Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Discussion générale et examen du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire (n° 3340)              2

 


Mercredi
23 septembre 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 91

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 9 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission procède à la discussion générale et examine le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire (n° 3340).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le projet de loi relatif à la prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, après l’audition hier soir de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Nous allons procéder à la discussion générale puis à l’examen des amendements.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Avant d’aborder la discussion de ce quatrième projet de loi en réponse à l’épidémie de covid-19, gardons en mémoire l’état des lieux sanitaire dressé hier soir par le ministre de la santé, que le conseil scientifique a qualifié de préoccupant. Durant la seule semaine du 7 au 13 septembre, le nombre de patients hospitalisés et le nombre d’admissions en réanimation ont augmenté de 50 %. Le chiffre des décès liés au covid-19 a quant à lui doublé : 265 personnes ont succombé en une seule semaine. Dans le même temps, je souhaite renouveler l’expression de la profonde reconnaissance de la nation au personnel soignant qui fait preuve d’un dévouement sans faille malgré l’inévitable fatigue et la légitime appréhension des prochains mois. Pour eux, pour tous nos concitoyens, nous devons agir en responsabilité. Je voudrais d’ailleurs remercier tous les Français pour les efforts consentis. C’est pour cela que nous ne pouvons pas laisser le pays désarmé au 1er novembre prochain. Nous ne pouvons pas non plus attendre que la situation se dégrade au point de justifier un nouveau recours aux mesures les plus drastiques auxquelles nous avons dû nous résoudre au printemps. En clair, nous devons absolument éviter un reconfinement.

Le 11 juillet dernier, l’état d’urgence sanitaire a laissé place au régime transitoire institué par la loi du 9 juillet 2020. Celui-ci a fait ses preuves durant l’été. Les dispositions nécessaires à la lutte contre l’épidémie ont accompagné les vacances estivales, la rentrée scolaire et la reprise de l’activité économique. Elles ont permis au Premier ministre de prendre des décisions concernant les déplacements, les établissements recevant du public et les rassemblements, ainsi qu’aux préfets de les décliner localement au plus proche du terrain.

Certes, la vie a repris, mais ce n’est pas la vie normale. Je suis la première à le regretter : ce n’est pas la vie d’avant. Il est désagréable de porter un masque, surtout toute la journée, sur son lieu de travail ou dans les transports, il est déchirant de voir des lieux de danse et de fête fermés, douloureux de ne pas profiter pleinement de ses proches, notamment lorsqu’il s’agit de nos aînés ou des plus fragiles.

Les mesures prises dans le cadre du régime transitoire sont pourtant nécessaires au regard de la situation sanitaire. Il est important de noter que le projet de loi ne modifie pas cette organisation et qu’il préserve les équilibres trouvés lors de la discussion de la loi du 9 juillet dernier ; c’est la preuve d’ailleurs que nous avions réussi à bâtir un régime adapté aux circonstances. Il a permis, tout au long de l’été et en cette rentrée scolaire, de prendre des décisions rapides et territorialisées pour faire face à l’accélération de la circulation du virus dans certains départements.

L’article 1er du projet de loi proroge, jusqu’au 1er avril prochain, le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire dont l’échéance avait alors été fixée au 30 octobre. Ce dispositif aura désormais vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire puisque l’état d’urgence sanitaire ne sera pas reconduit à Mayotte et en Guyane dans la mesure où l’épidémie y régresse sensiblement.

Dans sa note publique sur le projet de loi, le conseil scientifique a émis un avis catégorique sur la nécessité de la prorogation : « Au regard de l’évolution actuelle et prévisible de l’épidémie au cours des prochains mois d’une part, et au regard du caractère provisoire de ces dispositions d’autre part, le conseil scientifique considère indispensable la prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021, telle que proposée par le projet de loi. »

Ce constat a été partagé par le Conseil d’État qui a estimé, dans son avis favorable sur le projet de loi, que la situation sanitaire « crée la nécessité de prendre ou de renforcer des mesures fondées sur la loi du 9 juillet 2020, que le droit commun du code de la santé publique […] ne permet pas de prendre ». Selon lui, la situation n’est pas non plus « telle qu’à ce stade, le recours à l’état d’urgence sanitaire, généralisé ou circonscrit à certains territoires, serait pour autant justifié ».

Le texte proposé représente le juste équilibre juridique entre le retour à l’état d’urgence sanitaire et le retour au droit commun. L’échéance du 1er avril permettra au Parlement d’aborder sereinement la discussion du projet de loi visant à pérenniser les dispositifs de gestion de l’urgence sanitaire, puisque l’état d’urgence créé dans la loi du 23 mars 2020 a également vocation à disparaître à cette date. Je me réjouis que le ministre ait précisé hier soir le calendrier et les modalités d’élaboration de ce texte qui nous permettra d’engager un réel travail de fond avec les parlementaires. Je remercie tout autant Mme la présidente de sa décision d’engager la commission des Lois dans un travail prospectif.

Ces cinq mois de prorogation ne constituent pas, comme j’ai pu l’entendre hier, un « chèque en blanc » au Gouvernement. Celui-ci est dépositaire, au contraire, d’une lourde responsabilité : garantir le droit à la protection de la santé que proclame le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Dans ce contexte, l’état de droit, loin de reculer, s’affirme : le Parlement autorise et contrôle, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État veillent à la garantie des droits et libertés, le conseil scientifique émet ses recommandations en toute indépendance. Face à la menace épidémique il revient à chacun de prendre sa part de responsabilités. La nôtre, en tant que commissaires aux Lois, consiste aujourd’hui à adopter la prorogation proposée à l’article 1er.

Quant à l’article 2, il est la condition de la stratégie « tester, tracer, isoler » et de la recherche sur le virus. Sans cette capacité de suivre les personnes contaminées et leurs cas contacts, nous ne pouvons rompre les chaînes de transmission et lutter efficacement contre l’épidémie. Bien sûr, les systèmes d’information SI-DEP et Contact Covid ne peuvent pas tout ; il faut aussi des moyens et des procédures adaptés. Mais sans eux, nous perdrions une information essentielle pour comprendre comment l’épidémie se propage et apprécier l’efficacité des mesures déployées. C’est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit de maintenir ces systèmes en vigueur jusqu’au 1er avril 2021, tout comme les garanties qui les encadrent – notamment la transmission d’un rapport au Parlement tous les trois mois sur leur fonctionnement, l’avis public de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’avis du comité de contrôle et de liaison dont le rôle est de veiller au secret médical et à la protection des données personnelles, ou encore les sanctions pénales en cas de non-respect des règles relatives au traitement des données.

Tous les acteurs engagés dans la lutte contre l’épidémie soutiennent la prolongation de ces systèmes d’information. Certains d’entre vous ont peut-être eu à se plier à une quarantaine de sept jours, comme ce fut le cas au sein du Gouvernement et jusqu’au Premier ministre. S’il faut avancer sur les tests, notamment pour réduire les délais constatés actuellement, comme s’y est engagé hier le ministre des solidarités et de la santé, le suivi de leurs résultats, l’information des personnes, la poursuite de la recherche n’en sont pas moins indispensables. Nous devons éviter un nouveau confinement et permettre la relance du pays.

Vous l’aurez compris, chers collègues, ce projet de loi est nécessaire à la poursuite des efforts consentis jusqu’à présent et qui nous permettront de poursuivre efficacement la lutte contre l’épidémie en attendant un vaccin. Dans l’intervalle, les nombreux travaux de contrôle engagés par le Parlement se poursuivront. Ils assureront l’évaluation continue des mesures que nous nous apprêtons à examiner.

M. Jean-Pierre Pont. Dans l’histoire de l’humanité, les pandémies sont multiples. L’homme, au prix de plus ou moins de temps, de difficultés et malheureusement de victimes, les a toujours surmontées. La pandémie de covid-19 n’est malheureusement pas la dernière que connaîtra l’humanité ; il y en aura d’autres, tout aussi imprévisibles. Mais comme les autres, le covid-19 sera vaincu.

Depuis le début de la pandémie, tout en exerçant avec vous mon mandat de législateur, j’ai, compte tenu des circonstances, continué de pratiquer ma profession de médecin sur le terrain. De cette expérience récente, je tire l’enseignement que le combat contre le covid-19 répond aux règles immuables de la médecine : être pragmatique, évoluer, s’adapter aux développements de la maladie à combattre. Face à une pandémie, on ne peut décider de s’accrocher à des principes avec obstination ; il faut, au contraire, adopter presque au jour le jour la meilleure tactique pour la circonvenir au gré de ses évolutions et de sa dangerosité. Les seuls principes auxquels nous ne pouvons déroger sont ceux de l’intérêt général et de la préservation de nos droits fondamentaux. S’adapter, c’est le maître mot.

C’est pourquoi le Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, c’est-à-dire sous notre contrôle, se doit d’actualiser en permanence sa position. C’est l’objet du projet de loi qui se situe dans la continuité des textes votés précédemment et dont je résume brièvement les étapes récentes. La loi du 23 mars 2020 instituant l’état d’urgence sanitaire pour une période de deux mois a été prorogée jusqu’au 10 juillet. La situation sanitaire semblant nettement s’améliorer, l’état d’urgence sanitaire n’a pas été reconduit au-delà de cette date, mais remplacé par un régime transitoire jusqu’au 30 octobre prochain pour faire face à une éventuelle reprise de l’épidémie. Ce régime a permis, au cours de l’été, de prendre des mesures pour répondre à la dégradation de la situation. Actuellement, devant la hausse du taux de positivité – en moyenne plus de 12 000 cas par jour –, le nombre accru d’hospitalisations et d’entrées en réanimation qui en découlent, il est incontournable, comme le demande le Gouvernement et en conformité avec l’avis du conseil scientifique, de proroger jusqu’au 1er avril le régime transitoire. Il faut reconnaître que le Gouvernement ne demande la reconduction de ces mesures exceptionnelles que raisonnablement, contraint et forcé par l’évolution de la situation sanitaire.

En ce qui concerne les pouvoirs donnés au Gouvernement et que l’article 1er du projet de loi propose de proroger, pouvoirs qu’il peut déléguer au préfet – réglementation ou interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules, modalités de l’ouverture des établissements accueillant du public, etc. –, le groupe La République en Marche ne décèle aucune entorse aux règles démocratiques. L’information et le contrôle du Parlement demeurent constants.

Deux amendements ont été déposés par notre groupe à l’initiative de la présidente de la Commission et de notre collègue Gaël Le Bohec. Le premier rétablit la possibilité, pour le maire ou le président d’une collectivité, de décider, jusqu’au 1er avril, de réunir l’organe délibérant dans un autre lieu que son emplacement habituel afin de se conformer aux règles sanitaires. Le second prévoit la possibilité de déroger aux règles de publicité des réunions des assemblées délibérantes locales, jusqu’au 1er avril toujours, afin de respecter les règles de distanciation. Ces adaptations avaient été permises par ordonnance pendant l’état d’urgence sanitaire.

Concernant l’article 2 du projet de loi, qui traite de la protection des données personnelles recueillies dans le cadre des études concernant le covid-19, il me paraît normal d’en prolonger la conservation jusqu’au 1er avril 2021 pour être en adéquation avec la durée du régime transitoire. Il permet, d’une part, aux brigades de continuer leur travail, d’autre part la poursuite de l’examen de la situation épidémiologique pour mieux y répondre.

En conclusion, face à la menace du covid-19 qui perdure, je considère indispensable d’adopter en l’état le projet de loi qui nous est soumis.

J’ajouterai quelques remarques personnelles. Premièrement, et il faut s’en féliciter, le confinement a été dans l’ensemble remarquablement respecté par la population. Deuxièmement, il faut rappeler qu’il est indispensable de s’habituer à vivre et à survivre avec le virus grâce au respect des règles sanitaires – distanciation, lavage des mains, désinfection des lieux et des matériels. Troisièmement, il faut expliquer que, sans la pratique provisoire mais indispensable de ce comportement, la situation économique et sociale risque de s’aggraver. Enfin, comme on ne peut prévoir une disparition prochaine naturelle du virus, il faut tenir bon en attendant l’arrivée d’un vaccin. D’ailleurs, le ministre de la santé a récemment déclaré que la France devrait être l’un des premiers pays à en disposer.

M. Philippe Gosselin. L’audition hier soir du ministre de la santé était tout à fait bienvenue et nous avons été attentifs à ses propos. Mais il aurait également pu être intéressant d’entendre le ministre de l’intérieur ou le garde des Sceaux : au-delà des questions épidémiologiques et de santé publique se posent réellement des interrogations liées aux libertés publiques et à des aspects plus juridiques que de santé publique – cette remarque n’est pas sans importance pour la suite de mon propos.

Nous partageons évidemment l’inquiétude de nos concitoyens et du Gouvernement. Nul besoin de créer une polémique artificielle : l’état des lieux est incontestablement préoccupant. Depuis le début, le groupe Les Républicains a pris ses responsabilités ; il a accompagné la majorité dans un certain nombre de prises de décisions. Il était présent, aux côtés du Gouvernement mais aussi de la nation, au mois de mars et dans les semaines qui ont suivi. Nous n’avons pas l’intention d’instrumentaliser quoi que ce soit. Les risques épidémiologiques sont réels, la propagation du virus en croissance exponentielle. Il nous faut aussi apprendre à vivre avec le covid-19 car il est fort possible que dans quelques mois, peut-être même dans quelques années, nous ayons à faire face de façon continue à cette pandémie ou à d’autres.

Il importe aussi que les messages envoyés soient clairs. Nous avons connu – mais ce n’est pas le lieu de rouvrir une polémique d’autant qu’une commission d’enquête y travaille – un cafouillage avec les masques. Certaines directives relatives aux tests sont tout aussi calamiteuses : après avoir enjoint l’ensemble de nos concitoyens à se faire tester, on se rend compte qu’il faut les stopper, hiérarchiser, trier d’une certaine façon, puisqu’on ne peut pas suivre le rythme, parfois par manque de produits, et que les délais s’allongent. Pour qu’un objectif soit compris, il faut qu’il soit clair. La remarque vaut pour la loi : elle doit être intelligible.

Partant de là, nous pouvons évidemment juger acceptable de prolonger des mesures transitoires permettant de juguler ou de limiter les effets de la crise sanitaire pour éviter un reconfinement. Mais nous pensons que le texte proposé va trop loin et pour trop longtemps. Vous prévoyez de proroger pour six mois cette période d’entre deux, qui n’est ni l’état d’exception que nous avons connu ni le droit commun. Or le Parlement peut se réunir beaucoup plus rapidement, on peut prévoir une clause de revoyure régulière pour faire le point sur la situation sanitaire. Là, nous donnerions les clefs de la maison pour six mois… Qui plus est, le ministre l’a dit hier et c’est écrit dans l’exposé des motifs du projet de loi, nous allons dans le même temps remettre à plat, de façon pérenne, la loi sur l’état d’urgence sanitaire. Dans ces conditions, six mois, c’est très long. Il faut des rendez-vous d’évaluation, des rendez-vous démocratiques.

Il se trouve aussi que cette période de six mois inclurait les élections régionales et départementales. Nous souhaiterions éviter que ces élections soient perturbées. J’ai bien noté qu’une loi est nécessaire pour les suspendre ou les reporter, mais si on ne peut se réunir, si on ne peut mener campagne, quid de la sincérité de ces consultations ?

Enfin, s’agissant des dispositifs SI-DEP, Contact Covid et de la protection des données personnelles, on nous assure que globalement tout va bien – plus exactement pas si mal, note la CNIL dans son avis du 10 septembre. Comme toujours, le diable est dans les détails et l’on rencontre quelques difficultés.

Nous sommes responsables et nous n’évacuons pas ce que vous proposez d’un revers de main, mais c’est trop long et trop attentatoire aux libertés publiques et individuelles. C’est pourquoi ces dispositifs nécessitent d’être débattus et remis sur la table pour éviter que nos concitoyens ne s’y retrouvent pas et vivent ces mesures comme des contraintes tellement insupportables qu’ils ne les respecteraient plus. C’est le risque majeur aujourd’hui.

Mme Isabelle Florennes. Comme nous nous y attendions, nous revoilà face à un débat que nous avons déjà eu et qui est malheureusement la conséquence de la situation sanitaire. Nous savions que le contexte de la rentrée serait difficile ; c’est d’ailleurs dans cette perspective que nous avions adopté la loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire le 9 juillet dernier. Le régime transitoire instauré par ce texte nous a permis de mieux appréhender la situation. Il est d’autant plus indispensable qu’aucune solution scientifique ne se fait jour et qu’il est encore impossible d’endiguer la propagation du virus. Il nous faut donc faire preuve d’une extrême prudence et prendre toutes les précautions nécessaires. La prolongation du régime transitoire jusqu’à avril 2021 nous permettrait de conserver un cadre d’action suffisamment souple pour agir rapidement et efficacement. L’évolution sanitaire et les nombreuses incertitudes scientifiques qui demeurent l’exigent.

Il n’est toutefois pas question de sacrifier les libertés individuelles aux impératifs sanitaires, ni de détourner le projet de loi de son objet pour entraver ces libertés. Le groupe MODEM et démocrates apparentés sera donc extrêmement vigilant.

Un mot sur les deux sous-amendements que nous avons déposés : ils visent à élargir le champ d’application de vos amendements, Madame la présidente, en n’en restrignant pas l’application aux seuls territoires où la circulation du virus est active. Le but est de permettre aux élus locaux de se protéger tout en continuant à travailler dans des conditions optimales. Nous avions également déposé un sous-amendement proposant l’organisation de réunions des organes délibérants par téléconférence, mais il a été déclaré irrecevable. Même si nous comprenons qu’il dénaturait l’amendement initial, il serait peut-être possible de trouver un compromis au stade de la séance publique. La délocalisation des réunions des organes délibérants peut ne pas suffire et la téléconférence a déjà montré sa pertinence et son efficacité.

Je souhaite également relayer la problématique évoquée par notre collègue Christophe Blanchet, celle de la fermeture administrative des discothèques. Deux décrets les maintiennent closes. Le juge des référés du Conseil d’État a considéré que l’atteinte portée par cette mesure à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie ne revêtait pas un caractère manifestement illégal. Pourtant, les patrons de discothèques ont, depuis le début de la crise, déployé d’importants efforts pour respecter les règles sanitaires et œuvrer dans le sens d’un retour prudent à la vie normale. Aujourd’hui, ces 1 600 établissements sont en grand danger économique.

Au-delà de ces points de vigilance, il va sans dire que notre groupe soutient le projet de loi que nous allons examiner et qu’il sera attentif à l’élaboration du texte que le ministre a annoncé pour le début de l’année prochaine. Enfin, nous remercions madame la présidente pour la mission proposée sur le sujet, à laquelle nous serons ravis de participer.

Mme Marietta Karamanli. Le Premier ministre nous avait prévenus, début septembre, que nous serions sûrement saisis d’un texte visant à proroger la loi votée il y a quelques semaines sur la sortie de l’urgence sanitaire, pour ne pas nous démunir de tout outil face à cette crise qui n’est pas terminée. Notre assemblée avait voté l’instauration d’un état d’urgence sanitaire entre le 24 mars et le 10 juillet en raison de la pandémie. Puis une loi organisant une sortie partielle de cet état d’urgence est entrée en vigueur pour la période du 11 juillet au 30 octobre prochain sur la majeure partie du territoire, hormis la Guyane et Mayotte. Ce texte a prévu de possibles restrictions de circulation des personnes ou des véhicules ainsi que d’accès aux transports en commun là où le virus est actif. Il permet également d’encadrer des rassemblements, de fermer des établissements ou d’imposer des tests virologiques aux personnes arrivant ou quittant le territoire. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), autorité administrative indépendante, avait alors estimé que « l’adoption d’un nouvel état d’exception, non dénommé, ne peut se faire sous couvert de sortie de l’état d’urgence sanitaire ».

Nous voici donc saisis d’un texte qui vise à prolonger encore cet état d’exception. Nos interrogations et nos critiques demeurent. Nous partageons les inquiétudes de nos concitoyens face à la pandémie, mais également vis-à-vis des mesures administratives qui restreignent les libertés. D’une part, certains articles de la loi ne sont pas rédigés comme des dérogations, mais paraissent modifier sans véritable limite dans le temps les dispositions existantes du code de la santé publique. D’autre part, si la loi a besoin d’aller à l’essentiel en matière de libertés individuelles et publiques, toute limitation doit être interprétée strictement et assortie de garanties, ce qui ne sera pas le cas.

Je note aussi que la décision de prorogation est prise sur l’avis du conseil scientifique, dont l’indépendance n’est pas garantie et dont l’exclusivité de l’intervention pose problème, comme l’avait déjà rappelé Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé.

En l’état, nous ne disposons pas d’un bilan des mesures de police administrative prises par les autorités déconcentrées dans le cadre de l’urgence sanitaire. Encore faudrait-il, il est vrai, que l’Assemblée nationale et le Sénat disposent de prérogatives et de moyens suffisants pour être informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant cet état d’exception. Pouvoir requérir des informations complémentaires utiles dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures serait souhaitable. Nos amendements vont dans ce sens.

On l’a vu, des mesures ont été prises dont la portée variait considérablement d’une ville à l’autre, d’un territoire à l’autre, sans raison objective : faire du vélo sans masque a été autorisé à Paris, mais dans le même temps interdit au Mans… Dans ce dernier cas, l’autorité administrative a revu son dispositif alors que le juge administratif était saisi sur l’absence de proportionnalité de cette mesure. Autrement dit, le respect des libertés individuelles tient, dans bien des cas, au fait que nos concitoyens saisissent le juge. Ce n’est pas bon : la préservation des libertés publiques suppose en premier lieu que l’autorité administrative s’attache à respecter les principes du droit et à faire preuve de discernement. Comment de telles incohérences, pour ne pas dire aberrations, pourront-elles être prévenues ?

En matière de dépistage, la stratégie semble avoir évolué. Beaucoup de nos compatriotes ne semblent pas comprendre ce qu’il est le plus pertinent de faire. Pendant l’été, les dépistages massifs auraient pu et dû être orientés vers des publics sensibles. Par ailleurs, les délais de test en viennent à dépasser la période de contagiosité, ce qui remet en cause la stratégie elle-même.

Enfin, s’agissant des informations sur les données collectées, l’avis du comité de contrôle et de liaison covid-19 joint au projet de loi met en évidence l’enjeu essentiel que constitue la célérité d’un parcours « tester, tracer, isoler ». Malheureusement, ce n’est pas convaincant : en reprenant le cadre applicable sans retour sur les stratégies opérationnelles à mettre en œuvre, le projet de loi pose plus de questions qu’il n’apporte de certitudes. Le groupe Socialites et apparentés entend donc limiter cette prorogation à ce qui est strictement nécessaire. Il proposera plusieurs mesures visant à améliorer le contrôle parlementaire.

M. Pascal Brindeau. Nous vivons une période d’incertitude. Force est d’avouer que nous ne maîtrisons toujours pas ce virus et que le nombre de foyers repart à la hausse depuis plusieurs semaines – en France comme dans d’autres pays européens. Cette situation appelle à l’évidence des mesures de protection sanitaire de nos concitoyens, en particulier des plus fragiles et des plus exposés à la dangerosité de ce virus.

Nous sommes dans une période où les citoyens ont besoin de lisibilité et de cohérence de l’action publique. Or, quelques exemples nous font parfois douter de cette cohérence, comme la décision d’abaisser la quarantaine à sept jours en France alors que l’Organisation mondiale de la santé considère la durée de quatorze jours plus raisonnable, ou encore l’application dans certaines régions de mesures plus restrictives pour le regroupement de personnes quand on considère que les écoles ne sont plus des « zones de danger ». Il faut donc veiller à apporter le plus de clarté et de cohérence possible dans les mesures que l’exécutif met en place pour empêcher le virus de se propager et pour ne pas retrouver les taux de mortalité connus durant le printemps.

C’est la raison pour laquelle la prorogation d’un régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire paraît gênante. De deux choses l’une : ou bien nous sommes face à une reprise épidémique forte, auquel cas la cohérence commande de réinstaurer un état d’urgence permettant à l’exécutif de prendre les mesures qui s’imposent ; ou bien l’on considère que le virus se propage à nouveau, mais de manière différenciée selon les territoires, auquel cas on ne peut pas rester dans un régime transitoire. Dès lors qu’il est question de restriction des libertés publiques, le Parlement doit retrouver sa capacité de légiférer et ne plus en rester à un contrôle a posteriori des décisions de l’exécutif. Outre la durée de la prorogation envisagée, ce qui me gêne particulièrement, c’est cette généralisation de mesures attentatoires aux libertés publiques, présentées comme exceptionnelles mais qui s’inscrivent désormais quasiment dans le droit commun.

N’oublions pas non plus, Mme Florennes vient d’en parler, que certains secteurs, comme les discothèques et l’événementiel, sont toujours interdits d’ouverture. On ne peut pas continuer à proscrire certains rassemblements et des actions de nature culturelle ou autre sans apporter à leurs opérateurs des aides supplémentaires, sous peine de mettre clairement en danger des secteurs qui représentent plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Certes, ce n’est pas l’objectif du présent projet de loi. Mais il convient d’obtenir des réponses du Gouvernement sur ce point.

Enfin, le bilan que fait le Parlement sur le fichier permettant de répertorier les personnes atteintes du virus est assez maigre. Quel a été le bénéfice de sa création, quels en sont les indicateurs de performance ? J’ai noté que certains amendements proposent, légitimement, de prolonger la durée de vie de ce fichier. Nous souhaitons avoir davantage d’informations et d’éléments tangibles sur ce à quoi il a réellement servi, ce à quoi il sert, et ce à quoi il servira dans la lutte contre l’épidémie.

M. Dimitri Houbron. D’après les données statistiques de Santé publique France, depuis le début du mois de juillet, la circulation du virus devient exponentielle sur tout le territoire. Le nombre de cas détectés double en moyenne tous les quatorze jours. Si l’épidémie continue à ce rythme, environ 500 000 nouvelles contaminations par semaine pourraient être enregistrées d’ici au début du mois de décembre.

L’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire fixe au 30 octobre 2020 l’échéance du régime de transition. Le maintien de tout ou partie de ces mesures au-delà du 30 octobre nécessite donc notre intervention. La date du 1er avril 2021 a été retenue afin de permettre l’application du régime de transition. Dans ces conditions, un projet de réforme pérenne de l’état d’urgence sanitaire pourra être examiné par le Parlement au début de l’année 2021 sans que la prolongation des mesures de transition n’interfère avec ce débat de fond. Hier soir, vous avez indiqué, madame la présidente, que vous proposerez au bureau la création d’une mission pour évaluer le régime de l’état d’urgence sanitaire et améliorer notre dispositif. Je tiens, au nom du groupe Agir Ensemble, à saluer cette initiative à laquelle, bien évidemment, nous participerons.

En tout état de cause, au regard de la situation et de l’intérêt de nos concitoyens, le groupe Agir ensemble votera ce projet de loi.

M. Ugo Bernalicis. Globalement, on peut se satisfaire que la masse des Français ait respecté les gestes barrières et les règles sanitaires, d’autant plus que les consignes étaient peu claires, voire incohérentes et discordantes. Comme beaucoup de gens, j’ai vu circuler sur les réseaux sociaux cette vidéo diabolique où l’on voit défiler les ministres de l’actuel Gouvernement et du précédent expliquant, au moment du confinement, que si le grand public ne portait pas de masque, ce n’était pas à cause de la pénurie, mais parce que le masque ne servait à rien, qu’on ne saurait pas s’en servir, que l’on n’était pas assez bon pour cela… À partir de là, quelque chose a été rompu. Vous aurez beau proposer avec la meilleure volonté du monde des outils souples, agiles et larges permettant de réagir aux circonstances, les gens ne sont plus prêts à croire et ne veulent plus donner un chèque en blanc : ils veulent être sûrs que ce que l’on fait et ce à quoi ils renoncent en matière de libertés individuelles sert à quelque chose.

Je suis convaincu, comme tous les membres de mon groupe, qu’il faut porter un masque, utiliser le gel hydroalcoolique, respecter les gestes barrières, et je ne discuterai même pas du bien-fondé de ces mesures. Certains ont dit que nous n’étions pas là pour débattre à nouveau des tests, l’article 1er du projet de loi ayant pour seul objet de proroger l’état transitoire. Pourtant, la rapporteure ne vient-elle pas de se réjouir de ce que le ministre de la santé nous ait dressé un bilan de l’état sanitaire de notre pays, hier ? Il est bien évident que ces mesures ne sont prises qu’au regard de la situation sanitaire. Un million de tests auraient été réalisés. Très bien, nous en prenons bonne note : c’est un chiffre rond qui présente bien. Mais n’en aurait-il pas fallu deux millions ? Comment vérifier, par ailleurs, qu’un million de tests ont bien été réalisés ? La seule chose dont, pour ma part, je sois certain, c’est qu’il est impossible à Lille d’avoir un rendez-vous pour se faire tester si l’on ne présente pas de symptôme ou si l’on n’est pas un cas contact ! La situation n’est sans doute pas la même dans tous les territoires, mais que l’on ne vienne pas nous raconter que nous avons besoin de dispositions agiles ou souples alors que l’on n’est pas fichu, au niveau de l’organisation des moyens, de garantir aux gens qu’ils pourront avoir accès à un test !

Nous avons, à plusieurs reprises, appelé à la gratuité des masques. Les choses ont heureusement évolué et on a fait en sorte d’en distribuer aux publics les plus défavorisés. Le Gouvernement a fini par se rendre compte que, pour garantir l’acceptabilité d’une telle mesure, il fallait que les gens aient des masques et puissent s’en procurer facilement. Sinon, ils les auraient gardés dans leur poche et porté le même pendant trois jours !

On en arrive à un moment où plus rien ne veut plus dire grand-chose… On nous demande de proroger le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence jusqu’à l’adoption d’un projet de loi, en avril 2021, pour intégrer certaines mesures d’urgence dans le droit commun. Du coup, on ne sera plus en état d’urgence et ces mesures n’auront plus rien d’extraordinaire ! C’est le même schéma que celui utilisé pour faire adopter le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT). Au moins aurions-nous dû être vaccinés et prendre conscience qu’il n’était pas normal de légiférer ainsi. Mais non ! À entendre le ministre hier, le Parlement devrait s’estimer heureux que l’on revienne une fois de temps en temps solliciter son avis.

Pourtant, toute une série de mesures concrètes, précises, aux incidences fortes, ont été prises par ordonnances. Or, à cette heure, elles ne sont toujours pas ratifiées. On nous avait pourtant promis, à l’époque, de revenir devant nous ; nous attendons toujours. Qui plus est, le Conseil constitutionnel, pourtant garant de la Constitution, a validé le fait qu’elles conservent valeur législative dès lors que le délai d’habilitation est dépassé. Je ne sais pas dans quel état constitutionnel on se retrouve, mais plus vraiment un état de droit !

Bien sûr, vous ne manquerez pas de nous dire qu’il ne s’agit que de proroger un régime transitoire de six mois, le temps de s’organiser. Or, non seulement nous n’avons pas besoin de ce dispositif législatif – bon nombre de mesures réglementaires ont déjà été prises précédemment, sans compter celles qui l’ont été par voie d’ordonnance –, mais la CNIL elle-même nous explique que, pour ce qui est de la protection des données, le compte n’y est pas.

Dans de telles conditions, ce sera sans nous… Nous sommes pour les gestes barrière, pour le port du masque, pour toutes les mesures propres à endiguer la pandémie mais contre ce texte, parce que le compte n’y est pas et que le Gouvernement n’est pas à la hauteur. Même à l’Assemblée nationale, nous en venons à nous demander quelles sont les consignes à respecter, s’il faut porter le masque ou non : c’est par la presse que nous apprenons l’existence de cas positifs, sans même en être informés en interne… C’est dire notre désorganisation !

Mme Alice Thourot, rapporteure. Quelle mauvaise foi !

M. Stéphane Peu. Ce projet de loi, même s’il est présenté comme transitoire, prévoit de pérenniser un régime d’exception. Or, depuis l’adoption de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, certains principes ont toujours été respectés : un délai court – le texte de 1955 l’avait limité à douze jours renouvelables sur autorisation légale – et un contrôle parlementaire tout au long de son application. En bafouant ces principes, nous prenons le risque de nous accoutumer à un régime d’exception qui accorde des pouvoirs exorbitants à l’exécutif, mais également à favoriser leur inclusion dans le droit commun. On a déjà pu le constater dans un passé récent. C’est ce à quoi contribue le projet de loi que nous examinons.

Le Président de la République l’a répété : nous devons nous habituer à vivre avec le virus. Devrons-nous pour autant nous habituer à vivre dans un droit extraordinaire au mépris de nos principes démocratiques ? Je ne le crois pas car ce serait un mauvais signe adressé à notre pays.

Nous disposons de tout l’arsenal juridique nécessaire dans notre législation pour affronter le risque épidémique et un éventuel rebond : ainsi l’article L. 3131‑1 du code de la santé publique autorise-t-il le ministre chargé de la santé à prendre toute mesure proportionnée aux risques et appropriée aux circonstances afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, promulguée le 23 mars dernier, donne au Gouvernement la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire, par décret, pour une durée deux mois.

Paradoxalement, il serait démocratique de rester fidèle à la loi du 23 mars 2020 qui permet au Parlement de contrôler régulièrement les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, au lieu de proroger pour six mois un régime d’exception qui porte atteinte aux libertés individuelles fondamentales. À bien y regarder, on s’aperçoit que ce mécanisme transitoire met principalement en cause les droits de manifester, de se rassembler et de circuler. Dès lors, comment ne pas faire le parallèle entre l’acuité de la crise économique qui frappe notre pays et qui s’est tristement traduite, la semaine dernière, par des licenciements massifs, et ce régime transitoire qui ne porte en rien sur des questions sanitaires ni sur des mesures d’urgence propres à enrayer la pandémie, mais sur les libertés individuelles ? Cela pose un problème d’ordre démocratique qui n’aura pas échappé, du reste, au Conseil d’État. N’a-t-il pas, en juin dernier, constaté une atteinte grave et illégale au droit de manifester ? Il faut tenir compte de tous les jugements du Conseil d’État, pas seulement de ceux qui vont dans le sens du Gouvernement.

M. Rémy Rebeyrotte. C’est vrai : on manifeste peu, dans ce pays…

M. Stéphane Peu. Si vous me permettez une boutade, la CGT pourrait a priori défiler en Vendée puisque le préfet, très laxiste, y autorise des rassemblements de plus de 10 000 personnes, au Puy-du-Fou... Il semble donc possible d’y manifester dans des proportions bien plus importantes que partout ailleurs !

M. Ugo Bernalicis. Excellente idée !

M. Stéphane Peu. Porter atteinte, dans le cadre d’un régime d’exception, aux libertés fondamentales, en particulier celle de manifester, ouvre la porte à toutes les dérives, sans parler des problèmes qui ne manqueront pas de se poser à l’occasion des prochaines élections. Si l’on ne peut plus faire campagne, ni manifester, ni circuler, on est en droit de se demander si notre régime est encore démocratique.

M. Paul Molac. La recrudescence de la maladie ne change rien au problème que nous rencontrons, pas plus que l’avis du Conseil d’État. Une énième loi d’exception est-elle nécessaire et même souhaitable ? Le droit commun, en particulier celui posé par l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, n’aurait-il pas suffi ?

Prenons l’exemple du Morbihan, un des trois premiers départements dans lesquels le virus a pris pied dans le pays. Le préfet a pris un arrêté pour fermer, dans les foyers d’infection, l’accès aux lieux publics – écoles ou marchés. La maladie est restée cantonnée dans ces seuls endroits et ne s’est pas répandue dans le reste du Morbihan : la partie où je réside n’a quasiment eu aucun cas de covid. Le préfet a pris cette décision avant même que le Gouvernement ne déclare l’état d’urgence sanitaire, ce qui prouve que le droit existant suffit. Ainsi, l’article L. 3131‑1 du code de la santé publique dispose que le ministre chargé de la santé peut prendre, par arrêté motivé, des mesures proportionnées. Ce faisant, il impose des limites à la puissance administrative, ce qui est important en démocratie. Rappelons que le manquement au respect du port obligatoire du masque est passible d’une peine d’amende de 135 euros, soit 12 % du salaire mensuel minimum, portée à 3 750 euros en cas de récidive, ce qui représente trois fois le salaire mensuel minimum, et six mois d’emprisonnement ! Ce sont des peines très sévères.

Nous disposons aujourd’hui de tout l’arsenal nécessaire pour endiguer cette pandémie sans recourir à une loi d’exception. La ministre du travail n’a-t-elle pas déclaré qu’il suffisait de se laver les mains et de porter un masque pour être parfaitement protégé ? Nous avons du gel, des masques, des tests – certes, pas en nombre suffisant, mais un million de tests ont tout de même été réalisés. Cela n’a rien à voir avec la situation de mars dernier.

Alors que nous sommes sur la bonne voie, vous voulez renforcer l’autorité administrative au détriment de la démocratie locale, ce qui se traduit par des décisions incompréhensibles. On ferme des marchés, qui se tiennent généralement dehors, mais pas les grandes surfaces où les clients se trouvent dans un espace clos à toucher tous les produits.

Alors que l’on nous avait assuré que le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire prendrait fin avec la pandémie, on en remet une couche et on demande de le proroger jusqu’à ce que le Parlement vote, en avril 2021, un projet de loi destiné à pérenniser ce type de mesures. Je crains que l’on n’aille un peu loin : vous êtes en train de casser le pacte passé autour de cet état d’urgence sanitaire. Qu’adviendra-t-il des élections départementales et régionales si nous prorogeons ces mesures d’exception pour six mois ? J’ai le sentiment que l’administration cherche à étendre son pouvoir au maximum, à tout contrôler, en s’expliquant le moins possible.

Vous commettez là une nouvelle erreur. M. Stanislas Guerini l’a lui-même admis avec le recul : le Gouvernement aurait dû reconnaître que seul le manque de masques expliquait qu’il faille les réserver à ceux qui étaient en première ligne. Mieux vaut dire la vérité et faire confiance à nos concitoyens !

M. Ugo Bernalicis. Parfaitement !

M. Paul Molac. Toute décision suppose explication et transparence. L’immense majorité de nos concitoyens sont responsables et raisonnables. Ne nous laissons pas submerger par l’anecdote qui fait les choux gras des réseaux sociaux et qui amène à adopter des lois d’exception dangereuses pour notre démocratie en ce qu’elles limitent des droits fondamentaux, qu’il s’agisse du droit de se réunir ou de celui de manifester !

Par conséquent, nous nous opposerons résolument à la prorogation de cet état d’urgence bis qui ne dit pas son nom mais qui n’est rien d’autre qu’une loi d’exception.

Mme Emmanuelle Ménard. Malgré des signes encourageants de régression de l’épidémie au cours de l’été, la situation sanitaire est redevenue préoccupante depuis quelques semaines. La loi du 9 juillet 2020, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, a mis en place un régime transitoire applicable jusqu’au 30 octobre. Il nous est aujourd’hui proposé de le proroger jusqu’au 1er avril 2021.

Ce texte, M. Philippe Gosselin l’a dit avec d’autres, va beaucoup trop loin pour une raison simple : ne sommes-nous pas réunis ici au grand complet, prouvant par là même que le Parlement serait parfaitement capable de siéger rapidement si la situation se dégradait davantage ?

Ce régime transitoire donne des pouvoirs exorbitants au Gouvernement, en particulier celui de porter atteinte à nos libertés fondamentales – aller et venir, manifester ou se rassembler. L’heure me semble plutôt à l’analyse particulière de chaque situation et à la confiance. J’appelle au cas par cas parce que les situations diffèrent largement d’un territoire à l’autre : la Lozère ne saurait être comparée à une métropole. J’appelle à la confiance parce que, si le Gouvernement ne cesse de vanter les mérites du couple maire-préfet, en pratique, les maires, notamment dans les petites communes, ont le sentiment que le préfet décide et qu’eux doivent se débrouiller pour mettre la décision en œuvre…

M. Rémy Rebeyrotte. Un peu démagogique !

Mme Emmanuelle Ménard. Il serait temps de faire confiance au bon sens de nos élus locaux et de leur permettre d’agir au plus près de leurs administrés pour qu’ils puissent réglementer quand c’est nécessaire. Rien n’oblige à interdire et encore moins à proroger exagérément ce régime transitoire !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La discussion générale est close.

Mes chers collègues, une cérémonie se déroule en ce moment même dans l’hémicycle où va être apposée une plaque en mémoire de Jacques Chirac. Nous ne pouvons interrompre durablement nos travaux, mais je vous propose d’observer une minute de silence. Jacques Chirac fut un serviteur de l’État et, au-delà, un serviteur des gens. Il a siégé de longues années à l’Assemblée nationale.

Les députés se lèvent et respectent une minute de silence.

M. Philippe Gosselin. Je vous remercie, madame la présidente, au nom des députés du groupe Les Républicains, pour ce geste qui vous honore. Il nous permet de nous associer à cette cérémonie au cours de laquelle, dans quelques instants, le président Richard Ferrand apposera une plaque commémorative au nom de Jacques Chirac, au siège qui fut le sien dans l’hémicycle.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. 1er de la loi n° 2020‑856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire) : Prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire

La Commission est saisie des amendements identiques CL1 de Mme Emmanuelle Ménard, CL5 de Mme Martine Wonner, CL13 de M. Stéphane Peu, CL24 de Mme Danièle Obono et CL27 de M. Paul Molac.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon amendement CL1 vise à supprimer l’article 1er. La loi du 9 juillet 2020, censée organiser la sortie de l’état d’urgence sanitaire, a déjà fait grincer des dents car elle n’a de sortie que le titre. Elle visait à prolonger l’état d’urgence plus qu’à y mettre fin. Tout était prévu pour que le Gouvernement puisse reprendre le contrôle à tout moment sans passer par le Parlement, au mépris du principe selon lequel il est responsable devant la Représentation nationale.

Une nouvelle fois, le Gouvernement nous demande de lui laisser les mains libres pour contrôler nos libertés les plus fondamentales : circuler, manifester, se rassembler, mener une vie sociale épanouie. C’est vrai, le virus circule toujours. Mais la situation est différente de celle du printemps. Il n’y a plus de raison de laisser le Gouvernement seul aux commandes jusqu’en avril 2021. Nous siégeons au quotidien et nous pourrions légiférer en urgence si la situation se dégradait. Le Parlement doit, sans attendre, retrouver son rôle de législateur et mettre fin à ce gouvernement par décret.

Ce souhait est partagé sur l’ensemble de nos bancs. Nous savons tous qu’un état d’urgence, fût-il maquillé en régime transitoire, demeure un régime d’exception qui ne saurait durer. Vous avez reconnu vous-mêmes que l’épidémie régressait dans certains territoires et que les mesures sanitaires y seraient appliquées différemment. La situation n’est pas la même à Montpellier ou à Béziers, à Mende ou au Puy-en-Velay. Puisque vous n’avez de cesse de vanter les mérites du couple maire-préfet, osez leur faire confiance en leur laissant les rênes ! Nous n’avons pas besoin de ce régime d’exception.

Mme Martine Wonner. Mon amendement est également de suppression. Ce projet de loi fait perdurer un régime d’exception transitoire particulièrement attentatoire aux droits fondamentaux. Ce régime devient la règle car il ne semble pas que le Gouvernement se dirige vers une sortie graduée : bien au contraire, l’exécutif dispose toujours des pouvoirs exorbitants qui lui ont été attribués dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Le régime voté en juin n’était qu’un état d’urgence innommé ; voilà qu’on nous demande de le proroger. Pour combien de temps encore et combien de fois ? La sortie dont il était question lors du vote de la loi du 9 juillet 2020 n’est qu’un horizon, en aucun cas une réalité. L’état sanitaire de notre pays ne le justifie pas.

Nous ne sous-estimons pas le risque d’une résurgence de l’épidémie mais l’urgence ne dispense jamais d’une juste proportionnalité des mesures, respectueuses des droits des personnes. Le Parlement doit retrouver le rôle qu’il a perdu depuis le début de la crise pour contrôler les mesures d’accompagnement de la sortie de l’état d’urgence. Les parlementaires doivent pouvoir contrôler l’exécution des mesures ainsi que l’exécutif.

M. Stéphane Peu. Mon amendement poursuit exactement le même but. Cet objet hybride, cet état d’urgence innommé pour reprendre les propos de certains juristes, présente tous les inconvénients de l’état d’urgence en ce qu’il bafoue les libertés fondamentales, sans présenter aucun de ses « avantages », si tant est qu’on puisse les appeler ainsi, en termes de contrôle du Parlement. Il s’étend, qui plus est, sur une durée anormalement longue. Compte tenu de l’état sanitaire de notre pays, vous seriez plus avisés de prendre au plus vite des mesures propres à lutter contre l’épidémie, qu’il s’agisse d’augmenter notre capacité de test ou de donner des moyens à nos hôpitaux exsangues, qui comptent trois fois moins de lits en réanimation que l’Allemagne. Vous n’avez encore rien fait pour y remédier.

Cet article, qui ne prévoit aucune mesure pour lutter contre l’épidémie, n’a d’autre effet que d’entraver les pouvoirs du Parlement et de porter atteinte aux libertés individuelles. J’y vois, non pas la volonté d’endiguer la maladie, mais le désir de dégrader la vie démocratique de notre pays dans la perspective des prochaines élections et des mobilisations sociales que la crise pourrait faire émerger.

M. Ugo Bernalicis. Comme nos collègues, nous refusons cette prorogation de mesures censées permettre de sortir de l’état d’urgence et qui finalement aboutissent à les inscrire dans le droit commun, comme nous l’a fait comprendre le ministre hier… On marche sur la tête comme dans un mauvais épisode des Shadocks !

Prenons l’exemple du contrôle de l’exécutif, que le Parlement serait censé exercer. Certes, nous avons une commission d’enquête qui mène des auditions. Ce n’est pas la panacée, mais au moins a-t-elle le mérite d’exister. Mais quand la ministre des armées, Mme Florence Parly, admet avoir menti sous serment en prétendant que les militaires français envoyés à Wuhan avaient été testés à leur retour, l’Assemblée nationale ne réagit pas et le président de la commission ne fait rien pour que, à tout le moins, ce parjure soit poursuivi. On en déduit que l’on peut venir faire un tour devant la commission d’enquête, raconter à peu près n’importe quoi et repartir comme si de rien n’était. Comme sur les masques, comme sur les tests ! J’en viens à me réjouir que la Cour de justice de la République soit saisie de cette question alors que j’appelle ordinairement à sa suppression. C’est vous dire où j’en suis ! Au moins, un contrôle sera exercé… Mais cela prendra quatre ou cinq ans.

En l’espèce, vous voulez nous mettre devant le fait accompli en invoquant le cri d’alarme du conseil scientifique. Or, qu’avez-vous fait la dernière fois que le professeur Jean-François Delfraissy a donné l’alerte ? À la place des annonces extraordinaires que nous aurions pu attendre du Président de la République, le Premier ministre a déclaré qu’il n’était plus nécessaire de fermer une école lorsque trois cas contacts y étaient avérés. Comment voulez-vous que les gens y comprennent quelque chose ?

M. Pacôme Rupin. Il faudrait savoir ce que vous voulez !

M. Ugo Bernalicis. Ne comptez pas sur nous pour signer un chèque en blanc !

M. Paul Molac. Mon amendement tend également à supprimer l’article 1er. Avez-vous conscience de l’étendue des pouvoirs d’un préfet dans son département ? Mme Emmanuelle Ménard a raison : au sein du couple formé du maire et du préfet, c’est ce dernier qui décide ; il informe, mais le plus souvent, la concertation avec le maire n’existe pas. C’est ainsi que les marchés, durant le confinement, ont été interdits dans certains départements et autorisés dans d’autres. Certains préfets sont allés jusqu’à prendre des arrêtés pour lutter non contre la maladie, mais contre des effets de la maladie ! Ces quelques exemples témoignent d’une dérive inquiétante de l’administration, pour nos libertés mais aussi pour la place du citoyen. Si l’on veut construire une société de la responsabilité, nous devons cesser de considérer le citoyen comme un enfant.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Ce texte est le quatrième dont nous débattons depuis le début de l’épidémie. Il n’est pas sérieux de prétendre que le Parlement est exclu du processus de décision, qu’il ne peut formuler aucune proposition ni interroger les ministres. Le ministre des solidarités et de la santé est resté avec nous jusqu’à 23 heures hier soir pour répondre à nos questions.

Par ailleurs, nous devons prendre des mesures car l’épidémie ne reculera pas seule. Or, l’état sanitaire de notre pays est malheureusement « préoccupant », pour reprendre le terme du conseil scientifique. Des mesures exceptionnelles sont prises face à une situation exceptionnelle. L’épidémie est mondiale et tous les pays rencontrent les mêmes difficultés. C’est vrai, ce texte n’est pas commun. La situation ne l’est pas davantage. Nous devons prendre des mesures appropriées et laisser la possibilité aux territoires d’adapter les réponses à leurs particularités.

Vous avez évoqué les droits et libertés de nos concitoyens, en particulier la liberté de circuler et le droit de manifester. Mais n’oublions pas qu’en vertu du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la nation garantit à tous la protection de la santé. Il est important de n’oublier aucun droit ni aucune liberté si nous voulons dégager un ensemble équilibré.

Mme Catherine Kamowski. Très juste !

Mme Alice Thourot, rapporteure. La fin précipitée des dispositifs spécifiques que vous proposez aujourd’hui serait dangereuse pour la santé publique. Quelle alternative avons-nous à la prorogation pour six mois du régime transitoire et à la perspective de débattre en début d’année prochaine d’un projet de loi qui propose des mesures pérennes pour gérer une crise ? Peut-être auriez-vous préféré prolonger l’état d’urgence sanitaire ? Je crois que vous auriez été les premiers à en dénoncer la sévérité. Il me semble au contraire important de prévoir des mesures pour en sortir progressivement.

Vous avez également suggéré de revenir au droit commun. Or, il est compliqué d’appliquer le droit habituel à une situation exceptionnelle. L’article L. 3131‑1 du code de la santé publique, que vous brandissez comme une baguette magique, n’est pas la solution. Le confinement n’a pu être décidé, au printemps dernier, que sur le fondement de la théorie des circonstances exceptionnelles. Les étudiants en droit, qui déduisaient de leurs cours universitaires que seule la guerre pouvait être considérée comme une circonstance exceptionnelle, apprendront que l’épidémie en est une aussi. Hélas, d’exceptionnelle, la situation est devenue normale puisque nous devons apprendre à vivre avec le virus. Cette théorie ne pourra plus fonder un nouveau confinement. En outre, nous sommes amenés à prendre, pour protéger la santé des Français, des mesures qui concernent des secteurs que le code de la santé publique ne couvre pas – transports ou commerce.

Rappelons enfin que le Conseil d’État, une fois n’est pas coutume, a rendu un avis très favorable à ce texte et que le conseil scientifique a jugé ces mesures « indispensables » – le choix des mots est important.

Personne ne prend plaisir, aujourd’hui, à voter un tel texte. Nous aurions tous préféré lever ces mesures et annoncer la fin de l’épidémie. Hélas, ce n’est pas le cas et nous devons agir en responsabilité pour éviter un nouveau confinement, de nouveaux morts et une récession accrue. Je suis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Pacôme Rupin. Ces amendements de suppression me surprennent car ils me paraissent déconnectés de la réalité. En gros, vous refusez que le Gouvernement prenne des mesures pour endiguer l’épidémie alors qu’elle progresse. D’ailleurs, si elle ne se propage pas aussi rapidement qu’en mars, c’est précisément grâce aux mesures dérogatoires. Si l’on sort du régime transitoire, le Gouvernement ne pourra plus agir comme il le fait pour protéger nos concitoyens. Or, ces derniers attendent que l’État prenne des décisions et les fasse respecter, en les encadrant.

Qui plus est, nous disposons à présent d’un certain recul sur les mesures que le Gouvernement a prises il y a plusieurs mois et dont il a usé avec parcimonie. Quant au contrôle, qui empêche les députés, de la majorité comme de l’opposition, de l’exercer ?

M. Pascal Brindeau. A posteriori !

M. Pacôme Rupin. Par définition, un contrôle s’exerce toujours a posteriori !

Mme Emmanuelle Ménard. Rappelons que le confinement et la fermeture des écoles ont été décidés avant que nous ne votions la déclaration d’état d’urgence sanitaire, ce qui prouve bien que nous pouvons agir dans l’urgence sans texte dérogatoire au droit commun.

M. Pacôme Rupin. Il y a déjà des mesures dérogatoires, le Gouvernement en prend tous les jours !

Mme Emmanuelle Ménard. Madame la rapporteure, nous ne vous demandons pas de lever toutes les mesures. Nous remarquons simplement que les règles de droit commun permettent de lutter contre l’épidémie, quitte à ce que nous nous réunissions dans l’urgence si besoin. Nous pouvons siéger tous les jours au complet – et non plus 75 députés sur 577 ou à deux représentants par groupe, car il n’a pas été décidé de reconduire les règles du confinement.

M. Pacôme Rupin. Et nous débattrons tous les jours de ce qu’il se passe dans l’Hérault…

M. Pascal Brindeau. Ne caricaturons pas ce débat. Nous ne sommes pas opposés à l’idée de prendre des mesures dérogatoires au droit commun lorsque l’urgence sanitaire le justifie, même si elles portent atteinte aux libertés fondamentales. Nous posons simplement la question du rôle du Parlement et du respect de la démocratie. Vous nous invitez à proroger pour six mois un régime transitoire, et ce alors même qu’il est prévu de soumettre un projet de loi au Parlement en janvier afin d’inscrire dans le droit commun des mesures dérogatoires.

M. Philippe Gosselin. En effet.

M. Pascal Brindeau. Si la situation sanitaire commande de restaurer l’état d’urgence, nous devons le faire. Ce serait compréhensible, cohérent et démocratique. Si, au contraire, elle ne le justifie pas, le Parlement doit retrouver ses droits dans le respect de la démocratie.

M. Erwan Balanant. Ce n’est un plaisir pour personne de proroger l’état d’urgence : nous aimerions tous que cette histoire soit derrière nous. Mais il s’agit de permettre aux décisionnaires de faire preuve d’agilité et de prendre des mesures rapidement.

Je suis d’ailleurs surpris, connaissant l’attachement de mon collègue Paul Molac à la décentralisation, de l’entendre dire que la décision ne doit pas venir du préfet, c’est-à-dire qu’elle devrait être prise au niveau central. En revanche, je suis d’accord pour considérer que le préfet ne doit pas décider seul, qu’il doit travailler avec les élus. Dans ma circonscription, c’est ainsi que cela s’est passé.

En juillet, certains se sont opposés à une sortie en sifflet du dispositif. Ils auraient voulu y mettre fin immédiatement, quitte à se réunir à nouveau pour préparer un autre texte si la situation se compliquait. « Mais si cela arrive en août ? » leur avais-je objecté à l’époque. Et c’est précisément ce qui s’est produit. Les pouvoirs publics ont pu prendre des décisions rapidement, ce qui a permis d’éviter la montée en flèche que nous avions connue en mars.

M. Pacôme Rupin. C’est juste !

M. Erwan Balanant. Je le répète, ce n’est pas de gaieté de cœur que je vois mon pays soumis à un régime dérogatoire. Mais la situation et la santé de tous les Français l’imposent. Je voterai donc contre les amendements de suppression.

Mme Martine Wonner. J’entends ceux qui s’inquiètent de l’état de santé de nos concitoyens – nous avons tous des raisons de nous en inquiéter. Mais quels sont les éléments factuels qui permettent d’affirmer que nous faisons encore et toujours face à une urgence sanitaire ? Il n’y en a aucun ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Il n’y a jamais eu aussi peu de décès en France depuis cinq ans. (Mouvements.)

M. Pacôme Rupin. Il faudrait attendre que les gens meurent pour agir ?

Mme Martine Wonner. Laissez-moi terminer !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je vous en prie !

Mme Martine Wonner. Parmi les régions affectées au printemps, le Grand Est a particulièrement souffert de l’absence de réactivité du Gouvernement. Or, aujourd’hui, dans les services hospitaliers de la région, qu’il s’agisse des unités covid prêtes à redémarrer ou des unités de réanimation, les capacités sont restreintes : ce n’est pas le Ségur qui a permis à l’hôpital de redresser la tête. Et les quelques personnes hospitalisées en réanimation le sont sur le fondement de critères de gravité beaucoup moins stricts – pour une oxygénothérapie excluant tout geste de réanimation. On peut s’en réjouir. Il s’agit de patients admis en réanimation en raison de pathologies tout autres et dont le test PCR, parfois au bout de trois prélèvements, se révèle positif.

Aujourd’hui, les centaines, voire les milliers de personnes qui se font dépister et dont le test PCR est positif ne sont pas malades, à l’exception de quelques-unes dont le tableau clinique est beaucoup moins grave qu’auparavant et auxquelles il suffit de donner un antibiotique. Je n’épilogue pas sur ce dernier point pour ne pas être une fois de plus stigmatisée comme « pro-Raoult », ce que je ne suis absolument pas. Mais il suffit en somme de faire ce qui a été fait en Alsace à partir de novembre 2019 – car le covid était bien présent en Alsace dès ce moment, et mes confrères, ne sachant pas de quoi il s’agissait mais étant confrontés à des pneumopathies, ont alors soigné 100 % des patients, sans déplorer aucun décès. C’est depuis que le Gouvernement se laisse bercer par la médiocratie de l’administration qu’il y a des morts.

M. Pacôme Rupin. Comme aux États-Unis, comme en Italie, comme en Espagne, c’est ça ?

Mme Martine Wonner. Si nous avions laissé faire les médecins, nous n’en serions jamais arrivés là.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous en êtes à près de trois minutes d’intervention.

Mme Martine Wonner. Une précision seulement. La préfète du Grand Est, avec qui je communique plusieurs fois par semaine…

M. Pacôme Rupin. La pauvre !

Mme Martine Wonner. … a repris des arrêtés liés aux passages en zone rouge. Selon quels critères ? Pour onze patients hospitalisés, elle met sous cloche 1,2 million d’individus. C’est un véritable scandale ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Philippe Gosselin. Ces amendements de suppression sont assez radicaux alors que le choix n’est pas aussi binaire : l’épidémie n’est pas un jeu de bonneteau où la maladie tantôt serait là, tantôt ne le serait pas. Contrairement à ma collègue à l’instant, j’admets que la crise sanitaire est loin d’être réglée. Dans cette situation, nous devons nous montrer responsables. Les Républicains l’ont été depuis le début. Nous n’avons l’intention de jouer ni avec la santé des citoyens ni avec nos institutions. Néanmoins, des questions se posent.

D’abord, madame la rapporteure, c’est en effet la quatrième fois que nous nous voyons en quelques mois. C’est heureux : il fallait bien instaurer l’état d’urgence sanitaire puis organiser la sortie de ce régime. Cette fois, en revanche, on ne nous propose pas un rendez-vous régulier : on fixe la prochaine échéance à six mois, ce qui n’est pas rien, alors qu’aucune interruption prévisible des travaux législatifs ne le justifie. Le Parlement siège et la session ordinaire débute la semaine prochaine pour durer jusqu’à fin juin 2021.

Ensuite, la France est assurément diverse. Le rythme de propagation du virus varie avec la diversité de ses territoires et nous devons en tenir compte. Mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga. On se gargarise du couple maire préfet ; dans la réalité, les choses ne sont pas si simples. Ainsi, certains services préfectoraux font le tour des mairies pour alerter tel ou tel édile qui, du coup, s’abstient de déposer un dossier lié à l’organisation d’un événement, lequel n’est dès lors pas juridiquement annulé, et les organisateurs ne peuvent faire jouer la clause de remboursement prévue au contrat. C’est un peu vicieux. En outre, le couple n’est pas toujours un duo et sa relation peut tourner au duel : cela dépend des préfets.

M. Ugo Bernalicis. Le problème n’est pas l’adaptation des mesures au niveau local, mais le fait que la même situation ne donne pas lieu aux mêmes décisions : le port du masque à vélo, par exemple. Il faut une boîte à outils garnie de consignes claires qui soient appliquées en fonction des situations locales. Si l’on réunit les préfets en leur disant que l’on attend d’eux des propositions pour faire face à la crise, cela va susciter une fuite en avant : un préfet responsable d’une zone rouge, qui voudra éviter tout risque, décidera la fermeture des bars à vingt-trois heures quand ils resteront ouverts jusqu’à deux heures du matin dans une autre zone rouge. Mais comment quelqu’un qui va voir un ami comprendrait-il pourquoi il ne peut pas aller boire un coup jusqu’à deux heures du matin dans sa commune alors que c’est autorisé ailleurs ? Comment voulez-vous susciter l’adhésion ?

Autre injustice, dont il est de notre responsabilité de parler : pendant que vous continuez d’adopter des mesures attentatoires aux libertés individuelles, vous n’en prenez pas dans le domaine économique,…

M. Pacôme Rupin. Mais si !

M. Ugo Bernalicis. … qui pourraient certes porter atteinte à la liberté d’entreprendre, contre les suppressions d’emplois et la crise à venir. Les plans de sauvegarde de l’emploi se multiplient, validés par les administrations donc forts du concours de l’État, alors qu’ils concernent des entreprises profitables appartenant à de grands groupes qui auraient les moyens de gérer la situation.

Mme Alexandra Louis. Et les mesures d’activité partielle, qu’en faites-vous ?

M. Ugo Bernalicis. Dans une salle voisine, on conduit des auditions à propos de l’offre publique d’achat de Veolia sur Suez, que l’on regarde se dérouler sans savoir quoi dire et qui pourrait entraîner 4 000 suppressions d’emplois avec l’assentiment du Gouvernement puisque les parts d’Engie, donc le capital détenu par l’État, sont la clef de voûte du dispositif.

Mme Alexandra Louis. Ce n’est pas le problème qui nous occupe ici.

M. Ugo Bernalicis. Mais, pour cela, ni mesure extraordinaire, ni prorogation, ni transition… C’est insupportable d’être pris pour des idiots !

M. Paul Molac. Personnellement mis en cause, je veux répondre à notre collègue Erwan Balanant : il ne faut pas confondre déconcentration et décentralisation. La déconcentration consiste à accorder plus de pouvoir à l’administration déconcentrée, c’est-à-dire au préfet. Or, ce haut fonctionnaire nommé dans un département pour trois ans peut-il vraiment y analyser la situation dans toute sa subtilité ? Il reste, sinon l’œil de Moscou, du moins la voix du Gouvernement, donc de Paris. Ce n’est pas la même chose que de donner le pouvoir aux élus locaux, qui résident parfois depuis toujours dans leur territoire, comme c’est mon cas, et qui s’efforcent d’être attentifs à ceux aux côtés desquels ils y vivent. Eux dépendent du suffrage des citoyens alors qu’à chaque préfet en succède un autre à peu près du même acabit, qui restera l’œil et la voix du Gouvernement.

M. Thomas Rudigoz. Au cours de la première vague, des élus et des citoyens ont estimé que notre pays n’était pas assez décentralisé pour bien réagir : il était difficile d’œuvrer assez finement et précisément depuis Paris. À la lumière de ce constat, nous changeons de paradigme en faisant davantage confiance aux préfets : c’est cohérent.

Je m’inscris en faux contre la description qui vient d’être donnée du préfet. Bien sûr, certains sont coupés de la réalité des territoires. Mais leur administration, elle, ne change pas au bout de trois ans. Certains fonctionnaires d’État accomplissent même une grande partie de leur carrière au sein de la même préfecture ou sous-préfecture.

Prenons l’exemple du département du Rhône dont le préfet s’est exprimé lundi dernier : avant de prendre ses décisions, il a pris le temps de discuter avec les élus locaux, notamment avec les maires des dix communes concernées par les mesures. Évitons donc de caricaturer le rôle des préfets et notre organisation territoriale, même si je suis d’accord pour dire que notre pays a besoin de davantage de décentralisation.

M. Jean-Félix Acquaviva. La déconcentration n’est pas la décentralisation, notre collègue Paul Molac l’a dit. Ce n’est pas la compétence des préfets qui est en jeu, mais la nature de leur fonction. L’exemple de la Corse le montre. Alors qu’Ajaccio avait accueilli l’un des premiers foyers d’infection, le taux de reproduction était devenu très faible à la fin de la première phase du fait des spécificités géographiques et démographiques locales – la faible densité de population, les temps de trajet très longs – et d’un confinement réussi. Lors du déconfinement et à l’approche de la saison touristique, nous avons prévenu que les flux de population et la reprise des activités humaines allaient faire de l’île l’une des premières zones rouges. L’assemblée délibérante de la collectivité de Corse, soutenue par l’ensemble des maires, a donc demandé l’instauration d’un passeport sanitaire pour sécuriser la destination. Nous n’avons pas été entendus par le législateur et le préfet, contraint de s’aligner sur l’exécutif quelle que soit sa bonne volonté, n’a pu suivre la recommandation unanime des élus. Résultat : la Corse a été le premier territoire à passer en zone orange, le 24 août, puis en zone rouge. Elle est au seuil de l’augmentation du nombre d’hospitalisations et d’admissions en réanimation. Elle sera parmi les territoires les plus fortement et rapidement touchés, les moyens humains au sein des hôpitaux étant inchangés.

Voilà un exemple concret des conséquences de l’absence de prise en considération des réalités objectives d’un territoire et d’un défaut de démocratie dans l’élaboration de la méthode de gestion de crise. J’espère évidemment me tromper dans mes prévisions car aucun d’entre nous ne souhaite de problèmes dans les hôpitaux. Mais il faudra bien faire des choix politiques courageux et confier cette élaboration à la démocratie locale, c’est-à-dire aux élus.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Madame Wonner, je vais essayer de vous répondre calmement, ce qui exige de ma part un effort considérable. Vous niez la réalité. J’ai le regret de vous annoncer que nous faisons face à une épidémie mondiale qui cause des morts tous les jours un peu partout dans le monde. Vous faites des signes de dénégation mais c’est bien le cas. Soutenir de telles thèses alors que vous êtes médecin, c’est grave !

M. Pacôme Rupin. Incroyable !

Mme Alice Thourot, rapporteure. Que les Français qui nous écoutent sachent que nous avons conscience de cette réalité, que nous pensons à ceux qui ont été malades ou qui le sont aujourd’hui, à ceux qui sont partis, à ceux qui ont perdu des proches. Je n’aurai pas d’autre réponse à vos propos.

La prolongation du régime transitoire n’est pas un saut dans l’inconnu. Ce régime, nous le connaissons : il est en vigueur depuis plusieurs mois. En outre, le présent texte, comme tous ceux que nous votons, donnera lieu à un contrôle du juge administratif, qui vérifiera la nécessité et la proportionnalité de chaque mesure prise. Nous adoptons des lois ; le préfet applique certaines dispositions ; le juge contrôle – une étape qu’il importe de rappeler.

Madame Ménard, le droit commun ne contient malheureusement pas les éléments permettant de faire face à la situation actuelle : c’est ce qui explique pourquoi il a fallu faire appel à la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles pour fonder le recours au confinement. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons besoin de prolonger les mesures transitoires, mais également de débattre dès janvier prochain d’un nouveau projet de loi. Le droit commun n’est pas adapté à la situation que nous vivons, mais comment aurait-on pu la prévoir ? Il faut réajuster sans cesse nos dispositifs. C’est ce que nous essayons de faire aussi bien que possible.

Le futur projet de loi nous donnera les moyens pérennes de faire face à une épidémie qui pourrait malheureusement se prolonger jusqu’à ce que nous disposions d’un vaccin. J’aimerais pouvoir vous dire que nous n’aurons bientôt plus besoin des mesures transitoires. Hélas, nous devons nous projeter à long terme et être en mesure de faire face à l’épidémie dans les six mois qui viennent. Vous n’êtes pas d’accord, monsieur Bernalicis, mais c’est une réalité.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas sur ce point que je suis en désaccord.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Il y a peu de points sur lesquels nous soyons d’accord, je vous le confirme !

Monsieur Gosselin, il est important, en effet, que nous nous soyons réunis quatre fois en quelques mois. Nous aurons encore ces rendez-vous réguliers. Vous avez parlé de clause de revoyure : nous nous reverrons justement en janvier pour débattre d’un projet de loi à l’élaboration duquel nous avons demandé au ministre de la santé d’associer les parlementaires – de la majorité comme de l’opposition.

Quant à la date de fin des mesures transitoires, je vous propose que nous en rediscutions à propos de votre amendement à venir à ce sujet, en discussion commune avec d’autres propositions de changement de date.

En ce qui concerne le couple du maire et du préfet, c’est le préfet qui, dans le département, est garant des libertés publiques et de la santé publique, compétences de l’État.

Mmes Danièle Obono et Cécile Untermaier. Non !

M. Ugo Bernalicis. Et l’article 66 de la Constitution ?

Mme Alice Thourot, rapporteure. J’ai parlé du juge tout à l’heure. Je profite de l’occasion pour saluer le travail accompli par nos préfets depuis des mois dans tous les territoires, en particulier dans le mien – la Drôme.

À propos de la situation économique, monsieur Bernalicis, vous semblez ignorer le plan France Relance ainsi que l’ensemble des mesures adoptées ces derniers mois, notamment celles touchant le chômage partiel. Elles doivent être saluées : peu de pays au monde ont pris des dispositions comparables. Elles ne vous conviennent pas, soit, mais elles sont importantes.

M. Ugo Bernalicis. PSA, Cargill, Agfa…

La Commission rejette les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL21 de Mme Marietta Karamanli, CL3 de Mme Emmanuelle Ménard, CL28 de M. Pascal Brindeau et CL15 de M. Raphaël Schellenberger.

Mme Cécile Untermaier. Un rectificatif tout d’abord : on ne peut pas, en commission des Lois et alors que nos débats sont suivis, laisser dire que le préfet est garant des libertés publiques. C’est très grave et très choquant ; cela rappelle des périodes noires de notre histoire. Il y a dans notre pays une autorité judiciaire et c’est elle qui est garante de nos libertés.

M. Pacôme Rupin. Individuelles !

Mme Cécile Untermaier. Convenez que la situation n’est pas la même qu’en mars : nous avons des masques et du gel, nous savons nous protéger. Un effort massif a été consenti. Et si l’on tarde à obtenir les résultats des tests dont on nous dit qu’ils sont pratiqués, il s’agit là de problèmes réglementaires. Or, le législateur doit appliquer le principe de proportionnalité en adaptant le texte à la situation. Je veux bien que l’on soit pris par le temps et que l’on demande la prorogation par facilité : cela peut se comprendre dans les circonstances que nous connaissons. Mais il faut, à tout le moins, en limiter la durée.

Le problème est moins législatif que réglementaire. L’administration a tous les moyens, grâce à la liberté que nous lui avons consentie, d’organiser les choses au mieux et de faire en sorte que le dispositif soit bien compris et accepté par les Français.

Nous ne parviendrons à rien sans responsabiliser nos concitoyens. On devrait leur laisser la responsabilité d’apprécier à quel moment ils peuvent ou non lever le masque. Comment expliquer qu’il faille obligatoirement se masquer quand on promène son chien dans une rue de Lyon à six heures du matin ? Il appartient à chacun de se protéger et de protéger autrui.

Enfin, la date butoir choisie doit tenir compte de celle des élections : à supposer que le préfet soit garant des libertés, imagine-t-on une campagne électorale pendant laquelle le Gouvernement pourrait décider d’empêcher des réunions de se tenir ?

Mme Emmanuelle Ménard. Depuis cet été, les indicateurs censés alerter sur l’arrivée d’une seconde vague sont malheureusement très fluctuants. Les signaux sont contradictoires. En l’absence de consensus scientifique, plus personne n’y comprend rien. Nous devons cette cacophonie à des prises de position plus souvent politiques que scientifiques. Cela suscite chez les Français de l’agacement, voire de la défiance envers nos institutions, qui perdent en crédibilité. Sans parler des mesures de bon sens rejetées d’un revers de main au moment où la crise sanitaire battait son plein : je pense aux masques et au dépistage massif, que le Gouvernement jugeait inutiles il y a quelques mois au lieu d’admettre la pénurie.

Il faut confier de nouveau la gestion de crise au Parlement, lequel doit de toute urgence retrouver la place qui lui revient afin de servir au mieux les intérêts des Français. Mon amendement est de repli par rapport au précédent qui tendait à supprimer l’article : il s’agit que le régime transitoire ne soit prolongé que jusqu’au 31 décembre 2020. La date du 1er avril 2021 est bien trop éloignée, notamment au vu des échéances électorales.

M. Pascal Brindeau. Mon amendement pose la question du délai nécessaire et suffisant pour l’application des mesures transitoires. On entend les prolonger dans un cadre qui n’est plus celui de l’état d’urgence sanitaire, mais pas encore tout à fait celui du droit commun. Or, l’enjeu principal est la capacité du Parlement à exercer ses prérogatives vis-à-vis de l’exécutif – le vote de la loi et le contrôle de l’action gouvernementale. Le délai choisi pourrait sembler fondé sur l’hypothèse d’une sortie de crise sanitaire, mais il ressort de tous les débats scientifiques et politiques depuis le début de cette crise que personne ne sait quand elle prendra fin. Nous serons donc immanquablement amenés à nous réunir à intervalles réguliers pour discuter des mesures à prendre, de leur cadre, de leur champ d’application. C’est le rôle du Parlement. Six mois pendant lesquels nous abandonnerions à l’exécutif la totalité de nos prérogatives, c’est trop du point de vue de cette exigence démocratique.

La date du 1er janvier 2021 nous semble en revanche raisonnable, d’autant qu’est envisagé pour cette période le futur texte mentionné par l’exposé des motifs et par la rapporteure, relatif à l’opportunité d’une inscription dans le droit commun des mesures permettant de gérer semblable crise sanitaire.

M. Philippe Gosselin. Notre amendement est un amendement de responsabilité – cette responsabilité qui caractérise mes propos comme la position de mon groupe. Nous ne refusons pas une sortie du dispositif en sifflet, c’est-à-dire en douceur, le cas échéant. Nous ne sous-estimons ni la reprise de la pandémie ni les difficultés sanitaires. Mais nous jugeons beaucoup trop longue la durée de six mois proposée.

En outre, nous souhaitons une clause de revoyure à intervalles réguliers. En cette période contrainte, le Parlement se doit d’adapter ses travaux à la situation. Une périodicité de deux ou trois mois nous semble un minimum. La date du 10 janvier 2021 a l’avantage de se situer après les fêtes de fin d’année : il faut veiller à ce que le dispositif s’applique encore à ce moment très particulier de retrouvailles familiales, d’animations commerciales et de célébrations religieuses. Elle correspond également à la durée de conservation des données personnelles prévue par la loi du 9 juillet dernier. Rien ne nous empêchera alors, au moment de débattre de la pérennisation annoncée de l’état d’urgence sanitaire, d’étudier les mesures à prendre non pas au fil de l’eau, mais lors de rendez-vous réguliers.

J’ai noté que le Gouvernement avait entendu les demandes de révision de la date initiale puisqu’il leur a en partie donné satisfaction. J’espère donc que la date du 1er avril sera modifiée, même si ce n’était pas pour choisir celle du 10 janvier.

Mme Alice Thourot, rapporteure. La date du 1er avril offre une perspective de moyen terme permettant d’aborder sereinement l’importante discussion prévue en janvier. Vous parlez de clause de revoyure, de rendez-vous rapide : nous en aurons un dès janvier. Les six mois que nous nous donnons nous laissent le temps de nous organiser, de préparer ce débat et de construire le nouveau texte.

Je rappelle à nouveau que le conseil scientifique a déclaré indispensable de prolonger l’état d’urgence sanitaire et n’a pas contesté la durée de six mois. Le Conseil d’État a rendu un avis favorable à cette durée. Elle est la plus raisonnable et la plus propice au travail qui nous attend d’ici à janvier, une échéance qui paraît lointaine mais qui va arriver très vite. Avis défavorable aux différents amendements.

Mme Cécile Untermaier. Je comprends la logique du texte gouvernemental. Mais je m’interroge sur ce que pourra penser le Conseil constitutionnel de la proportionnalité du dispositif. À vous entendre, madame la rapporteure, c’est parce que nous avons à préparer en janvier un projet de loi inscrivant diverses dispositions dans le droit commun qu’il faut prolonger jusqu’au 1er avril un texte dérogatoire dont le seul objectif devrait être la protection des citoyens. Je ne voudrais pas que, s’agissant de l’application de mesures aussi attentatoires à nos libertés, l’on choisisse une date de confort pour permettre au Gouvernement de s’organiser. Cela fragilise le dispositif.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Le Conseil constitutionnel, saisi en juillet, a rendu une décision éclairante quant à l’équilibre des droits et libertés : elle ne contestait pas la proportionnalité des mesures à la situation sanitaire du pays. J’imagine qu’il en jugerait de même aujourd’hui, les perspectives pour les mois à venir étant loin d’être réjouissantes. Mais, naturellement, il pourrait être saisi.

M. Jean-Pierre Pont. Rappelons que l’épidémie prendra fin avec un vaccin. Il n’arrivera sûrement pas avant la fin de l’année – en janvier, peut-être. Et il faudra le fabriquer, le distribuer, puis attendre qu’une fois injecté il stimule la production d’anticorps. Bref, nous l’aurons au plus tôt au premier trimestre 2021. Il est donc logique d’autoriser jusqu’au 1er avril le Gouvernement à prendre ces mesures – qu’il peut aussi lever si tout va bien. En revanche, nous risquons de nous trouver dans la même situation en décembre et de devoir alors prolonger à nouveau l’état d’urgence sanitaire. Or, d’expérience de médecin, mieux vaut pour la population, du point de vue psychologique, six mois d’emblée qu’une nouvelle prolongation dans trois mois.

M. Philippe Gosselin. Le débat que nous aurons au mois de janvier sur une forme de pérennisation de l’état d’urgence sanitaire – une disposition loin d’être anodine et dont Mme la présidente a rappelé hier soir qu’on pouvait à certains égards la comparer à la loi sur l’état d’urgence de 1955 – est une chose. Mais la sortie de l’état d’exception en est une autre. Vous essayez volontairement de mélanger les deux débats : ils sont évidemment liés mais, à ce stade, il convient de bien les distinguer.

Le Parlement n’a pas seulement vocation à voter la loi. Il a également pour mission de contrôler l’action du Gouvernement – c’est l’article 24 de la Constitution. Or, pour qu’il puisse exercer ce contrôle, il faut des clauses de revoyure régulières. Il serait tout à fait possible d’en fixer une tous les deux mois, par exemple.

Nous ne sommes pas des empêcheurs de tourner en rond. Les gouvernements, quels qu’ils soient, ont toujours tendance à accaparer la totalité des pouvoirs. Mais nous sommes légitimes dans notre rôle de contrôle, au nom de nos concitoyens. Les membres du groupe Les Républicains ont toujours eu le sens des responsabilités. Nous ne contestons ni la difficulté de la situation sanitaire, ni la nécessité de prendre certaines mesures adaptées. Mais nous nous méfions de ce droit d’exception qui aurait tendance à devenir le droit commun.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Monsieur Gosselin, vous ne pouvez pas dire qu’il n’y a pas de lien entre les mesures dont nous débattons aujourd’hui et le projet de loi visant à pérenniser les dispositifs de gestion de l’urgence sanitaire qui nous sera soumis au mois de janvier. J’espère que nous aurons, d’ici là, de bonnes nouvelles sur la situation sanitaire de notre pays.

Je remercie notre collègue Jean-Pierre Pont pour son intervention éclairante.

Madame Untermaier, pour clore le débat, je maintiens que le préfet est compétent en matière de libertés publiques, puisqu’il exerce notamment le contrôle de légalité, mais vous avez évidemment raison de rappeler qu’il le fait sous le contrôle du juge. Ce n’est pas une avocate qui vous dira le contraire.

La Commission rejette successivement les amendements CL21, CL3, CL28 et CL15.

Puis elle adopte l’article 1er sans modification.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL16 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Je l’ai dit : nous voulons être responsables, ce qui suppose de prendre en compte les activités de nos concitoyens. Il ne faudrait pas que l’impératif de santé publique – un principe que le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision du 11 mai 2020 – heurte de plein fouet d’autres principes à valeur constitutionnelle, d’autres droits et libertés fondamentaux.

Le principe de notre droit, c’est la conciliation des objectifs et des libertés. Objectif de santé publique : évidemment ! Protection des citoyens : évidemment ! Mais pas au point de leur interdire de circuler ici et là ; pas au point de les empêcher de se réunir ici et là. Je ne pense pas seulement aux élections de mars prochain : je le précise pour qu’on ne m’accuse pas de ne voir les choses que par le petit bout de la lorgnette – même si un rendez-vous démocratique ne me semble pas être un détail. Peu à peu, en retirant une pièce ici ou là, on est en train de défaire le puzzle de nos libertés et d’en brouiller l’image.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Vous évoquez un point dur puisque, de mémoire, c’est sur lui qu’a achoppé la commission mixte paritaire au mois de juillet.

M. Philippe Gosselin. Je vous le confirme.

Mme Alice Thourot, rapporteure. L’expérience de cet été, au cours duquel la loi que nous avons votée en juillet a montré son utilité, nous amène à confirmer notre position sur ce point, eu égard notamment à la capacité des services hospitaliers.

Comme vous, je pense qu’il faut des garde-fous, et c’est précisément la raison pour laquelle la loi du 9 juillet 2020 prévoit que les différentes mesures sont « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Ces principes de proportionnalité et de nécessité ont été confirmés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020‑803 DC du 9 juillet 2020.

Tout l’enjeu consiste à concilier le droit à la protection de la santé et les libertés d’aller et venir. La mesure d’interdiction de la circulation est strictement limitée : elle ne s’applique que dans les zones où le virus circule activement et elle ne saurait avoir comme conséquence de rétablir le confinement, si telle est votre crainte. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL18 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Dans le même esprit, nous craignons que, sous couvert de protéger nos concitoyens, on n’en vienne, de fait, à les empêcher de se réunir. Il importe certes de respecter certaines règles – nul ne le conteste. Mais nous ne devons pas tirer argument de la propagation du virus pour suspendre notre vie démocratique et nos libertés individuelles. Nous devons apprendre à vivre avec la maladie et non vivre sous cloche.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Je vous rejoins : nous ne souhaitons pas vivre sous cloche.

M. Philippe Gosselin. Vous allez donc donner un avis favorable ?

Mme Alice Thourot, rapporteure. La question que vous soulevez est tout à fait légitime. Si cela peut vous rassurer, sachez que les espaces où seront organisées les réunions publiques des prochaines élections départementales et régionales n’appartiennent pas à la catégorie des lieux dits de réunion, à moins que celles-ci aient lieu en extérieur, par exemple sur une plage de la Manche, ce qui ne me paraît guère crédible pour un mois de mars… (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. Il y fait peut-être meilleur que vous ne le pensez. Je vous y inviterai personnellement !

Mme Alice Thourot, rapporteure. Les réunions publiques et les meetings politiques se tiennent le plus souvent dans des lieux qui relèvent de la catégorie des établissements recevant du public (ERP) de type L. Les lieux dits « de réunion » sont des espaces plus difficiles à classer : parcs et jardins, plages, places publiques, etc.

Soyez donc rassuré, monsieur Gosselin : la loi du 9 juillet 2020 ne vise en aucun cas les réunions politiques. J’ajoute que le ministre de la santé a répondu hier que cette question ne relevait pas de sa compétence, mais du ministère de l’intérieur. Enfin, je note que ces mesures n’ont pas empêché le bon déroulement de la campagne des élections sénatoriales.

M. Philippe Gosselin. Vous mentionnez le ministre de l’intérieur fort à propos, madame la rapporteure. Il aurait effectivement été utile qu’il éclairât la Commission. S’agissant des élections sénatoriales, il faut rappeler que celles-ci ne mobilisent que quelques dizaines de grands électeurs dans chaque département – vingt-et-un pour une collectivité territoriale comme Saint-Barthélemy. Les élections départementales et régionales se font au suffrage universel direct : comparaison n’est pas raison…

Enfin, je me méfie des représentants de l’État dans les départements qui, il n’y a pas si longtemps, ont interdit l’accès à des forêts ou à des plages de plusieurs kilomètres carrés, des lieux dont la densité de population était quasi nulle. La baie du Mont-Saint-Michel représente, à marée descendante, 250 kilomètres carrés, excusez du peu… La question, vous le voyez, ne se limite pas aux élections : elle concerne aussi le quotidien de nos concitoyens. Il faut les aider aussi à s’oxygéner et ne pas chercher à tout leur interdire de manière absolue.

Mme Emmanuelle Ménard. Je m’interroge sur la notion de « circulation active » du virus : en existe-t-il une définition précise ?

M. Philippe Gosselin. C’est un peu comme la « tenue républicaine » !

Mme Cécile Untermaier. C’est assez complexe mais il y en a une, hélas !

M. Raphaël Schellenberger. Comme Philippe Gosselin, je trouve qu’il importe, surtout pour des textes qui ont un impact direct sur la vie de nos concitoyens, qu’il y ait une cohérence entre ce que nous votons et ce qui est appliqué. Je crains que cette disposition ne s’applique selon la logique du « deux poids, deux mesures ». Celles et ceux qui, de bonne foi, respecteront les circulaires du préfet et demanderont l’autorisation de se réunir en plein air essuieront un refus – alors qu’il est avéré que le virus circule moins à l’extérieur que dans des lieux clos. D’autres organiseront des manifestations revendicatives – pourquoi pas contre l’État ou certains de ses services, comme cela est arrivé à l’issue du confinement, lorsqu’on a laissé des militants se réunir par milliers dans les rues de Paris en toute illégalité ? Telle qu’elle est rédigée, cette disposition ne risque pas de réconcilier nos concitoyens avec la loi.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Madame Ménard, la liste des zones de circulation active du virus est annexée au décret du 10 juillet : ces territoires ont été définis selon des critères objectifs.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL42 de M. Sacha Houlié.

M. Sacha Houlié. Hier, j’ai interpellé le ministre de la santé sur la proportionnalité des mesures prises en matière d’accès à des salles ou à des équipements sportifs. Il n’a pu me répondre, et je le regrette, car cette prérogative relève du conseil de défense. Or, en tant que députés, nous n’avons pas la possibilité de saisir le conseil de défense. Mon amendement est une manière de le faire réagir.

Plutôt que de fixer des jauges forfaitaires valables sur l’ensemble du territoire – 5 000 personnes pour certains équipements, 1 000 sur d’autres –, nous proposons de prendre en compte la capacité des salles ou des stades. Ce n’est pas du tout la même chose de limiter à 1 000 le nombre de spectateurs dans le stade Vélodrome qui compte 67 000 places et dans une salle de spectacle qui en compte 1 200 : les gens se trouveront quand même les uns sur les autres et les règles sanitaires ne seront pas respectées. Cet amendement propose une mesure de bon sens, qu’il me paraît important d’inscrire dans la loi en attendant une évolution de la doctrine du conseil de défense.

Mme Alice Thourot, rapporteure. La question que vous soulevez est tout à fait pertinente et je connais votre engagement sur ce sujet. Toutefois, il ne vous aura pas échappé que je ne suis pas le ministre de la santé : il m’est donc impossible de répondre à la question que vous lui avez adressée hier. Ce que je vous propose, c’est de retirer votre amendement et de le déposer à nouveau en séance publique : le ministre pourra alors vous répondre ?

M. Sacha Houlié. Je ne souhaite pas retirer mon amendement. Un conseil de défense se réunit aujourd’hui : s’il révise sa position et que mon amendement devient sans objet, je déposerai moi-même un amendement de suppression.

M. Stéphane Peu. Je trouve que c’est un amendement de bon sens, qui permettrait de clarifier les choses. Les exemples donnés montrent combien il est problématique de donner un pouvoir aussi discrétionnaire aux préfets en matière de rassemblement. D’un endroit à l’autre, les choses se passent très différemment, il n’y a aucune cohérence d’ensemble.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la liberté de se rassembler : des questions économiques se posent également. Je prendrai un exemple qui me tient à cœur, celui du Stade de France, qui est dans ma circonscription et qui compte 80 000 places. Lors des manifestations sportives qui ont eu lieu cet été, on a limité à 5 000 le nombre de spectateurs : cela n’a aucun sens d’autant que ces personnes, aberration supplémentaire, étaient concentrées dans la même tribune !

Donner un pouvoir aussi exorbitant aux préfets ne garantit pas des décisions équilibrées et de bon sens. Or, c’est ce dont nous avons besoin pour soutenir l’économie de l’événementiel, qui souffre énormément.

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit effectivement d’un amendement de bon sens. Il émane d’un élu qui, comme nombre d’entre nous, connaît le terrain. Pour rester dans le domaine du football, alors que des clubs professionnels ont l’autorisation de maintenir leurs matchs avec une jauge maximale de 5 000 personnes, certains préfets interdisent les rassemblements de football amateur, comme si l’on ne pouvait pas réunir quarante personnes autour d’un terrain ! Il est essentiel de prendre des mesures proportionnées et il faut faire confiance aux parlementaires. Le conseil de défense va se positionner aujourd’hui ; en attendant, nous voterons cet amendement. Je note au passage que la même question se pose dans les universités.

M. Ugo Bernalicis. Il est d’autres lieux où les règles ne sont pas très claires, à commencer par l’Assemblée nationale ! Nous avons le droit d’inviter quatre personnes dans notre bureau, mais pas de réserver une salle pour les auditionner, même si elle offre quatre-vingts places comme celle où nous siégeons.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement nous convient parfaitement. Il s’inscrit dans la droite ligne des amendements que je viens de défendre, qui en appelaient également au bon sens. Il est insensé d’interdire aux gens de se réunir sur des plages immenses, mais il convient évidemment d’empêcher les réunions de cinquante personnes dans des salles qui ne peuvent pas en accueillir plus de dix. Il est vrai qu’à une époque, les radicaux se réunissaient dans une cabine téléphonique…

Au-delà de la boutade, il est évident que tous les ERP ne se ressemblent pas : c’est pourquoi il faut des mesures adaptées. Cet amendement est excellent et il ne remet absolument pas en cause la doctrine du Gouvernement – que la rapporteure ne va pas manquer de nous rappeler. Nous voterons cet amendement et je crois même que, s’il n’était pas adopté, nous pourrions le reprendre en séance, tant il nous semble bon.

M. Raphaël Schellenberger. M. Sacha Houlié est très courtisé !

M. Pascal Brindeau. Nous voterons également cet amendement car il rend plus cohérentes et plus compréhensibles, pour nos concitoyens, les mesures restrictives de liberté en matière de manifestations sportives ou culturelles. Il est effectivement incompréhensible de limiter à 5 000 le nombre de spectateurs dans un stade de 80 000 places – et de les concentrer, en plus, dans une seule tribune ! – alors que, dans le même temps, la ligne 13 du métro parisien est bondée du matin au soir. Nos concitoyens ne voient aucune cohérence dans ces mesures.

M. Thomas Rudigoz. Je voterai moi aussi l’amendement de M. Sacha Houlié car il permet d’être au plus près des territoires – que l’on parle de déconcentration ou de décentralisation. La première vague de l’épidémie a montré à quel point c’était nécessaire.

Dans la région lyonnaise, nous avons deux grands stades : Gerland, qui accueille le Lyon olympique universitaire rugby et qui compte 30 000 places, et le Groupama Stadium, où joue l’Olympique lyonnais et qui compte 60 000 places. La ville de Lyon étant passée en zone rouge dégradée, le préfet a réduit à 1 000 le nombre de spectateurs dans ces stades, ce qui n’a aucun sens. À la limite, il vaudrait mieux en interdire complètement l’accès. Comme M. Stéphane Peu l’a rappelé, cela crée de vraies difficultés économiques, qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes dans tous les sports : le rugby, par exemple, tire l’essentiel de ses recettes de la billetterie. La limitation à 1 000 places n’est donc pas supportable et elle n’est pas du tout en rapport avec les capacités d’accueil dans de bonnes conditions.

M. Erwan Balanant. M. Sacha Houlié est très courtisé et le mercato n’est pas fini ! (Sourires.) Je trouve, moi aussi, l’amendement intéressant. Certaines associations sportives, qui tirent une grande partie de leurs revenus de leur billetterie, se trouvent effectivement en difficulté du fait de ces restrictions. Il faudra, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, réfléchir aux moyens de soutenir la vie associative, qui a beaucoup souffert. Notre groupe votera cet amendement.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Monsieur Houlié, vous proposez de fixer une jauge à 10 % des places pour les stades situés en zone rouge, à 25 % en zone orange et à 50 % en zone verte. Pour l’heure, nous ne connaissons pas la position du ministre sur cette question. Pour ma part, je m’interroge aussi sur la question des transports et des accès : comment se rendra-t-on sur place ? Ces points doivent être clarifiés. Cela étant, j’entends vos arguments et, de ce fait, je donnerai un avis favorable.

Nous pourrons débattre avec le ministre la semaine prochaine.

M. Sacha Houlié. Nous avons commencé à réfléchir à la question des transports et de l’accès. La difficulté, on l’a dit, c’est que les stades ont tendance à réunir les spectateurs dans une seule et même tribune, en les faisant passer par une seule et même entrée. Le même problème se pose dans les universités : les flux sont souvent organisés autour d’un seul et même circuit. Il faudrait, dans les stades, prévoir plusieurs accès et ouvrir plusieurs tribunes. La question des flux est effectivement aussi importante que celles des jauges. Je vous remercie pour votre compréhension, madame la rapporteure.

La Commission adopte l’amendement CL42. L’article 1er bis est ainsi rédigé.

Elle en vient aux amendements identiques CL17 de M. Raphaël Schellenberger et CL32 de M. Pascal Brindeau.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement pourrait connaître le même sort que le précédent si l’on prenait le temps de réfléchir à la mesure qu’il entend supprimer. Le projet de loi permet au Gouvernement de maintenir la fermeture de certaines catégories d’ERP, parmi lesquelles les discothèques et les établissements de nuit. Je ne comprends pas cette stratégie qui consiste à viser certaines catégories en tant que telles. Je conçois que certaines activités soient incompatibles avec les gestes barrières ; ce que je ne comprends pas, c’est que l’on ne permette pas aux exploitants et aux usagers de proposer des solutions pour appliquer ces gestes barrières – quitte à leur demander de revoir leur copie ou d’aller plus loin. On ne leur laisse même pas la possibilité de proposer des solutions parce que leur établissement a été classé administrativement dans une catégorie que l’on a décidé de fermer.

Pire, alors même que le discours politique nous invite à revoir notre façon de concevoir notre vie sociale et de construire nos échanges, on empêche ces endroits de se réinventer. Pourquoi ne pas imaginer de faire d’autres choses dans les discothèques et les bars de nuit, au moins temporairement ? En se focalisant ainsi sur la nature du lieu, sur la catégorie administrative dans laquelle on l’a enfermé, on lui ôte toute chance. C’est dommage : c’est le signe d’un manque de confiance envers les acteurs de notre économie.

M. Pascal Brindeau. Mon amendement a le même objet. M. Schellenberger vient de parler des établissements de nuit ; je voudrais appeler l’attention sur le traumatisme qu’a représenté, sur le plan économique comme psychologique, la fermeture administrative de tout le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. À l’époque du confinement généralisé, cette mesure pouvait se justifier. Mais la situation a changé et le maintien de cette disposition dans un texte qui définit un entre-deux, entre l’état d’urgence sanitaire et le droit commun, paraît disproportionné. Le secteur de l’hôtellerie et de la restauration a montré, à travers les protocoles mis en place, que la reprise de l’activité est compatible avec la nécessaire prudence. Il est cohérent, dans le prolongement de l’amendement de M. Sacha Houlié, d’adopter celui-ci, qui fait également valoir un principe de proportionnalité et de cohérence dans l’action publique.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Je précise qu’il n’y aura pas de jurisprudence Houlié (Sourires) et que tous les amendements qui vont suivre ne recevront pas de ma part un avis favorable.

Le ministre a donné hier des éléments factuels concernant les bars et les restaurants : il a indiqué qu’en les fréquentant, on risque trois fois plus d’être contaminé car ce sont des lieux de convivialité. Que ce risque soit élevé, c’est un constat, pas de la théorie.

Le maintien de la fermeture de certains ERP ne réjouit personne : certainement pas moi puisque je me suis battue au début de l’été pour le monde de la nuit en me rendant notamment au Balajo, la plus ancienne boîte de nuit de Paris. Ce n’est pas une décision facile à prendre ; nous avons été nombreux à regretter de ne pas pouvoir danser cet été. Je connais aussi les difficultés du secteur de l’événementiel. Malheureusement, nous sommes rattrapés par le principe de réalité : la circulation de l’épidémie ne permet pas d’envisager la réouverture. Cependant, je tiens à signaler qu’un fonds de solidarité a été créé pour soutenir ces établissements et je me réjouis de l’annonce de sa prorogation jusqu’à la fin de l’année. Nous préférerions évidemment que ces établissements puissent rouvrir mais, en attendant, il est essentiel de les soutenir.

Compte tenu des circonstances, je suis obligée d’émettre un avis défavorable, même si je le regrette.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement s’inscrit dans la lignée des précédents. Nous sommes responsables et nous n’ignorons pas le contexte, marqué par une reprise de l’épidémie. Reste que certains ERP sont fermés administrativement depuis des mois, sans aucune perspective. Je pense aux discothèques, à certaines salles de spectacle et au secteur de l’événementiel, qui est en train de crever – il n’y a pas d’autre terme ! Je comprends qu’il faille prendre certaines mesures, mais il faudrait les adapter en fonction de la nature des salles, de leur superficie et du type d’événement. Il faut évidemment respecter le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement adossée à notre Constitution, œuvre du président Chirac que nous honorons aujourd’hui dans l’hémicycle. Mais il ne faut pas que ce principe confine à la paralysie. Il ne faut pas que la peur empêche d’agir ! Le monde n’est pas binaire, tout n’est pas blanc ou noir : ce qu’il faut, c’est un équilibre.

Cet amendement, comme celui de M. Sacha Houlié, aurait le mérite de créer un peu d’espace : il permettrait au monde de la nuit et au secteur de l’événementiel de revivre, aux spectacles de se produire, aux jeunes et aux moins jeunes de danser ailleurs que dans des fêtes sauvages ou sur des toits d’immeubles, où ils échappent à tout contrôle. Tout cela nécessite un travail de dentelière ; or, le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne faites pas dans la dentelle… Et cela nuit à l’économie de notre pays comme à nos concitoyens.

M. Pascal Brindeau. Sur quelle étude se fonde-t-on pour affirmer que le risque d’être contaminé est trois fois plus important dans les bars et dans les restaurants ? Ce qui favorise la circulation du virus, c’est l’absence de gestes barrières et de distanciation sociale. Je ne vois pas pourquoi un restaurant serait plus dangereux qu’une réunion familiale, un lieu de travail ou, a fortiori, la ligne 13 du métro parisien. Quel est l’argument scientifique qui permet de l’affirmer ?

M. Raphaël Schellenberger. Madame la rapporteure, on instaure une différence de traitement majeure en fonction non de l’activité pratiquée, mais de la catégorisation administrative. On a empêché les discothèques de proposer des plans sanitaires et des modes de fonctionnement respectant les gestes barrières. On a déporté les consommateurs en quête de convivialité dans d’autres lieux. C’est ainsi qu’à la fin de l’été, certains bars à ambiance se sont transformés en quasi-discothèques où les gestes barrières n’étaient pas respectés. Votre stratégie, qui a consisté à fermer certaines catégories d’ERP, a eu pour conséquence de concentrer les gens ailleurs.

Je ne dis pas qu’il faille à tout prix rouvrir les discothèques. Je dis qu’il faut laisser aux lieux de convivialité l’opportunité de se réinventer et de nous proposer des façons de fonctionner qui respectent les gestes barrières – et que le Gouvernement sera libre de repousser. Un drame économique est en train de se produire. Ce qui fait la France, c’est aussi le sens de la vie sociale et festive. L’alerte rouge a été sonnée par le monde de la nuit et par tous les professionnels du spectacle vivant à qui nous devons l’excellence de la culture française. Nous sommes en train de les étouffer avec ces mesures qui manquent de discernement.

M. Pacôme Rupin. Je suis surpris que les membres du groupe Les Républicains déposent cet amendement alors qu’ils avaient effectivement fait preuve, depuis le début de la crise, d’un grand sens des responsabilités. Vous invoquez le principe de précaution, monsieur Gosselin, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. On sait que le virus circule avec une facilité particulière dans des établissements clos qui reçoivent du public, où des contacts prolongés et rapprochés peuvent s’établir. On ne peut pas interdire tout rassemblement – même si, pendant le confinement, on empêchait, d’une certaine manière, les réunions de famille – mais il faut éviter qu’un grand nombre de personnes ne se concentre au même endroit. Cela étant, je vous rejoins sur le fait qu’il faut éviter les mesures contradictoires, par exemple fermer des lieux tout en laissant des gens se concentrer ailleurs.

M. Philippe Gosselin. Il y a un effet d’éviction.

M. Pacôme Rupin. Et il faut bien distinguer les endroits clos des lieux ouverts, car les risques de contamination ne sont absolument pas les mêmes.

M. Philippe Gosselin. Absolument !

M. Pacôme Rupin. Mais il faut laisser la possibilité au Gouvernement de fermer des ERP, sous peine de voir les foyers d’infection se multiplier rapidement.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Je vous opposerai, à contrecœur, le principe de réalité : l’épidémie reprend et le conseil scientifique juge l’état sanitaire préoccupant. On court le risque d’une saturation des services de réanimation. Le ministre de la santé indique que le risque de contamination est multiplié par trois quand on fréquente un bar ou un restaurant. Il y a sans doute deux explications à cela : d’une part, on ne porte pas le masque de manière aussi assidue dans un bar et sur son lieu de travail ; d’autre part, on observe un relâchement des gestes barrières dans les lieux de convivialité. Mon avis sera donc défavorable. Il est toutefois possible que le ministre considère, la semaine prochaine, que des améliorations peuvent être apportées au dispositif existant.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement CL11 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Madame la rapporteure, votre remarque tout à l’heure m’a particulièrement blessée. Je suis médecin. J’ai fait partie de la réserve sanitaire et je sais de quoi je parle quand j’évoque la situation dans les services hospitaliers. J’ajoute que l’on meurt actuellement trois fois plus de suicide en France que du covid…

Pour en revenir à l’amendement, le certificat d’immunité demandé aux personnes souhaitant se rendre en outre-mer est discriminatoire. En effet, les compagnies aériennes et les autorités locales demandent qu’un test soit réalisé soixante-douze heures avant le vol. Or, les délais d’obtention des résultats ne le permettent pas. De plus, le ministre de la santé a insisté sur le fait que ceux qui souhaitent rentrer chez eux et qui sont actuellement bloqués dans les aéroports ne sont pas prioritaires. Compte tenu de la stratégie de dépistage pratiquée en France, l’application de cette procédure empêche l’exercice du droit de circuler librement, droit défini en ces termes par l’article 2 du protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme : « Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien. » J’ajoute que la fiabilité des tests PCR est sujette à caution puisque près de 30 % des tests effectués sont de faux positifs.

M. Jean-François Eliaou. C’est l’inverse : 30 % de faux négatifs !

Mme Alice Thourot, rapporteure. Le dispositif que vous critiquez n’est en rien discriminatoire. Il vise, au contraire, à protéger les territoires d’outre-mer, particulièrement vulnérables dans le contexte épidémique. Nous poursuivons le même objectif. À titre d’exemple, la Guyane est l’un des principaux déserts médicaux du pays. L’agence régionale de santé (ARS) locale a dû recruter 250 médecins étrangers pour faire face à l’épidémie.

M. Ugo Bernalicis. Des médecins cubains ?

Alice Thourot, rapporteure. Peut-être avez-vous reçu, dans le cadre de la réserve sanitaire, des propositions pour venir renforcer les équipes, car la Guyane a adressé de nombreuses demandes en ce sens.

Lors de la discussion du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, notre Commission avait souhaité ne pas discriminer les passagers en provenance d’un territoire d’outre-mer où ne circule pas le virus. Actuellement, cette disposition n’est donc appliquée qu’aux passagers en provenance de Mayotte et de la Guyane, compte tenu de la situation sanitaire locale. Autrement dit, la mesure s’applique dans les deux sens pour Mayotte et la Guyane, et seulement dans le sens métropole outre-mer pour les autres territoires. Il ne s’agit donc pas d’un dispositif général, absolu et discriminant mais d’un outil calibré destiné à protéger ces territoires qui ont besoin de l’être du fait de leurs spécificités. Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL31 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. L’amendement vise à ce que les mesures restrictives que peut être amené à prendre l’exécutif ne puissent être appliquées que dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus, non à l’ensemble de la population sur tout le territoire national.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Avis défavorable. Ce n’est pas parce qu’un département n’est pas classé en zone de circulation active que le virus n’y circule pas et que sa population ne doit pas être protégée. Votre amendement risquerait même d’accélérer la diffusion du virus dans l’ensemble du pays, y compris dans les zones les moins touchées. Nous souhaitons à tout prix éviter une saturation des services de réanimation. La mesure que vous proposez aurait pour conséquence de restreindre l’application de certaines mesures, pourtant nécessaires, prises actuellement dans tous les départements. Partout sur le territoire, il demeure nécessaire de porter un masque dans les espaces publics clos car le virus s’y diffuse avec la même facilité, que l’on se trouve dans le Loir-et-Cher, à Paris, dans le Rhône ou dans la Drôme.

M. Pascal Brindeau. J’entends vos arguments. Mais je relève une certaine contradiction avec la pratique actuelle : des mesures de restriction sont prises sur une base territoriale, en fonction de la reprise de la circulation du virus – qui est forte dans plusieurs régions et départements –, du nombre de cas positifs et de malades, le cas échéant hospitalisés. Il faut adapter la réponse à l’urgence territoriale. Mon amendement vise à appliquer le principe de proportionnalité. Nous ne sommes pas revenus à l’état sanitaire de la fin de l’hiver, qui a justifié l’état d’urgence. Je veille, dans tous mes amendements, à ce que les mesures les plus attentatoires aux libertés demeurent du domaine de l’exception et n’entrent pas dans le droit commun.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Je comprends votre objectif. Mais votre amendement ne permettrait d’adapter les mesures restrictives que dans les zones de circulation active du virus. Il est essentiel de se préserver une capacité d’adaptation sur tout le territoire français. C’est pourquoi je maintiens mon avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL23 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Par cet amendement, le groupe Socialistes et apparentés souhaite que le Parlement reçoive toute l’information nécessaire au contrôle de l’action du Gouvernement. Nous proposons que toute prorogation du régime d’exception soit subordonnée à la présentation par le Gouvernement d’un rapport établissant l’impérieuse nécessité d’une telle mesure. C’est le minimum qu’on puisse demander. Lors de précédents états d’urgence, la commission des Lois avait formulé des exigences similaires.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Le Parlement dispose déjà de deux avis du Conseil d’État et du conseil scientifique. Je vous invite à redéposer votre amendement dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif aux dispositifs pérennes de gestion de l’urgence sanitaire, qui aura lieu en janvier. Avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Je prends note de votre réponse mais il est essentiel que, dans la période transitoire que nous connaissons, le Parlement reçoive toute l’information nécessaire. Cet éclairage nous permettrait d’examiner dans les meilleures conditions le projet de loi évoqué. C’est, j’y insiste, le minimum que peuvent attendre les parlementaires. Du reste, les informations demandées n’ont rien à voir avec celles contenues dans les avis du Conseil d’État et du conseil scientifique.

Mme Alice Thourot, rapporteure. J’ajoute que l’étude d’impact apporte des éléments supplémentaires. Je maintiens mon avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL40 de la présidente, qui fait l’objet des sous-amendements CL45 de Mme Isabelle Florennes et CL47 de M. Pascal Brindeau, ainsi que l’amendement CL41 de la présidente, qui fait l’objet du sous-amendement CL46 de Mme Isabelle Florennes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’ai déposé, avec Gaël Le Bohec et l’ensemble des membres du groupe La République en marche, l’amendement CL40, qui vise à offrir de la souplesse aux collectivités territoriales – notamment aux communes – et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernant les modalités de réunion de leur organe délibérant. Lorsque le virus circule activement, il faut permettre aux élus des collectivités et des EPCI de se réunir dans des lieux adaptés, où les distances de sécurité peuvent être respectées et où les conditions sanitaires sont satisfaisantes. Nous sommes tous, ici, attachés à la vie démocratique. Nous devons offrir à nos élus locaux des conditions de réunion garantissant leur sécurité sanitaire.

L’amendement CL41 vise, dans le même souci, à permettre de restreindre l’accès du public à une réunion de l’organe délibérant dès lors que les débats sont retransmis en direct.

Le Gouvernement avait intégré ces dispositions dans l’ordonnance du 13 mai 2020. Elles n’étaient toutefois applicables que jusqu’au 30 août dernier. Il est important de restaurer cette possibilité.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Pour nous tous, la continuité du fonctionnement des institutions locales est essentielle ; une part importante des décisions prises pour gérer la crise sanitaire repose sur les élus locaux en concertation avec le préfet. Il me paraît nécessaire de garantir leur capacité de se réunir et de prendre des décisions dans les meilleures conditions. Les deux mesures arrivées à échéance le 30 août dernier se sont révélées utiles. Je donne un avis favorable à ces deux amendements.

Mme Isabelle Florennes. Je vous remercie, madame la présidente, de ces amendements importants qui permettent d’assurer la continuité de la vie démocratique dont les élus locaux sont des acteurs majeurs, surtout dans le contexte de la crise sanitaire. Nos deux sous-amendements visent à élargir ces dispositions aux zones classées orange – au-delà, donc, des territoires où le virus circule activement.

M. Pascal Brindeau. Nous sommes tout à fait favorables à ces deux amendements. Les communes de petite taille, qui disposent d’équipements modestes, comme les EPCI, lorsqu’ils sont de grande dimension et comptent un nombre élevé d’élus, ne peuvent aujourd’hui tenir leurs conseils dans des conditions sanitaires acceptables, à moins de changer de lieu de réunion. Cela étant, l’amendement CL40 reprend mot pour mot le texte de l’ordonnance qui prévoyait une information préalable du préfet. À partir du moment où la loi autorise le changement de lieu, je n’en vois pas l’utilité. Les élus locaux sont responsables ; ils apprécieront la situation sanitaire. Mon sous-amendement CL47 vise à supprimer la procédure d’information dans le cadre d’une décentralisation assumée.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Madame Florennes, vous souhaitez étendre la possibilité de modifier le lieu de réunion des exécutifs locaux ou de limiter la présence du public à ces réunions à tout le territoire et non aux seules zones de circulation active du virus. Je vous demanderai de retirer les sous-amendements. En effet, l’objectif poursuivi est d’assurer le bon fonctionnement des institutions locales ; les assouplissements proposés ne peuvent être justifiés que par le niveau de circulation du virus. Dans le cas contraire, comment pourrait-on justifier l’interdiction du public ou un changement de lieu qui pourrait être contraignant pour les élus locaux ? Ces mesures, qui visent à proroger des dispositions prises par ordonnance au printemps, doivent offrir les mêmes garanties et être, de la même façon, limitées aux zones à risque. Si vous ne retiriez pas les amendements, je donnerais un avis défavorable.

Monsieur Brindeau, il faut insister sur le fait que l’autorisation du préfet n’est pas requise ; ce dernier doit simplement être informé. Je donne un avis défavorable sur votre sous-amendement : le changement de lieu de réunion d’un exécutif local est une décision qui peut avoir des conséquences et qui doit, de ce fait, être encadré par des garanties. L’information du préfet permet à ce dernier d’exercer, en connaissance de cause, le contrôle de légalité qui lui revient et de garantir que le lieu choisi offre les conditions d’accessibilité et de sécurité nécessaires, qu’il permet d’assurer la publicité des séances et qu’il ne contrevient pas au principe de neutralité.

M. Philippe Gosselin. Je m’associe à l’hommage rendu aux élus locaux, toujours en première ligne, souvent à portée d’engueulade, et qui ont fait un travail remarquable dans une période difficile. Selon ce qu’ont donné les résultats des élections municipales, certaines équipes ont été élues dès le premier tour, d’autres ont vu leur mandat prorogé. Les élus ont dû parfois faire face aux incertitudes liées au second tour et gérer des équipes, d’une certaine façon, encore en campagne. Beaucoup d’élus locaux ont été au plus près de leurs concitoyens, les ont écoutés et se sont efforcés de répondre à leurs attentes. Ils ont parfois été jusqu’à leur apporter des vivres. Ils ont veillé sur les personnes isolées.

Il est souhaitable que nous puissions ajuster les modalités de réunion des organes délibérants. Beaucoup de très petites communes ont des salles de réunion de taille modeste. La salle du conseil municipal ne peut pas toujours permettre de respecter les distances barrières. Il faut autoriser l’utilisation de la salle des fêtes, de la salle dédiée aux moments de convivialité, de celle qui est affectée aux activités associatives et qui est parfois l’ancienne école. Ce sont des mesures de bon sens sur lesquelles on peut se retrouver.

Mme Marietta Karamanli. Notre groupe soutiendra ces amendements de bon sens, qui font écho aux réalités vécues dans les territoires. Bon nombre d’organes délibérants peinent à se réunir. Nombre de municipalités n’ont pu mettre en place leurs commissions faute de disposer de lieux adaptés. Je partage la remarque de la rapporteure sur les sous-amendements : il faut rester dans le cadre fixé pour des situations exceptionnelles.

M. Pascal Brindeau. Je ne suis pas très bien votre argumentation, madame la rapporteure. Soit on parle d’une information, comme vous l’avez précisé, et le préfet n’a pas de pouvoir d’appréciation, soit on exige une autorisation préalable. L’appréciation des conditions d’accessibilité d’un établissement recevant du public relève de la responsabilité du maire, non du préfet. C’est, par exemple, le maire qui peut décider de fermer un établissement recevant du public en cas de non-conformité avec les règles de sécurité incendie. La loi définit les conditions sanitaires à respecter. Ces questions sont donc sans lien avec la procédure d’information préalable du préfet, que je juge inutile, à moins qu’il ne s’agisse, en réalité, d’imposer une autorisation préalable – mais cela ne semble pas être le cas.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Je vous confirme qu’il ne s’agit pas d’une autorisation préalable, mais d’une information. Juridiquement, il n’y a aucune innovation : c’est la simple application du contrôle de légalité. Sur la base des informations reçues, le préfet contrôle la légalité des actes des collectivités territoriales : c’est tout ce qu’il y a de plus classique.

Mme Cécile Untermaier. Je me range à cette analyse. Vous avez raison de dire, madame la rapporteure, que cela s’inscrit dans le cadre du contrôle de légalité. Plutôt que d’une information, il s’agit, en réalité, de la transmission d’un acte : l’emploi de ce terme me paraît plus adapté d’un point de vue légistique. Je déposerai un amendement en ce sens en vue de la séance publique.

Mme Alice Thourot, rapporteure. C’était le terme originellement utilisé. Mais nous sommes bien d’accord sur le sens.

La Commission rejette successivement les sous-amendements CL45 et CL47 avant d’adopter l’amendement CL40. L’article 1er ter est ainsi rédigé.

Puis elle rejette le sous-amendement CL46.

Enfin, elle adopte l’amendement CL41. L’article 1er quater est ainsi rédigé.

La Commission en vient à l’amendement CL12 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Le droit français envisageait l’hypothèse d’une épidémie bien avant la loi du 23 mars 2020. En effet, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique autorise le ministre de la santé « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie » à prendre des mesures proportionnées au risque encouru. Le cas des « maladies épidémiques ou contagieuses » est mentionné au cinquième alinéa de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. En parallèle, le préfet peut intervenir en cas de « menaces sanitaires graves  » ou de « danger ponctuel imminent pour la santé publique » ; il est investi à cette fin de pouvoirs de police spéciale. Il n’y a donc pas lieu de confier des pouvoirs exorbitants au ministre de la santé.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Nous en avons longuement débattu : le droit commun n’a pas suffi à faire face à la crise. Mais votre amendement sera bientôt satisfait puisque le dispositif de l’état d’urgence sanitaire, introduit par la loi du 23 mars 2020, sera abrogé le 1er avril prochain. Je vous renvoie donc, pour les modifications que vous proposez d’apporter aux articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, au débat que nous aurons à partir de janvier. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL26 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement revient sur l’enjeu essentiel, en termes sanitaires, économiques et sociaux, de la gratuité des masques. Nous avions déposé en avril dernier une proposition de loi tendant à instaurer cette gratuité afin de protéger toute la population et de freiner plus rapidement l’épidémie. Ce texte se trouve toujours sur le Bureau de l’Assemblée nationale ; nous ne désespérons pas qu’il soit inscrit, à un moment ou à un autre, à l’ordre du jour.

Généraliser l’usage des masques implique que ceux-ci soient pleinement accessibles, donc disponibles et gratuits. C’est un matériel de première nécessité en temps d’épidémie. Les calculs faits par 60 millions de Consommateurs montrent que, pour une famille, l’achat de masques représente un coût compris entre 100 et 200 euros par mois, somme considérable alors que la précarité sociale et économique s’accentue, que les annonces de licenciements et les difficultés s’amoncellent. Cela nous semble problématique pour les publics les plus jeunes, les plus vulnérables, voire pour d’autres catégories de population. La protection sanitaire doit être pleinement assurée : si nous voulons faire cohabiter la population avec le virus, il faut rendre disponibles tous les outils. La question de la gratuité doit être prise beaucoup plus au sérieux par la majorité et le Gouvernement.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Sans attendre une proposition de loi ou un rapport, le Gouvernement, comme les collectivités territoriales, dont je tiens à saluer les efforts, ont agi pour assurer la distribution gratuite de masques à ceux qui en ont besoin. Quoi qu’il en soit, la gratuité générale ne saurait constituer un objectif et une politique crédibles, quel que soit le domaine concerné. Vous regrettez, madame Obono, que votre proposition de loi visant à instaurer la gratuité des masques ait été ignorée par le Gouvernement et la majorité. J’observe, pour ma part, que votre groupe politique a choisi de ne pas l’inscrire à l’ordre du jour de sa journée réservée du 4 juin dernier.

Je note enfin qu’une commission d’enquête et une mission d’information ont été créées à l’Assemblée nationale au sujet du covid et que toutes les commissions permanentes ont pris le sujet de la crise sanitaire à bras-le-corps. L’Assemblée dispose de ses propres moyens d’évaluation et de contrôle, sans avoir à dépendre d’un rapport du Gouvernement. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Vous avez raison de relever que nous n’avons qu’une journée d’initiative parlementaire par session ordinaire. Nous n’avons pas pu inscrire ce texte à l’ordre du jour car nous ne pouvons nommer que deux rapporteurs par commission. Nous n’avons pas davantage pu discuter de la question du consentement des mineurs, qui est aussi un sujet essentiel. Je vous invite à convaincre votre majorité et le président de l’Assemblée nationale de l’opportunité que les groupes d’opposition disposent de capacités d’initiative renforcées. Certaines de nos propositions seraient utiles à la population et pourraient recueillir un consensus.

Vous ne m’avez pas véritablement répondu sur la gratuité. Les prestations fournies gratuitement sont financées par l’État, c’est-à-dire par les citoyens, du moins par ceux qui ne tentent pas d’échapper à l’impôt comme certains amis de la majorité. C’est par un effort collectif que l’on peut instaurer la gratuité. Face à l’état d’urgence sanitaire, il ne nous semble pas crédible de faire peser l’essentiel du coût des masques sur la population : tout le monde est vulnérable même si certains publics sont particulièrement fragilisés. Les membres de ce qu’on appelle la classe moyenne sont extrêmement précarisés. La protection collective implique que chacun dispose des moyens nécessaires. Sur ce point, vous ne semblez pas avoir d’argument à opposer à notre amendement. J’imagine donc que les membres de la commission des Lois voteront en sa faveur, malgré votre avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 (article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions) : Prorogation des systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de covid-19

La Commission examine les amendements identiques CL2 de Mme Emmanuelle Ménard, CL9 de Mme Martine Wonner, CL19 de M. Philippe Gosselin, CL25 de M. Ugo Bernalicis et CL34 de M. Jean-Félix Acquaviva.

Mme Emmanuelle Ménard. Les mesures instaurées par le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence, loin d’être anodines, sont particulièrement restrictives. Le pouvoir exécutif se voit attribuer des prérogatives extraordinaires afin de faire face à la crise. En ce qu’elles sont attentatoires aux libertés et droits fondamentaux, ces mesures doivent être strictement proportionnées et limitées dans le temps. La crise sanitaire a mis en exergue les tensions qui parcourent notre pays. Malgré cela, le texte fixe de manière aléatoire les dates de l’état d’urgence sanitaire puis de la période transitoire, que l’on proroge de manière tout aussi aléatoire. On a un peu l’impression – je rejoins Mme Cécile Untermaier – que vous prolongez la sortie de la crise jusqu’en avril prochain pour des raisons qui ne tiennent pas à la situation sanitaire, mais qui sont aussi liées au calendrier parlementaire, afin d’avoir le temps de nous présenter un texte en janvier. Prolonger une nouvelle fois la sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021 risque d’accroître l’exaspération des Français. C’est pourquoi je propose de supprimer l’article 2.

Mme Martine Wonner. La durée de conservation des données à caractère personnel collectées par les systèmes d’information pourra être prolongée jusqu’au 1er avril 2021. Cela pose un problème au regard du secret médical et du respect de la vie privée. De plus, l’article ne modifie pas la loi du 11 mai 2020 concernant le consentement des personnes atteintes par le virus ou ayant été en contact avec ce dernier.

Compte tenu de l’avis de la CNIL du 14 septembre dernier, je propose de supprimer cet article. En effet, cette institution regrette que le rapport adressé par le Gouvernement au Parlement ne fasse pas état d’éléments précis justifiant de la nécessité de maintenir ces traitements au regard du contexte sanitaire actuel. Elle note que quelques améliorations pourraient être apportées concernant la gestion des comptes d’administration et la traçabilité des accès. Elle a également constaté, lors de ses contrôles, l’existence de pratiques insatisfaisantes : la délivrance d’une information parfois incomplète aux personnes concernées, l’absence de procédure formalisée concernant l’exercice des droits des personnes dans certaines agences régionales de santé, des difficultés liées à la sécurité des transmissions des données entre certains organismes et l’insuffisance, dans certains cas, des mécanismes de nature à garantir une conservation des données limitée à la durée prévue par les textes.

M. Philippe Gosselin. La conservation des données à caractère personnel sera prorogée jusqu’au 1er avril 2021 alors qu’elle devait initialement s’arrêter le 10 janvier 2021. C’est pourquoi j’avais proposé, par cohérence, de ramener le terme de la période de transition au 10 janvier prochain. Je comprends votre logique tout en regrettant que plusieurs textes et diverses dates se superposent. À cela s’ajoutent des difficultés liées au secret médical et au respect de la vie privée. La CNIL affirme que, globalement, le respect des données est assuré. Toutefois, il a fallu, l’été dernier, mettre le Gouvernement en demeure de rectifier un certain nombre d’éléments, car il n’avait pas respecté les règles qu’il s’était lui-même fixées en matière de protection des données personnelles. Il est fâcheux de ne pas appliquer le règlement général sur la protection des données (RGPD) dans une période comme celle que nous vivons. Et d’autres sujets font encore débat. Il nous paraît souhaitable de n’autoriser la conservation des données personnelles que jusqu’au 10 janvier 2021 et de réexaminer le sujet à l’occasion de la clause de revoyure. Nous demandons de supprimer cet article.

M. Ugo Bernalicis. Même si la CNIL affirme que, globalement, les mesures nécessaires au respect de la vie privée ont été prises, le dispositif comporte de nombreuses failles. La Commission n’a pas obtenu de véritable réponse du Gouvernement s’agissant des raisons sanitaires qui justifient la prolongation du dispositif – j’imagine qu’il doit en exister car, si ce n’était pas le cas, vous ne soumettriez pas cette demande.

Autre difficulté : lorsqu’on est déclaré cas contact, il faut aller faire un test. Et rebelote : on a le plus grand mal à y accéder et les résultats n’arrivent parfois qu’à l’issue de la quatorzaine, ce qui montre l’inutilité du dispositif.

Par ailleurs, on ne peut pas ne pas parler de l’application StopCovid qui n’est utilisée, en comptant très largement, que par 3 % de la population française, alors qu’elle aura coûté énormément en énergie politique comme en énergie humaine. Sans parler des débats suscités par le captcha de Google, ni du fait que le Gouvernement n’ait pas respecté ses engagements concernant la mise en œuvre de l’application… Autant de sujets sur lesquels le bilan ne nous incite pas à voter la prorogation du dispositif. Il faut enfin distinguer la création d’un fichier de données et l’existence de brigades chargées d’appeler les cas contact. Est-il réellement nécessaire de conserver autant de données d’une telle précision pendant un temps aussi long ?

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous sommes opposés à la prorogation d’un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui n’a de transitoire que le nom. En cohérence, nous demandons la suppression de l’article 2 qui proroge les systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie et l’utilisation des données personnelles collectées. Au vu de l’exposé des motifs et de l’étude d’impact – particulièrement faible – qui accompagne la demande de prorogation, il n’est pas concevable que le législateur avalise des dispositions attentatoires aux libertés individuelles.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Les systèmes d’information déterminent l’application de la stratégie « tester, tracer, isoler ». Tous les tests réalisés et leurs résultats sont renseignés dans le système d’information national de dépistage (SI-DEP). Chaque personne contaminée ou cas contact fait l’objet d’une fiche individuelle dans Contact Covid, qui permet d’assurer son accompagnement dans le parcours de soins. Ces systèmes fondent également notre capacité à conduire des recherches sur le virus, à mieux le comprendre et à adapter nos politiques publiques. Comment penser sérieusement que nous n’en aurions plus besoin en janvier 2021 ? Nous comprenons tous que cette épidémie s’inscrira dans le temps long. Les systèmes d’information sont, pour reprendre les termes du conseil scientifique, « d’une extrême importance dans la lutte et la connaissance de l’épidémie ». En prolongeant leur durée d’application, nous donnons de la visibilité à l’ensemble des acteurs engagés avec nous dans la lutte contre l’épidémie.

Seule la durée de conservation des données pseudonymisées, utilisées avec le consentement des personnes concernées aux seules fins de recherche, est prolongée jusqu’au 1er avril 2021. Cela se justifie par le fait que la recherche s’inscrit dans le moyen et le long terme. La durée proposée reste raisonnable car nous ne saurons sans doute pas tout sur cette épidémie d’ici à avril 2021. Par ailleurs, le comité de contrôle et de liaison – composé notamment de parlementaires – regrette, dans son rapport du 15 janvier dernier, « l’écart entre le souhait de faciliter les finalités de recherche de la part du législateur, d’une part, et les durées limitées de quelques mois retenues pour y parvenir, d’autre part. Cet écart prive de fait la collectivité de connaissances qui ne pourront voir le jour dans les délais prévus, ce qui peut apparaître comme une perte de chance importante, à la fois immédiate et future, en vue de la connaissance du phénomène épidémique. » Il recommande, par conséquent, une prolongation de la durée de conservation de ces données, comme nous le proposons à l’article 2.

J’en viens au respect du secret médical et à la protection des données personnelles, évoqués notamment par Mme Martine Wonner. Nous avons introduit à cette fin des garanties fortes : pour mémoire, le traitement des données est limité aux finalités prévues par la loi. Toutes les personnes qui y ont accès sont soumises au secret professionnel. Toute divulgation d’informations donne lieu à sanction pénale. Nous avons créé un comité de contrôle et de liaison indépendant, chargé notamment de contrôler le respect des garanties entourant le secret médical et la protection des données personnelles, qui a publié un rapport complet. Nous avons également prévu que le Gouvernement remette au Parlement tous les trois mois un rapport, complété d’un avis public de la CNIL, sur le fonctionnement des systèmes d’information. Nous avons donc les moyens de contrôler effectivement le fonctionnement de ces systèmes, même si on peut toujours améliorer les dispositifs.

Monsieur Bernalicis, il a en effet fallu ajuster certains aspects du fonctionnement des systèmes d’information. Mais je retiens que l’avis de la CNIL est essentiellement positif. Le Gouvernement a pris en compte l’ensemble des recommandations ; il n’y a plus de difficulté au regard du traitement des données personnelles, même s’il faut continuer à former les personnels et à contrôler les pratiques. Je rejoins l’avis de la CNIL sur la nécessité de définir des indicateurs pour renforcer nos capacités d’appréciation de l’efficacité des systèmes d’information, et sur l’importance de les conserver. J’ai donc déposé un amendement visant à compléter le contenu du rapport remis tous les trois mois par le Gouvernement. Je suis certaine que vous le voterez avec enthousiasme. Avis défavorable sur les amendements.

Mme Martine Wonner. La perte de chance ne résulte pas de la non-conservation des données. Elle concerne toutes les personnes dépistées, tracées, confinées, à qui on ne propose rien. On attend que les services hospitaliers soient submergés. Mais je vous rassure : à ce rythme, on y arrivera, c’est certain !

Mme Danièle Obono. Madame la rapporteure, vous sembliez interloquée qu’on puisse s’interroger sur ce que vous présentez comme une évidence. Je vous renvoie à l’avis de la CNIL, que vous n’avez peut-être pas lu dans son intégralité…

Mme Alice Thourot, rapporteure. Si, je vous remercie !

Mme Danièle Obono. La CNIL regrette que « le rapport que le Gouvernement a adressé au Parlement ne fasse pas état d’éléments plus précis justifiant de la nécessité de maintenir ces traitements au regard du contexte sanitaire actuel ». Cela justifie amplement nos doutes et nos questions. Par ailleurs, lors d’un précédent débat sur les données de santé, nous avions relevé des entorses importantes au secret médical dues à la quantité de données collectées et au nombre de personnes qui y ont accès. Nous croyons d’autant moins aux garanties que vous prétendez apporter que des débats font rage sur les liens entre le Health Data Hub et Microsoft, qui mettent en lumière le problème de la privatisation des données. Mme Nathalie Goulet, sénatrice de l’Union centriste, qui n’est ni gauchiste, ni insoumise…

M. Jean-François Eliaou. C’est pareil !

Mme Danièle Obono.… a demandé la création d’une commission d’enquête sur la protection des données de santé. Compte tenu de notre expérience de la prolongation des mesures dérogatoires, que vous continuez à demander, nous craignons que ce type de procédure ne soit pérennisé. Cela justifie amplement notre amendement de suppression.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CL10 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. C’est un amendement de cohérence. La suppression de l’article 2 du présent projet de loi doit également entraîner la suppression de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Cette dérogation n’est plus proportionnée face aux risques de dérives.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie, en discussion commune, des amendements CL22 de Mme Marietta Karamanli, CL4 de Mme Emmanuelle Ménard et CL33 de M. Pascal Brindeau.

Mme Marietta Karamanli. Mon amendement vise à limiter le prolongement du régime de conservation des données personnelles collectées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19 à deux mois, jusqu’au 30 décembre prochain.

Mme Emmanuelle Ménard. Nous souhaitons, à défaut de sa suppression, que l’état d’urgence à peine déguisé dans lequel nous nous trouvons depuis des mois cesse le plus rapidement possible, plus précisément le 31 décembre prochain. Cela permettrait au Parlement de retrouver la place qui est la sienne.

M. Pascal Brindeau. Nous posons à nouveau la question des délais et de la proportionnalité des mesures. Je me souviens des débats sur la première loi qui a institué ce type de fichier. Nous ne parlons plus de restriction de certaines libertés mais d’atteintes au secret médical qui ne sauraient être consenties que de manière encadrée dans le temps. Aux dires de la rapporteure elle-même, le comité de liaison a regretté que le législateur ait créé un instrument mais n’ait pas attendu que cet instrument produise tous ses effets en matière de connaissance et donc de contrôle, voire de lutte contre l’épidémie. Vous reconnaissez qu’on ne dispose pas d’indicateurs de performance suffisants pour apprécier l’efficacité du dispositif. De même, le rapport du Gouvernement sur ce sujet ne contient aucune information nous permettant d’évaluer l’utilité des fichiers. En effet, si l’étude d’impact du projet de loi nous informe qu’environ 200 000 « patients zéros » et 600 000 cas contacts sont désormais répertoriés, cela ne démontre en rien l’efficience du dispositif. La nécessité d’en restreindre la portée dans le temps est criante.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat sur la date à l’article 1er. Par cohérence, je rends un avis défavorable sur ces trois amendements.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CL7 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. On pourrait penser qu’il s’agit d’un amendement rédactionnel, mais changer quelques mots peut avoir une importance fondamentale. La situation sanitaire ne doit vraiment pas constituer une occasion pour revenir sur un principe fondamental de l’éthique médicale, celui du consentement de la personne face au partage de ses données de santé. Cet état d’urgence déguisé ne cesse d’être prolongé. Avec ce projet de loi, la question du non-consentement revient et il est fondamental que nous maintenions le principe du consentement.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Nous avons longuement débattu de cette question lors de l’examen des textes précédents. Je rappelle que seule l’exhaustivité des collectes permet à ces systèmes d’information d’être efficaces, sinon les données sont inexploitables. Or, on en a besoin comme vous l’avez vous-même rappelé. C’est la raison pour laquelle il revenait au législateur de définir des garanties, ce que nous avons fait avec l’obligation pour les personnels concernés de respecter le secret professionnel, la mise en place du comité de contrôle et de liaison, le rapport du Gouvernement complété par l’avis de la CNIL. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL48 de la rapporteure.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Cet amendement vise à satisfaire les demandes de précision de la CNIL et du comité de contrôle et de liaison covid-19. Je suis déçue que Mme Obono et M. Bernalicis ne soient plus là pour le voter avec nous…

Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas très sympathique de le relever ; ils étaient présents depuis le début de la réunion !

Mme Alice Thourot, rapporteure. J’avais seulement bon espoir que nous puissions terminer sur une note positive en adoptant, pour une fois, un amendement à l’unanimité.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL43 de M. Sacha Houlié, CL37 de Mme Paula Forteza, et CL6 et CL8 de Mme Martine Wonner.

M. Sacha Houlié. Je suis toujours opposé à StopCovid. Mais comme le ministre a indiqué hier qu’il n’y avait pas d’accès privilégié aux tests si l’on avait installé l’application, je retire mon amendement.

L’amendement CL43 est retiré.

Mme Martine Wonner. L’amendement CL37 est défendu.

S’agissant de l’amendement CL6, l’exécutif a récemment évoqué la possibilité que les utilisateurs de StopCovid aient un accès prioritaire aux tests alors que le secrétaire d’État au numérique avait rappelé, au lancement de l’application, qu’elle devait relever du libre consentement de la personne. Mon amendement vise à prévenir ce type de dérive et à mettre en évidence l’échec de StopCovid au vu du faible nombre de téléchargements.

L’amendement CL8 vise à évaluer le rapport coût-bénéfice de l’application afin de justifier son existence ou son arrêt. Pour ma part, je pense qu’il est urgent d’arrêter une application qui ne sert à rien.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Madame Wonner, je ne me prononcerai pas sur l’opportunité ou non de télécharger StopCovid. Le texte ne parle pas de cette application. Vos demandes sont donc hors sujet.

S’agissant de l’amendement CL6, je vous propose d’interroger le ministre de la santé la semaine prochaine, en séance publique, afin qu’il réponde à votre question. Le sujet a déjà été évoqué hier soir, lors de son audition, à la suite d’une question de M. Sacha Houlié.

Quant à votre demande de rapport, elle est satisfaite puisque nous avons reçu quatre documents qui abordent la question des systèmes d’information, y compris StopCovid, et qui comprennent ces éléments chiffrés : soit le rapport du Gouvernement du 9 septembre, l’avis public de la CNIL du 10 septembre, la note du conseil scientifique du 12 septembre et le rapport du comité de contrôle et de liaison du 15 septembre.

Avis défavorable sur ces trois amendements.

La Commission rejette successivement les amendements CL37, CL6 et CL8.

Elle en vient à l’amendement CL30 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Cet amendement a pour but de demander un rapport sur l’ensemble des conséquences économiques et sociales des mesures de l’état d’urgence sanitaire et de ses prolongations successives. Ce rapport nous permettrait, sur des questions comme l’absence de suivi médical d’autres pathologies que celle du coronavirus, les difficultés scolaires ou encore les faillites d’entreprises, d’apprécier ces incidences lorsque nous légiférerons à nouveau au mois de janvier sur l’inscription dans la loi de mesures restrictives d’un certain nombre de libertés dans le domaine économique et social.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Avis défavorable comme sur l’amendement précédent : l’Assemblée a déjà créé une mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de covid-19, qui s’est par ailleurs dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête le 2 juin dernier.

La Commission rejette l’amendement.

Titre

La Commission examine l’amendement CL29 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. On voit bien que ce projet de loi ne vise pas à sortir de l’état d’urgence, mais bien à prolonger les mesures prises dans ce cadre dérogatoire. C’est donc un amendement de cohérence.

Mme Alice Thourot, rapporteure. La mesure principale de l’état d’urgence sanitaire fut le confinement. Demandez à n’importe quel Français : les réponses seraient unanimes sur la différence avec le dispositif transitoire, qui n’a pas reconduit cette mesure.

M. Pascal Brindeau. Le confinement n’était pas du tout une mesure centrale de l’état d’urgence sanitaire. Il a été décidé préalablement.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Nous en discuterons plus tard si vous le souhaitez.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

La réunion s’achève à 13 heures 20.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Coralie Dubost, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Oppelt, M. Pierre Person, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala

 

Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine

 

Assistaient également à la réunion. - M. Pascal Brindeau, M. Gaël Le Bohec, Mme Martine Wonner