Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition de Mme Delphine Ernotte, présidente-directrice générale de France Télévisions sur son projet stratégique et l’exécution du contrat d’objectifs et de moyens de la société en 2019              2


Mercredi
28 octobre 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 12

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 28 octobre 2020

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La Commission auditionne Mme Delphine Ernotte, présidente-directrice générale de France Télévisions, sur son projet stratégique et l’exécution du contrat d’objectifs et de moyens de la société en 2019.

M. le président Bruno Studer. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Delphine Ernotte, présidente-directrice générale de France Télévisions, dont le mandat a été reconduit pour cinq ans – fait suffisamment rare pour le souligner – le 22 juillet dernier. Cette rencontre annuelle autour du bilan d’exécution du contrat d’objectifs et de moyens de l’entreprise en 2019 constitue également l’occasion d’échanger sur votre projet stratégique pour ce nouveau mandat, conformément à l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986.

L’introduction à ce projet stratégique commence par ces mots : « La crise sanitaire a tout changé ». De fait, les bouleversements générés par l’épidémie de la Covid-19 ont emporté des effets majeurs, négatifs mais aussi positifs, pour le service public de l’audiovisuel.

Pour France Télévisions, les effets négatifs concernent les recettes propres et la programmation des différentes antennes, avec les contraintes pesant sur les plateaux et les tournages. Cet impact négatif trouvera pour partie réponse dans les mesures exceptionnelles prévues dans la loi de finance rectificative et dans le plan de relance 2021/2022.

La crise sanitaire a aussi permis à l’entreprise de démontrer sa capacité à résister, à se réinventer et à accompagner l’ensemble de ses publics. France 4 illustre parfaitement ce rebond de l’audiovisuel public et la dynamique qui a permis de tisser de nouveaux liens avec les Français, à travers une déclinaison renouvelée de ses missions fondamentales : informer, éduquer, distraire.

Vous souhaitez faire de ce nouvel engagement le socle de votre projet pour l’avenir du groupe. Nous voudrions donc vous entendre sur les cinq priorités détaillées dans votre projet stratégique et sur les perspectives de l’entreprise à court et moyen termes.

La crise sanitaire a suspendu l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel. La ministre de la Culture a récemment confirmé l’abandon du projet de holding France Médias inclus dans ce projet de loi, mais a fixé une feuille de route et des objectifs communs et spécifiques à chaque entité de l’audiovisuel public, sur lesquels je souhaiterais vous entendre.

Pour ma part, j’avais défendu un amendement – largement adopté par la commission – engageant une plus forte régionalisation de France 3 via une inversion de sa logique de programmation, des décrochages nationaux devant à terme remplacer les décrochages régionaux. Je me réjouis de constater que le quatrième point de votre projet stratégique insiste sur la nécessité de faire de France 3 « un média décentralisé au service des territoires basé sur un nouveau paradigme de proximité ». Pourriez-vous, à cet égard, nous en dire davantage sur les offres 100 % régionales que vous prévoyez de déployer ?

Mme Delphine Ernotte, présidente-directrice générale de France Télévisions. C’est un plaisir de vous retrouver pour échanger sur l’actualité et les perspectives de France Télévisions. Le moment est particulier, d’abord parce que la crise sanitaire comporte des impacts majeurs sur notre offre et nous contraint à l’agilité, mais aussi parce que j’ai eu l’honneur d’être reconduite à la présidence de France Télévisions par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), ce qui permet d’inscrire sa transformation dans le temps long.

En préambule, je reviendrai sur les enseignements tirés de la crise sanitaire pour les programmes de la télévision et pour sa transformation.

D’abord, la période de confinement a rappelé le rôle central et social de la télévision, qui n’a jamais été autant regardée. Cinquante millions de Français regardent chaque jour la télévision, qui demeure leur média préféré, malgré l’essor des plateformes et des offres de services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD).

Depuis le début du confinement, nous avons fait preuve de réactivité en bouleversant rapidement nos grilles pour accorder davantage de place à l’information, à la culture et aux programmes éducatifs. Le renforcement de notre utilité publique nous a véritablement guidés dans cette période difficile pour tous nos concitoyens. Cette mission est une véritable fierté pour nos salariés, qui ont démontré leur capacité de réaction rapide, dans des conditions difficiles, et que je tiens à remercier.

De cette période, je tire comme principal enseignement que la télévision publique doit continuer à développer sa singularité autour de trois axes : l’éducation, la culture et l’information, qui ont guidé le projet que j’ai présenté au CSA en juillet.

En début de confinement, nous avons été sensibles à la difficulté, pour de nombreuses familles, de suppléer le rôle de l’Éducation nationale dans un temps aussi court. Dès la fermeture des classes, en lien étroit avec le ministère de l’Éducation nationale, nous avons proposé des cours par niveau sur l’ensemble des matières scolaires. Ces cours Lumni ont été quotidiennement suivis par plus d’un million d’enfants. Nous sommes devenus, en quelques semaines, la première salle de classe de France et une planche de salut pour certains parents. Nous en avons tiré comme enseignement que le service public était attendu pour proposer davantage de programmes à forte portée éducative. Face à l’appétit grandissant des plateformes pour le public enfantin, nous devons offrir cet îlot de confiance et de qualité, éducatif et divertissant, aux parents et aux enfants. La chaîne France 4, dont le Gouvernement a souhaité le maintien pour un an supplémentaire, a tiré les leçons de cette crise en remaniant totalement sa grille de rentrée pour accorder davantage de place aux programmes éducatifs, à l’aide aux devoirs, aux dessins animés en anglais. Nous avons parallèlement continué d’enrichir la plateforme numérique Okoo, dont le nombre d’adeptes progresse de jour en jour.

Le rôle du service public dans l’instruction civique – auquel vous êtes tous attachés – suscite plusieurs questions, que le triste attentat de Conflans-Sainte-Honorine vient malheureusement rappeler. De nombreux professeurs s’interrogent sur la manière d’enseigner la laïcité et la liberté d’expression en classe, de lutter contre toutes les formes de fanatisme, d’éduquer à l’image, de prévenir les théories du complot et de se prémunir contre les excès des réseaux sociaux. Au-delà d’une large offre documentaire et de fiction, France Télévisions souhaite soutenir les professeurs dans la salle de classe pour donner du matériel pédagogique et aider à l’enseignement de ces matières. C’est le rôle de la plateforme Lumni, qui regroupe les contenus éducatifs de l’audiovisuel public et qui donne accès à des outils pédagogiques de grande qualité sur la laïcité, la liberté d’expression et l’éducation à l’image. La plateforme a connu un regain de notoriété extrêmement fort après le confinement, alors qu’elle n’avait été relancée que quelques mois plus tôt. Ce travail doit donc être poursuivi et amplifié.

Notre rôle est aussi de nous rendre disponibles pour aller dans les salles de classe et expliquer le métier de journaliste. Nous avons donc créé, en nous appuyant sur notre forte implantation territoriale, une réserve citoyenne de journalistes volontaires pour expliquer leur métier et contribuer à l’éducation à la liberté d’expression et au décodage des images. Ce rôle fondamental de passeur se poursuivra.

Le second enseignement de ce propos liminaire porte sur notre participation accrue à la démocratisation de la culture. En Europe, les industries culturelles sont le deuxième secteur le plus touché par la crise. Tous les maillons de la chaîne sont impactés. Dans ce contexte, France Télévisions a deux rôles à jouer. D’abord, nous devons nous tenir aux côtés de nos partenaires et assumer un rôle contracyclique, puisque nous assumons plus de la moitié de l’investissement en création. C’est la raison pour laquelle nous avons, au cœur de la crise, avancé les délais de paiement, soutenu la trésorerie de nos partenaires et augmenté les investissements en création à hauteur de 500 millions d’euros par an.

Notre second rôle est d’ordre citoyen, puisqu’il est aujourd’hui plus difficile, dans un contexte morose pour l’industrie culturelle, d’accéder à la culture. Face à cette actualité desséchante et suffocante, la culture et la création constituent nos meilleures armes pour outiller nos imaginaires et résister à cette tension générée par la crise sanitaire. Nous avons ainsi exposé le cinéma en début d’après-midi durant le confinement et l’exposons aujourd’hui au moins une fois par jour sur l’une de nos antennes, grâce à la levée des jours interdits, ce qui permet de proposer un divertissement fort de sens et d’exposer la culture à nos concitoyens. Nous avons par ailleurs institué un nouveau programme culturel pour soutenir les artistes et la culture, diffusé en deuxième partie de soirée sur France 2. Nous avons aussi annoncé la poursuite de notre soutien au spectacle vivant en lui dédiant une première partie de soirée sur France 5, sachant que je me suis engagée à maintenir une première partie de soirée dédiée au spectacle vivant à partir du mois de janvier.

Au-delà de cette exposition et de ces captations, nous souhaitons renouveler notre manière de capter et de présenter le spectacle vivant à la télévision pour renforcer son attractivité, son accessibilité et agir en faveur de la démocratisation de la culture, cette préoccupation étant partagée avec les directeurs de théâtre et d’opéra.

Le dernier enseignement de ce propos liminaire concerne la place prise par l’information durant ces derniers mois. 90 % des Français regardent la télévision pour s’informer. Ce succès est d’abord lié à l’engagement des équipes, et notamment des journalistes, qui continuent d’exercer leur métier dans des conditions parfois difficiles, à l’instar de notre journaliste Arnaud Miguet, qui s’est volontairement confiné à Wuhan en début d’année. Nous tenons à nouveau à remercier ces journalistes qui font notre fierté.

La place importante consacrée à l’information est illustrée par les formidables audiences des journaux télévisés de 13 heures et de 20 heures de France 2, mais aussi par les audiences croissantes de Franceinfo, première plateforme d’actualité en ligne. Trois facteurs expliquent cette situation. D’abord, la confiance accordée aux chaînes de télévision en général et au service public en particulier est supérieure à celle accordée aux médias en général. Cette confiance, qui est notre bien le plus précieux, doit être renforcée pour lutter contre les infox, qui ne sont pas prêtes de s’arrêter. L’innovation doit également être mise en avant, sachant que nous nous interrogeons continuellement sur la manière de tisser un lien conversationnel plus fort et plus intime avec nos publics. La rubrique On vous répond a ainsi été créée dans nos journaux d’information pour répondre en direct aux questions des téléspectateurs. Les messages de condoléances que nous proposions de poster en hommage au professeur assassiné ont également rencontré un franc succès. Enfin, notre réussite repose également sur la notion de proximité, exigence majeure de nos concitoyens. Cet impératif se traduit dans l’inversion du modèle de France 3, qui doit quitter son modèle national à décrochages régionaux et basculer vers un modèle régional à décrochages nationaux. Nous souhaitons changer ce modèle main dans la main avec Radio France, comme pour Franceinfo. Le service public n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est rassemblé. Je plaide donc ardemment pour que l’on puisse mettre sur pied cette offre numérique de proximité commune à l’audiovisuel public, afin de poser les jalons de médias globaux communs de territoire et de proximité.

Le deuxième chapitre de mon intervention concerne les transformations que nous devons engager à l’aune des enseignements précités. D’abord, nous devons travailler sur un nouvel imaginaire. S’il est vrai que la télévision n’a jamais été aussi présente, nous constatons parallèlement la croissance exponentielle des plateformes de SVOD. Du point de vue de la régulation, nous soutenons fortement les initiatives françaises de transposition des directives européennes consistant à rétablir une forme d’équité dans le paysage audiovisuel. Dans le même temps, nous devons créer un nouvel imaginaire qui soit la marque de fabrique du service public. C’est à ce titre que nous rehaussons la spécificité de nos fictions, telle la fiction Laëtitia, tirée d’un roman lui-même inspiré d’un tragique fait divers illustrant les problématiques de l’aide sociale à l’enfance. Par ailleurs, des fictions historiques arriveront prochainement sur les écrans pour mettre en avant les grands hommes et les grandes femmes de notre histoire : le général de Gaulle, Voltaire, Joséphine Baker. Plus largement, l’histoire européenne, les grandes œuvres littéraires, les bouleversements à l’œuvre dans notre société, les engagements des jeunes en faveur de l’environnement doivent être des sources d’inspiration pour la création du service public, d’autant que nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur un formidable vivier de créateurs et d’auteurs.

Pour mener à bien cette stratégie de différenciation et de lutte contre l’hégémonie des plateformes, nous devons nécessairement poursuivre des stratégies d’alliance, comme celle mise en œuvre avec la société indépendante Salto. Nous avons aussi bâti une alliance de coproduction avec les chaînes Radiotelevisione Italiana (RAI) et Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF) afin de créer une place de marché européenne pour les fictions et de nous renforcer mutuellement au sein de l’espace européen.

Le deuxième sujet de transformation tient à la nécessité d’assurer, à la télévision, une meilleure représentation de tous et de toutes. Le dernier rapport du CSA montre que beaucoup reste à entreprendre en matière de diversité. L’un des fils rouges de mon mandat sera donc de faire en sorte que chacun se reconnaisse à la télévision française. De réels progrès ont déjà été observés sur la représentation équilibrée des genres, puisque de plus en plus de femmes
– notamment des expertes – interviennent sur nos antennes. Il nous appartient donc de rompre avec l’invisibilité perçue par certains de nos concitoyens, avec la même vigueur et avec la même action positive que celles déployées pour valoriser la parité.

Pour nos compatriotes ultramarins, le pacte de visibilité des outre-mer constitue une véritable source d’inspiration, sachant que le suivi de nos engagements chiffrés constitue une manière très positive de rendre compte à la représentation nationale. Le nombre de premières parties de soirée dédiées aux outre-mer a été multiplié par trois, tandis que le référendum en Nouvelle-Calédonie a fait l’objet d’une diffusion en direct sur France Info. La semaine Cœur Outre-mer que nous traversons prévoit par ailleurs une édition du Grand Échiquier consacrée à la cantatrice martiniquaise Christiane Eda-Pierre, un épisode de Capitaine Marleau en Guadeloupe et une édition d’Échappées belles en Martinique.

Tous nos genres de programme doivent contribuer à cette meilleure visibilité de tous et de toutes. S’agissant du handicap, je rappellerai la très belle fiction sur l’autisme diffusée avant-hier sur France 2, qui a rencontré un large succès.

Au-delà de la représentation de tous et toutes, nous devons aussi réunir la population, notamment autour du sport, qui est par essence le programme réunissant tous les âges et tous les genres. Nous profiterons donc des droits acquis pour les Jeux olympiques de Paris 2024 pour déployer tous les sports, dans toutes les géographies, pour toutes les générations, et pour suivre les jeunes sportifs qui seront nos champions de demain.

Le troisième et dernier élément de transformation a trait à la contrainte financière dans laquelle nous œuvrons. Selon la trajectoire budgétaire décidée en 2018, la part de contribution à l’audiovisuel public (CAP) attribuée à France Télévisions doit diminuer de 160 millions d’euros en quatre ans. Nous avons déjà réalisé plus de la moitié de l’effort, alors même que les loyers et les salaires continuent d’augmenter. La marche 2021 sera particulièrement difficile à franchir, puisqu’elle représente 40 % de l’effort global, tandis que des coûts supplémentaires devront être assumés : couverture des Jeux olympiques de 2020 décalés à 2021, surcoûts liés à la Covid-19, maintien de France 4.

En dépit de ces exigences, nous nous efforçons de préserver au maximum nos antennes et la structure de France Télévisions prend une large part dans les économies puisqu’au terme du plan, ses effectifs auront diminué de 20 % entre 2012 et 2022, avec un gain de productivité conséquent. Je rappelle également que l’entreprise s’attache à tenir une rigueur budgétaire, ce qui permet de présenter chaque année des comptes équilibrés. 2020 sera nécessairement une année particulière, même si nous nous efforçons de réduire au minimum le déficit prévu pour cet exercice, que nous chiffrons aujourd’hui à un peu moins de 10 millions d’euros.

En conclusion, je rappellerai que j’ai présenté ma candidature à la présidence de l’Union européenne de radio-télévision (UER). Je suis en effet persuadée que la nouvelle frontière et l’alliance que nous devons instaurer s’articulent au niveau européen. Avec mes collègues, nous partageons la conviction que les services publics constituent, face aux fortes tensions entre médias globalisés et médias locaux, des points d’appui pour construire cette souveraineté et cette diversité culturelle qui fait la particularité de notre continent.

En tout état de cause, nous sommes tous engagés – y compris nos partenaires producteurs – pour continuer à faire grandir cette télévision publique et son utilité publique.

M. Pascal Bois. Notre groupe parlementaire vous félicite pour la réactivité et l’adaptabilité que vos équipes ont manifestées ces derniers mois. Les offres de France Télévisions étaient en totale adéquation avec la période de confinement, qui a très certainement favorisé la créativité.

Je souhaiterais d’abord vous entendre sur votre vision de l’audiovisuel au sens large, au-delà de 2022. Je serais également ravi de connaître votre avis sur le financement de l’audiovisuel, ainsi que votre regard sur la contribution à l’audiovisuel public. Mes collègues vous interrogeront, par ailleurs, sur votre nomination à la présidence de l’UER. Enfin, ne serait-il pas pertinent d’accroître la couverture du spectacle vivant, particulièrement auprès des jeunes adultes, et d’élargir sa diffusion de France 5 à d’autres antennes ?

M. Maxime Minot. Je salue à mon tour la mobilisation de France Télévisions en période de confinement, qui a su adapter ses offres télévisuelles ou numériques, notamment en réponse à la fermeture des écoles.

Le report d’un an de l’arrêt de France 4 est une décision pleine de bon sens, compte tenu de l’incertitude du contexte. Néanmoins, l’année 2021 s’annonce difficile pour France Télévisions en raison des aléas de la crise sanitaire et d’un effet ciseau attendu en recettes et en dépenses. Si la baisse de la dotation sur l’année a été réduite de 10 millions d’euros afin d’élargir les marges de manœuvre de la société à court terme, 2021 demeurera un exercice exigeant, avec une diminution des subventions de 60 millions d’euros. Cette baisse porte à 13,14 millions d’euros l’effort financier restant à réaliser en 2022. Du côté des dépenses, nous pouvons noter l’amortissement sur quatre ans de l’achat des droits des Jeux olympiques de Paris 2024, à compter de l’exercice 2021 mais aussi les coûts supplémentaires induits par les normes sanitaires et  un effort additionnel de 20 millions d’euros en faveur de la création.

Ainsi, les synergies entre les différentes entités de l’audiovisuel public – affichées comme une priorité par les pouvoirs publics – apparaissent plus que jamais essentielles. Dans ce sens, le partenariat établi entre France 3 et France Bleu au sujet des matinales semble très intéressant. Malgré les incertitudes pesant sur France Télévisions, quelles sont les autres pistes de mutualisation envisagées ? Est-ce un processus qui va s’accélérer ?

Mme Maud Petit. Vous avez déjà évoqué l’utilité de France Télévisions durant le confinement. Pourriez-vous toutefois envisager des axes de progression pour l’avenir ?

Vous avez aussi mentionné le pacte de visibilité des outre-mer. Pourriez-vous apporter quelques précisions à ce sujet ?

Enfin, alors que le Conseil consultatif des programmes (CCP) a travaillé sur le rôle de France Télévisions dans la formation au regard critique en famille, que pensez-vous du développement de programmes intergénérationnels via les outils numériques ? Cette proposition alignée sur les recommandations du Conseil permettrait, en rassemblant différentes générations, d’aider les jeunes à développer leurs connaissances tout en participant à la lutte contre l’illectronisme de leurs aînés.

Mme Sylvie Tolmont. Ces temps troublés et douloureux ont montré, s’il en était besoin, la nécessité d’un service public audiovisuel fort, vecteur de cohésion sociale, soutien actif en matière d’éducation, engagé dans la formation de l’esprit critique et la laïcité. À ce titre, je tiens à saluer la réactivité et l’efficacité dont les équipes de France Télévisions ont fait montre au moment où les Français avaient besoin de cette mobilisation exceptionnelle. Notre audiovisuel public n’est décidément pas la honte de notre République, ayant prouvé plus que jamais combien son devoir d’informer, d’éduquer et de divertir demeurait essentiel.

Au début du mois d’août, le Gouvernement annonçait le report de la fermeture de France 4 à 2021 afin de permettre la transition nécessaire à la montée en puissance des plateformes numériques Okoo et Lumni. Nous demeurons opposés à cette fermeture, parce qu’elle va à l’encontre des usages dominants des enfants. Nous saluons donc votre volonté de faire de France 4 la chaîne populaire de l’éducation et de la jeunesse, ainsi que votre conviction s’agissant de son nécessaire développement en numérique et en linéaire. Comment comptez-vous, dans ce contexte, atteindre cet objectif et démontrer que France 4 n’est pas une chaîne de confinement, contrairement à ce qu’affirme la ministre de la Culture ?

M. Pierre-Yves Bournazel. Je vous félicite pour votre reconduction à la tête de France Télévisions, et je salue le travail réalisé par vos équipes tout au long de la crise sanitaire. Nous avons besoin de la force de l’audiovisuel public.

En matière culturelle, il est essentiel de redonner du sens aux missions du service public télévisuel, de préserver sa singularité et de montrer qu’il est une chance pour la vie culturelle de notre pays. Je me réjouis que vous soyez pleinement engagée en la matière. Comment comptez-vous continuer à renforcer la création en proposant davantage de programmes originaux à visée culturelle et pédagogique ? Pouvez-vous détailler votre stratégie en la matière pour les cinq prochaines années ? Chacun doit comprendre que c’est ainsi que nous luttons contre les fausses informations, que nous développons l’esprit critique et que nous combattons les maux affectant notre société.

Pourriez-vous également revenir sur le financement de l’audiovisuel public ? Pour ma part, je considère que le contribuable a tout intérêt à continuer de payer une redevance afin de conserver cette singularité et de donner une véritable place à l’audiovisuel public.

Mme Muriel Ressiguier. Nous souscrivons aux priorités définies pour France Télévisions, mais elles semblent difficiles à réaliser dans le cadre budgétaire actuel. En effet, le budget de France Télévisions, qui diminue d’année en année, baissera à nouveau de 3,2 % en 2021. À cette baisse des dotations s’ajoute l’impact de la crise sanitaire, qui ne peut être évalué à ce stade. Parallèlement, le groupe poursuit ses objectifs de suppressions d’emplois. En 2020, les effectifs ont diminué de 215 équivalents temps plein (ETP), tandis que le plan de recomposition des effectifs supprimera 900 postes d’ici 2022, en tenant compte des recrutements et des départs prévus.

Cette dégradation du service public s’est accompagnée de la fermeture de France Ô le 23 août dernier. Cette décision est incompréhensible, notamment pour les Ultramarins. Hélas, ce n’est pas le pacte de visibilité qui permettra de remplacer cette chaîne.

La chaîne France 4, mensuellement regardée par 5 millions de téléspectateurs en 2019, bénéficie d’un sursis d’un an. Elle a démontré sa capacité à assurer pleinement sa mission d’intérêt général, notamment en période de confinement. Le basculement intégral de ses programmes sur des plateformes en ligne laisserait de côté les victimes de la fracture numérique.

Nous nous interrogeons également sur le sens du lancement de la plateforme Salto. Comment les missions de service public de France Télévisions peuvent-elles s’accommoder des intérêts particuliers des chaînes privées TF1 et M6, guidées par la course à l’audience et la rentabilité ?

Enfin, prévoyez-vous toujours la fermeture de France 4 ? Par ailleurs, disposez-vous encore des moyens de faire vivre et de développer la télévision publique en restant fidèle à ses valeurs et sa mission d’intérêt général ?

Mme Elsa Faucillon. Nous saluons le travail effectué par les agents du service public de l’audiovisuel, qu’ils ne manqueront pas de poursuivre sur les prochaines semaines. Pourtant, le plan de départs volontaires demeure d’actualité. Le plan de relance prévoit une enveloppe de 45 millions d’euros permettant de financer de nouveaux projets, mais pas les déficits. Eu égard à la nécessaire mobilisation du service public de l’audiovisuel dans les années à venir, et compte tenu de la crise sociale majeure que nous traversons, ne considérez‑vous pas que ce plan de départs volontaires devrait être repoussé ou abandonné ?

Des progrès ont été enregistrés en matière de parité. Ces progrès sont toutefois inférieurs à vos engagements. Quelles sont précisément les mesures que vous entendez adopter ? La représentation des expertes progresse en termes de nombre, mais leurs heures de passage doivent également être scrutées pour savoir si elles sont autant regardées que les hommes. Plus généralement, quelles mesures souhaitez-vous engager en matière de diversité, non seulement du côté de la fiction, mais aussi du côté des experts et des expertes ?

Mme Delphine Ernotte. Je reviendrai d’abord sur le financement et la contribution à l’audiovisuel public. Je remercie d’ailleurs le président de la commission de s’être soucié de cette question centrale pour l’audiovisuel public. C’est une condition de l’exercice serein de nos missions, mais aussi une condition d’indépendance, puisqu’une taxe affectée assure une forme d’indépendance qu’une budgétisation ne garantirait pas. Les débats relatifs à la transformation de cette contribution sont surtout d’ordre politique. Du point de vue audiovisuel, nous avons le sentiment que les services publics seront, en Europe, des points d’ancrage essentiels pour continuer à financer et exposer une création diverse, riche, qui fait travailler les auteurs, les producteurs et les comédiens de nos différentes géographies. Nous avons aussi le sentiment que l’audiovisuel public est garant d’une information de qualité, libre de toute pression. Bien entendu, ces deux valeurs ne seront durables que si nous bénéficions d’un financement pérenne et stable.

À plus court terme, nous faisons face à une attrition des ressources et à une hausse des coûts. La ministre de la Culture nous a toutefois entendus, puisqu’elle a demandé que l’audiovisuel public bénéficie également du plan de relance, à hauteur de 45 millions d’euros, ce qui permettra notamment de couvrir les investissements supplémentaires dans la création et la poursuite de France 4. L’exercice 2021 sera malgré tout complexe au plan budgétaire, même si je maintiens l’objectif de rigueur et de présentation d’un budget à l’équilibre. N’oublions pas que la crise sanitaire a eu pour effet de réduire les déplacements et de favoriser de nouvelles méthodes de travail, qui généreront aussi des économies structurelles.

L’accord de départs volontaires que nous avons signé avec 85 % des organisations syndicales fixe un cadre et une méthode pour la négociation sociale. Rompre avec ce plan reviendrait à mettre en difficulté des salariés qui comptent en tirer parti. Nous devons plutôt nous interroger sur la mise en œuvre et le rythme des transformations de France Télévisions, à l’aune des contraintes résultant de la crise sanitaire. Ayez à l’esprit que le numérique et les nouvelles technologies nous permettent de travailler de manière plus souple et plus légère et de produire davantage. De fait, plutôt que de remettre en question les accords sociaux, nous devons renforcer le dialogue social pour discuter notamment des nouvelles pratiques de télétravail.

S’agissant de France 4, je rappellerai que l’arrêt et le démarrage de nos chaînes ne relèvent pas de ma responsabilité. De manière pragmatique, je considère que nous devons profiter de ce sursis d’un an pour être utile à nos concitoyens, en renforçant le rôle éducatif de France 4. Dans le même temps, nous devons promouvoir nos offres numériques Okoo et Lumni par le biais de cette chaîne linéaire, puisqu’elles ne sont pas connues par la totalité de nos concitoyens. Nous utiliserons donc cette année supplémentaire pour être utile en linéaire et promouvoir nos offres numériques.

Pour ce qui est de France 3, je partage l’idée selon laquelle la vision ayant présidé à la création de la holding doit perdurer, malgré l’abandon du projet de loi sur l’audiovisuel. Nous devons parvenir à dupliquer le succès de Franceinfo sur ces offres régionales. Je considère ainsi que les contrats d’objectifs et de moyens – qui seront partiellement communs à l’ensemble de l’audiovisuel public – doivent accorder une place importante aux synergies attendues par les pouvoirs publics. Nous devons notamment réfléchir aux grands projets à mener en commun pour renforcer l’utilité globale des services publics en France, de sorte que nos concitoyens comprennent l’intérêt et l’utilité de payer une redevance. J’ai d’ailleurs proposé, en partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA), la création d’une structure sur le modèle des écoles 42 pour former des jeunes aux métiers de l’audiovisuel. Les initiatives de cette nature ne font que renforcer les liens d’amitié entre nos maisons et s’avèrent plus efficaces et plus soucieuses de la bonne utilisation des deniers publics.

Vous m’interrogiez sur notre capacité à créer des programmes multigénérationnels. Nous savons que l’usage de la télévision diffère de celui des autres écrans, qui est davantage individualisé. Nous nous efforçons de répondre à cette individualisation de l’offre en investissant notamment dans le développement d’œuvres de fiction et de documentaires spécifiquement destinés au jeune public. Dans le même temps, nous tâchons de développer des programmes réunissant la famille, comme le film de cinéma de patrimoine proposé chaque début d’après-midi en période de confinement. Ce double objectif ne s’exprime pas pareillement suivant que l’on se positionne sur le linéaire ou le numérique. Sur le linéaire, nous savons que les offres spécifiques pour jeunes adultes ne trouvent pas preneur. Nous devons surtout favoriser les divertissements, la musique, les jeux musicaux ou le grand spectacle cinématographique. Pour le numérique, la situation est tout autre. Nous devons donc marcher sur ces deux jambes pour favoriser l’intergénérationnel.

Notre politique en matière de culture doit tenir compte des multiples aspects de l’action culturelle, sachant qu’il est compliqué d’engager une politique unique en fonction de ces différents items. Pour le livre, nous disposons, avec La grande librairie, de la seule émission littéraire mondiale de première partie de soirée, qui a fait l’objet d’une déclinaison durant le confinement (La petite librairie) pour donner l’envie de lire aux téléspectateurs. En revanche, nous ignorons comment convaincre les publics jeunes ou éloignés du théâtre et du spectacle vivant d’en regarder à la télévision. Nous avons donc échangé avec les artistes pour tenter de développer cette appétence, sachant que l’on accède souvent au théâtre par le biais des comédiens de cinéma ou de télévision, qui jouent alors un rôle de passeur. Nous devons parallèlement renouveler la captation du théâtre et de l’opéra, de la même manière que la chaîne Canal + a renouvelé la captation du football à la télévision.

L’entreprise Salto est une société en propre qui ne reçoit aucun denier public. Il s’agit d’une filiale avec sa propre logique financière, qui deviendra rentable à long terme. Il est encore trop tôt pour communiquer sur ses résultats, mais je puis garantir que Salto ne bénéficie aucunement de la contribution à l’audiovisuel public.

Les progrès enregistrés en matière de mixité sont indéniables, puisque nous sommes passés de 25 à 50 % d’expertes depuis le début de l’année. Il est vrai que le nombre d’expertes a plongé depuis le confinement. Cela dit, les médias ne peuvent pas se substituer à la réalité. Avec seulement 18 % de femmes parmi les professeurs de médecine, nous pouvons difficilement donner la parole à 50 % de femmes professeurs de médecine sur les plateaux. Nous devons bien entendu assurer une égalité de traitement et de visibilité sur nos antennes, mais la baisse de visibilité des expertes durant le confinement ne doit aucunement être considérée comme un désengagement des médias. Peut-être faudrait-il d’abord travailler sur l’accession des femmes aux postes à responsabilité en médecine. Pour aller plus loin dans la mesure de la mixité de genre, nous souhaiterions compter les temps de parole des femmes et des hommes grâce aux capacités en intelligence artificielle de l’INA.

Concernant la diversité d’origine sociale, de couleur de peau ou de handicap, nous devons pareillement conduire une action positive, délibérée et affichée. L’exercice s’avère plus difficile que pour la diversité de genre, car nous ne pouvons pas compter les individus d’origine modeste ou de couleur comme nous pouvons compter le nombre de femmes. Néanmoins, nous pouvons conduire une action positive sur la représentation des experts, des journalistes et des comédiens de fiction. Combattre l’invisibilité implique aussi de s’emparer de sujets d’histoire peu investis jusqu’ici, comme ce fut récemment le cas avec notre documentaire Décolonisation. De même, notre fiction sur Gisèle Halimi et son combat pour la criminalisation du viol participe de ce projet de lutte contre l’invisibilité des violences commises contre les femmes. Ainsi, nos efforts sur la représentation des individus à l’antenne doivent s’accompagner d’œuvres documentaires et fictionnelles traitant de l’histoire ancienne ou récente de chacun et de chacune.

Je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier Céline Calvez pour son excellent rapport sur cette question de la mixité et de la diversité.

Mme Céline Calvez. Les responsabilités en matière de parité et de diversité sont partagées. Des progrès ont été observés, mais nous devons redoubler de vigilance en cette période de crise.

En décembre 2019, vous lanciez la plateforme Okoo destinée aux enfants. Vos investissements sur le numérique pour les enfants et la jeunesse s’opèrent également via les plateformes Lumni et Slash. Pourriez-vous donc communiquer les montants d’investissements engagés ces dernières années sur ces plateformes ? Quels sont les chiffres de fréquentation de la plateforme Okoo, qui semble avoir connu un large succès durant le confinement ? Ne sont‑ils pas supérieurs à ce que le contrat d’objectifs et de moyens pouvait vous inviter à entreprendre dans la conquête des jeunes publics ? À l’heure où le numérique questionne et façonne nos usages, quels sont vos prochains engagements en matière de programmes pour la jeunesse ? Comment renforcer les partenariats avec les autres entités de l’audiovisuel public ? Enfin, comment France 4 pourrait-elle faire connaître les offres numériques de l’ensemble de l’audiovisuel public ?

Mme Constance Le Grip. Vous avez conclu votre propos liminaire sur la question européenne, en évoquant notamment la transposition des directives européennes et les initiatives de coproduction avec la RAI et ZDF. Le 2 octobre, vous avez été élue présidente de l’Union européenne de radio-télévision, ce qui est une bonne nouvelle pour la télévision publique française, d’autant que c’est la première fois qu’une femme est élue à la tête de la plus grande alliance mondiale de services publics audiovisuels. Pouvez-vous donc nous parler de votre programme de travail relatif à la souveraineté culturelle et technologique européenne ?

Mme Géraldine Bannier. Je salue à mon tour le travail réalisé par les équipes de France Télévisions dans ce contexte difficile.

Le président de la République déclarait il y a quelques jours : « Samuel Paty aimait les livres, le savoir, plus que tout. Son appartement était une bibliothèque. Ses plus beaux cadeaux, des livres pour apprendre ». Dans les priorités pour la souveraineté culturelle, vous annoncez l’objectif de proposer, pour chaque chaîne, au moins un format régulier dédié au livre et à la littérature, ouvert à tous les genres. Je suis tout à fait persuadée des bénéfices à attendre de cette action, convaincue de l’apport considérable de la lecture, vecteur de lutte contre l’ignorance, l’embrigadement et l’emprise. Pouvez-vous revenir sur cette priorité ?

Mme Albane Gaillot. La crise sanitaire a mis en exergue la sous-représentation des femmes dans les médias, dont le temps de parole s’est encore effondré. Dans la mesure où vous avez déjà répondu à de nombreuses questions dans ce domaine, je souhaiterais plutôt vous entendre sur le contenu de vos œuvres, à commencer par la fiction. En effet, les médias jouent un rôle déterminant dans le renforcement des stéréotypes de genre. À la télévision, dans les publicités, les séries ou les films, les femmes gardent encore des rôles subalternes, tandis que leur image et leur corps sont encore trop souvent utilisés de manière abusive. Quelles sont vos bonnes pratiques en la matière ? Que recommandez-vous pour en finir avec la perpétuation des stéréotypes de genre dans les médias ?

Mme Anne-Christine Lang. Alors que la laïcité constitue une valeur fondamentale de notre République, garante des libertés de chacun, elle est aujourd’hui trop souvent incomprise et vécue comme une attaque et un frein à la liberté, notamment pour un certain nombre de jeunes. Un travail important doit être accompli pour une meilleure compréhension de cette valeur essentielle. Si l’Éducation nationale joue un rôle primordial, celui de France Télévisions me semble également majeur du point de vue pédagogique et au titre de la cohésion nationale. Le préambule du cahier des charges de France Télévisions précise bien que la télévision publique doit promouvoir les grandes valeurs qui constituent le socle de notre société. L’article 9 sur la création audiovisuelle dispose même que l’effort doit porter sur l’illustration de l’histoire nationale et européenne, l’exploration et le suivi des mouvements de la société contemporaine. Aussi, l’une de vos trente-cinq actions pour 2020/2025 vise à dédier chaque année à un grand thème autour des valeurs de la République. Au-delà de cet évènement annuel, quels leviers activerez-vous pour promouvoir la laïcité ?

Mme Fabienne Colboc. Cinq des six meilleures audiences de l’année 2019 concernaient des matchs de la coupe du monde féminine de football. Selon une enquête Odoxa, près de huit Français sur dix souhaitent voir davantage de sport féminin à la télévision. L’engouement réel pour la pratique sportive féminine à la télévision se répercute même dans la hausse du nombre de licenciées en clubs. En 2019, nous avons pu observer la diffusion de grands évènements sportifs féminins sur vos chaînes. L’opération annuelle Sport féminin toujours lancée par le CSA et soutenue par France Télévisions est également un temps pour valoriser l’engagement des femmes dans le sport. Cette volonté répond plus largement à la question de la place des femmes dans les médias. L’un des objectifs du groupe pour 2020/2025 est de favoriser l’exposition des compétitions féminines et d’accompagner tous les talents du sport français jusqu’à Paris 2024. Pouvez-vous préciser ce que vous prévoyez de mettre en place dans ce domaine ?

Mme Emmanuelle Antoine. La pandémie de Covid-19 s’est déclenchée en France alors que nous étudiions le projet de loi de réforme de l’audiovisuel. Les travaux de notre assemblée ont été percutés par la crise sanitaire et l’examen du projet de loi a été ajourné. Aujourd’hui, différentes pistes semblent être ébauchées pour le devenir de ce texte. L’hypothèse que semble privilégier la majorité est celle d’un abandon de la réforme de l’audiovisuel public. Regretteriez-vous un abandon de cette réforme et des évolutions qu’elle prévoit pour votre groupe ? Que pensez-vous de l’idée de rassembler les différentes entités de l’audiovisuel public au sein d’une même holding France Médias ?

M. Philippe Berta. En préambule, je remercie Patrick Cohen pour son énième édito d’hier soir dédié à la Covid-19.

Votre volonté de sensibiliser davantage les jeunes aux problématiques environnementales est des plus louables. Je souhaiterais néanmoins insister sur la prévention en matière de santé. La campagne sur les gestes barrières face à la Covid-19 témoigne de l’impact des messages diffusés pour relever les défis de la santé publique. Cette sensibilisation pourrait être pérennisée et élargie aux maladies chroniques résultant des habitudes de vie. La diffusion d’un plus grand nombre de programmes ludiques et instructifs sur la santé sur le temps long permettra d’augmenter le niveau général des connaissances dans ce domaine, de promouvoir des comportements vertueux et de réduire l’impact des infox, qui peuvent s’avérer dangereuses et dont cette période de crise s’est beaucoup trop fait l’écho. Aussi, à la lumière des enseignements tirés de la crise sanitaire, je souhaiterais connaître les engagements de France Télévisions en faveur de la prévention et de la promotion de la santé.

Mme Delphine Ernotte. Vous m’interrogez sur les audiences d’Okoo et sur nos investissements dans le numérique. Plutôt que de nous attacher aux audiences de la veille, toujours aussi commentées dans les médias, nous préférons suivre le nombre d’individus touchés chaque semaine par typologie de public. En l’occurrence, avec Okoo, Lumni et France 4, nous touchons plus de 60 % des jeunes publics toutes les semaines. Okoo est une marque extrêmement puissante, présente sur les quatre écrans, qui totalise plus de 39 millions de vidéos vues mensuellement en non-linéaire, quand notre plateforme france.tv totalise entre 80 et 100 millions de vidéos vues chaque semaine.

Nous sommes parfaitement alignés avec notre objectif de doublement des investissements sur le numérique – de 100 à 200 millions d’euros – d’ici 2022, tant sur les programmes que sur la technique. L’investissement technique a toutefois été rationalisé, car nous avons fermé de nombreux sites et souches techniques. Nous ne conservons que deux matrices techniques – la matrice de l’information pour Franceinfo, la matrice des programmes avec france.tv – et construisons tout notre univers numérique sur cette base. Nos investissements sont donc augmentés tout en étant rationalisés pour gagner en efficacité.

Dans la mesure où tous les médias traditionnels sont percutés par la concurrence européenne, je considère que l’alliance est la seule solution d’avenir, tant au niveau local
– j’ai fortement poussé pour construire une alliance commune avec TF1 et M6 – qu’au niveau européen. En effet, les services publics européens sont confrontés aux mêmes difficultés : augmentation des propos radicaux et des infox, déstabilisation des services publics, lutte pour l’indépendance de l’information, défense et protection des journalistes. Ainsi, en tant que présidente de l’UER, je tâcherai de renforcer le service dû à chaque membre de cette union et d’en faire une force de proposition beaucoup plus active auprès de la Commission européenne. Par ailleurs, au-delà du partage des droits sportifs, nous devrons trouver un modèle de partage de la création qui nous rendra plus forts sur le marché européen que nous ne le sommes sur nos marchés domestiques. Je consacrerai une large partie de mon mandat de deux ans à cette tâche, dans la continuité de ma mission à la tête de France Télévisions.

Le livre à la télévision fait lire. Les programmes Télématin, On est presque en direct et La grande librairie sont les plus prescripteurs dans ce domaine, et nos programmes d’accueil culturel demeurent essentiels pour les éditeurs et les auteurs. Cela dit, nous devons encore progresser pour promouvoir davantage de nouveaux auteurs de tous genres littéraires.

Pour lutter contre les stéréotypes, nous portons une attention particulière aux rôles féminins dans notre sélection de scénarios de séries ou de fictions. Il ne vous aura pas échappé que de nombreux rôles féminins sont des rôles d’héroïnes visant à casser les stéréotypes, comme en témoignent nos programmes Capitaine Marleau ou Candice Renoir. Pour aller plus loin et disposer d’une vision de femme sur ces sujets, nous devons favoriser la féminisation des rôles artistiques clés des fictions : production, réalisation, direction de collection. Nous avons d’ores et déjà pris des engagements avec le collectif 50/50 pour augmenter la proportion de réalisatrices dans nos fictions, qui commencent à produire leurs fruits. Nous savons en effet qu’une réalisatrice, une productrice ou une directrice de collection veillera plus fortement à ne pas véhiculer les stéréotypes que quelqu'un qui y est moins exposé.

S’agissant du traitement de la laïcité, nous avons couvert le drame de Conflans‑Sainte-Honorine sans hystériser l’information, dans nos magazines d’information et dans nos programmes de divertissement. Nous avons aussi diffusé le film Les héritiers pour mettre en avant la difficulté, la beauté et l’importance du métier de professeur, ainsi que pour manifester notre soutien au monde enseignant. Cela dit, nous veillons à rester à notre place, dans la mesure où la transmission des valeurs de la République aux enfants demeure extrêmement compliquée. Nous n’avons pas la prétention de nous substituer aux enseignants. En revanche, nous demeurons un partenaire fiable mettant à disposition les matériaux, œuvres – Histoires d’une nation, Décolonisation – et modules pédagogiques dont ils peuvent avoir besoin.

Nous avons été précurseurs du sport féminin à la télévision et avons contribué à sa popularisation. Le revers de la médaille est que les droits de diffusion ont explosé et qu’il est de plus en plus difficile de les payer, d’autant que la publicité après 20 heures nous est toujours interdite, ce qui nous handicape fortement dans la compétition. Nous sommes tout de même parvenus à sécuriser certains droits, et nous profiterons de Paris 2024 pour montrer toutes les disciplines et tous les athlètes dans leur diversité.

Au-delà de la réforme de l’audiovisuel public, le projet de loi sur l’audiovisuel insistait également sur l’accessibilité de tous les téléspectateurs à l’audiovisuel. Cette accessibilité diffère suivant que vous soyez équipé d’un téléviseur et d’un décodeur de télévision numérique terrestre (TNT) ou d’une box fournie par un opérateur internet, puisque ce dernier maîtrise l’accessibilité des chaînes. Nous le constatons avec les chaînes régionales de France 3, dont l’accès doit être négocié avec les opérateurs. La disparition de cet objectif d’équilibre dans la distribution de nos chaînes s’avère donc problématique. Concernant la réforme de l’audiovisuel public à proprement parler, nous devons surtout penser à travailler ensemble, indépendamment de l’existence ou de l’absence de structure commune. Plusieurs projets communs ont été conduits avec succès (Franceinfo, Lumni, Culture Prime), et nous devons prolonger cette dynamique, dans le respect des différentes maisons de l’audiovisuel public, via des partenariats permettant à chacune de contribuer à des offres communes.

Enfin, au-delà des messages de prévention contre la Covid-19, qui peuvent parfois être envahissants, nos différentes émissions de santé contribuent à renforcer l’éducation dans ce domaine. Nous favorisons également les programmes à caractère scientifique, qui participent de la même démarche, sachant qu’il est dans le rôle de la télévision d’assurer un juste équilibre entre l’émotionnel et le rationnel. La promotion des grandes avancées médicales et des grandes découvertes technologiques nous semble tout à fait pertinente et complémentaire des messages d’alerte et d’information générale contre la Covid-19.

M. Jean-Jacques Gaultier. En préambule, je me réjouis du respect des objectifs du contrat d’objectifs et de moyens et des orientations du projet stratégique. Je tiens d’ailleurs à souligner la qualité de l’information et des investissements dans la création.

La crise sanitaire a réduit les investissements en matière de communication. Dans ce contexte, l’assouplissement des règles régissant la publicité était attendu, puisqu’elles facilitaient le siphonnage du marché par les plateformes, qui n’étaient pas soumises aux mêmes contraintes. Suite au décret autorisant la publicité segmentée, avec un ciblage rendu possible par l’utilisation des box fournies par les opérateurs, où en êtes-vous des accords signés avec ces derniers et quels sont les résultats de cette première phase de test ?

Mme Béatrice Piron. Vos propos liminaires illustrent les efforts constants de France Télévisions, dans le respect des contraintes budgétaires que vous avez rappelées.

Je connais vos engagements en faveur du développement de l’accessibilité de vos programmes aux personnes en situation de handicap. À ce titre, nous saluons les actions engagées en faveur des sourds et malentendants, notamment les progrès accomplis sur la présence d’interprètes en langue des signes, avec une dynamique qu’il convient d’amplifier pour les journaux télévisés et la taille de l’interprète. J’ai également eu l’occasion de visiter les locaux de France Télévisions dédiés au sous-titrage et j’ai pu admirer le travail remarquable des équipes en faveur des personnes sourdes et malentendantes.

Le 11 février dernier, à l’occasion de la Conférence nationale du handicap, France Télévisions s’est engagé à multiplier par quatre le volume de grilles sous-titrées sur Franceinfo. La chaîne devait alors proposer près de cinq heures de programmes sous-titrés par jour dès la rentrée de septembre. Ces objectifs ont-ils été atteints ? Qu’est-il envisagé pour développer l’accessibilité des chaînes de France Télévisions ?

M. Julien Ravier. À l’heure du confinement et de l’éducation à distance, avez-vous envisagé des partenariats avec l’Éducation nationale pour la co-construction des programmes de télévision à destination des enfants et des adolescents, afin de compléter les enseignements, notamment via les plateformes que vous avez évoquées ?

Par ailleurs, alors que l’alliance de l’audiovisuel public constitue une étape indispensable pour ces cinq prochaines années, avez-vous déjà établi un plan de convergence, un business plan ou un calendrier ? Êtes-vous accompagnée sur ce projet, notamment au plan social ?

Enfin, quelle est votre stratégie de marque et en êtes-vous la pilote ?

Mme Sophie Mette. Face à la terrible pandémie de Covid-19, vous souhaitez donner un nouvel élan à France Télévisions, notamment en en faisant le moteur de la relance culturelle, avec un budget de plus de 500 millions d’euros consacré à la création. Vous exposez différents axes, parmi lesquels la transformation numérique. Vous souhaitez que France Télévisions développe encore ses audiences sur le numérique, à l’image des pays scandinaves, et séduise de nouveaux publics plus jeunes, en donnant un coup d’accélérateur à la plateforme france.tv. Encourager la progression du groupe dans l’univers numérique est effectivement capital. Toutefois, il convient de redoubler de méfiance vis-à-vis du piratage. Les engagements en vue de renforcer l’utilité publique de France Télévisions et d’imaginer la télévision de demain ne se tiendront pas sans une lutte amplifiée contre le piratage. Quelle est la part du piratage sur les programmes de France Télévisions et quelles sont ses conséquences financières ? Comment pensez-vous amplifier la lutte contre le piratage ? Quelle est la place de la plateforme Salto dans ce domaine ?

Mme Aurore Bergé. Je vous félicite pour votre reconduction à la présidence de France Télévisions et pour votre élection à la tête de l’UER. Les derniers mois ont montré à toutes les cassandres que la télévision et l’audiovisuel public avaient de l’avenir. Vous êtes la première salle de spectacle ouverte pour les Français, et nous savons à quel point nous avons besoin de cette diffusion de la culture pour tous. Comment envisagez-vous de développer la coopération européenne, et comment la télévision publique peut-elle, au niveau européen, être un amortisseur plus puissant de la crise ? De surcroît, eu égard à la trajectoire budgétaire, comment garantir la poursuite des investissements dans les programmes, et notamment dans les programmes de flux, qui constituent l’identité même des chaînes ?

Mme Jacqueline Dubois. Durant le confinement, France Télévisions a su s’adapter très rapidement pour offrir des cours dispensés par des professeurs de l’Éducation nationale. La prolongation d’un an de France 4 permet d’ouvrir une réflexion pour en faire une chaîne de l’éducation et de la jeunesse. Toutefois, la télévision est-elle le média le plus approprié, comme le demandait hier soir la ministre de la Culture ? N’est-ce pas plutôt la montée en puissance d’Okoo et de Lumni qui permettra de mieux répondre au besoin de médias éducatifs ? Comment articuler télévision et offre numérique pour une approche créative répondant aux besoins des enfants et des enseignants ? Comment s’assurer que ces offres éducatives seront adaptées à tous les élèves ? Comment pourraient-elles répondre aux besoins spécifiques des enfants malades ou en situation de handicap et élargir ainsi les ressources éducatives dans ces domaines ?

M. Patrick Vignal. En tant que groupe de service public, France Télévisions a le devoir de s’emparer de la question environnementale. L’opinion publique montre une préoccupation croissante pour le climat et la protection de l’environnement. Si la volonté d’inclure cette thématique au sein de la ligne éditoriale s’est affirmée, le rapport annuel 2019/2020 du CCP caractérise ce traitement médiatique comme étant peu satisfaisant. Dès lors, comment entendez-vous inscrire cet enjeu majeur dans votre projet stratégique et quelles orientations souhaitez-vous adopter dans le traitement de ce sujet ?

M. François Cormier-Bouligeon. Nous vous remercions pour votre pari sur l’intelligence et pour votre refus de participer à l’abrutissement des esprits. Non à la dictature de l’idiotie crasse ! Tel est le cri du cœur que je souhaitais pousser ce matin.

Ma question porte sur un tout autre sujet. France Télévisions est un partenaire historique du sport. Pourtant, dès 2016, une étude du CSA indiquait que seulement 5 % du sport à la télévision était diffusé sur des chaînes gratuites. Ce phénomène s’est accru avec l’arrivée des géants du numérique et d’autres acteurs. En 2021, dix sessions de nuit du tournoi de tennis de Roland-Garros seront diffusées sur Amazon Prime Vidéo, tandis que les demi‑finales et finales seront co‑diffusées par France Télévisions. Nous nous inquiétons de la privatisation de la diffusion télévisuelle du sport en France et de l’archipélisation qui en découle. Nous souhaiterions donc connaître votre stratégie en matière sportive pour les prochaines années, au-delà des initiatives – que nous soutenons – de féminisation et de mise en lumière des sportifs espoirs pour Paris 2024.

M. Raphaël Gérard. Je souhaite à nouveau vous interpeller sur la question de la représentation et de la diversité. Au printemps, l’émotion mondiale suscitée par la mort de George Floyd a montré à quel point le poids des représentations sociales dans l’imaginaire collectif pouvait saper les relations entre les jeunes des quartiers populaires et les institutions. La loi du 30 septembre 1986 prévoit l’obligation, pour tous les acteurs audiovisuels, de développer des actions visant à lutter contre les discriminations et renforcer la cohésion sociale. Pourtant, les derniers chiffres publiés par le CSA montrent à quel point cet objectif est aujourd’hui mis à mal par le déficit de représentation de cette diversité à l’écran.

De mon point de vue, l’audiovisuel public se doit d’être exemplaire en la matière. À cet égard, le reportage diffusé samedi soir sur France 2 sur les problématiques de l’eau à la Guadeloupe vient rappeler de manière édifiante la nécessaire vigilance sur cette question de la diversité, puisque tous les témoins interrogés dans ce reportage – sauf un – étaient blancs, alors que la problématique de l’eau à la Guadeloupe concerne l’ensemble de la population. Pourtant, le pacte de visibilité des outre-mer avait clairement défini la notion de programme ultramarin. Comment pourrions-nous donc réfléchir à la diversité en termes d’auteurs et d’acteurs ?

Mme Delphine Ernotte. Sitôt que la publicité adressée nous a été permise, notre régie a conclu des accords avec Orange et Bouygues Telecom pour tester des modèles de publicité adressée. Je rappellerai toutefois que France Télévisions ne pèse que 10 % du marché publicitaire à la télévision, qui est largement dominé par TF1 et M6, même si notre régie cultive sa différence en distinguant les programmes de service public avec beaucoup de pertinence et d’efficacité. Nous cherchons certes à emprunter ces chemins de la modernité, mais ils ne révolutionneront pas notre chiffre d’affaires publicitaire, qui demeurera modeste.

L’accessibilité des programmes de Franceinfo aux sourds et malentendants a été multipliée par cinq, au-delà de nos engagements, étant entendu que la tranche matinale, le journal de 16 heures et la tranche du soir à compter de 21 heures bénéficient désormais d’un sous-titrage, sans compter nos deux journaux en langue des signes. Pour aller plus loin, nous travaillons avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNPCH) sur des méthodologies de sous-titrage automatique qui nous permettraient de sous-titrer 100 % de la chaîne et d’augmenter l’accessibilité sur l’ensemble de nos antennes.

Je vous confirme, par ailleurs, que les programmes Lumni et les programmes éducatifs de France 4 ont été conçus en total partenariat avec l’Éducation nationale. Nous n’aurions su recommander une plateforme éducative sans son expertise et sa vigilance. L’Éducation nationale a affecté non seulement des professeurs compétents pour les cours dispensés sur France 4, mais également des inspecteurs chargés, par discipline, d’en vérifier la conformité. Le lien de confiance que nous avions tissé avec l’institution lors de la construction de Lumni nous a permis de réagir rapidement après l’annonce du confinement.

À cause du piratage, plusieurs milliards d’euros s’échappent de France chaque année, privant les producteurs de valeur et nous privant indirectement d’une partie de notre audience et de nos revenus. Nous savons que nos programmes sont piratés sitôt qu’ils sont mis en ligne sur france.tv, sans que l’on sache toujours très bien comment. Il s’agit donc d’un sujet majeur – si ce n’est le sujet principal – en termes de respect du droit d’auteur et d’enjeux économiques.

Au niveau européen, la mutualisation pourrait aller encore plus loin que ce que nous connaissons aujourd’hui. L’UER répond déjà à des appels d’offres sur les droits sportifs pour le compte de tous ses adhérents, ce qui nous permet d’obtenir de meilleurs tarifs et de gagner en compétitivité par rapport aux gros acteurs du marché. De même, nous partageons quelques émissions de divertissement, comme le concert du jour de l’an ou le concours de l’Eurovision. Nous devons donc développer ces moments de communion européenne participant de la construction du sentiment européen. Par ailleurs, nous devons élargir l’accès aux coproductions internationales aux acteurs européens plus modestes ne pouvant investir d’importants montants, dans une logique de péréquation entre les différentes télévisions publiques européennes. Nous pourrons ainsi éviter la signature d’accords trop contraignants avec les plateformes américaines et soutenir les petites géographies dotées de budgets modestes. En parallèle, nous espérons que certains projets développés avec la RAI et ZDF s’exporteront hors de l’Europe et créeront de la richesse pour notre espace européen.

Les programmes de flux ont effectivement diminué, alors que les investissements en création ont été augmentées et que les dépenses de structure ont été réduites. L’effet ciseau est difficile à éviter et nous oblige à renégocier – notamment sur les taux de marge – et à nous réinterroger sur la place des programmes de flux, qui contribuent effectivement au lien social. C’est ainsi que nous avons lancé l’émission Six à la maison, pour continuer à nous différencier de la froideur des plateformes. Il s’agit d’un sujet d’attention et de préoccupation.

En matière d’offre éducative, nous avons archivé l’ensemble des contenus pédagogiques et programmes éducatifs diffusés via Lumni, qui totalisent un volume de 12 000 heures. Nous devons maintenant référencer ce contenu gratuit et validé par l’Éducation nationale pour aider les jeunes et les parents à s’y retrouver et le rendre notamment disponible aux enfants hospitalisés, aux enseignants et aux éducateurs.

L’éducation de nos jeunes publics à la question environnementale est tout aussi essentielle que complexe. Nous devons continuer à alerter pour favoriser la prise de conscience, mais également présenter des solutions pour ne pas laisser les téléspectateurs dans l’angoisse, sachant que certains nous reprochent la noirceur de nos documentaires. Nous multiplions donc les programmes et le journalisme de solution démontrant qu’il est possible d’agir et de contribuer à la préservation de l’environnement.

Pour le sport à la télévision, l’on doit tenir compte du fait que le montant des droits de diffusion double tous les quatre ans, alors que notre budget diminue. L’effet de ciseau est donc majeur, d’autant que nous ne pouvons tabler sur les recettes de publicité après 20 heures pour compenser le surcoût. Nous sommes parvenus à sécuriser de nombreux grands rendez‑vous, comme Paris 2024, le Tour de France ou Roland-Garros, mais je regrette que notre effort en faveur de la popularisation du tennis n’ait pas été récompensé par la Fédération, qui a proposé deux lots pour nous écarter des lots du soir. L’avenir nous dira si les matches du soir diffusés par Amazon sont autant regardés que ceux de l’après-midi sur France Télévisions.

M. Raphaël Gérard, je connais votre engagement en matière de représentation et de diversité, mais vous m’interpellez sur un reportage que je n’ai pas vu. Au-delà de cet exemple précis, je préfère m’attarder sur les chiffres présentés en comité de suivi du pacte de visibilité et sur le nombre croissant de sujets d’information dédiés aux outre-mer. Nous sommes sincèrement investis dans cette recherche d’une meilleure visibilité, dans nos programmes d’information comme dans nos programmes de première partie de soirée. Cela dit, nous ne pouvons pas intervenir trop fortement sur le contenu même de l’information, au risque de toucher à la liberté et à l’indépendance des journalistes, valeurs cardinales que nous nous efforçons de préserver. Je tiens toutefois à rassurer la commission sur la tenue présente et future des engagements du pacte de visibilité. Nous conduirons par ailleurs des études de perception à intervalles réguliers pour mesurer si les Ultramarins vivant à Paris se sentent représentés sur les chaînes de France Télévisions.

Pour répondre à M. Ravier, je considère que nous avons besoin des différentes compétences de chaque entreprise de l’audiovisuel public. Plutôt qu’un pilotage centralisé, il me paraît préférable d’opter pour une logique partenariale et de nous répartir l’activité de manière collégiale, dans le respect de nos identités et de nos métiers respectifs, au service d’intérêts convergents. C’est justement la logique mise en œuvre pour Franceinfo, puisque les équipes de la radio et la télévision échangent de manière quotidienne pour dépasser leurs divergences.

Concernant enfin la stratégie de marque, nous devons notamment nous interroger sur la dénomination du numérique commun en région. Plus généralement, nous devons réfléchir à la manière de nous présenter de manière cohérente et d’établir des ponts entre la richesse des uns et des autres, dans l’objectif de créer des marques et un univers commun permettant d’identifier aisément le service public dans le paysage audiovisuel.

M. le président Bruno Studer. Madame la présidente, je vous remercie.

 

 

 

La séance est levée à onze heures trente-cinq.

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