Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  audition M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances et de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics sur le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020 (n° 3074) (M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général)              2

– Présences en réunion...........................10

 


Mercredi
10 juin 2020

Séance de 13 heures 45

Compte rendu n° 76

session ordinaire de 2019-2020

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 


  1 

La commission entend M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances et M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics sur le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020 (n° 3074) (M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général).

 

 

M. le président Éric Woerth. Mes chers collègues, nous recevons M. Bruno Le Maire et M. Gérald Darmanin pour la présentation du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, qui a pour but de relancer l’activité alors que les deux premiers projets de loi de finances rectificative (PLFR) examinés à la mi-mars puis à la mi-avril comportaient des mesures d’urgence destinées à sauvegarder l’économie pendant la période de confinement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous n’avons jamais caché la vérité aux Français face à la brutalité du choc subi par notre économie – l’OCDE prévoit pour la France une récession de 11 % en 2020. Son intensité, analogue à la Grande dépression de 1929, appelait une réponse massive, immédiate et efficace : c’est ce que nous avons fait en mettant sur la table 460 milliards d’euros, soit 20 % de notre richesse nationale, volume comparable à ceux mobilisés par nos voisins européens.

Maintenant que l’économie redémarre, il faut apporter de nouvelles réponses.

Le premier volet du PLFR est sous-tendu par la volonté de concentrer les moyens sur les secteurs les plus touchés : tourisme, hôtellerie, restauration, événementiel, sport, culture, bâtiment, commerce de proximité, entreprises technologiques et start-up – pour lesquelles est prévu un fonds d’investissement de 1,3 milliard d’euros –, industries automobile et aéronautique.

Nous avons écarté toute réduction de la TVA, contrairement à l’Allemagne qui a opté pour une baisse temporaire facilitée par un taux moyen plus élevé que le nôtre. La valeur ajoutée importée représentant en France 72 % de la valeur ajoutée consommée totale, toute baisse générale reviendrait à financer les économies étrangères.

Il s’agit d’abord de soutenir la demande à travers des mesures ciblées et efficaces. Celles destinées au secteur automobile, applicables à compter du 1er juin avec effet rétroactif – bonus pour les véhicules électriques et, pour la première fois, pour les véhicules rechargeables, prime à la conversion – ont permis un quasi-retour à la normale par rapport à juin 2019 alors qu’en avril, les achats n’atteignaient que 10 % de ceux d’avril 2019. Grâce au plan aéronautique, nous avons sécurisé les commandes des compagnies aériennes en renforçant les garanties à l’exportation et les reports de crédits afin d’éviter les annulations de commandes. Dans le secteur du bâtiment, nous ferons en sorte de compenser les surcoûts liés aux mesures de sécurité sanitaire.

Il s’agit ensuite d’améliorer l’offre, seule politique à même de donner des résultats durables et qui s’inscrit dans la continuité de notre action depuis trois ans. Le risque pour notre pays est de sortir de la crise avec une croissance potentielle plus faible. La crise détruit du capital humain avec les licenciements, du capital physique avec les faillites, du capital intellectuel avec le renoncement à l’innovation et la recherche. Si nous maintenons des financements forts sur l’innovation, la formation, la qualification, les nouvelles technologies, nous laisserons aux générations futures une France plus forte et plus prospère. Plutôt que de financer une prime à la casse, nous faisons ainsi le choix de consacrer 1,5 milliard d’euros au Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) pour développer les recherches sur l’avion décarboné à l’horizon 2035 et rivaliser avec la Chine et les États-Unis. Cette politique de l’offre s’appuie sur des fonds d’investissement dans les filières aéronautique et automobile ainsi que pour les entreprises technologiques. Elle passe aussi par des financements directs pour la numérisation et la robotisation de nos PME, qui accusent beaucoup de retard en la matière par rapport aux entreprises étrangères, et par des mesures d’encouragement à l’innovation.

Le deuxième volet consiste à soutenir l’emploi et à prévoir l’accueil des jeunes sur le marché du travail à la rentrée à travers des mesures massives en faveur de l’apprentissage. Le basculement du chômage partiel vers une activité partielle de longue durée interviendra dans les jours qui viennent. Ce dispositif, d’importance, nous permettra d’éviter des licenciements de masse. Olivier Blanchard a raison de dire qu’il faut faire preuve d’audace et d’originalité en cette période.

Le troisième volet repose sur les mesures européennes décidées le 9 avril dernier entre ministres des finances. N’ont été définitivement adoptés que le mécanisme européen de stabilité pour 240 milliards d’euros, le dispositif SURE (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency) de financement du chômage partiel et le fonds de garantie de la Banque européenne d’investissement (BEI), avec 40 milliards d’euros de prêts supplémentaires pour les entreprises les plus technologiquement avancées. Le plan de relance proposé par la Commission et inspiré par Angela Merkel et Emmanuel Macron doit encore passer devant le Conseil européen. C’est seulement lorsqu’il sera adopté que la France pourra bénéficier des mesures financières qu’il contient, pour un montant sans doute supérieur à 30 milliards d’euros.

Pour la dernière phase, le plan de relance nationale financé par des moyens à la fois européens et nationaux, l’objectif restera le même : construire un modèle économique fondé sur la compétitivité et la décarbonation.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Ce PLFR vient d’abord actualiser certains des dispositifs des deux PLFR précédents : fonds de solidarité pour les entrepreneurs, prolongation du plan de soutien au tourisme jusqu’à la fin de l’année, financement de l’activité partielle.

Il instaure des mesures exceptionnelles d’exonération des cotisations, pour un peu plus de 3 milliards d’euros, en les modulant par secteur, ce qui est sans précédent – le Conseil constitutionnel n’avait autorisé que des adaptations géographiques. Pour les employeurs de moins de 250 salariés relevant des secteurs les plus touchés par la crise évoqués par le Président de la République dans son adresse aux Français du 13 avril – le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, le sport, la culture, les arts et spectacles –, mais aussi des activités qui en dépendent, comme les blanchisseries, les exonérations de cotisations patronales concerneront la période allant du 1er février au 31 mai. Elles s’appliqueront pour la période du 1er février 2020 au 30 avril 2020 pour toutes les entreprises de moins de dix salariés appartenant à d’autres secteurs ayant connu une fermeture administrative, comme les coiffeurs. Enfin, toutes ces entreprises bénéficieront d’un crédit égal à 20 % de la masse salariale soumise à cotisations sociales déclarée sur les périodes d’emploi prévues pour l’exonération de cotisations patronales. Nous n’avons pas voulu supprimer les cotisations sociales car cela aurait eu des incidences sur les droits qu’elles ouvrent pour les salariés mais cette procédure du crédit d’impôt permettra un remboursement. Enfin, toutes les entreprises de moins de cinquante salariés, quels que soient les secteurs, pourront demander une annulation au cas par cas de leurs charges patronales correspondant à la période du confinement auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ou, à défaut, un étalement de leur paiement jusqu’à trente-six mois. Précisons que le coût de toutes ces mesures est déjà intégré au déficit prévisionnel de la sécurité sociale.

Ce PLFR comporte, en outre, un plan massif de 4,5 milliards d’euros en faveur des collectivités locales.

Il prévoit une compensation des pertes de recettes fiscales et domaniales des communes et intercommunalités pour un coût estimé à 750 millions d’euros, chose qu’aucun Gouvernement n’avait faite. En vertu du principe de l’autonomie financière des collectivités locales, l’État ne compensera pas les pertes de recettes tarifaires.

Un mécanisme d’avances remboursables, de 2,7 milliards d’euros, sera institué au profit des départements subissant des pertes de recettes au titre des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), peut-être atténuées par une future reprise immobilière.

Un milliard d’euros va être ajouté à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) pour les investissements liés à la sécurité sanitaire, à la transition écologique ou à la rénovation du patrimoine. Soulignons l’éclairage précieux apporté par le rapport de votre collègue Jean-René Cazeneuve sur tous ces aspects.

Les intercommunalités pourront instaurer, par une délibération adoptée avant le 31 juillet 2020, un dégrèvement de cotisation foncière des entreprises (CFE) pour les artisans et commerçants à hauteur des deux tiers, mesure exceptionnelle dont le coût serait partagé à parts égales par les collectivités locales et l’État, qui ne perçoit rien de cet impôt.

Enfin, pour l’outre-mer, nous prévoyons une compensation à l’euro près, pour un montant d’environ 60 millions, de la baisse du produit de l’octroi de mer régional et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Par ailleurs, l’État accordera sa garantie à un prêt consenti par l’Agence française de développement à la Polynésie française, à la demande du gouvernement de la collectivité.

La quatrième composante du PLFR est le soutien aux plus fragiles : hébergement d’urgence, plan de lutte contre les violences faites aux femmes, aides exceptionnelles pour les étudiants et pour les jeunes précaires, aides pour les Français de l’étranger.

Avec 222 milliards d’euros de déficit pour le budget de l’État, 52 milliards d’euros de déficit pour la sécurité sociale, une dette publique à 121 % du PIB, un déficit public à 11,4 %, nous sommes à des niveaux jamais atteints depuis 1945.

M. le président Éric Woerth. L’OCDE considère que la récession en France se situera entre 11 % et 14 %. Le Haut Conseil des finances publiques n’exclut pas de bonnes nouvelles avec une croissance plus élevée que prévu mais prend aussi en considération des scénarios plus inquiétants. Ce PLFR ne contient pas toutes les mesures budgétaires prévues : pouvez-vous nous nous en dire plus ? Peut-être n’a-t-on pas fait le tour de toutes les exonérations et reports d’échéances et des risques liés aux prêts garantis et aux faillites.

Pourquoi ce PLFR procède-t-il à une telle révision des prévisions qui se résument en trois fois 11 : 11 % de déficit, 11 % de récession et 11 % de chômage ? Il n’y avait pourtant pas d’éléments nouveaux après le deuxième PLFR. N’est-ce pas le signe que nous étions mal préparés ? Le confinement ayant dû durer plus longtemps, il y a eu plus de déficit.

Où va-t-on ? Vous égrenez des plans sectoriels mais où est la vision d’ensemble ? Ne faudrait-il pas donner une direction globale dès à présent, sans attendre les décisions européennes ?

Toute la question est de savoir si vos mesures accéléreront le rebond qui aura de toute façon lieu. Permettront-elles de gagner un, deux ou trois points de PIB ? Pour le chômage, quelles sont vos prévisions ?

Le poids de la dette nous oblige. Nous avons besoin de dire, par considération pour les générations futures, comment nous envisageons l’évolution de la dette des entreprises, point crucial, et de la dette publique.

Enfin, sur les cotisations salariales, je ne comprends pas la logique de votre mesure. Quant au dégrèvement de CFE, j’y suis favorable et me félicite que le Gouvernement fasse preuve de davantage de souplesse à l’égard des collectivités locales.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Ce troisième PLFR, s’il consolide les mesures d’urgence, marque une rupture en cherchant à accélérer la relance par une politique sectorielle au plus près des besoins. Il se situe au carrefour de l’urgence et de la reprise. Il prend pleinement en compte, dans un esprit de responsabilité, la dégradation du contexte macroéconomique le Haut Conseil des finances publiques évoque des prévisions prudentes. Ce PLFR contient aussi un plan de soutien massif aux collectivités territoriales, qui correspond à des attentes du terrain. Il vient enfin en aide aux publics vulnérables, notamment en essayant de réparer les inégalités scolaires.

Quelles sont vos hypothèses pour l’évolution des finances publiques dans les mois à venir ? Prenez-vous en compte un scénario de moins mauvaises nouvelles avec des rentrées fiscales supérieures à celles prévues aujourd’hui ?

Pour les plans sectoriels, prévoyez-vous des modifications par amendement d’ici à la séance publique ? Il serait bon que nous le sachions. Quelles mesures relèveront du domaine réglementaire ?

La Banque de France a évoqué un taux de chômage de 11 % à la mi-2021. Quelles hypothèses retenez-vous pour le soutien à l’emploi, central dans ce PLFR ?

Vous amplifiez la politique de soutien à l’assurance-crédit, sujet majeur dans cette crise. Avez-vous mis à jour les scénarios de sinistralité des entreprises et donc du coût du recours à la garantie ?

La dette publique atteindrait 121 % du PIB. Comment s’organisera le financement des dépenses publiques entre bons du Trésor à échéance de cinq ans et obligations assimilables du Trésor (OAT) sur dix ans ? Le marché actuel est-il suffisamment profond pour permettre un financement peu coûteux à long terme de cet endettement supplémentaire ?

Anticipez-vous un effet dénominateur de remontée du PIB qui aboutirait à un recul de l’endettement public ?

Comment la France bénéficiera-t-elle d’un retour sur l’octroi de sa garantie aux prêts accordés au titre du dispositif SURE ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Le Gouvernement a tout mis en œuvre pour ne laisser aucun Français sur le bord de la route ; le groupe LaREM vous remercie pour votre réactivité et la qualité de votre écoute, au plus près du terrain. L’industrie aéronautique, à la fois civile et militaire, est un élément de notre souveraineté. Comment comptez-vous contrer d’éventuelles tentatives de prise de contrôle d’un sous-traitant français en difficulté ? Craignez-vous que l’épargne « forcée », accumulée par les ménages pendant le confinement, se transforme en épargne de précaution, freinant ainsi la reprise économique ?

Mme Véronique Louwagie. Les mesures du troisième PLFR relèvent davantage, et le groupe LR le regrette vivement, d’un plan de soutien que d’un plan de relance. Le montant des exonérations de cotisations et remises de dettes prévues à l’article 18, qui s’élève à 3 milliards d’euros, est dix fois moindre que celui des reports de charges fiscales et sociales. Est-ce à dire que 10 % seulement de ces reports se transformeront en annulation ? Quelles mesures les plans de soutien sectoriels comportent-ils en sus des mesures générales que sont le chômage partiel ou le prêt garanti par l’État ? Le dispositif d’activité partielle de longue durée ne risque-t-il pas de susciter l’inquiétude et donc d’entraîner une récession ?

M. Jean-Noël Barrot. Je tiens à saluer, au nom du groupe MODEM, l’ampleur du dispositif et le ciblage des mesures, la sincérité du diagnostic et la prudence des hypothèses macroéconomiques du Gouvernement, ainsi que la méthode retenue. Les prêts garantis par l’État, souscrits par près de 500 000 entreprises, ont alourdi leur endettement. Quelle est votre évaluation de leur situation bilancielle ? Envisagez-vous de prendre des mesures pour faciliter la restructuration de ces dettes et, si tel est le cas, comptez-vous le faire dès ce PLFR ?

Mme Christine Pires Beaune. Je regrette l’absence de projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

Le groupe Socialistes approuve les annulations sectorielles de cotisations – sur la légalité desquelles on peut néanmoins s’interroger –, mais les 3 milliards d’euros provisionnés nous paraissent insuffisants. En revanche, nous déplorons le manque de mesures en faveur des ménages ; quant à celles qui ont été annoncées en faveur des plus modestes, elles ne semblent pas figurer dans le PLFR. Celui-ci ne prévoit pas non plus une contribution exceptionnelle des plus aisés, de sorte que le plan du Gouvernement est exclusivement financé par la dette. Or, je crains que celle-ci ne soit ensuite le prétexte à la réalisation d’économies qui seront supportées par tous. Enfin, je me réjouis de l’effort annoncé en faveur des collectivités locales, mais le renforcement des crédits de la dotation de soutien à l’investissement local est en partie un trompe-l’œil car il ne s’agit que d’autorisations d’engagement, ce qui va accentuer le problème des restes à payer.

M. Charles de Courson. Quel est le commentaire du Gouvernement sur l’absence de réduction du déficit structurel, qui reste stable, à 2,2 % du PIB, depuis 2018 ? S’agissant des exonérations de cotisations patronales par secteur, ne vous semble-t-il pas nécessaire d’obtenir l’autorisation préalable de l’Union européenne – je pense au fâcheux précédent du textile, sous le gouvernement Barre ? Pourquoi les départements ne bénéficient-ils pas du même dispositif d’avance remboursable que les communes ? Pourquoi les mesures spécifiques du plan tourisme concernant Lourdes, l’outre-mer et la Corse ne figurent-elles pas dans le PLFR ? Enfin, pourquoi l’impôt sur le revenu est-il le seul impôt dont le produit ne baisse pas entre la dernière loi de finances rectificative et ce PLFR ?

M. Éric Coquerel. Le nouveau PLFR s’inscrit dans la droite ligne des précédents : d’une part, aucune contrepartie liée à la préservation de l’emploi n’est imposée aux entreprises bénéficiant de prêts ; d’autre part, les aides versées aux secteurs de l’automobile et de l’aéronautique ne sont assorties d’aucun critère écologique. Par ailleurs, le texte ne comporte aucune mesure fiscale – le groupe LFI déposera donc des amendements dans ce domaine. Enfin, on constate un écart important entre les sommes annoncées et l’argent frais qui sera versé au titre des différents plans de soutien. En définitive, ce PLFR évoque davantage le monde d’avant que le monde d’après.

Mme Émilie Cariou. Le groupe Écologie Démocratie Solidarité approuve les mesures de soutien proposées par le Gouvernement, dont nous partageons la position sur la baisse de la TVA, pour les raisons indiquées par Bruno Le Maire.

Toutefois, nous regrettons l’absence de mesures de nature à encourager un plan d’investissement des collectivités locales davantage tourné vers la transition écologique et énergétique ainsi que l’insuffisance du soutien au secteur ferroviaire. Par ailleurs, la ligne de crédits consacrée à la vie étudiante sera certainement insuffisante. Comment comptez-vous aider ceux des jeunes précaires qui ne sont pas étudiants ? Enfin, pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’ingénierie financière utilisée dans le cadre des prêts accordés aux entreprises en difficulté ? Une bonne gestion suppose que l’État puisse prendre des participations à terme dans ces entreprises.

Mme Patricia Lemoine. Le groupe Agir ensemble approuve les mesures d’envergure prises pour soutenir et relancer notre économie ; le volet consacré aux collectivités territoriales, inédit, était très attendu. Il convient de saluer également la prudence des estimations du Gouvernement. Toutefois, pourquoi les prévisions concernant le produit de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux n’ont-elles pas été révisées, alors que le scénario macroéconomique se dégrade ? Le Haut Conseil des finances publiques estime que certaines mesures pourraient, contrairement à ce qu’indique le Gouvernement, avoir un impact sur le solde budgétaire prévu dans ce PLFR. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Enfin, sachant que l’épargne constituée au cours des dernières semaines est estimée à 100 milliards d’euros, quels mécanismes envisagez-vous de mettre en œuvre pour encourager la consommation des ménages ?

M. Fabien Roussel. Parmi les nouvelles mesures annoncées, le groupe GDR soutiendra les exonérations de cotisations patronales accordées notamment aux petites entreprises ainsi que le dégrèvement de CFE. Néanmoins, il déplore que le Gouvernement ait choisi de préserver, plutôt que le capital humain, le capital financier, qui devrait pourtant contribuer davantage à l’effort demandé à toute la nation. Les salariés paient cher le prix de cette crise ; le nombre des chômeurs de catégorie A a augmenté d’un million au cours des deux derniers mois. Il aurait été judicieux, d’une part, de conditionner les aides accordées aux grands groupes en exigeant qu’ils relocalisent et évitent les licenciements, d’autre part, de taxer le capital et de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune. Qu’en est-il du plan consacré aux moins de vingt-cinq ans ? Est-il prévu de soutenir la SNCF, notamment le fret ferroviaire ?

M. le ministre de l’économie et des finances. La diminution de 11 % du PIB est conforme à l’estimation de l’OCDE ; l’hypothèse d’une baisse de 14 % correspond au scénario noir d’une reprise de l’épidémie à la rentrée. La dégradation observée depuis le deuxième PLFR s’explique par le caractère strict du confinement, qui a eu, de ce fait, un impact particulièrement violent sur l’économie.

Je veux insister sur la réactivité du Gouvernement, en rappelant le calendrier de nos décisions : le 25 février, à Athènes, j’ai indiqué que la crise serait comparable à celle de 1929 ; le 6 mars, j’ai adressé au Président de la République une note dans laquelle je souligne la nécessité d’élaborer une réponse massive ; enfin, trois projets de loi de finances rectificative vous ont été soumis, respectivement le 18 mars, le 15 avril et le 10 juin. En matière économique et financière, la réponse des autorités françaises a donc été immédiate et à la hauteur des enjeux. Jamais, je n’ai caché la gravité de la situation économique aux Français.

Notre stratégie économique, la même depuis le premier jour, consiste à amortir le choc – 88 milliards d’euros, soit le double du montant versé en Allemagne, ont déjà été attribués au titre du PGE –, à accompagner les secteurs les plus en difficulté et à relancer notre économie en mettant l’accent sur sa compétitivité et sa décarbonation. Et nous serons d’autant plus compétitifs que nous aurons investi dans la décarbonation, car celle-ci nous oblige à trouver des solutions technologiques nouvelles. Nous pourrions opter pour la solution de facilité en recourant à l’énergie fossile, mais nous le paierions économiquement très cher dans cinq ou dix ans, sans parler de la réaction des Français qui ne l’accepteraient pas.

Nous assumons le choix de sauver notre économie en augmentant massivement la dette publique. Celle-ci devra être remboursée ; ceux qui prétendent le contraire trompent les Français. Je pense que ce remboursement devra intervenir après le retour de la croissance. Telle est notre stratégie : nous investissons beaucoup d’argent public pour relancer la croissance, afin que celle-ci finance ensuite le désendettement. Nous excluons ainsi toute augmentation d’impôt. Non seulement une telle augmentation est difficilement défendable dans le pays dont le taux de prélèvements obligatoires est l’un des plus élevés de l’OCDE, mais si l’on augmentait un impôt, quel qu’il soit, sur des ménages, quels qu’ils soient, tous les autres, redoutant d’être touchés à leur tour, épargneraient au lieu de consommer. Or, la consommation est nécessaire à la relance.

Nous estimons que, d’ici à quelques mois, 800 000 emplois, soit 2,8 % de l’emploi total, seront supprimés. Le choc est considérable, mais il est n’est pas comparable à la baisse de l’activité, qui est de 11 %. De fait, nous nous employons à l’amortir, grâce à l’activité partielle et au financement de l’aide à l’apprentissage. Certains proposent de baisser davantage les charges sur l’emploi des jeunes. Toute proposition visant à soutenir l’emploi et à accompagner ceux qui sont le plus en difficulté est la bienvenue. Il nous faudra, en effet, cibler certaines aides sur les plus démunis, les moins qualifiés, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail ou les plus de cinquante ans qui seront licenciés sans perspective, car ils sont les plus exposés. C’est à eux qu’il faut tendre la main en priorité et, croyez-moi, c’est une des urgences du Gouvernement.

Le plan de soutien à l’aéronautique sera complété par un volet consacré à la commande publique. Ce n’est pas parce que des commandes anticipées d’A300M ont été annoncées par la ministre des armées que d’autres commandes publiques ne seront pas possibles dans les mois à venir.

Parmi les mesures autres que générales figurent précisément les commandes publiques, des aides budgétaires directes en faveur de la digitalisation et de la robotisation des PME, des mesures en faveur de l’investissement en fonds propres des PME ainsi que des investissements dans l’innovation.

La dette des entreprises sera l’une des grandes questions économiques et financières de la sortie de crise. Les prêts garantis par l’État, dont le montant sera de l’ordre de 100 milliards d’euros, ne seront remboursés qu’à partir du printemps 2021, mais nous devons nous assurer que la crise de trésorerie ne se transforme pas en crise de solvabilité. La dette des entreprises devra être remboursée. Peut-on transformer les PGE en fonds propres ? Je suis ouvert à cette solution, mais il ne faut pas entretenir l’illusion que l’État pourrait à lui seul récupérer cette dette et devenir ainsi le principal actionnaire de dizaines de milliers d’entreprises. Cet investissement à l’aveugle serait un mauvais usage de l’argent des Français. Le secteur privé, notamment les banques, devra donc, le cas échéant, être inclus dans le dispositif.

Enfin, le monde d’après ne sera pas le monde d’avant : dans les plans de relance, priorité est donnée à l’emploi et à la décarbonation.

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 10 juin à 13 heures 45

 

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, Mme Stella Dupont, M. Joël Giraud, Mme Olivia Gregoire, M. François Jolivet, M. Mohamed Laqhila, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Benoit Potterie, M. François Pupponi, M. Xavier Roseren, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint-Martin, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Lénaïck Adam, M. Fabrice Brun, Mme Jennifer De Temmerman, M. David Habib, M. Christophe Jerretie, Mme Lise Magnier, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian

 

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Daniel Labaronne, M. Christophe Naegelen