Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Projet de loi de finances pour 2021 (seconde partie) :

. Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, sur la mission « Culture » (Mme Valérie Bazin‑Malgras, rapporteure pour avis), la mission « Médias, livre et industries culturelles » et le compte de concours financiers «  Avances à l’audiovisuel public » (Mme Céline Calvez, rapporteure pour avis)              2

 

 

 


Mardi
27 octobre 2020

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 10

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 27 octobre 2020

La séance est ouverte à dixhuit heures cinq.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La commission auditionne, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 (seconde partie), Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Culture.

M. le président Bruno Studer. Nous achevons aujourd’hui l’examen du projet de loi de finances pour 2021 par l’audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, et la discussion des missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » ainsi que du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».

Je souhaite la bienvenue à Mme Dominique David, rapporteure spéciale de la commission des finances sur les programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture de la mission « Culture », et à Mme Marie-Ange Magne, rapporteure spéciale de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».

Les projets de rapports de Mmes Valérie Bazin-Malgras et Céline Calvez, nos rapporteures pour avis, vous ont été remis hier.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Le budget des missions « Culture » et « Médias et industries culturelles » connaîtra en 2021 une hausse exceptionnelle. L’augmentation de 4,8 % des crédits budgétaires du ministère dit l’importance que le Gouvernement accorde à la culture. Comme l’a révélé la période difficile que nous traversons, la culture a un rôle indispensable dans notre vie économique, sociale et démocratique comme dans notre vie intime. Cet effort budgétaire exceptionnel participe de la mobilisation totale dont l’État a fait preuve dès le début de la crise sanitaire pour soutenir les acteurs culturels.

Indispensables pour protéger nos concitoyens, les mesures sanitaires prises par le Gouvernement affectent très durement l’ensemble des secteurs culturels. Alors que la reprise s’engageait, le durcissement des mesures et l’instauration du couvre-feu, il y a quelques jours, ont à nouveau plongé le spectacle vivant et le cinéma dans une situation très difficile. Face à cette épreuve, le Gouvernement continue à prendre ses responsabilités. Le monde de la culture a déjà bénéficié de plus de 5 milliards d’euros de mesures d’urgence, dont 3,3 milliards d’euros de mesures transversales à tous les secteurs et 949 millions pour l’année blanche des intermittents. Pour que le secteur culturel puisse se projeter dans l’avenir, j’ai obtenu que le volet culturel du plan France relance mobilise une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d’euros pour lui apporter un soutien massif à partir du 1er janvier 2021.

Après un été difficile, il fallait donner de la visibilité au secteur culturel pour que l’activité reprenne. C’est pourquoi, à la rentrée, pour soutenir la reprise d’activité des salles de spectacles et de cinéma, nous avons créé un fonds de compensation des pertes d’exploitation dues à l’obligation de distanciation physique. Cent millions ont été mobilisés, auxquels s’est ajoutée une enveloppe de 5 millions au titre des dettes de droits d’auteur accumulées au cours de l’année 2020.

La seconde vague de la pandémie ayant conduit à durcir les mesures sanitaires et à instaurer un couvre-feu, le Gouvernement a renforcé les mécanismes de soutien en additionnant mesures de reprise d’activité et mesures de sauvegarde. J’ai ainsi annoncé jeudi dernier des mesures complémentaires exceptionnelles. En tout, 115 millions sont mobilisés. D’une part, 85 millions d’euros iront au spectacle vivant, dont 60 millions pour la musique, 20 millions au théâtre et 5 millions aux intermittents qui ne sont pas pris en charge par d’autres dispositifs. D’autre part, 30 millions iront au cinéma pour soutenir producteurs, distributeurs et exploitants. Ces moyens exceptionnels doivent permettre aux salles de spectacles et de cinéma de maintenir leur programmation et de s’adapter pour continuer d’accueillir le public dans le respect des restrictions sanitaires.

De plus, le Gouvernement proposera par voie d’amendements au projet de loi de finances pour 2021 de prolonger jusqu’au 1er semestre 2021 l’exonération de la taxe sur les spectacles pour alléger les charges des entreprises du secteur. Enfin, j’ai veillé à ce que les auteurs bénéficient d’un soutien renforcé.

J’en reviens au budget du ministère de la culture pour 2021. Plus de 1,1 milliard d’euros de moyens exceptionnels issus du plan de relance s’additionneront, pour cette première année de mise en œuvre, aux crédits des missions « Culture » et « Médias et industries culturelles » que vous examinez aujourd’hui. Cela permettra d’amplifier l’action que je mène pour réparer et refonder nos politiques culturelles. Ne nous y trompons pas : la crise sanitaire marque un tournant pour le monde de la culture. Elle ne cesse de bouleverser les conditions de vie et de création des acteurs culturels tout comme les pratiques de nos concitoyens. Elle révèle et exacerbe aussi certaines fragilités structurelles préexistantes dues à des mutations profondes qu’il est désormais impératif de prendre en compte pour faire que notre modèle culturel reparte sur des bases plus solides.

Les résultats de l’enquête passionnante sur les pratiques culturelles des Français montrent qu’il faut œuvrer au décloisonnement de la culture patrimoniale et de la culture numérique pour rendre la culture et les arts dans toute leur diversité encore plus accessibles à tous les publics. Au-delà des mesures financées par les crédits budgétaires, c’est l’un des objectifs de la stratégie d’avenir pour nos industries culturelles et créatives, dotée de 400 millions sur cinq ans dans le cadre du 4ème programme d’investissements d’avenir (PIA). Nous relèverons ce défi en plaçant les territoires et leurs habitants au cœur de nos politiques culturelles, en abordant la culture dans ce qu’elle a de plus intime pour les artistes, les créateurs et les citoyens qui aiment la culture et qui, je l’espère, seront de plus en plus nombreux. Les moyens inscrits dans les deux missions budgétaires soumis à votre examen nous permettent d’œuvrer en ce sens.

Commençons par la mission « Culture », dont tous les programmes, hors dépenses de personnel, connaîtront en 2021 une forte augmentation : à périmètre constant, elle sera de 4,6 % par rapport à 2020. Le patrimoine bénéficiera d’un budget de 1,015 milliard d’euros, en hausse de 4,4 %, soit 43 millions, auxquels s’ajouteront 345 millions d’euros issus du plan de relance. En investissant dans le patrimoine, nous souhaitons développer l’économie et renforcer l’attractivité et la cohésion des territoires. C’est l’objectif du plan de rénovation des musées territoriaux, doté de 52 millions d’euros sur deux ans – dont 6 millions provenant du plan de relance – et du soutien renforcé aux archives et à l’archéologie dont bénéficieront les équipements patrimoniaux dans les territoires.

Nous mettons également en œuvre, dès 2021, un vaste « plan cathédrales ». La hausse des crédits budgétaires pérennes qui lui est consacrée portera le financement structurel annuel à 50 millions d’euros, auxquels s’ajouteront, en 2021 et en 2022, 40 millions chaque année issus du plan de relance – soit, en tout, 180 millions d’euros sur deux ans. Ces moyens permettront de réaliser les nécessaires travaux de mise en sécurité et en sûreté et d’accélérer les projets de restauration. Le plan de relance apportera également un soutien essentiel à de nombreux autres projets de restauration de monuments historiques, notamment de monuments protégés appartenant à des collectivités territoriales et à des propriétaires privés. Il permettra aussi d’accélérer le chantier de la Cité de la langue française et de la francophonie dans le château de Villers-Cotterêts.

Articulé au plan de relance, le projet de loi de finances prévoit des financements visant à garantir la réalisation du programme de travaux de certaines grandes institutions nationales telles que les Archives nationales, le Centre Pompidou et aussi le Grand Palais dont j’ai choisi de réorienter le projet de restauration pour mieux garantir la maîtrise des coûts et des délais.

De même, nos grands opérateurs de la création bénéficieront, grâce au plan de relance, d’un accompagnement exceptionnel, et 15 millions d’euros de mesures nouvelles permettront de poursuivre les grands projets engagés en 2019 tels le relogement du Centre national des arts plastiques à Pantin et les investissements visant à équiper les deux scènes de l’Opéra de Paris.

Le programme Création connaît également une forte augmentation de 4,5 %. Cet accroissement renforcera le soutien à la création, la production et la diffusion artistique dans le domaine du spectacle vivant et des arts visuels. À ces 37 millions d’euros de mesures budgétaires nouvelles s’ajouteront 320 millions issus du plan de relance. L’une des priorités est de mieux accompagner les établissements de création régionaux. Le budget 2021 consacre 15 millions d’euros à la restauration et à la consolidation des marges artistiques des labels et au soutien aux compagnies artistiques ; l’État atteint ainsi ses niveaux d’engagement aussi bien dans le domaine du spectacle vivant que pour les arts visuels. Les mesures du plan de relance soutiendront leur programmation et financeront des chantiers de rénovation dans ces établissements.

Le spectacle vivant sera également fortement soutenu grâce au renforcement des moyens du Centre national de la musique (CNM). Les 7,5 millions d’euros supplémentaires dans le programme 334 Livre et industries culturelles assurent le respect de la trajectoire triennale fixée l’an dernier pour cette nouvelle structure. En outre, le CNM recevra une dotation exceptionnelle de 200 millions d’euros dans le cadre du plan de relance, afin qu’il joue un rôle moteur dans la reprise de toute la filière musicale.

Les dispositifs fiscaux que vous avez votés – prorogation du crédit d’impôt spectacle vivant, dont les critères ont été assouplis, et création du crédit d’impôt théâtre qui approfondit le dispositif que vous aviez fait adopter dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative – permettront aussi de soutenir l’activité des salles de spectacles.

Une autre priorité est de renforcer le soutien aux artistes et aux créateurs, en particulier ceux qui n’entrent pas dans le champ des dispositifs de soutien transversaux décidés en raison de la crise sanitaire. À cette fin, le projet de loi de finances complète les dispositifs du plan de relance, notamment le plan de commandes artistiques, doté de 30 millions d’euros.

Le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS) bénéficiera de 5 millions d’euros supplémentaires visant à réduire la précarité des artistes et des techniciens intermittents, et 2 millions d’euros seront mobilisés pour mettre en œuvre de premières mesures à destination des artistes-auteurs. Je mène les échanges lancés avec les organisations défendant les intérêts des artistes-auteurs afin de peaufiner la feuille de route que suivra le ministère pour mettre en œuvre des mesures tangibles.

La mission « Culture » contient également le nouveau programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Reprenant les actions 1, 2 et 9 du programme 224, il concerne donc l’enseignement supérieur culturel, l’accès à la culture et la politique linguistique. À périmètre constant, ce programme bénéficiera en 2021 de 46 millions d’euros de crédits supplémentaires, soit une très forte hausse de 8,5 %. J’ai créé une nouvelle délégation au sein du ministère, qui sera chargée de ces moyens à dater du 1er janvier prochain ayant rang de direction d’administration centrale ; elle assurera le pilotage transversal de notre action en ce domaine. Cela renforcera nos liens avec les autres ministères, particulièrement les ministères chargés de la cohésion des territoires, de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur.

L’année prochaine, nous amplifierons l’action que nous menons pour atteindre notre objectif du « 100 % éducation artistique et culturelle (EAC) », en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les collectivités territoriales. La hausse de 20 millions d’euros des crédits du Pass culture permettra de développer cet outil, qui devra évoluer pour mieux répondre à ses objectifs. Il faudra améliorer son articulation avec la fin du parcours d’EAC et favoriser la diversification des pratiques culturelles des jeunes gens qui s’y sont inscrits.

Notre politique d’accès à la culture dans tous les territoires bénéficiera également de moyens supplémentaires. Ils permettront notamment d’accompagner la première « Capitale française de la culture », qui sera désignée en 2021. Ce nouveau label, doté d’un million d’euros financés à parité par le ministère de la culture et par la Caisse des dépôts, distinguera tous les deux ans l’innovation artistique et l’attractivité d’une ville ou d’un groupement de collectivités de 20 000 à 200 000 habitants.

D’autre part, les États généraux des festivals que j’ai lancés il y a quelques semaines en Avignon et auxquels certains d’entre vous ont participé ont permis d’engager une concertation entre acteurs culturels visant à mieux accompagner ces manifestations qui jouent un rôle de premier plan dans la dynamisation de nos territoires. Les festivals bénéficieront également du prolongement du Fonds festival financé par le plan de relance.

Parce qu’il est essentiel de continuer d’accompagner les créateurs de demain, l’enseignement supérieur culturel sera aussi l’objet d’une attention particulière en 2021. Il bénéficiera d’une augmentation budgétaire importante – 3,3 % – après des années de stagnation. Cette hausse vise à améliorer les conditions d’études et de vie des étudiants de ces écoles, renforcer les mesures d’accompagnement de la vie étudiante, favoriser l’insertion professionnelle. À ces mesures s’ajoutera un plan exceptionnel de modernisation des écoles de l’enseignement supérieur culturel ; doté de 70 millions d’euros, il est financé dans le cadre du plan de relance.

La hausse de 3,2 % des crédits de la mission « Médias et industries culturelles » a pour objectif, en complément du plan de relance, de consolider et de moderniser les filières culturelles dont les fragilités structurelles se sont révélées ou accusées en raison de la crise. Ainsi la presse bénéficiera-t-elle d’un très ambitieux plan de filière doté de 483 millions d’euros sur trois ans, dont le financement repose sur la troisième loi de finances rectificative pour 2020, le projet de loi de finances pour 2021, le projet de loi de finances pour 2022 et le plan de relance. Présenté fin août par le Président de la République, ce plan de développement et de modernisation prévoit également la création de nouvelles aides au pluralisme financées par des mesures budgétaires pérennes inscrites dans le budget 2021. Une aide destinée aux services de presse en ligne d’information politique et générale, à raison de 4 millions d’euros par an, et une aide destinée à la presse ultramarine, à hauteur de 2 millions par an, seront instituées.

Le secteur du livre bénéficiera d’un plan de 89 millions d’euros sur trois ans financé par la loi de finances rectificative et le plan France relance ; il permettra en particulier de soutenir l’activité des librairies et des bibliothèques. À ces moyens exceptionnels s’ajoutent les crédits inscrits dans le projet de loi de finances, qui permettront notamment de financer l’achèvement du chantier de restauration de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L’ouverture de 30 millions d’euros en autorisations d’engagement permettra aussi à la BnF de lancer la construction d’un nouveau centre de stockage, qui devrait être utilisable d’ici 2027 ; les candidats sont nombreux.

Les filières cinématographique et audiovisuelle bénéficieront également, dans le cadre du plan de relance, d’un plan de 165 millions d’euros ; celui-ci vise à permettre la reprise et à engager la modernisation de l’ensemble de ces acteurs.

Le financement de l’audiovisuel public respectera la trajectoire engagée en 2018. L’effort d’économie de 80 millions demandé aux sociétés de l’audiovisuel public dans le cadre d’une ambitieuse stratégie de transformation a été réduit de 10 millions d’euros pour tenir compte de la prolongation jusqu’à l’été 2021 de la diffusion linéaire de France 4. La concordance des chiffres est une simple coïncidence, mais le plan de relance accordera à l’audiovisuel public un soutien financier exceptionnel de 70 millions d’euros pour compenser l’impact de la crise sanitaire et préserver sa capacité à investir dans la création.

Je sais que votre commission – singulièrement son président – porte une grande attention à l’avenir de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), étant donné la suppression complète, à l’horizon 2023, de la taxe d’habitation, son support de collecte. Le rapport que vous avez sollicité à ce sujet mérite d’être plus abouti pour alimenter la réflexion collective que nous devons mener sur ce sujet d’extrême importance. Avec le ministre chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, et votre président, nous proposons donc de lancer un travail parlementaire pour approfondir la question en étudiant les hypothèses envisageables et en mesurant l’impact et la faisabilité technique et politique de chacune.

Je salue les travaux déjà menés par le Parlement à l’occasion de la transposition de la directive Services de médias audiovisuels dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière. Ces travaux ne sont pas achevés, mais les votes sur l’article 24 ter du projet de loi montrent une volonté transversale unanime d’intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création.

Parallèlement, les concertations avec les professionnels permettent de travailler aux modalités de mise en œuvre de cette réforme dans le cadre de la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande, qui devrait être achevée au début 2021. C’est la première étape, essentielle, du rééquilibrage de notre système de financement de la création. Il passera également par la révision du décret fixant la contribution des chaînes historiques à l’issue de négociations professionnelles, et par l’adaptation de la chronologie des médias, dans un enchaînement logique.

D’autres mesures figuraient dans le projet de loi relatif à l’audiovisuel que votre commission a examiné en mars dernier. Je souhaite que des dispositions prioritaires très attendues par le secteur fassent l’objet d’une traduction législative dès que cela sera possible, en particulier celles qui concernent la lutte contre le piratage et l’évolution de la régulation. Aussi ai-je proposé au Premier ministre d’élaborer un nouveau projet de loi très resserré, tenant compte du travail déjà effectué. Dans les circonstances actuelles, il n’est pas possible de reprendre l’ensemble des dispositions figurant dans l’ambitieux projet de loi initial, mais il est indispensable qu’un texte législatif nous permette d’adapter à la transformation rapide et de ses acteurs et des usages les règles qui encadrent ce secteur.

Telles sont les orientations qui guideront l’action de mon ministère au long de l’année prochaine et que reflète le budget soumis à votre examen. Doté de moyens nouveaux, ce budget est à la hauteur des attentes des professionnels de la culture et du grand public et tient compte des innombrables défis que nous devons relever. C’est un budget de responsabilité, construit en complémentarité avec le plan de relance afin de mettre en œuvre une action globale pour conforter et parfois sauver notre modèle culturel.

M. le président Bruno Studer. Madame la ministre, je vous remercie. Nous passons à la discussion générale sur la mission « Culture ».

Mme Valérie Bazin Malgras, rapporteure pour avis des crédits de la mission « Culture ». Je remercie toutes les personnes que j’ai auditionnées pour leur disponibilité et la qualité de nos échanges. Vous l’avez souligné, madame la ministre, la crise sanitaire frappe très durement le monde de la culture, dont les pertes se chiffrent en milliards d’euros. Le spectacle vivant aurait perdu 7 milliards d’euros, soit 72 % de son chiffre d’affaires, le patrimoine et les arts plastiques et visuels plus de 30 % du leur. Il est juste de reconnaître que l’État a joué son rôle d’amortisseur de la crise, aussi bien pour ses opérateurs que pour le secteur subventionné et le spectacle vivant privé.

Pour la partie du plan de relance qui me concerne – patrimoine, spectacle vivant, arts visuels et enseignement artistique –, les autorisations d’engagement atteignent un milliard d’euros ; toutefois, une bonne partie de ces crédits n’a pas sa place dans ce plan. Ainsi, des montants très importants visent à combler les déficits d’exploitation des grands opérateurs de l’État ; ces dépenses sont nécessaires, car nous n’allons bien sûr pas laisser couler le château de Versailles ou l’Opéra de Paris, mais devraient plutôt figurer dans la mission « Culture ».

D’autre part, je regrette que l’on ne consacre pas davantage de moyens à la restauration des monuments historiques que possèdent les collectivités territoriales et les propriétaires privés : seulement 40 millions d’euros sur deux ans sont prévus à cette fin. C’est dommage, non seulement parce que l’entretien des monuments historiques sert la délectation de tous – « Il y a deux choses dans un édifice », a écrit Victor Hugo, « son usage et sa beauté ; son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde » – mais aussi parce que des crédits supplémentaires seraient dépensés rapidement sur tout le territoire et contribueraient à la relance en maintenant l’activité du bâtiment et des métiers d’art. J’ai auditionné deux propriétaires de châteaux de ma circonscription et le maire d’une toute petite commune : leurs projets de restauration n’attendent que des crédits.

Hors plan de relance, les crédits de la mission « Culture » s’élèvent à 3,2 milliards d’euros ; ils rattraperont donc en 2021 leur niveau de 2010. Dans le programme Patrimoines, deux grands projets pèsent lourd dans la programmation pluriannuelle des crédits.

Le château de Villers-Cotterêts a été laissé dans un état de délabrement par la Ville de Paris qui y a logé jusqu’en 2014 un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je me réjouis que l’on rénove ce château de la Renaissance mais je suis frappée par les moyens disproportionnés qui lui sont consacrés. Le projet initial fixait un investissement de 110 millions d’euros ; le plan de relance prévoit 100 millions supplémentaires, dont 25 millions compensent le fait que l’État n’a pas trouvé de mécène pour ce projet et 75 millions l’absence d’investisseur privé pour restaurer et exploiter les communs. Convenez que cela sème le doute sur l’ambition initiale de ce grand projet présidentiel…

Ensuite, vous avez décidé, madame la ministre, de revoir les ambitions premières du projet pharaonique de rénovation du Grand Palais. Vous avez eu raison. Il est toutefois très étonnant que le nouveau projet soit présenté avec le même budget de 466 millions d’euros. D’autre part, chaque année des crédits manquent par rapport à la programmation pluri‑pluriannuelle. Les crédits inscrits dans le projet annuel de performances sont insuffisants et des crédits supplémentaires sont consommés en cours d’exercice au détriment d’autres actions du programme Patrimoines. Le principe de sincérité budgétaire est mis à mal. Où ont été pris les crédits nécessaires pour le Grand Palais en 2020 et où le seront-ils en 2021 ?

Pour le programme Création, je ne rappellerai pas l’ensemble des dispositifs mis en œuvre pour aider le spectacle vivant à surmonter la crise, notamment par le biais du CNM et de l’Association pour le soutien au théâtre privé, mais j’insiste sur la nécessité de maintenir les aides d’urgence en 2021 aussi longtemps que l’activité ne pourra reprendre normalement.

Je me réjouis de l’adoption de l’amendement créant un « crédit d’impôt théâtre » lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances ; j’espère que les cabarets seront intégrés dans son périmètre, ou dans celui du « crédit d’impôt spectacle vivant musical ». D’autre part, le déséquilibre est frappant entre les moyens accordés au spectacle vivant et ceux qui vont aux arts plastiques. Certes, le spectacle vivant est plus directement touché par le confinement, les mesures de distanciation et le couvre-feu, mais les artistes plasticiens subissent l’annulation des expositions et ne bénéficient pas d’un régime d’assurance chômage.

Enfin, le Pass culture semble être passé au second plan. Le confinement a malheureusement été ordonné au moment où ce dispositif devait être étendu à de nouveaux départements dont le mien, ce dont je me réjouissais. J’observe un changement d’orientation du Gouvernement : après avoir annoncé la généralisation du Pass culture, vous semblez vous rétracter et modifier ses modalités d’attribution et son montant ; je le déplore.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce budget, et je vous renvoie à la lecture de mon rapport. Pour les raisons que j’ai exposées, je m’abstiendrai lors du vote des crédits de la mission Culture.

Mme Dominique David, rapporteure spéciale de la commission des Finances pour les programmes Création, Transmission des savoirs et démocratisation de la culture et Soutien aux politiques du ministère de la Culture. La culture est l’un des secteurs qui payent le plus lourd tribut à la crise sanitaire et chaque jour les perspectives de retour à la normale s’assombrissent davantage pour ces activités, dans un pays qui porte en étendard son exception culturelle et qui donne depuis le siècle des Lumières une place centrale à la culture comme facteur d’émancipation. Cette situation nous oblige – et les moyens sont là, dans le projet de loi de finances. Les crédits des trois programmes relevant de mon rapport augmentent de 4,5 % et à cette hausse significative s’ajouteront en 2021 les 228 millions d’euros en crédits de paiement du plan de relance, soit presque 16 % des crédits budgétaires des programmes. L’effort est considérable. Pour le spectacle vivant et les arts visuels, le programme Création augmente de 37 millions d’euros pour soutenir les dépenses d’investissement, les réseaux artistiques dans les territoires et le FONPEPS, porté de 17 à 22 millions d’euros.

Dans le plan de relance, 168 millions d’euros en crédits de paiement sont ouverts pour la création ; 82 millions, soit 60 % du total, visent à venir en aide aux opérateurs publics. Une nouvelle fois, les crédits de soutien à la culture vont de façon prépondérante aux grands établissements parisiens. C’est évidemment essentiel en ce moment, mais ils sont très peu, ou pas du tout, financés par leurs collectivités territoriales alors que l’inverse est la règle partout ailleurs. En particulier, une participation, même faible, de la Ville de Paris et de la région Île‑de-France aux crédits nécessaires pour couvrir l’Opéra de Paris en difficulté ne serait-elle pas nécessaire ? Toujours pour relancer la création, 53 millions d’euros aideront les structures du spectacle vivant labellisé ou privé, 10 millions d’euros seront alloués à la transition écologique et 33 millions permettront d’engager un plan de commande publique et de mesures d’urgence pour les artistes.

Les crédits du programme 361 augmentent de 8 %, ce qui traduit la priorité donnée à la transmission des savoirs et la démocratisation culturelle. La nouvelle délégation qui sera chargée de le gérer aura une attention particulière pour les territoires ; je m’en félicite.

On note que 20 millions d’euros supplémentaires sont alloués au Pass culture ; sa généralisation est-elle actée ? Des campagnes de communication sont-elles prévues pour faire mieux connaître ce dispositif ?

Concernant l’enseignement supérieur culturel, les engagements pris lors de la réforme des écoles d’architecture selon lesquels leurs capacités de recherche seraient augmentées n’ont été tenus ni par le ministère chargé de la recherche ni par le ministère de la culture. Cinq postes seulement sont ouverts dans la mission Culture au lieu des quinze prévus chaque année ; ne pourrions-nous ouvrir dix postes supplémentaires au programme 224 pour les écoles d’architecture ?

Enfin, les festivals, qui jouent un rôle structurant pour les territoires, sont pour certains l’objet de tentatives de rachat. Je sais que la commission des Affaires culturelles est attentive au risque de concentration : comme dans d’autres secteurs économiques, il met en jeu notre souveraineté. Ne faut-il pas concevoir des instruments financiers ou réglementaires propres à contrer ce risque ?

M. Raphaël Gérard. La période de confinement due à la pandémie a rendu visible ce que nous savions : la culture est essentielle pour affronter l’épreuve de la solitude et du repli sur soi. Nos concitoyens y ont vu un refuge, une fenêtre sur le monde, l’écrin de toutes les pratiques qui, comme l’écrivait Andrée Chedid, ont « ancré l’espérance aux racines de la vie ». Mais voilà : le secteur culturel est menacé d’effacement par un coronavirus qui décourage toute forme de rassemblement et de sociabilité. Dans ce contexte, le budget que nous examinons conditionne la survie de pans entiers de notre vie culturelle, tout en confirmant les priorités dégagées depuis le début du quinquennat.

Je salue l’augmentation sensible du budget alloué à la conservation et à la restauration des monuments historiques, en hausse de 4,22 % pour 2021. C’est la marque de l’engagement constant du Gouvernement en faveur du patrimoine historique. Les porteurs de projet souhaitent avoir une vision claire du niveau des crédits disponibles pour pouvoir engager des travaux qui s’étalent le plus souvent sur plusieurs années. Cet investissement massif permettra de soutenir, partout, l’activité de petites et de très petites entreprises et de sauvegarder des savoir-faire indispensables à la préservation de notre bien commun.

Je salue la montée en puissance du fonds incitatif et partenarial en faveur des monuments historiques des petites communes (FIP). Ces 5 millions de crédits de paiement supplémentaires témoignent de l’attention particulière portée à la ruralité. Ils tendent à pallier la difficulté qu’éprouvent les porteurs de projets à boucler le tour de table financier. J’appelle votre attention, madame la ministre, sur le besoin patent d’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Il ressort de la mission flash que ma collègue Emmanuelle Anthoine et moi-même avons conduite que de nombreuses petites communes ne disposent pas de l’ingénierie nécessaire pour constituer les dossiers de demande d’autorisation de travaux ou suivre leur réalisation. Aussi, pour prévenir la sous-consommation de crédits qui entraîne le report ou l’annulation de certaines opérations, conviendrait-il de développer à titre expérimental des conventions d’assistance à maîtrise d’ouvrage gracieuse.

Je me félicite du renforcement du budget consacré au plan « sécurité » des cathédrales. Cet effort montre que Gouvernement tient compte des besoins d’entretien de plusieurs édifices emblématiques, la cathédrale de Chartres par exemple.

Pour en finir avec le programme Patrimoines, je souligne la hausse de près de 10 millions d’euros en autorisations d’engagement du soutien au patrimoine des musées de France, très éprouvés par la crise sanitaire et dont beaucoup ont su réinventer avec succès leur politique de consultation numérique – j’en veux pour preuve les dix millions de visiteurs du site internet du musée du Louvre, soit autant que de visiteurs physiques en un an.

Je me félicite aussi du soutien accru à la création et la diffusion du spectacle vivant : près de 12 millions d’euros de mesures nouvelles au bénéfice de labels et de réseaux en région, en complément de mesures sectorielles exceptionnelles. Cet effort dit la volonté du Gouvernement d’assurer la survie d’une filière irremplaçable mais déjà fragilisée avant la crise. Je me réjouis aussi de la hausse de près de 18 % en crédits de paiement du budget alloué à la création, la production et la diffusion des arts visuels. C’est une excellente nouvelle pour les artisans et les métiers d’art, trop souvent oubliés et dont le chiffre d’affaires s’est effondré. La crise économique provoque un risque de pertes de compétences qu’il faut prévenir.

Enfin, l’amplification de la dynamique d’accès des jeunes à la culture se traduit par les 20 millions d’euros de crédits supplémentaires alloués au Pass culture, mais la forme actuelle de l’expérimentation nuit à la lisibilité du dispositif et à sa pleine utilisation.

Pour toutes les raisons dites, le groupe La République en marche votera en faveur de ce budget.

Mme Constance Le Grip. Le groupe Les Républicains prend acte de l’augmentation du budget du ministère de la culture pour 2021. Cependant, nous avons cru noter le transfert dans ce budget de 111 millions d’euros relatifs à la recherche culturelle qui figuraient précédemment dans la mission « Recherche » ; si tel est bien le cas, l’augmentation réelle serait « seulement » d’une centaine de millions d’euros.

Concerts, spectacles, théâtres, opéra, danse, cabarets, cinémas, festivals, visites de musées et de monuments, tournées internationales… la liste est longue, trop longue, des sacrifiés que la prolongation de la crise sanitaire met au défi de survivre. Comme vous, madame la ministre, nous avons regretté, au moment où s’abattait la première décision de couvre-feu, qu’un assouplissement horaire ne soit pas retenu pour les activités culturelles, et nous avons compris que l’arbitrage de Matignon n’avait pas été favorable à cette exception. Le pire se présente peut-être à nouveau au monde culturel, auquel je rends hommage. De très nombreux acteurs culturels ont montré d’innombrables ressources d’adaptation, se réinventant, faisant flèche de tout bois pour maintenir le lien avec leur public dans le strict respect des protocoles sanitaires, recourant davantage aux technologies numériques… La créativité et l’esprit de responsabilité sont bien là – mais c’est avant l’éventuel reconfinement. L’aide de l’État a évité que trop d’acteurs du monde culturel sombrent, mais les défis à relever sont considérables, et il nous faudra les accompagner très longtemps.

Je salue l’augmentation des crédits du programme Patrimoines mais je déplore le déséquilibre persistant entre les crédits consacrés aux grandes institutions de la région parisienne et ceux qui vont au patrimoine, classé ou non, appartenant aux collectivités locales ou à des propriétaires privés. Bien des familles politiques, lors des discussions budgétaires successives, ont présenté des amendements visant notamment à accompagner les propriétaires privés qui doivent faire face à la gestion d’un monument historique, mais ils n’ont malheureusement pas été retenus.

Enfin, pouvez-vous nous en dire davantage sur l’évolution possible du Pass culture et sur le plan de commande publique ?

Mme Sophie Mette. La crise sanitaire et économique a eu un impact colossal sur le secteur : le chiffre d’affaires du secteur culturel marchand baissera en 2020 de 25 % par rapport à 2019 et les opérateurs enregistrent une perte nette de 500 millions d’euros. Les effets de cette crise seront encore perceptibles l’année prochaine et bien au-delà. Le budget 2021 apporte une réponse à la hauteur de ces pertes alarmantes. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés constate que des moyens sans précédent visent à soutenir les priorités culturelles du plan de relance : 138 millions d’euros renforceront le budget de 2020 ; nous saluons cette augmentation de 4,5 %.

Pour le secteur de la création, les efforts fournis pour l’audiovisuel sont satisfaisants, bien qu’ils apparaissent majoritairement dans les concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ». Un soutien est également apporté aux lieux de production et des aides sont attribuées aux galeries, par le biais du Centre national des arts plastiques (CNAP), ainsi qu’aux éditeurs et aux producteurs audiovisuels. Cet effort participe de la politique d’aide aux artistes et aux entreprises de la création à laquelle nous tenons car elle favorise la diversité du champ des arts visuels ; elle répondra, nous l’espérons, aux craintes de ces professionnels.

Nous nous félicitons de la place faite au patrimoine. Des fonds d’une ampleur inédite sont mobilisés pour la restauration des monuments qui font notre histoire commune et pour favoriser les investissements essentiels des collectivités et des opérateurs. Des lieux emblématiques sont concernés ; il en va de la grandeur de la France et nous nous réjouissons de l’augmentation des crédits de paiement consacrés au château de Versailles et au Grand Palais. L’année 2021 marque aussi une étape pour l’établissement public chargé de la conservation de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui devra consolider l’emploi et la gestion de ses ressources ; voilà qui s’articule avec le « plan cathédrales ».

Des objectifs respectables sont fixés pour la démocratisation de l’accès à la culture. Mais si les fonds alloués aux actions 1 et 2 augmentent, les crédits destinés à la diffusion de la langue française restent stables, à 3,2 millions d’euros. Les députés démocrates rappellent l’importance du soutien à la francophonie ; partout, notre langue porte nos valeurs humanistes, dont l’actualité nous rappelle cruellement combien nous avons besoin. Nous regrettons que ces crédits ne soient pas rehaussés, tout en saluant les efforts incontestables destinés à la restauration du château de Villers-Cotterêts en vue de l’aménagement de la Cité internationale de la langue française.

Un mot du programme « Soutien aux politiques du ministère de la culture » et particulièrement de l’action 6 – « Action culturelle internationale ». Mon groupe voit l’Europe de la culture comme le socle de l’unité de l’Union européenne. Pour cette raison, et parce que nous sommes convaincus que la culture demeure un secteur clef de l’économie française et européenne, notre groupe défendra aux côtés de l’eurodéputée Laurence Farreng le principe d’une relance culturelle pour l’Europe.

Pour finir, je souligne les efforts sans précédent réalisés dans le cadre du plan de relance, dont les crédits supplémentaires permettront de relancer le secteur du patrimoine, de donner un nouvel élan à notre modèle artistique et soutiendront comme il est nécessaire l’emploi artistique mis à mal par la persistance de la crise sanitaire.

Je salue ce budget juste et cohérent avec les objectifs du Gouvernement. Notre groupe votera ces crédits.

Mme Michèle Victory. Les quelque 80 000 entreprises et 635 000 emplois à titre principal du monde de la culture sont en grande souffrance. Déjà sonné par la première vague de la pandémie, le secteur était, avec le couvre-feu, au bord de la noyade. Pourtant, assumant ses responsabilités, il n’a été source d’aucune contamination, et il se bat pour soutenir ses filières, ses artistes, ses salariés, ses indépendants et ses intermittents, cette chaîne de métiers complexe et riche. Vous avez reconnu l’importance majeure de ce secteur en augmentant le budget et l’ensemble de ses programmes de 4,6 %. Avec le plan de relance, les mesures transversales et vos annonces récentes de soutien au spectacle vivant et au cinéma, l’attention que vous portez au monde de la culture est très significative ; elle était attendue.

Cependant, au regard de l’ampleur des pertes subies, nous redoutons que les augmentations prévues ne suffisent pas. Avec une perte de 22 milliards d’euros et une chute de chiffre d’affaires de 84 % pour le spectacle vivant – secteur qui compte à lui seul 218 000 emplois –, de 31 % pour les arts visuels et de 36 % pour le patrimoine, c’est d’une double stratégie que nous avons besoin : un plan de soutien et la consolidation des budgets.

Dans ce contexte, l’année blanche des intermittents sera-t-elle prolongée après août 2021 ? Certes, son financement ne concerne pas votre budget, madame la ministre, mais c’est à vous que revient, je l’espère, la délicate mission d’en préciser les contours.

D’autre part, au programme 131, il faut trouver un équilibre entre le soutien apporté aux grandes structures et opérateurs de l’État et les aides aux régions. Le rapport des dépenses du ministère dans ce domaine est de 139 euros dépensés par Francilien et de 15 euros pour les habitants des autres régions. Les grandes institutions qui mobilisent l’essentiel des moyens du budget de la culture jouent un rôle de médiation primordial, mais ces missions ne devraient pas peser sur les efforts en faveur des collectivités. Or, 126 millions d’euros sont fléchés vers ces opérateurs nationaux, au regard desquels les 3 millions de dotations qui vont à la création des quartiers culturels et créatifs, et les 40 millions sur deux ans alloués au fonds incitatif et partenarial en faveur des monuments historiques des petites communes ne nous paraissent pas suffisants.

Un soutien plus affirmé à l’emploi artistique pérenne serait nécessaire. Il s’agit autant de moyens supplémentaires que d’éligibilité et de restructuration du tissu d’emploi, et les 5 millions d’euros supplémentaires alloués risquent fort de ne pas suffire à sauver les milliers d’emplois menacés. Nous soutenons également la création d’un fonds équivalent pour les arts visuels ; ce secteur, qui ne bénéficie pas du FONPEPS, souffre depuis plusieurs années d’une sous-dotation chronique.

Et encore : il faut redéfinir les règles de financement de la commande publique pour rendre la politique du 1 % artistique plus efficiente. Dans leur grande majorité, les artistes auteurs vivent dans une précarité injustifiable. La création d’un centre national est évidemment attendue et il est urgent de remettre à plat l’économie d’un secteur où coexistent des situations complexes. Les dispositifs sociaux et fiscaux actuels, adossés au système économique de diffusion, négligent trop souvent le processus de création.

Une action affirmée doit être conduite en faveur des écoles d’art territoriales, qui n’ont toujours pas eu un début de réponse des ministères impliqués ; elles sont mentionnées dans le bleu budgétaire mais ne font l’objet d’aucune annonce et le traitement réservé aux professeurs de ces écoles est particulièrement discutable. D’autre part, qu’en est-il de la réforme des conservatoires ?

Enfin, nous soutenons la poursuite des politiques de démocratisation de la culture par le biais de l’éducation artistique et culturelle en dépit de ses insuffisances et de son effectivité relative. Il est bon de faire entrer l’art à l’école, de faire se rencontrer une œuvre, un artiste et un élève, mais à condition que nous ne nous contentions pas d’une seule rencontre et que nous sachions donner à nos jeunes les outils de cette transmission. À cet égard, nous regrettons la dépense de 59 millions d’euros affectée au Pass culture, dont plusieurs enquêtes montrent qu’il n’est utilisé que marginalement par les publics des milieux sociaux professionnels défavorisés – je pense aux élèves de lycées professionnels et aux apprentis. Nous aimerions, madame la ministre, que vous plaidiez en faveur d’une autre vision du temps scolaire, avec une éducation artistique effective, intégrant les apprentissages fondamentaux, pour parvenir à corriger significativement les inégalités d’accès à la culture.

Eu égard à votre soutien sans faille à la culture, nous ne voterons évidemment pas contre ce budget.

M. Pierre-Yves Bournazel. Le secteur de la culture a été le premier touché par les conséquences de la pandémie et la reprise normale de l’activité à l’été 2021 demeure incertaine. La crise a conduit chacun à mesurer que la culture est une nécessité vitale. Elle donne un sens à nos vies et joue un rôle plus décisif que jamais à l’heure où l’obscurantisme et la barbarie frappent la République en son cœur en prenant pour cible un professeur qui enseignait la liberté de pensée et d’expression. Dans une période de crise économique menaçant la survie de nombreuses activités, l’enjeu est véritablement de protéger et de refonder notre modèle d’exception culturelle. Je me réjouis que le Gouvernement ait pris des mesures en ce sens, mesures sans précédent et sans équivalent dans le monde.

Une action concertée a été décidée pour répondre à l’urgence en faveur de celles et ceux qui créent, produisent, jouent et qui pour certains sont menacés de disparaître
– intermittents, artistes, auteurs, TPE et PME, festivals, théâtres, musées, cabarets, salles de spectacles et cinémas. La décision de garantir une année blanche pour tous les intermittents a été un choix particulièrement fort ; l’activité partielle, la création du fonds de solidarité, les exonérations de charges pour les entreprises culturelles et les prêts garantis par l’État sont des aides transversales essentielles.

Le Gouvernement a aussi manifesté sa volonté de placer la culture au cœur de la relance en lui allouant 2 milliards d’euros des crédits affectés au plan France relance, qui s’ajouteront aux crédits nouveaux du ministère de la culture en 2021. Les moyens de la mission « Culture » augmenteront de 138 millions d’euros pour atteindre un total supérieur à 3,2 milliards en crédits de paiement. Cet effort budgétaire particulièrement sensible démontre l’ambition structurelle de votre ministère : mettre la culture au cœur du projet du Gouvernement. Nous nous réjouissons enfin des 115 millions d’euros nouvellement débloqués pour soutenir les filières du spectacle vivant et du cinéma.

Le groupe Agir ensemble mesure votre engagement aux côtés des acteurs culturels. Les chantiers de la culture sont nombreux, complexes et d’une importance capitale pour l’avenir de notre pays. Nous vous faisons confiance, madame la ministre, pour relever les défis à venir et nous vous y aiderons. Nous voterons ces crédits et nous comptons sur vous pour défendre haut et fort la culture en France.

Mme Béatrice Descamps. Alors que les acteurs et les lieux culturels sont en très grande difficulté financière, l’importance de la mission « Culture » est plus grande que jamais. Je rends hommage à toutes celles et ceux qui, des scènes nationales aux petites associations, mettent tout en œuvre pour continuer de faire vivre la culture. Au nom du groupe UDI et Indépendants, je salue la hausse des crédits et le soutien important du plan de relance au secteur, et les mesures décidées dans les départements concernés, comme le mien, par le couvre-feu. Il importe de maintenir notre exception culturelle et de soutenir un secteur pourvoyeur d’emplois et facteur de dynamisme pour nos territoires. À cet égard, l’important soutien du plan de relance au patrimoine est une bonne chose, comme la volonté de soutenir la programmation des institutions de spectacle en région – le groupe UDI et Indépendants a souvent demandé que l’offre culturelle ne se concentre pas à Paris. Il est important que l’égalité d’accès à la culture se retrouve dans le plan de relance.

Même si le Pass culture ne permet que des achats numériques limités, ne peut-on envisager de modifier ce dispositif pour inciter davantage les jeunes gens à lire, à aller au musée, au concert, au théâtre ? Le Pass peut être un moyen très efficace d’aider les salles de spectacle et autres lieux culturels à se relancer ; qu’en pensez-vous ? Dans la même veine, on estime que la fréquentation des lieux de culture par les écoliers restera en baisse en 2021. On comprend l’enjeu sanitaire, mais l’école est le seul lieu d’accès à la culture pour de nombreux élèves. Je soutiendrai donc un amendement visant à aider les écoles à revenir vers les lieux de culture ou à accueillir plus d’artistes, qui pourront ainsi poursuivre leur mission.

Je défendrai un autre amendement relatif au financement de la recherche culturelle. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche a été une première étape, et nous nous sommes réjouis de l’adoption de deux amendements sur l’orientation des budgets vers la recherche artistique ; nous espérons avoir votre soutien, madame la ministre.

Fin septembre 2020, la Cour des comptes a rendu un rapport sur la situation de l’établissement public de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ; pourriez-vous nous éclairer sur la subvention attribuée par l’État au regard de l’article 9 de la loi du 29 juillet 2019 ? Le plan de relance alloue d’importants moyens au CNM ; quelle sera la nature de ses interventions ? De nombreux acteurs s’inquiètent de leurs pertes de billetterie ; le CNM a-t-il vocation à compenser ce type de pertes ?

Notre groupe salue les augmentations prévues dans le projet de budget et les ambitions du plan de relance. Nous abordons donc la discussion favorablement mais serons attentifs à vos réponses aux demandes d’éclaircissements que je viens de formuler.

M. Michel Larive. Le budget de la culture connaît une augmentation certaine, mais j’émets de sérieuses réserves sur ses orientations politiques. En premier lieu, bien que le constat de son inefficacité soit assez largement partagé, le Gouvernement hausse les crédits du Pass culture, présenté comme un moyen permettant aux jeunes gens d’avoir accès à toute l’offre culturelle existante et de découvrir de nouvelles activités culturelles, alors qu’il s’agit en réalité de donner un chèque de 500 euros aux jeunes âgés de 18 ans.

La médiation culturelle ne peut se réduire à un catalogue d’activités ou de produits culturels ; un accompagnement est nécessaire au risque, sinon, que s’amplifient les pratiques culturelles dominantes existantes, au détriment d’une nécessaire diversification. Pour l’heure, votre Pass profite essentiellement aux entreprises qui véhiculent le modèle d’une consommation de masse et participent à la marchandisation de la culture. Alors que tant d’artistes et d’auteurs sont en difficulté, sans parler des nombreux lieux de culture menacés de disparition, c’est un énorme gâchis. Vous semblez vous limiter à une approche consumériste de la culture quand nous aurions besoin de nouveaux outils pour soutenir la création et la diffusion culturelles, repeupler les déserts culturels et, surtout, ouvrir de nouveaux horizons à nos jeunes et aux catégories de la population qui en ont le plus besoin. Pour venir en aide aux professionnels du secteur culturel touchés de plein fouet, il aurait fallu supprimer le Pass culture ; j’avais déjà sollicité votre prédécesseur à ce sujet. Vous avez annoncé en juillet dernier qu’un bilan du dispositif était nécessaire avant de le généraliser. Cela semble en effet indispensable tant l’échec est patent ; je souhaite que vous précisiez votre propos à ce sujet.

D’autre part, votre volonté d’instaurer pléthore de labels ancre un peu plus votre vision mercantile de la culture : d’un côté les labels publicitaires, d’un autre côté le label derrière lequel se dissimulent des opérations marketing. Sous couvert de valoriser et de soutenir le dynamisme culturel des territoires fortement frappés par la crise sanitaire, vous favorisez la compétition des collectivités entre elles.

Enfin, après des années de baisse, les crédits alloués à l’archéologie préventive augmentent enfin, mais vous prévoyez que 6 à 8 % seulement des dossiers d’aménagement devront faire l’objet d’un diagnostic et que le nombre de fouilles ne devra plus concerner que 1,5 à 2 % des dossiers. Pourtant, en 2016, en dépit d’un budget nettement plus contraint, 10,5 % des dossiers avaient fait l’objet d’un diagnostic et 2,4 % environ de fouilles préventives. Les objectifs sont donc revus à la baisse et les emplois sous plafond stagnent sans revalorisation. Vous savez pourtant le manque de reconnaissance dont souffre la profession. L’écart est significatif entre le niveau de formation d’une majorité d’archéologues et leur rémunération. L’enquête publiée en mars dernier dans la revue Les Nouvelles de l’archéologie dresse un tableau inquiétant, soulignant qu’une grande partie de la profession vit dans la précarité – que vous prolongez.

Compte tenu de ces éléments, et sans inflexion budgétaire lors de la discussion des amendements, le groupe La France insoumise votera contre les crédits de cette mission.

Mme Elsa Faucillon. Nous sommes toutes et tous conscients que le secteur culturel est au bord du précipice et qu’il sera l’un de ceux qui mettront le plus de temps à se relever. Lors de l’annonce du couvre-feu, les demandes de dérogation pour la fréquentation des théâtres et des cinémas se sont multipliées mais vous les avez refusées. Il est on ne peut plus étrange de constater, quand on emprunte la ligne 13 du métro parisien à 22 heures, que les gens ont le droit de rentrer du boulot mais pas celui de s’arrêter, sur la même ligne, au musée d’Orsay, au Pathé-Wepler, au Cinéma des cinéastes ou au Théâtre 71 !

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne mésestime pas l’effort fourni dans le cadre du plan de relance et du budget 2021 de la culture, mais ces crédits ne tiennent pas suffisamment compte de l’ampleur des difficultés menaçant l’écosystème de la culture alors que la crise se prolonge. Pourtant, madame la ministre, vous pensez certainement comme nous que le partage et la transmission des savoirs sont indispensables à l’émancipation des individus, qu’une actualité malheureuse nous invite à déployer complétement.

Une petite musique déplaisante court, laissant à penser que la culture se relèverait d’elle-même une fois que la vie économique aura repris son cours dit normal. Je ne crois pas à cette théorie. La culture doit toujours être envisagée comme un vecteur et non comme une marchandise semblable aux autres. Nous nous inquiétons de l’efficacité des efforts consentis au regard de l’ampleur du désastre, d’autant que la lisibilité et l’articulation des aides, mêlant les mesures d’urgence, le volet Culture du plan de relance et le budget pour 2021 ne sont pas d’une parfaite limpidité, particulièrement dans le domaine de la création. Par exemple, sur quelle ligne seront financées les commandes publiques exceptionnelles annoncées par le Président de la République ?

Nous nous interrogeons aussi sur la pertinence du Pass culture qui occupe encore une place centrale dans ce budget. On ne mesure toujours pas l’impact réel de ce dispositif, mais il est avéré qu’il sert pour partie à financer des services qui sont déjà plébiscités et qu’il est parfois détourné pour acheter et revendre, toutes choses que nous avions anticipées lors de sa création et sur lesquelles nous avions alerté. Les 20 millions d’euros supplémentaires qui lui sont consacrés aggraveront-ils les défauts du Pass culture ou serviront-ils à une réorientation nécessaire ?

Le sort des bibliothèques est très préoccupant. Dans ma circonscription, leur place est centrale dans l’environnement éducatif des enfants et un travail formidable y est réalisé. Or, six mois après le déconfinement, on a du mal à faire revenir les familles et, dans certaines villes, les bibliothèques ne sont plus accessibles aux scolaires, ce qui complique d’autant le travail de médiation et d’encouragement à la lecture des enseignants. Quelle stratégie est déployée pour maintenir l’accès aux livres et l’accompagnement à la lecture ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Trois éléments nous réunissent. C’est d’abord le diagnostic partagé de la crise dramatique que traverse le secteur culturel. C’est aussi le consensus qui prévaut sur le rôle irremplaçable que joue la culture. C’est encore l’hommage rendu à la plasticité des acteurs culturels, au fait que toutes et tous se sont efforcés d’adapter leurs pratiques pour ne pas se comporter comme de simples assistés, attendant des aides absolument indispensables mais surmontant autant que faire se peut les difficultés. Tous, aussi, avec des regards différents, avez salué l’augmentation exceptionnelle des crédits de la culture. Longtemps parlementaire, je sais le jeu obligé des majorités et des oppositions pour soutenir ou ne pas soutenir un budget, mais enfin vous avez tous souligné la réalité d’une hausse inédite.

Je répondrai pour commencer aux rapporteurs, et mes explications et précisions répondront aussi à certaines questions posées par les orateurs des groupes. Qu’en est-il de la répartition des crédits entre les monuments historiques appartenant à l’État et ceux qui appartiennent à des collectivités territoriales ou à des personnes privées ? Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit d’allouer plus de 170 millions d’euros à des monuments n’appartenant pas à l’État, plus 5 millions en crédits de paiement, soit 55 % du montant total des crédits monuments historiques hors grands projets et 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés ; les crédits qui leur sont affectés dans le cadre du plan de relance sont de 40 millions d’euros. Mon expérience me fait dire que, contrairement à ce que l’on croit, ces crédits seront peut-être difficilement consommés. En effet, ils ne correspondent pas à l’ensemble de la dépense envisagée : ils ont un effet incitatif, mais la volonté des propriétaires, publics ou privés, d’engager ces opérations ne suit pas toujours.

La restauration du château de Villers-Cotterêts est une opération de grande envergure. Propriété de l’État classée au titre des monuments historiques et dont l’état de conservation est dramatique, la rapporteure pour avis l’a souligné, ce château a été confié au ministère de la culture en 2017 puis au Centre des monuments nationaux en mars 2018. L’estimation du coût de la restauration est passée à 185 millions d’euros. Le plan de financement prévoit 55 millions d’euros du ministère de la culture, 30 millions d’euros du programme d’investissement d’avenir, 100 millions d’euros du plan de relance dont 10,7 millions de crédits de paiement en 2021. Il faut restaurer un château royal de la Renaissance, monument historique de première importance. Son attrait retrouvé irriguera le sud de la région des Hauts-de-France, particulièrement défavorisé.

On sait combien un grand monument, au-delà de son aspect patrimonial, participe de l’animation d’une région. Les grands équipements culturels font la fierté de ceux qui vivent dans une région qui a souvent été abandonnée ; cet effet – la revalorisation d’un territoire – a été précisément décrit par des urbanistes et des architectes. Le projet de création de la Cité internationale de la langue française n’est pas encore tout à fait affiné mais il est extraordinaire. La restauration et l’aménagement du château prévus d’ici 2022 permettront de déployer le projet culturel et scientifique. La crise sanitaire a provoqué la suspension des fouilles ; elles ont repris. Ce retard, comme il est de coutume, a entraîné un surcoût, mais le plan de financement du projet est bouclé, si bien que la Cité de la francophonie fonctionnera.

L’effondrement du mécénat a été critiqué. Ce n’est pas, hélas, le seul projet dans lequel le mécénat est déficient, mais comment reprocher à des opérateurs privés de l’avoir considéré comme une variable d’ajustement alors qu’ils affrontent une crise économique dure ? C’est un fait : certains projets ont été engagés avec la perspective d’un mécénat possible et cette possibilité s’est asséchée.

Vous m’avez interrogée sur le nouveau plan de rénovation du Grand Palais. Ce monument emblématique immense – on ne le sait pas toujours, mais sa superficie est supérieure à celle de Versailles – exige, sauf à ce qu’il s’effondre, d’importants travaux de restauration, de mise aux normes et d’aménagement. J’ai décidé de réorienter le projet de restauration défini en 2016 en privilégiant une vision plus écologique et plus économique. Le projet dit du Nouveau Grand Palais consiste à rénover ce monument historique très dégradé et à y assurer la tenue des épreuves des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 prévues pour s’y dérouler. Il respecte strictement l’enveloppe financière initialement fixée de 466 millions d’euros, qui avait dérivé d’une centaine de millions. Le nouveau projet est plus sobre et plus sûr. Les terrassements visant à créer en sous-sol une très grande plateforme sont abandonnés ; les démolitions et les constructions sont limitées, les éléments d’origine et les aménagements les plus structurants, notamment ceux qu’avait réalisés Pierre Vivien sous l’égide d’André Malraux, sont conservés. La restauration, non prévue au départ, des façades et de la statuaire est intégrée dans le budget imparti : ceux d’entre vous qui sont allés se promener au droit du Grand Palais auront remarqué que des filets empêchent les éléments architecturaux de leur tomber sur la tête…

Le projet révisé tient compte du nouveau contexte sanitaire et le projet artistique et culturel devra traduire la nouvelle ambition. Je tiens à votre disposition le dossier des cabinets d’architectes qui interviendront. Le plan de financement, inchangé, se décompose comme il suit : crédits budgétaires de 123 millions d’euros ; subvention du programme d’investissements d’avenir de 160 millions d’euros ; emprunt bancaire souscrit par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) de 150 millions d’euros remboursables en vingt-cinq ans de janvier 2025 à 2049 ; mécénat Chanel à hauteur de 25 millions d’euros ; partenariats et ressources propres d’Universcience pour 8 millions d’euros. Sur la durée du projet, le programme 175 Patrimoines apportera 97 millions d’euros, un effort très significatif. Les 466 millions d’euros prévus comprenant une réserve de précaution de 30 millions d’euros, on passera donc d’un projet qui, maintenu dans son état initial, aurait coûté quelque 560 millions, à une version nouvelle, véritablement plus économe, avec un coût de 436 millions.

J’en viens à l’équilibre entre spectacle vivant et arts visuels. La crise sanitaire a eu un impact dévastateur sur le spectacle vivant ; selon les conclusions de l’étude du ministère, il aura perdu 72 % de son chiffre d’affaires en 2020 ; c’est le secteur le plus gravement affecté, et il le sera davantage encore avec le couvre-feu. Le chiffre d’affaires du secteur des arts visuels a aussi chuté, mais de 31 %. L’impact économique n’est donc pas comparable ; comprenez que nous ayons privilégié le soutien au spectacle vivant. Pour autant, le Centre national des arts plastiques (CNAP) a instauré des mesures d’urgence, à hauteur de 2,47 millions d’euros, pour soutenir le marché de l’art très affecté par l’annulation de certaines foires : une commission exceptionnelle d’acquisition a permis l’achat de 83 œuvres : un fonds d’aide d’urgence aux artistes destiné à compenser les pertes de rémunération a permis de soutenir 822 artistes ; un secours exceptionnel de 445 aides a été accordé. Notre soutien aux arts visuels reste donc entier. Sa part dans le budget du programme Création a augmenté : il dépasse désormais 10 % même en neutralisant l’impact des crédits destinés au relogement du CNAP. D’autre part, les arts visuels auront toute leur place dans le plan de relance : ils pourront par exemple soumissionner au plan de commande publique, dans le cadre du plan régional d’investissement.

Le Pass culture a suscité de nombreuses questions, dont celle de M. Larive, qui m’a accusée d’avoir une vision mercantile de la culture. Le budget que je défends montre que l’État et la politique de l’État sont au cœur de ma vision de l’art et rien, ni dans mon histoire ni dans mes engagements politiques, ne vous permet de penser cela, monsieur Larive.

M. Michel Larive. Il ne s’agit pas de vous mais du Gouvernement que vous représentez.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Le Pass culture a pour objectif de favoriser le développement de l’autonomie culturelle des jeunes par la découverte de la diversité de l’offre culturelle de proximité. Un crédit de 500 euros avait été fixé pour permettre à chaque jeune fille et jeune homme âgés de 18 ans de réserver des biens et des services culturels référencés sur une application web et mobile géolocalisée, sous forme d’une expérimentation. Ayant analysé cette application, je puis dire qu’elle favorise l’accès à l’ensemble des offres culturelles, sans que tout cela soit une vision marchande. La gestion du dispositif est assurée par la Société du Pass culture, société par actions simplifiée créée entre l’État et la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations. Les crédits du Pass culture augmenteront de 20 millions d’euros en 2021 pour permettre son déploiement.

Nous réfléchissons à le généraliser en l’articulant au mieux avec les parcours d’éducation artistique pour les jeunes gens âgés de 16-17 ans. Je prendrai la décision sous peu et viendrai vous en parler. On peut envisager une généralisation à tous les jeunes, en fixant à 300 euros environ le montant alloué à chacun. L’expérimentation montre que les 500 euros ne sont pas utilisés à plein, et de loin. Le Pass culture a contribué à la relance du secteur culturel à la suite du confinement, avec une communication massive des opérateurs physiques auprès des jeunes gens inscrits. On note d’ailleurs une tendance à la hausse de la consommation, qui était de 124 euros en moyenne, et la barre des 100 000 inscrits a été franchie à la mi‑septembre.

J’étais assez réservée au départ à propos de ce dispositif, me demandant si ces crédits étaient consommés. Je vois qu’ils le sont de plus en plus, sans atteindre 500 euros ; que l’offre est très diversifiée ; qu’il y a une appétence pour le Pass culture. Au 20 octobre 2020, dans les départements d’expérimentation, le taux d’inscription est de 81 % et le taux d’utilisation de 71 % – très loin des chiffres catastrophiques présentés au départ. Les catégories les plus consommées sont les livres, la musique et l’audiovisuel, des biens physiques en grande majorité, des biens numériques et des événements.

Quelques mots sur la répartition géographique des dépenses. La notion de « grands établissements situés en région parisienne » me laisse quelque peu réservée : ils sont situés en en France ! Certes, l’Opéra de Paris et le musée du Louvre sont à Paris, le château de Versailles là où l’on sait, mais je ne vois pas un élément déstructurant des politiques culturelles dans le fait que ces grands monuments, qui attirent un public international, soient à Paris ou alentours – tout au contraire.

En 2019, les crédits de la mission « Culture » ont été répartis entre l’Île-de-France pour 58 % et le reste du territoire pour 42 %. Mais l’analyse des budgets des 69 opérateurs rattachés à cette mission montre que 80 % de leurs dépenses sont liées à Paris et à l’Île‑de‑France, le reste étant réparti entre les autres régions ; le déséquilibre des dépenses doit donc être nuancé. Le rayonnement international et le statut de ville capitale de Paris résultent de l’histoire de notre pays et de la politique d’implantation de ces établissements publics nationaux culturels, fortement amplifiée par les grands travaux conduits au début des années 1980.

D’autre part, l’estimation du coût des actions menées n’est pas toujours facile : ainsi des dépôts et des prêts d’œuvres des musées nationaux parisiens aux établissements territoriaux. Par exemple, le Louvre expose 35 000 œuvres à Paris et en confie le même nombre aux musées régionaux. Hors dépôts, le musée du Louvre a prêté 608 objets à d’autres institutions en France et collaboré à 21 expositions. Certains musées d’Île-de-France interviennent en région ou développent des partenariats en ingénierie culturelle avec les acteurs locaux. Le musée des Arts décoratifs a ainsi implanté un deuxième site de l’École Camondo à Toulon en 2019 ; l’Établissement du parc de la Grande Halle de La Villette coordonne le déploiement du réseau de micro-folies sur l’ensemble du territoire ; la Philharmonie de Paris porte le projet de démocratisation culturelle Démos dans plusieurs régions de métropole et Outre-mer. La RMN-GP exploite de nombreux musées, dont le musée Chagall à Nice, le château de Pau et le musée Magnin à Dijon. Les grands opérateurs ont un rôle de tête de pont, d’animateur de la politique culturelle dans l’ensemble du pays.

Madame Bazin-Malgras, maintenir, dans cette crise, de grands établissements publics tels que le château de Versailles, l’Opéra de Paris ou le Louvre la tête hors de l’eau, faire qu’ils puissent continuer à jouer leur rôle moteur, c’est évidemment participer à la relance. Sur le plan strictement budgétaire, ces crédits ne sont pas imputés su le PLF 2021 car ce sont des crédits exceptionnels visant à ce que ces établissements puissent poursuivre leur mission. Ce ne sont pas non plus des chèques en blanc, comme je l’ai dit à Alexandre Neef, directeur de l’Opéra de Paris. C’est aussi pourquoi j’ai confié à Georges-François Hirsch et à Christophe Tardieu une mission sur les perspectives et les modalités d’accompagnement et de soutien de l’Opéra national de Paris : l’Opéra n’est pas dans la situation catastrophique qu’on lui connaît uniquement en raison de la crise sanitaire ; il y a des torsions, des déficits dans sa gestion dont Alexander Neef a hérité. Je souhaite aussi que l’Opéra de Paris prenne mieux en compte son rôle de tête de pont de l’art lyrique dans les territoires. Des progrès sont nécessaires et j’accompagnerai les décisions stratégiques qui devront être prises.

L’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) pour les travaux sur les monuments historiques est une question de grande importance, monsieur Gérard. Une ordonnance de 2005 modifiant le code du patrimoine a rendu aux propriétaires la maîtrise d’ouvrage des travaux de restauration sur leurs biens classés ou inscrits. Le code prévoit toutefois que les services de l’État peuvent apporter une AMO à ces propriétaires, gratuitement lorsqu’ils ne disposent pas des moyens nécessaires à l’exercice de la maîtrise d’ouvrage, rémunérée dans les autres cas ; de nombreuses petites communes peuvent y prétendre. Néanmoins, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), chargées de la maîtrise d’ouvrage sur les monuments de l’État, notamment les cathédrales, et du contrôle scientifique et technique de tous les travaux effectués sur les monuments historiques de la région, ne peuvent répondre à toutes les demandes. Aussi, lorsque les propriétaires, notamment les petites communes, souhaitent recourir à une AMO publique ou privée payante, le coût de celle-ci peut être inclus dans le montant subventionnable par l’État des travaux de restauration de leurs monuments historiques. La création d’un fonds spécifique ne semble donc pas utile.

Non, madame Le Grip, le transfert de 111 millions d’euros n’est pas un tour de passe-passe budgétaire : c’est que l’ancien programme 186 est désormais intégré au nouveau programme 361 et que la lecture du projet de budget est parfois compliquée.

Le programme exceptionnel de commandes publiques visant à soutenir les artistes et les créateurs, doté de 30 millions d’euros dans le plan de relance, concernera toutes les disciplines, des arts visuels au spectacle vivant, la littérature, le cinéma, l’architecture, les métiers d’art. Il sera notamment consacré aux jeunes créateurs fragilisés. Ce programme, qui donnera lieu à quatre appels à projets nationaux échelonnés jusqu’au printemps 2022, sera évidemment l’occasion de définir une solide politique territoriale. Il combinera diverses modalités d’intervention publique complémentaires : commande, aide au projet, appel à projets. Il aura aussi vocation à créer échanges et partages avec les collectivités territoriales et avec certains acteurs privés – n’en soyez pas choqué, monsieur Larive, cela peut se produire et ce n’est pas un péché.

Vous êtes, madame Mette, attachée à la francophonie. Le plan d’action « Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme » a été lancé le 20 mars 2018 par le Président de la République ; la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts en constituera la pierre angulaire. Nous voulons promouvoir le français dans la diversité de ses expressions ; notre projet-phare est le Dictionnaire des francophones, numérique et collaboratif, de 500 000 termes. Issu d’un partenariat entre le ministère de la culture et un grand nombre d’acteurs institutionnels et réalisé par l’Institut international pour la francophonie de l’Université Lyon 3-Jean Moulin, ce dictionnaire prendra la forme d’une application que vous verrez dans les prochains jours.

Pour renforcer le sentiment d’appartenance à la francophonie de nos concitoyens, nous lançons également des pactes linguistiques. Le premier sera signé avant la fin de l’année entre le ministère, le conseil régional des Hauts-de-France, le département de l’Aisne et la communauté de communes de Retz-en-Valois. Le ministère soutient d’autre part des réalisations telles que le festival des Francophonies en Limousin, leur mise en réseau par la constitution des pôles de référence pour le spectacle vivant francophone que sont la Cité internationale des arts de Paris et la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon et, plus généralement, les initiatives locales. Il contribue aussi à la construction d’un espace numérique francophone des savoirs et de la connaissance.

Vous le savez, madame Victory, le coût de l’année blanche des intermittents du spectacle est de 949 millions d’euros. Au-delà de son aspect financier, la mesure vise la recherche des droits, volet sur lequel j’insiste et dont je rappelle les dispositions. Si la condition d’affiliation minimale de 507 heures travaillées n’est pas remplie au cours des douze derniers mois, les heures manquantes seront recherchées sur vingt-quatre mois. Le nombre d’heures d’intervention en établissement d’enseignement a été augmenté pour faciliter l’atteinte du seuil de 507 heures, la limite de 70 heures étant portée à 140 heures pour les artistes et techniciens âgés de moins de 50 ans, et de 120 heures à 170 heures pour ceux qui sont âgés de 50 ans et plus.

Le fonds d’urgence spécifique et temporaire de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle (FUSSAT) qui ne sont pas éligibles à ces dispositifs a été doté de 5 millions d’euros. Étant donné l’instauration du couvre-feu, il sera augmenté de 5 millions d’euros et j’ai déjà prévu un abondement de 7 millions d’euros pour 2021. Des aides sociales forfaitaires de 1 000 euros sont destinées aux professionnels qui se trouvaient en cours de constitution de droits au régime d’assurance chômage des intermittents, aux intermittents ayant épuisé leurs droits à l’allocation de fin de droit, aux artistes qui se produisent en majorité à l’étranger sous des contrats de travail locaux, aux intermittents dont les droits au régime d’assurance-chômage n’ont pas repris faute de contrat post-congé maternité, congé d’adoption ou arrêt-maladie pour affections de longue durée. On s’est aperçu qu’il y avait beaucoup de trous dans la raquette et j’ai voulu les combler peu à peu. Le dispositif sera effectif jusqu’au 31 août 2021. Nous apprécierons alors s’il convient de le maintenir et s’il le faut ce sera fait, car nous ne laisserons évidemment pas tomber les intermittents, qui sont d’une importance cruciale pour notre secteur culturel. En réalité, le régime des intermittents est une subvention du régime d’assurance-chômage à la politique culturelle française.

Il existe en France quarante-quatre écoles supérieures d’art. Les financements de l’État étant limités en moyenne à 11 % de leur budget et ayant dû financer des mesures d’urgence sur leurs fonds propres, elles sont fragilisées. Le plan de relance prévoit des financements. Il y a sept écoles nationales supérieures d’art en région et nous les aiderons, bien sûr.

Le ministère et les préfets ont la responsabilité de veiller à la bonne application du dispositif du 1 % artistique. Que la procédure ne soit pas respectée n’est pas le fait de l’État mais de certaines collectivités territoriales, des régions en particulier. L’introduction récente de ce dispositif dans le code de la commande publique en renforcera l’application. Je diffuserai prochainement une circulaire aux préfets les appelant à une attention particulière à ce sujet.

Mme Descamps m’a interrogée sur l’établissement public de restauration de Notre‑Dame de Paris. Une confusion est née à la suite d’une lettre d’observations de la Cour des comptes. La loi du 29 juillet 2019 précise que les fonds issus de la souscription nationale sont destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale et de son mobilier, ainsi qu’à la formation initiale et continue des professionnels pour ce chantier. J’ai répondu aux observations de la Cour des comptes que les opérations de maîtrise d’ouvrage, essentielles à la réalisation des travaux, ne peuvent être disjointes du fonctionnement d’un établissement dont c’est la mission statutaire. La bonne information des donateurs a été faite et le déroulement du chantier demande ces dépenses, c’est une évidence. De plus, l’affectation d’une partie marginale – 5 millions d’euros par an – de la souscription au financement de l’établissement public vous avait été clairement indiquée par mon prédécesseur. L’affaire est donc transparente ; ne cherchons pas de mauvais procès. Nous veillons, comme c’est notre rôle de tutelle, à l’équilibre des dépenses de fonctionnement et de personnel de l’établissement, opérateur de l’État, dans le cadre du projet de loi de finances. Nous suivons pour cela les effectifs et les équilibres financiers dans les documents budgétaires annexés à la loi de finances. Il sera rendu compte des subventions de l’État issues des produits des fonds de concours provenant de la souscription nationale. Enfin, le ministère de la culture prendra en charge le loyer des locaux de l’établissement public. Il n’y a donc pas de problème.

Enfin, en ce qui concerne le CNM, madame Descamps, oui celui-ci peut soutenir tous les acteurs de la musique et toutes les esthétiques musicales.

 

 

La séance est levée à dixneuf heures cinquante.

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