Compte rendu

Mission d’information de
la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19
 

 

 Audition, en visioconférence, de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, et de Mme Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins.                            2

 


Jeudi
23 avril 2020

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 8

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence
de M. Patrick Mignola


Mission d’information de la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions
de l’épidémie de Coronavirus Covid-19

 

Jeudi 23 avril 2020

 

La séance est ouverte à dix heures trente.

 

Présidence de M. Patrick Mignola, vice-président de la mission d’information

 

La mission d’information procède à l’audition, en visioconférence, de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, et de Mme Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins.

 

M. Patrick Mignola, président. Madame, monsieur, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Nous savons votre mobilisation sans relâche et en première ligne face à cette crise sanitaire exceptionnelle qui met à rude épreuve notre système de santé, son organisation et ses soignants. De ceux-ci, je veux saluer l’engagement sans faille ; ils peuvent être fiers de ce qu’ils accomplissent auprès des malades.

Dans la réponse à la crise, la direction générale de la santé (DGS) joue un rôle de premier plan car elle est chargée d’organiser et d’assurer la gestion des situations d’urgence sanitaire, ainsi que de coordonner ou de participer à la préparation des réponses aux situations sanitaires exceptionnelles. Monsieur le directeur général, on ne vous présente plus tant vos points quotidiens sur l’épidémie sont devenus un rendez-vous incontournable pour les Français ! Souhaitons que vienne, aussi rapidement que possible, le jour où ils ne seront plus nécessaires.

Nous avons tenu à auditionner de façon conjointe Mme Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins, en charge de l’élaboration, du pilotage et de l’évaluation de la politique de l’offre de soins. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) joue également un rôle majeur dans la gestion quotidienne de la crise sanitaire, tant par l’organisation de la prise en charge des malades en établissement que par la réponse apportée par la médecine de ville.

Grâce au confinement, à une mobilisation sans faille des soignants, à l’appel en renfort des personnels, aux mesures de réorganisation de l’hôpital, au développement massif de la téléconsultation et au transport des malades, le système de santé a tenu.

Nous reviendrons sur ces mesures et sur celles qui seraient nécessaires face au risque, redouté, d’une nouvelle vague épidémique qui remettrait sous forte tension le système de soins. Nous savons qu’une fois le pic de la crise passé, les défis à relever en matière de financement, d’organisation, d’équipement et de gestion des ressources humaines seront considérables.

Même si l’effort a été différent selon les régions, la question de sa soutenabilité se posera. Il faudra s’interroger aussi sur la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques et de cancers, et sur le retard pris dans la détection de certaines pathologies.

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé. Je vous remercie d’avoir associé Mme Katia Julienne à cette audition car une synergie immédiate s’est installée entre la DGS et la DGOS. Nous gérons cette crise en symbiose, ce qui se révèle fondamental pour répondre aux enjeux.

Cette crise est exceptionnelle par sa brutalité et sa rapidité : il y a exactement trois mois, le 23 janvier, il n’y avait aucun cas de Covid-19 en France. Le centre opérationnel de réponse aux urgences sanitaires a été activé le 22 janvier, le centre de crise sanitaire cinq jours plus tard. Cette rapidité frappe tous les experts mondiaux : alors que les pandémies de peste, en 1347, ou de grippe espagnole, en 1917, avaient produit leurs effets sur plusieurs années, c’est la première fois dans l’histoire du monde que l’ensemble des pays sont touchés. Les plus grands, la Chine, les pays européens et les États-Unis, sont frappés dans le même temps, avec une gravité certaine.

Selon l’Institut Pasteur, 3,5 millions de personnes ont été contaminées en France, 85 000 ont été hospitalisées, dont 15 000 ont nécessité des soins de réanimation. Nous déplorons plus de 21 000 décès.

Quelques mots plus personnels pour me présenter : je suis médecin par passion, spécialiste de santé publique et de maladies infectieuses. J’ai été interne, chef de clinique, praticien hospitalier, professeur de médecine à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; mes travaux de recherche, thèse de science et habilitation à diriger les recherches ont tous porté sur l’épidémiologie des maladies infectieuses. J’ai enseigné la sécurité sanitaire au Conservatoire national des arts et métiers. À l’hôpital, mes fonctions étaient la lutte contre les épidémies, la lutte contre les infections nosocomiales, la gestion des risques et la gestion de crise. Dans l’exercice de ces fonctions, j’ai eu à vivre plusieurs alertes et émergences en milieu hospitalier.

Au niveau national, j’ai participé à la coordination du risque épidémique et biologique, une expertise virologique, épidémiologique infectieuse et réanimatoire qui nous a permis de tirer les leçons des alertes récentes. Le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), en 2003, a pris par surprise l’ensemble du monde et a été marqué, selon les experts, par une sous-réaction ; le H5N1 a montré l’importance d’une approche globale « One Health », intégrant l’environnement et les épizooties ; le H1N1 a été caractérisé par une surréaction ayant conduit à une alerte pandémique. Depuis, nous avons connu des alertes avec le MERS-CoV, Ebola et les arboviroses – chikungunya, zika et dengue.

En tant que personnalité qualifiée siégeant au conseil d’administration de Santé publique France, j’ai vu combien il était difficile de faire cohabiter les différentes cultures provenant des institutions fusionnées : la culture de la prévention, de l’information et de la communication grand public de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPS), la culture de la surveillance épidémiologique de l’Institut de veille sanitaire (INVS) et la culture de la gestion de crise de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).

Je suis directeur général de la santé depuis janvier 2018 et j’ai effectué mon premier déplacement à Santé publique France, car je suis persuadé de l’importance d’une approche globale et de la nécessité de disposer d’une cartographie objective des risques sanitaires.

Selon l’OMS, les dix menaces majeures sont : les effets de la pollution, les effets du changement climatique, l’émergence massive des maladies chroniques, la difficulté d’accès aux soins, les fièvres hémorragiques virales, l’antibio-résistance, le VIH, la défiance vaccinale, les arboviroses et les pandémies grippales, avec l’accès problématique aux antiviraux et aux vaccins.

J’ai mis en place des exercices ministériels et interministériels et organisé des retours d’expérience. Nous avons rédigé les RETEX d’Irma, de l’épisode d’infection Lactalis, des épidémies de chikungunya, de zika et de dengue, des épisodes de canicule intense de 2018 et de 2019 et de l’incendie de Lubrizol. Nous avons élaboré, avec les ministères de l’intérieur et des armées, des guides pour les professionnels de santé et les établissements de santé ainsi que des exercices de crise. Nous avons soutenu la prévention, avec la vaccination obligatoire, le circuit des vigilances simplifié et le signalement par le grand public. Vous nous avez aidés dans ce travail puisque l’article 20 de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé permet de mobiliser les professionnels de santé lors des crises. Enfin, nous avons renforcé la gestion des risques épidémiques d’arboviroses, notamment la lutte antivectorielle.

Cette gestion se fait de façon très transversale, en collaboration étroite avec la DGOS, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le service de santé des armées, l’Agence de biomédecine, l’Agence de sécurité du médicament, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), Santé publique France, l’Établissement français du sang (EFS) et, bien sûr, les agences régionales de santé (ARS). Les réunions de sécurité sanitaire hebdomadaires rassemblent leurs représentants, mais aussi ceux du ministère de l’économie, avec la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), ou du ministère de l’agriculture, avec la DGAL (direction générale de l'alimentation). Par ailleurs, un site grand public permet de renforcer la sécurité sanitaire.

Je serai bref sur l’historique de la réponse à la crise – j’imagine que vous me demanderez de fournir des éléments supplémentaires. Nous avons envoyé des messages d’alerte de façon très précoce, le 10 janvier à l’intention des ARS, le 14 janvier aux établissements de santé. J’ai tenu le premier point presse le 21 janvier – 60 ont suivi depuis. Dès le 22 janvier, le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS) a été placé en niveau renforcé. Le 24 janvier, le premier cas de Covid-19 a été diagnostiqué. Le 25 janvier, la réserve sanitaire a été mobilisée. Le centre de crise sanitaire est en place depuis le 27 janvier. Nous avons commandé les premiers équipements de protection individuelle le 30 janvier. Le jour même, l’OMS qualifiait l’épidémie d’urgence de santé publique de portée internationale, alors qu’aurparavant l’OMS et le centre de crise européen considéraient comme très faible le risque d’importation en Europe.

La réponse s’est structurée avec une commande massive de masques en février, le passage aux stades 2, puis 3, en mars. Nous avons effectué de très belles opérations, que nous détaillerons ultérieurement, avec l’accueil des ressortissants de Wuhan et les tests systématiques pratiqués sur les personnes placées en quatorzaine.

Mme Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins. Je vous remercie de m’avoir conviée à cette audition car il est important que nous puissions échanger. Vous l’avez souligné, notre système a dû adapter son organisation et son fonctionnement de façon très rapide, et ce à chaque étape de l’épidémie. Vous avez évoqué la téléconsultation pour la médecine de ville, le doublement en quelques jours des capacités en réanimation du système hospitalier, le rôle très important joué par les SAMU. À chaque étape, nous avons dû, avec l’ensemble des professionnels, travailler sur une adaptation très rapide de l’organisation de la prise en charge des soins pour anticiper les évolutions qui nous attendaient à quelques jours de distance.

L’hôpital a tenu, il est très important de le souligner. Mais l’évolution a concerné tous les segments, médecine de ville comme secteur médico-social – singulièrement les EHPAD. Pour que ces évolutions se produisent, nous avons dû monitorer quotidiennement la situation dans les régions avec les ARS, suivre chacune des difficultés et les résoudre. Ainsi, nous avons dû augmenter les capacités de réanimation, mais nous avons aussi procédé au transfert de plus de 600 patients, un exercice tout à fait inédit mais déterminant pour la capacité de prise en charge des patients. Nous avons aussi modifié la gestion de nos ressources humaines et travaillé avec d’autres ministères pour la prise en charge des enfants des soignants ou le transport par taxi des personnels vers leur lieu de travail.

Nous ne sommes pas sortis de la crise. Nous devons continuer de prendre en charge les patients même s’ils ne sont « plus que » 5 000 en réanimation, contre 7 000 il y a quelques jours. Nous devons aussi veiller à ce qu’une perte de chance massive, pour les personnes non contaminées, ne survienne pas : c’est une préoccupation majeure pour les professionnels en ville, mais aussi pour les hospitaliers.

Ces évolutions très rapides des organisations, des textes, des modes de relation entre professionnels, sont riches d’enseignements et doivent nous servir de base pour une réflexion ultérieure.

M. Patrick Mignola, président. Vous vous trouvez au confluent des positions scientifiques – celles de l’OMS, du conseil scientifique, de l’Académie de médecine – et de la décision publique, qui doit poser un cadre général garantissant aux Français leur égalité devant la loi tout en permettant la différenciation territoriale. Il est nécessaire de définir une doctrine scientifique et médicale et de la faire évoluer en fonction de notre connaissance du virus pour permettre aux responsables publics de prendre des décisions éclairées. Il serait intéressant que vous nous disiez comment vous avez adapté vos décisions et votre aide à la décision aux évolutions de la connaissance du virus. Pourrons-nous décider demain en nous fondant sur une objectivité scientifique, des constats humbles, solides et partagés, de sorte que les Français ne ressentent pas d’anxiété devant des décisions différentes et porteuses d’inéquité ?

Mme Brigitte Bourguignon, corapporteure. Pouvez-vous dresser un état des lieux du nombre de lits en réanimation ? Pouvez-vous rassurer la représentation nationale quant aux respirateurs dont on parle tant depuis ce matin ? Ils viennent d’être livrés mais pourraient ne pas répondre aux besoins en réanimation.

Pourriez-vous aussi faire le point sur la mise en place de l’hébergement des personnes présentant une forme bénigne de Covid-19 ? Comment les personnels soignants seront-ils mobilisés pour assurer un suivi médical ? Pouvez-vous nous donner un ordre d’idée du nombre de places mises à disposition ?

Ces mesures d’isolement impliquent une stratégie de dépistage réactive et significative, ainsi qu’un suivi de l’ensemble des cas contacts grâce à l’application StopCovid. Dans quelle mesure peut-on envisager le déploiement d’équipes médicales mobiles, chargées de réaliser les prélèvements nécessaires au dépistage ?

Le 19 avril, le ministre de la santé s’est alarmé de la baisse, ces dernières semaines, des consultations médicales, de la vaccination des enfants, des dépistages de cancer, et a appelé les Français à se faire soigner. Pouvez-vous fournir des données chiffrées sur la diminution des consultations médicales et nous indiquer les possibilités de reprise progressive des soins programmés région par région ?

M. Jérôme Salomon. Nous avons affaire à un nouveau virus, séquencé en janvier. Cela a suscité une énorme incertitude scientifique, et une production record de connaissances. Dans les années 1970, on avait pu croire que les maladies infectieuses allaient disparaître, mais on voit aujourd’hui, avec la persistance du sida et l’apparition de phénomènes d’antibio-résistance, qu’il n’en est rien – et l’environnement et le climat ne vont pas arranger les choses. Depuis le début de la crise, les experts échangent en permanence au niveau international. Les réanimateurs, les spécialistes des maladies infectieuses et des virus, les sociétés savantes – notamment l’Académie de médecine et l’Académie des sciences –, le Haut Conseil de la santé publique et le conseil scientifique mis en place à la demande du Président de la République, ont toujours été associés à nos travaux.

Pour ce qui est de la déclinaison territoriale de la gestion de la crise, la France se trouve dans une situation épidémiologique totalement hétérogène : certains départements, tels le Haut-Rhin qui a payé un lourd tribut en termes de mortalité, sont massivement touchés ; dans d’autres, le virus a très peu circulé. Les propositions que nous allons faire pour les prochaines semaines dépendront de l’évolution de cette situation, ainsi que de l’activité médicale de ville et hospitalière.

Le premier enjeu sur lequel nous devons nous mobiliser est celui du dépistage massif, avec des tests dont les résultats peuvent être connus dans la journée, afin de mettre en œuvre des mesures adaptées, à savoir l’isolement – à domicile ou en structure adaptée en fonction de la situation de chacun – ou l’hospitalisation de la personne testée positive. Les capacités ont explosé, puisque nous avons commencé à 5 000 tests par jour et que notre objectif actuel est de 700 000 tests par semaine sur l’ensemble du territoire. Aux équipes mobiles de test vont être associées des équipes de tracing ayant pour mission d’identifier et de tester les contacts avant de les placer éventuellement en isolement. Cela se fera en lien étroit avec les collectivités locales, les maires, les préfets, les présidents de conseil départemental, les agences régionales de santé, l’assurance maladie et Santé publique France.

J’insiste sur l’importance de la deuxième vague à laquelle il faut s’attendre, une vague « non Covid-19 », silencieuse, constituée par le fait qu’en période critique – on l’a déjà constaté lors des attentats –, les Français ont le réflexe de ne pas consulter pour les affections autres que le coronavirus afin de ne pas déranger les soignants. Je répète ce que je dis depuis des semaines, à savoir qu’il est essentiel de continuer à prendre soin de sa santé : nous encourageons les personnes atteintes de pathologies chroniques à appeler le médecin généraliste ou spécialiste qui les suit habituellement, et nous appelons également les médecins et les services hospitaliers à contacter spontanément leurs patients les plus fragiles, ceux qui ont besoin d’un suivi, d’un bilan ou de soins. Après une diminution du recours aux soins en ville comme à l’hôpital, on commence aujourd’hui à observer un retour des patients dans le circuit de soins, ce qui est très positif.

Les maladies aiguës doivent, elles aussi, être prises en charge en urgence, et je précise que le 15, qui n’est pas surchargé, est disponible pour répondre à toutes les urgences vitales.

La dernière composante de la deuxième vague silencieuse est celle de l’impact psychologique et psychiatrique sur la population de ce confinement d’une durée inédite.

Mme Katia Julienne. En matière de modélisation de l’évolution de l’épidémie, nous nous sommes fondés sur les travaux de l’Institut Pasteur, qui nous ont été très précieux depuis le début de la crise. Ces travaux nous ont en effet permis d’élaborer, avec un degré de certitude croissant au fil du temps, des modèles de niveau de contamination aux plans national et régional, sur lesquels nous avons pu nous appuyer pour analyser nos capacités en réanimation, pour piloter le plus finement possible la prise en charge des patients dans chaque région ainsi que les éventuels transferts, et pour anticiper les décisions à prendre. Cela nous a conduits à augmenter massivement nos capacités de réanimation en un délai très court.

Sur ce dernier point, nous disposons actuellement d’une capacité de 10 500 lits, ce qui permet d’accueillir sans tension particulière les quelque 5 000 patients devant se trouver en réanimation. On a effectivement constaté un ralentissement de l’activité des médecins de ville, qu’il s’agisse des généralistes ou des spécialistes, ainsi qu’une croissance extraordinaire de la téléconsultation ; les professionnels de santé peuvent aussi appeler leurs patients, en particulier lorsque ceux-ci se trouvent en zone blanche, lorsqu’ils souffrent d’une affection de longue durée (ALD) ou encore lorsqu’ils sont peu familiers des équipements numériques, ce qui est souvent le cas des personnes âgées.

M. Patrick Mignola, président. Que pouvez-vous nous dire au sujet des respirateurs, qui se trouvent au cœur de l’actualité depuis ce matin ?

Mme Katia Julienne. J’avoue ne pas avoir connaissance de l’actualité à laquelle vous faites référence. Ce que je peux dire au sujet des respirateurs, c’est que nous en attendions environ 14 000 d’ici à fin mai.

M. Damien Abad. Monsieur le directeur, je vais vous poser une question que tous les Français se posent. Alors que, le 4 mars dernier, vous affirmiez que le masque n’avait aucun intérêt pour le grand public, vous déclariez hier encourager le port du masque pour tous, ce qui ne semble guère cohérent. Pourquoi un tel changement de doctrine, qui vous fait rejoindre les recommandations de l’Académie de médecine ?

Par ailleurs, avec 0,7 % de la population testée, la France apparaît en retard. Certains estiment que notre pays se classe au cinquante-quatrième rang mondial pour le nombre de tests effectués par rapport au nombre d’habitants. Pourquoi un tel écart avec l’Allemagne ? Pensez-vous qu’il est nécessaire de développer une stratégie de dépistage massif, ou estimez-vous au contraire qu’il ne sert à rien de tester tout le monde – et, dans cette hypothèse, par quel moyen proposez-vous de détecter les personnes asymptomatiques ?

Avez-vous des chiffres à nous communiquer au sujet des tests effectués dans les EHPAD ? Pouvez-vous nous confirmer que tous les laboratoires publics et privés sont en ordre de marche ?

Recommandez-vous de tester l’ensemble du personnel des établissements scolaires lors de la réouverture des écoles ?

Enfin, si l’application StopCovid est mise en place, pouvez-vous garantir à la représentation nationale que tous les « cas contact » seront dépistés ?

Mme Marielle de Sarnez, corapporteure. Si nous voulons réussir le déconfinement, nous devons agir en nous conformant à certains principes.

Le premier principe consiste à garantir la sécurité sanitaire grâce au port du masque, au dépistage par tests PCR ou par tests sérologiques.

Le deuxième principe, c’est que le déconfinement doit être pensé au plus près du terrain, en lien avec tous les acteurs impliqués et en prenant en compte la réalité de l’épidémie, territoire par territoire, car l’hétérogénéité des situations justifie que le déconfinement ne se fasse pas partout au même rythme.

C’est ce qui se fait dans les pays voisins de la France, notamment en Italie et en Espagne, où l’activité reprend selon des modalités variant en fonction des régions, ou en Allemagne, où l’ouverture des écoles et des commerces se fait à un rythme différent dans chaque Land. Nous avons besoin d’un cadre garantissant la sécurité sanitaire pour tous nos concitoyens et permettant une sortie progressive du confinement.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de ces deux impératifs ?

M. Boris Vallaud. Le Président de la République a annoncé que le 11 mai marquerait le début du déconfinement. Pouvez-vous nous préciser sur quelles considérations scientifiques et médicales il a été décidé de retenir cette date ? S’agit-il de considérations liées à l’épidémie ou à la disponibilité des masques et des tests, qui ont fait défaut jusqu’à présent ?

Si vous avez fait un effort de pédagogie et de transparence au cours des dernières semaines, certains points restent à préciser. Jusqu’à présent, le confinement a visé à limiter la propagation du virus afin d’atteindre un plateau et d’éviter que notre système de santé ne soit débordé, en dépit de l’augmentation du nombre de lits en réanimation dont il a bénéficié. Cependant, en ralentissant la propagation de l’épidémie, le confinement a empêché d’atteindre le niveau d’immunité collective qui, en théorie, pourrait faire rempart à la maladie en l’absence de traitement efficace ou de vaccin disponible rapidement.

Votre stratégie consiste-t-elle à combiner la recherche d’une immunité collective basée sur le déconfinement des enfants – dont on dit qu’ils sont à faible risque de complications – et de leurs parents qui, souvent jeunes, ne sont pas non plus des sujets à risque, et le maintien du confinement sur la base du volontariat pour les plus âgés et les plus fragiles de nos concitoyens ? Le cas échéant, cette stratégie sera-t-elle différenciée sur le plan régional en fonction de l’évolution de l’épidémie ?

Selon vous, quel effet le déconfinement est-il censé produire sur l’immunité collective ? Avez-vous pour objectif de la voir croître, et avez-vous modélisé l’augmentation des contaminations et de l’immunité collective attendues du déconfinement ?

Les enfants devant être les premiers à être à nouveau exposés, pouvez-vous nous indiquer ce que l’on sait aujourd’hui des effets du virus chez les enfants, et s’il leur sera demandé de porter des masques et d’effectuer des gestes barrières ?

Dans le cadre de votre stratégie, considérez-vous indispensables ou inutiles le port du masque, la mise en œuvre des tests – qui ne seraient pratiqués que sur les personnes présentant des symptômes – et l’isolement des personnes contaminées ?

M. Olivier Véran a affirmé que la doctrine de l’OMS consistant à tester massivement était nouvelle. En réalité, elle date de plus d’un mois. Compte tenu de notre retard considérable par rapport à d’autres pays, serons-nous prêts à temps ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous dites qu’une alerte très précoce a été lancée le 10 janvier et qu’on a commandé des masques pour les soignants dès le 30 janvier. Alors qu’en 2009, nous disposions de 729 millions de masques FFP2 et d’un milliard de masques FFP1, au début de la crise actuelle, nous n’avions plus de masques FFP2, et seulement une centaine de millions de masques FFP1, ce qui vous a conduit à construire un discours sur l’absence de nécessité de porter un masque – du moins avez-vous indiqué que, du fait de la pénurie, les soignants seraient les seuls à en être équipés dans un premier temps, ce qui peut se comprendre.

Comment expliquer que l’on n’ait pas imaginé que la crise née en Asie et commençant à gagner le reste du monde allait inévitablement nous frapper ? En janvier, vous et d’autres scientifiques français affirmiez que cette épidémie allait sans doute passer comme était passé le SRAS, ce qui n’a pas été le cas. Partant de ce principe, la France, qui ne possédait pas de masques au début de la crise, ne s’est pas équipée en temps utile. Aujourd’hui, on nous dit que les masques ne sont peut-être pas nécessaires – alors même que tout le monde court après –, tandis que le Président de la République garantit que l’État, en lien avec les collectivités locales, va faire en sorte que tous les Français en soient équipés. Cependant, l’État n’en commande pas : seules les collectivités locales le font, sans que l’État le leur ait demandé !

En 2013, lorsqu’il a été décidé de supprimer le stock de masques, les employeurs, les établissements de santé publics et privés, ont été chargés de disposer de stocks de masques – ce que personne n’a jamais contrôlé. Il semble qu’en 2018, c’est-à-dire depuis que vous êtes entré en fonction, on n’ait ni vérifié les stocks de masques censés avoir été constitués par les établissements de santé et par les entreprises, ni reconstitué les stocks au niveau national. En résumé, si vous saviez que nous n’étions pas prêts à affronter une épidémie, sans doute aurait-il fallu prendre des mesures pour y remédier.

M. Jérôme Salomon. Pour ce qui est des masques utilisés par la population générale, il existe depuis longtemps en France une recommandation partagée par tous les professionnels, consistant à préconiser le port du masque antiprojections à toutes les personnes malades. Il est d’ailleurs à noter que toutes les campagnes officielles de Santé publique France et de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) ont promu cette recommandation pour la grippe saisonnière de cet hiver.

Les malades atteints de pathologies respiratoires contagieuses doivent porter des masques antiprojections. Or ils ne le font que très rarement. Tous les pneumologues et les infectiologues vous diront que, même à l’hôpital, il est très difficile de faire porter un masque à une personne atteinte de tuberculose et devant rester isolée. Le port du masque est également recommandé pour les personnes à très haut risque, notamment celles qui se trouvent en aplasie parce qu’elles sortent de chimiothérapie. En revanche, il n’y a jamais eu à ma connaissance – je n’en ai retrouvé aucune trace – de recommandation nationale de port généralisé du masque pour le grand public en France.

La France ne disposait pas non plus avant cette année d’une expérience de port du masque grand public : lors des pandémies grippales de 1918, 1957 et 1968, il n’avait été donné aucune instruction en ce sens, pas plus que lors des émergences plus récentes de H5N1, H1N1, SRAS ou MERS-COV. Il y a sur ce point une différence culturelle importante entre les pays européens et les pays asiatiques : dans ces derniers, la population porte un masque beaucoup plus facilement, que ce soit lors des alertes à la pollution ou lors de la survenance d’épidémies. Nous ne disposons donc pas de connaissances objectives sur le port du masque par la population française, ses indications et sa tolérance.

Même s’il existe des débats scientifiques sur l’efficacité du port du masque au quotidien par la population, nous avons réagi très rapidement en créant une nouvelle catégorie de masque. Cet équipement dit « grand public », normé, en tissu, lavable plusieurs fois, n’a d’intérêt que dans les situations où la promiscuité est inévitable. Il constitue alors une protection contre les gouttelettes, en complément des gestes barrières qui devront être maintenus durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et des stratégies de distanciation physique et sociale.

La diffusion des bonnes pratiques représente un enjeu collectif, car le masque doit être adapté au visage, couvrir à la fois le nez et la bouche – ce qui ne semble pas être encore connu de tous – et être porté selon certaines indications. Sur ce dernier point, je suis frappé de voir que de nombreuses personnes portent un masque alors qu’elles sont seules dans leur véhicule, ce qui n’est pas indiqué, et qu’à l’inverse elles enlèvent leur masque quand elles doivent parler, ce qu’elles ne devraient pas faire.

Il n’est pas si simple de savoir quand porter le masque, comment le manipuler sans se contaminer – le virus peut être collé sur la surface extérieure comme intérieure du masque – et quand l’enlever. Il s’agit plus d’une protection pour les autres que pour soi-même. Certaines expériences ont montré que cela pouvait provoquer un sentiment de fausse sécurité : « Je porte un masque, donc je ne me lave plus les mains et je me rapproche des personnes. » Si l’on décide de généraliser le port du masque très grand public, ce qui n’a jamais été fait en France dans l’histoire récente, il faudra expliquer à nos concitoyens à quoi servent réellement les masques et les meilleures façons de les porter.

La France, alertée par les épidémies de H5N1 puis de H1N1, a créé l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et constitué un stock stratégique d’État. La doctrine a évolué juste après 2009 : à la suite des avis du Haut Conseil de la santé publique et surtout d’une instruction ministérielle de novembre 2011, le stock stratégique d’État de masques chirurgicaux, confié à l’EPRUS, est dissocié des stocks tactiques de masques FFP2, confiés aux établissements de santé. Il n’y a pas eu de volonté de mettre fin à ce stock mais bien de répondre à ces deux enjeux du stock stratégique et du stock tactique. Des stocks de masques pour les professionnels existent toujours, comme pour les masques P2, réservés à des situations professionnelles à haut risque – laboratoires de microbiologie, de biosécurité et de recherche. Par ailleurs, les masques chirurgicaux sont parfaitement adaptés pour prévenir la transmission par gouttelettes ; ce n’est pas moi qui le dis, mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, la Société française d’hygiène hospitalière, le Haut Conseil de la santé publique et le Journal of the american medical association (JAMA).

À mon arrivée, en 2018, j’ai demandé que les stocks soient analysés et qu’une commande de 100 millions de masques soit passée. Cette commande a été passée par Santé publique France, qui a repris l’EPRUS. Il y a encore plus de 350 millions de masques, certes non conformes, dans les stocks de Santé publique France, qui datent des années 2000. Il y a également un stock de masques périmés en 2019, qui nous paraissent tout à fait utilisables puisque la péremption tient aux élastiques ; 72 millions de masques ont ainsi pu être repris par Santé publique France. Ces stocks étaient disponibles immédiatement, et nous avons fait des commandes complémentaires de masques P2 dès le mois de janvier, alors même que la pandémie n’était pas déclarée.

M. Patrick Mignola, président. Beaucoup de Français nous regardent : pour être clair, cela signifie que le masque est utile, en particulier quand on ne peut pas pratiquer la distanciation sociale ni les gestes barrières, par exemple dans les transports publics. Il faut porter le masque en recouvrant bien le nez.

M. Jérôme Salomon. Le port du masque est vraiment une mesure complémentaire : ce n’est pas le masque ou le reste. Porter un masque procure un sentiment de sécurité, si bien que l’on a tendance à oublier les gestes barrières. Il est plus compliqué d’éternuer ou de se moucher avec un masque. On oublie aussi l’importance de la transmission manuportée : nous portons sans cesse nos mains au visage, alors qu’il y a plus de virus sur les mains que sur le visage.

Il n’y aura pas de déconfinement si le confinement n’est pas réussi. Les Français sont debout sur le frein de l’épidémie, c’est aussi simple que cela ! Plus ils sont attentifs au confinement, moins il y a de contacts, moins il y a de nouveaux cas. Pour que l’activité redémarre en partie au 11 mai, l’objectif est de réduire le plus possible la circulation virale et le nombre de malades.

Deuxième idée importante : les gestes barrières et les mesures de distanciation physique et sociale seront toujours d’actualité au mois de mai, et sans doute encore pour longtemps. Ce virus continuera à circuler, de façon sporadique, épisodique ou épidémique, tant que nous n’aurons pas de réponse – soit une immunité collective importante, et nous en sommes très loin, soit une réponse thérapeutique. Nous avons besoin de surveiller de très près la circulation virale, en effectuant des tests, par la surveillance syndromique en ville et par la surveillance hospitalière. Nous avons besoin d’indicateurs territorialisés, départementaux et régionaux, car les départements les plus touchés sont ceux où il y a eu le plus de morts et où la pression épidémique a été la plus importante. Nous allons devoir instaurer un dispositif très performant de tests sur tout le territoire. Dès qu’un test est positif, la personne doit être placée à l’isolement, une enquête doit être menée pour retrouver tous ses contacts, lesquels doivent à leur tour être testés. Ce sont toutes ces mesures que nous allons expliquer à l’ensemble des Français. Ils doivent comprendre que les gestes barrières ainsi que les mesures de distanciation physique et sociale sont là pour longtemps.

L’immunité collective est encore faible dans notre pays et varie selon les populations et les territoires. Il y a une différence très importante entre les zones urbaines et les zones rurales : plus il y a de densité urbaine, et donc de promiscuité, plus le virus circule ; plus les départements sont ruraux, moins il y a de possibilités de contacts massifs et donc moins le virus circule. L’objectif de la France n’est toutefois pas d’atteindre une immunité collective. Il serait particulièrement dangereux de « créer » les conditions d’une deuxième, puis d’une troisième vague dans le seul but de gagner 5 % à chaque résurgence. Nous ne pouvons pas nous permettre d’enregistrer des milliers de morts et de personnes en réanimation à chaque vague. Nous voulons éviter que le virus circule pour gagner du temps en attendant l’arrivée de médicaments efficaces et de vaccins, avec un minimum de pression sur le système hospitalier et médical.

Les enfants de moins de dix ans sont peu porteurs et peu malades – il y a heureusement fort peu d’enfants admis à l’hôpital et encore moins en réanimation –, les adolescents un peu plus. Ce sont des éléments importants qu’il faudra partager.

Les tests virologiques se font à l’aide d’un écouvillon nasal – ce n’est pas un examen très agréable –, lequel part ensuite au laboratoire de virologie. Nous en sommes à plus de 165 000 tests par semaine, vraisemblablement 200 000 cette semaine – pas très loin de la capacité de détection des Allemands, qui en sont à 300 000. L’objectif est de réaliser 700 000 tests par semaine au 11 mai. Nous progressons donc très vite. Nous testons tous les malades, les professionnels de santé, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – nous avons élargi notre doctrine pour que tous les résidents et tous les personnels des EHPAD soient testés, afin de créer des secteurs Covid et des secteurs non-Covid. Nous avons mobilisé toutes nos capacités concernant les laboratoires – vétérinaires, départementaux, de recherche, de police, de gendarmerie.

Le problème tient à l’existence possible d’asymptomatiques : avec les tests PCR, vous pouvez être négatif un jour et positif le lendemain. On peut donc passer à côté de ce portage, qui est difficile à objectiver et qui peut varier au cours du temps, d’où la grande difficulté d’un dépistage généralisé ou systématique.

M. Philippe Vigier. Sur la stratégie de déconfinement, j’aimerais que l’on rassure davantage les Français. Pouvez-vous nous confirmer qu’avec 500 000 tests par semaine, on pourra bien tester l’ensemble du personnel soignant, les résidents des EHPAD et tous ceux qui nécessitent un dépistage ?

Par ailleurs, la doctrine sur la sérologie a évolué. J’aimerais savoir pourquoi certains ont dit que les anticorps n’étaient pas nécessairement protecteurs. La trace sérologique est-elle protectrice ou non ? On sait qu’elle l’est chez les animaux, mais sur quelles analyses s’appuie-t-on pour les humains ? Aurons-nous les réactifs nécessaires pour réaliser massivement ces tests sérologiques ? Serons-nous en mesure de tester plus de 50 millions de personnes ?

L’Académie de médecine recommande le port du masque. Alors qu’une faible partie de la population a été touchée et qu’il n’y aura pas de vaccin avant un an, il y a donc une période dangereuse pendant laquelle il faut protéger les Français. Comment s’y prendra-t-on, au-delà des gestes barrières ? Y aura-t-il suffisamment de masques pour les professionnels ? La consommation est actuellement de 45 millions de masques par semaine, et elle montera à 80 millions à partir du 11 mai : comment fait-on ?

Concernant l’essai européen Discovery portant sur les traitements, quand les résultats, que l’on nous annonce depuis un mois, seront-ils publiés ? Quand cet arsenal thérapeutique nouveau sera-t-il disponible pour l’ensemble du personnel soignant ?

Enfin, il est indispensable de créer une organisation structurée et territorialisée pour la commande et la distribution de masques, ainsi que nos concitoyens ne cessent de nous réclamer. On n’y arrivera pas si tout est organisé depuis Paris : faites confiance aux territoires !

M. Éric Coquerel. Monsieur Salomon, je ne suis pas très satisfait par votre première salve de réponses. Notre mission d’information a également pour objet de comprendre le passé : or vous êtes directeur général de la santé depuis le 3 janvier 2018. L’Allemagne, de manière évidente, s’en sort mieux que la France. J’aimerais comprendre comment nous avons pu nous retrouver avec aussi peu de lits de réanimation au démarrage de cette crise, contrairement à l’Allemagne. Je pense que cela est dû aux politiques sanitaires qui ont été appliquées, à la politique du flux plutôt qu’à la constitution de lits de réserve. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Concernant les masques, vous nous ressortez l’argument culturel : les Français ne seraient pas culturellement habitués à porter des masques. Mais quand bien même nous aurions été habitués à en porter, il se trouve que les masques n’étaient pas là : voilà le problème ! Comment jugez-vous le fait qu’au début de la crise épidémique, nous n’avions aucun masque FFP2 en stock, mettant en péril de nombreux soignants ? De même, comment peut-on en arriver à avoir autant de matériel manquant ou défectueux dans les hôpitaux français ? Dans une vidéo du 19 mars, vous affirmez que les masques sont inutiles pour le grand public, avant de dire exactement l’inverse le 22 avril. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a fait changer d’avis ?

Enfin, comment pourrons-nous réaliser trois fois plus de tests PCR le 11 mai ? Devant cette même mission d’information, le président du conseil scientifique nous a dit qu’il faudrait atteindre 100 000 tests par jour, or nous n’en sommes qu’à 30 000 : comment ferez-vous concrètement ?

M. Pierre Dharréville. Je continue à me demander pourquoi nous avons autant sous-estimé le risque et tardé à réagir, alors que des institutions comme le CNRS tirent la sonnette d’alarme sur le risque pandémique depuis des années. Depuis le début de cette crise, on a le sentiment que la doctrine s’adapte aux moyens sans le dire. On pourrait comprendre que l’on soit amené à faire avec les moyens dont nous disposons, mais cela pose des problèmes de transparence et d’éducation sanitaire. Il faut élever le niveau !

Par ailleurs, nous avons du mal à comprendre la stratégie de déconfinement. Selon vous, réussir le déconfinement nécessite de réussir le confinement. Or l’activité reprend déjà. On ne comprend pas bien selon quelle logique les choses s’articulent. Les masques grand public seront-ils distribués s’ils doivent être utilisés en cas de promiscuité ?

Concernant les tests, vous avez ébauché une stratégie un peu plus vaste que ce que nous avions compris jusqu’ici. Il faut massifier ces tests tout en étant dans une logique ciblée. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les cibles ? Il nous faudra également des réponses sur la question des respirateurs : on ne peut pas en rester là.

Sur la nécessité de redévelopper l’offre de soins, quelles mesures prenez-vous d’ores et déjà pour assurer que les autres pathologies seront bien traitées ?

Il va falloir anticiper un coup de fatigue à l’hôpital, déjà sujet à une crise avant le début de l’épidémie. Qu’envisagez-vous pour la suite, notamment du point de vue des embauches ?

Ma dernière question concerne le traitement du traumatisme social qui risque de survenir dans la société : que prévoyez-vous à ce sujet ?

M. Gilles Le Gendre.  e voudrais d’abord saluer la contribution personnelle que vous apportez au pont que nous sommes en train de construire entre le monde scientifique et le monde politique ; il est indispensable si nous voulons être à la hauteur de nos responsabilités respectives. C’est ce que les Français attendent de nous.

Pourriez-vous être plus précis s’agissant de l’immunité collective ? Si j’ai bien compris, l’objectif n’est pas de faire monter le pourcentage de la population ayant contracté le virus, lequel est de 5,7 %. Il est important de le dire, car un grand nombre de nos concitoyens pensent que le déconfinement doit s’accompagner d’une augmentation du taux de contamination. Or j’ai cru comprendre que ce n’était pas du tout votre point de vue.

Quelles perspectives êtes-vous en mesure de dessiner concernant la découverte d’un ou plusieurs vaccins ou de traitements curatifs contre le virus ? Nous avons entendu trois choses que je vous demande de bien vouloir détailler et confirmer – ou infirmer.

Premièrement, la découverte d’un vaccin et d’un remède pourrait intervenir dans des délais records. Quels pourraient-ils être ?

Deuxièmement, les espoirs de traitements les plus efficaces résideraient dans des médicaments nouveaux plus que dans le recours à des principes actifs utilisés contre d’autres virus ou pathologies. Est-ce que cela limite, à vos yeux, la possibilité que la désormais fameuse hydroxychloroquine soit de manière durable une solution intéressante ?

Troisièmement, la France, à travers ses chercheurs et ses laboratoires, serait particulièrement bien placée dans le concert de la recherche médicale – à titre propre ou, le plus souvent, dans le cadre de consortiums internationaux. Quels éléments objectifs pouvez-vous porter à notre connaissance qui donneraient crédit à ce constat plutôt optimiste ?

M. Jérôme Salomon. Nous testons évidemment tous les malades, toutes les personnes hospitalisées et tous les professionnels de santé qui en ont besoin. C’est une priorité depuis le début. Nous avons ajouté à cela des tests dans les EHPAD, du fait de l’attention évidente que nous portons à nos aînés ; nous avons même élargi la stratégie, à la demande du ministre de la santé : les dépistages sont généralisés quand un cas est détecté dans l’un de ces établissements. En effet, nous nous sommes rendu compte qu’on pouvait avoir besoin de créer des secteurs réservés aux personnes atteintes par le Covid-19. Les professionnels concernés apprécient beaucoup d’avoir accès non seulement à une hotline médicale, mais surtout aux tests. Le Président de la République l’a dit : au moment du déconfinement, nous devons être en mesure de tester toutes les personnes présentant des symptômes – ce que nous ferons.

En ce qui concerne les sérologies, nous commençons à avoir des résultats, y compris sur la base de cas français, montrant qu’après une infection confirmée, c’est-à-dire un test PCR positif, des anticorps protecteurs apparaissent progressivement, au bout d’une, deux ou trois semaines, chez 99 % des personnes testées. Celles-ci appartenaient à des milieux différents, et certaines étaient suivies de façon spécifique dans des protocoles de recherche. Même si nous avons encore besoin de consolider ces données par d’autres publications, ces premiers éléments sont tout à fait rassurants, pour les parlementaires comme pour le grand public.

Nous consommons effectivement beaucoup de masques pour protéger nos soignants : 45 millions. Notre rythme d’importation est de 100 millions de masques par semaine, grâce à la mise en place d’un pont aérien et à des commandes massives – plus de 2 milliards d’unités.

Il est très important de rappeler que la mobilisation de tous les acteurs de la recherche dans notre pays est sans précédent ; ils travaillent jour et nuit. En France, trente essais thérapeutiques sont en cours, impliquant près de 1 600 personnes, la quasi-totalité des centres hospitaliers – y compris dans les services de réanimation – et la médecine de ville. L’étude internationale européenne Discovery est pilotée par une professeure des universités-praticienne hospitalière (PU-PH) de Lyon. Des résultats très intéressants sont attendus. Ils seront d’ailleurs multiples, puisqu’ils concernent des antiviraux, des antirétroviraux et des immunomodulateurs, ce qui montre la richesse du panel de molécules et de traitements testés. Effectivement, s’agissant de la recherche vaccinale, la France est bien placée : plusieurs acteurs publics et privés sont mobilisés. Cela dit, il faut rappeler aux Françaises et aux Français que la fabrication d’un vaccin suppose un temps incompressible : il faut s’assurer qu’il est efficace chez l’animal, puis chez l’homme, qu’il est sûr, que la réponse immunitaire provoquée est fiable et pérenne, et qu’on peut le produire.

En ce qui concerne les masques grand public, nous nous sommes mis en situation de répondre massivement à la demande. L’industrie française a commencé à fabriquer de très nombreux masques en tissu pouvant être lavés plusieurs fois. Nous en importons également. Ainsi, conformément à la volonté du Président de la République, les Françaises et les Français qui le souhaitent pourront y avoir accès.

Pour répondre très clairement à la question du président Le Gendre, il est évident que nous ne misons pas sur l’immunité collective : il faudrait pour cela atteindre un taux de contamination de 60 %, alors que nous en sommes à 5,7 % ; or il n’est pas question que la circulation virale se poursuive à un très haut niveau. Il n’est pas question que nous acceptions un grand nombre de nouveaux décès ou de personnes en réanimation, avec les drames que cela provoque. L’objectif est bien d’avoir la circulation virale la plus faible, le nombre de malades le plus faible et le nombre d’admissions le plus faible possible. Les gestes barrières, les mesures de distanciation sociale – y compris le télétravail – et la réduction des contacts, qui vont se poursuivre pendant des semaines, voire des mois, ont pour objectif d’attendre le développement des stratégies thérapeutiques et vaccinales.

Mme Katia Julienne. Il est vrai que les capacités en réanimation sont assez différentes en Allemagne, en Italie et en France, et ce même si le périmètre peut varier – dans cette catégorie, il y a aussi les soins continus et les soins intensifs, pour lesquels l’équipement n’est pas le même. Il existe également plusieurs catégories de respirateurs ; en l’espèce, nous avons besoin de renforcer nos capacités en termes de respirateurs lourds, pour prendre en charge les patients ayant les besoins induits par le Covid-19. Nous avons commandé ces respirateurs. Nous équipons également des véhicules de transport, qui nécessitent un autre type d’appareil.

Au-delà de cet aspect, la question, en définitive, est de savoir quel est notre objectif en nombre de lits de réanimation. Nous devons être en mesure de l’augmenter très fortement, ce que nous avons fait. Cela dit, comme le soulignait Jérôme Salomon, nous ne devons pas nous fixer pour objectif d’accueillir en réanimation un très grand nombre de personnes : d’où l’importance des gestes barrières, qui permettent in fine de limiter ce nombre.

Il est vrai que la pandémie extrêmement brutale qui s’est abattue sur nous a créé des difficultés d’approvisionnement pour plusieurs types d’équipement : les masques, bien sûr, les surblouses, mais aussi un certain nombre de médicaments. À cet égard, nous surveillons de très près au niveau national l’état des stocks de plusieurs molécules dans différents établissements et nous nous assurons que les patients qui en ont le plus besoin puissent en bénéficier. Comme vous le savez, il y a plus de patients en réanimation en Île-de-France et dans la région Grand Est qu’en Occitanie ou en Nouvelle-Aquitaine. Le 12 mars dernier, nous avons déprogrammé toutes les activités non urgentes pour disposer des moyens nécessaires – je veux parler aussi bien du nombre de lits de réanimation que du nombre de professionnels.

Dans de nombreux territoires, les professionnels sont épuisés ; il est important de le reconnaître. Quand nous entamerons le déconfinement progressif, nous devrons préserver le système de renforts que nous avons élaboré via la réserve sanitaire et les plateformes mises en place par les agences régionales de santé. C’est un soutien dont nous aurons peut-être besoin et, quoi qu’il en soit, nous ne saurions nous en priver dans les semaines à venir, aussi bien dans les établissements de santé que dans les EHPAD. Dans certaines régions, ces renforts ont été extrêmement importants.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le professeur Salomon, en 2016, vous aviez évoqué le manque de préparation de la France aux catastrophes sanitaires. Malheureusement, cela s’est vérifié avec la pénurie de masques, constatée dans deux rapports, en 2016 et en 2018, et confirmée par le ministre de la santé dans l’hémicycle et par vous-même. Le changement de stratégie quant aux stocks nationaux de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) en 2013 en est certainement la cause. Je considère par ailleurs que la question du sort des masques stockés à cette époque reste opaque. De même, j’aurais voulu savoir ce que sont devenus les 6 000 respirateurs qui étaient également stockés par cet établissement.

Les Français veulent vraiment savoir en quoi consiste la stratégie des masques dits alternatifs ou grand public : quelle est la quantité produite chaque jour ? Quelle est leur qualité ? Le port sera-t-il obligatoire ? Quel doit en être le prix car celui-ci explose ?

Pour terminer, je voudrais évoquer la prime pour les soignants qui a été proposée par le Premier ministre. D’abord, quel sera son montant : 1 500 euros, 1 000 euros ou 500 euros ? À qui sera-t-elle versée : seulement aux soignants, ou bien aussi au personnel administratif ? Quid des soignants des établissements médico-sociaux ? Pourquoi envisager des différences géographiques ? Je vous alerte particulièrement sur ce point, qui sera peut-être important pour tous les personnels.

M. David Habib. La première impression de nos concitoyens est que la crise que connaît notre pays est gérée dans l’improvisation. C’est sûrement injuste, et personne ne conteste le caractère exceptionnel, imprévisible et grave de la pandémie ; il n’en reste pas moins que nous avons le sentiment qu’il n’y a pas de cohérence dans le discours politique. Par exemple, M. le Président de la République annonce la réouverture des classes et, le lendemain, M. le ministre de l’éducation nationale déclare que ce ne sera ni pour tout le monde ni tout de suite. Un certain nombre d’annonces sont faites sans trouver de concrétisation sur le terrain – c’est vrai pour les masques, mais aussi pour bien d’autres sujets. Par ailleurs, on a le sentiment, monsieur le professeur, que votre doctrine dépend de votre stock : vous êtes contre les masques quand vous n’en avez pas, puis vous êtes pour quand vous sentez qu’il va y en avoir – et c’est la même chose pour les tests.

Monsieur le président Mignola, en ce qui concerne les tests produits et réalisés, j’ai relevé un certain nombre de contradictions entre les déclarations des différentes personnes que nous avons auditionnées. C’est sûrement dû à mon ignorance des réalités médicales ; toujours est-il que je souhaiterais qu’une note soit établie à notre intention pour récapituler ce qui a été dit par les uns et les autres, de manière que nous y voyions plus clair.

Monsieur le professeur, je souhaite vous interroger sur les tests en milieu professionnel. Hier, Mme Pénicaud a clairement indiqué que, le 11 mai, la lutte contre la dispersion du virus se ferait par la distanciation sociale et par le respect des guides de bonnes pratiques – ce qui est certes une bonne chose – mais pas par la distribution de masques aux salariés, et encore moins par une campagne de tests. Quel jugement portez-vous sur ces déclarations ?

Le député des Pyrénées-Atlantiques que je suis relève que nous avons heureusement très peu de cas dans le Béarn. Le déconfinement sera-t-il territorial ? Quelles mesures de précaution pourraient être prises par les pouvoirs publics pour éviter que les territoires épargnés ne soient victimes de la circulation du virus ?

M. Patrick Mignola, président. Monsieur Habib, je retiens bien sûr votre suggestion d’une note relative à la doctrine en matière de tests et à leur réalisation – cela recoupe d’ailleurs la question posée par Philippe Vigier à propos des tests sérologiques.

Mme Sophie Auconie. En tant que députée de l’Indre-et-Loire, permettez-moi tout d’abord de saluer l’innovation en matière de décontamination des masques chirurgicaux et FFP2, que l’on doit notamment à un partenariat entre le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) et l’université de Tours, mené par le professeur Louis Bernard dont je salue la pugnacité. Ce sera peut-être une réponse aux problèmes que nous rencontrons dans les territoires.

Monsieur le professeur Salomon, vous dites que les masques sont nécessaires en plus des barrières sanitaires ; souhaitez-vous donc que l’État en commande pour les mettre à la disposition des citoyens et, si oui, pourquoi ne le fait-il pas, laissant les collectivités locales seules pour protéger les Français ?

Je voudrais évoquer également la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE), ces professionnels de santé dont le statut est très précaire, les rémunérations très faibles et qui n’ont pas de perspectives de carrière alors qu’ils sont très souvent des maillons indispensables au bon fonctionnement de nos hôpitaux. La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, défendue par Agnès Buzyn, a posé la première pierre d’une intégration plus large des PADHUE, de nature à rendre justice à leur engagement au service de notre système de santé tout en garantissant le haut niveau de qualification auquel nos concitoyens sont en droit de prétendre. Or le décret qui doit permettre une régularisation plus large des PADHUE est toujours, à ma connaissance, en attente de rédaction. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, ils sont en première ligne. Par ailleurs, la loi de 2019 n’a pas intégré dans le processus de régularisation les PADHUE exerçant en tant qu’infirmiers dans les EHPAD ; ils sont pourtant indispensables. L’une des leçons à tirer de la pandémie pourrait être la nécessité d’une régularisation plus large de l’ensemble des soignants qui ont porté le fardeau de cette crise sanitaire auprès de nos aînés.

M. Joachim Son-Forget. Le Canard enchaî fait état d’une circulaire du ministère en date du 19 mars incitant à restreindre l’accès des personnes fragiles aux services de réanimation. Qu’une personne refuse volontairement d’être réanimée est une chose, qu’on la prive délibérément de soins en est une autre. Les chiffres rapportés dans l’article laissent songeur et n’auront pas manqué d’inquiéter les Français. Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements ?

M. Jérôme Salomon. S’agissant des stocks stratégiques, rappelons que la dernière décennie a été marquée par de grandes catastrophes climatiques comme l’ouragan Irma, la réémergence que personne ne pensait possible des fièvres hémorragiques virales dans les pays occidentaux, la multiplication des attentats sur notre territoire, l’apparition de nouveaux risques comme les arboviroses en France métropolitaine, qui nécessite de mettre en place des mesures de lutte antivectorielle, et l’antibiorésistance. Un consensus international, conforté par les plus brillants scientifiques, s’était établi : la menace principale était bactérienne, ce qui impliquait de se doter de capacités vaccinales et de stocks d’antibiotiques pour lutter contre l’Escherichia coli, le staphylocoque doré, le Clostridium difficile, ou bien encore des bactéries relevant de la prévention vaccinale. L’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et Santé publique France se sont donc préparés à cette évolution des risques, objectivée par la communauté scientifique internationale.

Les masques grand public, en cours de fabrication en France grâce à la mobilisation de nos industriels portée par le ministère de l’économie, auront des propriétés de respirabilité et un pouvoir filtrant élevés. Leur usage sera validé par le Haut Conseil de la santé publique et le conseil scientifique Covid-19. Nous aurons à discuter tous ensemble de leur utilisation dans des situations de promiscuité, quand les mesures barrières et la distanciation physique et sociale ne peuvent être appliquées, peut-être dans les transports collectifs.

Nous testons de plus en plus massivement tous les malades, tous les professionnels de santé, les résidents des EHPAD. Il n’est cependant pas possible de lancer une campagne nationale de tests tous publics. D’abord, le test lui-même est très désagréable puisqu’il suppose d’enfoncer un écouvillon jusque dans le cavum. Ensuite, il nécessite une logistique assez lourde : l’écouvillon, placé dans un milieu de culture, doit être envoyé dans un laboratoire pour être analysé selon la technique PCR. Je ne crois pas que les Français accepteraient d’y être soumis régulièrement. En outre, ces tests n’auraient de sens que si nous surveillions en permanence la population : une personne négative le lundi peut en effet devenir positive le mardi si elle entre en contact avec un porteur.

Je partage vos interrogations sur le déconfinement territorial. La répartition géographique comporte beaucoup d’inconnues. À l’échelon de l’Europe, on constate une grande hétérogénéité, totalement incompréhensible : certains pays nordiques sont massivement touchés, d’autres pas ; la Grèce est moins touchée alors que son système de santé est en grande difficulté. La France est elle-même marquée par une grande diversité des situations d’un département à l’autre, alors que notre système de santé est assez homogène sur tout le territoire. Nous n’avons pas d’explications sur la circulation du virus et sur le fait qu’il soit plus présent dans certaines zones que dans d’autres.

Ce qu’il faudra éviter, ce sont les échanges de populations entre zones massivement touchées et zones peu touchées, et les transports interrégionaux, pour ne pas réactiver la circulation du virus. Nous devrons être très attentifs, notamment au moment du déconfinement, aux flux interrégionaux.

Le protocole du professeur Louis Bernard, avec lequel j’ai longtemps travaillé, est très intéressant, madame Auconie. Je tiens à saluer ici la créativité dont nos chercheurs font preuve en matière de désinfection et de réutilisation des masques. Rappelons que les masques qu’utilisent les soignants sont les masques FFP2 pour les actes à haut risque réalisés à l’hôpital et les masques chirurgicaux, dont nous avons aussi testé les possibilités de réutilisation. Aujourd’hui, les importations hebdomadaires permettent de couvrir les besoins. Notre but, grâce à la production textile nationale, est de disposer de plusieurs millions de masques personnels en tissu, lavables jusqu’à trente fois.

Mme Katia Julienne. Pour les primes, j’ai bien conscience de l’importance de tenir compte à la fois des personnels hospitaliers et des personnels du secteur médico-social.

Nous avons fait évoluer par décret les dispositions relatives aux PADHUE. Je pense en particulier à la situation particulière des ultramarins. Je comprends que vous appeliez de vos vœux d’autres améliorations, madame Auconie.

Votre question, Monsieur Son-Forget, me laisse perplexe. Il n’y a eu aucune circulaire allant dans le sens que vous indiquez. La réanimation relève exclusivement de décisions médicales et c’est l’état de santé et non pas l’âge qui est pris en considération. De mémoire, environ 15 % des personnes prises en charge en réanimation ont plus de quatre-vingts ans.

M. Bernard Pancher. Les Français ont peur : 90 % d’entre eux sont inquiets. Du jamais vu ! Les cafouillages et le manque de transparence renforcent leurs angoisses. Ils veulent se protéger avec des masques, comme les y invite l’Académie de médecine. Nous avons demandé en vain des calendriers de livraison et des bons de commande. Les ponts aériens, monsieur le directeur général de la santé, ne doivent pas se réduire à quelques avions par semaine ! Le président de la région Grand Est, Jean Rottner, dont je salue l’engagement admirable, a acheté 2 millions de masques pour les rétrocéder aux établissements de santé alors que cela ne relève pas de sa compétence mais de la vôtre. Estimez-vous cela normal ? D’autres présidents de région comme Hervé Morin, Xavier Bertrand ou Carole Delga ont dû eux aussi se débrouiller. Comment expliquez-vous ces défaillances ? Sans parler des 10 000 respirateurs commandés qu’on dit inutilisables !

Les Français ont aussi peur du déconfinement. Ils veulent savoir comment l’État a décidé de sa date et de ses modalités. Après les annonces du Président de la République, nous avons cru comprendre, grâce aux auditions de la mission d’information, que le conseil scientifique n’était pas tout à fait sur la même ligne. L’ensemble du Gouvernement se range à cette date et, grand classique en France, les consultations se font a posteriori. Le ministère de l’éducation nationale compte rouvrir les établissements scolaires, mais selon un calendrier qui n’est pas discuté. Il attendrait du conseil scientifique des précisions sur les procédures de protection afin de les transmettre aux enseignants et aux collectivités.

Bref, qu’est-ce que c’est que ce bazar ?

M. Patrick Mignola, président. Ce n’est pas seulement la situation mais aussi la manière de s’exprimer qui peut être anxiogène, mon cher collègue...

Mme Anne Genetet. Monsieur le directeur général, je veux vous remercier pour votre point quotidien : vous savez tenir, en toute transparence, des propos clairs, profondément rassurants.

Dans une étude épidémiologique, l’Institut Pasteur a estimé que le 11 mai prochain, environ 5,7 % de la population aura été infectée. Nous sommes très loin du seuil qui garantirait une immunité collective. Cela nous oblige à laisser perdurer après cette date les mesures barrières et la distanciation physique. Cela sera-t-il suffisant ? Pensons au cas de Singapour. Touchée parmi les premières hors de Chine, cette cité-État a été donnée en exemple pour sa maîtrise de la propagation du virus. Pourtant, elle subit depuis peu une résurgence brutale de l’épidémie : l’explosion des cas à la fin du mois de mars a conduit les autorités à décider d’un confinement total. La deuxième vague est bel et bien un risque et il nous faut très humblement nous y préparer, en tenant compte de la situation des pays où l’épidémie s’est déclarée plus tôt.

Comment envisagez-vous de dimensionner notre offre de soins, qu’il s’agisse du nombre de lits de réanimation, des personnels « Covid », de l’organisation des EHPAD ou de la définition des besoins ?

Pour éviter cette deuxième vague, auriez-vous un conseil à nous donner ?

Mme Josiane Corneloup. J’aimerais à mon tour évoquer l’impréparation face à la crise sanitaire. En 2016, monsieur le directeur général, vous estimiez que la France n’était pas prête : « notre pays doit adapter ses organisations aux spécificités des crises majeures à venir et des nouveaux défis anticipés ». Pourquoi rien n’a été fait ? Pourquoi des outils d’intervention efficaces ont-ils été mis de côté, désarmant notre pays ?

Je m’interroge aussi sur le risque d’une seconde vague. Celle-ci pourrait avoir des conséquences dramatiques : elle générerait pour les hôpitaux une pression plus élevée que celle que nous connaissons car ceux-ci devraient soigner à la fois les patients souffrant de pathologies chroniques, sans doute sous des formes aggravées du fait des prises en charge différées, et les nouveaux cas de Covid-19. Sur quelle stratégie de prévention comptez-vous vous appuyer ?

Enfin, nous n’avons pas de traitements efficaces pour atténuer l’impact du coronavirus. Le vaccin constitue la meilleure piste. Des essais cliniques ont été menés, notamment aux États-Unis et en Allemagne. Où en sommes-nous en France ? Y a-t-il une stratégie européenne ?

Mme Valérie Rabault. Le Premier ministre a souligné qu’il y avait une baisse de 60 % des consultations chez les spécialistes, notamment en amont d’une opération. Ne pourrait-on moduler la mise en œuvre du plan blanc ? Dans mon département, où il y a eu moins de vingt hospitalisations liées au Covid-19, tout est arrêté : c’est inacceptable ! Les hôpitaux ou les cliniques comptant peu de patients placés en réanimation ne devraient-ils par reprendre progressivement leur activité ? Cela me paraît être un enjeu de santé publique majeur.

S’agissant des chirurgiens-dentistes, je suis tombée de nues hier en entendant la ministre du travail dire qu’ils ne pouvaient bénéficier du congé pour garde d’enfants puisqu’ils devaient travailler. Selon vous, ils n’auraient pas à porter de masques FFP2 alors qu’ils ont à traiter une zone du corps qui présente davantage de risques de contamination. Pouvez-vous nous dire très clairement, monsieur le directeur général, comment vous comptez les équiper ?

Madame Julienne, vous dites n’être pas au courant de la polémique relative aux respirateurs qui a pourtant fait l’ouverture du journal de France Inter ce matin : 8 500 des 10 000 respirateurs commandés seraient inutilisables. Pouvez-vous nous en dire plus, ou, à défaut, nous envoyer une note écrite détaillée ?

M. Jérôme Salomon. En matière de communication, le numéro vert revêt une grande importance : il permet d’apporter des réponses aux questions que se posent nos concitoyens et leur fournit un soutien psychologique ainsi qu’aux personnels de santé. Citons également le site du Gouvernement et la mise à disposition de toutes les données connues. Nous travaillons avec les collèges professionnels, avec les ordres, avec le service de santé des armées. Nous participons à des réunions européennes entre directeurs de la santé et avec les responsables de l’OMS en Europe. En outre, la liste de diffusion « DGS-urgent » permet de toucher 800 000 personnels de santé.

Je partage toutes vos interrogations sur la deuxième vague. J’essaie de faire preuve de prudence en restant rationnel et scientifique. L’immunité est faible en France comme dans le reste du monde. Selon l’OMS, l’infection n’aurait touché que 2 % à 3 % de la population mondiale. Le risque de reprise épidémique existe. Nous devons nous y préparer. Certains pays ayant des cultures très différentes de la nôtre comme le Chine, Singapour ou le Japon font face à ce phénomène alors qu’ils disposent de nombreuses armes contre la diffusion du virus. Il nous faut rester humbles et redoubler de vigilance.

Nous devons nous préparer au risque de reprise épidémique ; c’est pourquoi j’insiste sur le fait que le confinement doit être réussi. Son objectif est de réduire l’impact de la première vague, et il l’a fait puisque le R0, taux de reproduction de base du virus, est passé de 3,4 à 0,5 – cela signifie que cent personnes malades n’en contaminent plus que cinquante ; le confinement a ainsi permis de réduire de 83 % le nombre de décès lors de cette première vague. Nous devons poursuivre ce confinement pour parvenir au plus faible niveau de circulation de virus le 11 mai, afin de soulager nos soignants et d’éviter que les Français ne revivent un drame tel que nous l’avons vécu – je pense aux personnes hospitalisées, en réanimation et décédées.

Nous allons nous y préparer collectivement, avec les élus territoriaux et les collectivités locales, en déclinant au plan territorial notre stratégie nationale, c’est-à-dire en renforçant notre capacité de test et de « contact tracing » – qui permet d’aller rechercher systématiquement tous les contacts d’une personne positive –, en insistant sur l’isolement, sur la quatorzaine des personnes contacts avérées, sur les outils numériques, les masques, les mesures barrières qui vont rester indispensables, et sur les mesures de distanciation physique et sociale. Tous les pays sont désormais totalement alignés sur cette stratégie. Nous allons vivre pendant très longtemps avec les masques, les mesures barrières et la distanciation sociale – le télétravail, la réduction des réunions et du nombre de contacts quotidiens, et cette fameuse distance physique qui revient à l’arrêt des contacts humains, des embrassades et des mains serrées.

C’est le sujet des prochains jours : il faut que le confinement soit réussi pour que le déconfinement – qui a été confié à Jean Castex, chargé de l’animation du travail interministériel – le soit aussi. Nous devrons pousser encore davantage la recherche actuelle sur les traitements, qui mobilise le monde entier : de très nombreux essais sont en cours, et des données intermédiaires seront publiées dans les prochains jours ; elles donneront peut-être des résultats positifs, et nous y sommes très attentifs. La recherche vaccinale est aussi très active et très riche ; la France fait partie de très nombreuses coordinations internationales et européennes, et des acteurs français publics et privés travaillent sur le vaccin. Des essais humains seront bientôt mis en œuvre sur des volontaires et en milieu hospitalier. Il faut cependant rappeler qu’en la matière, le délai est incompressible ; nous ne pouvons pas espérer de vaccin, d’où qu’il vienne, avant 2021.

Quant aux masques FFP2 – je parle sous le contrôle de Mme Julienne –, il y en a évidemment pour les dentistes ; c’est pour eux une nécessité. Lorsqu’un cabinet dentaire rouvre ses portes, il dispose de tels masques – le ministre de la santé s’était déjà exprimé sur le sujet.

Mme Katia Julienne. Sur les 10 000 respirateurs disponibles, 1 500 sont consacrés aux patients atteints du Covid-19, et 8 500, de modèle Osiris, sont plutôt destinés aux urgences et au transport de patients. Je peux m’engager à vous donner des précisions dans la journée sur ce point.

Nous avons engagé le 12 mars dernier une déprogrammation massive des hospitalisations non urgentes et le déclenchement des plans blancs, pour permettre à l’ensemble de nos établissements de s’armer ; c’était à l’époque absolument indispensable, d’autant que nous n’avions pas encore une vision très claire de la disparité régionale en matière d’atteinte de l’épidémie. Entre-temps, la stabilisation et la décroissance progressive du nombre de patients en réanimation d’une part, le risque de perte de chances pour les autres patients en hôpital ou en ville d’autre part, ont conduit à relancer l’activité de manière très prudente et très modérée, y compris au sein des établissements de santé. C’est ce que nous avons demandé aux directeurs généraux des agences régionales de santé, afin de tenir compte des réalités spécifiques de leurs régions respectives, mais dans des conditions très simples de réversibilité, permettant de réarmer rapidement les capacités en réanimation au cas où l’épidémie enregistrerait une résurgence forte. D’autres contraintes sont liées aux médicaments : un certain nombre d’activités programmées sont consommatrices de molécules dont nous avons besoin pour prendre en charge les patients atteints du Covid-19. Ce sont des limites assez fortes, mais la crise est encore réelle – il suffit de regarder la situation en réanimation en Île-de-France ou dans le Grand Est pour se persuader qu’elle n’est pas encore derrière nous. Voilà pourquoi nous avons adressé le message d’une reprise très prudente des activités, pour éviter les pertes de chances des patients dans les établissements tout en tenant compte des exigences évoquées.

Enfin, nous préparons l’offre de soins dans l’hypothèse d’une éventuelle deuxième vague. L’un des enjeux de la préparation du déconfinement progressif, qui n’est pas une rupture mais une continuité, est de préserver à toute force la possibilité de réarmer nos capacités de réanimation ; il s’agit de nous protéger collectivement en cas de résurgence de l’épidémie, quel que soit l’endroit où elle surviendrait sur notre territoire. C’est un enjeu très fort et un point de vigilance majeur. Nous disposons des outils pour effectuer un suivi de ces capacités, en lien avec les agences régionales de santé. Nous le ferons, sachant que nous avons entre-temps fait évoluer fortement nos capacités en réanimation puisque nous sommes passés de 5 000 à plus de 10 000 lits, et bientôt – en tenant compte du nombre de respirateurs – aux alentours de 14 000.

M. Patrick Mignola, président. Un communiqué vient d’émaner du ministère de la santé et confirme ce que vient d’indiquer Mme la directrice générale à propos des 1 500 respirateurs qui ont été commandés pour les patients atteints du Covid-19, les autres étant destinés aux services de transport. Cela permet de clore cette polémique.

Je me permets toutefois une suggestion qui prolonge la question d’un de nos collègues à propos des collectivités qui font beaucoup d’efforts – il faut le saluer – pour commander ou fabriquer des masques. Peut-être pourriez-vous coordonner ces commandes et ces distributions ? Nous n’en avions pas assez, et c’est une bonne chose que les régions, les départements et les communes passent commande ; il vaut mieux en avoir trop que pas assez. Cependant, il serait ennuyeux qu’à la suite de ces distributions, certains de nos concitoyens disposent de trois ou quatre masques tandis que des petites communes qui ont peu de moyens ou pas la possibilité de passer commande n’en auraient aucun. Certes, certains maires sont aussi présidents d’intercommunalité et veillent à ce que les petites collectivités bénéficient des mêmes dispositions que les autres. Mais, en tout état de cause, il est important de garantir une équité territoriale entre tous nos concitoyens.

M. Olivier Becht. Après deux heures de réunion, nous attendons encore des réponses concrètes à deux questions essentielles, et je crois que la représentation nationale est en droit de les obtenir.

Est-on en mesure d’équiper en masques tous les Français devant retourner dans l’espace public le 11 mai, c’est-à-dire dans quinze jours ? Comment et quand ces masques vont-ils être distribués ?

Est-on en mesure de tester massivement la population ? Combien de machines, de tests et de kits ont été commandés, et comment les choses vont-elles se dérouler concrètement ?

Enfin, je souhaite lancer l’alerte sur la situation du centre hospitalier de Mulhouse – je suis député du Haut-Rhin, et particulièrement de l’agglomération de Mulhouse. Nous avons appris hier que la réserve sanitaire était retirée, alors même que 600 soignants du centre hospitalier sont toujours malades, absents, et pour certains hospitalisés dans leur propre hôpital. Peut-on revenir rapidement sur cette décision, et répondre également à la crise des urgences ? Je rappelle qu’avant même la crise, le service des urgences de Mulhouse ne comptait déjà plus que sept médecins urgentistes sur les vingt-cinq postes qui auraient dû être ouverts.

M. Bruno Studer, corapporteur. Nous poursuivons avec un autre député alsacien, cette fois-ci du Bas-Rhin. Le Président de la République a évoqué un déconfinement qui serait mis en œuvre si les conditions étaient remplies ; le ministre de la santé a énoncé les critères, à savoir une circulation du virus très ralentie et un retour aux capacités nominales de réanimation. S’agissant du premier critère, il semble que l’on puisse espérer – même en Alsace – que les conditions soient remplies le 11 mai. Il n’en est pas de même pour le second : à Strasbourg, il y avait avant la crise 80 lits de réanimation ; ce chiffre est monté à 210 grâce à un déploiement exceptionnel, et nous disposons aujourd’hui de 160 lits, dont 130 réservés aux patients atteints par le Covid-19. J’ai du mal à envisager un retour aux capacités nominales de réanimation d’ici au 11 mai. Quand serons-nous fixés ? C’est une question qui préoccupe beaucoup les gens qui doivent se faire soigner en semi-urgence, par exemple pour des soins dentaires.

La professeure chinoise Li Lanjuan, qui a été la première à proposer le confinement de Wuhan, a commencé à publier une étude qui a révélé la capacité du SARS-CoV-2 à muter, ce qui expliquerait les impacts variables de la maladie dans les différentes parties du monde, avec des souches qui seraient plus mortelles que d’autres. Pouvez-vous nous éclairer sur la prise en compte ou non d’une telle hypothèse de pathogénicité variable selon la souche, dans les différents essais cliniques effectués actuellement en France ?

M. Pierre Dharréville. Mme la directrice générale vient d’évoquer la question du déclenchement du déconfinement et celle d’un éventuel reconfinement. Pourriez-vous préciser les moyens de mesure dont vous disposerez pour suivre en temps réel l’évolution de la situation, afin de pouvoir prendre au fur et à mesure les bonnes décisions ? Y a-t-il un seuil, comment va-t-il être calculé, pour quel type de territoire et en fonction de quelle logique – j’imagine qu’il y aura une approche par cluster ? Je souhaiterais connaître votre stratégie en la matière.

S’agissant des brevets, puisque des recherches sont en cours chez nous et un peu partout dans le monde, je rappelle qu’au moment du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), les droits avaient été placés dans une communauté de brevets. Pouvez-vous nous indiquer de quelle façon les choses s’engagent pour que l’ensemble de la population française et mondiale puisse bénéficier du même accès aux traitements, à un éventuel vaccin et aux découvertes qui auront lieu ? Comment faire en sorte qu’ils ne fassent pas l’objet de spéculation et soient bien mis à disposition de tous ?

M. Jérôme Salomon. Tout d’abord, j’adresse un message très ému à nos amis alsaciens. Connaissant bien cette région, je suis très touché par la situation dramatique qu’a connue Mulhouse, mais aussi par la magnifique solidarité régionale, interrégionale et européenne, l’afflux massif des volontaires et des moyens techniques auxquels nous avons assisté. Les « évasans » – évacuations sanitaires – ont permis de transférer en toute sécurité des malades très atteints, réanimatoires, vers d’autres CHU, vers des centres hospitaliers de la région ou d’autres régions mais aussi vers la Suisse, le Luxembourg, l’Allemagne et l’Autriche. Le transfert de 640 malades en réanimation sur le territoire national est inédit, y compris me semble-t-il pour d’autres pays.

Des moyens de transport inusités en de telles circonstances ont ainsi été utilisés comme les hélicoptères, les avions de l’armée, mais aussi des TGV médicalisés permettant de convoyer les patients dans de très bonnes conditions. Comme vous le savez, le ministère des armées a également dépêché un hôpital militaire à Mulhouse afin de prendre en charge trente malades très gravement atteints, dans cette zone parmi les plus touchées par la circulation virale.

Nous portons aussi une grande attention aux équipes, qui sont à genoux, en appelant chaque jour les médecins hospitaliers et libéraux. Je contacte quant à moi régulièrement mes collègues exerçant dans les zones les plus touchées. Mme Julienne et moi-même sommes parfaitement conscients de l’épuisement des équipes soignantes. Comme l’ont dit le Président de la République et le Premier ministre, il convient de restaurer notre capacité de réponse, ce qui signifie que l’on tiendra compte de nos capacités hospitalières mais aussi des conditions physiques et psychiques des équipes, ce qui me semble fondamental et qui doit être intégré parmi les critères majeurs du suivi de l’épidémie.

Le ministre Olivier Véran a été très clair : la prise en charge des maladies chroniques, aiguës, des urgences vitales, des urgences, des détresses psychologiques et psychiatriques et, bien sûr, des soins dentaires urgents doit être effective car c’est évidemment essentiel pour la santé des Français.

Monsieur le président Studer, j’ai communiqué immédiatement l’article de la grande virologue chinoise consacré à la mutation du virus à Mme la professeure Sylvie van Der Werf, notre virologue de référence, responsable du centre national de référence des virus des infections respiratoires. Au vu des séquençages profonds actuels, ce type de mutation ne semble pas l’inquiéter. Elle n’a pas encore de certitude quant à l’existence de souches de pathogénicités différentes, l’une très mortelle et l’autre beaucoup plus bénigne. Nous sommes semble-t-il face à une variation classique : nous n’assistons pas à une mutation mais à une évolution naturelle du virus qui, sur un plan phylogénétique, nous permet de savoir où il passe et quelle est sa diffusion, ce qui est très important pour les virologues.

En revanche, nous sommes en train de découvrir un point difficile à entendre : l’importance de la variabilité des réactions individuelles face au virus. Probablement s’explique-t-elle par des facteurs génétiques, immunitaires, d’âge, de condition physique. Je suis en effet très frappé de voir des personnes relativement âgées voire très âgées qui développent une forme bénigne de la maladie et des personnes de moins de trente ans qui ne souffraient pas d’autres pathologies en réanimation. C’est heureusement exceptionnel mais nous l’observons. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’explication. Pourquoi une personne de 95 ans peut-elle rester chez elle et s’en tirer avec un peu de fièvre sans développer une forme sévère ? Pourquoi un jeune sportif peut-il se retrouver en réanimation ?

Sur le plan national, monsieur Dharréville, nous veillons à ce qu’une capacité de projection soit possible afin que les décideurs et les élus connaissent la situation épidémiologique et hospitalière ainsi que l’état de mobilisation des professionnels de santé de chaque territoire.

Plus encore que lors des épidémies précédentes, nous constatons une remarquable ouverture de la part de la communauté scientifique vers l’open science – peut-être même est-elle aussi complètement inédite –, l’open source, l’accessibilité totale. L’Institut Pasteur a ainsi partagé le séquençage du génome, de même que l’on partage nos informations épidémiologiques ou sur les essais thérapeutiques. Il convient de souligner cette volonté de mise à disposition des connaissances scientifiques en direction de la communauté internationale, médicale et scientifique.

Mme Katia Julienne. S’agissant des modalités de suivi en temps réel, il est très important pour nous de nous appuyer sur des simulations de l’impact de l’épidémie dans une région, outre le plan national, afin d’avoir le plus de précisions possible mais aussi de pouvoir anticiper les conséquences de ces simulations sur les capacités de réanimation.

Nous disposons ainsi des outils permettant d’évaluer en temps réel l’ensemble des capacités de réanimation et de mesurer quotidiennement les hospitalisations conventionnelles ou en réanimation des patients atteints du Covid-19. De la sorte, nous pouvons anticiper des transferts de malades si une saturation se profile, comme nous l’avons fait dans la région Grand Est, ce qui nous permet de garder une marge de manœuvre et d’organiser l’arrivée de nouveaux patients. Nous continuerons de la même manière dans les semaines à venir pour pouvoir contrôler l’état de nos capacités quotidiennes compte tenu de l’avancée de l’épidémie et du nombre de malades à prendre en charge.

M. Patrick Mignola, président. Madame la directrice générale, monsieur le directeur général, je vous remercie au nom de la représentation nationale pour la pertinence de vos propos et pour votre disponibilité.

Mes chers collègues, je vous souhaite un bon courage pour continuer à accompagner, dans chacune de vos circonscriptions, nos concitoyennes et nos concitoyens pendant ces moments délicats.

 

L’audition s’achève à douze heures trente.

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