoir : est-ce trop, n’est-ce pas assez ? Nous sommes citoyens de l’Europe. Demandez aux contribuables européens combien ils souhaitent payer pour le spatial. La réponse est intéressante. Je n’ai pas les chiffres État par État, mais pour les grands pays européens, c’était 287 euros par citoyen et par an. Or la subvention de l’ASE pour Space19+ représente environ huit euros par citoyen européen et par an. Si vous rajoutez toutes les activités au niveau national, du CNES ici, de l’Agence spatiale italienne (ASI) en Italie, vous parvenez à 20 euros par an et par citoyen. Ce n’est qu’une petite partie de ce que les citoyens sont prêts à payer. Du côté de l’Union européenne, nous pouvons espérer avoir ces 16 milliards parce que c’est bon pour l’Europe, surtout pour Galileo et Copernicus.

Quel l’intérêt les États membres ont-ils à participer à l’ASE et à l’UE ? Tous les États membres de l’ASE participent en fonction de leurs atouts économiques. Ils peuvent décider à quels programmes ils vont participer et où ils ne vont pas s’impliquer. Nous avons le système des retours géographiques ; nos programmes ne sont pas simplement contrôlés, mais aussi pilotés et décidés directement par les États membres. Je crois que les deux systèmes ont leur mérite ; celui de l’Union européenne et la méthode de l’ASE ne doivent pas être vus comme s’excluant l’un l’autre, mais plutôt comme complémentaires.

S’agissant du Brexit, je ne peux pas vous dire exactement quels en seront les effets sur les activités spatiales de l’UE. Pour l’instant, l’UE dit que le Royaume-Uni ne pourra plus faire partie de Galileo ni de Copernicus. J’espère qu’il y aura un accord très bientôt, parce que le Royaume-Uni fait partie de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Pourquoi devrait-il être exclu de Galileo ? Pour moi, c’est quelque chose qu’il faudra résoudre parce que Galileo a aussi un volet sécuritaire. Pour l’ASE, il n’y a pas d’effet direct parce que le Royaume-Uni a décidé très tôt, avant même le référendum concernant le Brexit, de rester État membre de l’Agence. Il a même augmenté sa participation et sa contribution à Space19+. Mais, pour moi, en tant qu’Européen, l’Europe ne s’arrête pas aux frontières de l’Union européenne. J’espère que, pour l’Union européenne, nous pourrons trouver une solution solide pour coopérer à l’avenir.

Vous demandiez également pourquoi nous menons ExoMars avec les Russes, si c’est par manque de moyens ou pour une quelconque autre raison. Au début, ExoMars devait être fait avec la NASA. La NASA est sortie ce programme par suite de modifications du programme et les Russes sont intervenus. C’est bien, c’est l’aspect géopolitique du spatial. C’est aussi une question d’argent. C’est un avantage parce que les Russes nous apportent le lanceur, ainsi que des technologies supplémentaires. Mais pour nous, c’est assez intéressant, parce qu’il y a des aspects géopolitiques. Nous essayons constamment de coopérer avec tous les pays du monde. La NASA est notre premier partenaire. La Russie est un partenaire fort. Le Japon est également un partenaire fort. Le Canada lui-même est un partenaire de l’ASE à l’instar de la Chine.

Vous avez évoqué aussi la question des robots versus les astronautes. Thomas Pesquet a déjà répondu, je souhaite simplement apporter quelques compléments. Comment mesurer la pression sanguine avec un robot ? Les astronautes, dans la station spatiale internationale, font des expériences sur leur propre corps. En microgravité, l’organisme change, la tension artérielle est modifiée. Le vieillissement est différent. Tout cela nous permettra de mieux comprendre les effets sur le corps humain, non seulement des astronautes, mais aussi sur Terre. Il y a déjà des médicaments qui ont été développés sur la base des expériences qui ont été menées par les astronautes dans l’espace. Il y a besoin d’astronautes et comme l’a dit Thomas, l’ASE a décidé d’avoir un service d’exploration, qui comprend les robots parce que nous pensons que combiner les deux est la bonne solution. Les astronautes font des missions qui ne peuvent pas être remplies par les robots. Ils servent d’ambassadeurs ; on ne peut pas demander à un robot de parler de ses sentiments lorsqu’il voit à quel point la Terre est fragile ! Mais lorsqu’un astronaute le dit, les gens y voient immédiatement une source d’inspiration. Ils pensent qu’il y a quelque chose à faire. Je ne viendrai pas sous-estimer la valeur qu’il y a à servir d’ambassadeur. Tous ne sont pas là pour aspirer à devenir astronautes, mais aussi pour apporter leur pierre à l’avenir. Par exemple, je peux vous montrer si vous le souhaitez, comment notre expérience en Afrique s’est développée. Nous aidons à développer les observations de la Terre depuis l’espace en Afrique, pour avoir un système de préalerte précoce.

Un dernier point concernant l’utilisation des ressources spatiales. Nous pensons que c’est bon de les utiliser, mais nous ne prévoyons pas de les rapporter sur Terre. Nous pensons que, par exemple, nous pouvons utiliser les ressources in situ sur la Lune, c’est-à-dire utiliser des ressources lunaires pour construire des abris ou des observatoires. C’est beaucoup mieux que de rapporter tout cela sur Terre. Il faut laisser ces ressources là-bas. Sinon, ce serait du gaspillage.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. À travers vous, je veux que notre commission dise sa reconnaissance à la communauté scientifique et à tous les chercheurs qui participent à cette aventure spatiale. Je crois que cette table ronde intervient à un moment clé de l’histoire et du futur immédiat de l’espace. Sachez que vous aurez ici des alliés particulièrement vigilants sur la question de la gouvernance de l’espace et du statut de l’espace qui est, je le répète, un bien commun de l’humanité.

 

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Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé :

        M. Guy Teissier, co-rapporteur de la mission d’information sur le développement du Sahel ;

        M. Pierre-Henri Dumont et M. Alexandre Holroyd, co-rapporteurs de la mission d’information sur le partenariat futur entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

 

La séance est levée à 12 heures 20.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aude Amadou, M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, M. Yves Blein, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Olivier Dassault, M. Alain David, Mme Frédérique Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Michel Fanget, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Antoine Herth, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Mustapha Laabid, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Nicole Le Peih, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, M. Guy Teissier, Mme Valérie Thomas

Excusés. - Mme Ramlati Ali, Mme Clémentine Autain, M. Pascal Brindeau, M. Bernard Deflesselles, Mme Laurence Dumont, M. M'jid El Guerrab, Mme Anne Genetet, M. Claude Goasguen, M. Meyer Habib, M. Christian Hutin, Mme Sonia Krimi, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marion Lenne, M. Hugues Renson, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Michèle Tabarot, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman

Assistaient également à la réunion. - Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Marianne Dubois, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Carles Grelier, M. Sébastien Jumel, Mme Brigitte Kuster, M. Vincent Ledoux, Mme Patricia Lemoine, M. Éric Poulliat, M. Benoit Simian, M. Stéphane Trompille