Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Suite de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales (n° 2478) (Mme Bérangère Couillard, rapporteure)                            2

 Examen du projet de loi organique, adopté par le Sénat, modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (n° 2535) et du projet de loi, adopté par le Sénat, modifiant la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (n° 2536) (M. Christophe Euzet, rapporteur)                            19

 Information relative à la Commission................. 29

 


Mercredi
15 janvier 2020

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 34

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 14 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales (n° 2478) (Mme Bérangère Couillard, rapporteure).

Chapitre VI
DISPOSITIONS RELATIVES AUX ARMES

Article 9 (art. 56 du code de procédure pénale) : Saisie des armes au domicile dans une enquête pour violences

La Commission est saisie de l’amendement CL135 de la rapporteure.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. L’article 9 autorise l’officier de police judiciaire à saisir les armes trouvées dans les perquisitions motivées par des faits de violences. Il soumet cependant cette prérogative aux cas de violences « susceptibles de se renouveler ».

Le présent amendement supprime cette condition qui complique l’appréciation des faits sans raison manifeste.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CL134 de la rapporteure et CL104 de Mme Sophie Auconie.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Il s’agit de supprimer la condition de confiscabilité de l’arme. L’article 56 du code de procédure pénale prévoit déjà la saisie des biens « dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du code pénal », parmi lesquels les objets « qualifiés de dangereux », « que ces biens soient ou non la propriété du condamné ».

La Commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La Commission examine l’amendement CL136 de la rapporteure.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. L’amendement permet à la juridiction répressive de condamner une personne à une peine d’emprisonnement et, en même temps, à une interdiction de détenir des armes, de paraître en certains lieux et de prendre contact avec sa victime, ou de confiscation des armes possédées.

Aujourd’hui, le juge peut soit condamner à une peine d’emprisonnement, soit prononcer des interdictions. Cette évolution présente un intérêt majeur pour la protection des victimes de violences conjugales : en plus d’une condamnation à une peine d’emprisonnement, le conjoint violent pourra être empêché de détenir une arme et de rencontrer sa victime pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois ans.

La mention de ces interdictions dans le fichier des personnes recherchées aidera les forces de l’ordre à s’assurer de leur respect.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 9 bis est ainsi rédigé.

Chapitre VII
DISPOSITIONS RELATIVES AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

Article 10 (art. 226‑1 du code pénal) : Interdiction de la géolocalisation d’une personne sans son consentement

La Commission est saisie de l’amendement CL38 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Il s’agit de compléter la notion de consentement en insérant les qualificatifs « libre et éclairé ». Dans un couple gangrené par des faits de harcèlement, le risque est grand que tout consentement ne soit pas libre du fait d’une emprise d’un partenaire sur l’autre.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Aux termes de l’article 1130 du code civil, « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement ». Il ne peut donc exister qu’un consentement libre et éclairé, sinon il n’y a pas de consentement du tout. L’amendement est satisfait.

L’amendement CL38 est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL137 de la rapporteure, CL77 de Mme Albane Gaillot, CL95 de M. Erwan Balanant, ainsi que les amendements identiques CL70 de Mme Alexandra Louis et CL94 de M. Erwan Balanant.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. L’amendement CL137 corrige une imperfection du texte en relevant l’amende réprimant le délit aggravé à 60 000 euros, de sorte qu’elle soit plus élevée que celle de 45 000 euros punissant le délit simple.

Il est également fait usage de la formulation classique de la circonstance aggravante de commission par le conjoint, dont la jurisprudence considère qu’elle est aussi applicable aux ex-conjoints et relations de la victime.

Le consentement de la personne espionnée est présumé acquis si un enregistrement de ses propos ou de son image est réalisé sans qu’elle s’y oppose. Nous précisons que cette présomption ne vaut pas pour la géolocalisation, qui relève d’une démarche unique d’installation d’un logiciel espion.

Enfin, pour un mineur, le consentement devra émaner des titulaires de l’autorité parentale. Cette mention permet aux parents d’installer un dispositif de géolocalisation, de filmer leur enfant ou de l’enregistrer sans commettre d’infraction. En exigeant l’accord des deux parents, même séparés, cette rédaction interdit qu’un auteur de violences n’installe un tel dispositif sans l’accord de l’autre parent afin de pouvoir géolocaliser sa position à travers celle de l’enfant.

Mme Albane Gaillot. Dans sa rédaction actuelle, l’article 10 prévoit une aggravation de la peine encourue pour les faits mentionnés à l’article 226-1 du code pénal. La peine initiale est d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ; la peine aggravée serait de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros.

L’amendement CL77 aggrave également l’amende encourue. Il n’est pas logique de la diminuer comme le prévoit le dispositif actuel.

M. Erwan Balanant. L’article 10 double la peine de prison encourue en cas de circonstance aggravante, mais il réduit le montant de l’amende correspondante de 45 000 euros à 30 000 euros. C’est pourquoi l’amendement CL95 tend à l’augmenter pour l’aligner sur les peines encourues pour la circonstance aggravante prévue à l’article 226-2-1 du code pénal – soit 60 000 euros.

Quant à l’amendement CL94, il prévoit de porter l’amende de 30 000 euros à 45 000 euros.

Mme Alexandra Louis. L’esprit de l’article 10 est bien de sanctionner plus sévèrement les atteintes au respect de la vie privée lorsqu’elles sont commises au sein du couple. La peine d’emprisonnement est ainsi portée à deux ans mais l’amende est fixée à 30 000 euros au lieu de 45 000 euros. L’amendement CL70, en prévoyant un montant de 45 000 euros, rétablit la cohérence du dispositif.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. L’amendement CL137 que je vous propose satisfera chacun en élevant à 60 000 euros l’amende punissant un délit aggravé. Il ne mécontentera donc que Mme Albane Gaillot, qui souhaite la porter à 75 000 euros.

Nous avons réagi face à l’incohérence que présentait le texte. C’est pourquoi je vous demanderai d’adopter mon amendement.

Mme Valérie Boyer. Je comprends l’esprit de ce texte. Aujourd’hui, il est certes interdit d’installer une application espionne, telle Spygsm, sur le téléphone de quelqu’un, mais il est très facile de se la procurer en Belgique. S’agissant des mineurs, je voudrais m’assurer qu’un parent dont l’autorité parentale a été suspendue n’a pas à donner son accord pour une telle installation.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. C’est le cas.

La Commission adopte l’amendement CL137.

En conséquence, les amendements CL77 et CL95 ainsi que les amendements identiques CL70 et CL94 tombent.

La Commission est saisie de l’amendement CL78 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. L’amendement CL78 étend aux anciens conjoints, concubins ou partenaires liés à la victime par un pacte civil de solidarité la circonstance aggravante introduite au présent article pour les atteintes à la vie privée.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Il n’est pas nécessaire de mentionner les anciens conjoints dans la circonstance aggravante. L’article 132-80 du code pénal, qui la définit, vise toute relation de couple, passée ou présente.

L’amendement CL78 est retiré.

La Commission adopte l’article 10 modifié.

Après l’article 10

La Commission examine l’amendement CL80 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Depuis quelques années, la problématique des cyberviolences conjugales a émergé dans le débat public. En 2018, le centre Hubertine Auclert a mené une recherche sur les cyberviolences conjugales auprès de victimes de violences conjugales et de professionnels qui les accompagnent. Les résultats sont sans appel : au moins neuf femmes interrogées sur dix ont vécu au moins une forme de cyberviolences.

L’analyse des textes montre que la plupart des cyberviolences conjugales correspondent à des infractions prévues par la loi. Mais peu de ces infractions prennent en compte la spécificité des relations de couple : la circonstance aggravante n’est que rarement reconnue. Ainsi, l’article 222-16 du code pénal, qui couvre une forme de cyberharcèlement en visant l’infraction de délit d’envoi réitéré de messages ou d’appels malveillants, ne prévoit-il rien contre le conjoint violent qui multiplie les SMS injurieux ou humiliants.

L’amendement CL80 crée une circonstance aggravante au délit d’envoi réitéré de messages ou d’appels malveillants lorsque ces faits sont commis par le conjoint ou l’ex-conjoint.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Pour l’envoi réitéré de messages et d’appels malveillants émanant du conjoint ou de l’ex-conjoint, nous disposons du délit de harcèlement conjugal qui fait l’objet de l’article 7 de la proposition de loi. La multiplication des messages, malveillants de surcroît, est caractéristique d’un tel comportement. Les peines encourues sont plus significatives : trois ans de prison si l’incapacité totale de travail (ITT) ne dépasse pas huit jours, cinq ans si elle est supérieure à huit jours, et, avec cette loi, jusqu’à dix ans, si la victime est poussée à attenter à sa propre vie.

Je vous suggère donc de retirer votre amendement. À défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement CL80 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL79 de Mme Albane Gaillot, qui fait l’objet du sous-amendement CL138 de la rapporteure.

Mme Albane Gaillot. Dans le même esprit, l’amendement CL79 vise à créer une circonstance aggravante au délit de violation du secret des correspondances, lorsque les faits sont commis par le conjoint ou l’ex-conjoint.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. L’amendement comble, en effet, une lacune de la proposition de loi. Si l’article 10 pénalise l’enregistrement des propos de la victime à son insu, cette incrimination ne couvre pas les télécommunications qui sont visées par un délit. C’est ce délit que l’amendement modifie.

Je vous propose d’adopter le sous-amendement CL138 afin, comme nous l’avons fait à l’article 10, d’inscrire la circonstance aggravante telle que le code pénal la prévoit et de porter l’amende aggravée à un niveau plus élevé que l’amende prévue pour le délit simple.

La Commission adopte successivement le sous-amendement CL138 et l’amendement CL79 ainsi sous-amendé.

L’article 10 bis est ainsi rédigé.

La Commission examine l’amendement CL83 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Le développement des outils numériques a permis la commercialisation de logiciels de surveillance, présentés comme des outils visant à contrôler la navigation internet des enfants, à géolocaliser les employés, à étayer une suspicion d’adultère. Leur utilisation peut cependant être détournée à des fins de cybercontrôle dans le cadre de violences au sein du couple. Selon une enquête menée en Grande-Bretagne, 29 % des femmes accueillies ont été victimes de l’utilisation de logiciels de géolocalisation et de surveillance par leur conjoint ou ex-conjoint.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dans un rapport intitulé En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes, publié en février 2017, considère qu’à défaut de pouvoir interdire les outils de cybersurveillance susceptibles d’avoir un réel intérêt social, il serait opportun d’en encadrer la vente en avertissant les acheteurs qu’une utilisation malveillante de tels logiciels constitue un délit.

Le présent amendement vise à rendre obligatoire cette mention dans les conditions générales d’utilisation de ces logiciels.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. L’amendement CL83 pourrait être applicable à un grand nombre de produits – outils de bricolage, abonnements téléphoniques, voitures. Inscrire cette obligation dans la loi n’est donc pas nécessairement utile, même si certains fabricants l’ajouteront peut-être pour se protéger d’une éventuelle plainte.

Mme Albane Gaillot. Malgré ces explications, dont je comprends la logique, je maintiens l’amendement CL83 qui enverrait un signal fort aux éditeurs de tels logiciels.

Mme Valérie Boyer. Je comprends les motifs qui animent Mme Albane Gaillot. Ces logiciels espions indétectables, qui s’installent en trois minutes sur les téléphones et que l’on peut acheter en Belgique, sont déjà interdits à la vente en France. Les seules preuves qui peuvent être recueillies sont les SMS et les courriers électroniques envoyés par la personne qui espionne, une fois ses appareils saisis. Il ne paraît pas opportun de répéter cette interdiction déjà présente dans nos lois, d’autant que de tels logiciels permettent également de suivre un employeur ou un salarié. Peut-être faudrait-il, en revanche, agir au niveau européen ?

Mme Laetitia Avia. En ciblant un certain type d’appareils, nous devons être attentifs à ne pas créer des obligations ou, a contrario, des exemptions de responsabilité pour d’autres objets qui ne sont pas ciblés. Méfions-nous des effets de bord des dispositions que nous adoptons ; ils peuvent être considérables !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL82 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Les cyberviolences conjugales peuvent se traduire par le fait de confisquer le téléphone, l’ordinateur ou la tablette d’un conjoint, pour l’isoler. Or, l’article 311-15 du code pénal instaure une immunité familiale : un vol commis par une personne ne peut donner lieu à des poursuites pénales « au préjudice de son conjoint, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément ».

L’amendement CL82 tend à supprimer cet alinéa afin de mettre un terme à l’immunité familiale et de faciliter ainsi les poursuites judiciaires pour cyberviolences.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. La portée de l’amendement dépasse de beaucoup son objectif. Sauf séparation de corps, il n’y a aucun vol entre époux car ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie et à une solidarité devant les charges du ménage.

La loi prévoit déjà une protection pour les victimes de violences au sein du couple en précisant que cette exception ne vaut pas pour les moyens de paiement et les documents d’identité, dont la confiscation a pour effet d’isoler la victime et de l’empêcher de vivre en société. Il n’en va pas de même des moyens électroniques, qui n’ont rien d’officiel ni d’unique. Une fois de plus, les comportements que vous décrivez semblent déjà sanctionnés efficacement par d’autres infractions, notamment le harcèlement de conjoint.

M. Erwan Balanant. Une personne qui vole les codes de la messagerie de son conjoint dispose d’une forte capacité de nuisance. On peut se demander si l’article 311-1 du code pénal, qui définit le vol, s’applique alors. Ce sujet mériterait d’être approfondi en séance publique.

Mme Laetitia Avia. Ces dispositions, assez anciennes dans notre droit, font l’objet d’une jurisprudence étayée qui permet d’en définir les contours. Elles visent à protéger les époux dans le cadre du régime matrimonial. Certes, la proposition de loi tente de combler le plus de lacunes possible, mais il ne faut pas considérer le droit existant à travers ce seul prisme.

Ces dispositions d’ordre général rappellent que le mariage consiste en une communauté de vie. Si l’on supprime cet alinéa, on s’expose à ce qu’une personne qui garde un seul bien payé par son époux soit considérée comme une voleuse. J’en appelle donc, encore une fois, à la prudence.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Dans son exemple, M. Erwan Balanant évoquait, non pas un vol, mais une violation du secret de la correspondance, délit pour lequel nous venons d’adopter un amendement aggravant la peine d’emprisonnement à deux ans lorsque le conjoint est responsable. Des vols pourraient être caractérisés au sein d’un couple, mais dans d’autres cas de figure.

M. Erwan Balanant. Je peux me tromper mais il me semble que le secret de la correspondance est violé, non pas quand on consulte des mails, mais lorsqu’on les diffuse.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Il est violé dans les deux cas.

M. Erwan Balanant. Dont acte.

Mme Albane Gaillot. Je retire l’amendement, dont la portée dépasse en effet le cadre de la proposition de loi. J’ai entendu les arguments de Mme Laetitia Avia. L’accès à la correspondance et la protection de l’identité numérique sont d’autres sujets sur lesquels nous avons déjà adopté un amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL81 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. L’amendement CL81 crée une circonstance aggravante aux délits d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données, lorsque ces faits sont commis par le conjoint ou l’ex-conjoint.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Demande de retrait, sinon avis défavorable. Les peines qui répriment les accès frauduleux à un traitement de données – trois à cinq ans de prison – sont suffisamment lourdes et dissuasives.

Mme Albane Gaillot. Je retire l’amendement. L’ensemble de mes propositions montre cependant qu’il existe un manque de connaissances et d’informations des femmes et des hommes sur le cyberharcèlement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL86 de M. Philippe Chalumeau.

M. Rémy Rebeyrotte. L’amendement est défendu.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Sophie Auconie. Une personne qui n’a pas vécu la violence conjugale et ce qui s’y rattache ne peut mesurer l’importance que revêtent les outils de préservation des données numériques, notamment dans le cadre d’une procédure judiciaire. Nous devons examiner avec beaucoup d’attention cette proposition de plateforme sur laquelle la victime pourrait déposer, de façon confidentielle, l’ensemble des documents dont elle a besoin. Cette suggestion est régulièrement faite au cours des auditions.

Je n’ai pas cosigné l’amendement de M. Philippe Chalumeau mais je l’approuve en ce qu’il propose un vrai moyen d’aider la victime à préserver ses données, ce qu’elle ne peut pas forcément faire lorsqu’elle est chez elle.

Mme Valérie Boyer. Je partage cette appréciation de Mme Sophie Auconie. Plusieurs juges considèrent un tel dispositif comme indispensable. Il est, du reste, régulièrement demandé et conseillé aux personnes qui subissent des violences. La difficulté est de préserver les données dans des endroits suffisamment secrets pour que le conjoint ne puisse y accéder, ni s’en servir contre la victime.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’objectif de cet amendement est louable mais je vois mal comment un tel coffre-fort numérique serait mis en place, cette disposition n’ayant fait l’objet d’aucune discussion avec les différents ministères concernés.

En outre, je suis étonné que l’amendement n’ait pas été jugé irrecevable car il tend à créer une charge publique.

Nous voterons donc contre cet amendement en l’état.

M. Dimitri Houbron. L’objectif visé est tout à fait louable. Cependant, soit cette proposition relève de l’incantation et elle n’a alors pas sa place dans un texte de loi, soit elle est irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution comme vient de le souligner notre collègue Guillaume Gouffier-Cha.

De nombreuses expérimentations sont en cours pour développer les coffres-forts numériques car cet outil sera à l’avenir indispensable pour bon nombre de victimes de violences conjugales. Pour accélérer sa mise en place, il me semble que nous devons agir dans nos territoires, en développant des conventions, en nous appuyant sur des expérimentations, plutôt qu’inscrire une disposition dans la loi sans en maîtriser ni l’aspect budgétaire ni la déclinaison réglementaire.

M. Erwan Balanant. Pendant que nous discutions, j’ai trouvé un élément de réponse à notre débat : La Poste, qui a une mission de service public, propose un coffre-fort numérique gratuit pour 5 gigaoctets de données, ce qui est une capacité importante pour stocker des documents. Il n’est pas nécessaire d’avoir un compte à La Banque postale pour bénéficier de cette offre. Mon intention n’est pas de faire ici la publicité de ce produit, mais il me semble qu’il répond en partie à nos préoccupations et que les associations pourraient utilement communiquer sur cet outil existant.

Mme Valérie Boyer. Ce serait plutôt aux ministères compétents de le faire !

Mme Laetitia Avia. Nous sommes tous d’accord sur l’objectif poursuivi, à savoir protéger au mieux les données des victimes, mais les dispositions que nous édictons ne doivent pas être purement incantatoires. Il faut préciser qui conserve les données, pour quelles personnes, pour quelle durée et à quelle fin. Je vous rappelle que, s’agissant de la conservation des données personnelles, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a édicté un certain nombre de règles. Or, la rédaction proposée ne permet pas de déterminer si nous nous y conformerions.

Je suis donc très réservée sur l’opportunité de cet amendement en l’absence d’un encadrement strict qui suive les préconisations de la CNIL.

Mme Albane Gaillot. L’idée est bonne et elle répond à un vrai problème. Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, j’ai rencontré des femmes, des associations, qui ont notamment évoqué le dispositif du téléphone grave danger. Lorsque les femmes quittent le domicile conjugal, qu’elles laissent sur place leur téléphone comme on le leur conseille, elles n’ont alors plus rien et elles se retrouvent doublement victimes.

Reste que je ne saurais dire s’il faut inscrire ce dispositif dans la loi en l’état.

M. Rémy Rebeyrotte. Quand j’ai cosigné cet amendement de M. Philippe Chalumeau, j’ai été séduit parce qu’il me semblait répondre à une vraie demande des victimes. Néanmoins, nous considérions plutôt qu’il s’agissait d’un amendement d’appel car son champ dépasse largement celui du texte. Le problème traité est plus généralement celui de la sécurité des données personnelles auxquelles il faut pouvoir continuer d’avoir accès, non seulement dans le cas particulier des violences faites aux femmes, mais aussi dans de nombreuses autres situations où cela pourrait s’avérer utile, par exemple lors d’un cambriolage.

Je vous propose donc de prendre la responsabilité du retrait de cet amendement. Le débat étant très constructif, il serait regrettable que, du fait de l’avis défavorable reçu, il soit simplement rejeté alors que nous pourrions retravailler sa rédaction. Je proposerai à M. Philippe Chalumeau de prendre attache avec la rapporteure à cette fin, quitte à ce qu’il soit repris dans un autre cadre.

Mme Sophie Auconie. J’entends bien les objections de mes collègues mais il me semble qu’il faut traiter ce problème avec beaucoup d’attention. Comme le fait très justement remarquer Mme Albane Gaillot, les femmes victimes de violences conjugales sont souvent contraintes de quitter leur domicile dans l’urgence et de tout laisser derrière elles. Il faut absolument leur permettre d’accéder au moins à un certain nombre de documents et d’informations.

Il faut, bien sûr, préciser le cadre juridique d’un tel outil. Mais les solutions existent, puisque nous avons nous-mêmes à notre disposition une plateforme, eDocPerso, consultable de n’importe quel ordinateur ou téléphone portable.

Cela n’est donc pas un élément de détail. Il faut pouvoir mettre en place de tels outils. Je déposerai un amendement en ce sens en séance publique.

L’amendement CL86 est retiré.

Chapitre VIII
DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROTECTION DES MINEURS

Article 11 (art. 227‑24 du code pénal) : Protection des mineurs contre les messages pornographiques

La Commission examine l’amendement CL91 de Mme Bénédicte Pételle.

Mme Bénédicte Pételle. On estime que près de 60 % des mineurs ont déjà eu accès à la pornographie, et ce, dès l’âge de 10 ou 11 ans. Une étude conjointe de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) et de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), réalisée en 2017, a montré que la consultation de sites pornographiques par des mineurs augmente : 51 % des 15-17 ans ont déjà surfé sur un site de ce type en 2017 contre 37 % en 2013. Ce premier accès intervient à un âge de plus en plus précoce. Plus d’un mineur sur deux – 55 % – considère qu’il était trop jeune lors de sa première exposition. Près d’un mineur sur deux – 45 % – estime que les vidéos pornographiques ont participé à son apprentissage de la sexualité. La brutalité et la violence associées à ces images sont ainsi reproduites par les jeunes dans leur relation de couple. Les violences conjugales sont donc constatées à un âge plus précoce.

L’article 11 vise à lutter contre ce phénomène en renforçant la responsabilité des opérateurs économiques sur l’accès des mineurs aux contenus pornographiques sur internet. Mais il faut également agir en amont en accompagnant cette mesure d’actions de sensibilisation des mineurs et de leurs parents, afin de les informer sur les risques liés à cette exposition précoce et sur les moyens de la prévenir.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Je suis extrêmement sensible au phénomène qui a motivé le dépôt de votre amendement et, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, je souhaite vraiment avancer sur ce sujet. Toutefois, l’article 11 modifie des dispositions du code pénal et vous proposez ici une campagne de sensibilisation, ce qui ne relève pas du domaine de la loi. C’est pourquoi j’émettrai un avis défavorable, en dépit du fait que je partage votre objectif.

Il est nécessaire d’agir en la matière. Vingt millions de Français consultent chaque mois des sites pornographiques, soit près d’un Français sur trois. Les mineurs sont évidemment concernés et les chiffres rappelés sont clairement inquiétants. Nous avons, pour notre part, été sensibilisés au sujet.

J’aimerais éclaircir la raison pour laquelle il est question d’accès aux contenus pornographiques dans cette proposition de loi, car ce n’est sans doute pas évident pour tout le monde. Parmi nos différents interlocuteurs sur le sujet des violences au sein du couple, beaucoup ont fait part de changements de comportement chez les jeunes d’une quinzaine d’années : ces derniers ont des relations de plus en plus violentes avec leur première petite copine ou premier petit copain, à la fois par leurs gestes et sur le plan sexuel. L’accès à un contenu pornographique en deux clics serait à l’origine de ce problème.

Afin de lutter contre ce phénomène, l’article 11 prévoit que le seul fait de déclarer un âge supérieur à 18 ans ne doit pas suffire pour accéder librement à des contenus pornographiques. Cette mesure a été annoncée très solennellement par le Président de la République il y a maintenant un mois et demi.

Pour agir sur ce sujet, j’entends mener des auditions complémentaires, notamment pour trouver les moyens de contraindre à la fermeture les sites qui ne respecteraient pas les nouvelles conditions. Je pense en particulier aux trois conglomérats qui réalisent la quasi-totalité des vues sur internet et qui proposent des vidéos gratuites. Ces fournisseurs sont évidemment domiciliés dans des paradis fiscaux et il est très difficile de les contraindre à se mettre autour de la table.

Pour décider de l’action à mener, donc, j’ai besoin d’éléments complémentaires. J’espère que le travail aboutira avant l’examen en séance publique. La sensibilisation des mineurs et de leurs parents est sans doute un moyen. Mais ne soyons pas naïfs : il sera insuffisant et d’autres dispositions plus musclées doivent être prises au niveau législatif.

Mme Bénédicte Pételle. Bien sûr !

M. Erwan Balanant. Le sujet est important. Je remercie la rapporteure d’avoir précisé les raisons de sa présence dans le texte, car je m’interrogeais en effet sur ce point.

Vous avez mené plusieurs auditions sur cette question. Je l’ai moi-même instruite par d’autres rencontres dans le cadre de la mission interministérielle dont j’ai été chargé sur la lutte contre le harcèlement scolaire : il n’existe pour l’instant aucune solution technique satisfaisante, celles qui sont appliquées ne fonctionnent pas parfaitement.

Le Gouvernement et les députés doivent se saisir de ce problème de protection des mineurs contre les messages pornographiques. Il ne s’agit évidemment pas d’interdire la pornographie, car entre adultes consentants cette activité est légale, mais de protéger les mineurs contre certaines pratiques susceptibles de dénaturer leur rapport à leur corps.

Dans les cas de harcèlement scolaire, on assiste à des faits dramatiques relevant de ce qu’on appelle le revenge porn : on met en ligne une vidéo ou une photo faite initialement avec le consentement du jeune concerné, un acte qui peut mener celui-ci au suicide.

Nous pouvons donc continuer à discuter de ce problème, mais je doute que nous puissions aboutir pour l’examen en séance publique. L’enjeu mériterait un texte dédié, complet, sous la forme d’une proposition de loi transpartisane ou d’un projet de loi.

Mme Valérie Boyer. Tout le monde ici, je pense, ressent la même indignation, le même écœurement face aux images pornographiques. Dans le cadre du groupe d’étude sur les violences intrafamiliales dont j’assure la présidence, j’ai rencontré plusieurs auteurs, notamment le journaliste collaborateur de Libération qui a publié, il y a un peu plus d’un an, un ouvrage sur les conditions de travail abominables et indignes des actrices pornographiques et sur leur exploitation. Ce livre, qui reprenait dans son titre le prénom de trois actrices, avait alors beaucoup fait parler de lui. Il y aurait énormément à dire sur le sujet, et je serais sans doute plus sévère que M. Erwan Balanant : même entre adultes, certaines pratiques sont intolérables.

Quant à l’exposition des enfants aux images pornographiques, effectivement, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher. Il ne faut d’ailleurs pas se limiter à la pornographie : les images violentes, celles qui incitent à se mettre en danger et toutes celles qui relèvent du harcèlement doivent faire l’objet d’une réflexion d’ensemble.

Je reste toutefois dubitative sur l’opportunité d’inscrire des dispositions ayant trait à la pornographie dans un texte sur les violences conjugales. Je ne comprends pas, au contraire, pourquoi certains de mes amendements, pourtant directement en lien avec l’objet du texte, ont été refusés. La pornographie devrait faire l’objet d’un traitement plus approfondi, car nous voyons bien à quel point nous sommes démunis en l’état actuel du droit.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 11 sans modification.

Après l’article 11

La Commission est saisie de l’amendement CL109 de M. Guillaume GouffierCha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Ces dispositions complètent le chapitre de la proposition de loi qui renforce l’efficacité du délit de diffusion de messages pornographiques susceptibles d’être vus par des mineurs, spécialement pour ce qui concerne les sites internet. Elles permettent de pénaliser une pratique ayant cours en ligne, plus précisément sur le darknet, qui consiste, pour des Français demeurant sur le territoire national, à obtenir des vidéos de crimes, notamment d’abus sexuels sur des mineurs, tournées dans un pays étranger.

Sera ainsi incriminé le fait de faire réaliser, y compris hors du territoire national et par des auteurs étrangers, des crimes d’assassinat et empoisonnement, de torture, de viol, et le délit d’agression sexuelle, même s’ils n’ont été finalement ni commis ni tentés.

Les règles de compétence de la loi française dans l’espace sont également modifiées pour permettre de juger en France les complices d’infractions commises à l’étranger, quand on n’a pas la preuve que l’auteur a été condamné à l’étranger pour celles-ci. Plusieurs affaires de cet ordre sont en cours d’instruction. Par cet amendement, nous introduisons dans la loi les fondements juridiques permettant de punir notamment le « viol à distance ».

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Il est vraiment difficile d’assurer la régulation du darknet où les pires contenus sont diffusés. Je donne un avis favorable à cet amendement.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL4 de Mme Valérie Boyer et CL123 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Valérie Boyer. Je vous propose de reconnaître le statut de l’enfant victime en cas de violences conjugales. Il s’agit de mieux prendre en compte, sur le plan pénal, la situation des enfants qui assistent aux violences commises par l’un des parents sur l’autre. Il me semble de nature à remplir les objectifs visés par des propositions présentées ce matin par mes collègues Laurence Vichnievsky et Florence Provendier. Il permet également de résoudre le conflit de loyauté dans lequel est pris l’enfant, victime directe ou collatérale des violences entre ses deux parents.

En l’état actuel du droit, l’enfant ne peut pas toujours être reconnu victime alors qu’il est dans les faits un témoin involontaire et impuissant. Cette situation peut avoir de lourdes conséquences pour lui sur le plan psychologique. Il est grand temps de prendre en compte l’incidence de ces violences sur l’enfant, dont le statut de victime a été trop longtemps ignoré. Je vous propose aujourd’hui de le replacer au centre de nos préoccupations.

Pour Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique, « le fait d’avoir une figure d’attachement, de bien-être et de protection tuée par une autre figure censée être elle aussi une figure de protection, est parmi les situations les plus traumatisantes pour un enfant. Pour les violences conjugales, on constate que 60 % des enfants présentent des troubles de stress post-traumatiques. C’est 10 à 17 fois plus de troubles comportementaux et anxio-dépressifs que pour la population enfantine en général. Et en cas de féminicide, le taux atteint 100 % ». Une collègue évoquait tout à l’heure, selon la même logique, les violences contre les enfants in utero et leurs conséquences.

La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes reconnaît que le fait qu’un enfant assiste aux violences au sein du couple constitue une circonstance aggravante, ce qu’il faut saluer.

Tous les jours ou presque, des conjoints violents se servent ainsi des enfants comme d’objets transactionnels leur permettant de maintenir une emprise perverse sur leur partenaire. Ce sont près de 143 000 enfants qui vivent dans un foyer violent. Tous les jours ou presque, ils assistent, impuissants, à des scènes de violences physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques. Nous devons donc leur conférer un véritable statut de victime.

À cette fin, je vous propose de créer une infraction autonome consistant, pour le parent violent, à exposer son enfant aux violences qu’il commet sur l’autre parent. La peine encourue serait identique à celle prévue en matière de mise en péril de mineur lorsqu’un parent se soustrait à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de l’enfant.

Je le répète, il ne faut pas oublier de protéger les enfants. Cette infraction constitue également un moyen efficace de protéger le parent victime en évitant qu’il soit en contact avec l’auteur des faits, qu’il subisse l’emprise ou le chantage exercé par celui-ci au moyen de l’enfant.

M. Rémy Rebeyrotte. L’amendement CL123 est défendu.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Je suis convaincue que les mineurs qui assistent à des scènes de violence conjugale en sont profondément affectés dans leur développement affectif et psychique. Ils sont d’ailleurs considérés comme victimes collatérales des actes délictueux et, dans le cadre d’une procédure civile, peuvent à ce titre solliciter une indemnisation pour le préjudice qu’ils ont subi.

L’amendement CL4 pose cependant un vrai problème sur le plan juridique. Vous l’avez rappelé, madame Boyer, depuis l’adoption par le Parlement de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le fait de commettre des violences conjugales sous le regard d’un mineur constitue une circonstance aggravante. Or, le Conseil constitutionnel nous fait défense de retenir deux fois un même fait pour des qualifications différentes ; il ne peut constituer simultanément un délit autonome et une circonstance aggravante. Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement.

Pour les mêmes raisons, l’avis est défavorable sur l’amendement CL123.

Mme Laurence Vichnievsky. Je souhaiterais faire valoir trois arguments de nature juridique.

Le droit français méconnaît la notion de co-victime. Il faut donc être très prudent et maintenir le lien direct entre la victime et l’auteur de l’infraction au lieu d’ouvrir la boîte de Pandore. Une telle proposition pourrait bien être ensuite étendue à tout type d’infraction.

Parce que les enfants subissent ou peuvent subir un traumatisme très fort, on peut être tenté par l’idée de créer un délit autonome. Le fait constitue, depuis la loi du 3 août 2018, une circonstance aggravante. Mais ce texte peut être modifié. Cela ne nous empêche pas de réfléchir à une qualification autonome à l’avenir.

Une telle disposition nécessite une réflexion plus poussée, une étude d’impact. Elle ne saurait être introduite dans notre droit par un simple amendement. Sur le principe, l’idée d’un préjudice spécifique subi par le mineur exposé aux violences conjugales est à retenir.

Mme Alexandra Louis. Nous partageons tous l’objectif de mieux protéger les mineurs, qui ont toujours été tenus à l’écart des procédures relatives aux violences conjugales comme s’ils n’en subissaient pas les conséquences.

Au moment de la discussion de la loi promulguée le 3 août 2018, j’avais présenté, soutenue par de nombreux collègues, une disposition visant à faire de la présence de l’enfant en cas de violences commises une circonstance aggravante, afin que l’enfant témoin puisse être considéré comme victime. Ce premier pas n’allait pas de soi : c’était un grand progrès et il faut le souligner.

Si le présent amendement est séduisant par son ambition et son objectif, j’émettrai néanmoins plusieurs réserves à son endroit.

La première est d’ordre juridique. Comme l’a indiqué la rapporteure, la disposition proposée n’est pas conforme à la Constitution. En particulier, elle méconnaît les principes de légalité criminelle, de nécessité des peines et de non-cumul des qualifications pénales pour un fait unique. En votant l’un ou l’autre amendement, nous introduirions dans le texte une disposition inconstitutionnelle. Ce n’est pas souhaitable.

J’ai également des remarques d’ordre rédactionnel. La proposition de Mme Valérie Boyer me paraît restrictive car elle ne vise que la personne ayant autorité sur le mineur. Quant à l’autre disposition proposée, elle est assez floue s’agissant du quantum de peine retenu.

Un argument d’ordre pratique ajoute à ma réserve. Mieux protéger les mineurs, c’est mieux les accompagner sur les plans psychologique, social et parfois éducatif. C’est la raison pour laquelle les auteurs de ces amendements, dont je ne remets en cause ni la sincérité ni la conviction, sont dans l’erreur. Mener des mineurs à faire des déclarations sur un parent ou un beau-parent devant la police, puis devant une juridiction, ne contribue pas à mieux les protéger. Cela revient, au contraire, à les placer au cœur du conflit de loyauté, donc à les exposer davantage.

J’ai eu l’occasion, dans l’exercice de ma profession, d’accompagner des mineurs victimes de violences. En dépit des dispositifs d’accompagnement, se présenter devant une juridiction, témoigner, décrire les faits est très lourd pour eux. Je considère que c’est la double peine. Si de telles procédures peuvent parfois aider les adultes, c’est beaucoup moins vrai pour les enfants qui me paraissent plutôt devoir être mis à l’abri.

L’enjeu, à mon sens, est d’améliorer l’accompagnement des enfants, qui est aujourd’hui insuffisant et sur lequel un travail reste à faire.

Quant à la circonstance aggravante, elle donne des résultats. Elle permet notamment de sensibiliser l’auteur des violences en lui exposant, en salle d’audience, que sa peine est aggravée parce qu’il a commis les faits en présence d’un mineur et qu’il est donc responsable du préjudice qu’il a pu lui faire subir. Le sens de la peine, c’est aussi d’avoir une vertu pédagogique tant pour l’auteur des faits que pour la victime et, plus largement, la société.

Je serai certainement chargée de l’évaluation de l’application de la loi du 3 août 2018. Je m’engage à travailler dans ce cadre sur l’efficacité de la circonstance aggravante. Je serai très heureuse d’en discuter avec les collègues impliqués sur le sujet.

Mme Laetitia Avia. Je souscris à tous les arguments de notre collègue Alexandra Louis. Comme elle l’a justement fait remarquer, la rédaction proposée par Mme Valérie Boyer ne vise que la personne ayant autorité sur un mineur, ce qui exclut les cas où le conjoint violent n’a pas autorité sur l’enfant.

Un autre élément m’interpelle : la caractérisation même du délit repose sur le mineur, puisqu’il s’agit du fait de faire ou de laisser assister le mineur à des violences. En pratique, en vertu de la présomption d’innocence, il faut apporter la preuve de tout délit. Et en droit pénal, la légalité n’est pas interprétative : elle est stricte. En d’autres termes, dans sa rédaction actuelle, cette disposition requiert du mineur qu’il déclare qu’on l’a laissé assister à un acte violent pour que le délit soit caractérisé. Le mineur n’est plus simplement au cœur du conflit de loyauté : il doit incriminer le conjoint violent. Or, dans ces situations, compte tenu du contexte, il dira sans doute plutôt que c’est lui qui a regardé ou qu’il s’est caché pour ne pas être vu.

Par conséquent, si je souscris pleinement à l’objectif de ces propositions, leur rédaction me paraît avoir une portée contre-productive.

Mme Valérie Boyer. Nous ne sommes pas au Conseil constitutionnel et je ne crois pas, chers collègues, que vous déteniez la clef de ses avis. Cela me rappelle la discussion que nous avions eue dans cette même salle lorsque j’avais présenté une disposition relative à l’autorité parentale : anticonstitutionnelle, donc impossible, m’avait-on dit pour, quelques semaines plus tard, la réintroduire dans le débat – ce dont je me réjouis !

Le présent amendement a été rédigé avec des juristes – et non des moindres –, et notamment avec des juges aux affaires familiales ainsi qu’avec le centre Hubertine Auclert. Je souhaite, d’une part, que l’on remplace le dispositif de la circonstance aggravante par celui-ci, et, d’autre part, que l’on considère l’enfant comme une victime à part entière, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Je le répète, protéger les enfants, c’est aussi protéger la mère.

On ne peut pas continuer comme cela. Si l’on doit encore me dire que cela ne marche pas ici pour faire défendre cette disposition par quelqu’un d’autre dans un autre texte, j’estime que ce n’est pas du travail correct et qu’une telle attitude ne fait pas honneur au débat parlementaire. Il faut vraiment avancer sur cette question à laquelle je travaille depuis 2010. La rédaction de cet amendement peut être revue. Il n’empêche qu’elle a été mise au point avec des constitutionnalistes et des juges.

Il s’agit d’un débat dont on ne peut s’exonérer aujourd’hui en attendant simplement le bilan de la création, tout à fait louable, d’une circonstance aggravante. On peut aller beaucoup plus loin pour la protection des enfants. J’en avais d’ailleurs parlé également avec M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance.

En tout cas, épargnez-moi les arguments d’inconstitutionnalité avancés le mercredi pour voter la même disposition le vendredi ! Soyons plus matures ! Nous sommes ici pour faire la loi, pas pour avancer et reculer comme cela a été fait s’agissant de l’autorité parentale. La protection contre les violences conjugales concerne aussi bien les enfants que leurs parents. Il est temps de donner aux premiers un statut particulier dans ce cadre.

M. Rémy Rebeyrotte. Nous nous proposons, ma collègue Florence Provendier et moi-même, de retirer l’amendement CL123, pensant qu’il serait bon de laisser la possibilité à notre collègue Marie Tamarelle-Verhaeghe, qui en est la principale rédactrice, de reprendre contact avec la rapporteure afin de recueillir tous les éléments d’explication et de les intégrer dans un autre débat.

L’amendement CL123 est retiré.

Mme Valérie Boyer. Je remarque que Mme Tamarelle-Verhaeghe formule exactement la même proposition que moi : même si sa rédaction diffère, l’esprit est le même. Il en allait pareillement s’agissant de l’autorité parentale.

La Commission rejette l’amendement CL4.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL120 Mme Florence Provendier.

Mme Florence Provendier. L’enfant qui assiste à des scènes de violence conjugale en ressent les effets sur sa santé ainsi que sur son développement : anxiété, syndrome de stress post-traumatique, perte d’estime de soi et construction identitaire fondée sur des convictions stéréotypées concernant les femmes et les hommes. Le risque est également fort, et se transforme souvent en réalité, de le voir reproduire des comportements violents. C’est pourquoi il est impératif qu’il soit accompagné et écouté afin qu’il puisse se reconstruire et se soigner.

La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique du 11 mai 2011, dite convention d’Istanbul, érige des standards minimums en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuite des auteurs. Elle est entrée en vigueur en France le 1er novembre 2014 et elle nous engage, au titre de son article 26, à prendre toutes les mesures pour protéger les enfants témoins de violences. Le second alinéa du même article précise que « les mesures prises […] incluent les conseils psychosociaux adaptés à l’âge des enfants témoins de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention et tiennent dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. » Aussi l’amendement propose-t-il que le Gouvernement remette au Parlement, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, un rapport sur la mise en œuvre des mesures d’accompagnement pédopsychiatrique et social des enfants exposés aux violences conjugales.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Quelle que soit ma sensibilité au sujet évoqué, vous savez que la commission des Lois s’attache à ne pas adopter d’amendement demandant des rapports au Gouvernement et à exercer elle-même les missions de contrôle de l’action publique. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement CL120 est retiré.

Chapitre IX
DISPOSITIONS RELATIVES À L’AIDE JURIDICTIONNELLE

Article 12 (art. 20 de la loi n° 91‑647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Modalités d’attribution de l’aide juridictionnelle provisoire

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL126 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 12 modifié.

Après l’article 12

La Commission est saisie de l’amendement CL5 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Les nombreuses auditions menées dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales ont révélé l’insuffisante prise en considération par la police et par la gendarmerie des mains courantes. Beaucoup d’entre elles restent lettre morte, de même que des plaintes déposées par les victimes de violences. Aussi m’est-il apparu primordial de rechercher des solutions pérennes en vue d’améliorer l’inscription, l’enregistrement et le partage par les commissariats des plaintes et des mains courantes déposées contre les auteurs de violences conjugales, afin que ceux-ci soient plus rapidement et plus efficacement condamnés. Un fichier similaire au fichier informatisé judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) permettrait d’améliorer la prise en charge des victimes et le traitement des mains courantes et des plaintes. Parallèlement, le statut de la main courante doit évoluer afin de doter celle-ci d’une véritable valeur juridique.

L’ambition est de prévenir le renouvellement des violences conjugales et de faciliter l’identification des auteurs. Les auditions ont montré que, bien souvent, lorsqu’une femme porte plainte ou dépose une main courante contre un auteur de violences conjugales, une autre plainte ou une autre main courante a déjà été déposée dans un autre commissariat contre la même personne. C’est la raison pour laquelle nous devons faire la lumière sur ces situations problématiques que de nombreuses associations relaient en déplorant de fréquents classements prématurés.

Cette situation s’avère catastrophique tant sur le plan psychologique que juridique pour les personnes qui ont franchi le pas en déposant une plainte contre leur conjoint violent. Les témoignages de ces victimes, qui se sentent trahies et abandonnées par les pouvoirs publics, sont insupportables. Aucune victime ne doit être ignorée lorsqu’elle appelle à l’aide !

C’est pourquoi, dans le respect de la séparation des pouvoirs et du principe d’opportunité des poursuites, je préconise de demander au Gouvernement la remise d’un rapport annuel au Parlement permettant d’analyser, dans chaque juridiction, le nombre de poursuites engagées par le parquet par rapport aux plaintes déposées dans ce genre d’affaires. Un tel rapport nous permettrait de disposer d’une vision d’ensemble cohérente des poursuites entreprises au sein de chacune des nombreuses juridictions.

Mme Bérangère Couillard, rapporteure. Je fais la même réponse que sur l’amendement précédent : la Commission a pour habitude de refuser toute demande de rapport. Je respecte donc cette règle.

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, dont vous êtes, chère collègue, vice-présidente, et qui dépose régulièrement des rapports sur différents sujets, pourrait constituer une autre solution pour aborder le sujet.

Mme Valérie Boyer. Je ne comprends pas. À maintes reprises au cours des auditions, il nous a été indiqué qu’il y a un problème de différenciation du traitement des dépôts de plainte et des mains courantes d’une juridiction à l’autre, d’un commissariat à l’autre. Certaines juridictions disposent, par exemple, de trois téléphones grave danger quand d’autres sont mieux dotées ; dans certaines autres, le procureur de la République prend parfois les plaintes en charge. La situation varie. Si l’on veut faire des violences conjugales une grande cause nationale, si l’on veut qu’elles soient traitées de façon égalitaire et envoyer un message, la moindre des choses serait de disposer d’un tableau précis du suivi des plaintes et des poursuites engagées par les procureurs. C’est bien le moins pour savoir comment elles sont traitées sur le territoire.

J’ajoute que cette demande a été faite par les services de police et par certains juges. Cela permettrait de savoir pourquoi davantage de plaintes sont déposées à un endroit par rapport à un autre alors même que l’on sait que les violences conjugales existent partout.

S’il est effectivement intéressant de traiter cette question au sein de la délégation aux Droits des femmes, ce n’est pas suffisant. D’une part, il faut donner le signal que l’on va suivre de près l’adéquation entre le nombre de plaintes déposées et les poursuites engagées. Nous devons comprendre pourquoi certains dépôts de plainte ne sont pas suivis d’effet. D’autre part, les violences conjugales ne touchent pas seulement les femmes, même si elles en sont les premières et les plus nombreuses victimes.

Tous les juges auditionnés ont soulevé une difficulté, liée à la formation, pour les juridictions de s’engager sur le terrain des poursuites en matière de violences conjugales. Et vous pensez que cette demande de rapport ne relève pas de la loi ? Je pense qu’il incombe au Parlement de contrôler la mise en œuvre de ce que nous instituons.

La Commission rejette l’amendement.

Chapitre X
DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER

Article 13 (art. 804 du code de procédure pénale et art. 711‑1 du code pénal) : Application outre-mer

La Commission adopte l’article 13 sans modification.

Chapitre XI
DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPENSATION DE LA CHARGE POUR L’ÉTAT

La Commission adopte l’amendement CL141 du Gouvernement portant suppression de l’intitulé du chapitre XI.

En conséquence, l’intitulé du chapitre XI est supprimé.

Article 14 : Gage financier

La Commission adopte l’amendement de suppression CL140 du Gouvernement.

En conséquence, l’article 14 est supprimé.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Madame la présidente Yaël Braun-Pivet. La proposition de loi sera examinée en séance publique le mardi 28 janvier 2020.

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*     *

La Commission examine le projet de loi organique, adopté par le Sénat, modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (n° 2535) et le projet de loi, adopté par le Sénat, modifiant la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (n° 2536) (M. Christophe Euzet, rapporteur).

Madame la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous en venons à l’examen du projet de loi organique modifiant la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et du projet de loi modifiant la loi ordinaire également du 23 juillet 2010 et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet. Ces deux textes, adoptés en première lecture par le Sénat, ont pour rapporteur M. Christophe Euzet.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Les deux projets de loi, l’un organique, l’autre ordinaire, que je qualifierais de texte de coordination, ont été adoptés par le Sénat, sous réserve de quelques amendements. Ils ont pour principal objet d’actualiser la liste des fonctions soumises à la procédure de nomination prévue à l’article 13, alinéa 5 de la Constitution, figurant en annexe de la loi organique du 23 juillet 2010.

Pour mémoire, cet article soumet à l’avis des commissions parlementaires compétentes les nominations à certains emplois publics par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».

Actuellement, cinquante-deux fonctions figurent en annexe de la loi organique précitée. Depuis la révision constitutionnelle de 2008 qui introduit cette procédure, la liste des fonctions concernées s’est progressivement étoffée, ce qui constitue, de mon point de vue, un signe de bonne santé démocratique : le contrôle parlementaire sur les nominations par l’exécutif progresse et garantit l’indépendance et la compétence des personnalités désignées dans des domaines de plus en plus étendus. Cette évolution, qui ne peut être perçue que de manière positive, a eu lieu sous le contrôle vigilant du Conseil constitutionnel, qui n’a sanctionné, à ce jour, que la soumission à cette procédure de la présidence de l’Institut national de l’audiovisuel, en 2013.

Je rappelle, par ailleurs, que l’exécutif doit se conformer à l’avis des commissions qui, à l’issue d’un dépouillement commun, peuvent, à la majorité des trois cinquièmes, s’opposer à la nomination envisagée.

Le projet de loi organique que nous examinons a pour principal objectif de prendre en considération les conséquences de réformes récentes sur les dispositions de la loi organique : la privatisation de La Française des jeux dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), qui rend sans objet la procédure de l’article 13, alinéa 5 ; le remplacement de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) par l’Autorité nationale des jeux (ANJ), créée par l’ordonnance du 2 octobre 2019 ; la transformation, à compter du 1er janvier 2020, des trois établissements publics industriels et commerciaux qui formaient la SNCF en une société nationale unifiée ; le changement de nom, depuis le 1er octobre 2019, de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, désormais dénommée Autorité de régulation des transports (ART), en application de l’ordonnance du 24 juillet 2019.

Le projet de loi ordinaire procède, quant à lui, aux coordinations qui découlent des mesures organiques dans le tableau figurant dans la loi ordinaire du 23 juillet 2010.

En outre, ce texte permet également de préparer la fusion de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en une nouvelle Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (ARCOM), prévue pour janvier 2021 par le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, que le Parlement devrait examiner prochainemenet. En fait, il s’agit de prolonger jusqu’à cette date les mandats des membres de la HADOPI qui arriveraient à échéance entre-temps – un ajustement de coordination, en quelque sorte.

Le Sénat a légèrement fait évoluer ces deux projets de loi dans trois directions.

Il a opportunément actualisé les dénominations de Bpifrance et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) au sein de la liste des fonctions concernées par la procédure de nomination après avis des commissions.

De façon beaucoup plus problématique, il est revenu sur les conditions de nomination des dirigeants de la société nationale SNCF et de ses filiales, en proposant notamment de soumettre à la procédure de l’article 13, alinéa 5 de la Constitution la nomination du président et du directeur général de SNCF Réseau. Or, les trois EPIC qui composaient la SNCF (SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités) ont été remplacés au profit d’une seule société dans le cadre de la réforme ferroviaire de 2018. Par conséquent, la rédaction initiale du Gouvernement proposait d’appliquer les règles de droit commun selon lesquelles « dans toutes les entreprises dont le capital est détenu au moins à 50 % par l’État, le Parlement se prononce sur la nomination du directeur général nommé par décret du Président de la République ». Il s’agit d’une solution de bon sens, car on voit mal deux autorités au sein d’une même société, dont l’une a autorité sur l’autre, bénéficier du même seuil de légitimité. J’ajoute que la nomination du directeur de SNCF Réseau demeurera subordonnée à sa validation par l’ART. Je vous proposerai donc, sur ce point, de revenir au texte initial.

Le Sénat a, enfin, proposé d’introduire dans la liste annexée à la loi organique de 2010 la présidence de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et la direction générale de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Après avoir analysé cette proposition et en avoir discuté au sein de mon groupe politique, nous avons considéré que, compte tenu de la nature tout à fait particulière des missions de ces deux autorités administratives indépendantes, notamment celles de la CADA qui compte parmi les plus anciennes d’entre elles, et de l’écho important qu’elles ont dans l’opinion publique, cet ajout était une bonne chose. Nous y sommes, en définitive, favorables.

Cette bienveillance à l’égard de l’extension d’une procédure qui accroît le contrôle parlementaire doit constituer, pour nous, une ligne de conduite pour l’avenir. Nous devons toutefois nous montrer vigilants à ce qu’à chaque fois, l’organisme concerné appartienne bien à l’une des catégories visées par l’article 13, alinéa 5 de la Constitution. Saisi de toutes les lois organiques, le Conseil constitutionnel s’en porte garant en dernière analyse.

Pour finir, ces deux projets de loi tirent les conclusions d’ordonnances dont le Sénat a très opportunément fait remarquer qu’elles n’avaient pas encore fait l’objet d’une ratification.

M. Philippe Gosselin. Exactement !

M. Christophe Euzet, rapporteur. J’ai interrogé le Gouvernement sur ce point, comme, j’imagine, vous ne manquerez pas de le faire en séance publique. Le retard pris ne s’explique que par des difficultés de calendrier parlementaire. La nécessité de procéder à leur ratification sera naturellement respectée, l’engagement a été pris. Cela étant, nous sommes tenus d’opérer les coordinations nécessaires de manière à nous autoriser à nous prononcer sur les nominations qui pourraient intervenir entre-temps.

Madame la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons à la discussion générale, commune aux deux textes.

Mme Hélène Zannier. Comme le rapporteur vient de le rappeler, le projet de loi organique a pour objet de mettre à jour, à la suite de certaines évolutions, la liste des emplois concernés par la procédure de l’article 13, alinéa 5 de la Constitution, c’est-à-dire ceux pour lesquels la nomination par décret du Président de la République est subordonnée au résultat d’une audition devant les commissions parlementaires compétentes. Il a donc une portée essentiellement technique. Toutefois, pour nous, parlementaires, il n’est pas anodin et requiert toute notre attention.

Le texte tel qu’il nous arrive modifié par le Sénat présente deux aspects. Le premier est l’adaptation de la liste des emplois concernés aux réformes en cours, avec la suppression de ceux qui n’ont plus lieu de s’y trouver. Je pense en particulier à certaines directions de la SNCF et à La Française des jeux. S’agissant de la première, les modifications votées par le Sénat ne nous apparaissent pas opportunes et nous souhaitons, comme le rapporteur, un retour au projet initial du Gouvernement.

Le second aspect concerne le périmètre des emplois concernés par cette procédure. La question de fond est de déterminer quels sont les emplois devant, « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », faire l’objet d’un contrôle parlementaire selon la lettre de l’article 13 précité. Par définition, l’appréciation de cette liste est en partie subjective et il revient à l’Assemblée de se prononcer sur cette question. Le Sénat propose d’y inclure la présidence de la CADA et la direction générale de l’OFII. Il s’agit de propositions intéressantes. Nous y sommes favorables dans la mesure où elles aboutissent à renforcer le contrôle parlementaire sur les nominations procédant du chef de l’État. L’importance de ces organismes pour la protection des droits fondamentaux justifie leur insertion dans la liste.

Certains amendements proposés par le groupe de La France insoumise portent sur des agences sanitaires dont l’importance est notable. Ils ne manquent pas d’intérêt non plus. Le groupe La République en marche s’attachera donc à revenir au projet de loi initial du Gouvernement, tout en prenant en compte certaines avancées votées au Sénat ainsi que certaines propositions de l’opposition, afin d’améliorer le contrôle exercé par le Parlement sur les nominations présidentielles.

M. Philippe Gosselin. Je remercie le rapporteur, dont je reprends les derniers propos afin de souligner certaines difficultés méthodologiques, dont il n’est, bien évidemment, pas responsable.

Envisager aujourd’hui les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées soulève tout de même quelques questions, de même que l’anticipation du vote d’un projet de loi – en l’occurrence, sur l’audiovisuel – qui n’a pas encore été débattu à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ce qui, d’une certaine façon, revient à présupposer l’issue des débats. Voilà qui illustre bien la marge de manœuvre dont dispose le Parlement ! En fait, nous allons compter les points dans le jeu majoritaire et gouvernemental et, quoi que nous fassions ou disions, la ratification des ordonnances est ainsi présupposée avec le seul dépôt d’un projet de loi de ratification, la rédaction de l’article 38 de la Constitution étant, il est vrai, particulière. S’agissant du projet de loi sur l’audiovisuel, cela ne manque pas de sel puisque l’examen du texte n’a pas commencé… Aucun parlementaire responsable, qu’il soit dans la majorité ou l’opposition, ne pourra dire le contraire ! Enfin, c’est ainsi…

Vous souhaitez donc mettre en adéquation des textes à venir avec les conditions de nomination issues de la révision constitutionnelle de 2008. Je souligne à dessein l’intérêt de cette révision, qui favorise un meilleur contrôle parlementaire, à condition qu’il ne soit pas biaisé. Il importe, en effet, que des présidences, des directions générales parfois ou, plus généralement, des décideurs au sein de certaines institutions soient soumis au contrôle des assemblées parlementaires. On ne peut que se réjouir d’un tel état d’esprit.

En l’occurrence, vous l’avez dit, il s’agit d’adapter le droit à des évolutions supposées ou à venir, et nous nous apprêtons donc à anticiper. Je crois que le Sénat a eu raison de vouloir augmenter la liste au lieu de la restreindre. J’ai bien noté la divergence qui demeure en ce qui concerne la SNCF, de même que l’évolution intéressante concernant notamment la CADA, qu’il aurait été un peu délicat de laisser sous un régime particulier. C’est l’une des premières autorités administratives indépendantes et d’autres, créées à la même époque – je pense à la CNIL – sont déjà soumises à cette procédure de l’article 13. Les dispositions proposées présentent au moins l’intérêt de la cohérence pour des autorités historiques qui existent maintenant depuis près de quarante ans.

Le groupe Les Républicains est, bien entendu, favorable, dans les grandes lignes, à un aménagement pour la HADOPI à travers le prolongement du mandat de ses membres et à la sortie de la liste de La Française des Jeux – sans revenir sur le débat, qui pourrait néanmoins se ranimer, concernant la légitimité, l’opportunité ou non de la privatisation de cette dernière – je note d’ailleurs qu’Aéroports de Paris, ADP, n’est pas concerné.

Compte tenu des travaux réalisés par le Sénat, nous portons sur ces textes un regard bienveillant même si, vous l’aurez perçu, quelques nuances subsistent encore entre nous sur un ou deux points.

M. Philippe Latombe. Les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons étaient, à l’origine, essentiellement techniques et visaient à envisager les conséquences, par rapport au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, de diverses réformes intervenues au cours des derniers mois. Cela a été dit, le point de départ fut la réforme constitutionnelle de 2008 conférant au Parlement un droit de veto sur certaines nominations prononcées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».

Ainsi, le projet de loi organique déposé par le Gouvernement modifie la loi organique n° 2010-837 et propose de substituer l’Autorité nationale des jeux à l’ARJEL, et de retirer de la liste visée par l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution le président de La Française des Jeux, dans le prolongement logique des réformes adoptées dans la loi PACTE pour la croissance et la transformation des entreprises. Il propose également d’ajouter à la liste des nominations relevant de l’article 13 le directeur général de la SNCF, à l’occasion de la consolidation des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) la composant en société anonyme à participation publique. Enfin, il prévoit de modifier le nom de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, qui est devenue le 1er octobre 2019 l’Autorité de régulation des transports, l’ART.

Tel était le périmètre initial du projet de loi organique.

Le Sénat a souhaité élargir la liste des nominations relevant de l’article 13 afin d’y inclure le président de la Commission d’accès aux documents administratifs, le directeur général de l’OFII et, surtout, quatre dirigeants de la SNCF. Si nous pouvons souscrire aux deux premiers élargissements, le dernier nous paraît plus problématique. En raison de la transformation des EPIC en société anonyme, seule la nomination à la direction générale de la SNCF nous semble nécessiter l’avis des commissions compétentes des assemblées afin de ne pas déroger au droit commun des sociétés à participation publique.

Par ailleurs, l’article 2 du projet de loi ordinaire vise à proroger le mandat des membres de la HADOPI jusqu’au 25 janvier 2021 dans l’éventualité de la fusion de cette dernière avec le CSA, laquelle devrait être examinée dans le projet de loi sur l’audiovisuel. Je souhaite profiter de ce texte pour faire d’ores et déjà une remarque : s’agissant de cette fusion, il faudra faire preuve de prudence en raison de la potentielle non-conformité de la HADOPI à la jurisprudence dite Tele2 de la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, affirmant qu’une conservation généralisée et indifférenciée des métadonnées, même à des fins de lutte contre la criminalité, est contraire au droit communautaire – un contentieux est d’ailleurs en cours devant elle.

En outre, il faudra, par la suite, se poser la question de l’efficacité de la HADOPI par rapport à son coût.

Ces précisions faites, le groupe MODEM et apparentés soutiendra, bien évidemment, ces deux textes.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution assoit une partie du pouvoir de contrôle du Parlement et est donc de première importance. Chacune des modifications apportées à la procédure de nomination qui en résulte doit être observée de près.

Le Gouvernement présente ces deux projets de loi comme des textes techniques et de cohérence législative. En fait, ils sont beaucoup plus que cela.

Tout d’abord, ils nous demandent de prendre acte de changements inscrits dans des ordonnances que nous n’avons pas encore ratifiées et de modifications législatives qui ne sont pas encore entérinées. Cette première observation illustre déjà une certaine incohérence de méthode, pour ne pas dire une négation du rôle du Parlement.

Ensuite, comme le Sénat l’a déjà souligné, ces projets de loi réduisent le périmètre du contrôle parlementaire sur les futures nominations au sein de la SNCF. Acter les réformes par des modifications de forme est une chose, entériner comme une conséquence la réduction des nominations soumises à l’article 13 de la Constitution en est une autre. Ces deux textes sont donc loin de se réduire à un simple toilettage. Vous l’aurez compris, la version issue du Sénat nous paraît plus sage.

Concernant les nominations à la SNCF, une bonne solution a été trouvée, surtout en vue des changements à venir, en particulier l’ouverture de celle-ci à la concurrence.

L’ajout du président de la CADA et du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration est bienvenu compte tenu des missions de ces instances. J’ai cru comprendre qu’il serait maintenu, ce qui est une bonne chose. En revanche, s’agissant de la SNCF, les amendements du rapporteur rétablissant la version initiale ne nous paraissent pas acceptables.

Par conséquent, le groupe UDI, Agir et Indépendants se déterminera après notre discussion.

Mme Danièle Obono. Comme plusieurs collègues l’ont fait remarquer, ces projets de loi sont loin d’être anodins, tant au regard des nominations envisagées qu’au regard de la méthode, sur le fond comme sur la forme.

Nous sommes en désaccord avec le choix du Gouvernement de « tordre la main » aux parlementaires pour entériner par anticipation, dans une sorte de politique-fiction, des débats qui n’ont pas encore eu lieu, ce qui, de notre point de vue, n’augure rien de bon. De plus, nous ne sommes toujours pas d’accord avec le choix de transformation de la SNCF en société anonyme.

Notons également que des propositions du Sénat permettent d’élargir le contrôle parlementaire, ce qui constitue un moindre mal alors que la démarche générale tend plutôt à l’amoindrir. Nous y sommes donc favorables.

Nous avons, quant à nous, proposé un certain nombre d’amendements, car il nous paraît nécessaire que le contrôle parlementaire s’exerce sur d’autres nominations.

Quoi qu’il en soit, poser ce débat dans un tel cadre ne permet pas à La France insoumise de soutenir ces textes, même si nous essaierons, par nos amendements, de contribuer à leur amélioration.

M. Stéphane Peu. Je ferai trois remarques.

Sur la forme, tout d’abord, comme cela a été dit, ce n’est pas très respectueux du Parlement et du débat parlementaire que de nous faire nous prononcer sur les conséquences d’ordonnances et d’une loi qui n’ont pas encore été ratifiées ou examinées. À tout le moins, vous mettez, si j’ose dire, la charrue avant les bœufs ! Un tel irrespect du Parlement emportera le rejet de ces textes par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Sur le fond, ensuite. Si, après la révision constitutionnelle de 2008, il y a eu une évolution, je rappelle tout de même que c’était une même commission du Sénat et de l’Assemblée nationale qui devait se réunir et se prononcer par un vote sur les nominations, avant qu’il n’en aille différemment et que les commissions ne soient finalement distinctes.

Même si 2008 fut une avancée pour le contrôle parlementaire – sur laquelle vous revenez en partie avec ces textes –, il serait à nos yeux préférable, comme nous l’avions dit en 2008, que la validation des nominations repose sur un vote positif des trois cinquièmes des deux commissions et pas seulement sur un droit de veto devant être exprimé à la même hauteur. Au passage, je signale que la commission dite Bartolone-Winock sur l’avenir des institutions, en 2015, avait également préconisé que ces nominations soient validées par un vote positif au trois cinquièmes des deux commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat.

S’agissant des postes visés, en l’occurrence, je note un certain nombre de contradictions avec ce qui nous a été dit lors du vote, notamment, de la loi PACTE, le ministre de l’époque – je vous renvoie aux minutes des débats de l’Assemblée – s’étant engagé à ce que l’État reste maître de la gouvernance de La Française des Jeux en particulier. Maintenant, on nous propose de revenir sur cet engagement.

S’agissant de la SNCF, nous reviendrons au cours de notre discussion sur les nombreux pièges qui existent, mais je souligne d’ores et déjà celui qui consiste à limiter le contrôle, comme le propose la loi, à la seule nomination du directeur général. La société peut, en effet, ensuite, se réorganiser, répartir différemment les responsabilités entre la présidence et la direction générale, ce qui éloignerait encore un peu plus le contrôle parlementaire sur elle.

Nous sommes donc farouchement opposés à ces textes, sur la forme comme sur le fond.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Je présenterais quelques éléments de réponse.

Je prends acte, tout d’abord, des propos de notre collègue Philippe Latombe concernant la HADOPI en lui précisant que nous serons vigilants à l’avenir, mais que l’objet de ces textes est différent.

Je laisse de côté les désaccords politiques des députés Danièle Obono et Stéphane Peu, même si je comprends la préoccupation qui a été exprimée s’agissant de la procédure de validation. Cela relève toutefois d’un débat constitutionnel qui excède un peu le nôtre aujourd’hui. Le vote des deux commissions étant dépouillé en même temps, cela équivaut à un vote commun ; leur distinction n’a rien de scandaleux – en tout cas, cela n’a que peu scandalisé les constitutionnalistes, dont je suis.

Je m’associe aux remarques de Philippe Gosselin concernant l’extension de la procédure à la CADA, qui a une mission de protection des libertés publiques, à laquelle le Conseil constitutionnel est également vigilant.

Je tiens également à rassurer Pierre Morel-À-L’Huissier et Danièle Obono à propos de l’anticipation du vote des textes qui n’ont pas encore été adoptés, ce qui reviendrait, selon eux, à forcer la main au Parlement. Franchement, nous n’en sommes pas du tout là ! Il est vrai que le projet de loi sur l’audiovisuel n’a pas encore été examiné mais il s’agit, en l’occurrence, exclusivement de prolonger les mandats de la HADOPI qui arrivent à terme afin de permettre simplement à son président de mener les négociations en vue d’une éventuelle fusion avec le CSA. Nous aurions été plus ennuyés, si le mandat était échu, de rencontrer des difficultés dans la procédure de renouvellement du Président de cette autorité ou d’avoir à faire appel à un nouveau venu alors que des négociations sont en cours. Il n’est pas du tout question de forcer la main du Parlement mais, au contraire, de créer les conditions permettant la tenue d’un débat.

Nous nous sommes beaucoup interrogés à propos de la SNCF. S’il est impossible de soumettre à la même procédure deux autorités dont l’une est hiérarchiquement soumise à l’autre, il est en revanche possible de réfléchir aux modalités permettant d’améliorer le dispositif proposé. Nous pouvons y réfléchir dans la perspective de l’examen de ce texte.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons à l’examen de l’article unique du projet de loi organique.

Article unique (tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution) : Avis des commissions parlementaires sur les nominations du Président de la République

La Commission est saisie de l’amendement CL1 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’élargir le nombre d’organismes où les nominations devraient faire l’objet d’un contrôle parlementaire en visant en l’occurrence l’Agence Business France, établissement public à caractère industriel et commercial dont les missions sont l’aide au développement international des entreprises françaises et à leurs exportations, l’information et l’accompagnement des investisseurs étrangers en France, la promotion de l’attractivité du pays, de ses entreprises et des territoires, autant de domaines particulièrement importants.

Il a d’ailleurs été question de cet organisme ces dernières années, à l’occasion d’un certain nombre d’affaires, qui semblent toujours en cours, impliquant des responsables politiques actuels, dont la ministre Mme Pénicaud. Compte tenu, plus généralement, de l’importance de ce type d’agences, celle-ci doit être incluse dans les procédures de nomination dont nous débattons, car elle doit rendre des comptes sur son action.

M. Christophe Euzet, rapporteur. J’ai déjà fait part de notre bienveillance de principe à l’endroit de l’extension de la liste des organismes soumis à la procédure prévue par l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution, mais je crois que nous devons faire preuve de discernement.

L’Agence Business France accompagne les entreprises dans leurs démarches et valorise leurs projets mais, lorsque l’on observe les choses d’un peu plus près, on constate qu’elle ne dispose pas de l’indépendance de la plupart des organismes auxquels nous faisons référence puisqu’elle participe pleinement aux politiques définies et appliquées par les ministères de l’économie et des affaires étrangères. Elle ne dispose pas davantage de moyens de contrôle ou de sanctions. De mon point de vue, elle n’a donc pas l’importance exigée par la Constitution.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL4 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous proposons d’ajouter la Direction générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) à la liste des fonctions pour lesquelles un avis parlementaire s’impose en matière de nomination.

L’ANSM est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé. Exclusivement financé par une subvention de l’État, elle a plusieurs missions : l’évaluation scientifique et technique des médicaments et des produits biologiques, la délivrance des autorisations de mise sur le marché, la mise en œuvre des systèmes de vigilances relatifs aux produits de santé destinés à l’homme et aux produits cosmétiques, la réalisation de contrôles en laboratoire et la réalisation d’inspections pour tous les produits de santé relevant de sa compétence, y compris sur le plan international.

 Elle nous semble devoir faire l’objet d’une attention parlementaire particulière compte tenu de l’étendue de ses compétences et en raison de son exposition dans un certain nombre d’affaires. Je pense au Médiator, à l’essai clinique de Rennes en 2016 ou au Lévothirox en 2017. Les enjeux étant essentiels en termes de santé publique et de transparence, la direction générale de cet établissement devrait être soumise à la procédure de l’article 13, alinéa 5 de la Constitution.

M. Christophe Euzet, rapporteur. À l’inverse de ce que je viens de dire s’agissant de l’Agence Business France, j’ai le sentiment que les deux organismes que vous évoquez ont un rôle important, notamment du fait de leur pouvoir de décision en matière de police sanitaire ou de leur expertise comme vous l’avez très justement rappelé. Leur indépendance est, en effet, une exigence fondamentale dans l’exercice de leurs missions. De ce point de vue, les deux agences jouent un rôle important dans la vie économique et sociale de la Nation.

L’avis des commissions compétentes sur la nomination à leur direction générale constituerait, en ce sens, une garantie supplémentaire d’indépendance pour les agences qui, vous l’avez aussi rappelé, peuvent être soumises à des lobbies divers.

Il s’agit, enfin, d’un gage supplémentaire de responsabilité pour ces organisations, qui seront ainsi placées sous l’œil vigilant du Parlement et dont le suivi des politiques publiques sera accru.

Je suis donc favorable à cet amendement.

La Commission adopte l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. À l’unanimité !

M. Philippe Gosselin. C’est un jour faste !

La Commission en vient à l’amendement CL2 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous proposons la suppression de l’alinéa 9 en cohérence avec notre opposition à la privatisation de La Française des Jeux prévue par la loi PACTE.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Je comprends votre opposition politique de principe, mais cette réforme a été adoptée dans le cadre de la loi PACTE, et la société a été introduite en bourse le 7 novembre dernier. Sa présidence n’entre donc plus dans la catégorie des emplois civils et militaires relevant du pouvoir de nomination du Président de la République après avis préalable du Parlement.

Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL5 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Dans le même ordre d’idée, il s’agit de supprimer les alinéas 13 et 14 car nous sommes opposés à la loi de 2018 de privatisation de la SNCF.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Vous voulez maintenir le système de nomination tel qu’il existait jusqu’à aujourd’hui alors que la SNCF a été transformée en une société unifiée, dont SNCF Réseau et SNCF Voyageurs deviennent les filiales. Encore une fois, la procédure est privée d’objet.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL6 du rapporteur.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Nous revenons au dispositif initial du Gouvernement. La transformation des trois anciens EPIC de la SNCF en une structure unique justifie que le Parlement, au travers de ses commissions compétentes, soit appelé à se prononcer sur la seule nomination du directeur général, les autres dirigeants lui étant hiérarchiquement subordonnés. Dans le cas contraire, cela entraînerait un potentiel conflit de légitimité qui, cela relève du bon sens, me paraît peu opportun.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique modifié.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons au projet de loi ordinaire.

Article 1er (tableau annexé à la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution) : Coordinations

La Commission examine l’amendement CL1 de M. Ugo Bernalicis, qui fait l’objet du sous-amendement CL7 du rapporteur.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement précédemment voté dans le projet de loi organique concernant l’ANSM et l’ANSES.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Le sous-amendement CL7 vise en effet à ne reprendre que l’ajout de ces deux agences dans la liste annexée à la loi ordinaire du 23 juillet 2010.

La Commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement CL1 ainsi sous-amendé.

Elle examine les amendements CL3 de Mme Danièle Obono et CL2 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Ils relèvent de notre opposition aux dispositions concernant La Française des Jeux et la SNCF.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons déjà exprimées.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement CL6 de coordination du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 1er bis (art 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Coordination relative à la dénomination de l’Autorité nationale des jeux

La Commission adopte l’article 1er bis sans modification.

Article 2 : Prolongation des mandats des six membres de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI)

La Commission est saisie de l’amendement CL4 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous ne souhaitons pas anticiper le débat et le vote du projet de loi relatif à l’audiovisuel. Pour des raisons de méthode et de fond, c’est problématique.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Cet article propose simplement de prolonger les mandats des membres actuels de la HADOPI. En outre, le Conseil d'État a considéré dans un avis sur le présent projet de loi qu'une telle prolongation était justifiée « par un intérêt général suffisant et ne prolonge les mandats que pour des durées raisonnables ».

M. Philippe Gosselin. Pour une institution que l'on disait mort-née, la fin de vie se prolonge !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. L. 2102-8, L. 2102-9-1 [nouveau], L. 2111-16 et L. 2133-9 du code des transports) : Modalités de nomination des dirigeants de la société nationale SNCF et de SNCF Réseau

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL5 du rapporteur.

M. Christophe Euzet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec le rétablissement des dispositions du projet de loi organique relatives à la soumission aux commissions parlementaires compétentes de la nomination du directeur général de la société nationale SNCF.

La Commission adopte l’amendement, et l’article 3 est supprimé.

La Commission adopte le projet de loi modifié.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Les projets de loi seront examinés le mercredi 22 janvier dans l’hémicycle.

La réunion se termine à seize heures trente.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Olivier Marleix rapporteur sur la proposition du Président de la République de nommer M. Didier Migaud en qualité de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Xavier Breton, Mme Bérangère Couillard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Philippe Latombe, Mme Alexandra Louis, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier

Excusés. - Mme Huguette Bello, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, Mme Marietta Karamanli, Mme Maina Sage

Assistaient également à la réunion. - Mme Sophie Auconie, Mme Clémentine Autain, Mme Valérie Boyer, Mme Albane Gaillot, Mme Laurence Gayte, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier