Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 Audition, en visioconférence, de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, dans la perspective du prochain Conseil européen des affaires étrangères (politique commerciale commune).                            2

 

 


Lundi
8 juin 2020

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 49

session ordinaire de 2019-2020

Présidence
de Mme Marielle de Sarnez,
Présidente

 


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Audition, en visioconférence,
de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, dans la perspective du prochain Conseil européen des affaires étrangères (politique commerciale commune).

La séance est ouverte à 15 heures.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, nous recevons M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, dans la perspective du Conseil européen des ministres consacré à la politique commerciale commune, qui se tiendra demain. Le moment est d’autant plus crucial que nous connaissons d’importantes difficultés non seulement sanitaires, mais aussi économiques, puisqu’en 2020 le PIB français devrait baisser de 11 % et les échanges internationaux de marchandises régresser, selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans une proportion comprise entre 13 % et 32 %.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous éclairerez sur les perspectives des exportations et des importations françaises et européennes dans les mois et les années qui viennent, en nous indiquant quels sont les secteurs qui vous paraissent particulièrement fragilisés et les activités à l’export dont on peut espérer qu’elles redémarreront.

Pour l’avenir, notre commission estime que nous devrons repenser les fondamentaux du commerce international et parvenir à un équilibre nouveau dans une forme de régionalisation des échanges. Du reste, dès avant la crise, on observait, à l’échelle de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), de l’Amérique du Nord ou de l’Afrique de l’Ouest, une tendance à la régionalisation des chaînes de valeur. La crise pourrait accentuer ce phénomène en incitant les États à sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement et à rechercher de nouveaux partenaires commerciaux moins éloignés géographiquement. Il me semble que nous pourrions envisager ainsi un partenariat différent avec nos voisins d’Europe orientale et occidentale ainsi qu’avec le sud de la Méditerranée. Par ailleurs, il nous faudra réduire notre dépendance vis-à-vis de la Chine notamment, dans les domaines que nous jugerons essentiels et stratégiques. Sur ces orientations de fond, la France devrait prendre l’initiative. Comment faire en sorte que cette vision nouvelle devienne une réalité dans les années à venir ?

Nous souhaiterions également que vous nous indiquiez la position de la France sur les accords commerciaux en cours, notamment avec le Mexique et le Mercosur. Comment les conséquences de la crise et les exigences environnementales pourraient-elles être mieux prises en compte dans les futurs accords ?

Quel type de partenariat l’Union européenne peut-elle être amenée à nouer avec le Royaume-Uni au-delà du 31 décembre prochain ? Nous percevons bien qu’une prolongation de la période de transition ne paraît pas être l’hypothèse la plus probable. Vous nous ferez part de votre analyse des risques d’aboutir à un no deal ou à un deal a minima, sachant que le Royaume-Uni est le pays avec lequel la France enregistre son plus fort excédent commercial. Faute d’accord, nous le savons, ce sont les règles de l’OMC qui régiront nos relations ; le Royaume-Uni deviendrait alors un pays tiers.

Le directeur général de l’OMC, Roberto Azevêdo, que nous avions reçu, vient d’annoncer sa démission. Nous souhaiterions savoir s’il existe une stratégie européenne concernant la réforme de cette organisation et si une candidature européenne à sa direction générale est envisagée afin de favoriser un commerce international plus juste, plus durable et plus équitable.

Enfin, le secteur du tourisme doit faire l’objet d’un plan de soutien important, à hauteur de plus de 18 milliards. Le troisième projet de loi de finances rectificative, qui sera présenté mercredi en Conseil des ministres, comporte un certain nombre de modifications législatives nécessaires à la mise en œuvre de ce plan. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ces dispositions, qui intéressent notre commission ? Il nous paraît important que le soutien à ce secteur essentiel ne se résume pas à des facilités financières, mais qu’il soit orienté vers la promotion d’un tourisme plus qualitatif, plus responsable, plus respectueux de l’écologie, plus proche des divers territoires et dont les retombées économiques soient plus importantes.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Deux points sont inscrits à l’ordre du jour du Conseil des ministres des affaires étrangères qui se tient demain : la situation de l’OMC et les conséquences de la crise sanitaire sur la politique commerciale de l’Union européenne.

Le panorama du multilatéralisme commercial n’incite pas à l’optimisme. Outre les guerres commerciales et la rivalité stratégique entre les États-Unis et la Chine, l’OMC rencontre des difficultés – son organe d’appel est, en raison du veto américain, inopérant depuis le 11 décembre et les négociations multilatérales progressent très peu –, difficultés qui l’empêchent de jouer son rôle de médiation. Qui plus est, la crise sanitaire a conduit à l’annulation de la plupart des échéances du printemps et au report à 2021 de la 12e conférence ministérielle de l’OMC, ainsi qu’à une prolifération de mesures de restrictions commerciales – tendant notamment au contrôle des exportations de produits de santé – et au ralentissement des travaux de l’organisation. Enfin, le directeur général de l’OMC a annoncé qu’il quitterait son poste le 31 août ; son successeur doit, en principe, être désigné par consensus – même si un vote est possible. L’OMC est à un moment de vérité : elle doit être réformée et les règles commerciales actualisées.

Lors du Conseil des ministres, je plaiderai, d’une part, pour que l’Union européenne défende une position unique de manière à favoriser la désignation d’une personnalité attachée au multilatéralisme et à la réforme de l’organisation et, d’autre part, pour que le calendrier soit resserré, car nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’un intérim trop long. Des noms d’Européens et d’Africains circulent ; les candidatures doivent être déposées avant le 8 juillet.

La Commission proposera, demain, un nouvel ordre des priorités de notre agenda de discussions à l’OMC. Nous souhaitons insister sur le renforcement de la transparence des pratiques commerciales et sur les enjeux de développement durable. Les Européens entendent ainsi conclure la négociation en cours sur les subventions à la pêche et obtenir une déclaration sur le développement durable lors de la prochaine conférence ministérielle. La Commission a également apporté des réponses concrètes au blocage de l’organe d’appel en concluant un arrangement intérimaire d’appel avec vingt et un autres membres de l’organisation représentant environ 50 % des membres parties à des litiges à l’OMC.

J’insisterai sur la nécessité pour cette dernière de surveiller les mesures prises en lien avec l’épidémie afin de lutter contre tout protectionnisme indu et prévenir les distorsions de concurrence, ainsi que sur les enjeux de développement durable. Il importe également que l’Union européenne fasse preuve de leadership politique s’agissant de l’équité des conditions de la concurrence, du règlement des différends et de la réforme du traitement spécial et différencié. La France appuiera la proposition de l’Union européenne de lancer à l’OMC une négociation plurilatérale sur le commerce des biens médicaux essentiels, afin que chaque pays ait accès aux produits nécessaires pour lutter contre les épidémies.

Second point : les conséquences de la crise sanitaire. Dans un premier temps, les Européens ont instauré un régime d’autorisation des exportations d’équipements de protection personnelle hors de l’Union européenne et suspendu les droits de douane à l’importation de produits de première nécessité dans la lutte contre l’épidémie. Ces mesures d’urgence dérogatoires, qui ont permis de soutenir l’effort d’approvisionnement, étaient transparentes et temporaires. L’Union européenne a ainsi progressivement réduit le champ de son régime d’autorisation, qu’elle a retiré fin mai.

Au sein de l’Union européenne, le commerce international devrait diminuer de 15 % ; ce ralentissement pèsera sur les exportations françaises, alors même qu’elles ont contribué à réduire notre déficit commercial en 2019.

Pour remédier à la fragilisation de nos systèmes d’approvisionnement en période de crise, nous devrons probablement, au plan européen, développer une politique de stockage, maintenir des capacités de production des biens sanitaires essentiels et soutenir la réponse multilatérale à l’OMC que j’évoquais. Il convient également que les entreprises diversifient leurs approvisionnements afin de sécuriser les chaînes de valeur. C’est pourquoi je suis favorable à une forme de régionalisation : Europe et Afrique constituent, par exemple, un fuseau cohérent au plan économique et logistique.

Il nous faut poursuivre nos efforts pour apaiser les tensions commerciales, mais cela prendra du temps. Aussi les Européens doivent-ils renforcer ceux de leurs outils qui permettent de garantir les conditions équitables du commerce. À cet égard, la nomination d’un « procureur commercial » au sein de la Direction générale Commerce est un signe encourageant.

La crise ne doit pas remettre en cause nos efforts pour adapter la politique commerciale de l’UE à une plus grande durabilité, au contraire. Ainsi, mon homologue néerlandaise et moi-même avons formulé des propositions conjointes pour renforcer la cohérence entre la politique commerciale et le développement durable : consolidation des chapitres consacrés à ce thème dans les accords commerciaux, meilleure évaluation de l’impact socio-économique et environnemental de ces derniers, extension des clauses essentielles à l’accord de Paris, instauration d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Cette initiative commune montre que, sur ces enjeux, nous pouvons dépasser les différences d’approche habituelles de la politique commerciale de l’Union européenne. Gouvernements et parlements nationaux ont un rôle à jouer dans le cadre de la révision anticipée du cadre stratégique de politique commerciale de la Commission.

S’agissant du Brexit, M. Barnier n’est guère optimiste sur l’issue du round de négociations en cours ; la situation est plutôt préoccupante.

Sur l’accord avec le Mexique, la communication de la Commission a été maladroite : il s’agit simplement d’une mise à jour. Il nous faudra, avant d’arrêter une position définitive, analyser l’impact de cet accord, qui prévoit de supprimer les droits de douane sur un certain nombre de produits alimentaires et permet de protéger plus de 300 indications géographiques européennes.

Le Président de la République a érigé le secteur du tourisme en cause nationale. Le plan de sauvetage de 18 milliards doit permettre de développer le tourisme durable et de ré-internaliser de la valeur ajoutée dans le digital. Nous nous donnons ainsi les moyens de conserver notre première place. Notre objectif était d’accueillir 100 millions de voyageurs internationaux, mais ne soyons pas fétichistes en la matière : mieux vaut privilégier les recettes touristiques plutôt que la fréquentation.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Il me semble que nous devrons repenser ce type d’objectifs, afin de privilégier le qualitatif plutôt que le quantitatif.

M. le secrétaire d’État. C’était le sens de ma remarque : il faut privilégier les retombées économiques dans les territoires, donc le panier de dépenses. Dans ce domaine, la France est moins bonne que l’Espagne, par exemple.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous sommes d’accord.

M. Jacques Maire. Si, comme le laisse entendre Phil Hogan, la Commission se contente de promouvoir une relance du libre-échange tous azimuts sans être attentive à l’aspect qualitatif, elle risque d’être rapidement confrontée à de grandes difficultés lors des votes au Parlement européen. La nouvelle Commission et le Conseil ont-ils réellement évolué depuis trois ans ? Sommes-nous en mesure de mettre notre politique commerciale au service de notre souveraineté économique, alimentaire, sanitaire et environnementale ? En somme, la France fait-elle cavalier seul ou est-elle une locomotive ?

Mme Bérengère Poletti. L’Europe a-t-elle la force et la volonté politique de s’imposer entre les deux géants que sont la Chine et les États-Unis et de renouveler le multilatéralisme ? Comment la France s’apprête-t-elle à prendre le virage technologique qui s’impose pour compenser son retard notamment dans le domaine de la robotisation ? L’Union européenne doit garantir l’indépendance du continent. Était-il opportun de confirmer l’engagement commercial avec le Mexique au moment où tout le monde est préoccupé de stratégie ? Enfin, peut-on s’attendre à un prolongement des négociations avec le Royaume-Uni du fait de la suspension pendant la crise des discussions entre Londres et l’Union européenne ? Je pense notamment à la question de la pêche.

M. Alain David. Les États membres de l’Union européenne se sont-ils accordés sur un candidat à la direction générale de l’OMC ? Quelle est la stratégie de la France dans le cadre de cette désignation ?

Mme Mireille Clapot. Depuis la crise, la réindustrialisation n’a plus le même objectif qu’en 2008 : désormais, il s’agit moins de rééquilibrer notre balance commerciale et notre présence dans les secteurs innovants que d’assurer notre souveraineté ou notre autonomie. Comment comptez-vous articuler les politiques publiques françaises et européennes avec les comportements d’achat des acheteurs publics ou des consommateurs finaux ?

M. Rodrigue Kokouendo. Alors que l’Union européenne a présenté sa nouvelle stratégie pour la biodiversité à l’horizon 2030, la Cour des comptes européenne relève, dans son rapport du 5 juin, de nombreux dysfonctionnements dans ce domaine, notamment un manque de synergie entre la Politique agricole commune et la biodiversité. Pour renforcer l’ambition de l’Union européenne en matière de biodiversité et d’agriculture durable, telle qu’exposée dans la stratégie « De la ferme à la fourchette », ne faudrait-il pas améliorer les outils de mesure et l’évaluation ?

M. Bruno Joncour. Le Royaume-Uni vient d’instaurer une quatorzaine pour tous les voyageurs qui entrent sur son territoire et la France a fait de même, par réciprocité. C’est un coup dur pour notre secteur du tourisme, qui comptait sur la clientèle britannique, mais aussi pour celui du transport maritime de voyageurs. Comment remédier aux difficultés qui se profilent ?

M. Hubert Julien-Laferrière. Depuis la crise sanitaire, il importe, sans remettre en cause le libre-échange qui a profité à la fois aux pays développés et aux pays en développement, de mieux encadrer les échanges en tenant compte des enjeux sociaux et écologiques. Comment et avec quels États membres la France peut-elle peser sur la politique commerciale de l’Union pour que, dans ce domaine, l’accord de Paris figure au sommet de la hiérarchie des normes et pour favoriser des accords de nouvelle génération fondés sur le juste échange ?

M. Didier Quentin. Pouvez-vous nous donner des indications sur la date de réouverture des frontières extérieures de l’Union européenne, notamment sur la reprise des liaisons maritimes et aériennes avec le Maghreb ? Quelles sont les perspectives de reprise des vols transatlantiques et des vols en direction de l’Extrême et du Moyen-Orient ? Les États européens vont-ils se coordonner pour harmoniser leurs procédures d’accueil ? Enfin, le passage d’un tourisme quantitatif de masse à un tourisme plus qualitatif et durable fait-il déjà l’objet d’une réflexion ?

M. le secrétaire d’État. Depuis le plan d’action relatif au CETA, l’accent a été mis sur l’application des accords ; la nomination d’un « procureur commercial » européen est une première victoire. En matière environnementale, la proposition d’étendre les clauses essentielles à l’accord de Paris a progressé. Les États européens qui partagent nos préoccupations sont de plus en plus nombreux, mais certains pays dont l’économie est très tournée vers l’exportation sont réticents. Il serait donc utile que la diplomatie parlementaire conforte celle de l’exécutif. Quant à la Commission et au Conseil, ils évoluent, comme en témoigne la feuille de route volontariste qu’Ursula von der Leyen a adressée aux commissaires chargés du commerce.

Face à la désindustrialisation, il faut un sursaut national et européen. La France et l’Allemagne travaillent main dans la main pour développer les filières des batteries et du cloud et entraînent d’autres États européens. En matière industrielle et commerciale, l’Europe ne peut plus être naïve, elle l’a compris et sait se montrer volontariste. Au plan national, les plans sectoriels en faveur du tourisme, de l’automobile ou de l’aéronautique témoignent également d’une prise de conscience.

S’agissant du Brexit, les Britanniques ont toujours affirmé qu’ils ne souhaitaient pas que la période de transition soit étendue. Si aucun accord n’est trouvé, ce sont les règles de l’OMC qui prévaudront ; cette situation ne serait pas satisfaisante. Le ministre Le Drian est très mobilisé sur le sujet majeur de l’accès des pêcheurs français aux eaux britanniques. De leur côté, les Britanniques ont besoin de débouchés pour les produits de la pêche qu’ils transforment. Les négociations n’ont pas avancé jusqu’à présent, mais une nouvelle réunion doit avoir lieu avant le Conseil européen des 18 et 19 juin.

Faut-il que l’Union européenne ait son propre candidat à la présidence de l’OMC ? Son intérêt, en tout cas, est que le prochain directeur général défende sa vision d’une OMC réformée et qu’il favorise le dialogue. Ne perdons pas de vue les autres échéances, comme la nomination d’un nouveau secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il faut avoir une vision globale des nominations à venir.

En matière d’autonomie stratégique et de souveraineté industrielle, les actes parlent pour nous. Je pense aux plans de soutien à l’industrie et au volontarisme franco-allemand dans certains secteurs, qui permettra de diminuer notre dépendance vis-à-vis de l’Asie ou de l’Amérique. Les politiques publiques nationales et européennes peuvent s’harmoniser ; ce que l’on maîtrise moins, c’est le comportement des consommateurs, qui choisissent souvent les produits les moins chers. C’est donc à nous de plaider pour les produits tricolores et européens et de favoriser les comportements civiques et patriotiques.

La Commission a présenté une stratégie pour la biodiversité. Dans les accords commerciaux, le respect de la convention sur la diversité biologique est une exigence. La France a par ailleurs défini une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée et la Commission a annoncé une initiative législative sur ce sujet pour 2021. La stratégie « De la ferme à la fourchette » va dans le bon sens, mais il faut davantage de volontarisme. En matière d’information des consommateurs, par exemple, la Commission et très offensive sur la question de l’étiquetage nutritionnel, beaucoup moins sur celle de l’origine des produits, qui est pourtant cruciale.

La France n’a fait que répondre à l’instauration d’une quatorzaine par le Royaume-Uni. Nous travaillons à sa levée par la voie diplomatique et nous avons bon espoir d’y parvenir. Il serait opportun que fin juin ou début juillet, les flux de voyageurs reprennent, car les Britanniques sont la première clientèle étrangère en France. Je suis intervenu dans les médias anglais pour leur dire qu’ils étaient les bienvenus en France – dès que leur gouvernement aura levé la mesure de quatorzaine.

On a constaté, lors du dernier Conseil des ministres de l’intérieur, une convergence vers une levée début juillet des restrictions appliquées aux États ne faisant pas partie de l’espace Schengen. Nous avons un plan de remontée en puissance des vols vers et depuis le Maghreb. En matière de coordination frontalière, l’Europe a eu du retard à l’allumage. Aujourd’hui, on note une grande convergence entre les États membres, autour d’une levée des contrôles le 15 juin.

Afin de promouvoir un tourisme plus qualitatif et plus durable, nous sommes en train de définir une feuille de route avec le comité de la filière tourisme. La France est première, sinon en matière de recettes, du moins en matière de fréquentation. Elle doit conserver son leadership à l’heure de la réinvention du tourisme.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. La France n’est pas leader dans le secteur du tourisme : la part de celui-ci dans le PIB y est inférieure à ce qu’elle est en Espagne ou en Italie. Il est vrai que notre pays est celui qui accueille le plus grand nombre de touristes, mais il faut aussi reconnaître ce qui ne va pas. Nous avons un potentiel fantastique, un pays magnifique, mais il faut aussi que nous regardions nos limites avec lucidité.

M. Frédéric Petit. Le troisième projet de loi de finances rectificative prévoit-il d’allouer des crédits budgétaires à notre réseau d’influence ? Comportera-t-il un programme ou une ligne spécifique qui regroupe les aides accordées ? En effet, grâce à la fongibilité, des crédits ont déjà été donnés aux Alliances françaises ; ils mériteraient de faire l’objet d’un contrôle parlementaire.

Mme Sira Sylla. Quels effets la crise sanitaire, économique et sociale peut-elle avoir sur les discussions en cours sur le renouvellement de l’accord de Cotonou ? Par ailleurs, l’installation de banques africaines sur le territoire français faciliterait les transferts d’argent et le financement de l’économie des pays d’origine. Le fuseau Europe-Afrique doit être développé. Le G8 de 2008 et le G20 de 2011 avaient promu la bi-bancarisation des populations immigrées, mais rien n’a été fait depuis au niveau européen et, en France, la loi de 2014 ne concerne que le Maroc.

M. Nicolas Dupont-Aignan. J’ai lu, dans un document du 26 mai, que la Commission européenne avait autorisé l’exportation de plus de 3 millions de masques depuis la France entre le 25 avril et le 25 mai. J’aimerais avoir des éclaircissements sur ce point !

Derrière un discours de souveraineté qui n’est que de façade, la même politique de libre-échange, totalement suicidaire, se perpétue. Si vous voulez que l’on consomme français ou européen, il faut taxer les produits importés. Pour relocaliser, il faudra régionaliser nos échanges. Or, si nous voulons privilégier les liens avec les pays du Sud de la Méditerranée, nous sommes obligés de rompre avec la logique de l’OMC. En fait, la France accepte la logique du libre-échange déloyal organisé par Bruxelles. Rien ne change, et c’est tragique pour nos emplois.

Mme Marion Lenne. Quel rôle les assurances jouent-elles dans le soutien apporté au secteur du tourisme ? Un plan d’action destiné à relancer le tourisme de manière coordonnée a été annoncé par l’Union européenne. Or, tout soutien public doit être accompagné d’une transition qui intègre les réalités environnementales, numériques et stratégiques. Comment la France s’engage-t-elle dans cette transition vers un tourisme responsable, durable et innovant ?

M. Meyer Habib. Pour faire venir des touristes chez nous tout en maintenant la sécurité sanitaire, pourquoi ne pas leur demander un document certifiant qu’ils n’ont pas le covid-19 ? Par ailleurs, les élèves des lycées non homologués sont très pénalisés, car ils doivent attendre septembre pour passer leurs examens.

M. Buon Tan. Le 27 avril s’est tenue une réunion des ministres européens du tourisme durant laquelle le commissaire Thierry Breton a évoqué un plan Marshall européen du tourisme, ainsi qu’un sommet européen sur le sujet. Dans quel cadre un tel plan pourrait-il être financé ?

Quelles seront les principales mesures du plan de soutien aux entreprises exportatrices annoncé par Bruno Le Maire ? Allez-vous soutenir le plan de relance proposé par Business France ?

Quelle est la position de la France à la suite du retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé ? Quels accords pourrions-nous conclure avec des pays comme la Chine et l’Inde pour une relocalisation de certaines productions ? Enfin, quelle est la position de notre pays sur le remplacement du directeur général de l’OMC en août ?

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Buon Tan copréside, avec Pierre Cordier, le groupe de travail de notre commission consacré à l’action économique extérieure, groupe de travail qui formulera des préconisations dans le cadre de notre rapport sur les réponses à apporter à la crise provoquée par l’épidémie.

Mme Samantha Cazebonne. Les instituts culturels et les Alliances françaises ont été frappés de plein fouet par la crise. Leurs directeurs et leurs enseignants ont fait preuve d’une formidable capacité d’adaptation, y compris par des contractions d’investissement pour faire face aux diminutions de recettes. Mais les déficits vont se creuser dès septembre car les réinscriptions sont très faibles. Il est important que l’État garantisse un soutien financier à ces organismes, mais aussi qu’avec nos partenaires européens nous progressions vers une politique culturelle commune.

Mme Liliana Tanguy. Un chapitre sur le développement durable sera inscrit dans les accords commerciaux de nouvelle génération, et c’est très bien, mais il est souvent reproché aux Européens de pratiquer une forme de protectionnisme par les normes. De quelle manière pourrions-nous imposer à l’OMC de nouvelles règles de nature à favoriser le « juste échange » ? Il est nécessaire de convaincre nos partenaires européens.

Seuls treize pays ont ratifié le CETA. Qu’en est-il des autres États membres, notamment de l’Allemagne ? Quel est le bilan de cet accord en matière d’exportations ? Le sujet sera-t-il bientôt inscrit à l’ordre du jour du Sénat pour que la France ratifie l’accord le plus tôt possible ?

M. Frédéric Barbier. Dans ma circonscription, l’entreprise Peugeot Motocycles ayant eu beaucoup de difficultés, pendant le confinement, à passer à la norme Euro 5 sur la production de tricycles et quadricycles, elle souhaite la prorogation de la norme Euro 4 jusqu’à fin 2021. Le sujet est actuellement débattu au niveau européen : avez-vous des éléments sur un tel report ?

Les travailleurs frontaliers français avec la Suisse sont pour beaucoup d’entre eux en télétravail depuis que l’Union européenne a supprimé l’interdiction qui leur était faite de passer plus de 25 % de leur temps de travail sur le territoire national. Cette mesure sera-t-elle prolongée ?

M. le secrétaire d’État. Sur l’enseignement français à l’étranger, le troisième projet de loi de finances rectificative comprend des éléments budgétaires qui permettront d’abonder les plans présentés le 30 avril. En outre, une partie de la réserve de précaution sera mobilisée, et des redéploiements auront lieu au sein de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. Nous pourrons faire face aux besoins.

S’agissant du processus post-Cotonou, une réunion ministérielle doit se tenir vendredi avec la commissaire européenne aux partenariats internationaux et le négociateur pour les États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Certains sujets restent en discussion, ayant trait aux droits de l’homme, aux droits sexuels, aux migrations... Nous souhaitons qu’un accord puisse aboutir.

Sur les exportations de masques, la Commission a mis en place un système de contrôle le 15 mars, renouvelé en avril et qui s’est achevé fin mai, quand l’ensemble des États membres ont indiqué qu’ils avaient sécurisé leur approvisionnement.

Souveraineté ne signifie pas autarcie : la Corée du Nord n’est pas notre modèle ! C’est grâce aux débouchés que nos produits ont à l’extérieur que nous avons des excédents. Avec les accords de nouvelle génération, la France et l’UE arrivent à poser des règles : le respect des indications géographiques protégées fait ainsi partie des nouveautés. Et ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’accord commercial avec un pays que nous ne sommes pas envahis par ses produits – regardez, par exemple, les produits chinois ! Le volontarisme français permet d’aboutir à des accords plus équitables et équilibrés.

S’agissant de l’accord avec le Canada, les exportations françaises ont augmenté de 400 millions et notre excédent commercial avec ce pays s’est considérablement accru, passant de 438 à 709 millions. La France y a donc gagné.

Les assurances ont porté leur effort en faveur du secteur du tourisme à un milliard. Mais les attentes des professionnels demeurent, car tous les versements prévus dans les contrats souscrits n’ont pas été effectués. Certains restaurateurs ont actionné le levier juridique ; une décision a déjà été rendue à leur avantage. Je n’exclus pas que les assurances contribuent davantage à la relance ; c’est en tout cas un combat que je mène.

Le manque à gagner dans le tourisme est important, avec des pertes de recettes jusqu’à 15 milliards d’euros par mois de confinement. Depuis le 2 juin, l’offre touristique est largement rouverte et j’ai bon espoir que la phase trois permettra une réouverture totale. Il est indispensable de ne pas faire une croix sur la saison et je m’efforce d’encourager le maintien d’une clientèle européenne significative. Les aéroports ont établi des protocoles en vue de la réouverture des frontières, avec prise de température des passagers.

Il n’y a pas à ce stade de progrès sur la question des élèves des établissements non homologués et je le regrette.

Le commissaire européen Thierry Breton souhaite que 20 % du plan de relance européen soient dédiés au tourisme, ce qui a du sens en raison des effets de ce secteur sur l’amont et l’aval. Il a également demandé qu’un sommet européen du tourisme se tienne à l’automne pour tirer les leçons de la saison et envisager le tourisme de demain.

Le réseau d’instituts culturels et d’Alliances françaises s’est adapté à la situation mais la crise l’a fragilisé. Un tiers d’entre eux est dans une situation difficile, un autre tiers a besoin d’une surveillance accrue, le dernier tiers a fait preuve d’une résilience budgétaire. Nous souhaitons aider le réseau à surmonter la crise. Les besoins paraissent absorbables.

Quand le Président de la République dit, à propos du Mercosur, que le compte n’y est pas, c’est une parole forte et c’est une façon de dire aux négociateurs européens que désormais l’on ne négociera pas à n’importe quelle condition, et ce afin que les accords de demain soient de meilleure qualité.

Le Conseil fédéral suisse a annoncé que le pays rouvrirait ses frontières avec les États de l’espace européen le 15 juin ; je pense que la situation des travailleurs frontaliers sera formalisée à cette échéance.

Je n’ai pas eu à connaître de la question de la norme Euro 5 et y apporterai donc une réponse écrite dans les jours à venir.

Mme Sira Sylla. Le contexte, notamment la réforme du franc CFA, qui mettra fin aux réserves de change, plaide pour une accélération de la bi-bancarisation. Quelle est votre position ?

Mme Martine Leguille-Balloy. S’agissant des accords mixtes, quelles seraient les conséquences d’une non-ratification pour la partie commerciale, qui relève de la compétence exclusive de la Commission ?

M. Buon Tan. Confirmez-vous que vous soutiendrez le plan en faveur du commerce extérieur proposé par Business France, et quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre dans ce domaine ?

M. le secrétaire d’État. Dans les accords mixtes, les Parlements nationaux sont conduits à s’exprimer sur les composantes politiques et d’investissement. La partie commerciale relève quant à elle de la compétence de l’Union européenne et entre en vigueur de façon provisoire dès approbation par le Conseil et le Parlement européen. Mais, tant que les parlements ne se sont pas prononcés, c’est un provisoire qui peut durer…

Le soutien au commerce extérieur sera un axe structurant du plan de relance. Des mesures ont d’ores et déjà été prises : flexibilité des assurances prospection, prorogées d’un an, augmentation de la garantie du risque exportateur, services proposés tout au long de la crise par Business France…

Sur la bi-bancarisation, j’apporterai une réponse écrite.

Mme Liliana Tanguy. Vous avez indiqué compter sur la clientèle européenne mais, si ces pays adoptent le même patriotisme touristique que nous, de quelle manière pourrons-nous attirer nos voisins en France cet été ?

M. le secrétaire d’État. Nos paysages sont si divers que l’on peut faire un tour du monde en faisant un tour de France. Tous les pays ne bénéficient pas d’une telle situation. Davantage d’Européens resteront certes dans leurs pays cet été, mais beaucoup souhaitent venir en France ; comme ils étaient inquiets à ce sujet, j’ai tenu à les rassurer sur notre capacité à les accueillir. Il y a beaucoup d’amoureux de la France en Europe, et ce n’est pas pour rien qu’un dicton allemand dit : « Heureux comme Dieu en France ».

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci, monsieur le ministre, de vos réponses.

Il faut vraiment que vous nous entendiez quand nous vous disons que nous avons besoin de changements : il importe de garder ce qui doit l’être mais aussi de changer ce qui doit l’être. Avec la crise, nous avons vu ce qui marchait et ce qui marchait moins bien. Qu’il s’agisse du commerce international ou du tourisme, une réelle évolution sera nécessaire. Peut-être parviendrons-nous à réconcilier les opinions publiques et la direction politique de l’Europe si nous, Européens, sommes les premiers à contribuer à un monde plus juste, moins inégalitaire, dans lequel les échanges seraient plus loyaux.

M. le secrétaire d’État. Nous menons le combat. Plus les parlements nationaux pèseront, plus nous aurons de chance de le gagner. Toutes les énergies, tous les engagements politiques doivent être mis à contribution pour cette cause, qui nous rassemble, d’un commerce plus durable, plus équitable et mieux accepté par nos concitoyens.

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La séance est levée à 17 heures 05.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, M. Christophe Di Pompeo, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Meyer Habib, M. Alexandre Holroyd, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Amélia Lakrafi, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Maire, M.Denis Masséglia, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, Mme Nicole Trisse

 

Excusé. - M. Jean-Luc Reitzer

 

Assistait également à la réunion. - M. Sébastien Nadot