I. Réunion commune avec la délégation française au Comité économique et social européen (CESE) sur le Digital Service Act


 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 30 juin 2021

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

 

La séance est ouverte à 15 heures 05.

 

I.                  Réunion commune avec la délégation française au Comité économique et social européen (CESE) sur le Digital Service Act

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous organisons aujourd’hui un échange avec la délégation française au Comité économique et social européen, sur le thème du Digital Services Act. Après une première réunion en mars, nous avions convenu de nous revoir sur un ordre du jour plus précis.

Je rappelle que le Comité économique et social européen est une très ancienne institution de l’Union dont la création remonte au traité de Rome de 1957 et qui se compose des représentants des organisations de travailleurs, d’employeurs et du monde associatif, civique et culturel. Le CESE a un pouvoir consultatif très large, qui lui permet de rendre en moyenne 170 documents consultatifs par an.

Le comité a adopté en séance plénière le 27 avril 2021 un avis sur la proposition de règlement DSA. Le DSA doit permettre de renforcer le processus de contrôle des contenus numériques. La législation européenne actuelle repose sur la directive commerce électronique du 8 juin 2000. Or, le cadre d’exercice d’activité numérique a profondément évolué depuis vingt ans notamment avec l’apparition des réseaux sociaux et plateformes digitales, nécessitant une actualisation des règles de droit applicables. Le DSA prévoit d’établir des obligations claires et harmonisées dans toute l’Union pour les fournisseurs de services en ligne. La proposition de règlement maintient le régime de responsabilité limitée prévue par la directive commerce électronique. Les fournisseurs de service intermédiaire en ligne demeurent exonérés de responsabilité en cas de circulation, de stockage ou de transmission d’un contenu illicite.

Néanmoins, une des grandes perspectives d’évolution du droit européen de la régulation du numérique avec le DSA est le renforcement du rôle de modération des plateformes avec une obligation de retrait des contenus illicites. Le texte est en cours de négociations au Conseil et au Parlement européen, au sein de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, même si de nombreuses autres commissions se sont saisies pour avis. Le DSA sera un grand sujet de la présidence française de l’Union.

M. Thierry Libaert, CESE. Il nous faudra trouver d’autres sujets intéressant la commission des affaires européennes et la délégation française au CESE. Le code de conduite sur la désinformation, qui est un sujet connexe au DSA, pourrait être l’un de nos thèmes de débat commun car la délégation française vient d’être saisie sur le sujet.

Mme Émilie Prouzet, CESE. Le DSA reflète l’enjeu de l’égalité de traitement entre les fournisseurs de services en ligne. Le comité s’est félicité des propositions de DSA et de DMA. Le DSA est une première étape vers l’obtention de l’égalité des traitements, car il existe sinon un risque de fragmentation du marché intérieur.

Les commissions au Parlement européen n’ont pas été saisies pour avis, ce sont des commissions associées ce qui modifie toute la procédure : les amendements devront en effet être négociés entre toutes commissions ; ce ne seront pas des amendements des commissions pour avis. En termes de négociations c’est un véritable enjeu.

Au sens du CESE, il est essentiel  d’adopter ce texte le plus tôt possible. Le texte requiert néanmoins certains ajustements pour davantage de cohérence, au moins dans les définitions, par exemple des business users. Il faut absolument parvenir à une définition cohérente entre les différents textes qui y font référence.

D’autres enjeux importants demeurent, notamment l’application des principes fondamentaux de la directive e-commerce (l’exemption de responsabilité, le principe du pays d’origine). Le comité a demandé à ce que le principe du pays d’origine soit aménagé afin d’en garantir une meilleure application. Nous avons également relevé qu’il était nécessaire de résoudre la question des produits dangereux importés directement en Europe par le consommateur en passant par un « marketplace ». Il n’y a actuellement pas d’opérateur responsable sur le marché pour l’importation de ces produits..

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure de la mission d’information sur le DSA. Nous sommes, avec ma collègue Constance Le Grip, rapporteures de la mission d’information sur le DSA. Nos travaux ont débuté en mars dernier et devraient s’achever à la fin de l’année 2021. Une question émerge fréquemment au cours des auditions que nous menons, à propos du périmètre d’application du texte. La Commission a choisi de proposer une approche asymétrique de la régulation dans laquelle les obligations varient, non seulement en fonction de seuils prédéterminés, mais aussi du statut de l’acteur en cause. Le texte distingue les prestataires de services intermédiaires, les hébergeurs, les plateformes et les très grandes plateformes en ligne. Cette distinction soulève des interrogations quant aux critères de définition de ces catégories. Il importe d’identifier avec précision les acteurs concernés par ce texte et notamment ceux soumis à des obligations renforcées.

L’objectif est de s’assurer que le texte ne laisse pas de côté des acteurs majeurs de diffusion des contenus illicites. Les personnes auditionnées ont pu nous faire part de leurs interrogations quant à l’inclusion de services numériques dans le champ d’application du DSA comme les moteurs de recherche, les messageries privées ou les plateformes de streaming. Le champ d’application de la proposition de règlement DSA vous paraît-il satisfaisant ou des précisions devraient-elles être apportées ? L’approche asymétrique retenue par la Commission, en différenciant les obligations par catégories d’acteurs vous semble-t-elle pertinente ?

Les auditions menées nous ont également fait prendre conscience du fait que le texte octroie une place centrale à la Commission dans la mise en œuvre et le contrôle de l’application du DSA, notamment vis-à-vis des très grandes plateformes.

La Commission européenne sera ainsi amenée à présider le conseil européen des services numériques, instance consultative qui doit réunir les coordinateurs nationaux. Elle jouit également d’un large pouvoir d’enquête et d’un droit d’information auprès des grandes plateformes. D’après vous, la Commission possède-t-elle les ressources humaines et matérielles pour mener à bien ces différentes missions ? Quelle est votre position vis-à-vis de ce rôle central octroyé à la Commission dans la mise en œuvre du DSA ?

Enfin, le CESE a émis en avril 2021, un avis faisant part de ses doutes quant au maintien du principe du pays d’origine. Ce principe est au fondement du droit du marché unique mais son application dans le domaine du numérique empêche le régulateur du pays de l’État membre de destination d’assurer pleinement son rôle de supervision. Certaines infractions peuvent, en effet, affecter les utilisateurs de l’État de destination et mettre en œuvre des spécificités liées au droit national ou à la prise en compte du contexte local. En outre le maintien du principe du pays d’origine, sans aménagement possible, conduirait à une concentration des demandes auprès des régulateurs des pays où les entreprises digitales sont implantées, engendrant un fort risque d’engorgement. Quels moyens serait-il possible d’envisager, selon vous, afin d’atténuer ce principe du pays d’origine et d’octroyer davantage de place au pays de destination ?

Mme Yolaine de Courson. Le Digital Service Act, pendant du Digital Market Act, vise à actualiser le cadre européen sur les enjeux du numérique, notamment par une révision de la directive sur le commerce électronique, qui semble aujourd’hui dépassée par de nouveaux défis.

Le commissaire Thierry Breton résume ainsi la volonté de ce texte : « dans bien des cas l’espace numérique est une zone de non droit. Il s’agit pour l’Europe de reprendre la main sur les plateformes structurantes. Le fil directeur du DSA est simple : ce qui est autorisé offline doit l’être online et ce qui est interdit offline doit l’être online. Que l’on parle de contrefaçon, d’antisémitisme, de pédopornographie, de menaces de mort ou de vente de drogue, tous les contenus illégaux doivent être retirés. Les contenus haineux, l’amplification de la violence verbale et physique, la désinformation doivent être identifiés comme tel et traités en conséquence. Tout ce qui est interdit dans l’espace public sera aussi interdit dans l’espace online ». C’est un objectif auquel nous ne pouvons que souscrire. Pensez-vous que l’Union européenne, par le DSA - à l’instar de ce que nous avons réalisé avec le RGPD - aura un rôle moteur dans la fixation des normes pour les plateformes en matière de modération des contenus illégaux sur internet ? 

Mme Émilie Prouzet, CESE. Sur la première question, nous sommes favorables  à l’asymétrie des obligations en fonction du nombre d’utilisateurs et de l’activité.

Sur la seconde question relative au champ d’activité, nous n’avons pas débattu au sein du CESE du périmètre du DSA. Pour autant,  le DSA sera d’autant plus efficace qu’il couvre un nombre important d’acteurs du numérique. Selon nous, le DSA est le cadre de base sur lequel vont se construire toutes les législations spécifiques, notamment celle relative à la contrefaçon. Ce texte est la base sur laquelle nous ferons une directive ou un règlement  sur la contrefaçon ou encore un règlement relatif à sécurité générale des produits avec la spécificité online, par exemple. On ne peut pas tout résoudre dans le DSA mais il faut poser les bonnes bases et pour cela il faut s’assurer d’avoir le champ d’application le plus large possible. C’est l’esprit de notre groupe de travail.

Sur la mise en œuvre du règlement, un bon exemple est celui du RGPD qui connaît une interprétation propre à chaque État membre. L’interprétation adoptée par la France n’est pas la plus flexible. Il n’y a donc pas de véritable marché intérieur, en raison d’un phénomène de forum shopping.

Dans un souci d’efficacité et de non-fragmentation du marché intérieur, il faudrait que ce soit la Commission européenne qui soit en charge des contrôles relatifs à la mise en œuvre du DSA, en s’appuyant sur des ressources nationales lorsque cela est possible. Quelle autorité pourrait potentiellement faire cela en France ? La DGCCRF, la CNIL, l’autorité de la concurrence ? Aucune, car les sujets sont très transversaux. Certains rapports proposent la constitution de groupes à haut niveau européen avec des déclinaisons nationales. Pour autant, nous soutenons que la Commission doit garder la main

Si on prend l’exemple des lois de police, on remarque que les interprétations nationales sont divergentes, ce qui pose parfois un problème de mise en œuvre. En ce sens, il m’est compliqué de comprendre comment l’on peut exiger des opérateurs qu’ils appliquent vingt-sept lois nationales, et des spécificités nationales. Par conséquent, pour le DSA, nous travaillons sur le cadre commun européen, lequel doit permettre au marché intérieur de véritablement fonctionner.

Concernant les places de marché, sommes-nous dans une égalité de concurrence lorsque certains opérateurs peuvent proposer aux consommateurs européens des produits qui ne sont pas en conformité avec le droit européen ? La réponse est a priori négative, et dans le cadre du DSA, cela remet en cause un business model puisque les opérateurs ne sont que des vitrines.

La difficulté est que si on pose le principe de la responsabilité des places de marché, cela reviendrait à remettre en cause le régime d’exonération de responsabilité en Europe, que l’on a bâti depuis vingt ans. En Europe, il y a un critère capital qui engage la responsabilité de l’opérateur, celui de la mise sur le marché sur le territoire communautaire. On a donc une hiérarchie entre fabricant, importateur et distributeur.

Cette hiérarchie a été étoffée par le règlement sur les produits harmonisés. En ce sens, ont été élaborés un règlement sur la surveillance du marché et un règlement qui intègre le centre d‘entreposage ou le représentant légal  dans la hiérarchie. Le DSA  prévoit, dans son article 20 sur la traçabilité des vendeurs, l’institution d’un nouvel opérateur qui sera spécifiquement en charge de la sécurité et de la conformité des produits importés par les places de marché. Le règlement fait spécifiquement référence à l’obligation pour les places de marché de mentionner le nom du vendeur non européen sur le produit. Si la place de marché ne s’assure pas que le vendeur non européen a désigné un représentant légal dans l’Union, elle prend en charge la responsabilité de cet opérateur. Cette idée est, selon moi, à creuser, car elle ne remet pas en cause la logique de l’acquis communautaire en matière de responsabilité et conformité, mais constitue davantage une sanction en cas de non-respect de l’obligation imposée à la place de marché.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Vous avez évoqué le besoin d’une définition de business users, puisque les différents textes utilisent ce terme. Avez-vous l’impression que ce terme n’est pas utilisé de manière égale dans tous les textes ? Est-ce que les États membres ont eu des interprétations divergentes ? Très souvent on se heurte dans la construction européenne à des interprétations de notions divergentes qui créent des malentendus et sont une forme de barrière pour les échanges.

Mme Émilie Prouzet, CESE. Tout à fait. Non seulement on le voit au sein des États membres, mais également au sein des institutions. Vous avez travaillé sur le projet de loi numérique : il y a eu un gros enjeu sur la définition des utilisateurs actifs, des plateformes, et même sur l’exemption. Quand on parle des business users, il faut d’abord identifier s’ils sont actifs ou inactifs.

Il y a également un enjeu de définition des end users. Parle‑t‑on des bénéficiaires, des end users, des utilisateurs finaux ? On s’aperçoit que dans le DSA et le DMA on ne parle pas des mêmes personnes. Les deux textes font référence à un seuil de 45 millions, mais l’un parle d’utilisateurs actifs et  l’autre de bénéficiaires. Pourtant, le terme d’utilisateurs est central dans l’application de ces deux textes, d’où la nécessité de cohérence.

Le député Schwab a fait une proposition à ce titre dans le DMA, puisqu’une définition d’utilisateurs pour un moteur de recherche ou plateforme marchande n’est pas la même chose. En effet, faire des recherches vingt fois sur Google n’est pas la même chose qu’aller vingt fois sur Amazon sans faire d’achats. Le député Schwab a proposé une annexe dans laquelle il définit l’utilisateur en fonction de l’activité numérique. Par exemple, pour les plateformes marchandes l’utilisateur est celui ayant opéré une transaction monétaire dans l’année.

Je pense que c’est une bonne idée pour s’assurer d’une application plus cohérente. On a pu constater depuis quinze ans lorsqu’on travaille avec des grandes plateformes, leur capacité à remettre en question ou à réinterpréter, par exemple pour rallonger les délais au niveau des procédures. Ainsi, plus on a de la clarté, de parallèles entre les textes, mieux c’est.

M. Pierre Bollon, CESE. Ce qui a été dit sur la terminologie est très juste. Si les termes sont les mêmes dans les trois textes anglais, il faudra également vérifier également que cette terminologie soit cohérente dans les versions françaises, puisque nous travaillons sur la version anglaise, notamment au Parlement européen.

Je veux également évoquer le sujet de fournisseurs de donnés extrafinancières ESG et financières. C’est un sujet essentiel : il y aura un enjeu énorme d’accès aux données des gate keepers. J’ai mis en avant ce point dans l’avis du CESE dont j’étais le rapporteur sur l’Union des marchés et des capitaux.

Nous ne demandons pas qu’il ne soit pas traité dans le DMA ou DSA. Nous essayons de faire passer un considérant dans le DMA en sachant que le texte ne le régulera pas, mais peut souligner son importance pour l’avenir. Dans le domaine de la finance et de l’épargne il est possible d’acheter, souscrire ou investir via des places de marché.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup. J’ai une autre question qui concerne les algorithmes. Il y a les articles 54 à 57 du DSA qui prévoient la possibilité pour la Commission d’obtenir des explications de la part des prestataires des algorithmes qu’ils possèdent. La Commission dans certaines hypothèses peut même ordonner d’accéder aux bases de données. Trouvez cette possibilité réaliste ? Est-il envisageable que les grandes plateformes communiquent leurs données et algorithmes qui sont souvent protégés par le secret des affaires ?

Mme Émilie Prouzet, CESE. Il n’y a rien de plus secret que l’algorithme. Au regard de la place des données, l’algorithme est le nerf de la guerre.

Le problème dans votre question est le terme réaliste. Est-ce réaliste ? ? Non. Mais il n’était pas possible non plus de ne pas le le mentionner. J’ai travaillé personnellement sur le règlement sur les précurseurs d’explosifs : avec les enjeux des transactions suspectes et notamment la problématique des cas récents de transactions onlines, tout reposait sur les algorithmes. Nous n’aurons pas les algorithmes, je suis d’accord. Je n’irais pas beaucoup plus loin car je n’ai pas davantage de réponses. Les vingt plus grosses entreprises du numérique ont les moyens de communiquer certaines informations mais ne donneront jamais l’algorithme en tant que tel.

La séance est levée à 15 heures 45.


Membres présents ou excusés

 

 

Le relevé des présents est suspendu en raison de la crise sanitaire.

 

 

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