Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360) :

- Examen de l’avis sur le « prélèvement européen » (M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis) ;

 Vote sur l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

- Examen pour avis des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables (M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis) ;

 Vote sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

- Examen pour avis des crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure (M. Alain David, rapporteur pour avis) ;

 Vote sur les crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure.  2

 Information relative à la commission ................... 39

 

 

 

 


Mercredi  
14 octobre 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 005

session ordinaire de 2020-2021

Présidence
de M. Rodrigue Kokouendo,
Vice-président

 


  1 

Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le
projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360) :

- Examen de l’avis sur le « prélèvement européen »
(M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis) ; vote sur l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021

- Examen pour avis des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables (M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis) ; vote sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables

- Examen pour avis des crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure (M. Alain David, rapporteur pour avis) ; vote sur les crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure

La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Rodrigue Kokouendo, vice-président.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Mes chers collègues, au nom de tous, je veux tout d’abord adresser un salut amical et chaleureux à notre présidente, Mme Marielle de Sarnez.

En application des décisions prises lors de la Conférence des présidents qui s’est réunie hier, mardi 13 octobre, les travaux législatifs en commission se feront exclusivement en présence des députés, sans possibilité de visioconférence, même partielle, ni vote à distance. Vous avez donc reçu hier vers quinze heures une convocation rectifiée pour la réunion de ce matin, supprimant la possibilité de participation en visioconférence.

D’autre part, la même Conférence des présidents a décidé que la présence des députés en commission, comme en séance publique, sera plafonnée à la moitié des effectifs de chaque groupe, arrondie à l’entier supérieur. Les députés ne pourront pas assister aux travaux des commissions dont ils ne sont pas membres. Enfin, je rappelle que les registres de présence ne sont plus tenus pendant l’application des dispositions limitant la présence des députés. De même, les sanctions applicables en cas de non-respect des dispositions sur la présence des députés sont suspendues. La liste des présents et des excusés à chacune de nos réunions n’est donc pas publiée. Je vous parlerai des modalités de vote le moment venu.

Après avoir auditionné hier M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, nous entamons ce matin l’examen du projet de loi de finances pour 2021. La commission est saisie pour avis de neuf budgets.

Aujourd’hui, trois avis sont inscrits à notre ordre du jour. Le premier concerne l’article 31 du projet de loi de finances, qui fixe le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, avec un rapport de Pascal Brindeau. Nous examinerons ensuite les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur le rapport de M. Jean-François Mbaye, puis ceux de la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure », sur le rapport de M. Alain David. Sur ces derniers crédits, M. Jean-Michel Clément présentera une contribution, au nom du groupe Libertés et Territoires.

La commission examine tout d’abord l’avis sur le « Prélèvement européen », sur le rapport de M. Pascal Brindeau.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Le premier avis qui nous est présenté aujourd’hui porte sur le prélèvement sur recettes de l’État au profit de l’Union européenne (PSR-UE). Estimé à 26,9 milliards pour 2021, il est en hausse de 5,4 milliards par rapport au montant fixé il y a un an, lequel était stable par rapport à 2019. C’est une augmentation significative. Au-delà de ce montant, ce prélèvement revêt une importance particulière, car l’année 2021 sera le premier exercice du cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne pour les années 2021 à 2027, et parce que ces fonds financeront le plan de relance européen, actuellement en cours de finalisation. Espérons que le Conseil européen, qui se réunira demain et après-demain, trouvera une décision unanime.

M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis. Nous examinons aujourd’hui l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021, qui évalue le prélèvement sur recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne. Cette année, il mérite que l’on s’y attarde encore davantage que les précédentes, car il intervient dans un contexte particulier à un double titre. D’abord, l’année 2021 est la première d’un nouveau cadre financier pluriannuel, qui entend traduire une Union européenne aux ambitions politiques croissantes, mais dont la géographie rétrécit, pour la première fois de son histoire. Ensuite, l’Europe est frappée, comme tous les autres continents, par une crise sanitaire et économique majeure. L’augmentation significative du prélèvement sur recettes attendue dans le cadre du prochain CFP est la matérialisation du Brexit et de la réponse européenne à la crise sanitaire et économique. Au-delà de l’année 2021, c’est donc une tendance sur les sept prochaines années qui se dessine, dans la lignée des orientations âprement négociées lors du Conseil européen du mois de juillet.

Le projet de loi de finances pour 2021 évalue le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne à 26,9 milliards, soit une hausse de 25 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Cette augmentation s’explique par quatre facteurs principaux : l’augmentation du niveau de crédits de paiement entre le budget de l’Union européenne pour 2020 et le projet de budget pour 2021 (+1,6 milliards) ; la compensation du départ du Royaume-Uni, qui était le deuxième contributeur net de l’Union européenne (+2,1 milliards) ; le changement des règles de calcul des contributions nationales selon les conclusions de l’accord politique du 21 juillet 2020, avec notamment l’augmentation des rabais (+0,7 milliards) et l’introduction d’une contribution assise sur la part d’emballages plastiques non recyclés (+ 70 millions d’euros) ; enfin, les conséquences de la crise économique de la covid-19 sur les ressources propres traditionnelles de l’Union européenne (+0,7 milliards).

En moyenne, sur le cadre 2021-2027, le PSR-UE est estimé à 28 milliards, auxquels il faut ajouter 1,7 milliard par an de droits de douanes collectés aux frontières françaises et reversés à l’Union européenne, soit un ressaut moyen de 8 milliards par an par rapport au cadre précédent.

Aux aléas traditionnels entourant cette prévision budgétaire s’ajoute cette année un contexte particulièrement incertain. D’abord, les négociations interinstitutionnelles portent cette année sur un « paquet » budgétaire composé du nouveau CFP, du plan de relance et des ressources propres, un « paquet » aux enjeux majeurs, qui rendent les négociations particulièrement délicates.

Ensuite, le contexte est cette année marqué par deux crises majeures. Premièrement, la crise sanitaire a entraîné une crise économique dont on ne mesure pas encore l’ampleur : selon l’Office européen de statistiques, la zone euro a enregistré entre avril et juin un plongeon sans précédent de 12,1 % de son PIB, et de 11,9 % pour l’ensemble de l’Union, en raison des mesures drastiques mises en œuvre pour freiner l’épidémie de coronavirus. Deuxièmement, les incertitudes entourant les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et ses conséquences économiques pèsent sur l’équation budgétaire. À ce stade, les modalités de participation du Royaume-Uni aux programmes de l’Union ne sont pas définies.

L’année 2021 marque donc le début d’une nouvelle ère pour l’Union, qui doit se réinventer pour tirer les conséquences de ces deux crises. Dans la lignée de l’initiative franco-allemande de mai 2020, la réponse du Conseil européen de juillet 2020 est un tournant politique et budgétaire pour l’Union européenne, qui repose sur trois piliers étroitement imbriqués : le cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027, le plan de relance et les ressources propres.

La nouveauté de l’accord du Conseil européen de juillet réside dans l’instrument de relance temporaire « Next Generation EU », destiné à répondre à la crise sanitaire, et adossé au CFP. Son montant de 750 milliards, empruntés par la Commission au nom de l’Union, se compose de 390 milliards de prêts et de 360 milliards de dons. La proposition d’emprunter au nom de l’Union européenne sur les marchés afin de soutenir les régions et les secteurs les plus touchés par la crise, dans le respect des priorités politiques européennes, constitue une étape majeure dans le renforcement de l’intégration européenne. Ce plan de relance se traduit par un relèvement significatif du budget pluriannuel de l’Union, qui a été porté par le Conseil européen du 21 juillet à 1,8 % du revenu national brut (RNB) de l’Union – contre 1,02 % dans le précédent CFP.

La « facilité pour la reprise et la résilience » est l’instrument principal du plan de relance, qui assurera des transferts directs aux États. Pour en bénéficier, les États membres devront élaborer des plans nationaux pour la reprise et la résilience établissant leur programme de réformes et d’investissements pour les années 2021 à 2023, dans le respect des priorités politiques européennes, à commencer par la transition écologique et le numérique – qui représenteront respectivement 37 % et 20 % des allocations nationales au minimum –, ainsi que des recommandations par pays.

Les allocations par pays tiennent compte de différents critères, parmi lesquels la population, le PIB par habitant et le taux de chômage moyen sur les cinq dernières années, la perte de PIB réel observée au cours de l’année 2020 et la perte cumulée de PIB en 2020 et 2021. Au total, la France devrait bénéficier à ce titre d’une enveloppe d’environ 45,8 milliards, ce qui en ferait le troisième bénéficiaire du plan de relance, après l’Italie et l’Espagne.

Le nouveau cadre financier pluriannuel, complété par les fonds du plan de relance, traduit quant à lui un équilibre entre la préservation des politiques dites traditionnelles et de nouvelles priorités. Le Pacte vert et l’objectif de neutralité climatique en 2050 sont les plus emblématiques d’entre elles.

La baisse du budget de la politique agricole commune (PAC) proposée en 2018 par la Commission était un sujet d’inquiétude majeur pour la France. Nous pouvons nous réjouir que, dans la proposition du Conseil, la PAC augmente de 19,6 milliards – 4,3 pour le premier pilier et 15,3 pour le deuxième –, dont 7,5 milliards du plan de relance sur le deuxième pilier. Je m’oppose toutefois – et je pense que je ne serai pas le seul – à la baisse des crédits de la PAC destinés à nos territoires ultramarins, car elle va fragiliser la compétitivité économique et technologique des filières agricoles ultramarines.

Cette politique dite « traditionnelle » devra toutefois se mettre en conformité avec les objectifs environnementaux et climatiques de l’Union, tels qu’ils sont notamment formulés dans la stratégie « De la ferme à la table ». Dans cette logique, la part des dépenses de la politique agricole commune consacrée à l’action pour le climat est portée à 40 %.

La politique de cohésion, quant à elle, bénéficie de 47,1 milliards supplémentaires, grâce aux 47,5 milliards d’euros du plan de relance.

Au titre des nouvelles priorités, il convient d’insister sur le renforcement des objectifs climatiques, puisque la part des dépenses totales du CFP et du plan de relance consacrées au climat a été portée par le Conseil de 25 à 30 %.

Dans le cadre du « Pacte vert » sera créé un Fonds pour une transition juste doté de 19,3 milliards, qui vise à soutenir les régions à forte intensité industrielle et dépendantes des énergies fossiles dans leur transition vers une économie bas carbone.

Il convient également de souligner la création d’un programme santé doté de 1,67 milliard, même si cet effort est moins ambitieux que la proposition formulée en mai 2020 par la Commission de lui consacrer un montant total de 9,37 milliards.

Nous avons toutefois deux regrets principaux. Premièrement, nous regrettons la moindre ambition du Conseil par rapport à la Commission sur certains programmes, notamment le programme spatial, qui perd 1 milliard, et le Fonds européen de la défense, qui se voit réduit de 4,4 milliards.

Deuxièmement, alors même que le Brexit semblait être l’occasion de revenir sur les rabais dont bénéficient différents pays, ces derniers ont été non seulement maintenus mais renforcés, pour un coût annuel de 7,6 milliards. C’est l’une des conditions que les pays dits « frugaux » – Danemark, Pays-Bas, Suède et Autriche – ont mises à l’acceptation du plan de relance proposé par la Commission. La poursuite de la réflexion sur les ressources propres, rendue impérative par les besoins de financements futurs de l’Union, devra permettre de remettre sur la table la suppression de ces rabais et de dépasser la logique du « juste retour », dont le plan de relance montre plus que jamais le caractère limité.

À cet égard, si le Conseil européen ne s’est accordé que sur l’introduction, dès 2021, d’une nouvelle ressource propre assise sur la quantité de déchets d’emballages en plastique non recyclés, la reconnaissance de la nécessité de créer de nouvelles ressources propres est une étape significative dans un débat qui semblait bloqué. Ainsi, le Conseil a invité la Commission à formuler, au premier semestre 2021, des propositions pour l’introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et une ressource propre fondée sur le numérique, en vue de les mettre en œuvre au plus tard le 1er janvier 2023. Elle devrait également proposer une révision du système européen d’échange de quotas d’émission carbone, éventuellement étendu à l’aviation et au transport maritime, sans qu’aucune date de mise en œuvre n’ait en revanche été spécifiée. Enfin, le Conseil européen a précisé que l’Union s’efforcerait, au cours du prochain CFP, de mettre en place d’autres ressources propres, qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières. De la suite donnée à ces propositions dépendra évidemment l’évolution des contributions nationales au budget européen.

Je terminerai en évoquant l’état des négociations interinstitutionnelles. À ce stade, elles sont toujours en cours, alors même que le calendrier est particulièrement serré : pour être opérationnel au 1er janvier 2021, l’accord institutionnel sur la décision sur les ressources propres, qui autorise la Commission à emprunter sur les marchés, doit être ratifié par les parlements nationaux avant le 31 décembre 2020. Or les négociations, qui portent sur l’ensemble du paquet budgétaire compte tenu de l’imbrication entre le plan de relance, le CFP et les ressources propres, semblent, à ce stade, bloquées.

Le Parlement européen souhaite en effet introduire un mécanisme de protection du budget européen contre les atteintes à l’État de droit plus efficace que celui proposé par la présidence allemande du Conseil, mais la Hongrie et la Pologne menacent de bloquer la décision sur les ressources propres si le mécanisme proposé ne les satisfait pas. De même, le Parlement européen souhaite accroître les crédits de quinze programmes jugés prioritaires, parmi lesquels Horizon Europe, Erasmus + et le programme « santé », mais de nombreux États membres ne souhaitent pas rouvrir l’accord du 21 juillet, qui avait été âprement négocié.

Le Parlement européen a toutefois obtenu du Conseil un accord sur un calendrier contraignant d’introduction de nouvelles ressources propres, mais les institutions doivent encore s’entendre sur ce dernier, et de nombreux obstacles demeurent, tant sur le plan technique que sur le plan politique.

En conclusion, alors que le Brexit et la crise ont accru les risques de fragmentation de l’Union européenne, la décision d’emprunter en commun et d’accroître les ressources propres est, au-delà du soulagement à court terme des finances publiques nationales qu’il représente, la réaffirmation d’un projet partagé, d’une volonté des États de s’engager solidairement et dans la durée. Aussi, je vous propose de vous prononcer en faveur de l’adoption de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis. Le débat est ouvert.

Mme Olga Givernet. Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne va augmenter de 25 % par rapport au montant fixé en loi de finances initiale pour 2020, pour s’établir à 26,9 milliards en 2021. Si cette hausse importante de l’une des principales contributions françaises au budget européen s’explique par différents facteurs, elle démontre surtout, si cela était nécessaire, l’attachement fort et continu de la France à l’Union européenne. Une Union européenne dont il est difficile de ne pas être fier, puisqu’elle est parvenue, malgré le Brexit et la crise sanitaire, à trouver un second souffle politique et budgétaire, en adoptant tout à la fois un nouveau cadre financier pluriannuel et un plan de relance qui met en lumière le souci partagé des 27 d’avancer et de reconstruire ensemble.

Cette solidarité est un idéal, mais c’est aussi une nécessité, puisque nous devons faire face, non seulement aux conséquences de la crise sanitaire, mais aussi aux grands défis politiques, environnementaux et sociaux qui s’offraient déjà à nous avant même l’apparition du covid-19. Nous aurons prochainement l’occasion de débattre des ressources propres de l’Union européenne, dont l’évolution semble plus que jamais nécessaire. En attendant, donnons-nous les moyens de nos ambitions, et donnons-leur un cadre à leur mesure, celui d’une Union que l’adversité renforce, plutôt qu’elle ne l’affaiblit. Pour toutes ces raisons, le groupe La République en marche votera l’adoption de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

M. Jean-Louis Bourlanges. Le groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés salue, lui aussi, la grande mutation qui s’est produite au cours du printemps dans les affaires budgétaires européennes, puisque nous avons assisté à un saut à la fois quantitatif et qualitatif. Un saut quantitatif, d’abord, avec l’augmentation assez massive des sommes liées au plan de relance, qui trouvent leurs retombées dans les dispositions budgétaires et le prélèvement sur recettes. Un saut qualitatif, ensuite, puisque nous sommes passés pour la première fois d’un système de solidarité dans l’endettement à un système de solidarité budgétaire. C’est un fait très important, dont nous mesurons pleinement les potentialités.

Cela dit, plusieurs choses ne vont pas dans ce système.

Premièrement, les incertitudes sont nombreuses, et elles pèsent fortement sur nos comptes. Nul ne sait comment va se résoudre la question du Brexit, et nous ne connaissons ni le rythme, ni les modalités de mise en œuvre du plan de relance. Alors qu’une décision politique a été prise au mois de juillet, elle tarde à se concrétiser sur le plan pratique : ce retard à l’allumage est très inquiétant. Cela dit, il ne nous surprend guère, car nous savions que le principe de l’unanimité pouvait paralyser le système institutionnel : nous étions nombreux à prévoir des difficultés – ce fut le cas de l’Institut Jacques Delors, dès le mois de juillet.

Ma deuxième inquiétude, c’est qu’il soit fait un usage abusif du principe des vases communicants : on met dans le plan de relance un certain nombre de choses, mais on en retire d’autres ! On diminue par exemple les investissements dans le programme spatial ou dans les projets susceptibles de muscler notre défense. Or ce sont des domaines régaliens qui sont extrêmement importants pour un pays comme le nôtre. L’Union européenne doit passer au stade politique, elle doit avoir les moyens de peser dans le concert international. Or on réduit les dépenses qui lui permettraient de le faire : c’est un procédé pervers, qui a été imposé par les États dit « frugaux ». Le Parlement européen a certes réagi, en appelant à accroître certaines dépenses, mais il a surtout plaidé pour des dépenses sociales – par exemple pour Erasmus – et a été beaucoup plus circonspect sur les dépenses régaliennes. Notre commission doit se soucier de ces questions, car elles sont essentielles.

S’agissant, troisièmement, des dépenses, je note un autre élément très pervers : l’augmentation des rabais. Cela fait des années que nous disons que les rabais sont la verrue sur le visage de l’Europe. Ce sont les séquelles de la politique de Margaret Thatcher et de son fameux : « I want my money back », l’idée étant que chacun devait recevoir de l’Union européenne à peu près ce qu’il lui donnait. Avec un tel raisonnement, on n’a pas besoin d’Union européenne : chacun peut dépenser directement chez lui ce dont il a besoin ! Or les pays « frugaux » ont non seulement refusé d’aller dans le sens que nous proposions, mais ils ont organisé un recul : c’est fort dommage ! Et c’est lié à un autre problème, celui des ressources propres. Il faut passer à un système de ressources propres : c’est la seule manière de transformer le système et de sortir de cette comptabilité diabolique imposée par Margaret Thatcher. Il nous faut des ressources communes et solides !

M. Rodrigue Kokouendo, président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je conclurai en évoquant deux questions politiques. Premièrement, chacun doit bien être conscient que les pouvoirs des institutions communes sont moins importants aujourd’hui, en matière budgétaire et fiscale, qu’ils ne l’étaient avant le traité de Lisbonne et le traité de Nice. Il y a eu un recul : les pouvoirs du Parlement – et donc le contrôle démocratique – étaient plus importants autrefois. La marge d’action commune et la solidarité, dans les différents aspects des politiques sectorielles, étaient bien plus fortes il y a une trentaine d’années.

S’agissant du Parlement européen, devons-nous être solidaires avec lui ? La réponse est oui ! Nous devons l’être sur deux plans : nous devons être solidaires de son combat pour le renforcement de ses pouvoirs, car ce sont des pouvoirs démocratiques. Et nous devons être solidaires du Parlement européen dans son combat sur les ressources propres. En revanche, nous devons nous méfier de son projet d’introduire la conditionnalité, dans les termes dans lesquels il en parle. La conditionnalité est certes légitime, mais on sait bien que si les Hongrois et les Polonais s’opposent à une décision, ils peuvent bloquer le système.

Alors oui, nous soutenons ce projet, mais nous le soutenons les yeux ouverts, et nous sommes conscients qu’il faudra encore travailler énormément et faire un saut qualitatif en matière d’organisation budgétaire et fiscale de l’Union européenne.

Merci, monsieur le président, de m’avoir laissé parler un peu plus longtemps !

M. Christian Hutin. Je m’exprime au nom du groupe Socialiste et apparentés. Nous avons eu 7 minutes 37 d’intelligence et de réflexions pertinentes. 25 secondes pour dire : « On vote pour », et plus de 7 minutes pour dire : « Rien ne va » – le tout d’une manière brillante.

Il y a quelques années – et ceux qui connaissent mon parcours politique savent de quoi je parle –, on ne pouvait pas prononcer le mot « souverainisme ». Un souverainiste, c’était un fasciste.

M. Jean-Paul Lecoq. Ou un communiste !

M. Christian Hutin.  Vous avez raison, ou un chevènementiste, voire un séguiniste, puisque j’ai fait la campagne contre le traité de Maastricht avec Philippe Seguin. Notre participation au budget de l’Union européenne va augmenter de 25 % ! Est-ce que vous vous rendez compte ? On nous dit que 100 milliards vont arriver, mais la France y aura généreusement contribué ! Ne paie-t-elle pas elle-même ce qu’elle va toucher ? Et on a entendu ce matin, sur plusieurs radios, que cela allait traîner pendant très longtemps !

Parlons des États « frugaux » ! Ce terme, « frugal », évoque le jansénime, la petitesse, une forme d’étroitesse, mais ces États, dits « frugaux », sont ceux qui en demandent le plus et qui en donnent le moins ! Où est l’Europe de la santé ? Elle n’a jamais existé face à la crise du covid-19, et c’est lamentable ! On a laissé tomber les Italiens dès le départ, puis les Espagnols. L’Europe a vraiment montré ses limites, depuis un an et demi ! Plusieurs de ses membres n’ont démocratiquement plus rien à avoir avec notre république : plusieurs États européens sont quasiment dictatoriaux ! Alors, arrêtons avec le surréalisme et revenons à l’idéal européen et à la solidarité européenne !

M. M’Jid El Guerrab. L’année 2021 est la première année d’un nouveau cadre financier pluriannuel pour l’Union européenne, qui s’étendra de 2021 à 2027. C’est également le début d’une nouvelle ère pour l’Union, qui doit se réinventer pour tirer les conséquences des deux crises majeures que sont le Brexit et la crise sanitaire du covid-19, qui s’est traduite par une crise économique dont on ne mesure pas encore précisément l’ampleur. Dans la lignée d’une initiative franco-allemande et de la proposition de la Commission de mai 2020, la réponse du Conseil européen de juillet 2020 est un tournant politique et budgétaire pour l’Union européenne, qui repose sur trois piliers étroitement imbriqués : le cadre financier pluriannuel, le plan de relance et les ressources propres.

Depuis 2017, la France est le troisième contributeur net en volume au budget de l’Union européenne, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, et au huitième rang en pourcentage du RNB. Depuis le début des années 2000 et jusqu’en 2013, le solde net de la France n’a cessé de se dégrader, d’abord sous l’effet de l’élargissement progressif de l’Union, puis en raison de la maîtrise des dépenses agricoles. La France a cependant limité la diminution de son solde net en se maintenant au premier rang des bénéficiaires des dépenses de l’Union. Le montant de la participation financière est calculé sur la base des dépenses adoptées par l’accord du Conseil européen du 21 juillet 2020. Or à ces aléas s’ajoutent les incertitudes liées au Brexit et l’impact de la crise sur les ressources propres traditionnelles de l’Union. Alors que nous semblons nous diriger vers un « No deal » et un Brexit dur, la réserve d’ajustement de 5 milliards suffira-t-elle, alors que la période de transition s’achèvera le 31 décembre 2021 ?

Cela étant, le groupe Agir Ensemble se prononce en faveur de l’adoption de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce rapport budgétaire est très détaillé, très intéressant et très pertinent mais je n’en tire pas les mêmes conséquences que vous.

Le vote du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est toujours l’occasion de se questionner sur l’utilité de l’Union elle-même. C’est particulièrement vrai aujourd’hui, puisque l’année 2021 sera la première du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 post-Brexit et que c’est la première fois qu’un plan de relance est proposé par l’Union européenne. Le premier est terne et sans ambition, tandis que le deuxième cache une défaite de la solidarité européenne.

Commençons par ce plan de relance de l’Union européenne, qui marque une victoire des États dits « frugaux ». Ceux-ci ont obtenu une diminution de l’ambition du CFP en contrepartie de ce plan de 100 milliards. Ils ont également obtenu une augmentation de leurs rabais, ce qui signifie que l’Union européenne leur donne plus d’argent pour compenser leur participation à l’effort commun : quel cynisme de se faire appeler « frugal » lorsqu’on négocie à la baisse sa solidarité à l’égard de l’Union ! Ces pays ne se sont pas contentés de cela, puisqu’ils ont aussi modifié la répartition du plan de relance en supprimant par exemple 5 milliards pour l’aide humanitaire, plus de 10 milliards pour la solidarité internationale, sans parler du fait que les fonds de transition climatique ont été réduits de 40 à 10 milliards. À l’heure de la pandémie mondiale, on peut s’étonner que ces efforts aient été rayés d’un trait de plume !

Mais ce n’est pas tout, puisque les frugaux, comme on dit, ont aussi obtenu l’augmentation des frais ponctionnés par les États membres sur la perception des ressources propres de l’Union européenne de 20 à 25 %, alors qu’il était prévu de les diminuer à 10 %. Ce manque à gagner, ainsi que l’augmentation des rabais, va coûter plus d’un milliard supplémentaire par an à la France, dans le cadre de ce prélèvement sur recettes. Si l’on ajoute à cela le Brexit et le plan de relance, la contribution de la France augmente de 25 %, soit plus de 5 milliards supplémentaires, pour atteindre 26,9 milliards.

Cette Union européenne marche sur la tête ! Pire, elle continue d’aller à rebours de l’histoire, en négociant actuellement près d’une quinzaine d’accords de libre-échange, qui suppriment systématiquement tous ses droits de douane, sa seule véritable ressource propre.

Comment voter pour un tel prélèvement ? Comment accepter un fonctionnement aussi asymétrique, imposé par les forces du marché contre les peuples ? Comme le rapporteur pour avis, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’opposent à la baisse des crédits pour l’agriculture dans les territoires ultramarins.

M. Jean-Michel Clément. On a tendance à oublier le groupe Libertés et Territoires, alors que nous sommes une majorité dans la minorité !

En 2021, la contribution de la France au budget de l’Union européenne va augmenter de 25 % : ce n’est pas rien et cela mérite réflexion. Certes, cette augmentation est la conséquence du Brexit, de la crise économique et de l’accord du Conseil européen du 21 juillet sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027, ainsi que du plan de relance.

L’année 2021 est donc la première année d’un nouveau cadre financier pluriannuel pour l’Union européenne, qui s’étendra sur sept ans. C’est également le début d’une nouvelle ère pour l’Union, qui doit se réinventer pour tirer les conséquences de deux crises majeures, celle du Brexit et celle de la covid-19. La réponse du Conseil européen de juillet 2020 est un tournant politique et budgétaire pour l’Union européenne. Elle repose sur trois piliers étroitement imbriqués : le cadre financier pluriannuel 2021-2027, le plan de relance et les ressources propres.

La hausse de la contribution française augmente de 5,4 milliards par rapport à 2020, pour compenser notamment les pertes de recettes dues au Brexit. Cette hausse exigera encore plus de vigilance de notre part, alors que d’autres pays ont pu maintenir leur rabais. Les négociations sur le plan de relance européen ont été l’occasion d’un d’échange d’amabilités sur le supposé égoïsme des uns et des autres, mais les choses sont plus complexes que cela. Si les pays dits « du Nord » ne veulent pas être responsables du remboursement des dettes des autres à n’importe quelle condition, cela ne les empêche pas de se montrer solidaires d’une autre manière, avec un solde net par habitant des plus élevés – c’est un argument qu’ils ont fait valoir.

Néanmoins, avec le Brexit et la négociation du cadre financier pluriannuel 2021-2027, nous avions une occasion historique d’en finir avec ces rabais, qui concernent certains pays comme les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark, la Suède, mais également l’Allemagne. C’est vraiment une occasion manquée ! Ces pays ont profité des négociations sur le plan de relance, en lien avec la crise du covid-19, pour conserver ces avantages. Où est la solidarité européenne ? Les questions de santé, qui se sont invitées dans le débat, auraient dû être l’occasion de l’affirmer.

Au total, ce sont 10 milliards de plus sur sept ans qui se sont envolés des caisses communautaires. Dès lors, comment nous positionner par rapport à cet article 31, quand on sait que ces rabais sont à la charge de tous les autres pays, notamment des contribuables français, vu la part du PIB de l’hexagone dans la richesse européenne ? N’oublions pas non plus qu’il a fallu tailler dans le budget européen de la recherche, d’Erasmus ou de l’innovation, et que le programme de santé de 9 milliards a disparu, alors que nous déplorons l’absence de moyens de l’Union européenne pour faire face à la pandémie.

Faut-il se consoler en notant que la part réservée à la France sur le budget de la PAC a été préservée, à hauteur de 62,4 milliards, affichant ainsi une quasi stabilité en euros constants ? Cela a été dit avant moi : c’est vrai pour certains, mais pas pour tout le monde. Je pense notamment à nos concitoyens ultramarins, qui sont les perdants de l’affaire. Le montant des aides dites du « second pilier » correspond au développement rural, à la transition écologique et à l’installation des jeunes agriculteurs. Il progresse de 10 à 11,4 milliards, dont 900 millions octroyés dans le cadre du plan de relance européen.

Nous devrons donc nous satisfaire de cela, en rappelant que ce plan vise à relancer l’économie européenne, à accélérer les transitions verte et numérique et à renforcer la résilience et la durabilité. Nous noterons toutefois que, pour la première fois, la Commission européenne va emprunter au nom de l’Union et répartir les fonds entre des prêts et des subventions aux différents États membres. Une allocation maximale de subventions par État membre est fixée par une clé d’allocation, déterminée notamment par la population, le PIB et le taux de chômage entre 2015 et 2019. En l’état, les principaux bénéficiaires de l’enveloppe seraient donc l’Italie, l’Espagne, la France et la Pologne.

Enfin, les dépenses de l’Union européenne devraient concorder avec les objectifs de l’accord de Paris et le principe « Ne pas nuire » du Pacte vert, tandis qu’une nouvelle ressource propre fondée sur les déchets plastiques non recyclés sera établie et appliquée à partir du 1er janvier 2021.

En conclusion, je dirai que si des contreparties ont pu être obtenues à ce prélèvement sur recettes, le groupe Libertés et Territoires émet globalement un avis négatif, car il estime que nous avons manqué une occasion de changer les choses, alors que la situation pandémique nous y invitait.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Les chiffres sont extravagants : 5 milliards d’euros de plus, 80 % des recettes de douane, soit 1,8 milliard d’euros, ce qui représente, au total, 26,8 milliards d’euros. Ces 5 milliards d’euros supplémentaires sont l’équivalent du Ségur de la santé. Les dépenses administratives de l’Union européenne ont progressé de 4 % pour atteindre 73 milliards d’euros. Nous sommes le deuxième contributeur net et nous sommes passés, en dix ans, de 5 à 9 milliards d’euros. La contribution nette de la France, qui représente ce qu’elle verse, déduction faite des sommes reçues, a très largement dépassé les 10 milliards d’euros, pour alimenter une Union européenne qui subventionne les industries polonaises, comme l’a révélé l’affaire Bridgestone, et signe des accords de libre-échange dont l’effet est d’aggraver le chômage dans notre pays au point que nous ne puissions plus le maîtriser.

Non seulement on verse, aux frais des contribuables à qui on a dit qu’il n’y avait plus d’argent, des milliards d’euros à une institution qui joue contre nous, mais on rate les négociations du plan de relance ! Comment M. Brindeau peut-il déclarer que ce plan de relance soulagera nos finances publiques ? C’est un comble ! Je ne peux accepter de tels propos, chers collègues.

Le Président de la République a très mal négocié cet accord, tout le monde le sait. Il paraît que l’on recevra 45,8 milliards d’euros. N’oublions pas que la France contribue pour plus de 15 % au budget européen. Faute de ressources propres, que la France n’a pas réussi à négocier alors que c’était le moment ou jamais, elle paiera au moins 70 milliards d’euros à terme ! C’est la pire mauvaise affaire que l’on pouvait imaginer ! Nous allons payer le double de ce que nous allons recevoir. Et encore ! Nous ne sommes pas certains de ce que nous recevrons car nous alimentons une usine à gaz. Ainsi, seuls 10 milliards d’euros sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021. C’est une très mauvaise affaire financière.

Venons-en à présent aux rabais. L’Allemagne recevra 3,6 milliards d’euros par an, ce qui représente près de 20 % de sa contribution. C’est colossal ! Et les Pays-Bas recevront 1,9 milliard, soit près de 50 % de leur contribution. Non seulement on signe un accord qui défavorise notre pays mais en plus, on accepte de verser de l’argent à ceux qui refusent de payer. La France est le dindon de la farce : pas de ressources propres, pas dans les temps, usine à gaz.

Je terminerai par deux constats : les ultramarins paieront cher cet accord et on sacrifie les investissements à long terme alors qu’ils représentent le seul intérêt de l’Union européenne puisqu’ils permettent de conclure de vraies coopérations qui nous donnent les moyens de faire face à la Chine ou aux États-Unis, en particulier dans le domaine spatial. Hélas, on les sacrifie. Au nom d’un prétendu idéal fédéraliste, on alimente un trou noir qui pompera l’argent des Français.

Soyons attentifs aux votes sur cette contribution. Nous verrons qui accepte de claquer 5 milliards d’euros en plus, sans aucune contrepartie pour nous, alors que les institutions européennes alimentent le chômage de masse dans notre pays.

M. Alain David. J’aimerais que l’on me précise le compromis obtenu sur le principe de conditionnalité. Que devient la portée de ce dispositif censé conditionner les aides européennes au respect de certaines valeurs démocratiques ou des droits de l’homme, à présent que les sanctions se décident à la majorité qualifiée ? En gros, après le premier avertissement tombe le blâme mais que se passe-t-il ensuite ? On donne une image ? Finalement, aucune sanction n’est jamais prise.

M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis. Certains arguments se retrouvent chez les uns et les autres. Pour autant, les votes dépendront de la manière dont chacun interprète l’intérêt que peut tirer notre pays du plan de relance européen et du nouveau cadre financier pluriannuel.

S’agissant des rabais, tout le monde regrette que ces questions n’aient pu être réglées dans le cadre des nouvelles négociations, dont on pourrait penser que les pays dits frugaux sont sortis vainqueurs. Rappelons cependant que la contribution de la France, de l’ordre de 2 milliards d’euros en 2020, sera ramenée à 1,5 milliard en 2021. Les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît.

Christian Hutin évoquait la somme de 100 milliards pour la France – je pense qu’il confondait le plan de relance français avec le plan de relance européen. La France recevra une enveloppe de 45,8 milliards d’euros. Quelques collègues considèrent que la France devra, finalement, payer beaucoup plus cher que prévu. Je ne le crois pas. En tout cas, la contribution prévue pour ce budget n’est pas supérieure aux crédits dont nous pourrons bénéficier au titre du plan de relance européen même si, nous en convenons tous, les plus grandes incertitudes pèsent sur la capacité des entreprises nationales et, plus globalement, de l’économie européenne, à repartir dans de bonnes conditions. C’est aussi ce qui conditionne la réussite du plan de relance et les capacités de financement.

Enfin, Monsieur Dupont-Aignan, les négociations autour de la constitution de ressources propres pour l’Union européenne – auxquelles je me réjouis que vous soyez assez favorables, chers collègues – ne sont pas terminées. Il est impératif d’ailleurs qu’elles aboutissent et la France y prendra toute sa part. L’Union européenne doit dégager de nouvelles ressources propres : taxe numérique, taxe carbone etc. Le sujet est complexe mais l’espoir demeure d’aboutir à un accord qui permette de relever le montant des ressources propres. Nous ne sommes pas naïfs et nous portons un regard lucide sur l’effort qui est demandé à notre pays pour financer le budget européen. Cet effort est partagé avec d’autres pays et si les négociations se poursuivent dans de bonnes conditions, elles permettront d’aboutir à un équilibre qui ne sera sans doute pas si mauvais que cela.

M. El Guerrab m’a posé une question au sujet de la réserve de 5 milliards. On ne sait pas quel sera le bilan des négociations autour du Brexit mais le ministère des comptes publics a prévu d’accompagner les entreprises qui pourraient en pâtir.

M. Nicolas Dupont-Aignan. À combien estimez-vous le montant de la contribution nette de la France en 2021 ? Nous n’avons en général le chiffre exact qu’avec un retard de deux ans or, j’aimerais que vous l’estimiez car il est évident que la très forte hausse de notre contribution brute signifie une tout aussi forte hausse de notre contribution nette.

Quant au financement du plan de relance, dès lors que l’on n’a pas consolidé le principe des ressources propres de l’Union européenne, que l’on a consenti des rabais très importants aux pays dits frugaux, que les pays du sud seront les principaux bénéficiaires du plan de relance, je ne vois pas comment la France, qui se retrouve en position de faiblesse et a accepté d’augmenter considérablement sa contribution pour les cinq prochaines années, pourrait obtenir ce qu’elle n’a pas réussi à négocier au plus fort de la crise. En 2026, l’Union européenne pourra exiger le paiement. Faites le calcul : dès lors que nous participons à hauteur de 15 % au budget européen, nous devrons verser 70 milliards. Vous pouvez tourner les choses dans tous les sens, le résultat sera le même : nous avons sacrifié notre position de force dans les négociations pour un effet d’annonce. Ce n’est pas la première fois, du reste, qu’un gouvernement ou un président de la République cède tout à ses partenaires pour se dire européen. Au contraire, ceux qui contribuent le moins sont ceux qui se montrent les plus fermes dans les négociations. Une France faible en négociations se paye très cher. Les contribuables en supporteront le prix, de l’ordre de plusieurs milliards d’euros. C’est quasiment le budget de la recherche et de l’enseignement supérieur, plus que le budget des solidarités. Allez expliquer aux Français que vous verserez tout cela à une organisation qui nous fait du mal.

M. Frédéric Petit. Mon voisin, qui vient de Normandie, et mon autre voisin, de Clermont-Ferrand, se demandent-ils si la Normandie et le Centre Val de Loire sont des contributeurs bruts au budget de l’Etat français ? Je ne le pense pas. C’est une question que l’on ne se pose même pas. J’ai beaucoup apprécié les propos de Jean-Louis Bourlanges : l’Europe n’est pas une épicerie.

Nous construisons l’Europe avec des pays qui en ont besoin aujourd’hui. Nous avons réussi à dépasser nombre de conflits. Ce n’est que dans les cimetières qu’on ne trouve pas de conflit car le conflit est normal entre des États qui ne sont pas pareils. Pour autant, nous ne sommes plus en guerre, nous négocions. Nous ne sommes pas semblables mais la Pologne est aussi chez nous. Le retour de la démocratie dans ces pays est un défi qui nous concerne tous. Varna, ce devrait être chez nous. Lisbonne est chez nous. Dès lors que l’on considère l’Europe comme une épicerie, on peut aligner comme on veut les chiffres du prélèvement européen, monsieur Dupont-Aignan. On peut jouer avec eux et les comparer pour se faire peur. Ils restent cependant assez modestes au regard de l’ampleur du projet.

En tout cas, cette façon d’aborder le débat m’est désagréable et me semble même dangereuse.

M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis. La contribution nette est, aujourd’hui, de l’ordre de 7 milliards d’euros. Il est toujours difficile de donner une évaluation précise car l’exécution peut ne pas être conforme aux prévisions – il peut même arriver qu’elle soit revue à la baisse comme ce fut le cas dans le précédent cadre financier pluriannuel. Elle est, pour le moment, évaluée à 10 milliards d’euros.

Article 31

Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

La commission en vient à l’examen pour avis des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ».

M. Rodrigue Kokouendo, président. Le rapporteur pour avis, Jean François Mbaye, a cette année décidé d’étudier un aspect capital de la diplomatie environnementale : la gestion de la ressource en eau. Son rapport présente un état des lieux de cette ressource vitale dont la disponibilité est inégalement répartie dans le monde. Les enjeux politiques sont considérables et les tensions causées par le partage de cette ressource ou son accès s’aggravent.

L’exemple du bassin du Nil, retenu par Jean François Mbaye, est très significatif. La France peut et doit jouer un rôle dans l’accès à cette ressource mais également pour sa gestion durable.

L’accès à l’eau et à l’assainissement est devenu, en 2015, l’un des dix-sept objectifs de développement durable de l’agenda 2030 de l’Organisation des Nations unies. Notre diplomatie promeut activement la réalisation de cet objectif.

L’Agence française de développement a un rôle particulier à jouer. Elle dépense près de 1,3 milliard d’euros chaque année pour financer des projets d’accès à l’eau et d’assainissement. Cette somme a doublé en six ans, ce qui témoigne de la prise de conscience des enjeux diplomatiques et humains dans ce domaine. La France mobilise également son aide publique au développement dans le domaine de l’eau au travers de nombreuses coopérations décentralisées. M. le rapporteur pour avis nous expliquera cela en détails.

M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères est saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables du projet de loi de finances pour 2021. Je tiens, dès à présent, à saluer l’évolution à la hausse des crédits de cette mission qui permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement.

Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de porter un tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. J’estime que le projet de loi de finances pour 2021 lui en donne les moyens.

L’examen du budget constitue, en outre, pour la commission des affaires étrangères, l’occasion d’examiner, chaque année, les instruments, les objectifs et les modalités de ce qui est communément appelé la diplomatie environnementale. J’ai choisi, cette année, de consacrer la partie thématique de mes travaux aux défis de l’eau à l’échelle mondiale.

La préservation d’une eau de qualité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique et environnemental considérable. À l’échelle mondiale, un tiers de la population n’a pas accès à l’eau potable. La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Chaque jour, près de 1 000 enfants décèdent de maladies liées à la consommation d’eaux impropres. Dans le même temps, des milliers de litres d’eau sont gaspillés dans certains pays, tous les jours, en raison de la vétusté des infrastructures hydrauliques. On estime, par ailleurs, qu’au cours des cent dernières années la planète a perdu la moitié de ses zones humides naturelles. Le taux de perte est ainsi trois fois plus élevé que celui des forêts. Nous l’avions évoqué l’année dernière et j’avais émis des recommandations.

Selon le rapport des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau de 2019, l’eau, sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio-économique et de l’évolution des modes de consommation, est une ressource de plus en plus sollicitée. Son utilisation augmente chaque année d’environ 1 % depuis les années 1980. La demande mondiale en eau devrait continuer à croître à un rythme soutenu jusqu’en 2050, laissant augurer une augmentation de 20 à 30 % à la fin de la période. Pour autant, cette hausse de la consommation de la ressource, aggravée par les effets du dérèglement climatique, ne devrait pas fondamentalement modifier la répartition actuelle des prélèvements : 69 % étant destinés à l’agriculture, 19 % aux usages industriels et seulement 12 % à la consommation domestique. Il est, cependant, important de relever que ces chiffres globaux de répartition entre les usages agricoles, industriels et domestiques masquent de grandes diversités régionales.

Un habitant d’Amérique du Nord consomme ainsi en moyenne 250 litres d’eau par jour, contre 150 litres pour une personne résidant en France et moins de dix litres pour un habitant d’Afrique subsaharienne.

Par ailleurs, selon les analyses statistiques du programme des Nations unies pour l’environnement, l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture dégradent de plus en plus la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines. Leur pollution et leur surexploitation représentent ainsi une menace silencieuse grandissante pour les populations et l’environnement.

L’eau, cette ressource indispensable au développement de la vie, est présente en abondance sur terre mais elle est très inégalement répartie. À l’échelle mondiale, quelques États disposent d’une ressource très abondante comme le Brésil, le Canada et la Russie. À l’opposé, quelques pays ont des ressources en eau quasi inexistantes à l’image du Koweit et de certaines îles comme Malte ou les Maldives.

La carte que je vous présente donne à voir l’état des ressources en eau par État selon l’indice de stress hydrique qui permet de distinguer différentes catégories de pays en fonction de la disponibilité en mètres cubes d’eau bleue par personne et par an. Mais comme l’ont relevé certains chercheurs en audition, cet indice de stress hydrique peut se révéler trompeur car il ne prend pas en compte les capacités des États à mobiliser la ressource en eau, c’est-à-dire la manière dont les sociétés humaines parviennent à s’adapter aux contraintes du milieu en construisant des ouvrages hydrauliques permettant notamment d’extraire une eau de qualité, de l’acheminer et de la stocker.

Cette capacité d’adaptation qui repose sur trois facteurs – l’expertise technique, la capacité financière et la volonté politique – permet de dessiner une toute autre carte. L’indice de pauvreté en eau qui, au-delà de la disponibilité de la ressource, prend en compte les pressions exercées, les investissements réalisés et la préservation de l’environnement, nous permet de mieux saisir les enjeux mondiaux de la crise de l’eau. Selon cet indice, l’un des pays les mieux dotés est la Finlande. La France est également très bien positionnée. À l’opposé, des pays comme le Niger ou Haïti, qui cumulent des ressources en eau faibles et des difficultés techniques et financières importantes, se trouvent dans une situation hydrique particulièrement critique. Israël, pour sa part, malgré une faible ressource en eau, enregistre de bons résultats alors que la République démocratique du Congo, qui dispose pourtant d’une ressource abondante, est confrontée à une inquiétante pauvreté en eau.

L’inégale répartition des ressources en eau sur la planète et les conditions de leur accessibilité peuvent ainsi engendrer des situations de fortes tensions interétatiques comme le montrent les crispations actuelles entre l’Égypte et l’Ethiopie au sujet de la construction du grand barrage de la Renaissance sur le Nil bleu.

Inversement, les eaux transfrontalières peuvent également susciter des coopérations régionales renforcées comme en témoigne, en Europe, la convention sur la protection du Danube. À l’échelle mondiale, l’eau est une ressource que les États ont en partage puisque 263 bassins transfrontaliers majeurs ont été répertoriés, représentant à eux seuls environ 60 % des ressources en eau de surface.

Le risque d’une guerre de l’eau n’est, semble-t-il, pas à craindre aujourd’hui. En effet, mobiliser des ressources alternatives, comme l’exploitation de ressources souterraines, le dessalement des eaux de mer, la modification des usages, paraît, d’un point de vue politique, beaucoup moins risqué qu’un conflit armé en vue de s’accaparer la ressource en eau. Cependant, la question de l’accès à l’eau peut s’ajouter à d’autres conflits préexistants et ajouter de la crise à la crise. Elle devient alors un facteur d’aggravation des tensions en cours ou un élément de négociation.

Qu’il s’agisse de l’amélioration de l’accès aux services d’eau et d’assainissement ou de la gestion durable de la ressource, la France fait preuve, depuis de nombreuses années, d’un engagement actif sur la scène internationale. Très impliquée pour la reconnaissance du droit humain à l’eau et à l’assainissement, portée dans l’enceinte des Nations unies en 2010, la France a largement contribué à l’inscription de l’objectif de développement durable n° 6, qui vise à garantir à tous l’accès à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau.

Cet engagement, qui lie respect des droits humains et préservation de la ressource, constitue un enjeu majeur de stabilité et de paix pour la diplomatie française. Il a d’ailleurs été réaffirmé dans le cadre de l’ambitieuse stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement entre 2020 et 2030, dont s’est dotée la France le 24 février dernier.

Notre pays, grâce à son réseau diplomatique et au levier de l’aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser pour soutenir des actions de terrain bilatérales et multilatérales dans le domaine hydrique. L’accès durable à la ressource en eau constitue un vecteur de santé publique, de développement économique, de réduction de la pauvreté mais aussi d’amélioration de l’émancipation des femmes. En effet, l’eau constitue un véritable révélateur des inégalités sociales et entre les genres.

Afin de rendre le sujet de la protection de la ressource en eau plus visible et de renforcer les actions dans ce domaine, je serais favorable à la création d’une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l’eau, sous l’égide des Nations unies, comme cela est déjà le cas pour le climat. Par ailleurs, la désignation d’un ambassadeur thématique pour la ressource en eau pourrait renforcer la visibilité de la problématique auprès de nos concitoyens et de nos partenaires internationaux.

Notre diplomatie environnementale est résolument mobilisée autour des enjeux hydriques mais elle devrait être mieux valorisée.

Enfin, pour porter efficacement un tel message sur la scène internationale, la France doit conduire, dans son propre territoire, une action écologique ambitieuse et exemplaire afin de favoriser, à l’instar de ce qu’elle a su faire pour le climat, un élan collectif au service de la préservation de la nature et du vivant, à l’échelle de la planète.

J’invite par conséquent la commission des affaires étrangères à émettre, à l’issue de cette réunion, un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables pour 2021.

Mme Marion Lenne. Je remercie le rapporteur pour sa présentation, riche et dense, des défis de l’eau à l’échelle mondiale. Députée d’une circonscription où se trouvent de prestigieuses eaux minérales ainsi que le cluster eau lémanique Evian, je sais, comme vous, combien la préservation de la qualité de l’eau et de sa circularité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique, environnemental et même patrimonial, majeur.

Ainsi, le quart sud-est de la France dépend du lac Léman, que nous partageons avec la Suisse, notamment pour l’alimentation en eau potable de la métropole de Lyon, la production d’électricité et de nombreux usages agricoles tout le long du Rhône jusqu’à son delta. Je salue le travail remarquable de l’Association pour la protection de l’impluvium de l’eau minérale Évian, l’APIEME, ainsi que de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman, la CIPEL, commission intergouvernementale franco-suisse chargée de surveiller l’évolution de la qualité des eaux du lac Léman, du Rhône et de leurs affluents.

Trois personnes sur dix n’ont pas accès à une source d’eau potable sûre. La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Consciente de cet enjeu, dès 2005, la France fait de l’eau et de l’assainissement sa première stratégie sectorielle de l’aide publique au développement. Depuis, elle les reconnaît comme secteur prioritaire. Le 24 février dernier, notre pays s’est également doté d’une stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement sur la période allant de 2020 à 2030.

Monsieur le rapporteur pour avis, quelles sont les actions menées par la France à l’échelle internationale afin de développer les infrastructures et l’expertise de nos partenaires qui souffrent de la pollution de l’eau ? Le choléra, la typhoïde, le trachome transmis par l’eau souillée causent encore des ravages dans le monde entier, ce qui fait de l’assainissement une vraie question de santé publique.

En 2019, l’Agence française de développement a dépensé plus de 1 300 millions d’euros en faveur du secteur de l’eau et de l’assainissement. Pourriez-vous détailler l’usage qui a été fait de cette enveloppe dont l’importance témoigne de l’intérêt que nous portons à ce domaine.

M. Olivier Dassault. Mon intervention portera sur le paiement vert de la PAC. Pour en bénéficier, un agriculteur doit maintenir ou établir des surfaces d’intérêt écologique sur l’équivalent de 5 % de sa surface en terres arables. Les agriculteurs ont donc semé de la verdure avant le 31 août. Or, en septembre, de nombreux départements, notamment celui de l’Oise, ont été frappés par la sécheresse. Sans eau, les graines ne lèvent pas. Or, en cas de contrôle, l’Agence de services et de paiement est catégorique : pas de vert, pas de paiement vert. L’agence ne cherche pas à comprendre, ne se déplace pas pour relever l’état des sols ou constater la situation. Leur décision est catégorique malgré la bonne foi des agriculteurs. Or, une telle décision remet en cause la pérennité des exploitations en retardant le versement de ce paiement. Faut-il donner un tel pouvoir discrétionnaire à ces agences ?

M. Frédéric Petit. Il est extrêmement plaisant de suivre votre travail au fil des années, monsieur le rapporteur pour avis, car, parallèlement à la poursuite de l’analyse budgétaire, vous approfondissez chaque année un sujet particulier.

S’agissant du droit international de l’eau, une spécificité française me marque car on la retrouve rarement dans d’autres pays : la notion de bassin versant, transposée dans le droit administratif. Nous sommes l’un des rares pays à compter des agences de bassin. Ainsi, les regroupements multilatéraux autour du Danube, du Rhin, ne manquent pas mais avez-vous perçu cette notion de travail en bassin au niveau des administrations internationales dans le cadre du green deal, le pacte vert pour l’Europe ?

Par ailleurs, d’un point de vue diplomatique, je suis d’accord avec vous : il est probable qu’aucune guerre ne soit déclenchée. Bien souvent, au contraire, lorsque les situations sont tendues, l’eau est le dernier refuge : on ne se bat pas parce que c’est un domaine qui se place au-dessus des contentieux. En revanche, une gestion commune de l’eau pourrait-elle contribuer à pacifier les relations, sur le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l’acier qui, en son temps, à permis de construire l’Europe ? Vous avez cité l’exemple du Nil. Celui des relations entre l’Inde et le Pakistan en est un autre puisque la gestion de l’eau a permis de les pacifier, au-delà de la résolution du problème particulier de l’eau. La diplomatie de l’eau pourrait-elle aller plus loin ?

Nous avons un ambassadeur du climat : peut-il être en charge du dossier de l’eau ou faudrait-il créer un poste d’ambassadeur dédié ?

Enfin, on regrette souvent l’absence de régulation par le droit international sur certaines zones maritimes. Ne devrions-nous pas relier cette question à celui de l’eau ? Je regrette d’ailleurs que la mission concernée soit la seule du ministère dont les crédits aient été réduits.

M. Alain David. Merci pour cette présentation éclairante mais un certain flou continuera d’entourer les périmètres du budget dédié à l’écologie. Le Gouvernement semble avoir manqué l’occasion que lui offrait ce premier projet de loi de finances post-coronavirus, de réorienter structurellement nos politiques publiques vers une transition écologique, juste et solidaire, afin de placer notre pays à la hauteur des ambitions que nous avions contribué à fixer lors des accords de Paris.

Les mesures en faveur des entreprises ne font l’objet d’aucune éco-conditionnalité et le dispositif prévu pour la rénovation thermique est bien trop faible pour espérer résorber les 7 millions de passoires énergétiques du pays. Aucune politique publique ne peut être menée efficacement sans moyens humains. Or, le ministère de la transition écologique continue de réduire ses effectifs : le projet de loi de finances pour 2021 prévoit de supprimer environ 1 000 postes en équivalents temps plein, ce qui en fait le deuxième ministère le plus concerné par les baisses d’effectifs.

Ce PLF n’est pas davantage à la hauteur de l’enjeu des mobilités durables. Alors que la loi d’orientation des mobilités prévoyait une trajectoire pluriannuelle pour le financement des infrastructures de transport, la crise sanitaire pourrait tout remettre en cause, faute d’un financement stable et de garanties suffisantes de l’État. En effet, le développement du ferroviaire, du fluvial et de l’ensemble des mobilités durables dépend en grande partie de la capacité de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France de garantir les financements prévus par la LOM. Or, les ressources de cet organisme, en partie tirées du produit de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, ont diminué en raison de la crise. Faute d’un véritable plan de sauvetage, les investissements prévus risquent d’être durablement gelés.

M. M’Jid El Guerrab. Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis, pour cet excellent état des lieux. L’évolution à la hausse des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » devrait permettre à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement. Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales.

Afin de pouvoir porter un tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. La France s’est ainsi dotée, le 24 février 2020, d’une nouvelle stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement pour la période 2020-2030. Piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ce nouveau plan d’action de la diplomatie environnementale a été élaboré de manière inclusive et participative, avec l’ensemble des acteurs français du secteur de l’eau.

La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Chaque jour, près de 1 000 enfants décèdent de maladies liées à la consommation d’eau impropre. Dans le même temps, des milliers de litres d’eau sont gaspillés dans certains pays, tous les jours, en raison de la vétusté des infrastructures hydrauliques. La préservation d’une eau de qualité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique et environnemental considérable. À l’échelle internationale, trois personnes sur dix n’ont pas accès à une source d’eau potable sûre ; un Africain sur deux n’a pas accès à l’eau potable et 90 % des populations rurales n’ont pas accès à l’eau potable sur le continent.

Je rentre de Niamey, au Niger – c’est la raison pour laquelle j’arbore ce magnifique masque. Le Sahel est marqué par des dérèglements chroniques du climat : sécheresse et inondations sont fréquentes, ainsi qu’un déficit structurel d’infrastructures hydrauliques. Les dernières inondations au bord du Niger ont été catastrophiques. Par ailleurs, le manque d’accès à l’eau a été aggravé par les conflits ou l’insécurité. Il en résulte que de nombreuses populations du Sahel souffrent de vulnérabilité ou de stress hydrique, d’autant plus que la disponibilité en eau par habitant a diminué de plus de 40 % au cours des vingt dernières années dans les pays sahéliens.

Sans aller jusqu’à parler de guerre de l’eau, l’instabilité déjà présente dans certains pays du Sahel, tels que le Mali, ne risque-t-elle pas de provoquer des conflits très graves dans ces zones-là ? Quel peut être le rôle de la diplomatie française ? Enfin, j’approuve votre proposition de créer un ambassadeur de l’eau.

M. Jean-Paul Lecoq. Je tiens à remercier chaleureusement mon collègue Jean-François Mbaye pour son bon rapport – je ne peux pas dire très bon parce que je n’en partage pas toutes les conclusions – sur le thème de l’eau dans le monde, question fondamentale pour l’avenir. Il a raison de poursuivre ce travail et de nous interpeller régulièrement sur ce sujet. Nous ferions preuve d’une grande responsabilité en relayant son travail au plus haut niveau de l’État, y compris à l’échelle de l’Europe, pour bien montrer que cela fait partie des enjeux du futur. Les six recommandations qui sont faites sont très pertinentes et les députés communistes pourraient tout à fait s’y associer.

Cependant la question écologique se fait de plus en plus pressante alors que, chaque année, nous battons au niveau international toujours plus de records – records de sécheresse, de chaleur, de précipitations, d’hectares brûlés, d’hectares ravagés par les insectes, et j’en passe.

Le projet de loi de finances français et le projet de relance européen font pourtant pâle figure face à cette urgence. Alors que les 150 citoyens de la convention pour le climat ont demandé un engagement formel du Président de la République en faveur de l’environnement, nous débattons, comme toujours, sans cohérence globale. Sur la première partie du projet de loi de finances, par exemple, la baisse des impôts de production entérine l’obsession du Gouvernement de faire gonfler le chiffre d’affaires des grandes entreprises, sans aucune contrepartie sociale, en termes d’emploi ou encore d’écologie – donner 36 milliards sans contrepartie, quel scandale ! Pas d’abaissement de la TVA sur les transports en commun, une aide à la rénovation des logements timide, et bien trop peu pour aider l’agriculture française à rester compétitive tout en restant écologiquement ou en devenant écologiquement performante…

Côté ministère des affaires étrangères, il y a aussi une grande marge d’amélioration : rien pour changer les habitudes extractivistes de certaines grandes entreprises multinationales et françaises ; pire, la diplomatie aide systématiquement ces entreprises à s’installer dans les pays, ce qui est regrettable pour l’avenir de la planète et de ses habitants. Rien sur le respect des objectifs du traité de Paris ou sur la préservation de l’environnement dans les traités ou les conventions internationales : à chaque fois que nous en débattons dans notre commission, le ministre nous répond que ce sera pour la prochaine fois. Rien non plus, au niveau national et européen, concernant un moratoire sur les accords de libre-échange, alors que cela constituerait un vrai pas en avant écologique : oui, importer des produits d’Australie quand on les fabrique chez nous est une absurdité, un vrai crime écologique !

Enfin, les députés communistes pensent qu’il serait très pertinent que la France s’engage plus fortement dans les fonds multinationaux pour la préservation de l’environnement ou pour favoriser les actions sur le terrain. Voilà les chantiers que les députés communistes proposent pour une vraie diplomatie environnementale ; en attendant, nous donnons un avis défavorable à ce budget.

M. Jean-Michel Clément. Je souhaite moi aussi féliciter notre rapporteur pour l’excellent travail qu’il conduit sur la problématique de l’eau à l’échelle mondiale. Tous ceux qui ont fait de la coopération décentralisée connaissent l’importance de ce vecteur de développement, notamment dans les pays africains.

Conduire une politique environnementale ambitieuse et exemplaire en France pour porter ce message à l’international : tel est le vœu que vous formulez, monsieur le rapporteur pour avis, dans l’introduction de votre rapport. Vous estimez que le projet de loi de finances dont nous débattons lui en donne les moyens. Je dois vous dire d’emblée que je ne partage pas votre enthousiasme, tant les changements de modèles que nous devons opérer dans de nombreux domaines sont importants.

Tout d’abord, dans le domaine des transports, ce ne sont pas les mobilités douces ou durables – peu importe l’appellation – qui nous feront progresser rapidement dans la réduction des gaz à effet de serre, mais bien la réduction des véhicules thermiques au profit des hybrides et des électriques, sans pour autant pénaliser ceux qui n’auront pas les moyens de les acquérir ou de les utiliser. Sans moyens appropriés, les fractures sociale et territoriale risquent encore de se creuser ; je ne sais pas comment le projet de budget pour l’écologie va répondre à cela.

Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, nous n’arrivons toujours pas à nous défaire des modèles agricoles qui ont structuré l’agriculture jusqu’à maintenant et auxquels s’accroche encore la pensée agricole dominante. Le retour des néonicotinoïdes et le maintien du glyphosate, toujours autorisé, ne participent pas à l’exemplarité souhaitée.

S’agissant de la problématique de l’eau, en quoi sommes-nous exemplaires ? Selon la loi, l’eau appartient au patrimoine commun de la nation ; pourtant, ce bien commun est encore trop souvent privatisé par des groupes financiers concessionnaires de collectivités locales, lesquelles ont parfois beaucoup de difficultés à se défaire de ces concessions de longue durée.

L’eau est également privatisée par des usagers au nom d’une prétendue participation positive à la balance commerciale. Je suis originaire d’une région rurale et agricole et, chez nous, le maïs est en train d’envahir les plaines parce qu’il y a un port à La Rochelle pour exporter le maïs. Un kilo de maïs contient 48 % d’eau : cela veut dire qu’on exporte 48 % d’eau lorsque l’on exporte un kilo de maïs. Quelle est cette hérésie ? À l’échelle mondiale, 79 % de l’eau est utilisée pour l’agriculture. Nous pourrions peut-être commencer par réduire notre participation dans cette production.

Par ailleurs, certains affirment que, pour lutter contre la sécheresse, il faudrait stocker l’eau qui tombe en hiver pour l’utiliser en été. Or cette eau est souvent complétée par des prélèvements en subsurface, une eau de qualité, davantage destinée à la consommation qu’à un usage agricole. Le débat sur les bassines, qui agite le Poitou-Charentes chaque week-end, mériterait autre chose que cette vision de l’économie agricole.

À l’échelle mondiale, l’accès à l’eau deviendra, à n’en pas douter, un enjeu géopolitique majeur. Si la France se veut être un modèle, il lui reste beaucoup à faire. Les opérations de coopération décentralisée, certes très utiles, sont malheureusement insuffisantes compte tenu des moyens dévolus aux collectivités locales. La transition écologique devrait être une feuille de route obligatoire. Une mission « Écologie, développement et mobilité durables » dans le budget ne suffit pas : cette dimension devrait être prise en compte de manière transversale dans chaque budget. Alors seulement nous pourrions faire figure de modèle pour les autres pays.

M. François de Rugy. Merci beaucoup à Jean François Mbaye pour sa présentation et pour son travail : nous ne pouvons qu’appuyer ses propos sur l’enjeu que représente l’eau.

Je voudrais tout d’abord dire quelques mots sur la dimension internationale : l’eau ne sera peut-être pas directement la cause de conflits armés entre pays, mais elle constitue un facteur de tension supplémentaire dans certaines régions du monde. Les responsables des pays concernés, à commencer par le président du Niger, affirment eux-mêmes que la réduction de l’alimentation en eau du lac Tchad est l’une des causes du développement de l’islamisme radical et du terrorisme dans cette région. On ne peut pas faire comme si on ne voyait pas les conséquences que cela peut avoir : il est absolument nécessaire d’étudier la question du rôle de la pénurie en eau ou des difficultés d’accès à l’eau dans la déstabilisation de ces régions, parfois très peuplées, comme dans le Nigeria voisin.

C’est un enjeu pour la France également, même s’il est sous-estimé. Notre rôle de responsables politiques est, sinon d’alerter, du moins d’éclairer nos concitoyens sur le fait que l’alimentation en eau potable dans certaines régions pourrait poser problème du fait du réchauffement climatique. Même en limitant les émissions de gaz à effet de serre, nous n’échapperons plus à un certain nombre d’effets du réchauffement climatique, raison pour laquelle nous devons lutter à la fois contre ses causes et ses effets, même s’il est parfois difficile de faire partager ce raisonnement dans notre pays.

Il nous faudra faire preuve d’innovation et nous appuyer sur de nouvelles méthodes, telles que la renaturation, certaines pratiques agricoles – j’ai vu des exemples très intéressants en Afrique –, ainsi que sur des innovations technologiques concernant le traitement de l’eau, son recyclage – qui n’est pas beaucoup pratiqué dans notre pays – ou encore son stockage. Or des responsables politiques de premier plan de notre pays s’opposent frontalement à toute politique du stockage de l’eau. On a ainsi pu constater le week-end dernier que M. Mélenchon et M. Jadot, s’opposaient à des mesures qui avaient pourtant été négociées sur le terrain. Cette incapacité à prendre en compte la nouvelle donne sur l’eau est assez inquiétante. Cela soulève également la question des progrès de la génétique : on ne pourra pas indéfiniment balayer d’un revers de la main les progrès dans ce domaine, notamment dans l’agriculture et la sylviculture, qui nous permettraient de faire face au phénomène de sécheresse prolongée.

Enfin, notre rapporteur pour avis pourrait-il nous donner des informations complémentaires sur la politique française de soutien à la coopération internationale et au développement local concernant l’utilisation des différentes techniques de traitement de l’eau pour un meilleur accès à l’eau potable ?

M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis. Je souhaite vous remercier pour les mots chaleureux que vous avez eus à mon égard. Je remercie également les interlocuteurs que nous avons rencontrés, notamment en Égypte, particulièrement notre ambassadeur en Égypte ainsi que la consule d’Alexandrie. Celle-ci fait d’ailleurs un travail remarquable en se déplaçant chaque année en France pour tenter de monter des projets de coopération décentralisée sur le thème de l’eau, par exemple avec la ville de Marseille et la métropole Aix-Marseille. Ce travail considérable témoigne de l’implication de notre réseau diplomatique sur ces questions.

Notre objectif est non seulement d’assurer une amélioration de l’accès à l’eau, mais également de lutter contre la dégradation de sa qualité. Il est très important de noter que les activités humaines, en favorisant le développement de l’eutrophisation anthropique, avec le rejet de quantité d’éléments nutritifs – phosphore, azote –, stimulent la croissance d’algues qui menacent directement l’équilibre et le maintien des écosystèmes et de la biodiversité.

On rencontre cette situation dans la région du lac Victoria, en Afrique de l’Est. L’Agence française de développement (AFD) y est mobilisée depuis 2008 à la suite d’une baisse significative de la biodiversité et de l’accélération de l’urbanisation de ses abords. L’AFD a soutenu de nombreux projets dans des villes riveraines – Kampala en Ouganda, Kisumu au Kenya, ou encore Musoma et Mwanza en Tanzanie –, ce qui a permis une amélioration de la qualité de l’eau et l’endiguement du phénomène d’eutrophisation. Au total, ces projets représentent plus de 550 millions d’euros d’investissement et concernent plus de 5 millions de personnes. Grâce à cette stratégie d’investissement, l’AFD peut ainsi mobiliser le savoir-faire technique français, préserver la qualité des eaux et optimiser la gestion de la ressource hydraulique.

Concernant le lac Léman, les discussions sont en cours depuis 2011. À ce stade, il n’existe aucun accord qui garantisse à la France les quantités d’eau disponibles dans le Rhône en sortie du lac Léman. Or l’alimentation en eau du quart Sud-Est de la France dépend notamment de l’alimentation en eau potable de la métropole de Lyon – plus d’un million d’habitants –, de la production d’électricité et des nombreux usages agricoles de l’eau tout au long du fleuve, jusqu’à son delta. Lors de son déplacement en Suisse, le 18 septembre 2020, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a eu l’occasion de rappeler à son homologue toute l’importance que revêtait la conclusion d’un tel accord.

Le Pacte vert pour l’Europe vise à encourager les États à définir une politique climatique, environnementale et énergétique ambitieuse. La question de l’eau et des bassins-versants sera certainement au cœur de cette ambition. Je vous propose de pousser un petit peu plus loin la réflexion sur le sujet et de revenir vers vous avec des éléments plus précis sur cette question, liée au Pacte vert pour l’Europe.

Je dois dire, en toute transparence, que je n’ai pas d’éléments techniques à fournir sur le conditionnement des aides européennes à l’existence de zones vertes et à leur évolution en cas de sécheresse – cette question importante ne peut d’ailleurs être discutée en commission des affaires étrangères. Je reviendrai vers vous dès que j’aurai des informations complémentaires des ministères de l’agriculture et de la transition écologique.

Si j’ai indiqué que les guerres de l’eau ne semblaient pas à l’ordre du jour, j’ai également précisé que la question de l’accès à l’eau pouvait venir se greffer sur d’autres conflits préexistants et ainsi aggraver la crise ; j’ai moi-même pu le constater lors de mon déplacement en Égypte sur la question du bassin du Nil. On retrouve également cette situation dans le bassin du Jourdain ou dans celui du Mékong.

La France doit conserver la position d’équilibre et de neutralité qui est la sienne dans le dossier de l’eau. Elle doit impérativement œuvrer en faveur du dialogue et de l’établissement d’une gestion concertée des eaux, comme cela a été fait avec succès avec l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal, créée en 1972.

Dans le rapport, je dresse une liste des bassins transfrontaliers de la France. J’aimerais que notre commission se saisisse de deux d’entre eux et interroge le Quai à ce sujet : le fleuve Oyapock, avec le Brésil, et le fleuve Maroni, avec le Suriname. Ces deux fleuves ne font l’objet d’aucun accord de coopération entre la France et ces pays riverains, alors même que des discussions peuvent être engagées. C’est un peu plus complexe que cela, mais il serait bienvenu que notre commission s’y intéresse pour appuyer la conclusion d’un accord de coopération concernant ces deux fleuves.

Nous ne sommes pas encore exemplaires et le chemin sera très long avant d’atteindre un seuil optimal de préservation de la nature et du vivant. Toutefois nous œuvrons dans cette direction : l’augmentation des crédits de la mission le prouve. D’année en année, nous devrons intensifier nos efforts, adapter nos modes de consommation. S’agissant de l’eau, nous pouvons dire que, sur plusieurs points, nous sommes un exemple puisque nous disposons d’un savoir technique exceptionnel en la matière. Ces efforts sont encore méconnus ; nous devons, pour cette raison, les valoriser auprès de nos concitoyens et de nos partenaires internationaux.

Il nous faut alerter nos concitoyens : la crise de l’eau est silencieuse – je pense notamment aux effets désastreux de la surexploitation des ressources souterraines, du gaspillage induit par la vétusté de certaines infrastructures hydrauliques, mais aussi de nos modes de consommation, que nous pouvons et devons améliorer.

Concernant la coopération internationale sur le traitement de l’eau, j’ai eu l’opportunité de rencontrer les partenaires de l’AFD en Égypte et de mener un état des lieux des projets en cours. J’ai d’ailleurs pu participer à l’inauguration d’une station d’épuration d’eau à proximité de la ville de Tanta, dans le delta du Nil, fruit d’une coopération entre l’Agence française de développement, la Banque européenne d’investissement, l’agence allemande de développement et le gouvernement égyptien, pour un montant total de 295 millions d’euros. J’ai aussi constaté l’avancée des travaux d’un projet d’implantation d’un réservoir au sol d’une capacité de 6 000 mètres cubes à proximité du Caire. Ces investissements sont d’une importance capitale dans une région où les pressions démographique, économique, environnementale et énergétique ne vont cesser de s’accroître.

Il faut être conscient que la diplomatie environnementale est très mobilisée sur ces questions. Je le dis en toute honnêteté, le chemin sera encore très long, mais je suis persuadé que la France agit sur le climat, sur la biodiversité, et qu’elle continuera à le faire. J’en veux pour preuve notre agenda international, qui abordera très prochainement ces questions, avec le prochain congrès mondial de la nature, qui se tiendra à Marseille. Nous attendons du Gouvernement qu’il contribue à en faire un exemple. Ce ne sera pas le seul : les rendez-vous internationaux sont nombreux, tels que la prochaine conférence des parties (COP) sur la biodiversité ou les cinq ans de l’accord de Paris.

Je partage votre inquiétude, je la relaie aussi, mais je ne peux pas vous laisser penser que ce projet de loi n’est pas sur la bonne voie sur les questions environnementales : l’ambition de la France dans ce domaine est très grande.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », tels qu’ils figurent à l’État B annexé à l’article 33 du projet de loi de finances pour 2021.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Avant d’en venir à l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », notre collègue Jean-Louis Bourlanges souhaite intervenir sur les informations que je vous ai communiquées concernant l’organisation de nos travaux.

M. Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le président, peut-être n’ai-je pas saisi la nuance exacte de vos propos, mais j’ai été un peu étonné d’apprendre que les travaux en visioconférence seraient rendus plus difficiles, ou même proscrits. Cela est-il dû à des problèmes dans l’organisation des votes ? Il me semblerait paradoxal que la réponse à la situation que nous connaissons consiste à exclure de nos travaux le télétravail. Mais je pense que telle n’est pas l’explication ; si vous vouliez bien nous apporter quelques précisions, je vous en serais très obligé.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Tous les travaux législatifs doivent se faire uniquement en présentiel. Les travaux de contrôle en revanche peuvent être faits par visioconférence.

M. Jean-Louis Bourlanges. Qu’entendez-vous par « travaux législatifs » : le vote ou les débats ?

M. Rodrigue Kokouendo, président. Le vote sur un texte législatif et les débats qui le précèdent.

M. Jean-Louis Bourlanges. Cela veut dire qu’on ne peut pas participer en visioconférence à un débat sur un texte législatif. Je me permets de dire que c’est une véritable aberration ! Je comprends très bien que le vote soit difficile à organiser autrement qu’en présentiel – encore que des délégations seraient possibles –, mais concernant les débats, cela revient à exclure tous ceux à qui le Gouvernement recommande de ne pas prendre le risque du présentiel ! C’est quand même pour le moins fort de café.

M. M’Jid El Guerrab. Ne pourrait-on envisager de diviser l’examen d’un texte législatif en deux avec, d’une part, le débat en visioconférence et, d’autre part, le vote en présentiel, avec une délégation de son groupe ? Il est vrai que si l’on n’est pas d’accord avec la ligne du groupe sur une question essentielle, cela peut poser problème.

Mme Isabelle Rauch. Je rappelle que c’est une décision de la conférence des présidents : chaque groupe y est représenté et a pris part à cette décision.

M. Jean-Paul Lecoq. Une mauvaise décision !

Mme Isabelle Rauch. Si vous n’êtes pas d’accord, chers collègues, vous devez demander à vos représentants du groupe qui siègent à la conférence des présidents de faire modifier la règle sanitaire.

Par ailleurs, si vous n’êtes pas d’accord avec le vote de votre groupe, rien ne vous empêche d’envoyer un courriel pour signifier que vous aviez une position différente. Nous avons reçu hier un courriel du président Richard Ferrand expliquant toutes ces dispositions. Ce débat n’a donc pas lieu d’être et ajoute à la confusion. Je ne pense pas qu’il soit pertinent d’évoquer cette question au moment d’un vote important sur les avis budgétaires.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Je pense qu’il est sain de discuter entre nous et, le cas échéant, de faire remonter certains points à la conférence des présidents, où siègent des représentants de tous les groupes. C’est en son sein qu’a été prise la décision, et elle seule pourra la modifier. Ce n’est pas notre commission qui y changera quoi que ce soit. Je prends donc note de ce qui a été dit et je le ferai remonter.

M. Jean-Louis Bourlanges. Ce n’est pas la conférence des présidents qui est compétente en matière de règlement !

M. Christian Hutin. Très juste !

M. Jean-Louis Bourlanges. Quand on n’a pas compris cela, on n’a rien compris à ce qu’est un parlement ! Les propos de Mme Rauch sont inadmissibles : ce n’est pas l’instance compétente ! La compétence est ailleurs ! Regardez le règlement ! C’est inconstitutionnel.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Il n’y a rien d’inconstitutionnel dans toutes les décisions qui ont été prises par la conférence des présidents. Rapprochez-vous de vos représentants pour faire remonter vos doléances.

M. Jean-Louis Bourlanges. C’est une chambre d’enregistrement ! Je m’en vais !

La commission en vient à l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure ».

M. Rodrigue Kokouendo, président. Nous poursuivons avec l’examen pour avis, ouvert à la presse, des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021.

Notre collègue Alain David va nous présenter les crédits alloués à l’action audiovisuelle extérieure au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Nous entendrons ensuite notre collègue Jean-Michel Clément présenter, au nom du groupe Libertés et Territoires, une contribution écrite sur l’action audiovisuelle extérieure.

Cette année, notre rapporteur a décidé de mettre en perspective les actions et la gestion des sociétés de l’audiovisuel extérieur au regard de la pandémie de covid-19. Il en ressort une appréciation positive aussi bien de l’organisation du travail au sein de ces sociétés que de l’offre de programmes adaptés pendant la crise sanitaire. Alain David fera également le point sur la coopération audiovisuelle franco-allemande. Les partenariats qui ont été noués sont, à l’exemple de la relation franco-allemande, uniques en leur genre, très ambitieux et résolument tournés vers l’Europe.

M. Alain David, rapporteur pour avis. Les travaux que j’ai menés cette année en tant que rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits de l’audiovisuel extérieur se sont déroulés dans un contexte particulier : l’année 2020, outre l’impact de la crise sanitaire, sur lequel je vais revenir, a été marquée pour les sociétés de l’audiovisuel extérieur par les débats liés au projet de réforme de l’audiovisuel public, ajourné du fait des bouleversements liés à la crise sanitaire. Nous avons eu de riches débats en commission sur les risques liés à l’intégration de France Médias Monde, TV5 Monde et Arte au sein d’une holding de l’audiovisuel public. Les risques étaient en effet grands de voir France Médias Monde, ses trois filiales, les radios RFI et MCD, ainsi que la chaîne de télévision France 24, devenir les variables d’ajustement de l’audiovisuel public.

Dans le cadre du plan de relance consacré à l’audiovisuel public, France Médias Monde et TV5 Monde ne bénéficieront que de 500 000 euros chacune, sur une enveloppe de 70 millions d’euros. Si elles ont été globalement moins touchées que les autres sociétés de l’audiovisuel public, elles n’en ont pas moins pâti de la crise qui a fragilisé leurs ressources propres, alors même que France Médias Monde et TV5 Monde ont dû appliquer d’importants plans d’économie depuis 2018.

En effet, la trajectoire financière de l’audiovisuel public ayant été sensiblement revue à l’été 2018, l’audiovisuel extérieur n’a pas échappé aux exigences d’économie. Conformément à la trajectoire fixée, la dotation de France Médias Monde dans le projet de loi de finances pour 2021 s’élève à 254,7 millions, en recul de 500 000 euros par rapport à l’année dernière, et celle de TV5 Monde s’élève à 76,15 millions, montant stabilisé après le recul de plus d’un million d’euros intervenu en 2019.

Je rappellerai aussi, car ils sont éloquents, les montants alloués à nos principaux concurrents, qui connaissent une forte tendance à la hausse : 350 millions d’euros pour la Deutsche Welle, avec un montant prévu de 400 millions en 2022 ; et 346,3 millions pour la BBC World Service. Les budgets des concurrents chinois et russe, CGTN et Russia Today, restent opaques mais la portée offensive des stratégies de ces médias et de ces États en matière d’audiovisuel extérieur est frappante et justifie à elle seule que nous mobilisions davantage de moyens.

L’audiovisuel extérieur, vous en êtes désormais convaincus, est un formidable outil pour notre diplomatie d’influence, et a rappelé son importance pendant la crise sanitaire. France Médias Monde, comme TV5 Monde, ont dû rapidement revoir leur organisation et adapter leur mode de fonctionnement pour répondre à un double impératif : garantir la protection des collaborateurs et assurer leur mission d’information. L’essentiel des personnels est passé au télétravail, avec un maintien sur site pour les activités qui exigent une présence physique. L’heure est aujourd’hui au retour progressif à la normale, qui s’appuie sur un maintien strict des règles de protection sanitaire.

Sur les plans social et financier, je tiens à souligner que les sociétés de l’audiovisuel public n’ont pas eu recours au dispositif de chômage partiel, à la différence des entreprises privées et en vertu d’une doctrine interministérielle. Les rémunérations ont été maintenues et des systèmes de sécurisation des revenus, mis en place pour les correspondants et les pigistes. Les sociétés de l’audiovisuel extérieur ont donc assuré leur gestion de crise sans peser sur les deniers publics. Surtout, elles ont su adapter leur mission aux besoins suscités par la crise, avec une évolution des grilles de programmes.

Les médias de l’audiovisuel extérieur, déjà très investis dans la lutte contre la désinformation – j’avais pu le souligner l’année dernière –, ont renforcé leur action dans ce domaine. Le contexte de crise que nous connaissons a été en effet particulièrement propice à l’éclosion et à la diffusion de fausses informations, dont les effets peuvent être redoutables.

France Médias Monde, en plus de mobiliser ses outils habituels, a lancé de nouveaux programmes comme « Info coronavirus » sur RFI, tandis que TV5 Monde a diffusé plusieurs émissions des chaînes partenaires consacrées à la pandémie. Une attention particulière a été apportée à la diffusion de messages de prévention, notamment à l’attention des publics africains. TV5 Monde a par exemple diffusé un système de questions-réponses interactif entre internautes et professionnels de la santé africains.

Enfin, les médias de l’audiovisuel extérieur ont contribué au service public d’éducation en abondant en programmes l’initiative Nation apprenante du ministère de l’Éducation nationale.

Cette mobilisation a été sanctionnée par de très bons résultats d’audience : les audiences numériques de France Médias Monde ont triplé au plus fort de la crise. Surtout, la tendance annuelle maintient sa progression. Le groupe a enregistré plus de 207 millions de contacts hebdomadaires en 2019, en hausse de près de 18 % par rapport à 2018. Le constat est le même pour TV5 Monde, qui connaît une remarquable progression de ses audiences en numérique et reste parmi les chaînes internationales les plus plébiscitées dans la zone stratégique d’Afrique francophone.

Notre audiovisuel extérieur a aussi poursuivi son développement géographique éditorial.

Pour France Médias Monde, le passage à douze heures quotidiennes de la diffusion de France 24 en espagnol a permis de toucher un nombre accru de foyers en Amérique latine, tandis que le renforcement des langues africaines s’est poursuivi autour du peul, du mandingue, du haoussa et du swahili, avec l’appui financier de l’Agence française de développement.

Pour TV5 Monde, 2020 aura été l’année du bilan pour le plan stratégique 2017-2020, dont les objectifs ont été globalement atteints. Pour rappel, les deux orientations prioritaires du plan portaient sur l’Afrique, qui est à la fois une zone de diffusion et de partenariat pour la chaîne francophone, et sur la transformation numérique.

À ce titre, il faut mentionner le lancement en septembre 2020 dans des délais tenus malgré la crise sanitaire, de la plateforme numérique francophone TV5 Monde Plus, accessible gratuitement dans le monde entier. Je vous invite à découvrir cette nouvelle offre numérique de programmes francophones qui sera au cœur du prochain plan stratégique de la chaîne et dont on peut déplorer que n’y figurent que 10 % de programmes français. Un geste symbolique du Gouvernement aurait été souhaitable, alors même que la France occupe la présidence tournante de la chaîne multilatérale pour 2000-2021.

Dans l’ensemble, on ne peut que regretter que les médias de notre audiovisuel extérieur aient été contraints à renoncer à certains objectifs en raison des contraintes budgétaires qui leur ont été imposées.

Dans le cas de TV5 Monde, l’abandon de satellites a entraîné la fermeture de la chaîne au Brésil et la perte de 30 millions de foyers en Europe. À ce propos, il faut bien avoir en tête que la diffusion numérique ne saurait se substituer systématiquement à la diffusion satellitaire sans conséquence : d’une part, la diffusion numérique n’est pas nécessairement moins coûteuse ; d’autre part, elle est beaucoup plus facile à interrompre que la diffusion satellitaire et s’avère donc beaucoup moins protectrice de l’information dans des zones où des entraves peut-être imposées par les autorités.

Je l’ai mentionné, les sociétés de l’audiovisuel extérieur ont géré la crise sans peser sur les deniers publics et apparaissent comme les dernières servies du plan de relance. Pourtant, la crise les a fragilisées financièrement, du fait de la baisse induite de leurs ressources propres, essentiellement la publicité, le parrainage et la distribution. Pour France Médias Monde, la baisse estimée est de 1,6 million d’euros en 2020 et de 1 million d’euros en 2021. Pour TV5 Monde, la baisse anticipée pour 2020 est de l’ordre de 2 millions d’euros. Les inquiétudes sont plus fortes encore pour 2021, du fait du report de nombreuses dépenses initialement prévues pour 2020, notamment l’acquisition des droits pour les Jeux olympiques pour l’Afrique ou le report du Sommet de la francophonie.

Vous l’aurez compris, la résilience de notre audiovisuel extérieur ne doit pas se traduire par une baisse de notre vigilance. Le risque est gros de perdre la bataille de l’information et de l’influence, si nous continuons à réduire les moyens de nos médias.

Pour conclure, je souhaiterais rappeler l’importance de la coopération. À l’heure où la crise nourrit la tentation du repli sur soi, l’audiovisuel est un formidable terrain de coopération.

J’ai choisi cette année de consacrer le focus de mon rapport à la coopération audiovisuelle franco-allemande.

Vous avez tous en tête Arte, la chaîne franco-allemande, qui fête cette année ses 30 ans, mais notre coopération avec l’Allemagne ne s’y résume pas. Bien au contraire, elle a même été intégrée parmi les projets prioritaires du traité d’Aix-la-Chapelle, qui prévoit la création d’une plateforme numérique, destinée en particulier aux jeunes. Il s’agit d’une dynamique bilatérale mais qui est résolument tournée vers l’Europe et qui s’appuie pour beaucoup sur des financements européens.

Le rôle joué par le tandem France Médias Monde - Deutsche Welle est exemplaire. La coopération s’est sensiblement développée ces dernières années autour de projets comme le programme « Info migrants », qui vise à faciliter l’accès à une information vérifiée et fiable en plusieurs langues pour les migrants et les réfugiés, et de coopérations éditoriales régulières. Les deux groupes ont proposé récemment plusieurs contenus éditoriaux communs, notamment à l’occasion des élections européennes et de la chute du mur de Berlin.

Dans le cadre du traité d’Aix-la-Chapelle, deux projets ont été lancés : la collection européenne, projet d’Arte qui doit fournir une offre numérique gratuite, essentiellement de fiction, et le projet « Enter ! », porté par France Médias Monde et la Deutsche Welle. Ce projet, qui cible en priorité les 18 à 34 ans, consiste en une offre numérique d’information plurilingue et participative, visant à lutter contre les fausses informations et la montée des populismes.

Les deux sociétés ont répondu à l’été 2020 à un appel d’offres de la Commission européenne, dont la décision est imminente. L’apport demandé aux États est de 30 % du total. Or, là où la Deutsche Welle a bénéficié d’un financement ad hoc de 500 000 euros par le gouvernement allemand et les Länder, qui doit être complété d’une enveloppe de 250 000 euros, France Médias Monde a constitué sa contribution uniquement en puisant dans ses fonds propres.

L’aboutissement de ce projet, qui pourra favoriser la diffusion des valeurs européennes tout particulièrement auprès des plus jeunes, me semble essentiel, de même que le maintien des financements du programme « Info migrants », qui pourraient être revus à la baisse. Si nous pouvons être les concurrents de la Deutsche Welle, il est dans notre intérêt commun de nourrir cette dynamique de coopération, dont la portée dépasse le couple franco-allemand.

Compte tenu du décalage entre l’importance stratégique de notre audiovisuel extérieur et les moyens qui lui sont alloués, j’émets un avis défavorable sur les crédits consacrés à notre action audiovisuelle extérieure.

M. Jean-Michel Clément. Le groupe Libertés et Territoires a souhaité utiliser la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure » pour remettre une contribution, comme notre règlement en prévoit la possibilité.

La crise sanitaire du covid-19 et le confinement qui s’est imposé en France et dans de nombreux pays du monde ont remis la télévision au centre du salon alors que celle-ci est de plus en plus reléguée dans un coin du domicile par le jeu de la concurrence des différents écrans. Tandis que des pans entiers de la société étaient à l’arrêt, elle est demeurée pour de nombreux Français cette lucarne non seulement sur le monde mais également sur la France et la francophonie pour les nombreux auditeurs de France 24, TV5 Monde ou Arte, dispersés sur l’ensemble du globe.

Ces canaux audiovisuels, ajoutés aux canaux radiophoniques de RFI et de Radio Monte Carlo Doualiya n’ont jamais cessé d’alimenter les foyers, malgré les fortes contraintes qui se sont imposées à eux. Les chiffres des audiences de cette année 2020, au plus fort de la crise sanitaire, montrent d’ailleurs que ces efforts ont été remarqués. C’était surtout le cas en Europe, notamment en France, avec une hausse de 38 % du nombre de téléspectateurs hebdomadaires pour TV5 Monde, par exemple. Il s’agit là d’un véritable témoignage de confiance dans le travail journalistique de ces médias alors qu’une tornade d’informations contradictoires circulait dans tous les canaux.

Si la crise sanitaire a eu un effet bénéfique sur les audiences de notre audiovisuel extérieur, venant d’ailleurs conforter les hausses globalement observées en 2019, elle aura pourtant des conséquences néfastes quant aux moyens alloués. Nous le regrettons d’autant plus que le projet de loi de finances pour 2021 présenté par le Gouvernement ne viendra pas combler ces manques.

À ce jour, France Médias Monde estime que ses recettes publicitaires pourraient connaître une diminution de 1,6 million d’euros en 2020 et près de 1 million  d’euros supplémentaire en 2021. Pendant ce même temps, ses charges d’exploitation augmenteront de 1,3 million d’euros.

Quant à TV5 Monde, elle anticipe une baisse importante de ses ressources propres en 2020, de l’ordre de 2 millions d’euros, liée à l’impact de la crise sanitaire sur ses recettes publicitaires, du fait de la défection d’annonceurs, ainsi que sur ses recettes de distribution, étant donné la situation économique difficile de certains distributeurs de la chaîne et la possible éviction de bouquets de certains opérateurs. La chaîne anticipe un effet négatif persistant en 2021 sur les marchés de la distribution télévisuelle payante et le marché publicitaire.

Enfin, Arte a dû acheter une grande quantité de programmes au prix fort pour compenser l’arrêt des productions, ce qui continuera de peser sur ses bilans dans les prochaines années.

Dès lors, comment comprendre la décision du Gouvernement de poursuivre la trajectoire à la baisse de son soutien à l’audiovisuel extérieur, alors que les ressources propres du secteur baissent aussi, du fait de la crise, dont on ne peut d’ailleurs toujours pas prédire si elle sera conjoncturelle ou structurelle ? Après les baisses enregistrées depuis 2019, il est ainsi prévu en 2021 une dotation publique de 254,7 millions d’euros, en diminution de 0,5 million d’euros par rapport à 2020 pour France Médias Monde, une dotation publique stable de 76,15 millions d’euros pour TV5 Monde, et une dotation publique de 273 millions d’euros, en baisse de 2 millions d’euros, pour Arte.

Ces sociétés continuent donc de participer aux efforts de redressement des finances publiques demandés par le Gouvernement depuis 2018, et cela alors que les seuls 500 000 euros, annoncés pour France Médias Monde et TV5 Monde, sur les 70 millions du plan de relance pour l’audiovisuel ne pourront compenser les pertes. L’audiovisuel extérieur demeure ainsi la variable d’ajustement de l’audiovisuel public, sans doute parce que ses programmes seraient moins en phase avec l’actualité française.

Les décisions prises en juillet 2018, notamment la demande d’économies budgétaires très importantes concernant l’ensemble de l’audiovisuel public, répondent avant tout à une véritable logique de rabot budgétaire, obérant toute possibilité de transformation. Ces décisions ont été prises en l’absence de toute stratégie permettant de transformer les modèles en profondeur, sans prévoir la moindre période de transition et d’accompagnement. Elles ont également été prises sans aucune perspective concrète concernant la réforme de la contribution à l’audiovisuel public, rendue pourtant nécessaire par la suppression de la taxe d’habitation.

Ces décisions ne permettent donc pas d’assurer la mise en place sereine d’une éventuelle holding de l’audiovisuel public, comme c’était la volonté du Gouvernement au travers du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, projet qui semble aujourd’hui en panne.

Surtout, rien ne vient justifier l’intégration au sein de ce projet de holding d’une partie de l’audiovisuel extérieur représenté par France Médias Monde : les missions de l’audiovisuel extérieur sont spécifiques et, par nature, distinctes des problématiques des opérateurs de l’audiovisuel public, qui s’adressent aux Français en France, et en français.

Parce que l’audiovisuel extérieur contribue au rayonnement extérieur de la France, parce qu’il est un acteur à part entière de la stabilisation des zones de tension et un contributeur à l’objectif de développement, donc de sécurité, dans de nombreuses régions du monde, parce qu’il est engagé auprès des jeunes générations, parce qu’il est un promoteur de la culture face à la montée des modes de pensée radicaux et sectaires et parce qu’il est engagé en Europe, ses moyens doivent être augmentés – ma collègue Frédérique Dumas a pu le rappeler à plusieurs reprises dans cette commission.

Pourtant, le projet de loi de finances révèle une nouvelle fois un écart significatif entre les ambitions affichées et les moyens alloués.

Un budget est au service d’une vision : l’enjeu n’est pas uniquement budgétaire mais politique. L’audiovisuel extérieur contribue aussi au rayonnement de notre langue, de notre culture, de notre influence. Avec une telle trajectoire budgétaire, nous ne faisons qu’accroître notre impuissance, notamment face à la montée en régime des outils audiovisuels extérieurs britanniques, allemands ou chinois.

Pour enrayer cette spirale, il serait utile de prévoir que l’audiovisuel extérieur dispose de moyens budgétaires combinant contribution à l’audiovisuel public et financement de l’aide publique au développement. Il s’agirait d’aboutir à l’instauration d’un budget plancher pour France Médias Monde, exprimé à la fois en pourcentage du rendement de la contribution à l’audiovisuel public, et en valeur absolue. Ce plancher n’empêcherait pas que l’on puisse ensuite recourir à l’aide publique au développement, mais se contenter de cette dernière consisterait à effectuer une budgétisation, avec le risque que ce qui a été voté une année puisse être défait l’année suivante. La contribution à l’audiovisuel public devrait donc d’abord participer au financement de l’audiovisuel extérieur, qui pourrait ensuite être complété par l’aide publique au développement.

Le groupe Libertés et Territoires, attaché à défendre le rôle et la spécificité de l’audiovisuel extérieur dans notre société, ainsi qu’à l’augmentation des moyens qui lui sont consacrés, émet donc un avis défavorable sur les crédits de cette mission budgétaire.

Mme Sonia Krimi. Monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le contributeur, je vous remercie tout d’abord de la qualité de votre travail. Je veux aussi souligner votre appui à la transformation numérique de l’audiovisuel extérieur, que vous avez détaillée. On voit habituellement notre secteur public comme un mammouth très difficile à faire bouger. Or vous avez évoqué tous les efforts qui ont été réalisés pour sa transformation numérique et insisté sur ce domaine essentiel qui, avec la coopération franco-allemande, est un axe de travail prioritaire. Je soutiens donc la majorité de votre rapport et surtout, ces deux points.

Lors de la récente audition à huis clos pour confirmer notre soutien international au Liban, j’ai eu l’occasion de dire l’importance de la culture au sein de la dynamique diplomatique, en ce qu’elle recèle notre histoire et nos valeurs. L’audiovisuel public extérieur constitue un vecteur privilégié des valeurs que notre pays souhaite véhiculer – valeurs d’égalité entre femmes et hommes, valeurs des droits de l’homme, de la pensée, de la non-pensée unique. Cet écran, placé enfin au milieu de notre salon, nous permet de découvrir le théâtre, les chansons, le cinéma français. Ainsi, l’audiovisuel extérieur public est intrinsèquement lié à notre puissance économique et diplomatique dans le monde entier. Nous partageons certainement tous cette vision.

Dans le contexte particulier que nous connaissons, je tiens aussi à saluer, comme vous l’avez fait, cher David, dans la première partie de votre rapport, la résilience des médias extérieurs face à la crise sanitaire. Surtout, vous avez rappelé l’adaptation des grilles de programmes qui, au plus fort de la pandémie, se sont tournés vers la lutte contre la désinformation, ainsi que vers l’éducation et la prévention. Nous le savons, les ondes et les écrans ont constitué pour bon nombre de personnes, l’une des rares fenêtres leur permettant d’avoir de vraies informations.

Je suis moi-même une très grande consommatrice de ces chaînes, et je peux témoigner aujourd’hui devant vous, de la fierté que j’éprouve quand je visite les trois plateaux de France 24, à voir en face de moi des personnes qui parlent couramment le français, l’arabe et l’anglais. Ce sont des gens non pas simplement qui parlent notre langue, ou d’autres langues, mais qui sont imprégnés par notre culture – et ça, c’est très important. J’adresse donc tout mon soutien, de la part de l’Assemblée nationale et de la commission des affaires étrangères, à l’ensemble des personnes qui travaillent à TV5 Monde et France Médias Monde.

Vous avez évoqué tous les deux la trajectoire financière des programmes 844 et 847, dont il avait déjà été question dans le rapport de l’année dernière : elle correspond aux arbitrages qui ont été effectués à l’été 2018 et, vous l’avez souligné, elle suit pour le moment son cours, sans que les performances de France Médias Monde et TV5 Monde ne s’écartent des objectifs stratégiques fixés, comme en attestent les mesures de l’audience, également mentionnées.

M. le rapporteur pour avis a évoqué cette variable d’ajustement. Il a aussi rappelé dans son rapport que le dialogue social et les rémunérations ont été maintenus au moment de la crise. La gestion de crise des sociétés de l’audiovisuel extérieur s’est donc faite sans peser sur les ressources publiques, malgré un cadre budgétaire qui était contraint. Par exemple, France Médias Monde a garanti un revenu solidaire aux non-permanents et aux correspondants. Un choix de solidarité a également été fait envers les fournisseurs et les prestataires.

Certes, on peut penser qu’il y a des améliorations à apporter ou que les dotations ne sont toujours pas suffisantes, mais on ne peut pas dire que l’État ou le ministère de la culture n’a pas fait son maximum pour soutenir l’audiovisuel extérieur en cette période de crise. L’absence d’écart entre les objectifs attendus et les résultats obtenus, et ce malgré les difficultés, précisées par le rapporteur pour avis et notre contributeur appelle donc à considérer la stratégie budgétaire mise en place comme pertinente.

Pour cette raison, le groupe La République en Marche votera les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure ».

M. Frédéric Petit. Je remercie M. le rapporteur pour avis de son travail et du suivi de ces sujets au cours des années – nous partageons beaucoup dans ce domaine. Je souhaiterais aussi revenir sur la contribution du groupe Libertés et Territoires, pour en prendre le contre-pied. Je crois que nous sommes tous d’accord sur plusieurs sujets et, lorsque c’est le cas, on a parfois tendance à être flou.

Je ne suis pas d’accord pour dire que l’audiovisuel extérieur est spécifique. Le rapport évoque une « information de qualité pour le monde entier », détaillant tout le travail que France Médias Monde a réalisé sur les fake news, notamment le kit anti-fake news pour la jeunesse du monde. Comment pourrions-nous profiter de cette qualité, en France ? Ce pourrait être notre réflexion en tant que commission des affaires étrangères.

S’agissant de la trajectoire, quand on compare les sommes en jeu, et le coût de l’audiovisuel en France, pour les Français, en français, à l’intérieur de nos frontières bien fermées, il ne s’agit pas de réclamer 1 ou 2 millions d’euros de plus, mais de montrer qu’il faut réfléchir autrement. En Australie, je vous l’ai dit il y a trois ans, la télévision publique émet en 29 langues !

Le programme « Info migrants » est fait pour nos territoires, non pour le monde. Donc notre commission aurait plutôt intérêt à réfléchir à une éventuelle fenêtre de tir sur cette réforme. Il faut respecter les logiques des gens qui sont en face de nous : la logique du ministère de la culture, cela est normal, n’est pas de penser au monde entier. Il nous revient peut-être de dire au ministre – mais pas sous la forme d’une imploration, du type « donnez-nous plus pour qu’on aille dans le monde » –, que l’audiovisuel en France sera bien meilleur s’il a la qualité de ce qui est fait par France 24, en quatre langues. Il est vrai, Sonia Krimi l’a rappelé, que c’est un bonheur d’aller sur ces plateaux. Je le rappelle, on ne parle pas une langue, on l’habite, et on voyage, quand on est sur ces plateaux. Nous pourrions travailler, en amont de toute réforme, avec le ministère de la culture pour leur demander de supprimer ces frontières artificielles. Il y a un audiovisuel français dans le monde et, lorsque l’on est à Paris, on est aussi dans le monde.

L’audience de France Médias Monde, en France, a augmenté de 30 % pendant le confinement. Ce constat est limpide : il signifie qu’elle est utile, et meilleure – il faudrait me payer pour que je regarde certaines chaînes plus d’une heure, en France… Au bout d’un moment, nos concitoyens ont eu envie de regarder des contenus intelligents.

S’agissant du plan de relance, les chiffres fournis par notre rapporteur pour avis sont surprenants. Pour moi, le plan de relance n’est pas encore arrêté : nous voterons 36 milliards de crédits, mais pas encore la manière dont ils seront utilisés. Il y a peut-être là une fenêtre de tir pour un travail plus approfondi et construit avec le ministère de la culture et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en espérant, pour une fois, être à l’heure.

Par ailleurs, j’ai découvert encore une nouvelle plateforme d’enseignement du français à l’étranger. Ce n’est que la douzième ou treizième, avec celles du Centre national d’enseignement à distance (CNED) et de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), notamment, et l’on me dit à chaque fois que c’est la meilleure. Peut-être pourrions-nous faire un effort pour les rassembler.

Enfin, Euronews a été présentée comme un concurrent à la collaboration entre France Médias Monde et la Deutsche Welle. Ce serait plutôt un vecteur d’entraînement.

M. M’jid El Guerrab. Merci à M. le rapporteur pour avis de son excellent rapport. En tant que député des Français de l’étranger, je peux témoigner que, dans l’aire francophone de ma circonscription, le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest, le lien avec ces chaînes est fondamental.

Relativement moins touchées par les effets de la crise, les sociétés de l’audiovisuel extérieur n’en apparaissent pas moins comme les grandes oubliées du plan de relance consacré à l’audiovisuel public, malgré la fragilisation des ressources propres suscitées par la crise, qui a fait suite à la mise en œuvre de rigoureux plans d’économies.

Sur les 70 millions alloués, France Médias Monde et TV5 Monde ne recevront ainsi que 500 000 euros chacune : la trajectoire financière de France Médias Monde et de TV5 Monde a été revue à la baisse à l’été 2018, à hauteur de 3,5 millions d’euros et de 1,2 million d’euros respectivement, à l’horizon 2022. La dotation de France Médias Monde dans le PLF pour 2020 est en recul de 0,5 million d’euros par rapport à l’année dernière – elle s’établit à 254,7 millions d’euros. Celle de TV5 Monde, stable à hauteur de 76,15 millions d’euros, correspond aux montants stabilisés après le recul de plus de 1 million enregistré en 2019.

Si on peut se féliciter de la visibilité offerte par la fixation d’une trajectoire pluriannuelle, on peut regretter l’absence de geste de la part du Gouvernement, alors que, M. le rapporteur pour avis l’a rappelé, la France occupe la présidence tournante de la chaîne pour 2020-2021.

Enfin, la période de crise que nous vivons actuellement, en fragilisant les liens humains et matériels entre les nations, peut inciter au repli sur soi. Selon notre rapporteur pour avis, il est plus que jamais nécessaire de prendre le contre-pied de cette tentation en renforçant les coopérations bilatérales et multilatérales. Le partenariat franco-allemand qu’il prend en exemple, porté par Arte et par le tandem constitué par France Médias Monde et la Deutsche Welle, s’inscrit dans une dynamique globale qui inclut les autres composantes du secteur de l’audiovisuel, tout en contribuant au renforcement de la relation franco-allemande, très riche par ailleurs sur le plan culturel.

Je souhaiterais donc poser deux questions de la part de ma collègue Sira Sylla, qui n’a malheureusement pas pu être avec nous. La première concerne la plateforme TV5 Monde Plus, lancée en septembre 2020 et qui mériterait d’être davantage connue au sein même de l’Hexagone. Quels moyens envisagez-vous pour accroître l’enrichissement des programmes français de cette plateforme ?

La seconde question concerne l’assouplissement des règles de contribution à la chaîne : pouvez-vous nous éclairer sur les difficultés rencontrées pour leur concrétisation et l’élargissement du nombre de pays contributeurs ?

J’ajouterai deux remarques ou suggestions à l’intention de M. le rapporteur pour avis.

En Afrique, la chaîne de radio RFI est très écoutée. Localement, elle est même souvent une sorte d’organe officiel. Je l’ai vécu il y a quelques semaines, avec ce qui s’est passé au Mali. Quand tous les médias annonçaient un coup d’État, personne n’y croyait, mais dès que RFI l’a évoqué, tout le monde a compris que c’était une réalité et que le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, avait été destitué. RFI a ce rôle stratégique. Or on s’en plaint beaucoup localement, non les autorités locales, car, finalement, je n’ai pas beaucoup de liens avec elles, mais les Français, qui me parlent souvent des partis pris et des orientations politiques de RFI en Afrique. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais nous pourrions en discuter.

La seconde suggestion a trait aux partenariats multilatéraux et bilatéraux. Un grand journaliste français, M. Rachid Arhab, que chacun connaît certainement ici, soutient une belle idée, celle d’un Arte franco-algérien, c’est-à-dire une chaîne qui rassemblerait l’Algérie et la France. Pourquoi ne pas imaginer de tels partenariats multilatéraux, notamment avec des pays stratégiques comme l’Algérie, pour engager cette réconciliation, que tout le monde appelle de ses vœux ?

M. Christian Hutin. Je souhaiterais souligner le courage exceptionnel de nos rapporteurs pour avis sur ces sujets financiers : ils se tapent un boulot considérable, avec tantôt un accord, tantôt un désaccord, et des tonnes de discussions et de rendez-vous.

Cette commission a l’honneur de rassembler des gens très performants, et beaucoup plus de gens qui bossent, que de gens qui ne bossent pas. Si 2 000 personnes nous écoutent, je tiens à le dire très clairement, et notre présidente doit être fière de ce qui se passe aujourd’hui Il est difficile d’être rapporteur pour avis d’une mission sur des questions aussi complexes, auxquelles 80 % des Français ne comprennent rien – logiquement, car ce n’est pas leur domaine de compétences, mais qui suscitent une telle passion, légitime, dans les circonscriptions, Frédéric Petit le sait bien.

J’évoquerai l’audiovisuel dans quelques instants, mais, auparavant, je tiens à dire combien Jean-Louis Bourlanges a raison. Nous sommes l’Assemblée nationale, non de non ! La Conférence des présidents n’est pas le Comité de salut public de Robespierre. Il faut arrêter d’accepter qu’elle fixera toutes les règles, qu’elle nous dira d’être deux, trois, quatre en commission, de mettre un masque, de faire ceci ou cela.

Quand Jean-Louis Bourlanges, le type le plus modéré du monde, qui a une carrière, une intelligence, une réflexion sur la démocratie exceptionnelles, se lève et dit que la Conférence des présidents commence à ressembler au Comité de salut public, cela suffit. Il est temps que l’ensemble des députés de cette assemblée réagissent et le disent aussi !

Nous sommes quatre membres du groupe Socialistes et apparentés dans cette commission : nous ne pouvons pas être trois ! Il serait compliqué de couper en deux mon ami Jérôme Lambert. (Sourires.) Au sein de nos groupes, nous avons tous nos différences : comment choisir qui sera présent ?

J’espère que la réflexion sera entendue, au moins un peu, dans les médias. En tout cas, je le répète, la Conférence des présidents n’est pas le Comité de salut public de Robespierre. Il faut que ses membres arrêtent avec leur folie, leur hystérie covid. La République reste la République !

Revenons à l’audiovisuel extérieur – et je remercie Alain David pour son travail considérable depuis trois ans. Un vacancier à l’étranger a bien du mal à trouver une télé française. De même, quand nous allons à l’étranger – je n’ai plus la santé pour partir comme auparavant avec Marielle de Sarnez et d’autres collègues –, c’est un miracle de trouver TV5 parmi 70 ou 120 chaînes.

Avec Jérôme Lambert, nous avons visité des États en guerre. Les seuls journalistes qui étaient là, ceux qui avaient « les nouilles », comme dirait mon fils, c’étaient des mecs – non, il y avait deux femmes et un homme – qui avaient la volonté de retransmettre ce que pouvait être l’idée de la République et de la France, dans certaines situations, au Liban, en Syrie, en Turquie. Certains en ont d’ailleurs peut-être connues de plus difficiles.

C’est pourquoi on pourrait imaginer que cette commission, à la demande du rapporteur pour avis ou de Jean-Michel Clément, ne vote pas les crédits. Bref, une petite rébellion de La République en marche, qui ne se rebelle pas beaucoup – mais cela peut arriver un jour – serait la bienvenue.

La voix de la France, en matière télévisuelle, n’existe pas. Il faut aller la chercher. Pourtant, on a des journalistes exceptionnels, souvent des gamins de 20 ou 25 ans, qui vont avec leur courage faire leur travail.

M. Alain David, rapporteur pour avis. La contribution présentée par Jean-Michel Clément va dans le sens de mon rapport. Notre audiovisuel extérieur mérite le coup de pouce qui lui permettrait de rester dans la compétition internationale.

J’ai rencontré le directeur de la Deutsche Welle. Il est enthousiaste à l’idée de construire un véritable outil avec France Médias Monde. Il espère d’ailleurs que d’autres pays européens se joindront à nous pour créer un outil européen de communication, d’expression, de transmission de valeurs. Malheureusement, j’ai aussi mesuré l’écart croissant entre les crédits alloués à la Deutsche Welle et à BBC World et les enveloppes dédiées à notre audiovisuel extérieur. Notre partenaire est bienveillant, mais il s’interroge sur notre capacité à poursuivre les actions engagées, faute de moyens.

Le fonctionnement totalement différent de l’Allemagne lui permet de jouer sur la complémentarité des Länder et du gouvernement. C’est parfois très complexe, et il arrive que les uns et les autres ne se retrouvent pas. Il reste que les budgets annoncés sont tenus : le financement de la Deutsche Welle augmentera ainsi de 50 millions d’euros en deux ans, pour passer de 350 millions à 400 millions d’euros. L’audiovisuel français rêverait d’un tel budget, qui donne la capacité de développer des actions et des interventions d’une autre dimension. Certaines actions supplémentaires sont financées par le gouvernement allemand et les Länder, alors que notre audiovisuel les finance sur son propre budget. Il est difficile de suivre, d’autant que la concurrence des Chinois ou des Russes est très rude. Nous recherchons la complémentarité avec BBC World ou la Deutsche Welle pour convaincre d’autres partenaires européens – Italiens, Belges, Espagnols – de nous rejoindre. Ainsi, nous pourrons être compétitifs et armés pour faire entendre la voix de l’Europe.

Notre implantation en Afrique est correcte. Lors de la révolution en Tunisie, France 24 a été plébiscitée par la jeunesse tunisienne, qui appréciait son indépendance et son objectivité, gages d’une information de qualité en laquelle ils pouvaient avoir confiance. Les autres médias, arabes ou africains, avaient tendance à prendre parti et n’étaient pas forcément objectifs. La voix de la France, par l’intermédiaire de nos médias, était objective, et ils pouvaient avoir confiance dans les informations données. Il ne s’agissait pas de propagande pour un côté ou l’autre, mais de la transmission d’informations et de valeurs, notamment sur les droits de l’homme et les droits des femmes, et ce fut un bien pour ce pays.

Cette confiance dans nos médias continue de produire des effets : il y a deux ans, j’ai interrogé l’ensemble des médias tunisiens sur leur manière de travailler avec nos médias et la façon dont était perçu notre audiovisuel. Il est cité en exemple, et de nombreux journalistes souhaitent venir en France pour se former. Nous avons d’ailleurs rappelé au directeur de la Deutsche Welle et au président d’Arte qu’il serait bon de mettre en place des formations communes de journalistes nord-africains et africains, pour préparer un certain nombre de transitions démocratiques. Autant faire profiter ces jeunes de l’exceptionnelle qualité de nos écoles de journalisme.

Comment rendre à notre audiovisuel une capacité budgétaire équivalente à celle de la Deutsche Welle ?

M. Christian Hutin. En votant contre ce budget !

M. Alain David, rapporteur pour avis. S’agissant du plan de relance, les responsables du ministère de la culture estiment que tout est pratiquement arrêté. Les proportions sont connues : sur 70 millions d’euros, une quarantaine ira à l’audiovisuel public, et 500 000 euros à France Médias Monde. Ils considèrent qu’il n’est pas possible de faire plus, alors qu’il faudrait saisir l’opportunité de ce plan. Si, sur un total de 70 millions, la dotation à France Médias Monde passe de 500 000 à 1 million d’euros, ce ne sera pas une catastrophe pour ceux dont le budget sera affecté, et nous répondrons à un besoin essentiel pour notre audiovisuel.

Lors de mes échanges avec le ministère de la culture, j’ai bien compris les limites de l’exercice. Mais si les députés de la majorité se penchent sur le problème et essaient de convaincre, le dialogue sera différent.

S’agissant de TV5, la chaîne est à la recherche de partenariats. Elle est sur le point de résoudre ses problèmes avec la principauté de Monaco. C’est un petit État, mais ses capacités sont importantes, et il est tourné vers l’Afrique. TV5 essaie de grossir petit à petit, et peut compter sur le Canada, dont la puissance est également importante. Des marges existent donc. Mais la faiblesse de nos propres engagements est regrettable. Nous demandons à nos partenaires au sein de TV5 de s’engager, mais nous-mêmes ne sommes pas à la hauteur. Nous avons la chance de pouvoir compter sur des partenaires compréhensifs au sein des différents conseils d’administration, qui acceptent de voir la France simplement maintenir, voire réduire, sa participation alors qu’ils augmentent la leur. À terme, la place de la France dans les équilibres des conseils d’administration peut être remise en cause.

Les sommes en jeu ne sont pas exceptionnelles mais contribuent à la grandeur de la France, à son rayonnement, à la francophonie, à la transmission de nos valeurs, et à la place de notre pays dans la diplomatie internationale. L’audiovisuel ne se limite pas à un écran de télévision, nous diffusons bien plus. Et pour tout cela, nous ne demandons qu’un budget d’un million d’euros ! Certes, c’est une somme importante, mais rapportée au budget de la France, ce n’est pas grand-chose.

M. Frédéric Petit. Nous devons faire preuve de sens tactique pour convaincre. Nous sommes la commission des affaires étrangères ; or la décision est prise au ministère de la culture. Je propose la création d’un groupe ad hoc avec les collègues de la commission des affaires culturelles, qui ne comprennent pas exactement ce dont nous parlons.

La démarche consistant à dire : « Il y a 70 millions, donnez-m’en un peu plus ! » est mortifère. Je ne pense pas que ce soit la bonne chose à faire, même si nous obtenons les crédits souhaités. Il faut que le ministère de la culture, qui est décisionnaire, prenne conscience qu’il n’y a pas de frontières. RT n’accorde aucune importance aux limites territoriales de la Russie, alors que nous nous soucions de ce qu’il est possible de voir d’un côté du Rhin ou de l’autre. Plutôt que de bloquer ce budget pour obtenir 500 000 euros supplémentaires, il faut mieux organiser la réflexion, avec la commission des affaires culturelles et le ministère de la culture, de façon à faire comprendre que cette richesse va les aider.

Ce raisonnement ne vaut pas seulement pour l’audiovisuel. La réforme de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger a été débloquée le jour où le ministère de l’éducation nationale a compris qu’il avait besoin de l’international. Il en va de même pour le réseau culturel : sa réforme se fera le jour où l’Institut français cessera d’être l’Institut français de Paris pour devenir une vraie tête de réseau. C’est la stratégie que nous devons mener pour trouver les moyens de consolider l’audiovisuel extérieur.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure », tels qu’ils figurent à l’État B annexé à l’article 33 du projet de loi de finances pour 2021.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Nous en avons fini avec l’ordre du jour de cette réunion. Je n’ai pas de commentaires à faire sur les décisions prises par la conférence des présidents, et je vous laisse la responsabilité de vos propos.

La séance est levée à 12 heures 35.

----------------

 

Information relative à la Commission

La Commission a désigné :

   M. Michel Fanget, co-rapporteur de la mission d’information sur la géopolitique des matières premières, en remplacement de M. Frédéric Petit.