Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

     Examen de la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes (n° 2201) (M. Aurélien Pradié, rapporteur)               2

 

 

 


Mercredi
2 octobre 2019

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 9 heures

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes (n° 2201) (M. Aurélien Pradié, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner deux propositions de loi qui seront discutées en séance publique le 10 octobre dans le cadre de la journée réservée au groupe Les Républicains : la première, dont le rapporteur est Aurélien Pradié, vise à agir contre les violences faites aux femmes ; la seconde, dont la rapporteure est Valérie Boyer, est relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Avant de vous donner la parole, monsieur le rapporteur, je précise que la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes s’est saisie pour avis de ces deux textes sur le rapport de notre collègue Fiona Lazaar.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, certains sujets nous engagent. Ils nous engagent à agir et à prendre la mesure de l’urgence sociétale et vitale qui leur est attachée. Ils nous engagent à ne plus attendre et à dépasser nos différences, nos tactiques partisanes. Ils nous engagent à être à la hauteur de la mission qui nous a été confiée par nos concitoyens. Les violences faites aux femmes, les violences conjugales, les violences envers les enfants commandent que nous agissions.

Depuis le début de cette année, cent onze femmes sont mortes assassinées dans des conditions d’extrême violence. Chacune de ces morts nous est insupportable.

Dire que rien n’a été fait depuis dix ans pour protéger ces femmes serait mentir. En dix ans, plusieurs lois ont été votées. En dix ans, la parole s’est libérée et la prise de conscience de la société tout entière a progressé. En dix ans, des directives ont été données, notamment aux autorités de police ou de justice, pour mieux faire. Toutefois dire que tout a été fait, que la puissance publique se donne tous les moyens pour inverser cette courbe funeste, ce serait ignorer la sombre réalité.

Cent onze : ce chiffre noir doit nous obséder et nous pousser à faire plus, plus fort, plus vite.

Les faiblesses, les failles, les manques de nos organisations, nous les connaissons. À quelques nuances près, tous les acteurs s’accordent sur le constat et sur les solutions à apporter.

Peut-on faire plus ? Oui, bien sûr ! Des pays voisins ont déjà agi, prenant une avance considérable et obtenant des résultats tangibles. En Espagne, deux lois majeures, en 2005 puis en 2009, ont changé les choses. Grâce à la création d’instances spécialisées et la généralisation du bracelet anti-rapprochement, le nombre de femmes mortes sous les coups de leur conjoint est passé de 77 en 2017 à 47 en 2018 et 44 en 2019.

Ne pas trembler pour renforcer les moyens juridiques et judiciaires, ne pas trembler pour voter la loi, ne pas trembler pour imposer des sanctions, ne pas trembler pour que la peur change de camp, voici notre responsabilité collective. Ne pas trembler non plus pour dégager des moyens budgétaires. Plusieurs amendements de nos collègues appelleront légitimement notre attention sur cet enjeu capital. Les crédits budgétaires actuels ne sont en effet pas encore à la hauteur du défi : il faut le dire car c’est la vérité. Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi ; demain, nous voterons la loi de finances. Il faudra que nous y retrouvions le même volontarisme politique.

Pour agir, il faut aussi être capables de nous rassembler : se sentir collectivement responsables, faire cause commune, unir nos forces pour bâtir ensemble une loi à même de changer les choses.

Un détail ne vous aura certainement pas échappé : je ne suis pas un député de la majorité. Ce texte ne vient ni du Gouvernement, ni de la majorité. Que les plus interrogatifs se rassurent : je n’ai pas vocation à devenir député de la majorité, je pratique assez peu le compromis, vous l’aurez sans doute remarqué. J’ai un profond respect pour les convictions de chacun et je n’entends pas effacer nos différences. La confrontation politique relève à mes yeux de la salubrité démocratique mais, comme beaucoup d’entre vous, je crois aussi aux grandes causes, celles qui laissent les plus fragiles exposés au danger, celles qui minent notre société et qui disent beaucoup des tourments de notre époque. Ces causes, parce qu’elles nous dépassent, peuvent nous rassembler. Ces combats n’ont pas de couleur politique. Cent onze femmes sont mortes depuis le début de l’année sous les coups de leur compagnon. Nous avons donc cent onze raisons essentielles d’unir nos forces loin de tout sectarisme.

Le 16 septembre dernier, le Premier ministre a engagé la procédure accélérée sur ce texte en application de l’article 45 de la Constitution. Depuis trois semaines, nous multiplions les auditions et les contacts directs avec les représentants de tous les groupes de notre assemblée. Je salue ici l’état d’esprit responsable avec lequel cette proposition de loi est abordée sur tous les bancs. Elle ne réglera pas tout mais elle peut marquer un grand pas.

Pour avancer, je vous propose de nous fixer deux règles : d’une part, être à l’écoute les uns des autres et apporter des contributions utiles pour nourrir le texte ; d’autre part, faire preuve d’une réelle ambition. Il s’agit non pas de voter un texte pour le plaisir d’en voter un, mais d’être courageux et déterminé. Les objectifs de cette proposition de loi ne doivent pas être revus à la baisse. Si tel était le cas, ce ne serait pas un problème pour moi ou pour le groupe Les Républicains ; ce serait un problème pour les acteurs de terrain, pour ces femmes qui, chaque jour, chaque heure, risquent leur vie et appellent à l’aide.

De la délivrance de l’ordonnance de protection en passant par l’enjeu majeur que constitue la prise en compte des enfants et du logement jusqu’à la généralisation du bracelet anti-rapprochement, nous devons progresser. Ce sera aussi ma mission, en tant que rapporteur, de maintenir un haut degré d’ambition.

La main du législateur ne doit pas trembler comme cela a pu arriver. Ce fut le cas pour le bracelet anti-rapprochement : une expérimentation a été proposée en 2010 dans trois départements mais n’a été suivie d’aucune mise en œuvre concrète ; les dispositions d’une loi de 2017 n’ont jamais été appliquées. Ce fut le cas aussi pour le délai de délivrance des ordonnances de protection : les parlementaires, avançant, en 2010 comme en 2014, diverses justifications juridiques, ont beaucoup hésité à fixer un délai strict, ce qui a introduit une faille majeure dans notre dispositif.

Ces deux cas doivent nous servir de leçon. Aujourd’hui, il ne nous faudra pas hésiter. Faire à moitié reviendrait à ne rien faire. Or, nous ne pouvons pas ne rien faire.

Notre proposition de loi prend en compte plusieurs leviers d’action, à commencer par l’ordonnance de protection, qui constitue le volet civil de notre texte. Cet outil joue un rôle stratégique de rempart contre le danger immédiat : il permet de protéger les enfants, d’écarter le conjoint, de lui retirer ses armes. Il comporte toutefois plusieurs lacunes et nous voulons le consolider pour en faire un véritable bouclier préventif pour la victime. L’ordonnance de protection mélange des mesures civiles à des mesures pénales. Le législateur de 2010 l’a inscrite dans la procédure civile. C’est un choix qui peut se discuter mais que nous devons respecter. J’ai souhaité écrire noir sur blanc que la victime ne pouvait être contrainte de déposer plainte pour demander une ordonnance de protection. Pour une femme victime de violences, déposer plainte n’est pas toujours le cheminement premier. La loi doit la protéger sans la brusquer et sans risquer de la mettre davantage en danger. Aujourd’hui, alors que la loi n’exige pas le dépôt d’une plainte, c’est un préalable imposé dans de nombreux départements. Toutes les juridictions de notre pays doivent appliquer les mêmes règles. Afin de renforcer le lien entre le civil et le pénal, notre proposition rend systématique la transmission du dossier au procureur, dès l’ordonnance de protection. Ce sera une avancée bien réelle car aujourd’hui, la loi l’exige seulement lorsque le sort des enfants est en jeu.

La grande question est aussi celle du délai dans lequel une ordonnance de protection est délivrée. Compte tenu de l’urgence attachée à chacune de ces situations, tout retard comporte un risque majeur. Dans ces circonstances, c’est en jours et non en semaines que l’on doit compter. En 2014, le législateur s’était ému du délai moyen de vingt-cinq jours qui prévalait alors et il avait inscrit dans la loi que le juge devait agir « dans les meilleurs délais ». Nous sommes en 2019 et le délai moyen est désormais d’un mois et demi, ce qui est inacceptable. Je vous propose d’instaurer un délai de six jours, cohérent avec la situation et les autres formes de référés de notre droit. Nous imposons aux juges administratifs de statuer sur les rétentions administratives en quelques jours, aux juges des libertés et de la détention d’agir en quelques dizaines d’heures, et c’est en trois ou quatre jours que le juge des référés peut se prononcer en droit commercial. Nous pouvons bien demander aux juges de tenir les mêmes délais quand des vies sont en jeu. Les dossiers doivent constituer des urgences pour tous les juges aux affaires familiales (JAF) de France. Nous y reviendrons en détail mais j’insiste ici sur le fait qu’il est capital d’agir en ce sens.

Par amendement, je vous proposerai aussi d’élargir le champ de l’ordonnance de protection.

Notre objectif est de priver plus systématiquement les individus violents des armes qu’ils détiennent. Il faut savoir que dans 30 % des cas où l’interdiction est demandée, ils conservent leur arme, ce qui est une folie.

Par ailleurs, en matière de droit de visite, nous faisons de la médiatisation la règle et des autres modalités l’exception afin de mieux protéger les enfants. Le père violent envers la mère n’est pas un bon père. S’il y a un domaine où le principe de précaution doit s’appliquer, c’est bien celui des relations avec les enfants. Plusieurs amendements de la majorité et de l’opposition proposent d’instaurer la possibilité pour le juge de prononcer une interdiction de paraître au-delà de l’interdiction de contact qui prévaut actuellement. Aujourd’hui, les auteurs de violences peuvent guetter leur victime au pied de son immeuble ou à proximité de l’école des enfants sans être inquiétés, en l’absence de contact direct. Il faut que cela cesse.

J’avais proposé un amendement complémentaire permettant aux JAF d’orienter les auteurs de violences vers des soins et des traitements psychologiques. Tout comme d’autres amendements similaires, il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution et je le regrette. L’enjeu est pourtant essentiel. Tous les acteurs nous disent combien les premiers jours sont stratégiques pour éviter la récidive. Il faut traiter les auteurs de violences pour mieux protéger les victimes. Je proposerai donc aux différents signataires des amendements que nous travaillions ensemble à une nouvelle rédaction en vue de la séance publique.

Le deuxième dispositif de notre proposition de loi fera le pont entre la protection civile de la victime et la sanction pénale de l’auteur. Il s’agit du fameux bracelet anti-rapprochement, un outil qui fonctionne. Voyons l’Espagne : aucun décès en dix ans pour les femmes protégées par ce système. Nous vous proposons qu’il soit mis en place dès l’ordonnance de protection, de manière préventive, ce qui constitue une vraie révolution. Je sais qu’il existe des difficultés d’ordre constitutionnel : le consentement de l’auteur des violences doit être requis. Même si j’estime que le Conseil constitutionnel saurait adapter son approche à l’évolution de notre société, je ne souhaite pas introduire dans ce texte une fragilité juridique majeure. Le Gouvernement et la majorité ont proposé un amendement pour que le consentement de l’auteur des violences soit pris en compte. J’y suis favorable mais je souhaite qu’il soit accompagné d’une garantie indispensable. Par sous-amendement, je vous proposerai d’associer le procureur de la République afin qu’en cas de refus, le bracelet puisse être ordonné pénalement avec toutes les conséquences coercitives que cela implique. On ne peut accepter que le bracelet anti-rapprochement soit une option laissée au bon vouloir de celui que l’on sait éminemment dangereux. Consentement, oui, mais aussi contrainte forte pour des individus dont les agissements sont autant de risques de mort pour les femmes.

Notre proposition permettra au juge pénal d’imposer le bracelet anti-rapprochement en pré-sentenciel, au moment de la condamnation et dans l’aménagement de la peine. Cela ne soulève pas de problème constitutionnel. Je sais que le Gouvernement et le groupe majoritaire comptent modifier le dispositif pour des raisons de technique juridique. Je soutiendrai leur initiative qui va dans le même sens que le texte et qui en clarifie la rédaction.

Notre proposition de loi comprend aussi des dispositions relatives au téléphone grave danger (TGD). Ce terminal confié par le procureur de la République à une personne en danger fonctionne bien. Mais nous avons constaté que les règles et modalités d’attribution ne sont pas les mêmes selon les territoires. C’est la raison pour laquelle nous proposons de rappeler clairement que le TGD peut être attribué sans obstacle et par tous moyens. Les associations continueront à être des intermédiaires mais les victimes et leurs avocats pourront aussi formuler une demande directement. Nous savons tous que des téléphones dorment dans des placards. En faciliter l’accès est un impératif. C’est le sens de l’un de mes amendements qui clarifiera la rédaction de la proposition de loi.

L’article 6 constitue lui aussi une nouveauté. Il permettra au juge de l’application des peines de supprimer la réduction de peine dont peuvent bénéficier les auteurs de violences condamnés dès lors qu’ils n’auront pas respecté leurs obligations de soins. Nous leur appliquerons désormais les règles les plus dures de notre droit pénal.

Enfin, la proposition de loi permettra d’avancer sur la question de l’hébergement des femmes victimes de violences et de leurs enfants. Quand une femme prend la décision de quitter son bourreau, c’est souvent en laissant tous ses biens derrière elle. Dans une majorité des cas, sa précarité a été organisée par son compagnon. Les témoignages de femmes indiquant ne pas avoir quitté leur domicile pour ne pas faire subir cette précarité du logement à leurs enfants sont nombreux, trop nombreux. La peur doit changer de camp, la précarité aussi, disons-le clairement. Les possibilités de relogement sont souvent délicates pour ces femmes. Les associations font un travail formidable mais là encore, on ne peut pas échapper à la question des moyens. Nous proposons donc d’abord de renforcer le principe selon lequel c’est à l’auteur des violences de partir et à la femme et ses enfants de rester dans le logement si elle le souhaite, ce qui n’est pas toujours le cas.

Nous proposons de nous appuyer sur la loi actuelle en offrant au juge la possibilité de mettre à la charge des auteurs de violences les frais liés à la location ou à la propriété du domicile conjugal. Aujourd’hui, ce sont ces femmes qui subissent la précarité ; demain, ce seront leurs compagnons violents qui la subiront. Je n’ai aucun scrupule à demander à ces derniers de prendre en charge ces frais. Cela évitera aux femmes d’être poursuivies pour des loyers impayés qu’elles ne sont pas en mesure d’acquitter. J’appelle aussi votre attention sur le fait que tous les compagnons violents ne sont pas sans revenus, certains vivent même très confortablement. Ils assumeront ces charges et s’ils sont insolvables, ils seront tenus pour responsables des dettes du logement, devront s’expliquer devant les huissiers et constituer des dossiers de surendettement : tout ce que les femmes doivent faire aujourd’hui. Ce principe du « violent payeur » ne me pose aucun problème intellectuel. Pour répondre aux cas, fréquents, où les femmes souhaitent quitter le logement, l’article 7 propose d’expérimenter un nouveau dispositif spécifique qui couvre la caution et les premiers mois de loyer : cela leur permettra d’entrer dans le parc privé au lieu de se limiter aux foyers. Les sommes en jeu ne sont pas considérables et si le Gouvernement veut bien nous aider, avec Action Logement, je suis sûr que nous pourrons avancer. Le cadre est celui de l’expérimentation, ce qui laisse une certaine latitude.

Enfin, la proposition de loi demande un rapport d’expertise pour le développement d’une application numérique à destination des femmes victimes de violences. Ce sera un secours appréciable pour elles de savoir en quelques minutes où chercher de l’aide, où solliciter un avocat spécialisé, où trouver un commissariat, une unité médico-judiciaire (UMJ) et comment recueillir des preuves pour agir en justice.

Mes chers collègues, voilà l’architecture à partir de laquelle nous allons pouvoir nous mettre collectivement au travail. À chaque fois que nous hésiterons, à chaque fois que nous manifesterons une prudence peut-être excessive, rappelons-nous ce chiffre : cent onze ! Je ne doute pas qu’il nous donnera la force de décider et donc d’agir ensemble.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité se saisir pour avis des deux propositions de loi que la Commission examine ce matin. Ces textes concernent en effet directement les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes.

La démarche transpartisane que nous adoptons aujourd’hui me semble la bonne. Je suis convaincue que cette discussion législative sera une occasion supplémentaire de faire avancer la lutte contre les violences conjugales qui sont une réalité aussi omniprésente qu’insupportable.

Trois axes me semblent devoir être privilégiés.

Il s’agit tout d’abord de renforcer les dispositifs existants. Notre arsenal législatif et réglementaire est fourni, efficace et adapté aux problématiques. Mais il n’est pas exploité à son plein potentiel et l’on observe des disparités d’un territoire à l’autre.

Il s’agit ensuite de créer de nouveaux dispositifs pour combler les lacunes persistantes. Certains verrous demeurent et il importe de les faire sauter rapidement pour mieux protéger les victimes de violences conjugales.

Il s’agit enfin d’appréhender la lutte contre ces violences de la manière la plus large possible. Elles s’inscrivent dans un continuum que nous ne parviendrons à briser qu’en agissant en amont et en aval : en amont, en accentuant considérablement, dès le plus jeune âge, la prévention et l’éducation à l’égalité ; en aval, en garantissant un accompagnement des victimes dans la durée.

S’agissant de la proposition de loi, j’aimerais revenir sur deux points en particulier.

L’ordonnance de protection est un dispositif pertinent, comme le soulignent unanimement les associations. Toutefois, il est possible d’en accroître l’efficacité. Préciser dans le code civil que sa délivrance n’est pas conditionnée au dépôt d’une plainte serait de nature à améliorer les choses et à faire évoluer les pratiques des magistrats. Nous devons trouver un consensus afin de réduire les délais de délivrance et de ne laisser aucune victime en situation de danger dans une période que nous savons charnière, où les risques sont démultipliés. Enfin, il serait pertinent de simplifier la rédaction de l’article 515-9 du code civil afin de faciliter la pratique des juges et de préciser à l’article 515-11 que le JAF se prononce systématiquement sur les différents sujets qui y sont énumérés. Je reviendrai plus en détail sur ces propositions à travers mes amendements.

Quant au bracelet anti-rapprochement, c’est un dispositif auquel je suis extrêmement favorable. Je le soutiens depuis quelques mois avec notre collègue Guillaume Vuilletet et plusieurs acteurs du Val-d’Oise. Je suis convaincue de la pertinence de ce système mais, pour que sa mise en œuvre soit pleinement efficace, deux conditions doivent être remplies. D’une part, sa généralisation doit être rapide afin de proposer au plus vite cette solution aux victimes et éviter de nouveaux drames. D’autre part, si le JAF estime que les risques encourus justifient le port d’un bracelet et que l’auteur s’y refuse, la loi doit prévoir une procédure qui permettra la protection de la victime.

Sachez, monsieur le rapporteur, que je considère cette proposition de loi comme une occasion de plus de progresser dans la lutte contre les violences conjugales.

M. Guillaume Vuilletet. Monsieur le rapporteur, vous avez illustré votre propos par un chiffre terrible. Il est d’autant plus terrible qu’à chaque étape de cette proposition de loi, nous avons dû le réviser à la hausse. En ce moment même, il est peut-être en train d’augmenter. Cela donne la mesure du drame national que nous vivons : ces violences ne s’arrêtent jamais et le décompte morbide des victimes continue.

Chaque année, près de 220 000 femmes subissent des violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. En 2017, 130 sont mortes et en 2018, 121. Cette réalité insupportable doit faire l’objet d’un combat sans relâche mobilisant la puissance publique et la société civile au-delà des clivages, au-delà de la foi et des convictions.

Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas anodin. Nous construisons ensemble un texte avec le sentiment partagé qu’il faut agir de façon urgente et consensuelle. Le Président de la République a fait de l’égalité entre femmes et hommes la grande cause du quinquennat. Piloté par le Premier ministre sous l’impulsion de la secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Marlène Schiappa, dont je salue l’engagement remarquable, le Grenelle contre les violences conjugales doit nous permettre de trouver des solutions au plus près du terrain pour aider les victimes, rappeler aux auteurs des violences la loi et la gravité des faits, pousser les témoins à intervenir. Notre groupe, La République en Marche, se tient aux côtés du Gouvernement. Parce que notre responsabilité est collective, notre travail doit être collectif et je me félicite de la concertation entre les groupes qui a marqué l’élaboration de ce texte. Je tiens à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour votre esprit d’ouverture.

Différents objectifs sont poursuivis. Comme l’a annoncé le Gouvernement, le premier consiste à assurer une meilleure prise en charge des victimes à toutes les étapes de leurs démarches. L’action des autorités compétentes doit être exemplaire. La mise en place d’un protocole unique d’évaluation pour remédier aux disparités de traitement entre les territoires, la généralisation de la possibilité de porter plainte à l’hôpital, une meilleure articulation entre les différents acteurs judiciaires ont été annoncées.

Le deuxième objectif consiste à protéger les victimes en leur assurant un hébergement. Cinq millions d’euros supplémentaires vont être mobilisés pour créer mille places nouvelles d’hébergement et de logement d’urgence, dont les trois quarts dans des structures collectives grâce à la mobilisation de l’allocation de logement temporaire (ALT). La présente proposition de loi prévoit dans son article 2 que la victime des violences garde la jouissance du logement commun en laissant les frais afférents à la charge du partenaire violent. Nous avons déposé un amendement afin de rétablir le pouvoir d’appréciation du juge aux affaires familiales tout en conservant le principe de l’attribution du logement au conjoint victime pour des raisons que je détaillerai. Le texte prévoit également la prise en charge de la caution et de la garantie locative ainsi qu’une avance sur le paiement des six premiers mois de loyer à destination des victimes qui quittent le logement du couple. Nous laisserons au Gouvernement le soin de s’exprimer sur ce sujet.

Le troisième objectif, qui me tient particulièrement à cœur, est d’assurer la mise en place de dispositifs efficaces pour éloigner les conjoints et ex-conjoints violents. On constate aujourd’hui des failles dans notre dispositif de protection qui ne préserve pas suffisamment les victimes potentielles. Il est possible de sanctuariser le domicile d’une femme mais il y aura toujours des cas où les secours arriveront trop tard. Cela a été le cas à trois reprises depuis le début de l’année. Une solution existe. Il s’agit d’un dispositif complémentaire au bracelet électronique qui permet d’alerter la victime et les forces de l’ordre lorsque l’auteur ne respecte pas l’interdiction imposée par le juge de s’approcher. Le dispositif a fait ses preuves, notamment en Espagne où, depuis 2004, on observe une réduction de près de 40 % des cas de récidive. Le dispositif peine à être expérimenté en France.

Ces informations m’ont été fournies en partie par les animateurs de l’association Security Systems Valley, cluster du Val-d’Oise qui regroupe des entreprises et usagers du secteur de la sécurité. Je tiens à souligner leur engagement en ce domaine ainsi que celui de la présidente et du procureur de la République du tribunal de grande instance de Pontoise. Le département du Val-d’Oise s’est beaucoup impliqué dans ce projet et je salue le travail de mes collègues, Mme Fiona Lazaar en particulier. Lors de l’examen de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, j’avais sollicité le renouvellement de cette expérimentation. M. Philippe Gosselin, notre collègue du groupe Les Républicains, avait déposé un amendement dans le même sens, ce qui est sans doute la preuve qu’un consensus commençait à émerger.

La généralisation du bracelet anti-rapprochement a fait l’objet d’une proposition de loi que j’ai déposée récemment. Cette mesure est également inscrite dans le présent texte. Nous présenterons une série d’amendements pour compléter les articles en intégrant des dispositions qui permettront d’instituer, dans un cadre juridique simple, un dispositif solide qui assurera une protection réelle et efficace. Nous demanderons par ailleurs la suppression de la prise en charge financière du dispositif par le conjoint violent pour des raisons que j’expliciterai. Le juge pourra proposer la mise en place du bracelet dans deux situations : en cas de condamnation pour violences conjugales mais aussi au stade pré-sentenciel.

D’autres dispositions seront discutées et notre majorité fera ses apports au texte.

Pour conclure, j’aimerais revenir à un fait simple : nous sommes aujourd’hui en train de bâtir un consensus et je pense que celui-ci permettra de renforcer la prise de conscience du pays tout entier face à ce drame national.

M. Stéphane Viry. Les chiffres sont connus. Ils sont terribles, ils nous obligent. Le groupe Les Républicains considère urgent de faire avancer collectivement la lutte contre les violences conjugales. Les deux textes que nous examinons aujourd’hui proposent des solutions concrètes qui viennent compléter des pratiques en vigueur et les uniformiser car il s’est avéré qu’il existait des inégalités territoriales. Ces solutions ne révolutionnent rien mais elles nous permettent de renforcer l’arsenal contre les violences conjugales, dans le respect des principes généraux du droit. Nous avons besoin de mesures techniques aisément applicables et efficaces. Tel est l’objectif de ces textes.

Il ne s’agit pas de revenir sur des déclarations de principe. Nous sommes tous convaincus de la nécessité d’agir. Il ne s’agit pas de nous contenter de déclamations, fussent-elles médiatiques. Nous devons raisonner en termes d’outils, de moyens juridiques, humains et budgétaires.

Sur le terrain, nous avons tous reçu des témoignages et pris connaissance d’initiatives de lutte contre les violences conjugales. Nous avons visité les uns et les autres des foyers d’hébergement. Nous avons écouté les acteurs d’associations de défense des droits des femmes. Il faut ici saluer le travail de la délégation aux droits des femmes qui prépare un Livre blanc pour aller encore plus loin ainsi que le rapport d’information de Mme Fiona Lazaar qui contribuent à l’émergence d’un consensus.

La proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié a pour objet d’améliorer les dispositifs de protection des victimes.

À écouter les professionnels, le système est bon mais il ne fonctionne pas. Une demande sur deux d’ordonnance de protection est rejetée. Cela signifie que la justice ne répond pas favorablement dans la moitié des cas où il y a détresse. Le dispositif est trop complexe. Cette proposition de loi a la vertu de répondre aux problèmes : délais de réponse trop longs, positions du parquet variant selon les juridictions – insistons ici sur la nécessité que le parquet joue un rôle actif en la matière ! Il nous apparaît nécessaire de voir plus fréquemment délivrer ces ordonnances qui constituent un bel outil pour assurer le respect des droits des femmes.

Le texte ouvre le champ d’application du bracelet anti-rapprochement en permettant qu’il soit utilisé en amont comme en aval de la condamnation. Il est urgent que nous nous appropriions cet outil qui a fait ses preuves en Espagne.

De la même façon, la proposition de loi généralise le recours au téléphone grave danger.

Le groupe Les Républicains est convaincu que, face aux violences conjugales, une réponse collective doit être apportée

Mme Josy Poueyto. Dans ma circonscription, j’ai participé à la création d’un centre d’hébergement pour les victimes de violences conjugales et pour leurs enfants. Je sais quelle réalité elles recouvrent : elles constituent un fléau depuis bien trop longtemps. Vous avez déposé votre proposition de loi le 26 août dernier et depuis, onze femmes sont mortes sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire, portant à cent onze le total annuel des victimes.

Au cours de la législature, nous avons adopté plusieurs dispositions permettant d’accompagner les victimes de violences, notamment afin de les aider à sortir de l’emprise de leur conjoint violent. Nous devons aujourd’hui aller plus loin dans la protection de ces personnes et éviter que de nouveaux drames ne se produisent. C’est le sens du Grenelle contre les violences conjugales qui a commencé le 3 septembre dernier et qui s’achèvera le 25 novembre. En réunissant tous les acteurs, tant au niveau national que local, son objectif est de faire émerger de réponses efficaces et concrètes. Le Premier ministre a d’ores et déjà pris des engagements.

Cette proposition de loi est l’occasion de mettre en œuvre des solutions législatives. Elle instaure un dispositif électronique anti-rapprochement, outil demandé à la fois par des associations et des magistrats, utilisé dans plusieurs autres pays dans lesquels il a fait la preuve de son efficacité. Une expérimentation avait été lancée en France en 2010 mais elle n’a jamais pu être mise en œuvre, compte tenu de conditions d’application restrictives. Grâce à une révision des seuils, ce dispositif devrait bénéficier à de nombreuses victimes menacées par leurs partenaires ou ex-partenaires violents. Si les articles relatifs à ce nouveau système sont bienvenus, leur rédaction mériterait d’être améliorée. Il paraît nécessaire d’un point de vue constitutionnel de prévoir le consentement des personnes concernées. En cas de refus, les magistrats pourront utiliser d’autres formes de contrainte. Un recours accru au téléphone grave danger paraît également utile.

Par ailleurs, cette proposition de loi apporte des modifications à l’ordonnance de protection, certaines judicieuses, d’autres moins, comme le changement de rédaction concernant la fixation de résidence qui nous semble anecdotique. Donner le pouvoir aux juges aux affaires familiales d’ordonner la mise en place d’un dispositif anti-rapprochement est une innovation intéressante. Là encore, il apparaît nécessaire de prévoir le consentement des personnes, y compris de l’auteur des violences.

Mes chers collègues, le groupe Mouvement démocrate et apparentés accueille très favorablement cette proposition de loi et le consensus politique nécessaire qui l’accompagne. En ce domaine, il ne peut y avoir de rivalités politiques. Nous devons tout faire pour mettre un terme à ces violences qui détruisent des vies entières. Nous espérons que nos débats en Commission puis en séance publique nous permettront collectivement d’améliorer ce texte afin de le rendre pleinement opérationnel et efficace.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le rapporteur, je souscris à chaque mot de votre propos introductif, qui avait le ton juste d’un réquisitoire. Depuis dix ans, diverses dispositions ont été prises et les réseaux sociaux se sont emparés de ce combat. La loi no 2014873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes est venue former un socle solide à partir duquel penser l’origine de ces violences.

Révisant mon jugement initial, je dois reconnaître que le Grenelle est utile car il contribue à la médiatisation de ces violences et à la prise de conscience chez les victimes de la nécessité de porter plainte. Au niveau local, nous pouvons attendre beaucoup d’initiatives concrètes venant améliorer les dispositifs de prise en charge des victimes mais aussi la prévention des violences en agissant sur leurs causes.

Cette cause nationale aurait pu, à notre sens, faire l’objet d’un vaste projet de loi englobant la police, la gendarmerie, les services sociaux, les collectivités locales, la formation des agents et les moyens budgétaires propres à chacun de ces acteurs. Le travail sur le terrain nous démontre tous les jours que ceux-ci sont essentiels à l’émergence de solutions locales.

La justice est démunie de tous crédits lui permettant d’amorcer une action dynamique dans la mise en place de réseaux. La police et la gendarmerie devraient avoir à leur guichet un référent pour les violences conjugales, formé pour accueillir les victimes et leur permettre de dépasser leurs craintes au moment de déposer plainte. Il serait bon que les tribunaux disposent aussi d’un référent, qu’il s’agisse du parquet ou du siège. En outre, il conviendrait que le numéro gratuit 3919 fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et que les frais d’avocat engagés pour les litiges relatifs aux violences conjugales soient pris en charge.

Ces dispositions relèvent, nous l’avons compris, d’un projet de loi et non d’une proposition de loi. Nous savons que les amendements que nous déposerons en ce sens se verront opposer l’irrecevabilité, qu’ils se heurtent au couperet de l’article 40 ou qu’ils soient déclarés sans rapport avec le texte.

Cette proposition de loi inscrit dans notre droit des moyens concrets pour lutter contre les violences faites aux femmes. Tout le mérite vous en revient, monsieur le rapporteur. Sachez que chacune des dispositions nous convient. Le bracelet électronique est une innovation attendue par les magistrats. La réduction du délai de délivrance de l’ordonnance de protection devrait ouvrir une réflexion plus large sur les délais de mise en œuvre des dispositifs qui sont dans la main des juges.

Nous vous remercions pour cette initiative et nous espérons que ce texte sera complété par des amendements du Gouvernement qui traduiront en termes budgétaires la volonté exprimée au moment du Grenelle. Le groupe Socialistes et apparentés est, vous l’aurez compris, favorable à cette proposition de loi.

Mme Sophie Auconie. Je suis ravie de nous voir faire nôtre un combat qui doit être un combat commun. La lutte contre les violences conjugales – et sexuelles – doit être transpartisane. Il me semble que nous sommes collectivement responsables du nombre record des meurtres par compagnon. De fait, si les mouvements #metoo et #balancetonporc, ainsi que la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, ont participé à libérer la parole des femmes, les moyens pour assurer leur protection, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le rapporteur, n’étaient pas à la hauteur. La matière du texte est complexe puisqu’elle a trait au droit civil et au droit pénal, tout comme son sujet qui pousse à entrer dans l’intimité des familles. Je m’attarderai plus précisément sur deux nouveautés de la proposition de loi : le bracelet anti-rapprochement et l’aide au logement.

Le dispositif du bracelet anti‑rapprochement mérite de dépasser le stade de l’expérimentation. Il est temps de l’inscrire dans la loi afin de l’utiliser chaque fois que nécessaire. Il permettra de protéger la victime tout en s’assurant que l’auteur des violences respecte ses obligations. Nous sommes là au cœur des mesures qu’il convient de prendre à la suite de la libération de la parole des femmes. Lors de l’examen de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, j’avais souligné la nécessité d’accompagner les femmes pour que leur courage de dénoncer ait des suites adaptées. Les victimes des violences conjugales doivent se sentir protégées et à l’abri d’éventuelles représailles. Le bracelet anti‑rapprochement est un dispositif concret, qui a fait ses preuves dans d’autres États de l’Union européenne.

Quant au dispositif d’aide au logement, il permettra aux victimes qui le souhaitent de quitter le domicile conjugal sans frein économique. C’est une mesure de bon sens.

Le texte propose de nouveaux outils nécessaires à la lutte contre les violences conjugales. C’est pourquoi le groupe UDI, Agir et Indépendants lui apportera son soutien. Nous attendons le texte adopté par la Commission afin de faire des propositions complémentaires pour l’enrichir en séance publique.

M. Jean-Félix Acquaviva. Comme vous l’avez rappelé, le sujet est grave. Trop de femmes meurent sous les coups de leur conjoint. Ce n’est, bien évidemment, ni acceptable, ni tolérable et encore moins supportable, lorsque l’on s’aperçoit, après le dernier coup, que, bien souvent, la femme avait signalé ces violences aux autorités. Je suis d’autant plus ému que l’un des derniers meurtres s’est produit en mars dernier dans ma circonscription, en Balagne. Ce meurtre a ému la société insulaire tout entière. On ne peut plus ne pas agir. La mort de toutes ces femmes dans des circonstances atroces doit nous faire réagir. À l’instant où nous parlons, je crains d’ailleurs qu’une femme ne soit en train de se faire battre par son conjoint. Nous ne pouvons plus rester sans rien faire, sans répondre à ces souffrances.

C’est pourquoi, à l’instar de M. Aurélien Pradié, je crois que ce sujet est trop sérieux pour nous laisser nous fourvoyer dans des postures, des calculs politiciens ou de quelconques compromissions. Montrons enfin que nous sommes capables d’agir vite, dans le cadre d’un consensus, pour sauver des victimes et prévenir des passages à l’acte. Notre groupe Libertés et territoires, par la voix de M. Michel Castellani, avait alerté le Gouvernement dès mars dernier. Je me réjouis, pour ma part, de constater que la secrétaire d’État en charge de la question a pris le sujet à bras-le-corps – je laisse de côté les polémiques inutiles nées autour du Grenelle. Elle tente d’agir grâce à une large concertation, avec des associations et des élus que je salue – j’ai moi‑même participé à deux réunions. Les propositions formulées dans le texte vont dans le bon sens et recevront notre soutien.

Un arsenal législatif existe aujourd’hui, mais il n’est pas suffisant. Faire du bracelet électronique l’outil de protection généralisé, aussi bien préventif que sentenciel, nous paraît une mesure efficace. C’est très souvent ce que demandent les associations de familles de victimes. De la même manière, les expérimentations ayant trait aux aides en faveur du relogement de la victime et des enfants sont des pistes intéressantes.

Néanmoins, je souhaiterais formuler quelques observations. N’est-il pas préférable de parler de violences conjugales afin d’inclure aussi bien les femmes que les hommes ? Selon les chiffres de 2017, un homme meurt tous les dix‑sept jours sous les coups. Certes, ces chiffres ne sont pas comparables à ceux des violences faites aux femmes. Il n’en demeure pas moins que des hommes sont battus au sein de leur couple et que certains en décèdent.

Sur le port du bracelet, nous avons pris connaissance des amendements du Gouvernement qui reformulent la proposition de loi. Ainsi, afin de respecter la présomption d’innocence et le principe de la liberté d’aller et venir de la personne qui n’est pas encore condamnée pour des faits de violences conjugales, le recueil de l’assentiment des deux parties sera nécessaire. Mais que se passera-t-il si l’une des deux refuse le bracelet anti‑rapprochement ?

Enfin, le dispositif expérimental d’aide personnalisée au logement s’appuie sur des compétences d’Action logement. Or, dans le projet de loi de finances pour 2020, le Gouvernement prévoit de ponctionner son fonds de roulement. Avons­‑nous la garantie que l’enveloppe sera sanctuarisée à moyen ou long terme pour financer la mesure ?

M. Ugo Bernalicis. J’abonde dans le sens de la totalité de mes collègues, et je me réjouis de cette excellente initiative du groupe Les Républicains. Des femmes et des hommes se sont mobilisés après le centième meurtre par compagnon de l’année 2019 – malheureusement, ce chiffre a depuis été dépassé. La secrétaire d’État a annoncé la tenue d’un Grenelle sur le sujet et un plan d’un million d’euros pour lutter contre les violences faites aux femmes. Très rapidement, c’est un milliard d’euros que les associations ont demandé, avançant que les moyens devaient être à la hauteur de l’enjeu. Elles ont raison. Je trouve, tout comme Mme Cécile Untermaier, que la question des moyens est peu abordée dans la proposition de loi. Aussi le Gouvernement pourrait‑il peut‑être se saisir de ce véhicule pour aller plus loin et faire du Grenelle une véritable action plutôt que de la communication.

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a peut-être été une occasion manquée, dans la mesure où nous remettons le sujet sur la table. De même, pendant l’examen de la loi  2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, nous avions bataillé, M. Philippe Gosselin et moi, sur la question du placement sous surveillance électronique mobile, en pré‑sentenciel ou en sentenciel, pour nous entendre répondre que c’était compliqué et qu’il fallait voir. Nous ne comprenions pas à l’époque et ne comprenons toujours pas aujourd’hui. J’avais d’ailleurs été étonné par les annonces de la garde des Sceaux, selon laquelle beaucoup plus de placements sous surveillance électronique mobile allaient être prononcés, alors que nous savions que ce n’était pas possible en l’état actuel des textes et qu’il y avait besoin de leur apporter des modifications.

La proposition de loi arrive suffisamment tôt pour qu’il ne soit pas trop tard. Mais nous ne sommes pas d’accord sur tout, notamment sur le volet particulièrement répressif qui nous chagrine, parce qu’il faut mettre les moyens dans la prévention, le recueil des plaintes et l’accueil des victimes par tous les professionnels et pas seulement par la police et la gendarmerie nationales. Deux de nos amendements ont été jugés irrecevables au titre de l’article 40 ou de l’article 45. Le Gouvernement pourrait se saisir du texte pour avancer en séance publique. Nous avons tous envie d’améliorer les dispositifs de recueil de plaintes.

J’ai été saisi par le témoignage de notre collègue Adrien Quatennens, qui connaît l’ex-conjoint de l’une des victimes assassinée par son compagnon : alors qu’elle avait déposé plainte trois jours avant sa mort, signalant que l’individu rôdait autour de chez elle, elle n’a pas été prise au sérieux et rien n’a été fait. Dans combien de cas la victime était-elle venue déposer une plainte ou une main courante ou, à tout le moins, avait essayé de le faire ? Dans énormément de cas ! Cela nous interroge. Qui plus est, c’est la double peine pour la victime. Elle se fait battre, et elle doit, en plus, quitter son domicile, ce qui lui cause aussi des difficultés dans son travail. Elle subit toute la situation. Il est temps de nous saisir de cette thématique d’une manière bien plus offensive.

Pour conclure, même si la proposition de loi va dans le bon sens, notre entier soutien dépendra du sort de nos amendements.

M. Stéphane Peu. À mon tour de joindre ma voix au consensus républicain qui se constitue autour de cette proposition de loi qui traite d’un grand drame et d’une grande cause. Depuis le début de l’année, deux des meurtres dont nous parlons ont eu lieu dans ma circonscription. C’est un grand problème. Mais le département de la Seine-Saint-Denis est aussi un territoire où s’expérimentent beaucoup de dispositifs. Je sais que le rapporteur a auditionné un certain nombre d’acteurs de ces expérimentations – je pense à la maison des femmes, à Saint-Denis, ou à des associations qui innovent dans le domaine.

Je voudrais remercier le rapporteur. Il semble peut‑être évident de susciter un consensus républicain sur un tel sujet. Il a, en réalité, eu recours à la concertation avec l’ensemble des groupes. Il a pris en compte les remarques des uns et des autres. M. Aurélien Pradié a utilisé la bonne méthode pour faire naître un tel consensus.

Notre groupe va souscrire à l’essentiel des propositions. Le texte ne prétend pas être exhaustif mais il permet d’avancer, sur un sujet qui a vu beaucoup de lois se succéder depuis une dizaine d’années, alors que l’on se heurte à un immense problème de mise en œuvre. La garde des Sceaux nous a dit il y a quelques mois qu’il manquait, sur le bracelet électronique, un véhicule législatif pour permettre au juge d’être plus agile et plus efficace. Ce texte permettra de combler un vide. Le plus grand problème, c’est l’absence de mise en œuvre de lois et de dispositifs existants, faute de moyens. Il y a même des régressions. Ces deux dernières années, les associations dans les quartiers, y compris celles qui travaillent sur les violences faites aux femmes, ont vu leurs moyens d’action diminuer. Personne ne peut nier l’importance du réseau associatif, son écoute, sa proximité.

Certains de nos amendements ont également été jugés irrecevables sur des sujets qui ne relevaient pas de l’article 40, ce qui me semble curieux. Nous allons faire plusieurs propositions, sur le bracelet électronique notamment. En effet, nous sommes favorables à la définition d’un cadre législatif qui nous permette de mieux l’utiliser. Il faudra aussi tenir compte des retours que nous ont présentés les associations allées en Espagne : le bracelet est important pour protéger la victime et pour lui garantir le non‑rapprochement du conjoint violent ; c’est aussi parfois un obstacle pour aller au bout d’un processus de séparation, puisque, par définition, le bracelet maintient un lien.

Enfin, la proposition de loi sera discutée en séance publique avant le débat sur le projet de loi de finances. Si elle est votée, comme je le souhaite, le jeudi 10 octobre, j’espère que nous pourrons prolonger notre unanimité par des inflexions dans la loi de finances, pour entendre ce que nous a dit le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : il faut un budget d’au moins 500 millions d’euros.

M. Philippe Gosselin. Je voudrais saluer cette belle unanimité, suffisamment rare pour être soulignée. Le sujet est assurément un sujet d’intérêt général. Je remercie M. Aurélien Pradié d’avoir su prendre le temps de travailler et de convaincre. Je sais qu’un certain nombre d’entre vous le considérez comme un bon bretteur, qui peut parfois déranger ou titiller, mais nous voyons ce matin que le travail mené dans l’intérêt collectif paie et peut être reconnu. Ce qui est proposé aujourd’hui est en totale conformité avec l’esprit du Grenelle. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement d’avoir lancé cette opération sur une question qui ne date pas d’aujourd’hui. Nous sommes nombreux à avoir travaillé sur le sujet avant même la précédente législature – le projet d’expérimentation du bracelet date de 2010. J’y étais revenu avec quelques collègues, il y a cinq ou six ans, puis avec MM. Guillaume Vuilletet et Ugo Bernalicis il y a quelques mois. Cela se décante et c’est heureux. Il reste au Gouvernement à compléter le dispositif pour permettre de lever les questions de recevabilité financière. Même si tout ne se rapporte pas à l’argent, il restera un volet financier à régler. Nous espérons que l’unanimité qui prévaut ce matin se retrouvera au moment de l’examen d’un certain nombre de mesures dans la loi de finances initiale et dans la loi de financement de la sécurité sociale. Cela augure bien de la suite.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je tenais à souligner l’importance du travail des associations sur le terrain. Elles suivent au quotidien, réellement, les femmes en détresse.

Le monde politique veut faire plus. Nous sommes tous, dans cette salle, convaincus de la nécessité de nous mobiliser pour faire avancer le sujet. Je tiens d’ailleurs à féliciter l’auteur de la proposition de loi. Nous assistons à une montée des violences en général. Les forces de police nous font remonter une augmentation du nombre des violences – c’est le cas en Isère – et de leur gravité. Il faut améliorer l’accueil dans les commissariats. Des référents violences conjugales ont été nommés dans chaque département.

La mobilisation est nécessaire, aussi bien dans la législation que dans l’application des sanctions. Il ne faut rien laisser passer et, collectivement, ne pas accepter les violences faites aux femmes et, parfois, aux hommes.

M. Paul Molac. Nous revenons de loin, quand je vois que le code Napoléon plaçait la femme sous la tutelle de son mari, qui pouvait la corriger comme il le voulait… Nous avons bien progressé au XXe siècle, vis-à-vis de ce fléau complexe, notamment dans son aspect psychologique. En effet, quand beaucoup de femmes n’osent pas porter plainte, le rôle des associations est particulièrement important.

Nous soutiendrons la proposition de loi de M. Aurélien Pradié. C’est un pas vers la prise en compte de ce qui est totalement inacceptable. Mais il en faudra d’autres.

Mme Marie-France Lorho. Je tiens également à remercier le rapporteur pour cette proposition de loi, qui est nécessaire. Il est inadmissible qu’aujourd’hui des femmes meurent encore dans ces conditions. S’agissant de l’article 7, où sont prévues des mesures de soutien pour les femmes en matière de logement aussi louables que nécessaires, savez‑vous si ces aides pourront être allouées rapidement et de manière encadrée ? L’absence de moyens humains et financiers représente actuellement autant de grains de sable.

M. Arnaud Viala. Si je n’aime pas du tout l’idée de répondre par une loi à un fait divers, le chiffre de cent onze femmes qui ont perdu la vie sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint depuis le début de l’année nous exclut totalement de ce cas de figure. Le consensus autour de la proposition de loi est à souligner. Nous devons essayer de mettre un terme au fléau qui frappe beaucoup de femmes en France.

Il faut approfondir le travail autour de deux sujets : la prévention, en donnant sur le terrain les moyens de la détection et en permettant aux femmes de signaler leur détresse, et le soutien aux structures associatives, qui sont aux premières loges pour assurer l’accompagnement pendant la période de dénonciation des faits, mais aussi de rupture – des moments de grande détresse affective. Il faut absolument donner aux structures assurant l’accompagnement les moyens de le faire dans les conditions requises.

M. Erwan Balanant. Je voulais remercier sincèrement M. Aurélien Pradié d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour. Il permettra d’avancer vite sur plusieurs sujets que nous défendons collectivement et que nous voulions faire progresser, aussi bien dans la majorité que dans l’opposition. Nous aurons certainement des désaccords, non pas sur la posture intellectuelle, sur le fait qu’il faille changer notre rapport à ces questions, mais sur certains choix faits dans votre texte, eu égard à notre droit et aux libertés individuelles. Il existe certainement des solutions pour allier le respect des libertés individuelles des victimes et l’impérieuse nécessité d’avancer.

Au-delà des aménagements législatifs que nous allons apporter, nous devons revoir entièrement la culture de la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous devons travailler avec les acteurs de terrain que sont les policiers et les gendarmes, les procureurs, les juges, mais aussi les associations et les élus locaux, pour instaurer de nouvelles procédures et de nouvelles synergies, pour mieux lutter, et plus rapidement, contre un certain nombre de ces actes. C’est aussi le sens du Grenelle, qui sur un temps relativement court – trois mois – permettra d’avancer et de formuler des diagnostics. J’espère qu’il nous offrira de nouvelles avancées pour lutter contre ce fléau.

Mme Valérie Boyer. Je me réjouis de la prise de conscience salutaire en train de se faire jour sur la question des violences conjugales. Trop longtemps, la société a tu la réalité des violences intrafamiliales. Leur persistance est une meurtrissure qui ne peut être ignorée et nous impose d’agir. Je me félicite que le groupe Les Républicains ait fait le choix, de manière inédite, de consacrer la totalité de l’ordre du jour de sa journée réservée à ce sujet. La proposition de loi de M. Aurélien Pradié s’inscrit à la suite de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, qu’avait fait voter notre ancien collègue Guy Geoffroy, sous la présidence de Nicolas Sarkozy et le gouvernement de François Fillon, loi qui avait créé l’ordonnance de protection. La lutte contre les violences faites aux femmes avait d’ailleurs été déclarée grande cause de l’année 2010. Aujourd’hui, il est nécessaire d’en tirer le bilan, d’aller plus loin et de mettre en œuvre les bracelets électroniques anti-rapprochement, les Espagnols nous ayant précédés sur ce chemin.

La question des luttes contre les violences domestiques ne peut s’exonérer du débat sur la famille, notamment sur les enfants. Je vous encourage à partager la même unanimité sur la protection des enfants, qui sont des victimes, même quand ils ne reçoivent pas directement de coups. C’est le sens de la proposition de loi qui vous sera présentée tout à l’heure.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je vous remercie, chers collègues, de l’état d’esprit qui règne en cet instant dans notre Commission. J’espère ne pas m’habituer à cette unanimité, et je prends l’engagement qu’elle puisse cesser, le 10 octobre passé. (Sourires.)

Nous sommes cohérents avec l’histoire de l’Assemblée nationale. Depuis l’origine s’y succèdent des moments de bataille politique, sains pour l’exercice de notre démocratie, et des moments de rassemblement autour des grandes causes. Ce n’est pas ignorer l’histoire de l’Assemblée nationale et de la vie politique de notre pays de renouer avec certains des grands combats qui ont eu lieu par le passé. Au contraire, cela nous rattache à l’histoire de la République française.

Au fur et à mesure des amendements, nous allons entrer dans les détails des interrogations de chacune et de chacun, auxquelles je veillerai à répondre le plus précisément possible.

Vous avez raison de dire qu’il faut associer deux volontés : l’une politique et l’autre budgétaire. C’est le cas aujourd’hui et cela le sera encore plus demain si notre proposition de loi est votée, puisque la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement nécessitera des moyens financiers incontournables. À cet égard, il est bien évident que si nous regardons quelques voisins européens, notamment l’Espagne, qui n’est pas exemplaire à tous égards mais qui a réussi sur ce sujet, nous sommes très loin du compte pour ce qui est de la mobilisation budgétaire. Le pacte espagnol de 2017, qui a consacré un milliard d’euros sur cinq ans à la cause, a véritablement permis de changer la protection de ces femmes. Il est bien évident que nous ne couperons pas à ce débat.

Nous avons auditionné une magistrate espagnole qui nous a expliqué comment le dispositif fonctionnait. Nous savons que, pour mobiliser le bracelet anti‑rapprochement, ils ont fixé un cap à 15,5 millions d’euros sur deux ans et demi. Il nous faudra nécessairement au moins le même volume financier pour éviter que le dispositif n’en reste au stade de la loi.

Nous faisons une différence avec le mode de fonctionnement espagnol en prenant en compte la tradition législative et juridique française. Notre outil stratégique sera demain l’ordonnance de protection. Dans le panel des possibilités données aux magistrats, il y aura une diversité afin de graduer la sanction : interdire le contact, statuer sur la question du logement et, a maxima, au regard de l’urgence, appliquer le bracelet, qu’il ne s’agit pas de systématiser au risque d’être sans effet. Il s’agit de définir un outil maximal. Il ne faut pas que les magistrats oublient d’utiliser le bracelet lorsqu’il sera nécessaire.

La révolution culturelle doit être générale. Elle doit concerner la culture politique, celle du législateur, mais aussi celle de la société et des magistrats. Je le dis très clairement : nous avons une vraie révolution à mener auprès des magistrats qui ne sont pas tous sensibilisés de la même manière à cette question. Il faut aussi informer les forces de l’ordre et les avocats. Nous avons auditionné certains avocats dont les discours étaient parfois troublants, du fait de leur méconnaissance du sujet.

Quant à la question de la recevabilité financière des amendements, certains dispositifs nécessiteront des levées de gage du Gouvernement.

Je conclurai avec quelques chiffres pour aider à fixer les idées sur l’ordonnance de protection. Actuellement, 50 % des demandes ne sont pas reçues favorablement. Il se peut qu’elles ne soient réellement pas justifiées, mais peut-être aussi le filtre est-il un peu trop contraignant. De la même manière, 2 400 décisions d’ordonnances de protection sont rendues chaque année. Or, lorsque l’on regarde le volume des violences faites aux femmes, on est très loin du compte. Dans 74 % des cas, il y a eu un dépôt de plainte, parfois forcé. Dans 90 % des cas, il est demandé aux magistrats de statuer sur le droit de visite et d’hébergement du défendeur. La question de l’hébergement est donc absolument stratégique. Dans 70 % des cas, le magistrat est invité à statuer sur la question de l’autorité parentale. Enfin, dans 20 % des cas, les défendeurs ont déjà fait l’objet de poursuites pour violences conjugales. C’est dire combien sont larges les trous dans la raquette. Enfin, dans neuf dossiers sur dix comportant un enfant mineur, le JAF a été saisi afin de statuer sur les modalités d’accueil de l’enfant par le défendeur, ce qui pose la question des lieux médiatisés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons commencer l’examen des articles de la proposition de loi.

Avant l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL112 de Mme Fiona Lazaar.

Mme Fiona Lazaar. Issu des travaux de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’amendement vise à faciliter la délivrance de l’ordonnance de protection en cas de violences conjugales en précisant explicitement que toutes les formes de violences sont concernées par le dispositif, afin d’assurer une meilleure protection des femmes victimes et de mieux prendre en compte la diversité de ce type de violences.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Vous abordez un sujet important : celui de la typologie des violences. Il est évident que les différents travaux parlementaires menés depuis plusieurs années ont permis d’élargir le champ de ces violences, qui ne sont pas seulement physiques. Je vous rejoins donc sur le fond.

En revanche, j’ai un vrai doute sur l’utilité de la précision et son caractère potentiellement contre-productif. Actuellement, la loi parle de violences au sens le plus général du terme. Nous n’avons pas de problèmes de jurisprudence puisque je n’ai pas connaissance d’une situation où le magistrat ait exclu une violence psychologique, sexuelle, économique ou administrative pour ne pas statuer sur le caractère de violence. La situation actuelle est totalement satisfaisante.

En précisant la typologie, nous allons exclure certaines violences auxquelles nous n’aurons pas pensé aujourd’hui, mais qui pourront apparaître à l’avenir. Je vous suggère de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL78 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie. L’amendement va dans le même sens que celui de Mme Lazaar. Il vise à élargir les possibilités de prononcer l’ordonnance de protection pour éviter l’effet de filtre dont vous parliez, monsieur le rapporteur. Dans sa rédaction actuelle, l’article 515‑10 du code civil pose une double condition pour qu’une victime puisse bénéficier d’une ordonnance de protection : l’existence de violences au sein du couple et le fait que ces violences représentent un danger pour la victime. Cela laisse supposer que certaines violences seraient tolérables et ne représenteraient pas un danger. La production d’éléments de preuves est déjà compliquée pour les victimes – on sait que les certificats médicaux sont souvent jugés insuffisants et qu’ils sont même parfois confisqués par les conjoints violents. Il n’est donc pas normal d’exiger en plus qu’elles démontrent que ces violences représentent un danger.

Pour faciliter la tâche des victimes comme celle des juges, en leur donnant une plus large latitude d’appréciation, nous proposons de substituer à la notion de danger celle de dégradation des conditions de vie de la personne, y compris dans sa dimension psychologique, dans les mêmes termes que pour le harcèlement. Cet amendement, en supprimant la double condition, permet au juge de statuer au seul regard de l’existence des violences, de bénéficier d’une plus grande latitude sur l’évaluation de la situation au sein du couple. L’objectif est de permettre une augmentation à court terme du nombre d’ordonnances de protection prises par les JAF.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. C’est également une question très importante mais, afin que nous ne nous égarions pas, je souhaite avant tout rappeler deux points.

Il existe aujourd’hui deux types de dispositifs dans notre pays : l’un, civil – l’ordonnance de protection –, les autres, pénaux, et il importe de maintenir ces deux voies.

Confrontés à la difficulté d’accès à la procédure pénale, nous avons tendance – d’où votre amendement, qui est compréhensible – à passer par la procédure civile, plus facile, de l’ordonnance de protection. Sur le fond, c’est louable, mais cela revient plus à contourner le problème qu’à le résoudre.

Nous devons travailler à faciliter encore l’accès au pénal – cela pourra faire l’objet d’autres amendements. Dans le cas que vous évoquez, où les violences auraient pu cesser, ce n’est pas du tout le civil qu’il convient de privilégier, mais le pénal où les sanctions peuvent être beaucoup plus fortes.

En outre, si nous élargissons la délivrance de l’ordonnance de protection au-delà du « danger », nous risquons d’en diminuer l’efficacité. Il faut la maintenir dans ce cas-là car il s’agit d’une mesure à certains égards expéditive, mais acceptable en raison d’un danger quasi imminent. En cas de violences, nous devons maintenir le recours au pénal.

Je comprends votre démarche qui, sur le fond, n’est pas incohérente avec ce que nous sommes en train de faire. Nos discussions permettront de renforcer la délivrance de l’ordonnance de protection, notamment en faisant sauter le verrou des plaintes qui n’a pas lieu d’être mais qui existe bel et bien. Votre amendement sera ainsi en grande partie satisfait. Je vous propose de le retirer, même si je comprends le fond de votre démarche.

Mme Caroline Abadie. Je vous remercie de ces explications. Je soutiendrai bien évidemment tout ce qui permettra d’élargir la délivrance des ordonnances de protection.

L’amendement CL78 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL99 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement, que certains ont appelé de manière inappropriée « petit ami », me semble important puisqu’il pallie une lacune du code civil. Il vise à appréhender les violences commises au sein de couples jeunes, voire très jeunes, alors que certaines femmes sont extrêmement vulnérables, et à prendre en compte tous les types de relations pouvant exister, y compris les moins officielles. Il convient de faire disparaître cet angle mort de notre législation pour que les juges aux affaires familiales puissent octroyer à ces victimes l’ordonnance de protection, outil judiciaire rapide et efficace pour faire cesser en urgence les violences.

L’article 515-9 du code civil dispose que l’ordonnance de protection peut être délivrée, y compris après la rupture, après mariage, pacte civil de solidarité et concubinage – lequel est défini comme une union de fait caractérisée par une vie commune et présentant un caractère de stabilité et de continuité – mais il ne couvre pas les nombreux types de couples, moins formels mais qui malheureusement ne sont pas pour autant épargnés par les violences, l’actualité l’a montré récemment dans le Var.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je vais prendre un peu de temps pour répondre car cet amendement est le premier d’une série assez importante qui poursuit le même objectif. J’y suis plutôt favorable et je vais essayer de vous dire pourquoi.

Les violences dont nous traitons aujourd’hui sont souvent définies, dans le droit, comme celles commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire de pacte civil de solidarité (PACS), avec la mention du caractère passé ou présent de la relation. Beaucoup ont vu une faille dans cette rédaction car elle exige soit un acte juridique engageant, soit une forme de cohabitation. Or, les violences faites aux femmes peuvent aussi être le fait de couples plus informels, ce que certains ont appelé dans leurs amendements les petits amis.

Les choses sont claires et résolues pour le volet pénal du droit – nous en reparlerons tout à l’heure avec les amendements. En effet, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a inscrit à l’article 132-80 du code pénal que la circonstance aggravante vaut, je cite, « y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas ». En matière pénale, la question est donc réglée à la fois par le droit et par la jurisprudence. Les amendements, de ce point de vue, sont satisfaits et je proposerai à leurs auteurs de bien vouloir les retirer le moment venu.

L’amendement de notre collègue Valérie Boyer concerne le volet civil, qui est un peu différent. En pratique, les magistrats délivrent des ordonnances de protection même s’il n’y a pas ou s’il n’y a pas eu de cohabitation. C’est, je crois, le cas de 13 % des décisions d’ordonnance de protection qui mentionnent un couple séparé sans avoir eu à décohabiter. En l’état, la jurisprudence permet à un magistrat de prendre une telle décision mais il est vrai que la rédaction actuelle du code civil ne le précise pas explicitement.

Je vous propose de retravailler la rédaction de l’amendement, qui n’est pas parfaitement adéquate, donc, de le retirer, et de nous mettre autour de la table dans les jours à venir avec d’autres collègues qui défendront aussi des amendements relatifs à la voie pénale.

Sur le fond, je suis favorable à ce que nous accordions le droit et la jurisprudence. Il n’est pas exclu que les juristes nous disent qu’une modification de la loi n’est pas nécessaire mais comme nous sommes des législateurs, il me semble qu’une mise en cohérence ne serait pas inutile.

Mme Valérie Boyer. Il me paraît indispensable de mentionner dans la loi tous les types de couples, y compris ceux qui ne sont pas formels. Je viens de faire allusion à l’actualité : Samantha a été assassinée par son petit ami alors qu’elle n’était ni mariée, ni pacsée, ni en concubinage, ni d’aucune manière en couple. Quelle que soit la façon, il importe que le droit prenne en compte la situation de ces personnes, y compris après une séparation.

La proposition de loi dont je suis la rapporteure va dans ce sens mais je souhaite qu’il en soit de même avec celle-ci. Nous devons absolument trouver une rédaction satisfaisante. Il me semble que tel est en l’occurrence le cas, mais si vous en avez une meilleure, je la cosignerai.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Retirez-vous votre amendement ?

Mme Valérie Boyer. Je préfère que l’amendement soit mis aux voix. S’il n’est pas adopté, je verrai si une autre rédaction, à laquelle je souhaite participer, me convient.

M. Erwan Balanant. Je remercie Mme Valérie Boyer de ne pas avoir retiré son amendement : je vais pouvoir m’exprimer sur cette question qui, M. Aurélien Pradié l’a dit, en englobe bien d’autres puisque nous aurons l’occasion de discuter du rôle du juge des affaires familiales lorsqu’il est confronté à des enjeux qui relèvent du pénal.

Vous l’avez dit, il ne faut pas confondre les deux domaines : il y a la protection et la protection d’urgence. Votre amendement me semble relever du second.

Je ne suis pas parvenu à élaborer une perspective concrète mais je pense que, s’agissant de l’ordonnance, nous devons inverser notre façon de faire lorsqu’il y a urgence. Un certain nombre de magistrats et de procureurs me disent qu’il leur manque un outil d’extrême urgence afin de travailler, mutatis mutandis, comme dans le cadre d’un référé : ils pourraient prendre une décision rapide, immédiate, même si aucune plainte n’a été déposée. Certains d’entre eux ont évoqué les dispositifs pour les mineurs mentionnés à l’article 375 du code civil. Le procureur doit pouvoir prendre immédiatement une ordonnance de protection et, dans un second temps – mais très court, comme dans le cadre d’un référé – le juge des libertés et de la détention (JLD) ou le JAF pourraient statuer sur sa pertinence, son caractère abusif ou non.

Cela fonctionnerait bien mieux et donnerait aux procureurs les outils pour travailler car ils en ont la volonté. On a parfois entendu que le travail n’était pas bien fait mais la volonté est bien là ; c’est l’outil qui fait défaut. Je souhaite que nous réfléchissions à cette question d’ici la séance publique et que nous puissions avancer collectivement.

M. Guillaume Vuilletet. Je partage le raisonnement du rapporteur. Sur le plan pénal, c’est couvert ; sur le plan civil, la jurisprudence est là. Il me semble donc nécessaire de prendre le temps pour réfléchir à ce qui doit être ou non écrit. Nous voterons contre cet amendement.

Mme Cécile Untermaier. Nous présenterons des amendements qui vont un peu dans ce sens aux articles 5 et 6.

Je pense qu’il convient de retravailler cette question ensemble et je crois qu’il existe un consensus pour élargir le champ pénal, pour le garantir, ainsi que le plan civil, avec l’ordonnance de protection. Un travail collectif de rédaction devrait nous permettre d’avancer.

Mme Sophie Auconie. J’ai une totale confiance en notre rapporteur pour travailler à une nouvelle rédaction. Je ne voterai pas cet amendement.

M. Raphaël Schellenberger. Je salue l’attitude du rapporteur, qui a bien pris conscience de l’importance de la question soulevée par notre collègue Valérie Boyer. Il faut veiller à coordonner les rédactions entre le civil et le pénal. Nous avons également besoin d’une vision transversale de ce texte et nous devons peut-être aussi nous interroger sur la pertinence des dispositifs juridiques en fonction des compétences des différents juges : le juge des affaires familiales doit-il être le seul concerné, faut-il aller au-delà ?

Nous avons tout à gagner à mener un travail législatif de qualité en profitant du temps dont nous disposons d’ici la séance publique. Nous donnerons ainsi à ce texte ô combien essentiel une vraie valeur ajoutée.

M. Stéphane Viry. Je salue également l’ouverture dont le rapporteur a fait preuve sur cette vraie question. Nous devons être animés, tout d’abord, par le respect des principes généraux du droit : le pénal, c’est le pénal ; le civil, c’est le civil. En l’occurrence, dans le domaine de la famille, il me semble que c’est une réponse civile qui doit être apportée et que c’est au JAF qu’il appartient de la donner… mais avec le concours du ministère public.

Comment articuler cela avec le respect de ces principes généraux ? Il convient en effet de se mettre autour d’une table et de réfléchir à ce qu’il y a lieu de faire.

Selon moi, il faut s’inspirer de l’esprit du référé, procédure dérogatoire qui implique des délais raccourcis et même, peut-être, parfois, la procédure à jour fixe, ce qui suppose de prendre en compte l’urgence immédiate. Cela suppose aussi une pratique différenciée dans le principe du contradictoire en donnant les pièces dont on dispose à l’adversaire ce qui, dans le cas d’espèce, est un vrai problème : comment, avant l’audience, donner à un époux violent les éléments de preuve dont la révélation pourrait décupler la violence alors que sa victime n’est pas sous protection ?

Il me paraît donc de bon aloi de se mettre tous ensemble autour de la table. Quel que soit le sens de l’amendement de ma collègue Valérie Boyer, je ne pourrai pas le voter.

Mme Josy Poueyto. Le Mouvement démocrate et apparentés est bien entendu tout disposé à un travail commun, avec le rapporteur, autour d’une nouvelle rédaction. Il peut compter sur nous.

M. Erwan Balanant. Quelques précisions, suite aux propos de mon collègue Stéphane Viry sur le référé, qui rejoignent mes interrogations sur les procédures et sur leur gestion. En l’état, un problème se pose alors que ce n’est pas le cas avec le référé : par exemple, les JAF n’ont pas de permanence à la différence des JLD ou du premier magistrat de la juridiction. Nous devons trouver un dispositif fonctionnel au sein des tribunaux.

Je suis assez heureux que l’idée d’une inversion du dispositif progresse lorsqu’une protection est urgente. Que le procureur de la République puisse prendre en urgence une ordonnance de protection, avant un jugement au fond, constituerait une avancée.

Mme Josette Manin. Je tiens simplement à dire que j’ai proposé un amendement similaire à l’article 5, le droit civil ne reconnaissant pas la qualité de petit ami.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Nous sommes donc tous d’accord pour accorder les violons du droit et de la jurisprudence en matière civile. Nous sommes tous convenus qu’il y a une lacune.

Votre amendement, madame Boyer, soulève un problème de rédaction. L’article 132-80 du code pénal dispose « y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas » et il me paraît plus cohérent, plus rigoureux d’inscrire cette formule dans le code civil plutôt qu’« en raison des relations », ce qui soulèverait quelques problèmes juridiques. Si vous acceptez de retirer votre amendement, je propose que vous en redéposiez un en séance avec une rédaction conforme à celle du code pénal afin d’avoir une cohérence d’ensemble. Tel est le sens de ma réflexion.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Maintenez-vous ou retirez-vous votre amendement, madame Boyer ?

Mme Valérie Boyer. Je le maintiens. J’entends les remarques qui viennent d’être formulées mais les mots « en raison des relations » ne sont pas éventuellement les seuls à repréciser ou à conserver dans le texte. Leur suite – « qui existent ou qui ont existé » – l’est également car cela correspond aux situations auxquelles nous avons été confrontés. J’insiste : il s’agissait d’une mise en cohérence du code civil.

La Commission rejette l’amendement CL99.

Elle examine ensuite successivement les amendements CL26 et CL28 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement CL26 présenté par le groupe Socialistes et apparentés vise à renforcer les mesures préventives en matière de violences conjugales. En fait, il s’agit d’écarter la main courante souvent proposée par les services de police et de gendarmerie.

L’amendement CL28 tend également à faciliter le dépôt de plainte en précisant que « la victime peut être assistée par une association de défense des droits des femmes ». Vous êtes toutefois plus expérimenté que moi et sans doute ces associations peuvent-elles déjà se présenter si elles le souhaitent.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. La question du dépôt de plainte est cruciale mais je ne suis pas certain que l’amendement CL26 y réponde. Vous avez raison de considérer que le passage par une main courante est problématique alors qu’une plainte serait plutôt requise. Pour autant, je ne suis pas un fanatique de cette dernière pour deux raisons.

Tout d’abord, aujourd’hui, on pousse ou on devrait pousser à déposer plainte pour qu’une ordonnance de protection soit délivrée. Demain, la proposition de loi fera un sort à ce verrou-là en disposant que l’ordonnance peut résulter de n’importe quel processus. La plainte n’étant plus nécessaire, il y aura moins de raison de pousser en ce sens.

Ensuite, la plainte n’est pas toujours la bonne solution pour la victime. En effet, elle nécessite un cheminement personnel qui n’est pas anodin et nombre de victimes ou de représentants d’associations de victimes que nous avons auditionnés nous disent qu’elles acceptent d’aller voir un avocat, une association, parfois de pousser la porte du commissariat ou de la gendarmerie, mais que des problèmes se posent au moment du dépôt de plainte : outre celui de son recueil par les officiers de police judiciaire – nous sommes d’accord – des femmes ne veulent pas déposer plainte parce qu’elles savent que cette démarche change les choses et qu’elles anticipent ses conséquences.

Lorsqu’une plainte est acceptée par l’officier de police judiciaire, le compagnon soupçonné de violences est prévenu dans les heures ou les jours qui suivent. Or, près d’un mois et demi est nécessaire pour qu’une ordonnance de protection soit délivrée. Cela signifie que, aujourd’hui, le dépôt de plainte peut mettre des femmes en danger. C’est d’ailleurs pourquoi, à bien des égards, elles ne souhaitent pas déposer plainte car cela n’emporte pas la protection, à la différence de l’ordonnance dont nous voulons faciliter l’accès.

Je comprends donc le fond de votre démarche mais je suis défavorable à cet amendement qui peut être contre-productif. Lorsque nous aurons réformé notre droit, la plainte ne sera pas la voie d’accès sine qua non.

En revanche, lorsqu’une femme souhaite déposer plainte, lorsqu’elle a pris sa décision, rien ne doit l’empêcher de le faire. Aujourd’hui, la loi ne l’empêche pas mais il faut travailler à la formation de nos policiers et de nos gendarmes.

S’agissant de l’amendement CL28, la loi permet déjà un accompagnement. Mais vous touchez du doigt un vrai problème puisque de nombreuses femmes disent qu’elles ont besoin d’être accompagnées lorsqu’elles déposent plainte. La parole de nombre d’entre elles, en effet, n’a jamais été crue. Elle n’est parfois pas même crue au commissariat ou à la gendarmerie. Je suis toutefois plutôt défavorable à cet amendement car cet accompagnement ne concerne pas seulement les associations mais, aussi, les avocats, des membres de la famille ou des amis proches, ce que la loi permet.

Le travail de formation des officiers de police judiciaire à ces missions, selon moi, relève plus de l’exécutif que du nôtre.

M. Didier Paris. Comme le précise l’exposé des motifs de l’amendement CL26, les officiers de police judiciaire « sont tenus de recevoir les plaintes » dès lors qu’il y a infraction pénale. Cet amendement n’ajouterait donc pas grand-chose. En outre, je rappelle que la loi du 23 mars 2018 précitée a sensiblement facilité le dépôt de plainte grâce à la possibilité de le faire en ligne, un policier étant ensuite obligé d’entendre le plaignant.

Enfin, par rapport à ce que disait M. le rapporteur, votre explication me paraît parfaitement cohérente mais je ne suis pas certain de pouvoir la suivre. Dans certains cas, le dépôt de plainte sera sans doute aussi plus facile – y compris en ligne – qu’une déclaration contradictoire devant un juge avec, comme cela a été dit par notre collègue Stéphane Viry, transmission de pièces dans le cadre d’un débat qui risque d’être compliqué à mener pour la victime compte tenu des enjeux.

Je crains – mais c’est une autre discussion – que les mesures extrêmement importantes dont le juge pourra user dans le cadre civil ne soient prises, en effet, qu’après un débat contradictoire. J’ai été juge aux affaires familiales et je peux vous dire que ce débat est rapide, fondé sur les simples indications fournies par les deux parties, sans qu’aucun élément ne provienne préalablement d’une enquête de police ou qu’il soit extérieur aux parties.

C’est un problème de fond. Plus on donne de pouvoir au juge civil sur la base de simples éléments contradictoires, plus il faut se montrer méfiant quant à son étendue par rapport à celui dont dispose le juge pénal.

M. Stéphane Peu. S’agissant de l’amendement CL26, je ne partage pas vraiment l’avis du rapporteur. Si la victime préfère déposer une main courante plutôt qu’une plainte, cela relève de sa liberté d’appréciation. Or, de nombreux témoignages montrent que si, bien souvent, les victimes souhaitent déposer une plainte, elles ressortent du commissariat – faute de formation, de personnels, de ceci ou de cela – avec une main courante. Les conséquences ne sont pas du tout les mêmes.

J’entends bien que la loi clarifiera la délivrance de l’ordonnance de protection mais il n’en reste pas moins qu’une plainte engage une enquête, éventuellement une garde à vue, et que ce n’est pas le cas avec une main courante. On peut certes insister sur la nécessaire sensibilisation des policiers et des gendarmes mais je suis inondé de témoignages de personnes qui entrent dans un commissariat pour déposer plainte et qui en ressortent avec une main courante. Elles ne se sentent pas soutenues et sont désemparées suite à ce type d’expérience.

Mme Maina Sage. Je souhaite faire état de situations qui se produisent dans des territoires constitués par des îles isolées où vivent quarante habitants, sans commissariat ni gendarmerie, le seul magistrat de l’île étant le maire. Imaginez la difficulté à faire le pas pour déposer une main courante ou une plainte !

Les mêmes situations se reproduisent malheureusement dans les îles plus peuplées. Les femmes – puisque c’est d’elles qu’il s’agit avant tout – ont beaucoup de mal à faire un tel pas parce que tout le monde se connaît et que les ordonnances de protection tardent à être délivrées.

Je soutiens l’amendement CL28 car, en attendant de disposer d’une réponse plus efficace, que nous puissions renforcer la formation des policiers et des gendarmes ainsi que l’accompagnement et l’accueil de ces femmes, c’est la moindre des choses de rappeler que les associations peuvent aider et accompagner les victimes. Je vis ces situations quotidiennement, y compris en Polynésie française, et je peux vous dire que l’apport du tissu associatif est essentiel. Ces femmes doivent être soutenues concrètement dans cette action qu’est le dépôt de plainte.

M. Guillaume Vuilletet. Ce dernier amendement est à mon sens très largement satisfait puisque la loi prévoit que la victime peut être assistée par qui elle le souhaite. Mme Cécile Untermaier a dit justement que le Grenelle contre les violences conjugales a permis d’éclairer ces questions, mais ce que nous sommes en train de faire le permet également. Je ne suis pas sûr, en revanche, qu’une inscription supplémentaire dans la loi en fasse autant. Continuons donc sur cette lancée ! Débattons et faisons en sorte que le consensus dont nous témoignons permette à nos concitoyens d’avoir une conscience plus précise de ce qui se passe !

Je comprends moins l’amendement CL26. Nous nous situons dans une logique où, chaque fois qu’un fait est signalé, il doit être possible d’engager une procédure. Je rejoins donc le rapporteur en considérant qu’il faut conserver l’existant et ne pas faire de confusions. Oui, il faut mieux former les policiers et les gendarmes, oui, les conditions d’accueil doivent être plus favorables, c’est évident, mais je ne crois pas que cela relève de la loi.

M. Erwan Balanant. Plainte ou main courante ? Nous avons examiné le problème sous l’angle du refus, par le gendarme ou le policier, d’enregistrer la plainte. Or, un autre problème se pose : parfois la femme ne veut pas porter plainte.

Un gendarme m’a expliqué qu’il a demandé de porter plainte à une femme tuméfiée, bleue, qui s’est présentée devant lui, or, elle n’a pas voulu. Cela démontre l’importance de la gestion des dispositifs et de l’urgence.

Les informations doivent remonter au parquet extrêmement vite afin que le procureur puisse prendre rapidement une décision. Il ne faut donc pas se focaliser uniquement sur la plainte : il faut que l’information remonte et que la décision puisse être prise. Une vice-procureure m’a même raconté avoir été enguirlandée par une femme qui se demandait pourquoi son mari passait en jugement alors qu’elle était tuméfiée suite aux coups qu’il lui avait donnés !

Il faut donc confier des outils au procureur pour qu’il prenne des mesures que je dirais « conservatrices », des mesures de protection. Je le répète et je n’ai pas fini de le faire !

M. François Ruffin. Comme M. Stéphane Peu, je recueille depuis des années des témoignages de femmes qui cherchent à porter plainte et qui ressortent avec une main courante. Je suis donc plutôt sensible à cet amendement.

Je formulerai deux remarques.

M. Didier Paris explique qu’il est possible de déposer plainte en ligne. Cela ne résout pas les problèmes. Lorsqu’une femme se présente dans un commissariat ou une gendarmerie, au-delà du dépôt de plainte, elle vient chercher une protection, elle cherche à être prise au sérieux. Ces violences-là, souvent, ne le sont pas. Un dépôt en ligne ne saurait se substituer à un contact humain avec un représentant de la loi, éventuellement armé. La victime peut se dire que si elle est à nouveau confrontée à des violences, il viendra à son secours.

Par ailleurs, si je suis plutôt favorable à votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, et à tout ce qui peut être concrètement apporté, dire que ce qui concerne la police ou la gendarmerie relève de l’exécutif et non du législatif, c’est nous condamner à ne pas voir un problème essentiel. Le législateur doit prendre parti quant à la formation des policiers, à d’éventuelles spécialisations au sein de chaque commissariat, etc. Exclure cet aspect-là de notre périmètre, c’est perdre de vue le premier pas des femmes, leur volonté d’être prise au sérieux et protégées.

Mme Valérie Boyer. Je rappelle à mes collègues que nous discutons dans le cadre d’une niche parlementaire et que nous n’avons donc pas pu aborder tous les problèmes. Celui du statut juridique de la main courante est important s’agissant des violences conjugales. J’ai beaucoup réfléchi, beaucoup travaillé : le problème, c’est que la main courante n’a pas de statut juridique en ce sens qu’elle ne s’insère pas dans un dispositif d’ensemble où, en donnant le nom de l’auteur, on le retrouve immédiatement dans un fichier.

Tout ce que vous avez dit est exact : une femme dépose une main courante parce qu’elle ne veut pas déposer plainte, parce qu’elle ne veut pas en subir les conséquences chez elle, parce qu’elle pense qu’elle sera ainsi protégée alors que c’est faux.

Une solution possible, mais cela soulèvera des questions budgétaires, c’est que le nom des auteurs de violences soit inscrit dans une sorte de fichier national des mains courantes. Une autre consiste peut-être à supprimer la main courante, notamment dans le cas des violences intrafamiliales, afin d’user immédiatement du dépôt de plainte.

Le problème, c’est l’absence de statut juridique de la main courante et de tout fichier à disposition de l’ensemble des commissariats et gendarmeries – seul ce qui est interne au commissariat ou à la gendarmerie est informatisé. Je n’ai pas pu explorer totalement cette question faute de temps et parce que nous sommes dans le cadre d’une niche parlementaire. Mais peut-être avancera-t-on sous l’impulsion du Grenelle.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’amendement CL26 est utile dès lors que, comme nous le savons, nombre de personnes qui souhaitent déposer une plainte se voient plutôt conseiller une main courante. Le message ne suffit certes pas puisqu’il est aussi question, pratiquement, de la formation et de la culture en vigueur mais si le législateur l’adoptait, leurs destinataires, l’ensemble des corps concernés prendraient mieux et plus certainement leurs responsabilités.

J’ai également évoqué un certain nombre de cas, notamment, celui de Julie Douib. En l’occurrence, c’est faute d’une réelle prise en compte de la situation par les gendarmes qu’un malheur est arrivé.

Le cas des personnes qui ne veulent pas déposer plainte devrait faire l’objet d’un amendement particulier. Une personne tuméfiée se présente à la gendarmerie ; l’agent assermenté peut constater une agression caractérisée. Peut-être faut-il un procès-verbal spécifique mais il n’a pas besoin que la personne dépose une main courante ou une plainte pour que lui, représentant de la loi, constate que l’agression est caractérisée et qu’il y a un danger.

Peut-être une distinction est-elle nécessaire, peut-être cela ne relève-t-il pas exclusivement de la loi mais nous ne pouvons pas ne pas apporter de réponse. On nous fait part de bien trop de cas où des personnes ont été invitées à déposer une main courante alors que leur situation relève du dépôt de plainte.

Mme Cécile Untermaier. Ce ne sont pas les seules associations de défense des droits des femmes qui peuvent assister les victimes, mais toute personne sollicitée par la victime. Une inscription dans la loi n’en serait peut-être pas moins utile car personne ne sait ce qu’elle autorise aujourd’hui. Nous représenterons donc en séance publique l’amendement CL28, que je retire pour l’heure, dans une rédaction plus générale.

L’amendement CL26, quant à lui, vise à ce qu’une personne manifestement victime de violences conjugales ne puisse pas ressortir avec une main courante, mais avec un dépôt de plainte. Je comprends bien l’ouverture de la voie civile avec une accélération de la procédure d’ordonnance de protection. Mais le dépôt de plainte est une voie beaucoup plus facile. Ensuite vient le temps de l’enquête et, le cas échéant, du contrôle judiciaire, de la comparution immédiate. Il faut que les femmes comprennent que la plainte est le moyen le plus facile. La voie civile est complexe : la victime a besoin d’un avocat, il faut qu’elle connaisse l’existence de l’ordonnance de protection. Or, des femmes victimes de violences ne bénéficient pas de la présence d’associations autour d’elles et, spontanément, se dirigent vers les forces de l’ordre dont la mission est de les protéger. Il ne faut pas considérer que porter plainte constitue une agression vis-à-vis du conjoint : c’est une action de protection. Il faut communiquer en ce sens.

Peut-être que la main courante doit demeurer mais il faut impérativement lancer un message aux services de police et de gendarmerie pour que, dès l’arrivée d’une personne, la main courante – dont Mme Valérie Boyer a justement rappelé qu’elle n’a pas de statut juridique – ne reste pas lettre morte. Nous allons réfléchir en ce sens.

Je retire les deux amendements. Nous les représenterons en séance.

Les amendements CL26 et CL28 sont retirés.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je voudrais me faire bien comprendre. Dans certains des commissariats et des gendarmeries de notre pays, aujourd’hui, les femmes ne sont pas accueillies comme elles le devraient. Personne ne peut fermer les yeux là-dessus. Mais tel n’est pas l’objet de mon propos.

Nous devons faire face à l’urgence qu’il y a à mettre les femmes en sécurité, sans leur donner l’illusion que le dépôt d’une plainte les protégera. Vu la manière dont notre justice est organisée, c’est l’ordonnance de protection qui pourra demain, en six jours, protéger le mieux une femme contre un risque de vie ou de mort. Prenons un exemple : demain, une femme pourra se présenter pour demander une ordonnance de protection sans avoir besoin d’avocat pour cela ; le magistrat compétent devra statuer dans les six jours. C’est seulement à la fixation de la date de l’audience que l’auteur présumé des violences sera informé qu’une procédure est engagée, au moment de mettre en œuvre le contradictoire. Cela veut dire que, lorsque la femme ira devant le juge aux affaires familiales, elle ne sera exposée au danger que pour les quelques jours entre le moment où le conjoint violent aura été informé et la phase d’audience.

Au contraire, dans le cas de la plainte, il n’y a pas de protection immédiate. C’est donc elle qui protège le moins. Notre organisation judiciaire actuelle, fondée sur la séparation entre les matières civile et pénale, le veut ainsi. Il faudrait sinon confier l’ordonnance de protection à la justice pénale. Aujourd’hui, si vous déposez une plainte, les gendarmes ou les policiers vont informer l’auteur présumé des violences. Pendant ce temps-là, la femme n’est pas protégée… Il est important de ne pas exposer la vie de ces femmes. La meilleure voie pour atteindre cet objectif est l’ordonnance de protection.

Pour revenir à l’amendement et répondre aussi à M. François Ruffin : il est sûrement nécessaire que la loi adresse un message à l’ensemble de celles et ceux qui, aujourd’hui, ne prennent peut-être pas la mesure de la nécessité qu’il y a à recevoir les plaintes. Je salue néanmoins le retrait de l’amendement car il serait dommage de substituer totalement les mains courantes au dépôt de plainte alors qu’il y a des situations où la main courante, couplée avec l’ordonnance de protection, peut être efficace.

Si le prochain amendement que vous déposez en séance publique ne substitue pas complètement aux mains courantes les dépôts de plainte, j’émettrai un avis favorable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Les sujets que nous abordons sont extrêmement graves et nous en avons tous conscience. C’est pourquoi nos débats sont aussi complets et constructifs. Toutefois, cela fait deux heures que notre réunion a débuté et nous n’avons pas même commencé l’article premier… alors qu’il nous reste un second texte à examiner. Je vous inviterai donc, chers collègues, à plus de brièveté.

Chapitre premier

De l’ordonnance de protection

Article 1er (art. 51510 du code civil) : Procédure de délivrance de l’ordonnance de protection

La Commission examine l’amendement CL114 du rapporteur.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. La proposition de loi évoque une « réquisition » du ministère public. Mais, puisque nous nous situons dans la procédure civile, mieux vaut parler d’« avis ». C’est le sens de cet amendement rédactionnel.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL29 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement vise à renforcer la coopération des acteurs dans la lutte contre les violences conjugales.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Il a la même teneur que l’amendement sur l’accompagnement des victimes par une association. J’émettrai donc un avis défavorable, ou plutôt j’en proposerai le retrait pour que vous puissiez mieux le rédiger.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL65 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Je souhaite faciliter l’effectivité de l’ordonnance de protection en veillant à bien informer tous ceux qui concourent à cette protection : les administrations, les services sociaux, les services municipaux… Car, une fois prise la décision du juge, la question de l’information se pose.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’objet de votre amendement n’est-il pas plutôt que le juge auditionne la partie demanderesse et la partie défenderesse dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la présentation de la demande d’ordonnance ?

M. Stéphane Peu. Pardon pour cette confusion !

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Cet amendement touche un sujet capital, que nous allons traiter ensuite : celui du délai de délivrance des ordonnances de protection, qui est aujourd’hui d’un mois et demi ! C’est dix fois plus qu’il n’est nécessaire pour mettre en danger la vie des femmes.

La proposition de loi réduit à six jours le délai de délivrance des ordonnances de protection. C’est une révolution assez radicale qui, je pense, répond mieux à la préoccupation exprimée par l’amendement que le délai de 24 heures qu’il propose de fixer. Il me semble donc satisfait.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL64 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. La rédaction actuelle laisse aux juges la faculté d’apprécier si les auditions relatives à l’ordonnance de protection doivent être publiques. Nous proposons que ces audiences aient lieu dans une configuration privée, en « chambre de conseil ».

M. Aurélien Pradié, rapporteur. J’émets un avis favorable car je ne vois pas d’élément qui justifierait d’écarter cette proposition. Plus exactement, je ne vois aucun argument qui puisse conduire un magistrat à se dire qu’auditionner une victime de violences en présence du public, y compris de tiers qui peuvent faire pression sur elle, est une bonne idée. Il est effectivement mieux de prévoir les auditions en chambre de conseil.

M. Guillaume Vuilletet. Nous soutiendrons l’amendement.

M. Ugo Bernalicis. Nous sommes favorables à cet amendement. Mais je vous alerte sur un point, sensible notamment à Lille. Vu le nombre de JAF au tribunal de Lille, on y observe une surcharge de dossiers. La justice rendue est devenue une justice d’abattage.

Il y a une crise des vocations. Une fois qu’ils sont désignés JAF, les magistrats ne cherchent qu’une chose : changer de poste pour ne plus l’être ! En lien direct avec la question du délai se pose ainsi celle des moyens. Il va vraiment falloir faire quelque chose. On ne peut pas se contenter de grands discours selon lesquels nous allons atteindre un effectif cible chez les magistrats, dans le pays, d’ici 2022… Non ! Ce n’est pas satisfaisant.

Il faut qu’existent effectivement des voies rapides, au sein de l’institution policière, de la gendarmerie ou de l’institution judiciaire, car on a besoin de protéger les personnes en danger.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL63 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Cet amendement essaie de préciser ce que dit la loi au sujet de l’ordonnance de protection prononcée dans les six jours. Les choses étant ce qu’elles sont, et vu la faiblesse des moyens, il y a un risque que ce délai ne soit respecté que pour organiser une simple audition des parties dans les six jours, rejetant au-delà le prononcé éventuel de l’ordonnance de protection.

C’est pourquoi nous voulons fixer un cadre, de façon à éviter les dérives de ce type : nous sommes, sur ce chapitre, instruits par l’expérience. Cet amendement propose que l’audition des parties se fasse dans un délai de 24 heures, ce qui permettrait de garantir la publication de l’ordonnance de protection dans les six jours.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Votre amendement ne vise-t-il pas plutôt à prévoir des auditions séparées si le demandeur le sollicite ?

M. Stéphane Peu. Effectivement ! L’amendement dont je vous ai parlé avait été retiré.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. Même si je comprends la volonté de ne pas infliger une pression trop forte à la victime, notamment au cours de la procédure qui conduit à la délivrance de l’ordonnance de protection, j’y vois deux inconvénients – majeurs, à mon sens.

Tout d’abord, en ne laissant pas la faculté aux magistrats d’organiser la confrontation, on affaiblit la dimension contradictoire d’une procédure – celle de l’ordonnance de protection – déjà fragile au regard de nos grands principes. Je pense qu’il faut garder des précautions. En revanche, le magistrat conservera la faculté de dissocier les auditions.

L’autre difficulté que je perçois, c’est le risque d’allongement du délai. Nous reparlerons tout à l’heure des six jours, délai très strict de délivrance de l’ordonnance de protection. Si on sépare, ou qu’on dissocie, les auditions, on perdra entre 48 et 72 heures. Je pense que la loi est aujourd’hui plutôt correctement faite, en ce qu’elle laisse simplement la possibilité aux magistrats de séparer les auditions.

En l’espèce, il ne me semble pas que l’amendement nous apporterait quelque chose de productif.

M. Stéphane Peu. Je n’érigeais pas cette séparation des auditions en principe absolu. Alors que la décider est aujourd’hui laissé à l’appréciation du juge, cet amendement permettait seulement que ce soit également une faculté offerte aux parties, tant on sait la confrontation parfois délicate.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 51511 du code civil) : Délai d’édiction et effets de l’ordonnance de protection

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL115 du rapporteur et CL100 de M. Stéphane Viry et l’amendement CL73 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Nous en arrivons au sujet important que constitue le délai de délivrance des ordonnances de protection. Comme je vous le disais tout à l’heure, lorsque nos prédécesseurs ont débattu de cette question, ils ont préféré l’expression « dans les meilleurs délais », aujourd’hui inscrite dans la loi. À l’époque où elle avait été retenue, le délai de délivrance des ordonnances de protection était de 25 jours. Mais nous en sommes, quelques années plus tard, à un mois et demi en moyenne ! Ce délai est tout à fait inacceptable, en particulier pour les victimes. Il est évident qu’il faut que nous agissions.

L’ordonnance de protection devient stratégique dans notre dispositif. Or, nous aurons beau la réarmer autant que possible, si nous mettons un mois et demi à la délivrer, tous les renforts apportés ne serviront à rien, ils seront construits sur du sable. Nous proposons donc de fixer par la loi le délai de délivrance, ce qui constitue déjà une évolution significative.

Je sais qu’il peut y avoir débat et que les praticiens du droit pourront nous dire que la fixation de ce délai pose problème. Ce que disait M. Ugo Bernalicis tout à l’heure est aussi très juste, à savoir que le niveau de saturation de nos juridictions constitue un problème. Mais ce que nous voulons simplement, c’est que soient traitées en priorité les ordonnances de protection dont la délivrance, dans bien des cas, engage la vie de ces femmes, ou du moins leur sécurité immédiate. Certes, il est possible que des dossiers de divorce ne passent qu’après. Mais c’est un choix que nous devons faire et que nous pouvons assumer.

Le délai de six jours n’est pas fixé de manière arbitraire. D’abord, je vous rappelle qu’en Espagne, les décisions sont rendues en 72 heures. Autant vous dire que, même à six jours, nous sommes loin de ce que l’Espagne est capable de faire, puisque nous serons au double de ce délai. Ensuite, si nous avons fixé six jours, c’est parce que c’est dans la norme aujourd’hui en matière de référés. Nous considérons que ces six jours nous permettent de préserver à la fois les temps de convocation, la phase contradictoire et la délivrance de l’ordonnance de protection.

Tout en opérant une révolution radicale, puisque nous passerions d’un mois et demi à six jours, l’introduction du délai reste ainsi tout à fait réaliste au regard des principes à respecter. Voilà pourquoi nous vous proposons de fixer à six jours la durée maximale séparant la fixation de la date d’audience de la délivrance de l’ordonnance de protection, donc la mise en protection effective de la femme.

M. Stéphane Viry. Tout a été bien expliqué par le rapporteur. L’esprit de ces dispositions, c’est d’être aussi rapide que possible. La situation des intéressées est par nature une situation d’urgence. Dans le même esprit que la procédure des référés, cet amendement permet de garantir un traitement rapide de la demande.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon amendement est un amendement d’appel car je suis tout à fait en accord avec ce qui vient d’être dit. Effectivement, monsieur le rapporteur, votre proposition de loi prévoit un délai maximum de six jours pour que l’ordonnance de protection soit délivrée par le juge aux affaires familiales.

Mais, quand on connaît la situation de fragilité et de précarité, ainsi que les difficultés que connaissent les femmes confrontées à des violences domestiques, ce délai paraît encore fort long. Vous l’avez dit, l’Espagne statue en trois jours. Il me semble donc que, si on pouvait réduire encore un tout petit peu la durée que vous proposez, en la passant à cinq jours, ce serait important. Qui peut le plus peut le moins.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je comprends l’appel de votre amendement. Nous avons d’ailleurs beaucoup travaillé sur la question du délai, avant d’arriver à cet amendement où je vous propose six jours. Après avoir discuté de tout cela avec les praticiens, les avocats, les associations et les magistrats, je puis vous dire que la révolution radicale que j’appelle de mes vœux n’a pas été simple à obtenir.

Je pense qu’un délai de six jours est raisonnable. Qui plus est, c’est ce qui se pratique dans d’autres matières de notre droit : je pense notamment au droit des étrangers qui connaît des délais comparables. En termes de pratique, on ne peut pas dire que c’est infaisable. D’ailleurs, à cet égard, le procureur général près la Cour de cassation, M. François Molins, nous a clairement dit la chose réalisable par les juridictions à condition qu’elles s’organisent en conséquence. Je pense que la durée de six jours est donc la bonne.

M. Erwan Balanant. M. François Molins nous a aussi dit qu’il pensait que l’ordonnance de protection pouvait être, en urgence, à la main du procureur.

Selon moi, il y a des ordonnances de protection qui doivent rester de la compétence du juge aux affaires familiales : quand, effectivement, il n’y a pas d’urgence. Peut-être le délai peut-il alors seulement être raccourci. Je ne suis certainement pas en train de dire le contraire.

Mais je pense qu’il faut aussi une ordonnance de protection, en référé, à la main du procureur, quand il pense qu’il y a danger pour une femme – ou pour un homme d’ailleurs, mais il est vrai qu’il s’agit généralement d’une femme… Aujourd’hui, le parquet ne dispose pas de cet outil. Je ne suis pas sûr que ce soit en réduisant le délai donné aux JAF qu’on va avancer sur la prise en compte de l’urgence, qui peut présenter un caractère aiguë. Parfois, il ne s’agit même pas de jours, mais d’heures. S’il n’y a pas eu dépôt de plainte, les magistrats et les procureurs n’ont pas la possibilité d’agir, même après avoir constaté le caractère dangereux de la situation, pour neutraliser un homme violent. Ils ne disposent pas des outils juridiques nécessaires s’il n’y a pas dépôt de plainte. Ou, du moins, ils peuvent le décider, mais c’est compliqué pour eux. S’il y avait cette ordonnance de référé, ils pourraient agir beaucoup plus facilement et avec plus de sérénité.

Mme Valérie Boyer. Je voudrais insister sur le caractère particulièrement travaillé et abouti des propositions de notre collègue Aurélien Pradié. D’abord, elles sont cohérentes avec d’autres dispositions juridiques sur l’urgence, tout comme avec l’hébergement d’urgence. Si nous arrivons collectivement – si nos juridictions arrivent – à tenir ce délai, ce sera déjà une grande victoire. Ensuite, ce délai tient compte du bilan actuel de l’ordonnance de protection, dont la délivrance prend aujourd’hui bien plus de temps. Si on pouvait faire plus court que six jours, ce serait formidable. Et pourquoi ne pas l’espérer, dans certains cas ? Mais si nous arrivons déjà à tenir les six jours, ce sera un grand progrès pour la protection des femmes et des familles ou, plus précisément, pour la protection des personnes impliquées dans les violences intrafamiliales.

J’insiste pour dire que ces violences concernent potentiellement toutes les formes de couples et toutes les personnes dans les familles, même si ce sont évidemment les femmes qui sont le plus souvent concernées. Je comprends ce que dit notre collègue Emmanuelle Ménard sur la réduction à cinq jours, mais le délai de six jours, cohérent avec le reste de notre droit, est aussi celui dont tous les magistrats nous ont dit qu’il était tenable.

Il serait bon que cette question, qui constitue une grande avancée, fasse l’unanimité sur nos bancs.

M. Didier Paris. Le raccourcissement du délai en matière civile me paraît parfaitement cohérent avec les nombreuses explications données par le rapporteur jusqu’à maintenant. J’y adhère en quelque sorte, alors que j’adhère moins au fond de l’ordonnance – mais c’est un sujet que nous aborderons un peu plus tard.

Je me pose seulement une question : quelle est la conséquence du non-respect du délai par les magistrats, compte tenu de la situation des juridictions françaises ? Je ne suis pas sûr que M. François Molins la connaisse exactement à tout endroit. Est-ce que vous avez réfléchi à cette question ?

M. Guillaume Vuilletet. Un travail important a été mené autour de cette question du délai. Le résultat est une avancée majeure. Elle permet de prendre en compte l’urgence de façon réaliste, c’est-à-dire en faisant en sorte que les dossiers présentés à l’audience soient complets.

Comme nous l’avons entendu lors des auditions, toute la difficulté est que, lorsqu’une personne se présente, son dossier est souvent mince et il faut le nourrir. Or, les victimes de violences sont très fragilisées psychologiquement. Il n’est pas forcément simple pour elles d’obtenir des pièces justificatives. On pense souvent à la situation dans les grandes métropoles mais, quand il s’agit d’aller voir un médecin ou un psychologue dans un bourg de campagne, la situation est plus délicate.

Le délai auquel nous avons abouti est une bonne chose. Il permet de prendre en compte l’urgence, de manière réaliste au regard de la pratique actuelle.

Mme Sophie Auconie. Je souscris totalement aux arguments du rapporteur, mais j’émettrai deux réserves.

D’abord, qu’en est-il en effet de la sanction si les délais ne sont pas tenus par les magistrats ?

Ensuite, si on a en mémoire le cas de Julie dont a parlé tout à l’heure notre collègue Jean-Félix Acquaviva, entre le moment où la femme dépose plainte et le moment où elle est protégée, la police ou la gendarmerie informe le conjoint du dépôt de plainte : c’est souvent à ce moment que les actes terribles se produisent.

Ne peut-on enrichir cet amendement de telle sorte que la police ne puisse pas engager de procédure vis-à-vis de l’auteur jusqu’à ce que l’ordonnance de protection soit effective ? Dans la plupart des cas, c’est parce que l’auteur a été prévenu de l’existence d’une procédure lancée par sa compagne qu’elle est morte sous ses coups.

M. Jean Terlier. Réduire la durée de délivrance d’une ordonnance de protection de 42 à 6 jours me paraît une bonne idée. Cela va dans le bon sens. Mais j’aurai à ce sujet la même interrogation que notre collègue Didier Paris : quid si une ordonnance de protection n’est pas effectivement rendue dans les six jours ? Qu’advient-il ? Est-elle réputée nulle et non avenue ? Ce serait préjudiciable à la victime car elle devrait déposer à nouveau une demande. Ce n’est donc pas forcément la bonne solution.

En outre, aujourd’hui, une ordonnance de protection est rendue dans les 42 jours mais, dans un cas sur deux, la demande est rejetée… Si vous voulez mettre l’ordonnance de protection au cœur du dispositif, il ne faut pas tant se pencher sur la question du délai dans lequel elle est rendue que sur le nécessaire assouplissement des conditions qui doivent permettre sa délivrance. Le taux élevé de rejet fait que le dispositif est peu utilisé par les avocats. Si, en demandant une ordonnance de protection rendue dans un délai de 42 jours, ils savent qu’il y a au bout du compte une chance sur deux qu’elle soit rejetée, cette procédure ne leur apparaît d’aucun intérêt. Il est tout à fait légitime qu’ils utilisent d’autres voies.

Il convient de jouer sur les conditions d’obtention de ces ordonnances plutôt que sur les délais. La question a été abordée par notre collègue Caroline Abadie.

La première condition tient à la vraisemblance des faits de violence : comment permet-on aujourd’hui à une femme de rapporter par tous moyens la preuve qu’elle a été victime de violences ? Comment facilite-t-on la production d’éléments de preuve ?

La deuxième condition exige que la victime soit exposée à un danger. Notre collègue Caroline Abadie a évoqué la possibilité qu’on substitue à cette notion de danger celle d’une dégradation des conditions de vie. Je pense qu’il faut également travailler là-dessus. Vous avez eu, je pense, une très bonne idée, quand vous parliez d’un danger y compris en l’absence de cohabitation. Vous savez que la Cour de cassation considère aujourd’hui qu’il n’y a pas de danger lorsqu’il n’y a plus cohabitation ; c’est une des causes principales de rejet de l’ordonnance de protection.

Jouons donc plutôt, à mon sens, sur une facilitation des conditions de délivrance de cette ordonnance de protection, plutôt que sur les délais quand on ne maîtrise pas forcément les conséquences de leur violation par les magistrats.

Mme Cécile Untermaier. Nous voterons évidemment cet amendement du rapporteur. En écoutant les interventions des uns et des autres, j’observe que la réflexion chemine. Il manque tout de même au dispositif une ordonnance de référé. Il est possible d’en obtenir devant le juge pour un problème de permis de construire… Cela veut-il dire que l’urgence relative à des biens bénéficierait finalement de meilleures garanties que celle qui concerne des personnes ?

Je pense qu’une ordonnance de référé aurait toute sa place ici. En plus du dispositif dont nous discutons, il faudrait réfléchir à son principe dans des situations d’urgence, en définissant des conditions de recevabilité que le juge serait à même d’apprécier. Il pourrait alors soit se prononcer en référé, soit renvoyer à un jugement au fond.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je pense que tout le monde a mesuré à quel point il fallait que nous passions un cap dans ce domaine. Je salue l’évolution du Parlement car les débats tenus en 2010 et en 2014 n’étaient pas du même acabit. Il y a un véritable cheminement qui s’opère. C’est une bonne nouvelle.

Si les délais ne sont pas tenus, il n’y aura pas de nullité de la procédure puisque, en matière civile, il n’y a pas de nullité sans texte qui le prévoit. Nous avons examiné ce sujet avec attention. Si, au terme des six jours, le magistrat n’a pas statué, cela ne condamne pas la procédure.

Mais, aujourd’hui, dans notre droit, s’agissant notamment des référés-liberté devant être tenus en 48 heures, ils le sont effectivement. Si la loi fixe le délai de six jours, on imagine peu de magistrats ne se donnant pas les moyens de le tenir. Dans le cas le plus extrême, c’est la responsabilité de l’État qui serait engagée. Cela ne me paraît pas totalement incohérent de demander que les représentants de l’État que sont, d’une certaine manière, les magistrats de l’autorité judiciaire, appliquent la loi de la République.

J’en viens à la mise en protection des femmes, notamment au danger qu’il y a parfois à informer d’une procédure pénale lancée à l’encontre des compagnons violents. Nous le disions tout à l’heure : un dépôt de plainte engage plus la vie de la femme et lui fait courir davantage de danger que la demande d’ordonnance de protection. Dans ce dernier cas, le compagnon n’est informé de la procédure qu’au moment de phase contradictoire. Dans le cas d’un dépôt de plainte, rien de spécial n’est prévu. Dès le lendemain ou le surlendemain, le gendarme ou le policier peut tout à fait informer le compagnon violent alors que la femme se trouve encore à sa merci. Clarifier le fait que l’absence de plainte ne fait pas obstacle à l’ordonnance de protection répond en large partie à votre préoccupation.

Enfin sur la question du référé, il se trouve que l’ordonnance de protection est déjà un référé. Mais les avocats, comme le soulignait tout à l’heure notre collègue Jean Terlier, raisonnent dans l’hypothèse où elle ne fonctionne pas. Le chiffre est tout de même éloquent : 40 % des demandes de protection jugées ne sont pas acceptées par le magistrat. Il faut aussi savoir que la majorité des ordonnances de protection ne sont délivrées que dans seize juridictions de notre pays, à savoir les juridictions les plus urbaines. Il faut savoir aussi que 10 % des juridictions de notre pays ne délivrent pas une seule ordonnance de protection. Comment croire que 10 % du territoire échappent aux violences faites aux femmes ?

Si nous modifions le dispositif, nous allons refaire de l’ordonnance de protection un outil utile à tous, y compris aux praticiens du droit que sont les avocats. On a fort à parier que, après la réduction du délai de délivrance, les avocats et les victimes soient les premiers à comprendre que c’est un outil qui protège en six jours. Voilà ce que nous allons privilégier. Je pense qu’avec la fixation de ce délai, et les autres mesures qui viennent, nous allons faire – ou plutôt refaire – de l’ordonnance de protection un instrument stratégique et civil de protection.

La Commission adopte les amendements identiques et l’amendement CL73 est ainsi sans objet.

Puis la Commission examine l’amendement CL17 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Je suis bien sûr favorable à une réduction des délais pour les ordonnances de protection. Mais force est de constater que le phénomène de la violence perpétrée à l’encontre des femmes sur le territoire est variable. Du Berry à la Seine-Saint-Denis, les actes de violence conjugale ne sont pas comparables. Je rappelle que le département de Seine-Saint-Denis compte, pour ce seul début d’année, près de 3 400 plaintes relatives aux violences conjugales… Ne pourrait-on être encore plus réactif dans les régions particulièrement concernées par le phénomène, de manière à créer une exemplarité et, surtout, à en dissuader la répétition ?

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je comprends tout à fait l’esprit de votre amendement, mais j’y suis défavorable car je pense que son adoption aurait des conséquences plutôt négatives. Vous avez raison de dire, je le soulignais à l’instant, que certaines juridictions n’ont jamais statué sur l’ordonnance de protection, mais votre amendement ne va pas les pousser à le faire. Les juridictions qui prennent aujourd’hui le plus de temps ne sont pas seulement celles qui sont mal organisées mais, nous l’avons constaté, ce sont aussi des juridictions engorgées. Je crains que ce dispositif crée une surcharge supplémentaire à leur détriment.

En revanche, je pense que votre amendement alimente notre volonté commune de lutter contre le problème des violences, que nous cherchons à régler en introduisant de nouveaux délais valables dans toutes les juridictions de notre pays.

M. Stéphane Peu. Permettez-moi seulement une observation. Il y a eu un rapport parlementaire sur la situation de la justice en Seine-Saint-Denis ; je ne reviendrai pas sur ses conclusions. Je souligne seulement que ce que demandent les habitants et les justiciables de Seine-Saint-Denis, ce n’est pas de faire l’objet de lois d’exception. Ils veulent avoir, pour les mêmes lois qu’ailleurs dans la République, les mêmes moyens de les appliquer.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL116 du rapporteur, CL98 de Mme Valérie Boyer et CL108 de Mme Fiona Lazaar.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Cet amendement a une importance significative pour refonder l’ordonnance de protection. Nous avons à l’instant parlé des délais, sujet sur lequel nous avons apporté une réponse ferme. Il s’agit cette fois-ci de rendre le plus exhaustif possible le contenu de l’ordonnance de protection. Nous disions que la mention dans la loi de meilleurs délais avait pour conséquence que cette ordonnance était accordée en moyenne au bout d’un mois et demi. Non sans similarité, aujourd’hui, s’agissant du contenu sur lequel le magistrat peut se prononcer, la loi dit que le juge aux affaires familiales est compétent pour statuer sur les question de l’éloignement, des armes, de l’autorité parentale, du logement, etc. Mais il se trouve que, pour différentes raisons, le magistrat ne juge quasiment jamais sur toutes ces dispositions alors même qu’il aurait une réponse – positive ou négative – à apporter.

Nous lui laisserons la faculté de pencher d’un côté ou de l’autre. Cependant, les victimes elles-mêmes ne pensent pas nécessairement à solliciter la juridiction pour interdire, par exemple, la détention d’armes. Beaucoup de victimes ne savent pas qu’il est possible de demander ce type de mesures, alors qu’elles connaissent souvent la loi s’agissant des enfants. Sur les autres sujets, il y a des zones totalement inexplorées. On parlait tout à l’heure de trous dans la raquette : c’est particulièrement symptomatique ici.

De la même manière, des avocats ne sollicitent pas nécessairement le magistrat sur l’intégralité des mesures qu’il peut prononcer. Or, toutes les dispositions sont importantes. Si je devais ne vous donner qu’un exemple, ce serait celui de la détention ou du port d’armes. Aujourd’hui, je le disais dans mon propos introductif, dans près de 30 % des cas, les compagnons violents ne sont pas privés de la détention ou du port d’armes. C’est tout à fait invraisemblable. Au nombre de ces cas, il faut compter ceux où le magistrat ne statue pas sur le sujet : puisqu’il ne statue pas, le droit est maintenu.

Nous proposons de continuer à laisser aux magistrats la faculté de se prononcer sur chacune des questions que j’ai évoquées – logement, enfants, armes etc. – mais en lui demandant de décider vraiment pour chacune d’elles. C’est aussi stratégique que la question du délai. Si, demain, nous parvenons à obtenir que les ordonnances de protection soient délivrées en six jours et qu’elles présentent un contenu exhaustif – sur lequel le magistrat gardera la liberté de se prononcer –, nous aurons véritablement atteint le but qui est celui du dispositif. Il s’agit de corriger là, de manière ferme et audacieuse, une lacune bien réelle.

Mme Valérie Boyer. Mon amendement est le même que celui du rapporteur, si ce n’est que je propose de « prendre les mesures » et non de les « édicter ». Cependant, je me permettrai d’insister sur un point : il est indispensable que le juge aux affaires familiales, dans la mesure où il est compétent en matière civile, puisse prendre les mesures en question. M. Aurélien Pradié, a évoqué le port d’arme ; je voudrais mentionner la protection des enfants. En effet, les cas sont trop nombreux où il n’y a pas de prononcé des décisions sur l’exercice de l’autorité parentale. Il est essentiel, afin de protéger les enfants, que le JAF statue systématiquement sur cette question, comme sur l’ensemble des mesures qui peuvent être prises dans le cadre d’une ordonnance de protection.

Cela a été dit tout à l’heure : les ordonnances de protection sont délivrées dans trop peu de cas. Grâce à ce texte, elles pourront l’être bien davantage. Mais cela ne suffit pas. Il est non seulement essentiel que le juge se prononce, mais il faut aussi que ses décisions soient claires et nettes. En tout cas, je tiens particulièrement à tout ce qui touche à l’autorité parentale et aux enfants.

Mme Fiona Lazaar. Mon amendement est similaire à celui du rapporteur. Il vise à éviter les failles dans le dispositif. Le rapporteur a parlé du port d’armes tandis que Mme Valérie Boyer a évoqué l’autorité parentale. Mais plusieurs associations et magistrats nous ont rapporté des situations où coexistent une ordonnance de protection et un droit de visite et d’hébergement classique du conjoint présumé violent, c’est-à-dire un droit de garde un week-end sur deux et la moitié des vacances. Cela implique que la victime se retrouve en présence de l’auteur présumé alors que le juge a rendu une ordonnance de protection. Ces situations n’ont aucun sens ; elles constituent souvent une prolongation des violences. Nous devons impérativement améliorer la procédure pour empêcher ce genre de cas. Prévoir que le juge tranche de manière systématique sur les sujets énumérés à l’article 515-11 du code civil évitera ces incohérences, qui mettent clairement en danger les victimes.

M. Didier Paris. Je comprends parfaitement l’objectif poursuivi, mais je ne suis pas sûr que la rédaction l’atteigne sur le plan sémantique. Que le juge « se prononce sur l’opportunité d’édicter les mesures suivantes » ne veut pas dire, pour le juge qui le lit, qu’il doive se prononcer sur chacune d’entre elles. Or, si j’ai bien compris, c’est le but que vous souhaitez atteindre. Si tel est bien le cas, il serait sans doute préférable de dire que le libellé actuel de la loi est remplacé par les mots « se prononce sur l’opportunité d’édicter ʺchacune desʺ mesures suivantes ». On exprimerait ainsi l’obligation de répondre point par point sur les mesures prévues par la loi.

Mme Fiona Lazaar. Il y a une petite nuance entre mon amendement et celui du rapporteur, qui propose que le juge se prononce sur l’opportunité d’édicter les mesures tandis que je propose, quant à moi, que le juge se prononce sur chacune des mesures. Ceci me semble plus clair.

M. Guillaume Vuilletet. Tout le monde comprend l’intérêt de ces amendements. Le port d’arme et la garde des enfants, que nos collègues viennent d’évoquer, ne sont pas des exemples parmi d’autres, mais des sujets essentiels. Je parle sous le contrôle de mes collègues avocats, mais il me semble qu’un juge civil a vocation à départager des parties, à répondre à une demande. Il me semblerait donc utile de préciser le dispositif.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je propose, au vu de nos débats et avec l’accord du rapporteur, de rectifier l’ensemble de vos amendements en tenant compte des remarques de notre collègue Didier Paris. Le juge se prononcerait donc « sur chacune des mesures suivantes ».

La Commission adopte les amendements CL116, CL98 et CL108 ainsi rectifiés.

La Commission examine ensuite l’amendement CL102 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. L’amendement vise à mieux définir l’interdiction, pour le conjoint violent, d’entrer en contact avec sa victime, lorsqu’elle est prononcée par le juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance de protection.

Afin que toutes les situations puissent être couvertes et que cette interdiction ne soit pas contournée par le conjoint violent, il apparaît important de préciser qu’elle inclut évidemment le contact physique, mais aussi le contact visuel ainsi que le contact par tout moyen électronique.

Il est vrai que l’introduction du bracelet anti-rapprochement permettra de localiser et de tenir à distance le conjoint violent, mais ces précisions me paraissent utiles. Le contact visuel, comme par tout moyen électronique, est une façon, pour le conjoint violent, de prolonger son emprise.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Vous avez défini l’interdiction de paraître qui sera notamment abordée dans mon amendement CL129. Dans mon propos introductif, j’ai évoqué les compagnons violents qui viennent guetter leur victime au pied de leur immeuble. Ils sont parfois soumis à une interdiction d’entrer en contact mais, en l’occurrence, il n’y a pas de contact. Nous introduirons donc l’interdiction de paraître, non seulement au domicile de la victime, mais aussi dans les lieux que celle-ci a l’habitude de fréquenter. Parce que mon amendement répondra à votre préoccupation, je vous invite à retirer le vôtre. Je vous remercie, en tout cas, d’avoir abordé cette question.

Mme Valérie Boyer. La rédaction du rapporteur me semble préférable, car elle est plus globale. Je retire donc mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine les amendements identiques CL129 du rapporteur, CL93 du Gouvernement et CL80 de M. Guillaume Vuilletet.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. J’ai déjà présenté mon amendement : il vise à renforcer le dispositif actuel en y introduisant l’interdiction de paraître.

M. Guillaume Vuilletet. Je ne saurais mieux dire.

La Commission adopte les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL117 du rapporteur.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Avec cet amendement, nous entrons davantage dans le détail de l’ordonnance de protection. Permettez-moi de rappeler notre cheminement : après avoir réduit le délai pour statuer et nous être assurés que le magistrat utilisera toute la palette des mesures que la loi met à sa disposition, nous proposons, sur la question du port d’arme comme sur un certain nombre d’autres, d’inverser le principe et l’exception.

J’ai rappelé que, dans 30 % des cas où une interdiction est sollicitée, les auteurs de violences peuvent continuer de détenir ou de porter une arme. C’est tout à fait invraisemblable. S’il y a un domaine où le principe de précaution doit s’appliquer, c’est bien celui-ci. Je ne crois pas qu’en privant une personne de son arme pendant six mois, on porte atteinte à sa liberté d’une manière gravissime. Elle n’ira pas à la chasse pendant quelques mois, voilà tout… Je vous propose de préciser que, dès lors que le magistrat prononce l’interdiction de contact, il doit également édicter l’interdiction de détention ou de port d’arme. S’il ne souhaite pas le faire, il devra motiver spécialement sa décision : ce qui était une exception deviendra ainsi un principe.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL71 de Mme Josy Poueyto.

Mme Josy Poueyto. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 3 à 6 de l’article 2, qui modifient à la marge l’article 515-11 du code civil concernant l’attribution du logement commun ou conjugal par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection.

Cette réécriture ne paraît pas nécessaire pour deux raisons. Premièrement, il est souhaitable de laisser le soin au juge de statuer sur les modalités de prise en charge des frais afférents au logement. Deuxièmement, il est préférable de conserver une légère marge d’appréciation pour le juge quant à l’attribution du logement. Dans le droit en vigueur, le logement est attribué par principe à la victime, sauf circonstances particulières. Cette possibilité de déroger au principe doit être conservée.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je vous invite à un retrait au profit de mon amendement CL118, que je m’apprête à présenter. Nous pensons effectivement qu’il est important de laisser au juge une capacité d’appréciation, mais nous ne voulons pas en rester au statu quo et nous tenons à l’inversion déjà décrite entre le principe et l’exception. Il importe de rappeler dans la loi que le principe, c’est le maintien des victimes à domicile – si tel est leur souhait – et la prise en charge du loyer ou des frais de propriété par le compagnon qui est l’auteur de violences.

Je veux appeler votre attention sur deux points. Premièrement, il ne faudrait pas – et je sais que ce n’est pas votre volonté – que nous nous préoccupions davantage des hommes qui commettent des violences que des femmes qui en sont les victimes. Deuxièmement, je rappelle que les violences conjugales ne concernent pas seulement les foyers modestes. Elles existent aussi dans les foyers aisés, où la précarité et la dépendance de la femme ont souvent été organisées par son compagnon afin de renforcer son emprise. Je considère que l’auteur des violences doit assumer les conséquences de ses actes, notamment le maintien à domicile de sa compagne et de ses enfants.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL118 du rapporteur, CL50 de Mme Clémentine Autain, CL39 de M. Erwan Balanant et CL88 de M. Guillaume Vuilletet.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je viens de présenter mon amendement CL118.

M. François Ruffin. Lorsqu’une personne est emprisonnée, elle ne paie pas ses frais de cellule.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. C’est dommage !

M. François Ruffin. C’est vous qui le dites et nous pouvons avoir une discussion à ce sujet, mais ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi. Par notre amendement CL50, nous nous opposons à ce que le coût du bracelet anti-rapprochement soit à la charge du conjoint violent, a fortiori lorsqu’il n’a pas encore été condamné.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je ne suis pas sûre que vous ayez défendu le bon amendement car nous en sommes à la question du logement.

M. Erwan Balanant. Le droit existant me paraît satisfaisant puisque le magistrat statue déjà sur les modalités de prise en charge des frais afférents au logement. Le fait de rendre cette prise en charge obligatoire a quelque chose de trop répressif à mes yeux et ne prend pas assez en compte, dans sa diversité, la situation économique des familles.

Je pense qu’il faut laisser la question des modalités de prise en charge des frais afférents au logement conjugal à l’appréciation du juge aux affaires familiales. Dans la plupart des cas, le juge imposera au conjoint violent la prise en charge de ces frais, ce qui est logique, mais je ne pense pas que l’automaticité soit une bonne chose.

Faut-il plonger dans une plus grande précarité une personne violente ? Il faut qu’elle paie, mais pensons aussi à sa reconstruction et aux moyens d’éviter la récidive. Cela étant, je crois, comme vous, qu’il est souhaitable que la femme puisse rester dans son logement si elle le souhaite, et que les frais soient, au moins partagés, voire totalement pris en charge par le conjoint.

M. Guillaume Vuilletet. Dans la mesure où plus du tiers des défendeurs est sans emploi, il semble essentiel de laisser au juge sa capacité d’appréciation. Tel est le sens de mon amendement CL88.

M. Arnaud Viala. La proposition du rapporteur est de poser un principe tout en laissant au juge la possibilité de déroger, si des circonstances particulières lui semblent le justifier. J’ai du mal à entendre l’argumentation selon laquelle on pourrait dispenser les gens qui ont de faibles revenus de sanctions financières : c’est une façon de dire qu’il est plus justifiable de battre son conjoint lorsqu’on a de faibles revenus. La proposition du rapporteur est tout à fait recevable et très bien rédigée.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. J’invite les auteurs de ces différents amendements à les retirer au profit de mon amendement CL118, qui propose une rédaction satisfaisante. Nous n’introduisons aucune automaticité, pas plus ici qu’ailleurs dans la loi, puisque le magistrat conserve sa capacité d’appréciation. Je rappelle, en outre, que cette proposition de loi vise à lutter contre les violences faites aux femmes, et non à s’assurer du confort des auteurs de ces violences.

M. François Ruffin. Je veux seulement préciser que mon amendement portait à la fois sur la question du logement et sur celle du bracelet électronique, qui sont liées. Aujourd’hui, les gens en détention provisoire n’ont pas à payer leurs frais d’emprisonnement. Or, la disposition que vous introduisez revient à cela et je ne suis pas sûr qu’il soit judicieux d’introduire une telle nouveauté.

J’aimerais par ailleurs avoir un éclaircissement sur l’ensemble de la proposition de loi : concrètement, monsieur le rapporteur, les femmes qui voudront obtenir une protection devront-elles se rendre au commissariat ou au palais de justice ?

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Monsieur Ruffin, il y a une petite incompréhension. Votre amendement porte sur la rédaction initiale du texte. J’en partage l’objet avec mon amendement CL118. Sur le fond, nous sommes d’accord.

Pour répondre à votre question, le juge aux affaires familiales peut être sollicité par tout moyen. La victime peut se présenter à lui, avec ou sans son avocat ; l’avocat peut solliciter le juge à distance ; la victime peut également se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie, qui se chargera de joindre le juge aux affaires familiales. Vous le voyez, les voies d’accès sont extrêmement variées et il convient de les préserver.

M. Erwan Balanant. Pour répondre à M. Arnaud Viala, j’en étais, moi aussi, resté à la rédaction initiale du texte. Mon amendement portait sur celle-ci. Je suis satisfait des modifications apportées par l’amendement CL118 du rapporteur et je retire le mien à son profit.

M. Guillaume Vuilletet. Pour les mêmes raisons, je retire également le mien.

Les amendements CL39 et CL88 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement CL118 du rapporteur.

En conséquence, l’amendement CL50 tombe.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL119 du rapporteur et CL40 de M. Erwan Balanant.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. L’amendement CL119 vise à appliquer les dispositions dont nous venons de débattre au concubin ou à la personne liée à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS).

M. Erwan Balanant. Je retire mon amendement CL40, lui aussi satisfait par la proposition du rapporteur.

L’amendement CL40 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL119.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement CL105 de Mme Valérie Boyer et l’amendement CL120 du rapporteur.

Mme Valérie Boyer. Le maintien du droit de visite du parent violent se fait souvent au détriment de l’intérêt de l’enfant, dont le statut de victime n’est pas suffisamment pris en compte dans les affaires de violences intrafamiliales. Il constitue également un réel danger pour le parent victime de ces violences. En effet, lorsque les visites s’effectuent dans des lieux inappropriés, principalement au domicile, la victime s’expose à de nouvelles violences, notamment psychologiques, et à la persistance de l’emprise du parent violent, que ce soit sur elle ou sur l’enfant, qui devient un otage ou un objet transactionnel.

Le présent amendement permet au juge aux affaires familiales, dans les mesures qu’il édicte dans le cadre de l’ordonnance de protection, de se prononcer sur l’opportunité d’aménager le droit de visite du parent violent – lorsque ce droit est maintenu – dans un espace de rencontre neutre, qui puisse garantir la protection de l’enfant et du parent victime. J’ai repris l’expression « espace de rencontre désigné » qui figure dans le code civil, mais je pense qu’il serait utile d’introduire dans la loi les notions de « lieu neutre » et de « lieu médiatisé » afin d’en favoriser la diffusion sur l’ensemble de notre territoire. Je rappelle qu’un lieu neutre est un lieu aménagé, en dehors du domicile des parents, et qu’un lieu médiatisé est un lieu où l’enfant peut rencontrer le parent violent en présence d’un professionnel. Je pense qu’il serait utile, en séance publique, de préciser la nature du « lieu désigné » auquel mon amendement fait référence.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je partage votre préoccupation et mon amendement CL120 complète le vôtre. Vous avez raison de dire que le droit de visite ne peut être que médiatisé, et avec une extrême précaution, dans le cadre de l’ordonnance de protection. On sait que les moments dits de « passage de bras » peuvent faire naître de grandes tensions, comme ceux où la mère accompagne l’enfant lorsque le droit de visite est maintenu. Il faut absolument prendre des précautions et médiatiser ces temps-là.

Mon amendement va un peu plus loin que le vôtre puisqu’il propose, là encore, de faire de l’exception un principe. Désormais, la règle générale sera, par précaution, le droit de visite dans un lieu médiatisé. Les textes parlent, pour l’heure, de lieu désigné et il conviendra effectivement de préciser la chose. S’il décide de faire exception à cette règle, le magistrat devra spécialement motiver sa décision. En affirmant ce principe, on donnera une force particulière à l’ordonnance de protection sur cette question essentielle du sort des enfants.

Mme Valérie Boyer. La rédaction du rapporteur me semble effectivement préférable parce qu’elle va plus loin que la mienne : je retire donc mon amendement. Mais je souhaiterais que l’on précise ce que sont un lieu médiatisé et un lieu neutre. Nous nous sommes aperçus, au cours de nos auditions, que cette distinction est familière aux personnes qui s’intéressent à ces questions, mais qu’elle n’apparaît pas dans la loi. Or, bien souvent, le parent violent profite de cette brèche. La rédaction du rapporteur me satisfait ; elle va dans le sens de la proposition de loi que je présenterai tout à l’heure.

M. Guillaume Vuilletet. La rédaction du rapporteur me semble effectivement préférable. Il est vrai que les moments où les enfants passent de la garde d’un parent à celle de l’autre sont des instants de très grande émotion, où les risques sont multipliés. Cette disposition me paraît sage.

M. Stéphane Mazars. Il faut prendre des précautions. L’obligation faite au juge de motiver sa décision en est une. Dans certains cas, le lieu médiatisé ou neutre ne servira qu’au passage de bras, par exemple lorsque le père conserve un droit de visite et d’hébergement. En revanche, lorsque le père a seulement le droit de visite, c’est la visite même qui se déroulera dans un lieu médiatisé ou neutre. La motivation du juge sera essentielle pour préciser le cadre : droit de visite et d’hébergement ou simple droit de visite.

L’amendement CL105 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL120.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL38 de M. Erwan Balanant et CL49 de Mme Danièle Obono.

M. Erwan Balanant. L’amendement CL38 vise à supprimer les alinéas 8 et 9, ce qui peut sembler disruptif, mais je vais m’en expliquer. Je pense qu’il faut supprimer la possibilité, pour le juge aux affaires familiales, de statuer, dans le cadre d’une ordonnance de protection, sur le placement sous surveillance électronique mobile de l’auteur présumé des faits. Le juge aux affaires familiales est un juge civil : il n’a pas les compétences du juge pénal et ne peut pas décider seul d’une mesure coercitive ou d’une mesure privative de liberté.

Je pense qu’il serait plus sage de créer des ponts entre les différentes juridictions et de laisser au juge pénal le pouvoir de décider d’une privation de liberté. Il faut évidemment punir les auteurs de violences, mais je ne crois pas que ce soit le rôle du juge aux affaires familiales. Lui donner la responsabilité de décider du placement sous surveillance électronique, c’est faire peser une pression très forte sur lui.

M. Ugo Bernalicis. Il doit y avoir une séparation entre le juge civil et le juge pénal et, en l’occurrence, entre le juge civil et le procureur de la République, puisque c’est souvent le parquet qui est à la manœuvre. Une fois qu’on a dit cela, on n’a pas résolu le problème et je vois bien les difficultés concrètes qui se posent.

Il est effectivement plus simple que le juge aux affaires familiales dispose de cet outil pour écarter l’auteur présumé des violences de sa victime. Mais il y a, selon moi, un problème d’articulation entre le juge aux affaires familiales et le parquet, c’est-à-dire entre le civil et le pénal, dès qu’on touche à cette matière spécifique des violences intrafamiliales, des violences conjugales et des violences faites aux femmes. Il faudrait travailler à des dispositifs de coordination entre le pénal et le civil plutôt que de les noyer : nous risquons de créer des précédents qui pourraient être préjudiciables en toutes matières.

Prenons le point de départ, le commissariat : je ne suis pas sûr que tous les policiers et tous les gendarmes sachent que, lorsqu’ils reçoivent une personne qui dit avoir subi des violences conjugales, il faut joindre le juge aux affaires familiales. Je crois que, spontanément, 90 % des policiers et des gendarmes contactent aussitôt le parquet. Lui peut décider du placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) en pré-sentenciel comme il peut décider d’un contrôle judiciaire.

Il faut adapter la formation des policiers et des gendarmes et les informer de l’existence du juge aux affaires familiales, mais il y a peut-être aussi une coordination à trouver avec le parquet. Il faudrait proposer un canal unique à la victime : celle-ci s’adresserait d’abord au commissariat, qui est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et c’est ensuite, dans l’arrière-boutique, qu’il faudrait mieux coordonner l’ordonnance de protection et le PSEM, en cas de besoin.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Vous abordez un sujet capital. Nous sommes les héritiers de la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Elle a confié au juge aux affaires familiales, un juge civil, les ordonnances de protection. Nous avons réfléchi à cette question au moment de l’élaboration de notre proposition de loi et nous avons envisagé deux solutions. Soit nous faisions fi de la loi de 2010 et nous remettions le juge pénal au centre du jeu, soit nous renforcions les pouvoirs du juge aux affaires familiales en étoffant l’ordonnance de protection. Nous avons fait le second choix pour deux raisons. Tout d’abord, il nous semble que c’est la meilleure façon d’avancer sur le sujet. Ensuite, le juge aux affaires familiales a aujourd’hui un certain nombre de prérogatives au sein desquelles peut s’inscrire le bracelet anti-rapprochement. Et cela n’exclut pas, en pré-sentenciel et en sentenciel, l’intervention du parquet.

Vous avez raison de dire qu’il faut créer des ponts entre le juge aux affaires familiales et le parquet et nous le faisons à travers deux mesures.

Premièrement, nous faisons sauter un verrou important. Aujourd’hui, le ministère public n’est informé de la délivrance d’une ordonnance de protection que lorsque le couple a des enfants. Or, nous systématisons cette transmission : toutes les ordonnances devront désormais être transmises. Nous n’avons pas réussi à avoir des statistiques sur ce point, mais il semble que les affaires qui ont fait l’objet d’une ordonnance de protection ne soient pas forcément suivies d’une procédure pénale, ce qui est tout de même problématique.

Deuxièmement, le juge civil ne pourra appliquer le bracelet anti-rapprochement qu’avec le consentement de l’auteur présumé des violences. S’il refuse, le dossier sera transmis au parquet qui, lui, est doté des pouvoirs coercitifs que vous évoquiez, pour garantir la protection de la victime. Je veux insister sur l’importance de ce deuxième pont entre civil et pénal.

Nous prenons appui sur l’architecture de 2010 qui, selon moi, peut être opérationnelle. Mais si vous voulez le fond de ma pensée, les législateurs à notre place dans quelques années créeront des tribunaux spécialisés, ce qui réglera à la fois la question de la porte d’entrée et celle du cloisonnement. Ce sera une autre étape. À titre personnel, j’y suis intellectuellement prêt, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas des Français et de la Chancellerie.

M. Guillaume Vuilletet. Ces amendements tendent à réduire les prérogatives du juge civil. Les amendements suivants répondront à la plupart des critiques et proposeront d’instituer un pont du civil vers le pénal. Nous en débattrons en temps voulu mais, en l’état actuel des choses, nous sommes défavorables à ces amendements.

M. Didier Paris. C’est évidemment un point extrêmement délicat de cette proposition de loi et j’avoue que je m’interroge. Jusqu’à présent, les mesures que nous avons évoquées, et sur lesquelles le juge aux affaires familiales aura à se prononcer, ne consistent qu’à améliorer des dispositifs déjà existants. Mais les amendements que nous examinons à présent me semblent singulièrement différents : ils touchent à la liberté individuelle dans ce qu’elle a de plus profond. Je vous rappelle que l’échelle des peines place le bracelet électronique en deuxième position après la détention. Cela veut bien dire que le législateur que nous sommes a considéré qu’il est un élément déterminant de privation de liberté. Le fait qu’un juge civil puisse prendre une disposition de cette nature me laisse perplexe. La procédure en elle-même est problématique, puisque le juge civil prend une décision sur la base d’éléments fournis par les parties – et le fait qu’on ne prévienne pas la personne violente très en avance ne me rassure pas, bien au contraire. Le contradictoire, en matière civile, est absolument fondamental : c’est un principe élémentaire de notre droit. Or, ce contradictoire ne permet pas nécessairement de sortir du débat par le haut.

Je suis évidemment convaincu qu’il faut renforcer les mesures de protection. Mais je m’interroge sur leur mise en œuvre. Ce débat contradictoire va placer le juge dans une situation délicate : il entendra les deux parties et devra trancher, sans forcément disposer d’éléments extérieurs, objectifs, pour analyser et comprendre la situation. Nous devons être extrêmement vigilants.

Je pense qu’il serait préférable de renvoyer ce qui relève actuellement du juge civil au parquet. Le parquet a l’habitude de prendre des mesures d’urgence, par exemple les ordonnances de placement provisoire (OPP) pour les mineurs en danger. Il pourrait prendre des mesures du même ordre pour protéger les femmes victimes de violences – je rappelle qu’il s’agit de mesures de nature pénale.

M. François Ruffin. Le rapporteur et mes collègues ont fait des études de droit. Ce n’est pas mon cas et je dois dire que certaines subtilités m’échappent. Ma seule préoccupation, c’est que votre dispositif soit opérationnel, qu’il apporte une réponse concrète aux femmes qui se retrouvent face à ces difficultés. Il faudrait, à l’entrée de tous les commissariats et de toutes les gendarmeries, une grande affiche qui rappelle l’existence de l’ordonnance de protection et qui donne le numéro du juge aux affaires familiales : il faut alerter aussi bien le grand public que les policiers et les gendarmes. Il faut intervenir au plus près des gens, au plus près des femmes concernées.

Or, spontanément, elles ont plutôt tendance à aller à la gendarmerie ou au commissariat qu’à demander à un avocat de contacter le juge aux affaires familiales. Si vous voulez rendre votre proposition de loi opérationnelle, si vous voulez qu’elle facilite vraiment la vie des femmes que vous et moi avons rencontrées, je pense que c’est dans cette direction qu’il faut aller.

M. Stéphane Viry. La finalité de cette proposition de loi n’est pas de renverser le système, mais de l’améliorer. Je partage les interrogations que certains collègues ont exprimées au sujet de la répartition des rôles entre le juge pénal et le juge civil. L’idéal serait évidemment qu’ils prennent leur décision de concert et, du reste, nous ne sommes pas loin de cette situation. Le ministère public et le juge aux affaires familiales travaillent tous les jours ensemble sur de nombreux sujets : les procédures permettent des collaborations effectives.

Peut-être devrions-nous travailler collectivement à associer clairement et directement le parquet à la procédure – je sais que des associations de JAF le souhaitent –, afin qu’il soit à la fois juge et partie. Pourquoi ne pas envisager que l’ordonnance soit signée par le parquet, ce qui lui donnerait une force exécutoire ? Le parquet pourrait avancer ses arguments, verser ses pièces au dossier et même rédiger des instructions, car c’est dans son champ de compétences, ce qui solidifierait l’ensemble. Travaillons à cela en vue de la séance : ce serait une avancée importante.

M. Stéphane Mazars. Je ne crois pas souhaitable d’imaginer une procédure réunissant le parquet, le juge aux affaires familiales et l’auteur présumé des violences. Une telle procédure, qui impliquerait que la défense puisse faire valoir ses droits et qui aboutirait à la signature de l’ordonnance par le parquet, ne serait pas compatible avec notre volonté de réduire les délais. Soyons prudents !

Je suis assez d’accord avec notre collègue Didier Paris : on pourrait imaginer que les dossiers soient transmis au procureur de la République pour que celui-ci lance, en urgence, une procédure comparable à l’ordonnance de placement provisoire. On pourrait ensuite prendre le temps, en respectant la présomption d’innocence et les droits de la défense, d’examiner la situation de manière plus apaisée et plus protectrice pour chacune des parties.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. J’ai terminé mon propos introductif en vous rappelant un chiffre – 111 – et en vous disant qu’à chaque fois que nous pourrions être tentés d’être trop timides, il faudrait se le rappeler. Depuis le début de l’année, 111 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon. Ce chiffre doit balayer notre timidité.

Je suis, comme vous, très soucieux de respecter l’organisation du droit de notre pays, mais je crois utile de préciser les choses. D’abord, je ne suis pas d’accord avec notre collègue Didier Paris : il ne s’agit pas, dans le cadre d’une ordonnance de protection, de porter atteinte à des droits fondamentaux. Le magistrat dispose d’une palette de mesures qui va crescendo : il ne sera pas obligé de délivrer systématiquement une ordonnance de protection incluant un bracelet anti-rapprochement. Empêcher deux personnes d’entrer en contact pendant six mois, n’est-ce pas déjà une atteinte à la liberté ? Le juge veillera à ce que les rencontres avec les enfants se déroulent dans un lieu médiatisé et en dehors du logement, quand c’est nécessaire. Peut-être décidera-t-il, enfin, de recourir au bracelet anti-rapprochement. Mais vous oubliez qu’à ce stade, il faut que le compagnon violent l’accepte. Nous ne sommes pas dans une procédure pénale, mais civile, et la privation de liberté qu’implique le bracelet anti-rapprochement n’est pas comparable à celle du bracelet électronique que nous connaissons.

Certes, il faut le porter, ce qui représente, en soi, une atteinte corporelle. Mais le bracelet a seulement vocation à alerter son porteur lorsqu’il s’approche d’un lieu où se trouve habituellement la victime : ce n’est donc pas, de mon point de vue, une atteinte colossale aux libertés de la personne. Je rappelle en outre qu’il s’agit d’une disposition précaire, qui s’applique pendant six mois. Le juge civil ne pourra statuer qu’avec l’accord du compagnon violent. Ce que nous ajoutons, c’est le pont, que plusieurs d’entre vous ont évoqué, entre le civil et le pénal. Si le compagnon violent refuse de porter un bracelet, le juge civil ne peut pas forcer cette décision : il transmettra le dossier au parquet. Celui-ci pourra utiliser ses pouvoirs coercitifs. Le dispositif que nous proposons répond à l’ensemble de vos préoccupations.

La véritable révolution au sujet du bracelet anti-rapprochement aura lieu au stade de l’ordonnance de protection. Si les Espagnols ont réussi à relever le défi, c’est parce qu’ils ont appliqué un principe de précaution absolue. Quand une femme explique qu’elle est en danger et que le magistrat dispose d’un certain nombre d’éléments qui lui donnent, non la certitude, mais la conviction intime que c’est le cas, il faut appliquer le principe de précaution. On le fait dans beaucoup d’autres domaines avec bien plus de rigueur que lorsque la vie des femmes est en jeu. L’introduction du bracelet anti-rapprochement au stade de l’ordonnance de protection permettra d’appliquer un principe de précaution qui s’impose.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL90 du Gouvernement et CL89 de M. Guillaume Vuilletet, faisant l’objet des sous-amendements identiques CL121 du rapporteur et CL130 de Mme Marie-Pierre Rixain.

M. Guillaume Vuilletet. Nous avons déjà largement discuté de l’objet de ces amendements. La distinction entre les juridictions civiles et pénales est fondamentale. J’aurais peut-être dû expliquer davantage à certains de nos collègues ce que nous voulons faire, car cela aurait répondu à leurs questions. Le juge civil proposera le port d’un bracelet et une transmission au parquet pourra suivre en cas de refus. Nous avons un important trou dans la raquette – je reprends l’expression du rapporteur. Environ un tiers des meurtres a lieu pendant la phase pré-sentencielle, avant une condamnation. Il faut agir. Nous voulons faire de l’ordonnance de protection un élément central dans le dispositif.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. En cas de non-consentement de l’auteur présumé des violences, le sous-amendement CL121 tend à ce que le procureur de la République soit immédiatement avisé, de manière à ce qu’il puisse adopter les mesures de précaution plus coercitives dont nous avons parlé. Nous disposerons ainsi d’un dispositif complet.

Mme Fiona Lazaar. Le sous-amendement CL130 a le même objet : prévoir, au stade pré‑sentenciel, que le juge aux affaires familiales informer sans délai le procureur de la République en cas de refus du conjoint violent, afin que les mesures nécessaires pour prévenir le danger puissent être adoptées sur le plan pénal – un placement sous bracelet, un contrôle judiciaire, voire une détention provisoire.

M. Guillaume Vuilletet. J’accepte volontiers ces sous-amendements.

M. Jean Terlier. Je voudrais dire au rapporteur que les commissaires qui se sont exprimés n’ont pas le sentiment de faire preuve de timidité. Nous voulons nous saisir du sujet, comme tout le monde, mais il y a une problématique juridique qui pose quelques difficultés : cela heurte nos réflexes de juristes quant à la distinction entre le civil et le pénal. Le bracelet anti-rapprochement est-il, ou non, une mesure attentatoire aux libertés individuelles ? Si on considère que c’est le cas, je ne pense pas que cette mesure entre dans la compétence du juge aux affaires familiales (JAF).

Il y a une contradiction dans ce que vous proposez. En cas de consentement de l’auteur des violences, le JAF pourra ordonner le port du bracelet, mais on devra informer le procureur de la République dans le cas contraire : vous considérez bien qu’il y a une atteinte à une liberté fondamentale puisque ce sera au juge pénal de se prononcer dans le second cas. Ne faudrait-il donc pas, comme l’a proposé M. Didier Paris, confier directement cette question au procureur de la République, qu’il y ait consentement ou non de l’auteur présumé des violences ? Cela aurait le mérite de la cohérence, à mon avis, et cela permettrait peut-être d’éviter que le Conseil constitutionnel censure cette partie du texte.

M. Didier Paris. Au risque de rompre un peu le consensus, je voudrais également réagir à vos propos, monsieur le rapporteur, car ils m’ont choqué. Vous ne pouvez pas dire que nos remarques sont peut-être justes mais qu’il y a 111 victimes et que, dans ces conditions, on ne doit pas faire preuve de timidité. Nous sommes parfaitement conscients de la réalité du problème. Nous ne la nions pas : nous voulons y répondre efficacement tout en prenant en compte, autant que possible, les principes élémentaires de notre droit. Vous ne pouvez pas nous opposer ces 111 victimes. C’est choquant. Acceptez que l’on réfléchisse et qu’il y ait une discussion. Restez cohérent avec ce que vous avez prôné au début de la réunion. Il faut aller jusqu’au bout des choses : c’est un sujet important qui nous paraît mériter réflexion, ni plus ni moins. Nous souhaitons, nous aussi, nous faire les ardents protecteurs des victimes grâce à un dispositif efficace et sécurisé sur le plan juridique.

M. Stéphane Mazars. Soit l’auteur présumé des faits de violence accepte de porter un bracelet électronique dans le cadre d’une ordonnance de protection, pendant six mois, et il n’y a donc pas de difficulté, soit il le refuse et on le signalera au procureur de la République, qui pourra décider une mesure coercitive. Considérez-vous que le seul fait de refuser le port du bracelet constitue un délit, qui serait dénoncé au procureur de la République, à charge pour lui d’adopter une réponse, ou bien lui demandez-vous de se saisir de la question afin d’engager éventuellement des procédures, c’est-à-dire de regarder s’il y a suffisamment de charges pour que la personne violente soit condamnée ? Dans ce cas, on ne serait plus dans le cadre de la phase pré-sentencielle. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Mme Sophie Auconie. Je salue la qualité de nos débats et je souhaite que l’on reste dans l’état d’esprit qui a été le nôtre jusqu’à présent afin d’agir efficacement en faveur de cette cause commune. Je comprends les états d’âme de M. Didier Paris, mais nous sommes ici pour changer la loi. Nous souhaitons ardemment, sur tous les bancs, protéger les victimes de violences. Nous sommes aussi responsables de la situation actuelle : force est de constater que l’arsenal juridique n’est pas satisfaisant. Alors que le Gouvernement a fait de cette cause un pilier du quinquennat, mais les meurtres continuent. Il ne s’agit pas du tout de vous envoyer un chiffre à la figure : nous voulons seulement travailler ensemble sur les failles pour améliorer les dispositifs et faire en sorte que moins de femmes souffrent.

M. François Ruffin. Je vais aller dans le même sens que M. Didier Paris. On a connu jusqu’à présent une euphémisation des violences faite aux femmes par les services de police et de gendarmerie, des faits peu pris au sérieux par le système judiciaire. Il faut changer la situation mais, à mon avis, on ne doit pas inventer un droit spécial. Or, vos propos ont un peu donné l’impression que ce serait le cas… Je pense que la réponse ne passe pas essentiellement par un renforcement de l’arsenal répressif mais par un traitement réel des situations concrètes, par une prise en considération immédiate des violences subies par les femmes, dès le premier signalement ou dépôt de plainte – cela ne doit pas se transformer en main courante.

M. Guillaume Vuilletet. Je voudrais ajouter que la charge financière du bracelet électronique ne pèsera pas sur la personne qui en fait la demande – il n’en est pas question. Nous pourrons peut-être revenir sur ce point plus tard car il mérite d’être abordé.

Par ailleurs, il n’aura échappé à personne que le Gouvernement a déposé un amendement identique au nôtre – pour des raisons liées à la recevabilité financière, certes, mais on voit bien qu’il n’est pas hostile sur le fond. Cette disposition a été retenue dans le consensus. C’est une mesure de protection : il ne s’agit pas de dire à quelqu’un qu’il doit être à tel endroit à telle heure, ce qui constituerait une privation très forte de liberté, mais de lui signifier que sa présence à proximité de l’autre personne doit cesser. C’est une sorte de géolocalisation et de rationalisation : si on s’approche trop, y compris fortuitement – et il ne s’agit pas d’interdire aux femmes concernées de bouger –, on sera prévenu et il faudra se mettre à distance.

Je comprends le débat sur le recours au juge civil ou au juge pénal, mais il faut souligner que le juge civil va simplement proposer d’appliquer la mesure. Cela fait aussi partie du travail que le mari violent doit faire sur lui-même : le fait qu’on lui propose un tel équipement montre bien que l’on n’est pas dans une situation anodine.

Ce dispositif est bordé sur le plan constitutionnel : il respecte la présomption d’innocence ainsi que les droits et libertés fondamentaux, y compris la liberté de se mouvoir. On proposera de porter le bracelet et, en cas de refus, il appartiendra au juge pénal d’intervenir. Ce sera un des éléments dont ce juge disposera pour décider ce qu’il doit faire. Le refus ne constituera pas un délit en tant que tel, mais il nourrira la réflexion du juge.

Mme Valérie Boyer. Il est très important, comme l’a dit M. Ruffin, que le parquet prenne au sérieux la situation quand il y a un dépôt de plainte. Je défendrai tout à l’heure un amendement qui permettra un bilan des plaintes déposées et de leur instruction.

L’évolution proposée est tout à fait nécessaire et importante. Quand on parlait du bracelet électronique il y a quelques années, on répondait non parce que c’est une contrainte physique. Il y a un consensus qui se dégage aujourd’hui sur la nécessité de faire évoluer la loi et les ordonnances de protection, de tirer les enseignements de ce dispositif, de l’améliorer en ce qui concerne les délais et le champ d’application, et surtout de passer à des mesures qui constituent certes une contrainte, mais qui s’inscrivent dans un cadre tout à fait raisonnable et respectueux de tout le monde – aussi bien les auteurs des violences que les victimes. Il faut aussi protéger ces dernières contre elles-mêmes : dans les affaires de violences intrafamiliales, la victime se laisse souvent circonvenir par son conjoint, elle accepte de le retrouver parce qu’elle est sous emprise. Un bracelet électronique protégera les deux protagonistes. C’est une avancée considérable et il est important que l’Assemblée nationale montre qu’il y a un consensus en la matière.

M. Raphaël Schellenberger. Je suis un peu surpris par certains propos et par l’attitude contradictoire à laquelle on assiste depuis le début : on feint, d’une part, de ne pas comprendre le droit civil pour pousser à sa déconstruction et, d’autre part, on s’émeut dès qu’on touche un peu au droit pénal, on dénonce l’instauration d’un État répressif – au moyen de règles qui le seraient de plus en plus.

Toute la subtilité de ce qui nous est proposé consiste à avancer aussi bien sur le plan civil que sur celui du pénal. L’amendement du rapporteur améliore le lien entre le juge aux affaires familiales et le procureur de la République. Ce n’est pas parce que ce dernier, qui est chargé de l’ordre public dans son ressort, est avisé d’un élément figurant dans une procédure civile qu’une liberté individuelle est mise à mal et que l’on construit un État répressif. Il s’agit simplement d’une discussion qui devrait être normale entre des juges appartenant au même tribunal de grande instance.

M. Philippe Gosselin. Je me réjouis que l’on arrive à trouver des terrains d’entente alors que nous abordons le cœur du sujet, car cela n’a pas toujours été évident. À l’occasion d’autres textes, comme la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il a fallu retirer des amendements pour essayer d’aboutir à une rédaction avec le Gouvernement, qui était certes à l’écoute mais voulait rester dans la demi-mesure. On semble enfin passer à la vitesse supérieure. J’espère que tout cela ne restera pas lettre morte, comme en 2010, 2017, 2018 et précédemment cette année. J’ai l’impression qu’il y a une véritable prise de conscience.

Les dispositions de droit pénal font toujours l’objet d’une attention particulière – on veille à la non-rétroactivité et à l’interprétation stricte de la loi dans ce domaine – mais je crois que nous pouvons parfaitement, sans mettre à mal les principes constitutionnels ou propres à l’État de droit, adopter un texte comportant à la fois un volet civil très important et un volet pénal. Sans ce dernier, tout restera lettre morte – on proclamera unanimement de belles intentions qui ne seront pas suivies d’effets. Ce qui nous est proposé va dans le bon sens, et il faut avancer.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. J’ai parlé de timidité tout à l’heure et je n’ai pas dérogé à la règle que je me suis fixée : il faut rappeler que 111 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint depuis le début de l’année. Cela pèse sur nos épaules. Nous avons beaucoup hésité : il y a eu deux modifications de la loi visant à réaliser une expérimentation – M. Philippe Gosselin vient d’y faire référence – mais on n’a jamais lancé d’initiative. Si on ne peut pas parler de timidité et d’hésitation dans ce contexte, je n’y comprends plus rien. Mes propos paraissent peut-être un peu raides, mais c’est la réalité qui l’est.

Les seuls réflexes que nous devons avoir, les uns et les autres, ne sont pas ceux de juristes, mais de parlementaires, de législateurs. Lorsque nous siégeons ici, ce n’est pas en tant qu’anciens avocats, juges aux affaires familiales ou spécialistes du droit : nous sommes des députés de la Nation, conscients de la réalité et désireux de trouver des solutions. Le dispositif, tel que nous l’avons conçu, préserve les libertés individuelles et le cadre constitutionnel tout en permettant d’avancer. Je ne vois aucune raison, si ce n’est une timidité liée à des réflexes qui n’ont pas à être ceux des parlementaires, de ne pas le faire.

Mme Cécile Untermaier. Je pense que ce n’est pas de la timidité. Les interrogations sont profondes et légitimes. Cela dit, mon groupe votera ces dispositions : c’est le moyen de faire en sorte que l’ordonnance de protection ait une efficacité.

La Commission adopte les sous-amendements CL121 et CL130.

Puis elle adopte les amendements CL90 et CL89 sous-amendés.

En conséquence, les amendements CL37 de M. Erwan Balanant, CL109 de Mme Fiona Lazaar, CL34, CL35, CL36 de M. Erwan Balanant et CL110 de Mme Fiona Lazaar sont sans objet.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous propose de poursuivre nos travaux jusqu’à 13 heures et de les reprendre entre 14 heures 30 et 16 heures. La seconde proposition de loi, de Mme Valérie Boyer, pourra être examinée après l’audition de M. Didier Migaud, c’est-à-dire vers 18 heures ou 18 heures 30.

Je sais que cela risque de poser un problème à chacun d’entre nous. Mais on ne peut pas prendre le temps d’avoir des débats sereins et constructifs sur le premier texte et en rester à un emploi du temps serré. Si Mme Valérie Boyer souhaite que l’on aménage les choses différemment, nous pourrons en discuter.

La Commission est saisie de l’amendement CL70 de Mme Josy Poueyto.

Mme Josy Poueyto. Nous donnons aux JAF la possibilité d’attribuer un téléphone grave danger : l’amendement se calque sur le dispositif prévu à l’article 41-3-1 du code de procédure pénale. L’auteur des violences sera prévenu que son refus du bracelet anti-rapprochement entraîne la remise d’un tel téléphone, ce qui jouera un rôle dissuasif et permettra à la victime d’informer les forces de l’ordre en cas de danger imminent.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je vais malheureusement émettre un avis défavorable. Je comprends bien votre démarche, qui consiste à renforcer autant que possible l’accès aux différents dispositifs de mise en sécurité des femmes qui existent, mais je pense que l’introduction du bracelet anti-rapprochement dès le stade de l’ordonnance de protection répond à votre préoccupation.

Le téléphone grave danger fonctionne très bien aujourd’hui parce que sa distribution est parcimonieuse – elle l’est peut-être trop à certains égards et c’est pour cette raison que nous voulons faciliter l’accès à ce dispositif. Dans le cas contraire, les forces de l’ordre n’interviendraient plus aussi vite qu’actuellement. J’étais plutôt du même avis que vous à l’origine, mais je me suis aperçu au fur et à mesure des auditions qu’il faut veiller à respecter une juste mesure en ce qui concerne le téléphone grave danger et ne pas le mettre en concurrence avec le bracelet anti-rapprochement qui répondra largement à votre objectif.

M. Guillaume Vuilletet. La session de rattrapage du bracelet ne sera pas le téléphone grave danger, mais l’information du procureur de la République. Ce que vous proposez serait contre-productif.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL22 de M. Philippe Dunoyer.

M. Philippe Gomès. L’amendement CL22 vise à ce qu’un certain nombre de mesures de l’ordonnance de protection deviennent renouvelables, notamment celle relative à la dissimulation de l’adresse à l’égard du conjoint violent. À l’heure actuelle, l’ordonnance ne peut être renouvelée que si une requête en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge a été saisi d’une requête relative à l’autorité parentale. Nous souhaitons que la dissimulation de l’adresse puisse être maintenue si la dangerosité du conjoint le justifie.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je suis plutôt favorable à cet amendement mais je crois qu’il faudrait modifier sa rédaction. Même si je comprends tout à fait l’objectif, il y a une difficulté juridique : le juge aux affaires familiales peut adopter des mesures dont la durée correspond à celle de l’ordonnance de protection. Il ne peut pas aller au-delà des prérogatives qui lui sont accordées par la loi.

Il me semble qu’une prolongation ne serait pas attentatoire à une liberté si elle se limitait à la dissimulation de l’adresse – il s’agit seulement de faire preuve de vigilance pour protéger la victime. Je vous propose de retirer votre amendement pour affiner sa rédaction : nous pourrons essayer de trouver une porte de sortie.

M. Philippe Gomès. Je remercie le rapporteur pour l’accueil favorable qu’il a réservé à cet amendement. Je le retire bien volontiers afin d’adapter sa rédaction en vue de la séance.

L’amendement CL22 est retiré.

La Commission est ensuite saisie de l’amendement CL60 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. L’amendement CL60 précise les conditions de notification de l’ordonnance de protection aux parties et de communication aux administrations publiques en vue de faciliter les démarches des victimes auprès des services sociaux, des municipalités ou des services du logement, qui sont censés concourir à leur protection.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je m’en remets à la sagesse de la Commission. Je vous rejoins sur le fond mais il est déjà prévu noir sur blanc dans la loi que toutes les parties intéressées doivent être informées. Je ne vois pas comment aller au-delà. Si la loi ne le disait pas, je serais favorable à ce qu’on le précise, mais c’est déjà le cas. Vous savez que ce n’est pas dans mes habitudes, mais je pense que cela relève vraiment du pouvoir réglementaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que votre amendement renvoie à un décret.

M. Stéphane Peu. Je vais retirer l’amendement afin de le réécrire en vue de la séance en tenant compte des remarques du rapporteur.

L’amendement CL60 est retiré.

Puis la Commission examine les amendements identiques CL123 du rapporteur et CL23 de M. Philippe Dunoyer.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Nous avons déjà évoqué la nécessité d’établir des ponts entre les juridictions civiles et pénales. Tel est l’objet de mon amendement CL123. La loi prévoit que le parquet n’est informé de l’édiction d’une ordonnance de protection que s’il y a un enjeu pour les enfants. Je vous propose de supprimer cette condition : le procureur de la République serait systématiquement informé.

M. Philippe Gomès. L’amendement CL23 tend également à améliorer la circulation de l’information au sein des juridictions en supprimant une restriction. Actuellement, les ordonnances de protection ne doivent être transmises au procureur de la République qu’en cas de violences susceptibles de mettre en danger les enfants. Nous demandons que le parquet soit systématiquement informé. Une telle évolution s’inscrit parfaitement dans l’esprit qui anime notre Commission.

M. Guillaume Vuilletet. Une fois n’est pas coutume, car nous suivons une logique de consensus, mon groupe est défavorable à ces amendements. Une information automatique tendrait à signaler des personnes qui bénéficient de la présomption d’innocence et je crains, surtout, que cela conduise à une sorte de banalisation, alors qu’il faut une réaction rapide du procureur de la République, en lien avec la nature particulière de chaque situation.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je tiens vraiment à ce que l’on établisse ce pont : c’est un prolongement nécessaire des autres dispositions de la proposition de loi.

Je crois peu à un effet de banalisation : une ordonnance de protection – on parle seulement de celles qui ont été adoptées – n’est jamais anodine. Dans 40 % des cas, je l’ai dit, le juge aux affaires familiales ne délivre pas d’ordonnance. Lorsqu’il le fait, on peut penser qu’il y a des éléments avérés, qui commencent à constituer des preuves utiles au juge pénal. Par ailleurs, le procureur de la République n’a pas l’obligation d’engager des poursuites. Il évaluera la situation : il pourra considérer qu’il n’y a pas matière à agir. Il n’y a pas d’automaticité.

En ce qui concerne le risque d’engorgement, je rappelle que 2 400 demandes d’ordonnance de protection ont été jugées en 2016 dans notre pays, pour 60 % d’acceptation. C’est un flux tout à fait gérable par les parquets : on est très loin d’un outil qui conduirait à un engorgement.

Mme Valérie Boyer. Je voudrais intervenir sur l’organisation de nos travaux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous pourrons en parler à la fin de la réunion.

M. Guillaume Vuilletet. Nous allons voter contre ces amendements mais nous continuerons à échanger par la suite.

La Commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL48 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de la réduction à six jours du délai dans lequel le juge aux affaires familiales doit statuer. Les inquiétudes ont déjà été évoquées, aussi bien par M. Stéphane Peu à propos de la Seine-Saint-Denis que par moi-même pour la juridiction de Lille. Vendredi dernier, le bâtonnier et les avocats me disaient qu’il y a une grave problématique en ce qui concerne les juges aux affaires familiales. On voit que le hiatus se creuse entre nos débats et la réalité vécue par les professionnels et les victimes. Il serait bon de faire en sorte, à un moment, que le Gouvernement prenne la mesure de l’enjeu. En demandant ce rapport, nous voulons nous assurer que l’on met les moyens nécessaires en face des besoins.

M. Aurélien Pradié, rapporteur. Je suis peu amateur de ces rapports. Demander au Gouvernement d’évaluer les moyens qu’il mobilise pour appliquer une politique publique ne me paraît pas la bonne méthode à suivre. Si votre groupe souhaite qu’une mission parlementaire travaille sur ce sujet, je soutiendrai cette démarche. Il vaut mieux que les parlementaires évaluent l’action du Gouvernement plutôt que celui-ci s’auto-évalue.

M. Guillaume Vuilletet. Je soutiens complètement le rapporteur sur ce point.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je crois que le groupe La France insoumise a pour doctrine, au sein de cette Commission, de ne pas demander la création de missions d’information. Mais M. Ugo Bernalicis va peut-être nous annoncer un changement ?

M. Ugo Bernalicis. Non : nous sommes sûrs de ne pas être attristés par la réponse si nous ne faisons pas de demande (Sourires).

Je constate, quand je participe au conseil de juridiction ou à l’audience solennelle du mois de janvier, qu’un constat accablant est dressé par les chefs de juridiction, que ce soit le président du tribunal de grande instance ou le procureur de la République. Nous avons déjà fait de nombreuses missions d’information et un rapport du Gouvernement ne changera peut-être pas grand-chose, mais il y a vraiment une difficulté majeure.

Le pire, c’est que lorsqu’on arrive à faire suffisamment de bruit médiatique et politique autour d’un sujet, comme celui du tribunal de Bobigny, il y a des effectifs supplémentaires, par exemple pour les juges des enfants. Mais cela creuse un trou ailleurs dans notre pays par le jeu des affectations. C’est sans fin et insupportable. Nous ne pouvons pas adopter un texte supplémentaire et faire de nouvelles annonces qui iront se fracasser sur le réel. Si la présidente de la commission des Lois veut nous donner le droit de créer une mission d’information sur ce sujet, j’en discuterai avec les autres membres de mon groupe et je pense qu’il y aura, sans trop de difficultés, quelqu’un pour participer aux travaux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous pouvez formuler une demande, comme vous le savez, et le bureau de la Commission statuera – vous en êtes d’ailleurs un membre associé. Je serais ravie que nous discutions de cette question lors de la prochaine réunion du bureau, qui aura lieu le 9 octobre prochain.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 2 modifié.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je donne la parole à Mme Valérie Boyer pour une question relative à l’ordre du jour.

Mme Valérie Boyer. Je ne veux pas allonger nos débats mais je trouve très compliqué d’examiner l’autre texte après l’audition de M. Didier Migaud. Si le président Éric Woerth en était d’accord, nous pourrions proposer au Premier président de la Cour des comptes de venir plus tard ? Cela nous permettrait d’examiner la seconde proposition de loi dans le prolongement de la première.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’audition du Premier président de la Cour des comptes est une audition conjointe de la commission des Lois, de la commission des Finances et de la délégation aux Collectivités territoriales. Il faudrait que les présidents de ces trois organes soient d’accord pour décaler cette réunion ! Il me paraît très compliqué d’agir ainsi : cette audition est prévue à 16 heures 15 et concerne beaucoup de collègues.

Je vous propose de maintenir l’ordre du jour tel qu’il figure dans la convocation. Nous reprendrons nos travaux à 14 heures 30 sur la proposition de loi déposée par M. Aurélien Pradié. Si nous accélérons fortement, nous pourrons examiner dans la foulée l’autre proposition de loi avant l’audition du Premier président de la Cour des comptes ; sinon, nous le ferons vers 18 heures 30. Je ne peux pas faire mieux : cela résulte du fait que nous discutons beaucoup et que nous adoptons de nombreux amendements – je pense que nous pouvons tous nous en féliciter.

 

La réunion s’achève à 13 heures.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Sophie Auconie, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Valérie Boyer, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Jean‑Pierre Pont, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier

 

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, Mme Paula Forteza, M. Dimitri Houbron, Mme Marietta Karamanli, Mme Valérie Oppelt, M. Pierre Person

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Géraldine Bannier, M. Nicolas Démoulin, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Gomès, Mme Fiona Lazaar, Mme Josette Manin, M. Maxime Minot, Mme Josy Poueyto, M. François Ruffin, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Stéphane Viry