Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  Audition de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux résultats de la gestion budgétaire de l’exercice 2019 et sur la certification des comptes de l’État pour l’exercice 2019              2

– Information relative à la Commission................12

– Présences en réunion...........................13

 


Mercredi
29 avril 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 55

session ordinaire de 2019-2020

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 


  1 

La commission entend M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux résultats de la gestion budgétaire de l’exercice 2019 et sur la certification des comptes de l’État pour l’exercice 2019.

 

M. le président Éric Woerth. Nous entendons ce matin M. Christian Charpy sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux résultats de la gestion budgétaire de l’exercice 2019 et sur la certification des comptes de l’État.

L’avis du Haut conseil des finances publiques sur le solde structurel des administrations publiques, qui devait initialement également être évoqué lors de cette audition, n’a finalement pas encore été rendu public, car le projet de loi de règlement n’est pas examiné aujourd’hui en Conseil des ministres mais le sera seulement en fin de semaine.

Monsieur Charpy, le rapport de la Cour des comptes donne une photographie de la situation du budget de l’État avant la crise, et met en exergue une exécution qui, par certains aspects, était déjà tendue : les recettes fiscales sont en recul et les dépenses en nette progression, de 2 %.

Des thématiques plus structurelles sont également évoquées : rationalisation des taxes affectées, évaluation insuffisante des dépenses fiscales et nécessaire remise en ordre des fonds sans personnalité juridique (FSPJ).

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. Ce rapport est publié cette année deux semaines plus tôt que l’an dernier, où il était paru le 15 mai, et ce glissement est encore plus important si l’on compare à 2012, où il était paru le 30 mai. Il porte uniquement sur les résultats de la gestion budgétaire de l’exercice 2019 ; nous n’évoquons ni 2020 ni la crise sanitaire. Nous ferons une première analyse des conséquences de cette crise et de la crise économique dans le prochain rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques. Les travaux qui devaient être menés sur le budget de l’État, notamment sur la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), ont été reportés à l’automne.

S’agissant des comptes de l’État, le bilan est négatif, à  1 370 milliards d’euros, soit une aggravation d’environ 70 milliards. Le résultat s’établit à  84,7 milliards d’euros en comptabilité générale et à – 92,7 milliards d’euros en comptabilité budgétaire.

La Cour certifie les comptes sous quatre réserves : limites générales dans l’étendue des vérifications ; anomalies relatives aux stocks militaires et aux immobilisations corporelles ; anomalies dans les immobilisations ; anomalies quant aux charges et produits.

Il convient de rendre toujours plus fiable cette comptabilité générale et de l’utiliser davantage, notamment pour mieux programmer les moyens de l’État, mieux analyser sa situation financière et suivre son exécution budgétaire.

S’agissant du budget de l’État, le déficit budgétaire, de 92,7 milliards d’euros, est en hausse, pour trois raisons principales : le cumul du crédit d’impôt compétitivité et emploi (CICE) et des allègements des cotisations sociales censés le remplacer (une vingtaine de milliards d’euros) ; le prélèvement à la source (décalage en 2020 du recouvrement de l’IR pour un mois, pour 5 milliards d’euros) ; les mesures de soutien au pouvoir d’achat en réponse au mouvement des gilets jaunes (7 milliards d’euros).

Le solde budgétaire s’améliore toutefois de 15 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI).

La conséquence de ce déficit est la forte augmentation de l’endettement de l’État. Le besoin de financement s’est considérablement accru et 220,5 milliards ont été levés sur les marchés financiers. Toutes administrations publiques (APU) confondues, l’encaissement des primes à l’émission a permis ces cinq dernières années de réduire de 3,2 % la dette publique rapportée au PIB.

Malgré l’augmentation de la dette, la charge d’intérêts diminue de 1,4 milliard d’euros, en raison de la baisse des taux d’intérêt et de la diminution de l’inflation.

Les recettes de l’État ont diminué de 15 milliards d’euros, principalement en raison de la baisse des recettes fiscales, notamment liée au transfert de 31,2 milliards d’euros de TVA à la sécurité sociale, même si en retour 7,8 milliards d’euros de prélèvements sociaux sur les revenus du capital ont changé d’affectation.

Par rapport à la prévision, l’exécution de la LFI montre un supplément de recettes fiscales de 7,8 milliards d’euros, essentiellement dû à l’impôt sur le revenu (IR), pour 1,3 milliard d’euros, du fait du meilleur recouvrement lié au prélèvement à la source, et à l’impôt sur les sociétés (IS), pour 2,1 milliards d’euros. Les autres recettes fiscales sont en forte croissance – de 4,5 milliards d’euros –, en particulier grâce à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et aux droits de mutation à titre gratuit (DMTG), plus dynamiques que prévu.

Les dépenses sont en nette augmentation, de 2,2 %, soit 7,3 milliards d’euros, en raison notamment de la progression importante des dépenses d’intervention – 6,1 milliards d’euros – et de personnel – 2 milliards d’euros. À l’inverse, la charge de la dette est plus faible qu’attendu.

L’exécution des dépenses de l’État est en dessous de la norme à hauteur d’un milliard d’euros. Pour autant, ces dépenses excèdent de 3 milliards d’euros le plafond de dépenses pilotables retenu par la loi de programmation des finances publiques (LPFP).

L’exécution du budget est globalement conforme au vote du Parlement. La budgétisation initiale réaliste a facilité la gestion en cours d’année. Nous identifions 1,44 milliard d’euros de sous-budgétisations et la mise en réserve des crédits a été contenue.

Les moyens financiers de l’État, au-delà du budget général, ont été mobilisés pour les politiques publiques.

Parmi les 357,9 milliards d’euros de dépenses budgétaires nettes, 19,5 milliards d’euros proviennent des comptes spéciaux. Le total des autres moyens se monte à 129,6 milliards d’euros : 99,4 milliards d’euros proviennent des dépenses fiscales et 30,2 milliards d’euros des impôts et taxes affectés. Certains moyens financiers sont gérés par des fonds sans personnalité juridique, pour lesquels il est difficile de faire apparaître des montants. Ces moyens sont importants et pourtant peu lisibles et faiblement pilotés. Ils dérogent au principe budgétaire d’universalité, leurs dépenses et leurs recettes étant soustraites au contrôle parlementaire et administratif – ils ne sont pas enregistrés dans les comptes de l’État. Nous demandons à nouveau de pouvoir de procéder à leur réexamen systématique.

La Cour formule dix recommandations. Certaines sont nouvelles et une partie significative concerne les autres moyens.

Le Gouvernement souhaite dès 2021 présenter le projet de loi de règlement (PLR) à la mi-avril, en même temps qu’est présenté le programme de stabilité, ce qui va poser des difficultés à la Cour. Nous en discuterons avec Bercy. Nous partageons l’intérêt du Parlement pour un calendrier anticipé, mais certains délais sont incompressibles, pour que les comptes à certifier soient fiabilisés.

M. le président Éric Woerth. Quel est l’impact détaillé du mouvement des gilets jaunes sur les finances publiques ?

Que pouvez-vous nous dire du fonds pour l’innovation et l’industrie (FII) ?

Que pensez-vous de la sous-exécution chronique en investissement de la mission Défense ?

Quel est votre avis sur la mission Action et transformation publiques, dotée de près de 300 millions d’euros de crédits de paiement qui sont très faiblement consommés ?

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour ce calendrier anticipé. Demandé par le Parlement, l’avancement du calendrier de présentation du projet de loi de règlement est important pour mieux préparer l’évaluation.

Nous évoquons la certification des comptes et le budget de l’État dans un contexte de crise majeure qui bouleversera les objectifs de trajectoire de finances publiques et la gestion des comptes publics.

La question de la sousexécution des crédits de la mission Action et transformation publiques alors qu’elle s’élève à 700 millions d’euros en autorisations d’engagement – se pose.

Les montants de l’IR et de l’IS étant supérieurs aux prévisions, la loi de finances pour 2019 avait-elle été trop prudente s’agissant des recettes fiscales ?

Pouvez-vous nous communiquer les détails en ce qui concerne les recettes de la fiscalité des revenus du capital ?

S’agissant des recettes, il convient d’insister sur l’aspect atypique de certaines opérations. Il faut, par exemple, retraiter la fraction de la TVA transférée à la sécurité sociale afin de compenser l’augmentation des exonérations de cotisations en remplacement du CICE. Les trajectoires sont cependant en ligne avec ce qui était attendu par nos concitoyens : une bonne gestion des deniers publics et une réduction du déficit.

Que peut apporter la crise du Covid-19 ? La distinction du budget de l’État, de celui de la sécurité sociale et de celui des collectivités, qui crée un manque de visibilité, a de moins en moins de sens. Ne faut-il pas un contrôle unifié du budget de l’ensemble des administrations publiques ?

Quid de l’efficacité du troisième programme d’investissement d’avenir (PIA3) dans le cadre de la dépense publique pour relancer l’économie ?

Comment progresser au regard de vos quatre réserves exprimées lors de la certification des comptes ?

M. Christian Charpy. Le coût des mesures en réponse au mouvement des gilets jaunes est estimé à 7 milliards d’euros pour le budget de l’État et à 9 milliards d’euros pour l’ensemble des administrations publiques : 4 milliards d’euros au titre de l’annulation de la hausse de la fiscalité énergétique ; 3,8 milliards d’euros pour l’augmentation de la prime d’activité, un milliard d’euros au titre de la défiscalisation des heures supplémentaires ; un milliard d’euros pour le chèque énergie, la prime à la conversion et les autres actions. Trois mesures d’économie ont également été prises : 1,7 milliard d’euros au titre du report de la baisse de l’IS pour certaines entreprises, 300 millions d’euros au titre de la recette de la taxe sur les services numériques, un milliard d’euros d’économies sur les dépenses.

Concernant le fonds pour l’innovation et l’industrie, par principe, la Cour n’est pas favorable à des dispositifs de gestion extra-budgétaire. L’idée était de lui transférer une dotation de 10 milliards d’euros qui produirait chaque année 250 millions d’euros destinés à financer l’innovation de rupture. Or, sur les années 2018 et 2019, à peine 20 % des objectifs ont été réalisés. En outre, les projets financés sont peu différents de ceux financés par d’autres dispositifs, notamment le budget général et le PIA. Il faut distinguer la critique de principe d’une critique relative à l’efficacité.

Il est vrai que la partie investissement de la mission Défense est sous-exécutée et que la majorité des restes à payer proviennent de cette mission. Ce fait est récurrent, la défense ayant des programmes d’armement et d’immobilier compliqués à mettre en œuvre. Je rappelle que le surcoût des opérations extérieures (OPEX) a été entièrement financé par cette mission.

La mission Action et transformation publiques est une déception, alors même que la Cour est favorable aux missions ayant pour objet de transformer l’action publique. La dotation est élevée et les réalisations ne sont pas à la hauteur. Nous proposons de supprimer, non pas cette mission, mais deux programmes, le Fonds d’accompagnement interministériel ressource humaines et le Fonds pour l’accélération du financement des start-up d’État. Nous regrettons que de vrais programmes de transformation publique n’aient pas été instaurés, les crédits ayant été votés dans ce but.

S’agissant d’une éventuelle sous-évaluation volontaire des recettes en loi de finances initiale, les conséquences favorables, du prélèvement à la source étaient imprévisibles. La modification significative des règles d’acompte de l’IS a été anticipée et certains contentieux fiscaux de fin d’année n’ont pas abouti à des remboursements d’impôt, contrairement à ce qui était prévu. En outre, le boom immobilier se prolonge et a une conséquence sur l’impôt sur la fortune immobilière et sur les droits de mutation sur les successions et donations.

La plus forte augmentation est liée aux impositions sur le capital. Mais la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) avait contribué à accroître les recettes fiscales des impositions sur le capital dès 2018. Nous devrons attendre la déclaration de revenus 2019 pour vous répondre complètement.

Nous avons lancé des travaux sur le PIA3 et le grand programme d’investissement. Nous sommes favorables à une rebudgétisation du PIA3, qui, en dépit d’une certaine complexité, a l’avantage d’instaurer un mécanisme plus fin de sélection des dossiers d’investissement.

S’agissant de nos réserves, les principales difficultés tiennent aux systèmes informatiques trop anciens qui ne fonctionnent pas comme CHORUS. L’administration est en train d’instaurer une meilleure traçabilité.

En ce qui concerne les APU, la crise a des conséquences sur l’État, mais également sur la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Or, seul l’article liminaire des deux lois de finances rectificatives (LFR) pour 2020 a apporté des éléments sur la dégradation de la situation de la sécurité sociale.

Il convient de faire vivre les textes financiers quand ils existent et de rendre l’article liminaire plus clair, notamment en termes de soldes et de niveaux de dépenses.

Mme Olivia Gregoire. Comment expliquez-vous que l’administration ne dispose d’aucune estimation du nombre de bénéficiaires de 254 dépenses fiscales ? Comment limiter les petites niches fiscales ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Quelles sont vos réserves sur les immobilisations financières ? Par ailleurs, le besoin de financement a explosé en 2019, je m’inquiète pour 2020.

Vous justifiez la baisse des recettes fiscales par les transferts de TVA. Or, en 2021, des transferts de TVA auront également lieu vers les départements pour compenser la suppression de la taxe d’habitation (TH) ; c’est inquiétant.

Enfin, contrairement à vous, je ne suis pas favorable à la reconduction du PIA3, car il me semble que le mécanisme retenu est celui qui permet le moins bien d’assurer un pilotage de la dépense.

Mme Sarah El Haïry. Quelles sont les préconisations de la Cour pour améliorer le chiffrage des dépenses fiscales ?

Voyez-vous un avenir au fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ), qui vise à soutenir l’évaluation des actions innovantes en vue de leur généralisation ? Doit-il être fusionné avec le PIA Jeunesse ?

M. Jean-Louis Bricout. Vos explications concernant le déficit semblent l’excuser, alors qu’il est bien réel.

Une décision pour les taxes affectées sera-t-elle prise ou continuerons-nous chaque année à constater des dérives ?

Le rapport annonce une réduction de postes au ministère de l’éducation nationale à hauteur de 3 816 équivalents temps plein (ETP) ; comment l’expliquer et comment se répartissent les suppressions supplémentaires ?

L’usage peu conforme des crédits de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles de la mission Crédits non répartis a passé un cap dans le PLFR 2020, avec 2,5 milliards d’euros affectés à cette dotation. Qu’en pense la Cour des comptes ?

M. Vincent Ledoux. Quel est l’avis de la Cour des comptes sur le recours, à long terme, aux primes et décotes – dont le montant est très élevé – pour la gestion de notre dette ? Existe-t-il un risque potentiel ?

Les services de Bercy sont-ils en mesure de mener le programme d’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des dépenses fiscales que la Cour des comptes recommande ?

Pourrait-elle procéder à l’évaluation de l’impact des nombreuses dépenses fiscales qui n’en font toujours pas l’objet, dans le cadre d’une demande d’enquête du Parlement au titre du 2° de l’article 58 de la LOLF ?

Pensez-vous qu’une réforme de la LOLF s’impose pour l’encadrement des nouvelles taxes affectées ?

M. Charles de Courson. En atteignant près de 20 milliards d’euros pour une prévision initiale de 3 milliards d’euros, les primes à l’émission nettes des décotes ont explosé. Vous nous avez donné le chiffre qui nous est toujours dissimulé : le montant cumulé de ces primes représente 3,2 % du PIB, soit près de 73 milliards d’euros. Ce pourcentage est-il en hausse ces dernières années ?

Vous évoquez l’appétence du marché pour ce type de produits. Les ministres s’accordent à dire c’est le marché qui décide, alors qu’ils pourraient fixer un certain pourcentage des émissions, voire les interdire. Quel est votre avis ?

S’agissant des éternels mécanismes de débudgétisation visant à contourner le contrôle parlementaire, pouvez-vous nous donner la liste ou l’ordre de grandeur des fonds sans personnalité juridique ?

Quels sont les mécanismes qui pourraient être instaurés pour mieux encadrer les dépenses fiscales ?

En ce qui concerne les taxes affectées, la meilleure solution ne serait-elle pas de les rebudgétiser ?

Ne pourrait-on pas supprimer les deux budgets annexes en créant deux établissements publics ?

M. Éric Coquerel. La crise sanitaire devrait nous obliger à appréhender le budget de l’État différemment. Une fois encore, nous ne faisons que constater que l’État a moins dépensé, mais cette baisse des dépenses l’affaiblit, avec notamment 3 816 ETP supprimés dans l’éducation nationale. Les déficits se creusent en raison de la baisse des recettes de l’impôt, des niches fiscales, des cadeaux mirifiques offerts par la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), que le Gouvernement n’a même pas été capable de rétablir pour nous aider à surmonter la crise sanitaire.

De la même façon que les milliards dépensés pour faire face au coronavirus doivent être considérés comme une dette qui sera effacée, nous devrions soulever la question du rachat de la dette de l’État par la Banque centrale européenne. La baisse des dépenses publiques n’a en effet aucun sens et affaiblit l’État et la solidarité nationale.

Enfin, la Cour des comptes pointe une fois encore le manque de contrôle des comptes spéciaux par les parlementaires. Or, dans la deuxième loi de finances rectificative pour 2020, on a mis 20 milliards d’euros sur le compte Participations financières de l’État.

 

M. Jean-Paul Dufrègne. Le cumul du CICE et des allègements des cotisations sociales produit un double décaissement de près de 40 milliards d’euros. Au total, le coût du CICE se monte à près de 100 milliards d’euros depuis sa création, sans aucune contrepartie. Les grandes entreprises en ont profité et versent, avec indécence, d’importants dividendes à leurs actionnaires. Considérez-vous que ce dispositif a été efficace ?

D’où vient le déficit public alors que de nombreuses allocations diminuent et que les services publics se dégradent ? L’abaissement d’un certain nombre d’impôts et de prélèvements obligatoires a souvent profité aux ménages les plus riches.

Le Gouvernement refuse de mettre à contribution les gros patrimoines et d’accentuer l’impôt sur les gros revenus et les grandes entreprises. Cela signifie-t-il qu’il souhaite faire payer aux Français le prix de cette crise en gardant à l’abri ceux qui pourraient le plus contribuer ? Quel est votre avis sur la répartition des richesses ?

M. Christian Charpy. Un grand nombre de questions sont relatives aux dépenses fiscales, sujet sur lequel la Cour est assez permanente dans ses critiques. Le manque d’informations sur le nombre de bénéficiaires de ces dépenses et leur coût résultent d’un problème de fonctionnement du système interne à l’administration, même si parfois nous ne sommes pas en mesure, techniquement, d’obtenir ces informations – je pense par exemple à la TVA à taux réduit pour certains produits. C’est pourquoi nous préconisons l’instauration d’une obligation déclarative pour certaines dépenses fiscales.

Il est vrai que ces dépenses fiscales sont peu évaluées, le dernier rapport de l’Inspection générale des finances datant de 2011, alors que cette évaluation est prévue dans les lois de programmation. La Cour pallie de temps en temps ce manque d’évaluation, comme par exemple avec un rapport sur l’outre-mer. Cette année la direction générale des finances publiques (DGFiP) s’est dotée d’une cellule pour mieux chiffrer les dépenses fiscales, ce qui est un signe encourageant.

En matière d’encadrement, la loi de programmation en vigueur prévoit que le montant des dépenses fiscales est plafonné à un pourcentage des recettes fiscales nettes. Mais cela ne fonctionne pas, le plafond étant extrêmement haut ; fixer un montant en valeur absolue serait plus efficace. Nous préconisons une charte.

Paradoxalement, le CICE est la seule dépense fiscale qui a fait l’objet d’une évaluation précise.

La vraie difficulté est moins le déficit que l’endettement. Nous démarrons 2020 avec un niveau d’endettement très supérieur à celui de nos partenaires. Notre dette publique est stabilisée à 98 % du PIB, mais la deuxième LFR prévoit plutôt 115 à 117 % fin 2020.

Quant au PIA3, nous ne disons pas qu’il est parfait, mais qu’il est plus conforme aux règles budgétaires que les PIA1 et PIA2, même si son suivi demeure complexe. En effet, certaines opérations auraient pu être financées par les programmes classiques du budget général.

Le FEJ, géré par la Caisse des dépôts et consignations pour le compte de l’État, est également abondé par des crédits privés. Son contrôle est insuffisant, il conviendrait que ses dispositifs soient mieux évalués.

Nous ne sommes pas en mesure de rebudgétiser toutes les taxes affectées. Le problème est qu’une fois qu’elles ont été votées et affectées, l’exécutif ne revient jamais dessus et qu’elles sont reconduites sans être réexaminées. Nous réfléchissons, dans le cadre de notre prochain rapport sur la LOLF, à un moyen de réexaminer ces taxes pour, si besoin, les désaffecter ou modifier leur plafonnement.

S’agissant de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles, nous sommes toujours très partagés, car il est important, dans un budget, d’avoir des marges de souplesse. Mais cette dotation ne doit pas servir à des opérations telles que le financement du mécanisme européen de stabilité (MES), comme ce fut le cas en 2018. Elle a été votée cette année pour financer les primes exceptionnelles et les heures supplémentaires d’une partie des fonctionnaires.

Notre vision des primes à l’émission et des décotes est analytique ; nous expliquons ce qui les provoque. C’est un mécanisme qui n’est pas un levier stratégique pour diminuer l’endettement, même s’il concourt en ce moment à en réduire le montant. Il tient compte de ce que demande le marché, et nous n’avons pas un grand écart avec le Royaume-Uni ou l’Espagne.

C’est la première fois que l’Agence France Trésor procède au calcul du taux des primes à l’émission – 3,2 % du PIB cette année. Je ne suis donc pas en mesure de vous dire s’il a augmenté ou baissé.

En ce qui concerne les fonds sans personnalité juridique, la seule information que je puis vous livrer est que le montant que nous avons recensé équivaut à environ 10 milliards d’euros. La liste est incomplète – il y en a plus de 300 – et je ne peux donc pas vous donner une évaluation exhaustive. D’autant plus qu’il convient de distinguer ceux de ces fonds qui apportent des garanties de ceux qui engagent des dépenses d’intervention. C’est pourquoi nous recommandons de réduire le recours à ce type de mécanisme.

Il est vrai que la suppression d’ETP au ministère de l’éducation nationale a été supérieure à ce qui était prévu, pour différentes raisons : structure démographique, difficultés de recrutement, doublement des heures supplémentaires. Je vous renvoie sur ce point à la note d’exécution budgétaire de la mission Enseignement scolaire.

M. le président Éric Woerth. Concernant les taxes affectées, je tiens à préciser que je ne n’y suis pas opposé sur le principe, si l’on en fait un usage modéré et clair. Le plafonnement est hypocrite.

La question des fonds sans personnalité juridique mériterait par ailleurs d’être approfondie par la commission.

Mme Catherine Osson. Que pensez-vous de définir la dette liée au coronavirus comme dédiée, pérenne et non remboursable, dont seuls les intérêts seraient à acquitter chaque année par les États ? La charge pourrait être assumée par un impôt européen spécifique.

Au vu de l’évolution des dettes publiques, les taux d’intérêts réels ou négatifs durables deviennent dangereux ; notre monde ne manque-t-il pas d’inflation ?

Mme Véronique Louwagie. Pouvez-vous évoquer plus en détail la sous-évaluation des provisions pour risques, à hauteur de 1,9 milliard d’euros ?

Quel est le traitement comptable du fonds d’épargne, qui gère les fonds provenant des produits d’épargne réglementée, et celui de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle ? S’ils étaient comptabilisés, cela conduirait-il à accroître le déficit ?

Pouvez-vous nous indiquer également le montant des engagements au titre de Bpifrance et de la SNCF, dont il semble qu’ils s’élèvent à 59 milliards d’euros ?

M. Mohamed Laqhila. La Cour, en assurant la certification des comptes, assume une responsabilité immense. Quel seuil de signification avez-vous retenu en matière d’anomalie ou de désaccord avec l’administration ?

Comme Mme Louwagie, je souhaiterais connaître la répartition du hors-bilan entre Bpifrance et la SNCF ?

Mme Christine Pires Beaune. Le montant de 140 milliards d’euros de la mission Remboursements et dégrèvements devrait tous nous interroger. Celui du dégrèvement de la taxe d’habitation en faveur de 80 % des ménages est inférieur de 500 millions d’euros à la prévision de la loi de finances pour 2019 ; quel est votre commentaire ?

Le Gouvernement m’a informée que les premières déclarations dématérialisées de succession devront être déposées par les notaires d’ici fin 2021. Or les notaires transmettent déjà leurs informations par voie dématérialisée ; pouvez-vous m’en dire davantage ?

Mme Cendra Motin. Que proposez-vous pour baliser la relation entre le budget de l’État et celui de la sécurité sociale, qui sont de plus en plus perméables ?

Mme Émilie Cariou. Concernant les niches fiscales, que pensez-vous d’un exercice annuel d’élaboration d’un document budgétaire et de reporting d’efficacité des dépenses, auquel les administrations et les ministères pourraient s’astreindre ?

Pourrait-on envisager de faire évoluer le droit de la concurrence et le droit relatif aux aides d’État afin que les aides fiscales soient plus incitatives à la relocalisation, notamment des activités de production – en France et en Europe –, en subordonnant le bénéfice des niches fiscales à la conclusion d’engagements par les entreprises ?

M. Christian Charpy. Je comprends l’intérêt d’une dette perpétuelle liée au coronavirus, mais quel investisseur aurait envie de prêter une telle somme qui ne serait jamais remboursée ?

Il est vrai qu’avec plus d’inflation, les dettes se réduiraient progressivement. Mais la réalité est qu’inflation et taux d’intérêt sont bas.

Pour répondre à l’interrogation de Mme Louwagie, Bpifrance est garanti par BPI SA, en cas de problèmes financiers, et l’État français peut se substituer à BPI SA. Or cet engagement hors bilan n’est pas inscrit dans les comptes de l’État. L’État s’est aussi engagé à verser des subventions à la SNCF, mais la grande majorité des 59 milliards d’euros évoqués correspond à Bpifrance. Pour la SNCF, les sommes inscrites dans les comptes sont de 2,6 milliards d’euros pour SNCF Réseau et 0,5 milliard pour SNCF Mobilités.

 

Nous considérons que le fonds d’épargne est un fonds sans personnalité juridique qui devrait être intégré dans les comptes de l’État. Le ministère de l’action et des comptes publics et le Trésor assurent qu’il est géré par la Caisse des dépôts et consignations, mais celle-ci ne l’inclut pas dans ses comptes.

Les provisions pour risques n’étant pas suffisamment documentées, je ne puis affirmer que le 1,9 milliard d’euros évoqué en fasse partie.

Si notre travail de certification prend en compte des seuils de signification, la règle impose de ne pas communiquer à leur propos. Ils sont à la hauteur des dépenses et des recettes de l’État.

La mission Remboursements et dégrèvements est effectivement la plus importante du budget de l’État. Son montant s’est considérablement accru avec le dégrèvement de la taxe d’habitation. En 2021, les dégrèvements seront remplacés par une allocation de TVA aux départements, entraînant une recomposition de la fiscalité locale. L’écart de 500 millions d’euros entre la prévision et la réalisation n’est pas satisfaisant. Nous avons demandé un complément d’information à l’administration.

S’agissant des droits de mutation, ce n’est pas la dématérialisation des informations qui pose problème, mais leur intégration dans les systèmes comptables de l’État.

La Cour n’est pas en mesure de formuler une proposition pour subordonner le bénéfice des aides fiscales à la relocalisation de la production. Se posera la question de la cohérence avec les règles du commerce européen et international – je pense notamment aux distorsions de concurrence.

Enfin, compte tenu de l’amélioration significative des comptes de la sécurité sociale, la tendance ces dernières années a été de réduire le montant des compensations versées par l’État au titre des allègements de charges. La loi de programmation des finances publiques incite à revoir ces mécanismes de compensation intégrale.

 

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Informations relatives à la commission

La commission a reçu, en application de 1’article 11 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, un projet de décret portant annulation de 100 000 000 euros de crédits sur la dotation Dépenses accidentelles et imprévisibles des Crédits non répartis et ouverture de crédits du même montant (en autorisations d’engagement et en crédits de paiement) sur le programme 357 Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire de la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire (budget général).

Ces crédits sont destinés à assurer la continuité des versements aux entreprises les plus affectées par les conséquences de la crise sanitaire liée au covid-19, dans un contexte de montée en charge très rapide des demandes adressées au fonds de solidarité, liée notamment à l’extension des critères d'éligibilité au dispositif. Au 15 avril, 936 000 entreprises avaient déjà déposé une demande et 547 000 avaient obtenu une aide du fonds, pour un montant total de 728 millions d’euros. La mobilisation de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles complétera les ressources disponibles sur le programme 357 dans l’attente de l'ouverture de 5,5 milliards d’euros de crédits par la prochaine loi de finances rectificative en cours d’examen parlementaire.


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 29 avril 2020 à 9 heures 30

 

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, Mme Jennifer De Temmerman, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Bruno Duvergé, Mme Sarah El Haïry, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Romain Grau, Mme Olivia Gregoire, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Valérie Petit, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Damien Abad, M. Michel Castellani, M. David Habib, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva