Compte rendu

Mission d’information de
la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19
(pouvoirs d’enquête)
 

 

–  Audition du Pr Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris 2

–  Présences en réunion...........................25

 

 

 

 


Jeudi
25 juin 2020

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 29

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence
de Mme Brigitte Bourguignon,

Présidente

 

 


  1 

La mission d’information procède à l’audition du Pr Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous recevons Mme Karine Lacombe avec laquelle nous avons souhaité prolonger les thématiques abordées le 24 juin avec le professeur Didier Raoult. Madame le professeur, vous êtes depuis 2019 cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Vous conduisez également l’essai Coviplasm visant à tester l’efficacité du traitement par transfusion de plasma de patients convalescents de covid-19.

Après la maîtrise de l’épidémie – grâce au confinement et à l’effort de tous les Français, que nous devons saluer –, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de gestion de l’épidémie qui est aussi celle du bilan des semaines passées et des enseignements à en tirer pour les mois à venir.

Les équipes sont en place pour identifier les clusters, tester les personnes malades et leurs contacts et les isoler si nécessaire. Pour autant, les inconnues sur le virus et la maladie restent nombreuses. La prise en charge des malades a énormément progressé depuis l’arrivée de l’épidémie, mais les questions sur les traitements et les modes de propagation de la maladie restent ouvertes et il est probable que nous n’en ayons pas encore fini avec le covid-19.

Sur tous ces points et en particulier sur les stratégies de dépistage suivies, nous avons souhaité vous entendre.

 (Mme Karine Lacombe prête serment.)

Mme Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. C’est un honneur pour moi de porter devant vous ma parole de soignante qui a été en première ligne face à l’épidémie de covid-19 à l’hôpital. Je m’exprime également en tant que chercheuse de la communauté de ceux et celles qui, en un temps record, se sont mobilisés pour construire le corpus de connaissances dont nous avions besoin pour soigner nos malades. Je m’exprime aussi en tant que femme – l’une d’entre celles qui, mères, enseignantes, ont fait face pour assurer leurs missions de support, de soutien, et de réassurance avec l’humanité et la bienveillance dont chacun a besoin en période critique. Beaucoup se reconnaîtront dans mon propos.

Je suis médecin infectiologue, professeur à la faculté de médecine Sorbonne Université et depuis un an cheffe de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Saint‑Antoine, à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). De par ma double valence universitaire, je suis également chercheuse à l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, au sein de l’équipe Épidémiologie clinique des maladies virales chroniques, à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

J’ai été formée à la faculté de médecine de Grenoble, et j’ai suivi à Paris et à Bordeaux un double cursus de santé publique, d’une part – spécialisé dans l’évaluation des interventions en santé – et d’infectiologie, d’autre part, avec un focus sur les virus responsables d’infections chroniques. J’ai construit toute ma carrière scientifique nationale et internationale dans les domaines du VIH et des hépatites virales B et C en menant des études de cohorte et des essais thérapeutiques en France, mais également dans des pays du sud comme le Vietnam, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin ou le Cameroun. J’ai acquis des compétences en recherche clinique et en évaluation thérapeutique qui m’ont amenée à être sollicitée pour participer en tant qu’experte aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) mais aussi d’institutions comme le Medicines Patent Pool qui s’occupe de l’accès aux traitements innovants pour les pays du sud.

L’un de mes thèmes principaux de travail a été l’immunisation de l’hépatite C au sein des populations clés comme les usagers de drogue et les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes. Je me suis particulièrement investie ces dernières années dans la prévention et le contrôle du VIH dans les populations vulnérables que représentent les migrants, les travailleuses et travailleurs du sexe et tout groupe victime de discrimination.

Ma prise de fonction de cheffe de service il y a un an, a ajouté à mon travail de clinicienne, de chercheuse et d’enseignante une dimension de gestion d’équipe et de construction de projets communs pour l’amélioration de la santé de nos patients et de la qualité de vie de nos personnels. La connaissance du patient et du soin, avec un focus très clinique, est une qualité fondamentale qui alimente ma réflexion autour de la recherche, car je suis avant tout clinicienne et épidémiologiste.

En parallèle, enseigner m’a permis d’acquérir de bons outils pédagogiques pour délivrer les messages adéquats dans une période où l’anxiété généralisée a été source d’approximations et de conclusions hâtives. Or nous avons précisément besoin de recul et de pédagogie pour faire passer un message juste sans être trop alarmiste ni trop rassurant.

Nous vivons une crise sanitaire majeure qui ébranle nos convictions envers ce que la science peut nous apporter et qui fait trembler nos valeurs d’humanisme, d’entraide et de coopération. De nombreux débats scientifiques et éthiques sont devenus des controverses hasardeuses et des polémiques stériles qui ont masqué notre engagement envers nos malades et ceux qui sont les plus fragiles.

Cependant, je tiens en me présentant devant vous à témoigner pour notre communauté, celle des soignants – du métier le plus modeste au métier le plus prestigieux, tous exercés avec la même humilité, la même ardeur, le même professionnalisme –, de ceux qui ont travaillé sans discontinuer comme de ceux qui sont tombés malades par leur engagement auprès des patients. Je témoigne également pour les femmes qui ont été au premier rang du care, mais tellement sous-représentées dans la recherche sur le covid-19 comme dans les médias – comme si l’ombre nous convenait en général plus que la lumière, ou que, plus prosaïquement, la charge mentale que nous éprouvons en temps ordinaire était encore plus lourde en temps de crise et nous imposait de faire des choix.

Sachez que le patient a toujours été au cœur des choix que nous avons faits – choix de soin, de traitement, ou d’accompagnement. Nous avons, toutes et tous, fait le choix du soin et de la recherche dans l’intérêt du plus grand nombre en faisant fi de notre intérêt individuel.

Mon propos liminaire est volontairement court car je souhaite laisser l’espace à vos questions et tenter d’apporter, de la place qui est la mienne – issue du terrain, et cheffe d’équipe – l’éclairage dont vous pouvez avoir besoin sur la gestion de la crise du covid‑19 à l’hôpital et dans les unités de recherche.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pouvez-vous faire le point sur la situation de l’épidémie ? Quelle est votre appréciation sur le risque d’une deuxième vague ?

Pour faire suite à notre audition du 24 juin, à la fin du mois de mars vous avez fortement critiqué les essais cliniques menés par le professeur Raoult sur l’hydroxychloroquine, pour quelles raisons avez-vous estimé que ce traitement pouvait être dangereux pour les patients ? Quelle appréciation portez-vous sur les autres essais cliniques menés par le professeur Raoult ?

Mme Karine Lacombe. Tout le monde a vu les données publiées de façon hebdomadaire par Santé publique France. Nous pouvons dire, au vu de l’ampleur qu’elle a eue en mars et en avril, que l’épidémie est contrôlée, ce qui ne veut pas dire que le virus a disparu et qu’il n’y a plus de malades. Le virus est toujours là. De nombreux clusters sont dépistés et diagnostiqués presque tous les jours en France – ce qui signifie aussi que les outils de dépistage sont effectifs. Le fait que l’on puisse dépister les personnes malades, surtout les personnes asymptomatiques qui ont été à leur contact, et les isoler, permet de contenir la diffusion de l’épidémie.

Qu’en est-il du futur ? Vous savez comme moi que les connaissances sur le coronavirus – Severe Acute Respiratory Syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) – se sont accumulées depuis cinq mois. C’est une période extrêmement courte pour savoir exactement comment ce virus se comportera dans les mois à venir.

Le SARS-CoV-2 fait partie d’une famille de plusieurs coronavirus. Nous en connaissions quatre qui étaient des virus banals provoquant des rhumes – virus saisonniers mais circulant entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. Il en existait un cinquième, le SARS‑CoV, qui a disparu après une épidémie survenue en 2002-2003 qui a fait 700 à 800 morts. Un sixième, le Middle East Respiratory Syndrome-related coronavirus (MERS-CoV) touche le Moyen-Orient et évolue par épidémies sporadiques. Or chacun de ces virus connaît une évolution différente. Il est donc très difficile dans l’état actuel des connaissances de savoir si ce virus est saisonnier, s’il disparaîtra, ou s’il risque de se produire une deuxième vague, une troisième, une quatrième, etc. J’espère que d’ici là nous aurons trouvé des thérapeutiques et surtout des traitements préventifs, comme les vaccins.

De nombreux paramètres sont à prendre en compte pour évaluer la possibilité d’une deuxième vague, en particulier l’immunité de la population – immunité acquise au contact du virus tel qu’il existe actuellement, ou immunité croisée conférée par l’exposition aux autres coronavirus, ceux responsables des rhumes. De nombreuses données montrent en effet qu’une immunité croisée pourrait exister. Il y aurait peut-être aussi un impact de la température et de l’humidité, mais probablement dans une proportion assez faible.

En tout état de cause, si nous devions avoir une deuxième vague, je pense qu’avec les outils mis en place – dépistage, isolement des personnes contacts – elle ne devrait pas connaître l’ampleur de la première.

En ce qui concerne les essais sur la chloroquine, je tiens à dire devant vous que je ne me suis pas opposée à quelque scientifique que ce soit – je pense que mes paroles ont été assez claires, et je me suis exprimée à plusieurs reprises à ce sujet dans les médias –, ni à une molécule. J’ai simplement essayé d’apporter un regard critique, qui fait partie de toute démarche scientifique, sur la façon dont une étude observationnelle ou un essai interventionnel pouvaient être menés. Il est très important, quand on porte une conclusion susceptible d’avoir un impact majeur en matière de santé publique, d’avoir des données solides. Avec de nombreux confrères, à partir du mois de mars, nous avons émis des remarques sur la façon dont les essais prônant l’utilisation massive de la chloroquine avaient été menés.

Des données in vitro montrent que l’hydroxychloroquine est efficace contre un très grand nombre de virus. Cela a été montré pour la dengue, le chikungunya, le SARS‑CoV, mais également le SARS-CoV-2. Ces données sont solides. Personne n’a remis en question l’efficacité de l’hydroxychloroquine sur le SARS-CoV-2 comme sur beaucoup d’autres virus.

Il était très important au moment où l’épidémie a émergé, en février-mars, de voir quels médicaments pouvaient être utilisés pour traiter le SARS-CoV-2, étant donné que l’on ne pouvait que repositionner des molécules existantes, la recherche n’ayant pas eu le temps de développer des molécules spécifiques au SARS-CoV-2. Parmi toutes ces molécules à l’essai figurait l’hydroxychloroquine. Le problème est qu’après les essais menés par les personnes qui ont prôné très rapidement l’utilisation de l’hydroxychloroquine – essais conduits avec un très petit effectif, méthodologiquement contestables – il y a eu un espoir prématuré. De nombreuses personnes ont cru que le remède miracle était là.

Pour remettre en perspective ce qu’il s’est passé en mars, une première étude de vingt patients suivie d’une deuxième étude de quatre-vingt-sept patients ont été publiées. Leurs résultats ont donc été mis à la disposition du public et nous pouvons en discuter. Puis une étude portant sur 3 700 patients dépistés et 1 000 patients rapportés a été conduite, mais n’a pas fait l’objet d’une publication. Nous n’avons pas pu savoir qui étaient ces 1 000 patients, comment le traitement leur avait été donné, et s’ils étaient arrivés à l’issue de celui-ci.

Dès que les deux premiers essais ont été publiés, le débat public a été capté par un discours médiatique qui a empêché que toute discussion scientifique soit menée à son terme. Beaucoup d’éléments ayant circulé à ce sujet sur les réseaux sociaux, je me permets de rapporter les propos tenus par Alain Fischer, professeur au Collège de France, dans sa leçon de clôture concernant l’immunologie du SARS-CoV-2. Alain Fischer a rappelé à cette occasion ce qu’était la démarche scientifique : nous avons une hypothèse, nous menons une expérience puis nous soumettons cette expérience à la validation critique. Or, alors qu’il aurait fallu un débat scientifique pour que nous discutions ensemble des limites méthodologiques des démarches engagées et pour que nous construisions ensemble les essais susceptibles de répondre à la question posée, ce débat a été clos. À partir de ce jour-là, nous n’avons plus jamais pu débattre sereinement. La science a été extrêmement malmenée dans ce contexte.

Nous pouvons revenir sur les chiffres. L’Île-de-France s’est vu reprocher – et nous avons été, nous médecins, très sensibles à ces critiques – une mortalité très élevée, alors qu’elle aurait beaucoup plus faible dans d’autres régions où l’hydroxychloroquine avait pu être utilisée à plus large échelle. C’est évidemment faux. Par exemple, certaines régions de France qui ne l’ont pas utilisée n’ont recensé aucun décès.

De plus, une grande confusion s’est opérée entre les notions de létalité et de mortalité. La létalité désigne le nombre de morts parmi les personnes malades, quand la mortalité renvoie au nombre de morts en population générale. À Crépy-en-Valois, la prévalence, c’est-à-dire le nombre de cas positifs au SARS-CoV-2, a été évaluée par sérologie dans la population qui a été en contact avec ce professeur décédé – l’un des premiers cas à avoir alerté l’opinion publique. Ces données solides et méthodologiquement bien construites montrent que le taux d’attaque, c’est-à-dire le nombre de personnes ayant contracté le SARS-CoV-2 était de 25 %, ce qui n’est pas négligeable, mais que la létalité comme la mortalité étaient de 0 %. Dans une population naïve de virus et de traitement, la mortalité et la létalité sont extrêmement faibles. Ce sont les données qui ont été retrouvées en population générale dans les régions où l’on a été tenté de prescrire davantage d’hydroxychloroquine.

La question de l’efficacité de l’hydroxychloroquine chez les personnes présentant des symptômes nécessitant une hospitalisation est close. Plusieurs essais thérapeutiques notamment l’essai Recovery en Angleterre, et l’essai Discovery – essai fille du grand essai Solidarity de l’OMS, qui inclut un grand nombre de patients – ont montré que, par comparaison avec un groupe de patients recevant une prise en charge standard, il n’existait pas d’efficacité démontrée de l’hydroxychloroquine – de même qu’il n’existe aucune efficacité démontrée de n’importe quel autre traitement.

Malheureusement, nous n’avons pas encore de traitement ayant fait ses preuves chez les patients montrant des signes de gravité, c’est-à-dire nécessitant une hospitalisation.

L’autre question intéressante était de savoir si l’hydroxychloroquine pouvait être un traitement prophylactique, c’est-à-dire un traitement préventif de l’infection par le SARS‑CoV‑2. Une grande étude menée aux États-Unis et publiée il y a une dizaine de jours souligne l’absence d’effet prophylactique de l’hydroxychloroquine chez les personnes exposées au SARS-CoV-2.

Tout le monde – et moi la première, en tant que soignante et cheffe de service, qui a travaillé avec ses équipes dans un hôpital submergé de patients atteints du covid-19 – aurait aimé avoir une molécule qui marche, qui soigne et guérisse les patients. Ce n’est pas le cas. J’espère que, dans les semaines à venir, à l’aune des résultats de nouveaux essais thérapeutiques, certaines molécules repositionnées pourront fonctionner. Toutefois, je fais surtout le pari de molécules à venir, dirigées contre le SARS-CoV-2 et qui interféreront pleinement avec le cycle de réplication virale. Il pourra s’agir de plasma, d’immunoglobulines spécifiques du virus, voire anticorps monoclonaux spécifiques du virus, qui émergeront dans les mois à venir – je l’espère, avant une éventuelle deuxième vague.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je voudrais revenir sur le sentiment qu’ont pu ressentir nos concitoyens devant ces conflits d’experts – dont vous avez été l’un des acteurs médiatiques – ayant opposé des médecins, des chercheurs, et qui ont tourné quelquefois à une forme de confusion. Ces conflits ont donné le sentiment qu’alors que nous étions confrontés à une crise d’une ampleur terrifiante et qu’une inquiétude majeure courait dans la population, certains étaient mobilisés par une sorte de querelle.

Au-delà de ce sentiment regrettable, un problème s’est posé peut-être également du fait de la multiplicité des études cliniques qui ont été menées, en France et à l’étranger, sur l’hydroxychloroquine comme sur d’autres traitements. Certains de vos confrères ont mentionné une « épidémie de recherche » devant nos collègues sénateurs. Dominique Costagliola a ainsi regretté la multiplication d’essais, parfois concurrents, sans coordination. Je sais qu’aucune autorisation d’une instance reconnue n’est requise pour ce type d’essai. Est-il nécessaire selon vous de les réguler ou de les normaliser ?

Le débat sur la chloroquine a été vif dans notre pays, mais il s’agit également d’une problématique internationale. Comment est-elle traitée ailleurs ? On nous a dit que ce traitement était diffusé sur la moitié de la planète et utilisé sur une population de 4,5 milliards de personnes. Cela relativise peut-être un peu le débat français.

Mme Karine Lacombe. Une inflation d’essais thérapeutiques s’est effectivement produite en France. En Angleterre, il n’existe qu’un seul grand essai thérapeutique : Solidarity. Cet essai comporte cinq bras de traitement, dont l’hydroxychloroquine, qui a été arrêtée, et inclut 11 000 patients. Il permettra de répondre notamment à la question de l’efficacité du traitement lopinavir-ritonavir, et a déjà répondu à celle de l’efficacité de la dexaméthasone – corticoïde efficace face à des signes importants de covid-19, en particulier pulmonaires. Il teste également d’autres médicaments, dont le plasma. Or, mes collègues anglais m’ont dit qu’on leur avait interdit de conduire d’autres essais thérapeutiques. Ce grand essai a permis de mettre tous les chercheurs en ordre de bataille, dans une seule direction, et de tester cinq hypothèses, ce qui est un grand avantage.

Le système anglais est très différent du nôtre. Ainsi, un médecin ne peut pas prescrire les médicaments qu’il veut. À titre d’exemple, un médecin qui se trouve face à un patient infecté par le VIH ne peut pas lui prescrire le traitement qu’il pense être le plus adapté à son cas, mais doit suivre obligatoirement les recommandations nationales. Or celles-ci ne sont pas toujours fondées uniquement sur le bien du patient mais aussi sur des questions de coût, ce qui peut parfois obérer le meilleur soin que l’on pourrait apporter au patient. A contrario, en France nous sommes relativement libres de nos prescriptions dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Si l’on sort de l’AMM, il faut le justifier. Cependant, il est rare que des actions soient entreprises contre des médecins ayant prescrit des médicaments hors AMM.

Le principe de la recherche est le même. Le chercheur est libre de mener l’essai thérapeutique qu’il souhaite à partir du moment où il a des arguments scientifiquement valides qui lui permettent d’obtenir le budget nécessaire pour mener son projet à bien.

Dans une crise telle que celle que nous avons connue, une articulation centrale précoce de la recherche clinique et du choix des traitements, et l’imposition sur l’ensemble du territoire d’un essai thérapeutique global auraient peut-être permis de répondre plus rapidement aux questions que l’on se posait.

Le temps de la recherche n’est pas le temps médiatique. Quand le temps médiatique prend le pas sur le temps de la recherche, une certaine confusion peut effectivement se produire.

Vous avez dit que j’avais été un « acteur médiatique ». Je peux dire également que j’ai été une victime médiatique. À la suite de mes prises de position sur les méthodes, j’ai été menacée de mort et j’ai porté plainte. Avoir à subir des feux médiatiques de ce type est extrêmement dommageable pour la science.

J’en viens à la question de l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans d’autres pays. Il est important de comprendre qu’un médicament est donné pour traiter une pathologie. Or donner l’hydroxychloroquine pour traiter le paludisme peut ne pas avoir les mêmes conséquences et ne pas provoquer les mêmes effets secondaires que le fait de la donner pour traiter le covid-19. Le covid-19 est une maladie virale mais aussi inflammatoire, qui attaque en particulier les vaisseaux. De nombreux patients ont développé des myocardites ou des péricardites, c’est-à-dire une inflammation des vaisseaux du cœur. Nous avons également été alertés de la survenue de maladies inflammatoires cardiaques chez les adolescents. Les vaisseaux sont donc malmenés par le virus. Dans ces conditions, administrer un médicament sans effet secondaire majeur mais dont le principal effet secondaire est cardiologique, sachant que cet effet se potentialise avec la physiopathologie du virus – la façon dont il peut attaquer les vaisseaux –, peut risquer d’augmenter les effets secondaires. C’est pour cela que nous menons des essais thérapeutiques normés sur le plan éthique : pour pouvoir observer les effets secondaires et agir rapidement.

Des alertes de pharmacovigilance ont été émises en mars en Aquitaine et en région PACA, lorsque nous avons vu augmenter de façon considérable l’utilisation de l’hydroxychloroquine. De plus, dans la plupart des pays où des essais thérapeutiques ont été menés avec l’hydroxychloroquine – États-Unis, Angleterre, Norvège, Brésil –, l’utilisation de celle-ci a été interrompue. Le corpus de connaissances accumulées ne joue pas en faveur de l’hydroxychloroquine entendue comme molécule innovante pour traiter le SARS-CoV-2. En tant que clinicienne, j’en suis la première contrite.

M. Jean-Pierre Door. Les essais cliniques en France doivent être déclarés et régulés. Sommes-nous en dehors de ce système ? Les expériences dont vous parlez concernant certains produits non déclarés posent problème.

Vous avez fait volte-face à un moment concernant l’utilisation des masques. Vous acceptez désormais que l’on s’en serve comme mesure barrière. Je voudrais connaître les raisons de ce revirement, sachant qu’il s’agit d’une protection indispensable pour soi comme pour les autres.

Le 24 juin a été mentionné un conflit d’intérêts avec une grande entreprise américaine, Gilead – qui avait d’ailleurs proposé un traitement contre l’hépatite C. Qu’en pensez-vous ? Un communiqué de scientifiques et de chercheurs est paru ensuite pour contester cela.

Que pensez-vous du traitement par la dexaméthasone ? Que pensez-vous du vaccin ? L’entreprise Moderna a annoncé que son vaccin pourrait peut-être être prêt pour la fin de l’année. Cela peut-il être vrai ou s’agit-il d’un effet d’annonce dont il faudrait se méfier ?

Mme Karine Lacombe. Depuis le procès de Nuremberg de 1945, tous les essais thérapeutiques nécessitent des déclarations préalables. Ces déclarations ne sont pas faites par rapport au traitement lui-même, mais par rapport à la personne qui se prête à la recherche clinique, en particulier pour sauvegarder son droit et son intégrité physique.

Quand on évalue un nouveau médicament ou un médicament employé dans une autre indication que celle pour laquelle il a été mis sur le marché, un encadrement éthique est indispensable. Tous les essais thérapeutiques que nous menons, que je mène, ont suivi la procédure éthique habituelle. Lorsqu’un essai porte sur un nouveau médicament, implique la personne humaine et est prospectif – c’est-à-dire qu’il ne concerne pas des données déjà recueillies, mais des données collectées au fur et à mesure de l’essai –, il doit être déclaré au Comité de protection des personnes (CPP). Ce dernier est indépendant des instituts. Les essais lui sont attribués aléatoirement, par tirage au sort. Ce système garantit une certaine individualité par rapport au promoteur – responsable moral de l’essai –, à l’investigateur – constructeur de l’essai – et au financeur.

Je suppose que votre question fait allusion à des points éthiques soulevés par rapport aux essais menés sur la chloroquine. Il est vrai que nous nous sommes beaucoup posé la question de la démarche éthique et notamment du respect du droit des personnes dans les essais mentionnés plus haut – incluant respectivement 20 et 87 patients. Si un contrôle éthique devait être mené, il reviendrait aux instances de régulation, notamment à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de le faire. Je ne me prononcerai donc pas sur le fait que ces essais ont été autorisés par les autorités éthiques compétentes. Si une interrogation persiste – nous, scientifiques, avons soulevé ce problème en mars – il revient aux autorités compétentes comme l’ANSM de s’intéresser à la façon dont les essais ont été menés, et de voir notamment si le droit des personnes a bien été préservé.

Quand vous parlez de ma volte-face concernant les masques, je pense que vous faites allusion à l’une de mes interventions médiatiques. Je ne sais pas si vous l’avez entendue en intégralité. Elle a été reprise, tronquée, sur les réseaux sociaux. Lorsque j’ai parlé des masques, nous étions dans une période où l’accès aux masques était très contraint. Grâce à la façon dont le peu de masques disponibles a été géré, nous n’avons pas eu de pénurie à l’hôpital. En revanche, une pénurie de masques s’est produite dans les établissements médicosociaux, chez les médecins généralistes, les médecins libéraux et dans le grand public. Lorsque l’on m’a interrogée sur l’utilisation des masques, j’ai répondu spécifiquement à la question de savoir à qui les masques devaient revenir en priorité dans une période contrainte sur le plan du nombre de masques disponibles.

Quand on se place à distance de l’épidémie, fort de l’accumulation des connaissances obtenues, il est tentant de relire différemment la façon dont les choses se sont passées. Il faut faire attention à cela, lorsque l’on revoie les décisions prises ou les paroles prononcées à la lumière des connaissances accumulées. Par exemple, si l’on refait l’histoire des connaissances relatives à la transmission du virus, nous avons eu beaucoup de mal à savoir, de la part de nos collègues chinois, si une transmission d’homme à homme était possible. Pendant plusieurs semaines – de fin décembre à début janvier –, il a été dit que le virus se transmettait seulement d’animaux à humains. Progressivement, nous avons su comment il se transmettait entre humains. Puis s’est posée la question de savoir s’il se transmettait par l’air, comme la rougeole, avec un R0, le taux de reproduction du virus – nombre de personnes infectées par personne contaminée – très élevé, auquel cas toute la population devait avoir un masque, ou s’il se transmettait par les projections de sécrétions. Dans ce cas, les mesures barrières consistant à se laver les mains et à se tenir à distance pouvaient aider à juguler l’infection dans un milieu sans charge virale importante, par exemple hors de l’hôpital. Probablement, il y a un peu des deux. La transmission s’effectue beaucoup par gouttelettes de projection, et la transmission par l’air – par des microgouttelettes – existe également peut-être dans certains milieux très confinés et peu ventilés, circonstances dans lesquelles le port du masque est important.

Ce qui a beaucoup altéré notre discours de scientifiques, c’est la façon dont les chaines d’information en continu et les réseaux sociaux ont utilisé des portions de discours et des mini‑images pour appuyer ce qui allait dans le sens du « clic », pour les réseaux sociaux, et du nombre de vues pour les chaînes d’information.

Vous avez employé le terme de conflit d’intérêts. Le conflit d’intérêts est une notion qui existait il y a vingt à vingt-cinq ans et qui a fait énormément de mal à la science. Je suis issue d’une époque ultérieure. Les liens d’intérêts sont un dispositif qui a été voté par le législateur, et qui est régi par l’ordonnance n° 2017-47 du 19 janvier 2017 relative aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé, venue refondre la loi « anti-cadeaux ». Cette ordonnance est extrêmement importante car elle interdit aux professionnels de santé et aux étudiants de recevoir des avantages illicites de la part des industriels du secteur de la santé. Il existe trois types de dérogations : la rémunération, l’indemnisation ou le défraiement d’activités de recherche, de valorisation de la recherche, d’évaluation scientifique, de conseil ou de prestation de service dès lors que la rémunération est proportionnée au service rendu ; les avantages perçus pour les étudiants en médecine ; et l’hospitalité offerte aux médecins dans des manifestations à caractère exclusivement professionnel et scientifique. C’est ce que l’on appelle des liens d’intérêts. Vous les connaissez d’ailleurs, puisque le législateur a fait en sorte que tout soit transparent. Tout se trouve dans la base de données publique Transparence-Santé que tout le monde connaît pour être allé la consulter.

Ces liens sont régis de façon très stricte par les professionnels de santé, les industriels, le Conseil national de l’Ordre des médecins et les employés des professionnels de santé.

Pour ma part, professeur des universités je suis payée par le ministère de l’enseignement supérieur et je reçois des émoluments de l’hôpital. Je ne suis donc pas salariée de la fonction publique hospitalière. Il existe deux types de prestations dans la base de transparence : les prestations d’expert – certains ont confondu board et conseil d’administration, alors que ces deux notions ne désignent pas la même chose dans le monde de la médecine, contrairement à ce qui se produit dans le monde de la finance – et les conférences. Lorsqu’un industriel me demande une prestation, je peux donc être interrogée en tant qu’experte ou conduite à faire de l’enseignement à l’occasion d’une conférence – généralement retransmise, libre de droits. Dans le cadre de ces deux activités, nous avons des frais. Tout professionnel – quelqu’un qui travaille dans la banque, par exemple, ou qui fait des missions de consulting –, à partir du moment où il est mandaté par la personne qui le paie pour faire une mission, voit son repas pris en charge, ainsi qu’éventuellement son transport et son hôtel. Il s’agit d’avantages en nature octroyés dans le cadre d’une mission.

Je reviens à la façon dont ces liens d’intérêts sont encadrés par la loi. Quand un professionnel de l’industrie me propose une prestation d’experte ou de conférencière, nous rédigeons un contrat, envoyé à mon employeur qui est l’université. Je demande ensuite un cumul d’activités, qui est accordé ou non par cette dernière. Cette décision dépend de la rémunération associée à la prestation. Il s’agit d’un montant brut horaire fixe, et non libre. L’université s’assure que la prestation correspond bien à tant d’heures de travail. Puis elle donne, ou non, l’autorisation de cumul qui est validée par l’hôpital. La convention assortie des autorisations de ces deux institutions est ensuite envoyée en dernier ressort au Conseil de l’Ordre, dont l’avis est consultatif, qui valide ou non le tout. Le législateur a fait en sorte que toutes ces données se retrouvent ensuite dans une base de transparence. Le lien d’intérêts est très encadré en France.

Pourquoi est-il important pour un scientifique d’avoir des liens d’intérêts – et non des conflits ? La différence est importante, et je pense qu’il n’y a plus de conflits d’intérêts dans les domaines d’expertise dans lesquels je travaille. Il est important d’avoir des liens d’intérêts car il existe des molécules innovantes développées par des start-ups qui n’ont pas les moyens de poursuivre leur développement. Ainsi, pour développer un médicament innovant contre l’hépatite C, des milliards et des milliards de dollars ont été nécessaires. Cela a été une véritable révolution, car ce médicament a permis de guérir des patients qui souffraient d’infections chroniques avec une comorbidité élevée. Une start-up n’avait pas les financements pour faire ce développement. Souvent, ces molécules sont donc rachetées par des industriels. Collaborer avec eux nous permet d’avoir accès à ces traitements innovants pour nos patients avant que le médicament soit mis sur le marché. Ainsi, nous avons pu avoir accès à de nombreux médicament innovants qui ont permis de guérir l’hépatite C.

L’essai Solidarity a montré que les corticoïdes s’étaient révélés plus efficaces qu’une prise en charge standard et diminuaient d’un tiers la mortalité chez les personnes les plus malades et d’un cinquième chez les patients moins touchés. C’est un bon médicament. Ce médicament est d’ailleurs tellement bon que nous l’avons utilisé en France, dans les hôpitaux – notamment celui où je travaille – chez les malades gravement symptomatiques du covid‑19. Ce traitement était déjà utilisé dans les infections virales à forte expression inflammatoire. Nous avons donc utilisé les corticoïdes, qui ont, je pense, sauvé des malades. L’essai Solidarity l’a montré de façon non attaquable sur le plan scientifique.

Concernant le vaccin, je pense qu’il y a eu effectivement beaucoup d’effets d’annonce, probablement pour augmenter les levées de fonds. Pour développer une molécule innovante en un temps record, il faut avoir beaucoup d’argent. Un producteur de vaccins qui ne ferait pas d’effets d’annonce recevrait probablement moins de fonds que ce dont il a besoin pour poursuivre son développement.

M. Boris Vallaud. La nuance entre conflit d’intérêts et lien d’intérêts n’a pas été vraiment faite dans ce qui nous a été dit le 24 juin. Quelle appréciation portez-vous sur la compétence et l’indépendance dans la crise du conseil scientifique et de ses membres, de la Haute autorité de santé (HAS) et de l’ANSM ?

Avoir un lien d’intérêts prédispose-t-il à avoir des préférences pour tel ou tel traitement développé par l’industrie avec laquelle ce lien existe ?

Comment vont vos collaboratrices et vos collaborateurs ? Quel a été leur quotidien ? Ont-ils été exposés ? De quoi avez-vous manqué ? Est-ce l’hôpital ou sont-ce les soignants qui ont tenu ?

M. Philippe Vigier. De façon transpartisane, nous pensons tous ici qu’un travail formidable a été mené pour accueillir les patients. Nous ne remettons pas cela en doute.

Cependant, mettez-vous dans la peau de quelqu’un qui est frappé du covid-19. On lui dit tous les jours que le professeur Raoult a trouvé la potion magique. Il entend d’autres scientifiques, comme vous, dire que cela n’est pas efficace et que c’est dangereux. Puis on lui dit qu’il ne faut pas porter de masque, et le lendemain qu’il faut en porter, que les tests sont prêts, alors qu’ils ne le sont pas – et qu’ils sont utilisés pourtant en Corée du Sud et dans d’autres pays asiatiques. Il faut comprendre qu’un vertige s’installe. Nous devons faire en sorte qu’il ne s’installe plus, dans le temps. Avez-vous le sentiment que nous serons mieux préparés en cas de survenue d’une nouvelle pandémie, après ce désordre organisationnel ? Nous avons pu mesurer ce désordre au fil des auditions des personnalités qui se sont succédé devant nous – et qui ont tenu d’ailleurs des propos assez différents – et en voyant également les difficultés de Santé publique France pour nous répondre.

La France est un grand pays doté de chercheurs formidables, qui ont réussi à mettre au point le test en une semaine. Le 17 janvier, il était prêt ! Comment se fait-il que nous soyons incapables depuis lors de tester les clusters de façon systématique ?

Vous avez été sévère avec le professeur Raoult lors d’une conférence de presse organisée par le Premier ministre. Où en est l’essai Discovery ? Comment se fait-il que nous n’ayons pas encore eu les résultats d’un tel test mené à une échelle internationale et qu’ils n’aient pas été expliqués sur toutes les chaînes de télévision ?

Où en êtes-vous sur le plasma ? Ce sont « de vieilles recettes », mais des recettes intelligentes. C’est ainsi que nous avons traité en effet les premières maladies infectieuses. Nous parlons de médicaments innovants mais nous revenons en réalité aux démarches ancestrales !

Concernant le vaccin, quatre scientifiques de haut niveau ont tenu des déclarations contraires. Certains ont dit que le vaccin serait prêt dans quatre mois, d’autres dans huit mois, d’autres dans un an. Le professeur Delfraissy, assis à votre place, a dit qu’il ne pouvait être prêt avant un an. Si le vaccin arrive, encouragerez-vous les Français à se faire vacciner systématiquement ?

M. Julien Borowczyk. Madame Lacombe, je voudrais d’abord vous remercier. Nous avons découvert dans la crise un visage féminin qui apportait de la pédagogie et qui fondait son discours sur l’evidence-based medicine que l’on apprend à la faculté de médecine. Il est important de se replacer dans ce contexte. Le nombre de personnes prenant tel traitement dans le monde ne doit pas influer sur nos recommandations. Je ne pense pas non plus que les réseaux sociaux doivent influer sur nos prescriptions médicales.

Je vous remercie aussi car vous avez mis en avant la sécurité de prescription. L’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine posait des problèmes de QT long, donc des risques de problèmes cardiaques surajoutés. C’est une question de rapport bénéfices/risques. Il était important que l’on s’appuie sur des études scientifiques. Les réponses de l’étude Discovery ont d’ailleurs été publiées il y a 48 heures et ont abouti à l’arrêt du traitement par hydroxychloroquine faute de preuve de son efficacité.

Pour en revenir aux liens d’intérêts et aux conflits d’intérêts, je crois qu’une certaine humilité est de mise. Vous en faites preuve en tant que médecin, il faut que nous fassions de même en tant qu’élus. Nous sommes, nous aussi, confrontés à des lobbies et il est important que nous soyons capables de faire la part des choses.

Vous avez été questionnée sur le conseil scientifique. Je ne crois pas avoir entendu beaucoup parler d’études sur le remdesivir – en tout cas beaucoup moins que sur l’hydroxychloroquine. Quel est votre avis sur ce point ?

Vous disiez qu’il s’agissait d’un virus inconnu doté d’une physiopathologie sans exemple, et avez souligné dans un article que nous avions reçu peu d’informations, voire des informations erronées, de la part de la Chine et que nous avions mis en place tout ce que nous pouvions à partir du moment où nous avons eu une vision claire et objective de ce qu’il se passait en Italie. Pourriez-vous nous expliquer le déroulement de ces événements ?

Mme Karine Lacombe. Je reprends tout d’abord la question concernant les liens et conflits d’intérêts du conseil scientifique, de la HAS et de l’ANSM. Je suis quelqu’un de profondément humain. Nous avons été confrontés à une crise sanitaire majeure. Nous avons vu des personnes arriver à l’hôpital sur leurs deux jambes sans oxygène, avoir de l’oxygène à 4 litres à midi, être intubées et ventilées le soir, et pour certaines décéder le lendemain. Je crois que cela nous a appris beaucoup d’humilité.

Je ne peux pas croire que, dans une situation sanitaire aussi exceptionnelle, il y ait eu de la part du conseil scientifique, de la HAS, ou de l’ANSM, une volonté de ralentir l’arrivée sur le marché de certains médicaments – repositionnés ou innovants – simplement au motif qu’un laboratoire, aussi puissant soit-il, le souhaitait. Il faut faire attention d’ailleurs à l’image que nous pouvons en avoir, les géants aux pieds d’argile existent. Je n’ai aucune preuve de ce que j’avance, ni de l’absence de conflits d’intérêts, de financements occultes, etc. C’est mon cœur qui parle. Je me prononce en tant que médecin qui a été en contact avec certains membres du conseil scientifique comme avec la HAS et l’ANSM – comme tout médecin doté de responsabilités en matière de recherche. Je n’ai jamais eu le sentiment qu’un médicament était plus favorisé qu’un autre. Au contraire, on nous a poussé à monter les essais nécessaires pour montrer l’efficacité de certains médicaments par rapport à la prise en charge standard. Il y avait d’ailleurs un bras hydroxychloroquine dans l’essai Discovery, comme il y avait un bras remdesivir, un bras lopinavir, etc.

Je vous remercie de m’avoir interrogée sur mon équipe. J’ai passé deux heures à faire un retour d’expérience le 24 juin avec mon équipe de Saint-Antoine, d’une centaine de personnes. Les retours d’expérience sont extrêmement importants. En effet, nous avons le sentiment qu’une fois la crise traversée nous reprenons nos activités normales. Or, lorsque l’on discute de ce que nous avons vécu, nous constatons que certaines failles se sont rouvertes à l’occasion de la crise et que d’autres sont apparues. Beaucoup de choses n’ont pas été assimilées – beaucoup d’angoisse, et de peur. Certains soignants, médecins ou personnel non médical, ont été infectés, et ont vécu de l’intérieur cette peur de mourir qu’ils voyaient chez les patients dont nous nous sommes occupés.

Les retours d’expérience montrent que les équipes hospitalières ont globalement eu le sentiment d’avoir fait du mieux qu’elles pouvaient. Toutes ont également le sentiment d’avoir été reconnues dans cette tâche et dans cet investissement, par les citoyens comme par vous. Tous, vous avez fait passer un message de bienveillance et de soutien aux soignants. J’espère qu’à l’occasion du Ségur de la santé nous pourrons avoir une loi reconnaissant le besoin de valorisation de la médecine en France, notamment de la médecine hospitalière.

C’est un vertige de se retrouver devant un virus inconnu. Nous-mêmes, les soignants, nous sommes comme n’importe quel citoyen de ce point de vue. Tout citoyen, quel qu’il soit et quelle que soit sa profession, est touché dans son intérieur par cette maladie inconnue.

Nous avions tous envie d’avoir un médicament rapidement disponible et à l’efficacité démontrée. Cependant, affirmer et répéter sur les réseaux sociaux que tel médicament – celui‑ci et pas un autre – fonctionne, et qu’il faut le prendre fait émerger un sentiment d’espoir. Or quand un espoir est douché, cela remet les choses à leur juste valeur. Cela se produit maintenant. Des personnes qui n’étaient peut-être pas très malades sont décédées d’avoir pris de la chloroquine. Il y en a !

Le rôle d’un médecin est de « primum non nocere ». Avant tout, il ne doit pas faire de tort. Donner un médicament efficace implique toujours de faire la balance entre les bénéfices et les risques. Nos collègues de Marseille avaient les moyens de conduire un essai plus massif, puisqu’ils ont dépisté 3 500 patients. Dans cette configuration, il aurait été possible de mener un essai permettant d’évaluer l’efficacité de l’hydroxychloroquine par rapport à la prise en charge standard. Or cela n’a pas été fait. Pourquoi ? Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. S’il devait y avoir une commission indépendante sur la façon dont les essais ont été menés, je pense que cette question devrait être posée.

Il a été dit que nous étions dans l’incapacité de bien tester les clusters. Je me permets de vous contredire. C’était le cas en février et en mars, lorsque nous n’avions pas de tests. Les tests de Polymerase Chain Reaction (PCR) sont désormais largement disponibles. Nous pouvons diagnostiquer le covid-19 chez une personne présentant des symptômes évoquant cette maladie. Il existe une nuance entre le diagnostic et le dépistage. Le diagnostic porte sur les personnes malades. Le but de tester les clusters est de dépister alentour les personnes asymptomatiques et de les isoler. Cette stratégie de diagnostic, dépistage et isolement des clusters doit être menée à grande échelle. J’espère que les structures mises en place avec les caisses d’assurance maladie – le dispositif Covisan, à Paris, par exemple, comme les systèmes analogues en régions – permettront d’y parvenir. Les chiffres de Santé publique France semblent le démontrer.

Il a été dit que j’avais été sévère avec le professeur Raoult lors de la conférence de presse du Premier ministre, et que j’avais parlé de l’essai Discovery. Je pense avoir été confondue avec ma collègue de Lyon Florence Ader. J’ai moi-même participé à la première conférence de presse, le 28 mars. On m’a appelée la veille pour me demander si j’acceptais d’y parler de virologie, d’épidémiologie et d’histoire naturelle – c’est-à-dire des manifestations cliniques du virus. Je n’avais eu aucun contact avec le ministère de la santé ou la présidence dans les jours précédents – en dehors d’un court appel d’Olivier Véran qui a appelé de nombreux médecins pour savoir comment cela se passait dans les hôpitaux.

Le professeur Ader a participé pour sa part à la deuxième conférence de presse, qui a eu lieu quelques semaines plus tard. Elle est l’investigatrice principale de l’essai Discovery. C’est elle qui a mentionné cet essai. Sans vouloir me prononcer à sa place, il ne me semble pas qu’elle ait attaqué le professeur Raoult.

Le plasma est une thérapeutique éprouvée utilisée dans de nombreuses maladies infectieuses, avec plus ou moins de succès. Par exemple, le plasma de patients convalescents d’Ebola n’a pas fonctionné. Un essai thérapeutique concernant le plasma de convalescents du SARS-CoV-2 a été lancé en France car des cohortes de patients ont été traités de cette façon en Chine, apparemment avec succès. Nous avons donc monté un essai thérapeutique multicentrique déclaré en CPP, incluant neuf centres. L’essai étant encore en cours, je ne peux vous en donner les résultats. Nous allons ouvrir un centre à Mayotte, et aussi un centre en Guyane où l’épidémie fait rage et n’atteindra probablement pas son pic avant la fin du mois de juillet. Il est donc indispensable d’apporter une solution thérapeutique à nos collègues de Guyane.

Grâce aux données relatives à la tolérance du plasma, l’ANSM a édité un protocole d’utilisation thérapeutique. Nous pouvons donc utiliser le plasma dans des conditions discutées entre professionnels dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire. Nous l’utilisons actuellement sur des patients immunodéprimés – qui n’ont pas de défenses immunitaires et ne peuvent donc pas avoir d’anticorps anti-SARS-CoV-2 – et qui présentent des symptômes chroniques récidivants. Nous avons chez ces patients des résultats plutôt positifs. Je peux vous en parler, car il ne s’agit pas d’un essai thérapeutique mais d’une utilisation du plasma encadrée par l’AMM.

J’aimerais que le vaccin soit prêt en septembre. Si l’on envisage que le covid-19 revienne à l’automne mélangé à tous les autres virus – rhinovirus, métapneumovirus, virus respiratoire syncytial, grippe, etc. – il sera difficile de faire la part des choses. Le test sera donc très important.

Nous savons qu’il existe malheureusement en France une hésitation vaccinale majeure. Au tout début de mes interventions télévisées, j’ai été en contact avec le public. Une auditrice m’a dit qu’elle avait très peur du virus et me demandait si elle pouvait prendre un traitement. Je lui ai demandé si elle était vaccinée contre la grippe. Elle m’a répondu par la négative et n’a pas compris pourquoi je lui posais cette question. Or la grippe fait mourir des milliers de personnes chaque année, et pourtant les gens ne se vaccinent pas contre elle. J’espère que l’alerte majeure du covid-19 constituera un argument en faveur de la vaccination si un vaccin est disponible un jour, et que la majorité de la population française se vaccinera contre le covid-19. Il me semble plus raisonnable sur ce point d’envisager une disponibilité du vaccin d’ici un an plutôt que dans trois mois.

Le remdesivir fait partie de l’essai Discovery. Un essai international est également mené comparant son utilisation à une prise en charge standard, la France étant l’un des pays incluant des patients. Pour l’instant, nous avons peu de données concernant l’efficacité de ce médicament sur la morbi-mortalité. Je peux le dire, car les données sont publiées. Le laboratoire a montré en revanche que l’on constatait un raccourcissement de la durée d’hospitalisation. Cependant, en tant que clinicienne, garder le patient à l’hôpital cinq jours de plus ne me gêne pas, s’il guérit. Je ne suis pas un financier. La question de la durée d’hospitalisation relève plutôt des finances publiques. Ce qui m’importe, c’est de savoir si la molécule a un effet sur la morbi‑mortalité. Or à ce jour les données publiées ne montrent pas d’effet du remdesivir sur la morbi‑mortalité. Nous verrons ce qu’il en sera dans le futur, à l’aune des résultats des essais en cours.

Concernant l’évolution de l’épidémie en Chine et en Italie, je peux vous apporter mon regard de soignant et d’épidémiologiste. Nous avons été beaucoup, y compris certains membres du conseil scientifique, à établir une analogie entre le SARS-CoV-2 et le SARS‑CoV. Nous avons tous eu extrêmement peur de ce dernier virus en 2002-2003. Les mesures prises en Chine à l’époque, ainsi que dans les pays touchés comme le Canada et les États-Unis, ont permis de contenir l’épidémie.

En janvier-février, nous manquions de connaissances précises sur le SARS-CoV-2. Or il est très différent du SARS‑CoV – responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) – qui ne se transmet qu’entre personnes symptomatiques. Le SARS-CoV-2 se transmet en effet par les personnes asymptomatiques, avant qu’elles ne présentent de symptômes. Il est beaucoup plus facile d’isoler des personnes symptomatiques pour éviter que le virus se propage que d’isoler des personnes asymptomatiques. Nous avons tous été piégés par cela. Nous avons vu que l’épidémie allait devenir hors de contrôle lorsque le nombre de cas a flambé en Italie. Quand j’ai ouvert le centre de dépistage à l’hôpital Saint-Antoine fin février, les premiers patients que j’ai vu arriver avec un syndrome pseudo-grippal étaient des personnes qui avaient assisté au rassemblement religieux dans le Grand Est. Je me suis dit alors qu’entre ces patients qui arrivaient et les nouvelles qui nous parvenaient d’Italie, ce virus n’était pas du tout ce que l’on pensait. Ce n’était pas du tout le SARS-CoV, et cela allait être difficile.

Un biais d’histoire s’applique. Nous relisons les mois passés à l’aune de ce que l’on sait aujourd’hui du virus. Les chaînes de décision n’étaient pas basées à l’époque sur des connaissances exactes.

Mme Martine Wonner. Vous évoquez devant nous les personnes décédées après avoir pris de l’hydroxychloroquine. Vous êtes une professionnelle de la santé, vous menez des projets de recherche. Vous savez que pour faire une étude solide de pharmacovigilance et d’imputabilité, il faut plusieurs semaines voire plusieurs mois. Dans ce délai bref, il est impossible d’imputer les décès des patients à l’hydroxychloroquine. J’aimerais avoir votre avis sur ce point.

Avez-vous utilisé l’hydroxychloroquine dans votre service, auprès de vos patients ?

Quel est le taux de mortalité dans votre service ?

Quels sont les liens d’intérêts avec le laboratoire Gilead ? La presse ce matin évoque des sommes conséquentes versées par ce laboratoire, et peut-être par d’autres. Qu’avez-vous fait de ces sommes ?

Ne pensez-vous pas que le nombre de patients arrivés à l’hôpital aurait été moins élevé si les médecins généralistes – qui sont les cliniciens en qui les patients ont confiance – avaient été sollicités dans les procédures de soins et non écartés du parcours de soins ?

M. Jean-Jacques Gaultier. La France n’a pas eu de bons résultats en matière de létalité. Avec 30 000 morts pour environ 160 000 cas, nous arrivons à un pourcentage de 18 %, soit un pourcentage beaucoup plus élevé que dans d’autres pays – Allemagne, Portugal, et même États-Unis.

Vous avez évoqué l’importance des tests et du dépistage des asymptomatiques. Cela n’a pas été fait au début de l’épidémie. Des patients asymptomatiques mais contagieux n’ont pas été testés.

Des résultats préliminaires avaient été annoncés concernant Coviplasm pour fin avril ou début mai. Qu’en est-il ?

Plusieurs éléments sèment le doute par ailleurs dans la population comme chez les médecins et les élus : le fiasco de la revue The Lancet, le fiasco de l’essai Discovery, ou encore les conflits ou liens d’intérêts avec Gilead ou AbbVie, industries pharmaceutiques en lien avec le remdesivir, le lopinavir, ou le ritonavir – tous traitements potentiels et molécules concurrentes de l’hydroxychloroquine. Vous comprendrez que ceci sème le doute. Le président du Haut Conseil de la santé publique a lui-même reconnu avoir subi des pressions et avoir signé un avis qu’il a qualifié d’absurde. Vous comprenez qu’il est difficile pour un conseil, pour un arbitre, d’être rémunéré par l’une des équipes – même si c’est à un autre moment, pour une autre prestation, et même si c’est légitime et légal.

M. David Habib. Pour répondre à Julien Borowczyk qui n’est plus présent mais a évoqué la possibilité pour chacun d’entre nous d’être soumis à des conflits d’intérêts, il existe des règles. Sanofi est né dans ma commune. J’en suis très fier. Je n’ai jamais déjeuné avec un dirigeant de Sanofi !

Vous avez dit que la science avait été malmenée en France. Qu’en est-il ailleurs ? S’agit-il d’un débat hexagonal ? Nous avions tous confiance dans le personnel médical. Or nous avons tous été, nous Français, malmenés. Nous avons vu un milieu complètement éclaté. Vous avez parlé du temps médiatique, mais le meilleur moyen d’y résister, c’est de ne pas aller sur les plateaux de télévision ! Je ne comprends pas qu’Olivier Véran n’ait pas rappelé à l’ensemble des médecins, qui sont libres mais soumis à des obligations éthiques, qu’ils étaient mieux dans leurs hôpitaux que sur les chaînes de télévision. Nous sommes tous députés de province et amis souvent avec des médecins, qui étaient confrontés à l’angoisse des gens. Or nous avons eu le sentiment qu’il existait deux types de médecins : les médecins des hôpitaux parisiens, et les autres. Je voudrais avoir votre sentiment, sachant que vous faites partie de la première catégorie.

Le professeur Raoult a dit en audition le 24 juin que les centres de recherche n’étaient plus au contact du quotidien des malades. Qu’en pensez-vous ?

Le fait qu’un médecin dise à la télévision, de façon presque définitive, que les masques ne servent à rien, puis le contraire, qu’est-ce que cela appelle comme commentaires de votre part ?

Mme Karine Lacombe. Les enquêtes de pharmacovigilance ont débuté en mars, dès le début de l’utilisation de l’hydroxychloroquine. L’imputabilité est effectivement difficile à mettre en évidence. Cependant, lorsqu’un médicament est utilisé de façon massive et que l’on voit augmenter un signal sur certains effets secondaires, en particulier cardiovasculaires, il se présente non un lien de causalité mais de temporalité. C’est pourquoi des alertes sont émises, comme elles l’ont été à cette époque.

L’essai qui a montré combien l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans le contexte du covid-19 devait être réfléchie est celui qui a été mené au Brésil, où l’hydroxychloroquine a entraîné un taux de mortalité par cause cardiaque supérieur chez les patients, par comparaison avec le groupe standard de traitement. Cet essai était cependant critiquable en ce que la posologie de l’hydroxychloroquine utilisée était élevée. Vous voyez que je n’élude aucun des problèmes que peuvent poser les études.

Mais pour que l’hydroxychloroquine soit efficace, elle ne peut être utilisée à une posologie standard faible. Nous l’avons bien vu in vitro, il faut l’administrer à une posologie assez élevée. Ainsi, dans l’essai Recovery, la posologie initiale était le double de celle des jours suivants. Une concentration de médicament importante dans le sang est nécessaire, et rapidement, pour qu’il y ait une efficacité antivirale. C’est probablement parce que l’on doit utiliser l’hydroxychloroquine à une posologie assez élevée que le risque cardiovasculaire augmente.

Nous avons utilisé l’hydroxychloroquine dans mon service au début du mois de mars, comme dans toutes les régions touchées par le SARS-CoV-2. Une enquête de densité de l’utilisation de cette molécule menée en France montre qu’elle a surtout été utilisée dans le Grand Est et en région parisienne.

Nous avons très vite arrêté d’utiliser l’hydroxychloroquine, comme nous avons arrêté d’utiliser le lopinavir-ritonavir, avant la fin du mois de mars, car ces molécules ne montraient pas d’efficacité chez les quelques centaines patients que nous avions en face de nous. Dans tous les cas, pour montrer une différence d’efficacité entre plusieurs bras de traitement, ce sont plusieurs centaines de patients qui doivent être inclus dans chaque essai. C’est pourquoi nous avons décidé de réserver l’hydroxychloroquine ou le lopinavir au seul cadre des essais thérapeutiques. »

Le taux de mortalité dans mon service était peu élevé, car j’ai un service de médecine et les patients étaient transférés en réanimation lorsqu’ils allaient mal. Ce taux ne représente donc pas le taux de mortalité hospitalière, qui avoisine les 10 %. Dans les services de réanimation, il atteint 25 %.

S’il est quasi-impossible de montrer l’efficacité de la dexaméthasone en France, c’est parce que nous n’avons jamais eu dans nos services une mortalité aussi élevée que celle du bras standard de traitement de l’essai Discovery, qui était de 40 %. Dans le bras standard de traitement nous traitions déjà nos patients avec la meilleure prise en charge disponible, dont les corticoïdes.

J’ai expliqué le principe des liens d’intérêts et montré combien il était encadré par la loi. Je n’ai pas regardé les médias ce matin. L’encadrement de mes liens d’intérêts est extrêmement strict. Il n’y a pas d’enrichissement personnel – contrairement à ce que l’on pouvait soupçonner avec les conflits d’intérêts – ni de financement occulte – la base de transparence est là pour le prouver. Tout le travail qui a fait l’objet de rémunération a été effectivement réalisé. La préparation d’une conférence d’une demi-heure demande sept heures de travail, le soir et le week-end. De même, pour participer une réunion d’experts, je dois relire des documents et y porter un regard scientifique, ce qui prend quatre à cinq heures de travail, là aussi le soir et le week-end. Il est normal qu’un travail fourni fasse l’objet d’une rémunération correspondant à sa valeur, cette rémunération étant encadrée et déclarée en toute transparence.

La question relative aux médecins généralistes au cœur du dispositif est extrêmement intéressante. S’il y a une grande leçon à tirer de cette crise, c’est que la médecine générale n’a pas été assez mise au cœur du dispositif. Une erreur, probablement liée à l’angoisse, a été commise. Nous avons dit aux personnes malades de ne pas se rendre chez leur généraliste et d’appeler le 15. Le 15 s’est retrouvé débordé.

Il ne faut pas non plus reconstruire l’histoire. Au moment où ces décisions ont été prises, nous étions dans une phase de débordement où nous ne savions pas comment le virus se transmettait. Nous nous sommes dit que, si tout le monde se précipitait chez son médecin alors qu’il n’y avait pas de masques en dehors de l’hôpital, nous risquions une transmission massive du virus.

C’est une leçon à tirer de la crise. Le généraliste doit être au cœur de la prise en charge des patients dans un phénomène épidémique, en particulier quand la grande majorité des patients ont peu de symptômes et ne doivent donc pas être hospitalisés. 85 % des personnes infectées ont peu de symptômes. Toutefois, je ne minimise pas les symptômes. Vous savez qu’il existe des covid chroniques et des syndromes post-covid. Cela ne signifie pas que les gens ne sont pas malades, mais ils n’ont pas de symptômes assez graves pour être hospitalisés.

La France n’a pas été mauvaise sur le plan de la mortalité, mais sur le plan du dépistage. Moins on dépiste, plus le taux de létalité est élevé – ce dernier correspondant au nombre de décès par rapport au nombre de dépistages réalisés. Le taux de mortalité, c’est‑à‑dire le nombre de décès par million d’habitants, n’est pas si élevé en France par rapport à d’autres pays. Par exemple, la Belgique présente un taux bien supérieur au nôtre, tout comme la Suède qui n’a pas confiné sa population. La France se trouve en la matière au huitième rang des pays européens.

L’essai plasma inclut 120 patients, 60 bénéficiant du plasma et 60 du standard de traitement. Lorsqu’il a été ouvert début avril, l’épidémie était déjà en phase de décélération. Nous avons eu très rapidement une décélération du nombre de personnes qui sont arrivées à l’hôpital – ce qui était une bonne chose pour les équipes de soins. Dans un essai thérapeutique, des critères d’inclusion sont à respecter pour faire en sorte que la population chez laquelle on teste un médicament soit la plus homogène possible et pour éviter les biais. Or de nombreux patients arrivés en avril, lors du lancement de l’essai plasma, n’avaient pas les critères d’inclusion pour en bénéficier.

Nous n’avons pas eu de résultats préliminaires comme nous l’espérions pour fin avril ou début mai. En revanche, nous mettrons le plasma à disposition de Mayotte et de la Guyane, et j’espère que nous pourrons répondre à la question de son efficacité. Aux États‑Unis, où l’épidémie fait encore rage, la tolérance au plasma a été évaluée chez plus de 20 000 patients. De nombreux patients ont bénéficié du plasma indépendamment des essais thérapeutiques, et la tolérance semblait excellence.

Le mot de « fiasco » employé pour qualifier l’essai Discovery me semble injuste. Discovery n’est pas un fiasco. Cet essai a inclus en France le nombre de patients prévu, près de 800. Dans une tribune assez remarquée publiée dans Le Monde, mon collègue le professeur Yazdan Yazdanpanah a pointé le manque de coopération européenne en matière de recherche. Il est extrêmement difficile d’avoir une coordination européenne de la recherche en Europe, et c’est peut-être l’un des enseignements de cette crise. Il faudrait une institution européenne beaucoup plus forte pour le management de la recherche. Ainsi, Discovery n’a pas inclus à ce jour 1 700 patients car les pays européens participants à l’essai ont mis beaucoup de temps à se mettre en ordre de marche. Les centres sont ouverts. Si une deuxième vague survient, Discovery sera présent. Il s’agit d’un essai fille de l’essai international Solidarity, qui inclut de très nombreux patients en Amérique du Sud. J’espère que nous aurons des résultats avant une éventuelle deuxième vague.

Concernant les doutes relatifs aux liens d’intérêts avec Gilead et AppVie, je pense avoir déjà répondu à cette question lorsque j’ai expliqué ce qu’était un lien d’intérêts et lorsque je suis revenue sur la question de l’absence d’enrichissement.

Pour avoir beaucoup discuté avec mes collègues à l’international – en Australie, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne –, j’ai pu constater que tout le monde avait été sidéré par l’intensité du débat qu’il y a eu en France sur l’hydroxychloroquine. Il est vrai néanmoins que ce débat a été porté par des personnalités extrêmement médiatiques. Vous avez pu le constater lors de vos auditions précédentes.

J’ai pris la remarque portant sur la présence des médecins dans les médias comme un reproche, mais vous me direz si ce n’est pas le cas. Je me suis personnellement exprimée dans les médias. Je ne suis pas allée chercher la parole, mais je l’ai prise quand on me l’a donnée. Au début de l’épidémie, nous entendions des propos soit très alarmants, soit très rassurants. Nous avions besoin d’une ligne médiane susceptible de faire la part des choses. J’enseigne, c’est une grande partie de mon activité. On m’a dit à plusieurs reprises que j’arrivais à faire passer de façon pédagogique des messages de vulgarisation pour le grand public, sans minimiser et sans modifier le message scientifique. Il m’a paru important, vu l’intensité de la crise, d’essayer de faire passer de bonnes informations. Si j’ai fait passer des informations erronées, je m’en excuse. Je suis bien sûr ouverte à la discussion à ce sujet, mais je ne crois pas avoir diffusé beaucoup de mensonges.

Concernant la proximité des centres de recherche du quotidien des malades, les centres hospitalo-universitaires (CHU) français ont une réelle capacité à faire travailler ensemble médecins et chercheurs, hospitaliers et universitaires. Une réforme des CHU a eu lieu récemment pour rapprocher l’université de l’hôpital. Tous les médecins comme moi qui ont une valence universitaire travaillent main dans la main avec les médecins hospitaliers, les patients et la recherche. Cette imbrication est extrêmement importante pour faire avancer la science.

S’agissant enfin de mon opinion portant sur le discours relatif aux masques, elle n’est guère différente de tout ce qui a été exprimé jusqu’à présent. Je ne suis pas en situation d’autorité sur la gestion des masques. Je ne peux donc pas m’exprimer sur ce plan. Dans mon expérience de clinicienne à l’hôpital, nous n’avons pas manqué de masques. En revanche, fin février et début mars, ils ont manqué en pharmacie quand nous avons voulu en prescrire aux patients que l’on renvoyait chez eux avec un diagnostic de SARS‑CoV‑2. Cela a été l’un des éléments les plus représentatifs du discours qui a pu décrédibiliser nos institutions à l’occasion de cette crise.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous venez de dire que la crainte avait été de voir de nombreuses personnes se rendre chez leur généraliste et contribuer de cette façon à propager l’épidémie faute de masques. Selon vous, le fait de ne pas avoir de masques a-t-il conduit à la stratégie ayant entraîné leur mise à l’écart ?

Mme Karine Lacombe. C’est une opinion personnelle. Je n’ai pas eu vent de directives allant en ce sens. Il n’a pas été dit qu’en raison de l’absence de masques, il ne fallait pas que les patients se rendent chez leur généraliste. Nous avons réfléchi en revanche entre collègues pour comprendre pourquoi il était recommandé aux gens de ne pas se rendre chez leur généraliste, mais plutôt d’appeler le 15, et en avons déduit que l’une des raisons était peut‑être d’éviter que des personnes potentiellement malades se retrouvent dans des endroits confinés et participent à la propagation de l’épidémie.

M. Bruno Studer. Dans une grande démocratie comme la France, la liberté d’expression est sacrée – la vôtre comme celle de n’importe quel citoyen. Je déplore que sous couvert du pseudo-anonymat des réseaux sociaux certains aient pu menacer votre vie ou celle de vos proches. Je vous renouvelle mon soutien. Comme de nombreux Français, j’ai pu apprécier vos prises de parole mesurées, pédagogiques, pendant cette période. Les menaces que vous avez reçues sont inacceptables.

Je suis particulièrement heureux de vous rencontrer à titre personnel, puisque je suis donneur zéro du Grand Est pour l’essai Coviplasm. Constituez-vous des stocks de plasma pour le cas où ce traitement fonctionnerait ? Quel est l’état de ces stocks ? Ces données vous sont‑elles connues ou sont-elles conservées à l’Établissement français du sang (EFS) ?

On a beaucoup parlé des écoles. Elles ont été fermées avant même le confinement, car nous pensions que les enfants étaient contaminés et contaminants. Or plusieurs études semblent montrer que les enfants, s’ils peuvent être contaminés, le sont d’abord par leur entourage proche et sont peu contaminants. Comment réagissez-vous par rapport aux décisions de fermeture d’écoles qui ont été prises là où des cas de coronavirus ont pu être détectés ? Est-ce bien utile de priver les enfants de l’école, alors même qu’ils ne sont pas vecteurs de la maladie ? Faut-il s’attendre à une mutation du virus risquant de faire des enfants des personnes plus largement contaminées et plus contaminantes ?

Mme Valérie Rabault. Le nombre, par région, de décès de patients atteints de covid‑19 survenus en réanimation par rapport au nombre total de personnes admises en réanimation est-il connu ? Le professeur Raoult a mentionné un ratio de un à trois, en Île‑de‑France.

Avez-vous connaissance de pénuries de propofol dans les hôpitaux parisiens et dans les hôpitaux en général ? Des instructions sont-elles données, en raison de ces possibles pénuries, pour ne pas reprendre toutes les interventions chirurgicales ?

Le professeur Raoult nous a indiqué que nous ne faisions pas la course en tête en matière de recherche sur les maladies infectieuses. Il a cité la Chine ainsi que d’autres laboratoires. Partagez-vous ce constat ?

S’il devait y avoir une deuxième vague l’expérience consistant à déplacer des malades de services de réanimation dans d’autres CHU vous semblerait-elle devoir être reproduite ? Qu’en avez‑vous pensé ?

Je ne partage pas le récit que vous avez fait de ce qu’il s’est passé pour l’hépatite C. Un traitement contre l’hépatite C coûte 67 000 euros – soit environ plus de 1 milliard d’euros pour les finances de la sécurité sociale. La négociation en 2016 avec les laboratoires américains ne s’est pas du tout passée comme vous l’avez décrite. Cela a été un bras de fer épouvantable, dans lequel la France s’est retrouvée seule avec l’Italie quand l’Allemagne, forte de ses excédents budgétaires, faisait son marché de son côté. Aucun des liens qui pouvaient exister n’a entraîné une baisse du prix du traitement, bien au contraire. Aucun cadeau n’a été fait à la France.

Mme Josiane Corneloup. Nous avons assisté à une mobilisation sans précédent, tant institutionnelle que professionnelle, pendant cette pandémie. Le maillage entre médecine de ville et médecine hospitalière est indispensable. Or ce travail collectif essentiel n’a pas été toujours très opérationnel. Qu’en est-il de l’articulation entre le réseau hospitalier et les structures de recherche ? Cette collaboration est-elle optimale ? Ne faut-il pas la renforcer pour faire face à d’autres périls infectieux, notamment en développant de nouvelles pratiques ?

Nous avons connu un déficit de médicaments, qui n’a pas touché les seuls anesthésiants. De nombreux patients souffraient en effet de pathologies chroniques, et les médicaments associés ont parfois manqué. Comment appréhendez-vous une éventuelle nouvelle vague sur le plan de la capacité médicamenteuse ?

Mme Karine Lacombe. La collecte de plasma a été interrompue du fait du ralentissement de l’épidémie. On recense environ 5 000 unités de plasma stockées. Ces stocks sont valables un an. La procédure de collecte de plasma pourrait être réactivée si nous devions faire face à une deuxième vague. Je ne porte pas de jugement sur l’arrêt de la collecte. Cette décision est revenue à l’EFS. Il faudra peut-être l’interroger pour connaître les raisons de cet arrêt si le risque d’une deuxième vague se profile.

Nos connaissances relatives à l’impact du virus sur les enfants ont beaucoup évolué entre février, mars et aujourd’hui. Des données scientifiques allant en ce sens, j’ai pensé initialement que les enfants pouvaient être peu malades mais transmettre beaucoup de virus – ce schéma se retrouvant dans de nombreuses infections virales. Finalement, des données solides, notamment françaises, tendent à dire que non seulement l’enfant présente peu de réplication virale mais aussi peu de symptômes. L’enfant n’est donc pas un vecteur de transmission, ce sont plutôt les parents qui contaminent leurs enfants. Les enfants ont plutôt été une barrière naturelle à la progression du virus.

Concernant la fermeture des écoles, je m’exprimerai sur les écoles primaires. Je ne parlerai pas des collèges et des lycées. En effet, il a aussi été montré qu’à 15-16 ans l’adolescent a tendance à se comporter comme un adulte sur le plan immunologique. Décider de fermer une école primaire pour un cas dépisté est probablement excessif. Il en va sans doute de même pour les lycées. En revanche, il est important en ce cas de dépister toutes les personnes contacts des adolescents testés positifs au covid-19.

Il semblerait que ce virus soit relativement stable, comme les autres coronavirus, et contrairement à des virus respiratoires comme la grippe. Nous n’avons pas identifié de mutation majeure pouvant laisser penser qu’une nouvelle maladie plus ou moins virulente risquerait de se développer. Cependant, il faut rester très attentif à l’évolution des connaissances.

Le nombre de décès survenus en réanimation par rapport au nombre de personnes entrées en réanimation est disponible, mais je ne peux vous le donner sur le champ. Au vu des accusations prononcées le 24 juin, il sera important de le rendre public, de façon à dépassionner le débat et à donner à voir la réalité des chiffres.

Une pénurie de médicaments anesthésiants s’est produite en février et en mars du fait du grand nombre de personnes admises en réanimation – 7 000 au plus fort de l’épidémie. Cette pénurie n’a pas été française, mais mondiale. Ce n’était donc pas une défaillance du système français. La production de médicaments se fait normalement à flux tendu, sur la base de contrats passés pour l’achat et l’approvisionnement. Or face à une demande mondiale excessive en l’espace de deux semaines, il était normal que les chaînes de production ne parviennent pas à suivre.

Indépendamment de la disponibilité des médicaments anesthésiants en France, nous savons qu’il existe très peu de fabricants de médicaments dans notre pays. Nous avons beaucoup de contrats avec l’étranger. Nous nous sommes retrouvés en rupture d’approvisionnement pour des antibiotiques classiques. Il faudra probablement réfléchir aux lieux de fabrication des médicaments et aux chaînes d’approvisionnement associées, pour éviter de perpétuer les pénuries ou les tensions d’approvisionnement à l’avenir.

En tant que cheffe de service, je reçois toutes les instructions et toutes les alertes de l’AP-HP. Or je n’ai pas du tout eu connaissance d’instructions relatives à la suspension d’interventions chirurgicales liée à une pénurie de médicaments anesthésiants, mais je ne me prononce qu’à mon niveau. Je ne suis pas chirurgien ni réanimateur chirurgical.

Faisons-nous la course en tête ? La science n’est pas un sprint, mais une course de fond où chacun alimente les connaissances à l’aide de son travail. Cela ne m’importe pas de savoir que les Chinois sont premiers, ou les Américains premiers ou deuxièmes, et que la France serait « à la traîne ». En matière de publications scientifiques, la France fait partie du trio de tête des productions de connaissances sur l’hépatite C et le VIH. Nous avons produit dans ces domaines une science de grande qualité scientifique internationale, et nous sommes nombreux à intervenir fréquemment à l’international sur ces questions de santé.

En Île-de-France et dans le Grand Est, transférer des patients en réanimation en TGV vers des régions connaissant un nombre de cas plus faible nous a sauvés. Cela a permis d’augmenter le nombre de lits de réanimation. Lorsqu’il existait des capacités de réanimation ailleurs sur le territoire, et que les patients étaient stabilisés, les y envoyer au moyen de ponts aériens ou ferroviaires me semble avoir été une excellente idée. Dans le même temps, en fonction de l’augmentation de la propagation de l’épidémie nous avons été capables d’ouvrir des services de réanimation pour, en définitive, faire face.

Je connais bien la thématique de l’élimination de l’hépatite C, pour avoir travaillé longtemps bénévolement pour Médecins du Monde dans les pays asiatiques, sur le VIH et les hépatites virales. J’ai participé, avec le Medicines Patent Pool et Médecins du Monde, au combat pour l’accès aux traitements de l’hépatite C, notamment l’accès aux génériques, aux prix les plus faibles possibles, et pour la cassure du monopole de Gilead sur ces traitements. Vous parlez donc à une convaincue. Je ne crois pas avoir dit – et je m’excuse si mon discours l’a laissé entendre – que le laboratoire était merveilleux dans tout ce qu’il avait fait.

Le traitement de l’hépatite C coûte désormais 17 000 euros avec des médicaments d’un autre laboratoire, et moins de 40 000 euros avec les médicaments du laboratoire Gilead.

L’articulation entre réseaux hospitaliers et structures de recherche est très importante. Nous avons des efforts à faire sur ce plan, notamment pour travailler plus étroitement avec les centres hospitaliers généraux (CHG) – maillage hospitalier indispensable sur le territoire national. La coopération de recherche avec ces structures est sans doute perfectible. Je l’ai bien vu avec les essais thérapeutiques, qui ont été ouverts principalement dans les CHU alors que beaucoup de nos concitoyens ont été pris en charge dans les CHG. Il faudra s’améliorer sur ce plan.

Devons-nous nous attendre à des pénuries de médicaments, notamment dans l’hypothèse de survenue d’une deuxième vague ? La grippe de Hong-Kong dans les années 1968-1969 a duré deux ans. Il est peu probable que nous parvenions à relocaliser la fabrication de médicaments en l’espace de six à sept mois. Toutefois, il faudra probablement aller dans cette direction dans les années à venir. N’étant pas spécialiste de ces questions, je me positionne sur ce point en tant que citoyenne.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Combien d’équipes de chercheurs sont‑elles mobilisées sur le covid-19 en ce moment en France ?

Mme Karine Lacombe. Je n’ai pas le chiffre exact mais peux le trouver très rapidement. La grande majorité des équipes de recherche a au moins orienté l’une de ses activités sur le covid-19.

M. Éric Ciotti, rapporteur. La prise en charge des personnes âgées à l’hôpital et dans les services de réanimation a-t-elle été pour vous une difficulté ? Avez-vous pris en charge des personnes âgées en provenance des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? La question du lieu de prise en charge le plus pertinent pour les personnes âgées fera partie des sujets sur lesquels notre commission devra se pencher.

Mme Karine Lacombe. L’âge médian des patients hospitalisés dans mon service était supérieur à 70 ans. Nous avons eu des personnes très âgées – 85, 90 voire plus de 90 ans. Nous n’avons refusé personne à l’hôpital en raison de son âge. Les EHPAD qui avaient besoin d’hospitaliser un patient ont pu le faire via les urgences. Je ne parle pas du choix qui a été fait dans certains EHPAD d’envoyer ou non leurs résidents à l’hôpital.

De nombreuses personnes en EHPAD étaient très dépendantes pour tous les gestes de la vie quotidienne. Grabataires, elles bénéficiaient avant le covid-19 de soins optimaux dans leurs structures. Elles souffraient pour beaucoup de troubles cognitifs importants. Or ces personnes qui ont attrapé le covid-19, soit par leurs familles, soit par les soignants, n’ont probablement pas été amenées aux urgences. Leur qualité de vie était déjà détériorée, et il n’y avait aucun bénéfice à leur faire subir une arrivée aux urgences, une hospitalisation dans un secteur de médecine, etc. La douleur physique chez quelqu’un qui est grabataire et n’a plus de contact avec son entourage ne peut être mesurée, mais elle est probablement là. Les soins que l’on porte à une personne doivent toujours être proportionnés à son état.

Une grande discussion éthique s’est ouverte sur la question de savoir s’il fallait ou non un passage en réanimation. Tout passage en réanimation, indépendamment du covid-19, est une décision qui se prend en fonction de l’état du patient, du bénéfice qu’il peut en tirer, etc., avec les médecins qui s’en occupent, les réanimateurs, et la famille. Il n’y a pas eu à ma connaissance d’instruction formelle ni de décision informelle visant à ne pas faire passer de personnes âgées en réanimation, uniquement du fait de leur âge. Les décisions qui ont été prises – comme cela a été fait dans mon service – afin de ne pas envoyer certains patients en réanimation mais de leur faire bénéficier de soins palliatifs administrés par une équipe dédiée appuyée par une cellule éthique, l’ont été dans le cadre de discussions collégiales entre les médecins, les réanimateurs, les responsables de soins palliatifs, les patients – lorsqu’ils pouvaient exprimer leurs désirs – et les familles.

Un passage en réanimation, ce n’est pas simplement avoir un tube dans la trachée pour recevoir de l’oxygène. C’est un contexte extrêmement angoissant, qui demande des ressources physiques très importantes. Or une personne âgée très diminuée n’a pas les ressources métaboliques suffisantes pour faire face à un tel séjour. Par conséquent, plutôt que d’envoyer quelqu’un en réanimation pour qu’il soit intubé et ventilé dans des conditions d’angoisse extrême sachant que, dans près de 100 % des cas, il risque de décéder, il vaut probablement mieux lui apporter les soins de confort optimaux susceptibles d’être mobilisés dans une structure de soins palliatifs.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous vous remercions pour la clarté et la précision de vos réponses.

 


Membres présents ou excusés

 

Mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19

 

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 10 h 30

Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean‑Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, M. David Habib, M. Bruno Studer, M. Boris Vallaud.

Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, Mme Valérie Rabault, M. Philippe Vigier, Mme Martine Wonner.