Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen de la proposition de loi instaurant le vote dès seize ans et l'inscription automatique sur les listes électorales (n° 3294) (Mme Paula Forteza, rapporteure).              2

 Examen de la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées (n° 3219) (Mme Annie Chapelier, rapporteure).              21

 Informations relatives à la Commission................29

 

 


Jeudi
1er octobre 2020

Séance de 10 heures 50

Compte rendu n° 02

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 10 heures 50.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine la proposition de loi instaurant le vote dès 16 ans et l’inscription automatique sur les listes électorales (n° 3294) (Mme Paula Forteza, rapporteure).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous allons examiner les deux textes que le groupe Écologie Démocratie Solidarité a inscrits dans sa journée réservée. Le premier porte sur le vote à 16 ans et l’inscription automatique sur les listes électorales.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Cette proposition de loi vise à réconcilier les futures générations avec la pratique du vote. Elle abaisse l’âge du premier vote à 16 ans.

Cette proposition, qui n’est pas nouvelle dans le débat public, n’est pas la mienne, ni celle du seul groupe EDS, ni celle d’un seul camp politique. Elle est avant tout celle de jeunes, d’associations, d’organisations, de personnalités publiques, de chercheurs, qui réfléchissent à cette question depuis de nombreuses années.

Cette proposition est celle de Matthieu, président de l’Union nationale lycéenne, qui milite pour que les lycéens et les lycéennes soient entendus au sein de leur établissement. Elle est celle d’Athénaïs, présidente du parti Allons enfants, qui encourage les jeunes à se présenter aux élections. Elle est celle d’Hugo, le plus jeune maire de France qui, à 19 ans, a choisi de représenter ses concitoyens de la commune de Vinzieux, en Ardèche. Elle est encore celle de Maryam, vice-présidente de l’Unef, qui veut que les jeunes acquièrent leur autonomie et leur indépendance, celle de Camille, porte-parole du collectif « On est prêt », qui nous alerte sur l’urgence climatique, celle de Brandy, fondateur de la Cité des chances, qui a créé un parcours citoyen pour les jeunes issus des quartiers populaires, afin de leur donner le goût de l’engagement, celle de Samuel et Radia, membres de l’association Coexister, qui milite pour l’inclusion et le respect entre les jeunes. C’est encore celle du Forum français de la jeunesse et du comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire, le CNAJEP, principaux réseaux associatifs de jeunesse, qui portent depuis de nombreuses années cette question dans le débat public. C’est celle des parents d’élèves de la FCPE qui, conscients que leurs enfants ont des choses à dire, souhaitent qu’ils puissent les exprimer démocratiquement. C’est enfin celle de l’Unicef qui nous rappelle que la place que nous devons accorder à nos enfants et à nos jeunes dans nos sociétés est une priorité politique majeure et mondiale. C’est donc au nom d’un collectif que je m’exprime aujourd’hui.

Nous sommes nombreux, dans cette assemblée, à penser qu’il faut, en effet, accorder une nouvelle place à la jeunesse dans notre démocratie. La crise de confiance entre nos institutions représentatives et nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, qui se détournent des urnes, nous pose problème. Les dernières échéances électorales ont montré une hausse de l’abstention, qui témoigne de la désaffection envers les politiques.

Cette proposition se veut être un message de confiance destiné à ceux qui feront notre avenir. Elle se justifie pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, l’histoire de notre République, de notre démocratie, est intimement liée à l’extension du suffrage. De censitaire et capacitaire, il est progressivement devenu universel. Fixé à 30 ans sous la première Restauration, l’âge du droit de vote a été peu à peu abaissé jusqu’à celui de 18 ans, à l’occasion de la dernière grande réforme de 1974. Cette proposition s’inscrit dans le sens de l’histoire.

Il est souvent reproché à la jeunesse de ne pas être capable, légitime ou mûre pour faire des choix éclairés. Or, nous avons reconnu aux jeunes de 16 ans des droits et des devoirs qui les placent face à de lourdes responsabilités : exercer l’autorité parentale, travailler, payer des impôts, participer aux élections prud’homales, créer et administrer une association, adhérer à un parti politique, être responsable pénalement, mais aussi piloter un hélicoptère ou devenir sapeur-pompier.

Par ailleurs, cette réforme pourrait, sur le long terme, renforcer la participation aux élections, comme le soulignent de nombreux professeurs de droit, sociologues et politologues, spécialistes des élections. Par l’exercice du droit de vote et une formation civique appropriée, les jeunes concevront un intérêt plus fort et plus durable pour l’engagement politique et social. C’est pourquoi cette réforme doit s’accompagner de la mise en place d’un enseignement civique en milieu scolaire plus précoce et plus riche, afin de former les citoyens de demain.

L’attachement à la démocratie se transmet, s’explique, s’apprend : 90 % des jeunes votent à 18 ans puis cessent de le faire parce qu’ils n’en ont pas pris l’habitude et que leur vote leur semble inutile.

L’écart de participation entre les 25-35 ans et les plus de 65 ans atteint entre 25 et 35 points selon les élections, ce qui est inacceptable. La sous-représentation de leurs préférences fragilise notre système démocratique.

Enfin, cette génération est fortement mobilisée pour des causes qui lui tiennent à cœur. Les jeunes que nous avons rencontrés lors de nos travaux préparatoires nous ont dit combien l’urgence climatique les angoissait – ce qu’ils appellent l’éco-anxiété. Or, les décisions que nous prenons dans les domaines de l’écologie et de l’économie auront de lourdes conséquences pour eux. Concernant les discriminations, ils nous rappellent régulièrement qu’ils ne peuvent plus tolérer les injustices commises en raison de leur origine, de leur appartenance sociale ou de leur croyance religieuse.

Concernant la cause féministe, les jeunes femmes ne veulent plus d’une société patriarcale et inégalitaire. Elles répéteront d’ailleurs demain qu’elles entendent bien ne pas se faire dicter la manière dont elles s’habillent.

Chers collègues, à ceux qui douteraient du bien-fondé d’une telle mesure, je ne peux que les encourager à s’inspirer des exemples étrangers.

Plusieurs voisins européens ont déjà adopté une telle mesure. L’Autriche et Malte l’appliquent à toutes les élections, l’Allemagne, l’Écosse et l’Estonie aux élections locales. Les résultats sont probants puisqu’en Autriche, environ 80 % des 16-17 ans se rendent aux urnes.

Le débat, du reste, est à l’ordre du jour de plusieurs pays. Le Parlement suisse s’apprête à adopter un texte comparable. Les habitants de San Francisco seront consultés localement en novembre pour abaisser l’âge du vote à 16 ans. En Allemagne, trois partis ont demandé que cette mesure soit étendue au niveau fédéral.

Permettez-moi également de rappeler à mes collègues de la majorité l’engagement pris par le Président de la République, à l’occasion des élections européennes, de réfléchir à ce sujet si la jeunesse française faisait une démonstration de force et exerçait pleinement son droit de vote. Justement, la participation des jeunes à ces élections a augmenté de 14 %.

Pour toutes ces raisons, l’article 1er de cette proposition de loi prévoit de modifier l’article L. 2 du code électoral pour abaisser de 18 à 16 ans le droit de vote. J’ai déposé un amendement pour adapter le code civil et distinguer la majorité électorale de la majorité civile, qui serait maintenue à 18 ans, comme cela s’est déjà pratiqué dans le passé, notamment en faveur des jeunes médaillés de guerre. Un autre de mes amendements tendra à renforcer l’enseignement moral et civique prévu par le code de l’éducation, qui ne remplit pas suffisamment son rôle.

L’article 2, quant à lui, prévoit de rendre automatique l’inscription sur les listes électorales. Trop de personnes restent éloignées du processus électoral pour un problème d’inscription, qui se produit généralement lorsque les jeunes quittent le foyer familial pour étudier ou travailler dans une autre ville. Il convient de simplifier l’actualisation des listes électorales, l’information sur l’organisation du scrutin et les conditions de participation des électeurs.

Des réformes très utiles ont été adoptées récemment, en particulier les lois dites Pochon-Warsmann du 1er août 2016 qui ont créé le répertoire électoral unique. Nous devons poursuivre dans cette voie pour garantir à tous un égal accès au scrutin.

Le sujet de l’abaissement à 16 ans du droit de vote et, plus généralement, du renforcement de la participation des citoyens à la vie publique, nous engage tous, au-delà des étiquettes partisanes, que nous y soyons favorables ou non. Le renforcement de l’adhésion au fonctionnement démocratique de nos institutions est un défi que nous devons tous relever. La commission des Lois s’est illustrée, par le passé, dans ce domaine et je ne doute pas qu’elle poursuive dans sa lancée.

M. Bruno Questel. Le groupe La République en Marche est particulièrement attentif à la place de la jeunesse dans notre société démocratique mais l’abaissement du droit de suffrage à 16 ans se heurte à plusieurs difficultés d’ordre constitutionnel. Je doute que l’amendement déposé par Mme Forteza suffise à contourner cet obstacle qui tient à l’article 3 de la Constitution, selon lequel sont électeurs tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.

Par ailleurs, l’âge de la majorité, fixé à 18 ans, emporte de nombreuses conséquences juridiques dans plusieurs domaines, en particulier celui du droit pénal. Nous ne souhaitons pas abaisser à 16 ans l’âge de la majorité civile en raison précisément des conséquences juridiques qui s’ensuivraient pour cette jeune population.

Mme la rapporteure a souligné les propos que le Président de la République a tenus lors des dernières élections européennes, rappelant l’importance de la place de la jeunesse dans notre société. Ce sujet mériterait d’être posé dans le cadre d’une campagne nationale, par exemple à l’occasion de l’élection présidentielle, pour qu’il revienne au peuple de soutenir ou non cette proposition.

Il serait dommage d’adopter, au détour d’une proposition de loi déposée dans le cadre d’une niche, un dispositif contraire à la Constitution. Ses chances d’être examinée, voire adoptée par le Sénat, seraient réduites d’autant.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de loi, ni les amendements déposés pour contourner les obstacles juridiques. Quant aux programmes scolaires, ils ne relèvent ni de la loi ni du règlement, mais de la circulaire ministérielle. Nous ne pourrons vous suivre, à notre grand regret.

M. Philippe Gosselin. La place de la jeunesse dans notre société est une question fondamentale. Du reste, nous avons eu l’occasion de nous interroger sur l’ouverture aux jeunes de 16 ans de la possibilité de saisir le Conseil économique, social et environnemental par voie de pétition. La réponse, positive, fut néanmoins accompagnée de la réaffirmation selon laquelle cette intégration sociétale ne devait pas être vécue comme un premier pas dans la citoyenneté. Reconnaître une place aux jeunes ne signifie pas forcément leur reconnaître la citoyenneté. Notre société n’est pas composée d’habitants de première zone d’une part, de seconde zone d’autre part, de citoyens d’un côté et de gens qui n’auraient pas voix au chapitre de l’autre. Notre société est au contraire faite de personnes qui ont des responsabilités, des droits, des devoirs, lesquels peuvent parfois être différents.

L’intégration de la jeunesse ne passe pas nécessairement par l’abaissement de la majorité à 16 ans même si les jeunes sont très autonomes à cet âge. Le droit de vote doit être fixé à un âge qui intègre une certaine expérience de la société, que seul le recul permet d’acquérir. Nous ne sommes pas certains, à cet égard, que l’âge de 16 ans soit idéal.

Par ailleurs, des obstacles d’ordre constitutionnel s’opposent à l’adoption d’une telle mesure et nous ne vous suivrons pas dans cette voie-là.

Pour autant, le sujet est crucial et ne donnera pas lieu à un affrontement brutal entre nous d’autant plus que nous partageons votre souhait de faciliter l’actualisation des listes électorales. L’inscription automatique des jeunes de 18 ans sur les listes électorales est déjà un progrès même si nous avons perdu le rituel important du passage à la citoyenneté. Nous avons toutefois essayé de le remplacer par la remise de la carte électorale. Cela étant, le risque perdure de perdre des jeunes lorsqu’ils déménagent, malgré le répertoire électoral unique.

Nous sommes donc d’accord pour simplifier ces démarches afin que chacun puisse voter sans difficulté, mais nous ne pourrons pas approuver l’ensemble du texte.

M. Erwan Balanant. Ce sujet, souvent évoqué lors des débats autour de la citoyenneté, retient la plus vive attention de notre groupe et nous vous remercions de l’avoir inscrit à l’ordre du jour. Il est en effet pertinent d’envisager que les jeunes de 16 ans participent aux décisions qui façonneront leur vivre ensemble de demain. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avions déposé un amendement pour étendre aux jeunes de 16 ans la possibilité de saisir le CESE par pétition.

L’idée est particulièrement intéressante au niveau local car les enjeux politiques y sont plus tangibles. Ouvrir aux jeunes de 16 ans la possibilité de voter aux élections municipales et régionales pourrait les responsabiliser progressivement dans leur rôle de citoyen en leur permettant de se prononcer sur des questions locales dont les répercussions sont faciles à comprendre. Surtout, cette mesure présenterait l’avantage d’irriguer la démocratie locale de regards neufs, parfois plus impertinents.

Cependant, M. Questel a raison, une telle mesure ne pourrait être adoptée au détour d’une simple proposition de loi. Ce sujet mérite un vrai débat national, qui pourrait s’inscrire, par exemple, dans le contexte d’une élection présidentielle. Nous devrons engager une vaste réflexion pour analyser en détail ses éventuelles conséquences avant de l’inscrire dans notre arsenal juridique. L’état de notre droit positif nous impose, du reste, ce travail préliminaire puisque l’article 3 de la Constitution dispose que sont électeurs tous les nationaux français majeurs.

Dès lors, pour appeler aux urnes les jeunes de 16 ans, nous n’avons le choix qu’entre deux possibilités. Soit nous révisons la Constitution pour revoir l’association du droit de vote et de la majorité. Soit nous modifions l’article 414 du code civil pour fixer l’âge de la majorité à 16 ans.

L’abaissement de l’âge de la majorité à 16 ans emporterait des conséquences que je ne détaillerai pas. Surtout, elle ferait perdre aux adolescents le bénéfice de nombreuses garanties censées les protéger comme celui de l’aide sociale à l’enfance ou de l’allongement du délai de prescription lorsqu’ils sont victimes de violences. L’équilibre de l’ordonnance de 1945 en serait bouleversé.

Vous proposez de distinguer, dans le code civil, la majorité électorale et la majorité civile, mais cette mesure, outre qu’elle minorerait le contenu de la citoyenneté, serait source de confusion car la majorité électorale permettrait dès lors aux jeunes de voter mais pas d’être élus.

Pour toutes ces raisons, notre groupe est prêt à engager une réflexion autour de ce sujet auquel il est sensible mais nous considérons que l’abaissement du droit de vote à 16 ans ne pourra être décidé en dehors d’une révision de la Constitution, laquelle donnerait toute sa force à cette mesure susceptible de renforcer l’engagement citoyen.

Mme Cécile Untermaier. La proposition de loi n’est pas l’outil idéal pour porter cette mesure, certes. Mais l’opposition fait avec les moyens dont elle dispose, même si elle est bien consciente que ces propositions de loi meurent souvent au Sénat. C’est la grandeur de l’opposition, dirons-nous !

J’ai bien compris la nature des obstacles juridiques, développés par les orateurs précédents, mais j’aimerais vous faire part d’une réflexion. Pourquoi les jeunes de 18 à 25 ans ne votent-ils pas ? Auraient-ils d’autres préoccupations, comme les études ou la recherche d’un travail ? Dès lors, ne serait-ce pas à 16 ans, âge auquel on se pose les premières questions sur la citoyenneté, la philosophie, l’avenir, que l’on soit au lycée ou en apprentissage, qu’il conviendrait de renforcer cette culture de la citoyenneté ?

Par ailleurs, plus d’1,6 million de Français ont entre 16 et 17 ans, soit 2,3 % de la population alors que les personnes de plus de 65 ans représentaient 19,6 % de la population en janvier 2018. Il faudrait étudier la proposition d’abaisser l’âge de voter, par exemple dans le cadre d’une étude d’impact, car elle pourrait permettre de rétablir l’équilibre entre les générations. La forte proportion de personnes âgées augmente la moyenne d’âge du corps électoral alors que les politiques publiques concernent les générations futures.

L’âge de 16 ans a du sens en France puisque c’est celui à partir duquel se dessine une forme de majorité sociale, comme l’a reconnu le garde des sceaux : il ouvre le droit de signer un premier contrat de travail, d’adhérer à un syndicat professionnel, d’accomplir un service civique, de diriger une association, d’ouvrir un compte bancaire, de disposer d’une carte vitale personnelle.

Cette mesure ne saurait être perçue comme la privation de certains droits actuels mais, au contraire, comme l’octroi d’un droit supplémentaire à la jeunesse.

Qui plus est, l’expérience du droit de vote à 16 ans n’est pas inconnue en Europe. Il existe en Autriche et à Malte. Il est ouvert à certaines élections locales en Allemagne, au Royaume-Uni et en Estonie. Du reste, le Parlement européen a recommandé aux États membres, dans sa résolution du 11 novembre 2015, d’harmoniser la majorité électorale. Ce sera 18 ou 16 ans mais la tendance penche clairement en faveur de 16 ans.

Inspirons-nous de l’amendement porté par Erwan Balanant au projet de loi organique de réforme du Conseil économique, social et environnemental, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, et qui ouvre aux jeunes de 16 ans la possibilité de saisir cette institution par une pétition.

Les jeunes revendiquent le droit d’être entendus et de peser dans l’orientation des politiques publiques. Leur mobilisation est manifeste, dans la rue ou la société civile, comme l’exemple de Greta Thunberg en témoigne.

La ferveur de leur engagement ne doit pas nous effrayer, au contraire. L’écologie est un rendez-vous majeur. Nous devons donner la parole à cette nouvelle génération, lui accorder notre confiance, lui tendre la main. Le goût de la chose publique se cultive. Plus on s’y prend tôt, plus on a des chances d’intéresser la jeunesse à la démocratie.

Mon groupe soutiendra cette proposition de loi que je considère cependant comme un appel vers un texte d’une autre envergure, par exemple dans le cadre d’une campagne présidentielle, comme le suggérait M. Bruno Questel, ou d’un référendum. Je remercie la rapporteure d’avoir engagé la réflexion.

M. Christophe Euzet. Le texte, au premier abord, a une certaine allure : ouvrir le droit de vote aux jeunes de 16 ans et rendre automatique l’inscription sur les listes électorales. L’intention est noble : lutter contre l’abstention des plus jeunes en les intéressant à la chose publique et faire revenir plus d’un million et demi de citoyens aux urnes. Le sujet est crucial et c’est d’ailleurs tout le mérite des niches parlementaires que de permettre aux groupes minoritaires et de l’opposition d’ouvrir le débat.

Concernant l’inscription automatique sur les listes électorales, qui existe déjà pour les Français de 18 ans recensés à 16 ans ou pour ceux de nos compatriotes devenus Français après 2018, elle pourrait avoir notre approbation si nous ne nous posions pas tant de questions autour de l’essentiel. Tout d’abord, prenons garde aux comparaisons car il faudrait réfléchir à deux fois avant de citer comme exemples de la démocratie le Nicaragua ou Cuba ! Surtout, ne sombrons pas dans la démagogie. L’argument selon lequel la classe politique adresserait des propositions plus nourries à la jeunesse dès lors que l’âge de voter serait abaissé ne me convainc pas.

Par ailleurs, de nombreux obstacles juridiques s’opposeront à l’adoption de cette mesure, qu’il s’agisse de la pertinence du véhicule législatif ou de la cohérence entre les différents âges prévus par les textes, MM. Questel et Balanant ont raison. Surtout, il conviendrait d’approfondir la réflexion, en distinguant notamment les élections nationales des élections locales, qui pourraient être le terrain d’expérimentation de cette mesure avant son éventuelle généralisation.

Enfin, l’abstention de la jeunesse est la manifestation d’un problème social qui ne se résoudra pas forcément en abaissant l’âge de voter. D’autres chantiers devraient être ouverts.

J’ai enseigné durant une douzaine d’années, au début de ma carrière, la sociologie politique. Il est frappant de constater que les jeunes issus d’un milieu social où le capital culturel est peu élevé ont tendance à voter comme leurs parents, alors que ceux issus d’un milieu plus cultivé se distinguent de leurs parents par des votes extrêmes ou extrêmement originaux. L’éducation morale et civique et la connaissance de nos institutions, encore très faibles, sont de véritables enjeux. Commençons par donner le goût de la politique à nos jeunes, par nos actes individuels comme par une œuvre collective. Le jour où nous y serons parvenus, j’approuverai sans réserve toutes les mesures susceptibles de revivifier notre système institutionnel, dans un projet beaucoup plus vaste que celui d’une proposition de loi.

Pour l’heure, si nous approuvons l’article 2, l’article 1er ne nous permettra pas de voter cette proposition de loi, qui présente cependant d’indéniables qualités.

Mme Agnès Thill. Cette proposition de loi de nos collègues du groupe EDS avance de mauvaises solutions, mais elle soulève un problème bien réel. Elle a le mérite de nous faire revenir sur la question très grave du désintérêt démocratique. En 2017, pour l’élection législative qui nous a permis de siéger dans cette Assemblée, l’abstention a dépassé les 50 %, une première dans l’histoire de notre République ; elle a même frôlé les 60 % au second tour. Pire encore, les élections municipales, élections de proximité par excellence, élections du terrain, du concret, des territoires, ont elles aussi connu leur pire niveau d’abstention de toute l’histoire de la Ve République en atteignant, au second tour, le niveau prodigieux de 58 %.

Nous ne sommes pas assez conscients de cette tendance de fond, du désengagement massif de millions de citoyens qui, de plus en plus nombreux, n’ont tout simplement plus rien à faire du monde politique, qui en ont assez de tous ces discours, de toutes ces paroles, de tous ces débats, et qui sont de plus en plus nombreux à ne pas vouloir suivre ces enfantillages, et à ne pas vouloir aller voter.

C’est exactement cela, le déclin d’une démocratie. Face à un tel déclin, le groupe UDI et Indépendants estime que proposer le droit de vote dès seize ans n’est pas une bonne solution. En mai 2019, le taux d’abstention s’élevait à 60 % chez les dix-huit-trente-cinq ans, contre un peu moins de 49 % pour l’ensemble de la population. Le problème n’est donc pas d’avoir ou non le droit de vote, mais de vouloir, ou non, s’en servir.

Pourquoi ouvrir le droit de vote à seize ans ? Parce que l’on peut déjà travailler et payer des impôts, ou même reconnaître un enfant. Certes, les adolescents qui en sont là ont sans doute plus de maturité. Quoique… Mais, force est de reconnaître qu’ils sont bien minoritaires, et qu’au contraire, les jeunes Français rentrent en général de plus en plus tard sur le marché du travail, qu’ils ont leur premier enfant également plus tardivement et deviennent aussi matures de plus en plus tard. À seize ans, un jeune des années cinquante pouvait avoir plusieurs années de travail derrière lui, et la gravité, la sagesse qu’imposait la dure vie de l’époque. Mais la jeunesse des années 2020 est bien différente et elle a encore tout à prouver.

Avant de donner le droit de vote à des adolescents à peine sortis du collège, il faudrait déjà que ceux qui ont dix-huit ans votent, et qu’ils sachent pourquoi – idées, programmes, arguments et contradictoire –, qu’ils aient le goût de prendre en main leur destinée, et de se choisir eux-mêmes des gouvernants. Et surtout, il faudrait que nous soyons dignes de leur vote.

Enfin, si des lois protègent les mineurs, c’est aussi parce qu’ils sont influençables.

M. Alexis Corbière. Il s’agit d’abord d’un débat politique, puis d’un débat juridique et technique. Nous vous remercions donc de permettre ce débat politique. Il doit nous inciter à évoquer un problème de fond : l’absention de masse, que nul ne doit mettre dans l’angle mort de nos réflexions politiques, car elle questionne notre légitimité et celle des décisions politiques que nous prenons. Lors des dernières élections législatives partielles, les taux de participation n’ont pas dépassé 10 % dans certaines circonscriptions ! Plus largement, nous ne représentons que 20 % des électeurs inscrits. Dans ma circonscription de Seine-Saint-Denis, j’ai reçu près de 60 % des suffrages exprimés au second tour, mais je ne représente en réalité que 21 % des électeurs inscrits.

Comment créer les conditions d’un retour aux urnes ? Cela ne passe pas par une condamnation des électeurs, mais par la compréhension du problème : pourquoi de nombreuses personnes, considérant que le droit de vote est leur ultime dignité civique, ne veulent plus l’utiliser ? C’est parce que leur regard est extrêmement critique sur la manière dont nos institutions fonctionnent. Nous devons leur donner des droits nouveaux – nous avons plaidé en ce sens lors de l’élection présidentielle de 2017. Nous souhaitons de nouvelles institutions, une VIe République, en donnant la parole au peuple dans le cadre d’une assemblée constituante. Le peuple, retrouvant la parole, pourra constater comment sont fixées les règles communes. Les électeurs veulent être un acteur civique, avec des droits entre deux rendez-vous électoraux. Ils veulent contrôler les élus, voire les révoquer s’ils le jugent légitime.

Nous devrions aussi nous interroger sur un seuil de représentativité minimal – une sorte de quorum : si la participation des électeurs est trop faible, alors celui ou celle qui a été élu ne serait pas représentatif. Pourquoi également ne pas rendre le vote obligatoire, à condition de prendre en compte le vote blanc ? Si les bulletins blancs sont trop nombreux, la personne élue ne l’est pas. Il faut élargir le corps électoral mais le droit de vote à seize ans ne doit pas être déconnecté de ces autres propositions. Pour mémoire, nous avons soutenu cette réforme et ces autres propositions lors de la campagne pour l’élection présidentielle.

Beaucoup d’arguments très pertinents, déjà développés, plaident en faveur du droit de vote à seize ans. À seize ans, on a déjà de nombreux droits : on peut fonder une famille, on peut être émancipé de la tutelle de ses parents, on peut exercer l’autorité parentale, on peut travailler, on paie des impôts, on peut même commencer à passer le permis de conduire. Dans ce contexte, pour quelle raison ne pourrait-on pas également participer à la délibération collective et aux élections ?

Pour nos collègues qui y sont sensibles, je rappelle que c’est également à seize ans que l’on acquiert ou qu’on renonce à la nationalité française. Si l’on est suffisamment mature pour prendre une telle décision, on doit pouvoir se prononcer sur les décisions du pays. Sinon, c’est un marché de dupes : à seize ans, vous seriez assez grand pour décider, ou non, d’être Français, mais pas de vous exprimer davantage ! Dans beaucoup d’autres pays – et pas seulement à Cuba ou au Nicaragua, qui hérissent le poil de certains de nos collègues – comme l’Autriche, l’Argentine, le Brésil ou dans certains Länder allemands, c’est déjà le cas.

En réalité, cela déforme le corps électoral. Que constate-t-on en matière de participation ? Plus la stabilité sociale est forte, plus les gens sont âgés et plus ils votent. En France, une personne sur quatre a plus de soixante ans, mais c’est un électeur sur trois. Nous ne pouvons laisser les choses en l’état ! Il faut créer les conditions d’un rajeunissement du corps électoral pour combattre sa déformation par rapport à la réalité du pays. Cela pose également problème car cela influence les propositions politiques des campagnes électorales : nombre d’entre elles s’adressent aux électeurs qui vont voter, donc aux plus âgés, plutôt qu’à la jeunesse.

Nous avons tout à gagner à voter pour ce droit nouveau – ce que mon groupe fera – mais il faut l’adosser à d’autres droits afin que le corps électoral redevienne une réalité et que le souverain qu’est le peuple soit bien celui qui s’exprime à l’occasion des élections.

Mme Marie-George Buffet. Madame la rapporteure, je vous remercie de nous permettre de débattre de la place de la jeunesse dans notre démocratie.

Vous estimez que votre texte permettrait de réconcilier la nouvelle génération avec la politique. Je ne sais pas, car les jeunes sont très engagés, et leur engagement prend diverses formes, notamment associatives. Comme rapporteure de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, j’ai reçu toutes les associations de jeunesse et d’éducation populaire, ainsi que les syndicats étudiants. En face de moi, ces jeunes gens et jeunes filles étaient extrêmement engagés. Ils font de la politique puisqu’ils s’occupent de la vie de la cité.

Qu’est-ce qui bloque leur engagement politique, au sens restreint du terme – la vie politique avec ses partis et ses institutions ? C’est peut-être la qualité de l’offre politique : ne faudrait-il pas modifier le débat d’idées pour faire en sorte qu’il soit davantage tourné vers les perspectives d’avenir ou sociétales. Aujourd’hui, le pragmatisme assèche le discours politique. Une VIe République ne serait-elle pas porteuse d’une citoyenneté nouvelle ?

Tous les représentants des associations de jeunesse ont souligné qu’à aucun moment ils n’ont été consultés depuis le début de la crise sanitaire sur les questions relatives aux universités, aux centres régionaux d’œuvres universitaires (CROUS), etc. Si nous ne développons pas les consultations et la démocratie citoyenne, nous ne réconcilierons pas ces jeunes, pourtant engagés, avec la politique ! Il faut développer des offres politiques pour la jeunesse : éducation, situation des universités, revenu étudiant, revenu de solidarité active (RSA) à dix-huit ans, tous les sujets doivent être abordés pour que s’ouvre un véritable débat sur la place des jeunes dans la société.

Il faut faire une différence entre la majorité électorale et la majorité civile. Plusieurs collègues l’ont souligné, la majorité civile à dix-huit ans, c’est aussi une protection dans différents domaines pour les jeunes de seize à dix-huit ans. Votre amendement résout-il cette difficulté constitutionnelle ? Ne pourrait-on pas réfléchir à des solutions transitoires, comme le vote aux municipales ? La commune est le lieu où certains jeunes ont déjà participé à un conseil municipal des jeunes, se sont engagés dans des associations ou des clubs sportifs. Enfin, comment résout-on la dichotomie entre électeur et personne éligible ?

Le groupe GDR poursuit son débat en interne, mais nous souhaitons en préalable que la question de la majorité civile et de la majorité électorale soit clarifiée.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je remercie le groupe EDS d’avoir mis ce sujet à l’ordre du jour. Il est fondamental.

La première disposition vise à abaisser l’âge du vote de dix-huit à seize ans. Cela concernerait environ 1,5 million de jeunes âgés de seize et dix-sept ans. Mécaniquement, le nombre d’électeurs augmenterait en volume, mais rien ne dit que la participation serait plus forte chez les seize-dix-huit ans que chez les dix-huit-vingt-quatre ans. Vous l’évoquez, madame la rapporteure, l’exemple autrichien semble néanmoins permettre de l’affirmer : 80 % des jeunes de seize à dix-huit ans ont exercé leur droit de vote après qu’il leur eut été accordé. Plusieurs études soulignent que, plus les jeunes attendent pour participer à vie politique, moins ils s’engagent à l’âge adulte.

Le dispositif d’inscription obligatoire sur les listes électorales demeure très insatisfaisant. Malgré l’inscription d’office prévue par la loi, certains jeunes passent entre les mailles du filet. Au-delà des jeunes majeurs qui ne s’inscrivent pas, certains citoyens se retrouvent radiés au cours de leur vie – perte d’attache communale, inscriptions multiples, inscription au registre des Français de l’étranger, perte de droits civiques, par exemple.

Or il s’agit d’une question sensible, la maîtrise des listes électorales étant un enjeu fondamental pour la démocratie et pour les candidats au suffrage universel. L’exemple américain l’illustre : les minorités ethniques et les pauvres sont surreprésentés chez les personnes non inscrites. Cette tendance est également observée en France. Fractures économique et sociale se cumulent avec la fracture démocratique. Je vous invite à lire les analyses de Joseph E. Stiglitz dans son ouvrage La grande fracture.

La loi du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales institue un répertoire électoral unique et permanent, tenu par l’INSEE, dans lequel transitent les inscriptions et les radiations et dont sont extraites les listes électorales communales. Ce répertoire, mis en œuvre depuis janvier 2019 grâce à un système d’information partagé entre les différents acteurs de l’inscription, permet la coordination nationale des décisions d’inscription et de radiation prises au niveau local.

Depuis, par le biais de données recoupées par l’INSEE, les pouvoirs publics devraient pouvoir inscrire tout électeur disposant de ses droits civils. L’INSEE met à jour son répertoire à partir d’informations qu’il reçoit d’autres administrations – sur les personnes devenant majeurs ou obtenant la nationalité française par exemple. L’ajout du terme « automatique » dans la loi sera sans effet si les moyens nécessaires à ce travail de recoupage ne sont pas octroyés à l’administration.

Malgré les bénéfices attendus, l’abaissement de l’âge de vote à seize ans, ainsi qu’une inscription automatique sur les listes électorales, ne sauraient suffire pour enrayer une tendance lourde de la population française à la désertion des urnes.

La politologue Céline Braconnier le souligne, les jeunes ne vont plus voter quand ils ne comprennent pas pourquoi on leur demande de se rendre aux urnes. Comme pour tous les citoyens, il convient avant tout de redonner un sens à la démocratie et au vote. Cela passe par une confiance renouvelée dans la politique et les élus. Pour ce faire, nous devons continuer à être exemplaires en termes d’éthique et de déontologie, et bien sûr, crédibles et efficaces.

Les électeurs ont également bien compris que dans le système de la Ve République, très vertical, quasiment toutes les décisions découlent de l’élection du Président de la République – il s’agit d’ailleurs de la seule élection qui mobilise encore très majoritairement les électeurs. Les autres élus, locaux ou parlementaires, sont déresponsabilisés. Dès lors, pourquoi se déplacer aux urnes pour les candidats qui n’auront pas les moyens de leurs ambitions ? Seules les municipales résistaient encore, la figure du maire étant la plus respectée et les maires disposant de compétences et de moyens encore suffisants pour les mettre en œuvre.

Peut-être faudrait-il engager une réforme en profondeur de nos institutions politiques pour responsabiliser les élus locaux et les parlementaires, afin qu’ils puissent rendre des comptes aux électeurs ? L’exercice des compétences, qui permettrait de modifier réellement le quotidien de nos concitoyens, nous renvoie au projet de loi décentralisation, déconcentration et différenciation, dit « 3D », et aux réformes constitutionnelles.

Le groupe Libertés et Territoires n’est pas opposé par principe à la proposition de loi. Nous sommes partagés et serons attentifs aux débats. Nous avons entendu les réserves constitutionnelles, mais le droit de vote à seize ans est une réussite depuis qu’il a été adopté pour les élections locales en Écosse et, comme je l’ai indiqué, en Autriche.

M. Matthieu Orphelin. Je remercie la rapporteure pour son travail. Nous le soutenons avec plaisir et force. Je salue également Jean Massiet qui commente actuellement ces débats sur Twitch. Il est rare que nos débats en commission soient commentés pour les jeunes sur des plateformes. J’ai hâte de voir ce qu’il en dit !

Depuis des années, toutes les soirées électorales se ressemblent et commencent par les lamentations de responsables politiques devant les taux d’abstention. Le groupe EDS ne veut pas tomber dans l’inaction et baisser les bras. Nous souhaitons faire des propositions pour que la participation soit plus vigoureuse en France, notamment parmi les jeunes.

J’ai entendu et je respecte les arguments des collègues de La République en Marche ou des Républicains, mais je ne partage pas leur souhait de ne pas agir tout de suite car notre proposition est très concrète.

J’ai également été frappé par le décalage entre cette frilosité et l’adhésion de la société civile. Des dizaines d’acteurs – syndicats, associations, mouvements politiques, parents d’élèves, etc. – plaident en ce sens. En outre, cela marche, en Écosse, en Autriche ! Plusieurs d’entre vous l’ont souligné, en Autriche, 80 % des jeunes ont participé la première année, puis 60 % pour les élections suivantes, alors qu’en France, moins de 20 % des dix-huit-vingt-quatre ans votent ! Pourquoi baisser les bras ? Pourquoi les politiques ne veulent-ils pas de cette évolution ? C’est une énigme…

Vous évoquez un éventuel obstacle constitutionnel. Les amendements et les explications contenues dans le rapport répondent à ces inquiétudes. Dissocier la majorité électorale de la majorité civile est parfaitement possible.

Enfin, certains ont estimé qu’une telle réforme ne saurait être adoptée par le biais d’une proposition de loi. C’est vraiment surprenant ! Je vous rappelle que c’est la proposition de loi d’Aurélien Pradié qui a renforcé la lutte contre les violences faites aux femmes ; le pacte civil de solidarité est, lui aussi, issu d’une proposition de loi !

Chers collègues, arrêtons de trouver des excuses pour ne pas agir ! Ne baissons pas les bras ! Il faut que la participation s’améliore. Cette mesure peut y contribuer et va y contribuer.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Ces débats sont particulièrement intéressants et de grande qualité. La constitutionnalité de la proposition de loi semble susciter des inquiétudes. Nous avons fait le choix de ne pas modifier la Constitution car des dispositions peuvent être prises au niveau de la loi ordinaire. M. Balanant a cité la Constitution, mais il a oublié une partie de la phrase. Notre texte fondamental dispose que sont électeurs tous les nationaux français majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques, dans les conditions déterminées par la loi. Cette dernière précision, que vous avez oublié de citer, renvoie bien au législateur le soin de fixer les conditions de la majorité.

Ce fut le cas plusieurs fois au cours de l’histoire : ainsi, la majorité civile est déterminée dans le code civil, la majorité électorale, dans le code électoral. En 1946, les jeunes de dix-huit ans méritants – et reconnus comme tels par l’attribution de la croix de guerre ou de la légion d’honneur – étaient autorisés à voter. Il s’agissait déjà d’une dérogation au rapprochement entre majorité électorale et majorité civile. À nouveau, en 1970, les jeunes qui avaient effectué leur service national à partir de dix-huit ans ont pu voter. Là encore, le droit de vote a été octroyé à des personnes ne disposant pas de la majorité civile. En 1974, lorsque la majorité civile est passée à dix-huit ans, les débats à l’Assemblée, en commission des Lois et dans l’hémicycle, étaient très intéressants. Je citerai Jean Lecanuet, alors ministre de la Justice : « Une question délicate se posait dès l’abord. Ne fallait-il pas, corrélativement à l’âge de la majorité électorale, abaisser celui de la majorité civile ? Le Gouvernement [Jacques Chirac, Premier ministre], conformément aux sentiments du chef de l’État [Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République], a estimé, après en avoir délibéré, que la dissociation entre les deux majorités était possible sur le plan constitutionnel et qu’elle était en outre souhaitable pour des raisons pratiques ». C’était également l’avis exprimé par le Conseil d’État, consulté par le gouvernement de l’époque. Le ministre poursuit : « Il [le Gouvernement] estime que les dispositions de l’article 3 de la Constitution ont entendu consacrer le principe du suffrage universel pour tous les nationaux français majeurs, mais que celles-ci ne limitent pas pour autant l’exercice du droit de vote aux seules personnes ayant atteint la majorité civile. En d’autres termes, si la Constitution dit que tous les Français majeurs sont électeurs, elle ne dit pas pour autant que seuls les Français ayant atteint la majorité civile disposent du droit de vote. L’interprétation du Gouvernement trouve au demeurant une confirmation dans l’article 7 du code civil, qui précise que l’exercice des droits civils est indépendant de l’exercice des droits politiques ».

La proposition de loi ne vise pas à abaisser la majorité civile, mais seulement la majorité électorale, afin de donner le droit de vote aux jeunes de seize ans. Cela n’a donc aucune conséquence sur les autres droits et responsabilités de ces jeunes.

Comme Matthieu Orphelin, je suis surprise de vos réactions concernant le rôle du Parlement et de l’initiative parlementaire. Pourquoi ne pourrait-on l’affirmer pour porter des réformes importantes, qui vont dans le sens de plus de démocratie ? Nous souhaitons tous renforcer le rôle du Parlement. Pourquoi tout attendre d’un programme présidentiel pour avancer ? En outre, la proposition était présente dans plusieurs programmes au cours des dernières échéances présidentielles – cinq si je me souviens bien.

Les jeunes votent-ils de façon mimétique, comme leurs parents ? Le même argument a été développé lorsque le droit de vote a été étendu aux femmes – elles devaient voter comme leurs maris, ou comme l’église ! Ce n’est pas du tout le cas : les jeunes sont capables de développer une pensée politique autonome, d’autant plus s’ils sont sensibilisés à l’école. C’est l’intérêt de la proposition : à seize ans, les jeunes évoluent encore dans un milieu scolaire et pourront être sensibilisés, initiés à la citoyenneté et accompagnés – comparaison des programmes, débats, simulation de vote, etc.

Nous présentons cette proposition avec humilité. Elle ne résoudra pas tous les problèmes de notre démocratie et ne résoudra pas non plus, à elle seule, le problème de l’abstention. D’autres propositions institutionnelles devraient la compléter. En outre, notre responsabilité politique – éthique, déontologie, exemplarité – est importante.

Plusieurs groupes semblent intéressés par l’exercice du droit de vote à seize ans pour l’élection municipale. Nous pourrions peut-être en débattre en séance, dans un second temps.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. L. 2 du code électoral) : Abaissement de l’âge du droit de vote à seize ans

La Commission rejette l’article 1er.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL4 de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination qui prévoit de fixer une dérogation pour la majorité électorale dans le code civil, afin de dissocier clairement majorité électorale et majorité civile.

M. Erwan Balanant. Madame Forteza, Monsieur Orphelin, nous ne sommes pas frileux. Il faut atteindre cet objectif, mais sur la base d’un dispositif solide et efficace. La seule solution efficiente serait de supprimer de la Constitution le mot « majeur ». Ainsi, la loi pourrait ensuite définir l’âge du droit de vote et ce dernier pourrait être différent de celui de la majorité. Je ne voudrais pas qu’au bénéfice du droit de vote, on fragilise différentes protections attachées à la minorité.

Je vous rappelle que la révision de la Constitution est quasi intégralement du ressort du Parlement. Nous ne sommes donc pas pour un affaiblissement des droits du Parlement, bien au contraire !

Pour les jeunes, il s’agit de donner un sens à l’engagement. Ainsi, dans un premier temps, le fait de pouvoir être candidat ou voter aux élections municipales à seize ans serait une avancée. Nous ne sommes pas opposés à une proposition de loi, mais estimons que quelques heures de débats, dans le cadre d’une niche parlementaire, sont insuffisantes.

Mme Alexandra Louis. La proposition de loi peut paraître très séduisante au premier abord. Nous avons tous envie de donner les moyens à notre jeunesse de participer à la vie démocratique de notre pays. Toutefois, au delà des arguments constitutionnels, incontournables, votre proposition manque de cohérence. Vous citez deux exemples : dans le premier, dès l’âge de seize ans, un jeune peut avoir des relations sexuelles libres et consenties. Mais les dispositions que vous évoquez visent à protéger l’intégrité physique et psychique du mineur ; elles n’octroient pas une liberté. Deuxième exemple, vous indiquez qu’un mineur de seize ans peut être entendu par la justice. Mais il peut aussi l’être à treize ans. Là encore, il s’agit de le protéger, la majorité pénale à dix-huit ans allant de pair avec l’excuse de minorité.

Contrairement à la rédaction initiale de votre proposition de loi, vous nous expliquez désormais que l’on peut séparer majorité civile, majorité pénale et majorité de vote. Où est la cohérence ? Si l’on remet en cause la majorité pour voter aujourd’hui, demain, on la remettra en cause sur le plan civil, puis sur le plan pénal – vous savez que c’est déjà un débat.

Certes, il faut trouver les moyens de mieux impliquer notre jeunesse dans la vie démocratique, mais il ne faut pas oublier l’objectif protecteur des dispositions actuelles, la minorité – et les protections qui vont avec – étant particulièrement importantes à cet âge.

M. Matthieu Orphelin. C’est la procédure parlementaire, mais nous avons voté très rapidement l’article 1er, qui a été supprimé…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avons voté, comme d’habitude, monsieur Orphelin.

M. Matthieu Orphelin. J’explique simplement la procédure. Mille jeunes sont connectés et nous suivent ; il faut qu’ils comprennent ! L’article 1er ayant été supprimé nous débattons, après l’article 1er, des solutions proposées par la rapporteure pour abaisser la majorité électorale.

M. Ugo Bernalicis. À écouter la majorité au sens large – Modem et République en Marche –, on a l’impression que vous plaidez pour une initiative plus globale, voire une réforme constitutionnelle, le sujet étant particulièrement intéressant. Vous en arriveriez presque à reprocher le fait qu’on soit amené à en débattre dans une niche, sur une seule journée ! Je suis favorable à une réforme du Règlement de l’Assemblée nationale, qui octroierait beaucoup plus de temps aux groupes d’opposition, mais ce n’est pas le sujet !

Le débat est sur la table et nous sommes favorables à une telle évolution. Même si nous souhaitons aller plus loin – vote obligatoire, reconnaissance du vote blanc avec annulation de l’élection s’il est majoritaire, VIe République – nous voterons pour cette proposition de loi, excellent « boost » pour faire avancer les promesses constitutionnelles de la majorité, dont certaines sont peut-être moins consensuelles…

Quant aux arguments sur le fond, je peux comprendre que des gens de droite pointent la responsabilité pénale, mais je saisis mal que La République en Marche se saisisse d’un tel argument alors qu’elle soutient une ordonnance sur la justice pénale des mineurs qui fixe le seuil de discernement à 13 ans – en prétendant que c’est une avancée… Les arguments que vous employez, chers collègues, pourraient se retourner contre vous et de pareilles âneries pourraient vous conduire à défendre le droit de vote à 13 ans ! Mais il faut raison garder ; il existe des âges différents pour tout, et c’est très bien ainsi. De mon côté, je suis allé manifester pour la première fois à 14 ans.

M. Bruno Questel. Il ne s’agit pas de dire que l’on est opposé à cette réforme parce qu’elle est mauvaise, mais d’en critiquer la forme et la méthode. Ce n’est pas faire preuve de mépris à l’égard du groupe le plus intelligent, manifestement, de l’Assemblée nationale… que de dire que ce sujet mérite que l’on y travaille davantage. La preuve, c’est que vous n’aviez pas vu que la constitutionnalité du texte pouvait poser problème et que vous avez été forcés de déposer des amendements pour contourner l’obstacle ! Permettez-moi en dernier lieu d’apporter une précision historique. Le PACS est issu de cinq propositions émanant de chaque groupe de la majorité plurielle, le texte a été élaboré à Matignon en concertation avec l’exécutif et c’est pour des raisons de calendrier que l’on a choisi pour véhicule une proposition de loi.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Je voudrais être très claire sur ce que cette proposition de loi contient et sur ce qu’elle ne contient pas. La majorité civile ne change pas. En revanche, on ouvre un nouveau droit aux jeunes de 16 ans, le droit de vote. Cela n’emporte pas d’effet sur les protections dont les personnes âgées de 16 ans bénéficient par ailleurs.

Pour ce qui est de la constitutionnalité de cette réforme, je le répète : la majorité n’est pas un concept unitaire – l’âge de la majorité pénale n’est pas le même que celui de la majorité sexuelle, pour s’en tenir aux exemples que je donne dans l’exposé des motifs. Il n’y a donc aucun obstacle à séparer la majorité électorale de la majorité civile, ainsi que l’ont rappelé les constitutionnalistes et les experts en droit électoral que nous avons auditionnés.

Certains d’entre eux ont jugé qu’un tel amendement de coordination n’était pas nécessaire, mais c’est pour plus de clarté que nous avons proposé de préciser dans le code civil que, par exception à la majorité civile, la majorité est fixée à 16 ans pour l’exercice du droit de vote. Je vous invite à respecter le travail que nous avons mené au cours des auditions. C’est tout le sens du travail parlementaire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement CL6 rectifié de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Nous proposons, par cet article additionnel, de renforcer l’enseignement moral et civique au collège et au lycée. Ces enseignements existent, mais les questions institutionnelles ne sont abordées qu’en terminale. Les jeunes que nous avons auditionnés ont demandé que, dès le collège, le fonctionnement des institutions républicaines et les modalités du droit de vote soient enseignés.

M. Raphaël Schellenberger. Nous sommes évidemment favorables au fait que ces enseignements soient délivrés plus tôt à nos jeunes compatriotes, mais votre présentation est quelque peu caricaturale. En tant que parlementaires, nous sommes souvent sollicités par les professeurs pour intervenir dans les classes, et c’est notre rôle que d’expliquer notre fonction et nos missions. Pour ma part, j’accompagne régulièrement ces moments d’éducation civique et je sais que les enseignants n’attendent pas la terminale pour en parler à leurs élèves.

Avec cet amendement, vous démontrez toute l’incohérence de votre logique. La majorité est un droit qui se constitue progressivement : ce n’est pas à un moment précis que l’on devient majeur, on acquiert peu à peu des droits. Calquer l’âge d’exercice du droit de vote sur la fin de l’obligation scolaire, c’est laisser entendre qu’une fois l’instruction achevée, l’expérience est suffisante pour participer au vote. J’ai tendance à considérer que l’on doit progressivement accéder à la majorité, pour avoir le droit de participer à ce qui demeure le sommet de la décision collective.

 M. Erwan Balanant. J’ai travaillé durant six mois sur la question du harcèlement scolaire et je me suis rendu compte du nombre incroyable d’injonctions faites aux professeurs d’enseigner tel ou tel sujet. C’est problématique.

J’estime que la démocratie et la citoyenneté doivent avant tout se pratiquer. Une anecdote : j’ai demandé à une collégienne dynamique, chez laquelle je pensais avoir décelé la fibre politique ou syndicale, pourquoi elle n’était pas déléguée de classe. Elle m’a rétorqué qu’elle l’avait été durant quasiment toute sa scolarité, avant de réaliser que l’on n’écoutait jamais les représentants d’élèves et que cela ne servait à rien.

Je suis personnellement convaincu que le droit de vote dès 16 ans doit être effectif dès les prochaines élections municipales. Mais je pense aussi qu’il faut multiplier les modes de consultation de la jeunesse. La prise en compte des problématiques de cette population commence dès l’école. C’est ce que nous avons fait en ouvrant, je le rappelle, le droit de pétition au CESE aux personnes âgées de 16 ans. C’est par la pratique que les jeunes s’engageront de façon plus forte et plus sincère dans le débat public.

M. Ugo Bernalicis. Être citoyen, prendre des décisions collectives, cela s’apprend. j’ai commencé ma carrière en politique au collège, en tant que délégué de classe – j’étais déjà très embêtant. Je faisais campagne avec des affiches, des tracts, si bien que les élections différaient un peu de celles qui se déroulaient ailleurs, où l’on votait soit pour Superman, soit pour Batman, soit pour son copain.

Que les élèves soient représentés est une avancée, mais il faut aller plus loin. Ma circonscription accueille la seule école de pédagogie Freinet qui soit publique. Dès la maternelle, les enfants sont invités à voter chaque semaine pour ajuster leur planning et décider, par exemple, des activités qu’ils souhaitent pratiquer. Lorsque je suis allé voir les enfants de CE1 et que je leur ai expliqué que je votais la loi, ils m’ont répondu qu’ils faisaient pareil. Ils savaient l’importance du vote, les conséquences qu’il implique. Je n’ai rien rencontré de tel à l’école publique républicaine.

Quant au droit de pétition auprès du CESE, il faut continuer en ce sens et l’élargir.

Mme Marie-George Buffet. On ne peut pas dire, Monsieur Bernalicis, que cet apprentissage n’existe pas dans l’école publique. Je trouve formidable le travail que font les enseignants et leurs classes de CM2 dans le cadre du Parlement des enfants. Avec des collégiens, j’ai aussi travaillé sur le harcèlement scolaire et nous avons rédigé une proposition de loi, que j’ai déposée. Il se passe également des choses bien dans l’enseignement public !

Mme Paula Forteza, rapporteure. L’objectif de cet amendement n’est pas de dire qu’il ne se passe rien d’intéressant dans les lycées, mais de détailler le contenu de l’enseignement moral et civique (EMC). Il n’est pas fait mention du fonctionnement des institutions de la République et ce sujet n’apparaît que dans les programmes de terminale. Cette demande émane des syndicats lycéens et étudiants.

Accordons aux jeunes de 16 ans le droit de vote, ils pourront ainsi avancer par la pratique, comme le suggère Erwan Balanant. On pourrait parler, avec cet amendement, de « conduite accompagnée citoyenne », puisqu’il prévoit un accompagnement dans le cadre scolaire. Cet enseignement permettra de gommer les inégalités sociales, en palliant l’éventuelle absence de socialisation politique au sein de la famille ou dans le cercle amical. Tous les jeunes seront exposés aux mêmes apprentissages, aux mêmes comparatifs de programmes et invités ensemble à la réflexion politique.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 (art. L. 9 du code électoral) : Inscription automatique sur les listes électorales

La Commission examine l’amendement CL8 de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Il s’agit de faciliter, par tous les moyens, l’actualisation des listes électorales. Les inscriptions sont automatiques mais trop de personnes ne votent plus, du fait de déménagements ou d’aléas de la vie. La mal-inscription touche particulièrement les jeunes – 40 % des 25-30 ans et 25 % des 18-25 ans – et les non-diplômés – 60 % des non-diplômés de 25 à 44 ans. En 2019, quatre personnes sur cinq ayant déménagé dans l’année n’étaient pas réinscrites dans leur nouvelle commune. Le phénomène est si répandu que dans des villes comme Bordeaux et Montpellier, la moitié de la population est mal ou non inscrite.

M. Bruno Questel. On peut entendre la finalité de cet amendement, qui vise à renforcer la sincérité des listes électorales. Mais dans la vraie vie, lorsque les enfants quittent le foyer parental pour leurs études, ils sont parfois amenés à déménager tous les ans et il serait complexe de leur apporter satisfaction. En tant que maire, je me suis vu reprocher par les parents et les enfants concernés de les priver de voter dans la ville où ils étaient nés et où ils revenaient chaque fin de semaine. Il revient aux maires de nettoyer les listes électorales, révisées tous les ans, mais il ne faut pas tomber dans l’automaticité, qui pourrait avoir un effet exactement inverse à celui recherché.

M. Raphaël Schellenberger. Faisons preuve de pédagogie, puisqu’il paraît que nous sommes regardés sur des plateformes, inconnues de nous jusqu’à ce matin. Cet amendement, madame la rapporteure, contredit deux des arguments dont vous avez usés jusque-là.

Vous avez fait un beau laïus sur la hiérarchie des normes en expliquant que ce qui figure dans la loi n’a pas nécessairement sa place dans la Constitution. Mais, de la même manière, ce qui est du niveau de la circulaire ministérielle, voire de la note interne au ministère de l’intérieur, n’a pas à figurer dans un texte de loi.

Par ailleurs, vous avez expliqué que les jeunes de 16 ans étaient suffisamment responsables pour devenir des électeurs. Dans ce cas, ils devraient être capables de vérifier qu’ils sont bien inscrits sur les listes électorales. Cet amendement ne fera que déresponsabiliser les personnes en droit de voter.

Mme Paula Forteza, rapporteure. J’ai cru bon de remplacer l’idée d’automaticité par celle de facilitation, plus proche du caractère volontaire de l’inscription. Il est vrai que la France fait partie des quelques rares démocraties qui imposent aux citoyens de s’inscrire par eux-mêmes, ce qui ajoute une dose de complexité, au détriment des jeunes et surtout des jeunes non-diplômés. Il revient à l’État de mieux accompagner les citoyens dont on exige, par ailleurs, qu’ils se mobilisent.

Quant à la hiérarchie des normes, je rappelle que beaucoup de lois ont traité de ce sujet et que la dernière, la loi dite Pochon-Warsmann, entre dans les détails quant aux modalités d’inscription, notamment en créant le répertoire électoral unique.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL7 de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Beaucoup de jeunes nous ont expliqué qu’ils ne savaient même pas s’ils étaient inscrits sur les listes. Il s’agit donc de prévoir que les électeurs bénéficient d’une information accessible et régulière sur les conditions d’inscription sur les listes électorales ainsi que sur la consultation et la modification de ces listes.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Après l’article 2

La Commission examine l’amendement CL16 de M. Pacôme Rupin.

M. Pacôme Rupin. Cette proposition de loi a le mérite de traiter de la question de l’inscription sur les listes électorales. Il y a quelques années, l’inscription n’était possible que jusqu’au 31 décembre de l’année précédant l’élection. Une disposition, votée en 2016 et entrée en vigueur le 31 décembre 2019, supprime la révision annuelle des listes pour permettre à tout électeur de s’inscrire jusqu’à trente jours avant l’élection. Pourtant, de trop nombreuses personnes demeurent mal ou non inscrites, parmi lesquelles nos jeunes concitoyens qui font leurs études ou travaillent loin de la ville où ils ont grandi et où ils sont inscrits. Nous proposons donc de repousser la date limite d’inscription jusqu’à dix jours avant le scrutin.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Des exceptions existent déjà en cas de déménagement pour des motifs professionnels, de mutation pour les fonctionnaires, pour les militaires et pour les personnes acquérant la nationalité ou atteignant l’âge du droit de vote après l’expiration du délai. Pour les dernières élections européennes, la date limite a été repoussée jusqu’au 31 mars, par dérogation aux six semaines réglementaires. Autoriser les inscriptions le jour du scrutin, comme c’est le cas dans certains états des États-Unis, serait une belle avancée, mais je m’en tiendrais pour l’instant à votre proposition, sur laquelle j’émets un avis favorable.

M. Bruno Questel. Cet excellent amendement suivra hélas le sort de cette proposition de loi, contre laquelle la majorité des groupes se sont prononcés. Toutefois, il faut garder à l’esprit que ce dispositif a été utile en période d’urgence sanitaire, pour les élections municipales. J’encourage donc Pacôme Rupin à le redéposer dans le cadre d’un prochain projet de loi.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’examen de l’amendement CL15 de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Des sociologues ont imaginé un dispositif où les fournisseurs de bien ou de service proposent à la personne qui a changé d’adresse son inscription sur les listes électorales. Sans aller jusque-là, nous nous sommes inspirés d’une mesure inscrite dans le projet de loi « ASAP », déjà expérimentée dans quatre départements, qui permet à l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) de récupérer directement l’information auprès des fournisseurs de bien ou de service. Cette collaboration simplifie et fluidifie les démarches. Dans le même esprit, nous proposons que les fournisseurs, lors d’un déménagement, informent la personne des conditions dans lesquelles elle peut s’inscrire sur les listes électorales.

M. Bruno Questel. Je ne comprends pas cet amendement. Je voterai contre.

M. Raphaël Schellenberger. Nous avons longuement discuté du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de protection des données ; n’est-il pas scandaleux d’aller demander à des opérateurs privés de s’intéresser à la qualité d’électeur de leurs clients ? C’est attentatoire aux libertés publiques.

Mme Paula Forteza, rapporteure. J’étais rapporteure de la loi relative à la mise en œuvre du RGPD, je suis donc très rigoureuse sur ces questions. N’ayez aucune crainte, il n’y a pas de transfert de données entre le fournisseur de bien ou de service et l’État, le fournisseur informe simplement le client sur la façon dont il peut s’inscrire. Il n’y a aucun croisement de fichiers et aucun risque pour les libertés fondamentales, dont je suis une fervente défenseure.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL5 de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Nous proposons de maintenir à 18 ans l’âge d’éligibilité, puisque, notamment au regard de la responsabilité pénale et civile, il ne semble pas possible pour une personne de 16 ans d’exercer un mandat. Historiquement, l’âge du droit de vote a été décorrelé du droit d’éligibilité – ce n’est qu’en 2011 que l’âge d’éligibilité a été fixé à 18 ans pour toutes les élections à l’exception des élections sénatoriales.

M. Bruno Questel. C’est un peu plus compliqué pour les sénatoriales, puisque le scrutin est au suffrage universel indirect.

Je suis surpris par cet amendement, car si l’on devait ouvrir le droit de vote aux personnes de 16 ans, ce serait aussi pour leur permettre de se présenter aux élections et d’être élues. Je vois une formidable contradiction entre la philosophie de votre texte et les conséquences que vous en tirez vous-même ; cela me conforte dans l’idée qu’il nous faut à la fois rejeter cet amendement et cette proposition de loi. Nous devrons travailler plus longuement sur cette idée et la défendre éventuellement dans le cadre du débat préalable à l’élection présidentielle, en 2022.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL20 de la rapporteure.

Mme Paula Forteza, rappporteure. Il s’agit d’un amendement de repli puisque vous n’avez pas adopté l’article 1er. Il vise à créer une expérimentation pour les prochaines élections présidentielle et législatives afin de permettre aux jeunes entre 16 et 18 ans de prendre part au vote, mais de façon consultative. Cette simulation serait un exercice pédagogique dont on pourrait tirer les conséquences.

M. Bruno Questel. Vous proposez aux jeunes de participer aux élections tout en leur disant que leur voix ne comptera pas. Je suis fondamentalement opposé à cet amendement, comme à ce texte.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Il s’agirait d’une consultation, au même titre que de nombreux exercices de participation citoyenne. Le projet de loi organique sur le CESE, dont nous avons débattu récemment, en contient beaucoup, sans qu’elles aient forcément de conséquences. Par ailleurs, de telles expérimentations ont été proposées au niveau local, notamment à Paris.

La Commission rejette l’amendement

Elle est saisie de l’amendement CL18 de M. Pacôme Rupin. 

M. Pacôme Rupin. Cette proposition de loi a le mérite de verser au débat la question de la participation des jeunes à la citoyenneté. Cet amendement d’appel, que je retirerai après l’avoir présenté, prévoit la remise d’un rapport sur les moyens et dispositions permettant de renforcer la sensibilisation des jeunes à l’exercice du droit de vote et à la participation citoyenne. Il me semble que l’on pourrait utiliser à cette fin le service national universel (SNU), qui prend la forme, pour les jeunes entre 16 et 18 ans, d’un service civique d’un mois.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Les amendements demandant des rapports ne me semblent pas toujours pertinents, mais j’émets un avis favorable sur celui-ci.

L’amendement est retiré.

La Commission rejette l’ensemble de la proposition de loi.

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La Commission examine la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées (n° 3219) (Mme Annie Chapelier, rapporteure).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons à l’examen de la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. La proposition de loi que je vous présente n’a l’air de rien, mais elle pourra faire beaucoup. Les désordres politiques sont présents partout dans le monde, découlant pour nombre d’entre eux de très vieux conflits, associés de plus en plus aux conséquences du changement climatique et entraînant de nouveaux types de migrations forcées. Ainsi, des femmes, des hommes et des enfants fuient la guerre, la torture et les persécutions. Le droit d’asile est ce que nous leur devons, depuis que, fidèles à la longue histoire de l’asile de notre pays, nos prédécesseurs ont inscrit ce droit dans le préambule de la Constitution de 1946. Ils l’ont défendu sur la scène internationale, en 1951, lors de la signature de la Convention de Genève qui constitue le cadre de notre politique d’accueil. Nous sommes, en tant que parlementaires, garants de ce droit et des valeurs constitutionnelles qui l’entourent, car il ne saurait y avoir un droit qui réunit mieux la liberté, l’égalité et la fraternité – les mots que nous avons sur le fronton de tous nos édifices publics - que celui de l’asile qui nous donne l’opportunité de faire vivre notre devise.

Ce qui semble avoir changé depuis la crise de 2015, ce sont les discours. Lorsque des hommes, des femmes et des enfants deviennent des chiffres, lorsqu’on parle de flux, de marées et de crises, ce sont les individus et l’universalité qui sont oubliés. L’ignorance mène à la peur, la peur à la haine, la haine à la violence : voilà l’équation. C’est ce que disait déjà Averroès au XIIe siècle.

Les chiffres n’ont pas de visage, pas de famille, pas d’amis, de projets ou de repères. L’asile nécessite un changement de narratif que seuls la rencontre et le dialogue permettront, car le droit d’asile peut se vivre de manière apaisée. Pour appuyer mon affirmation, je ne citerai qu’un chiffre : 1,51. Il s’agit du nombre de réfugiés en France pour 10 000 habitants.

Antonio Guterres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), nous disait : « Nous devons avoir un changement de politique des réfugiés. Sans adhésion et participation de la société civile, nous ne pourrons répondre dans la dignité qui simpose à cette crise, à ce phénomène. » C’est le premier apport du dispositif porté par cette proposition de loi. Parce qu’il permet, organise et promeut la rencontre, le parrainage citoyen offre une meilleure conscientisation de la population à la situation des réfugiés et ce, dans la continuité de la tradition d’accueil de la France.

D’excellents rapports, comme ceux de nos collègues Aurélien Taché, Jean-Noël Barrot ou Stella Dupont pour ne citer qu’eux, ont montré que l’intégration des réfugiés en France péchait sur plusieurs points fondamentaux : l’accès au logement, l’accès à l’emploi et l’apprentissage du Français.

En contribuant à la prise en charge des frais fixes et réguliers des réfugiés pendant une période limitée, en leur permettant de bénéficier surtout du réseau qu’apporte chaque parrain pour établir des liens, en contribuant à une socialisation rapide, en leur apportant un soutien psychologique et social et en les accompagnant dans le décryptage de notre administration et de l’accès aux droits, les parrains et marraines permettent aux réfugiés de se concentrer sur la recherche d’un emploi ou le suivi d’une formation plutôt que sur la recherche d’un logement par exemple.

Quant à l’apprentissage de la langue, inutile d’insister très longtemps sur l’intérêt de le pratiquer avec des Français, ce qui est finalement le meilleur gage de la réussite de l’appropriation d’une langue.

Mais il ne s’agit que d’une partie de l’intérêt du parrainage pour les réfugiés. Nos sociologues Émile Durkheim et Serge Paugam ont largement insisté sur le fait que l’intégration à une société et à une communauté dépend de liens sociaux forts.

Le lien social, c’est cette chose difficilement définissable car c’est finalement en négatif qu’on peut l’appréhender. Quand il n’existe pas, il n’y a pas de cohésion, pas de société. Ce lien se construit par l’appropriation, l’assimilation de codes ainsi que d’une langue et d’une culture. Or l’apprentissage d’une culture et de ses codes et le sentiment d’appartenance ne peuvent pas se construire du haut vers le bas. La découverte de la société française se diffuse progressivement par des échanges horizontaux au sein d’une communauté. Mais aujourd’hui, les chiffres montrent que les réfugiés sont isolés. Seuls 12 % d’entre eux disposent de liens avec des citoyens français. Pire, seule une très faible proportion aura eu, dans les premières années de l’obtention de ses papiers, un échange avec un citoyen français qui n’est pas impliqué dans un service monétisé. Parce qu’ils disposent de moins de réseaux sur place que les autres catégories de migrants, ils doivent se reposer essentiellement sur les réseaux de soutien institutionnel.

On connaît le proverbe qui dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Parce qu’elle implique l’apprentissage d’une nouvelle citoyenneté, l’intégration d’un nouveau citoyen ne peut se passer d’une communauté. Les réfugiés n’en sont pas les seuls gagnants. La crise sanitaire et le confinement ont aussi montré, dans l’ensemble de la société française, l’importance fondamentale du lien social. Par les interactions qu’il crée autour des réfugiés, le parrainage y participe. Les Canadiens, qui ont instauré ce dispositif il y a maintenant quarante ans, et les nombreux villages de notre pays qui se sont montrés volontaires pour accueillir des réfugiés, peuvent témoigner des effets du parrainage sur le tissu social. Les parrains ont pu voir se renforcer leur rapport à la citoyenneté et à l’engagement. En même temps qu’ils apprenaient sur l’autre et sur eux-mêmes, ils apprenaient également sur leurs propres institutions. De même, nombreuses sont les histoires de communautés fragilisées par l’exode rural et qui trouvent dans l’accueil des réfugiés un nouveau souffle, une nouvelle jeunesse.

Un grand nombre d’initiatives existent aujourd’hui au sein de la société civile. Elles prennent diverses formes et sont soutenues par de nombreuses associations. Certaines opèrent un partenariat avec l’État, comme Sant’Egidio, la Fédération de l’entraide protestante et France Terre-d’asile. Celles-ci organisent notamment des couloirs humanitaires qui consistent à accompagner la venue de réfugiés en France depuis des hotspots à l’étranger. D’autres, par exemple Singa, ont développé des formes de parrainage impliquant notamment l’hébergement à domicile. Je salue le travail titanesque effectué depuis des années par tous ces acteurs.

Alors qu’elles sont encouragées à de nombreuses échelles, notamment par la Commission européenne, ces initiatives restent cependant trop dispersées et trop limitées pour soutenir l’ensemble de la population des réfugiés et avoir un effet structurel.

Ce que nous souhaitons apporter avec cette proposition de loi peut se résumer en deux mots : de la lisibilité et de la visibilité, à la fois pour les réfugiés qui souhaiteraient bénéficier d’un parrainage et pour les citoyens qui voudraient participer, au sein d’un cadre légal et rassurant, à leur intégration.

En 2016, un quart des Français ont mené une action pour venir en aide aux réfugiés sous forme de dons d’argent, de nourriture ou de vêtements et 30 % d’entre eux souhaitaient en faire davantage à l’avenir. Avec le soutien du Gouvernement, ces initiatives peuvent se multiplier et changer durablement l’image et la réalité de l’asile en France.

En complément du processus d’intégration garanti par l’État, le parrainage citoyen constitue un tremplin pour l’intégration des réfugiés. Il permettrait la création et le développement d’un réseau social et amical, l’accès à des opportunités professionnelles et de logement ainsi que l’accélération de l’apprentissage du Français et des codes socio-culturels de notre pays.

J’ai tenu à prévoir, dans cette proposition de loi, un dispositif suffisamment souple pour favoriser, grâce au parrainage citoyen, un nouvel élan dans l’engagement autour de l’asile, en complément des initiatives existantes. Il s’adresse à dessein aux personnes ayant déjà obtenu une protection internationale et se trouvant sur le sol national. Pour le reste, tout est à construire : un partenariat avec l’État, les associations et la société civile.

Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui n’a l’air de rien, mais je suis convaincue qu’elle peut beaucoup. Elle peut être le point de départ d’un nouveau regard sur l’asile en France, une nouvelle impulsion du vivre ensemble et d’un nouveau pacte social où chacun se sentirait concerné, comme il le doit, par l’intégration de nouveaux venus dans la cité. Cette proposition de loi entend réaffirmer le droit d’asile en France et porter une conception de l’intégration qui ne consiste plus seulement en un enseignement civique dispensé du haut vers le bas, mais en une multitude d’échanges entre les Français et les citoyens en devenir que sont les réfugiés. Cette proposition de loi intrinsèquement transpartisane pourrait permettre à la France de poser des bases durables à l’accueil des réfugiés et de montrer, fidèle à ses valeurs, l’exemple en Europe et dans le monde.

Mme Émilie Guerel. Composée d’un article unique, la proposition de loi qui nous est présentée par Mme Annie Chapelier vise à inscrire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile un dispositif encadrant le parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées par des associations agréées ou des groupements de particuliers. Elle a donc pour objet d’offrir un cadre légal à la possibilité déjà existante de créer des programmes de parrainage dans le cadre desquels des citoyens et des associations au niveau local identifient et équipent par exemple des logements et apportent leur soutien à l’installation et à l’intégration de réfugiés, d’apatrides et de personnes protégées. Il est important que l’ensemble des composantes de notre société soient associées, afin de permettre à toutes et à tous d’œuvrer pour cette nécessaire intégration dans un cadre qui apporte une sécurité juridique à la fois pour les parrains et pour les parrainés.

La proposition de loi prévoit que, pour être parrainées, les personnes concernées doivent être expressément volontaires et que le parrainage est un acte d’engagement citoyen réalisé à titre gracieux. Par ailleurs, une charte éthique viendra déterminer les conditions, les compétences et les ressources financières nécessaires aux associations et aux groupements de particuliers qui seront engagés dans ce dispositif. Enfin, il est prévu qu’un rapport évaluant le dispositif pour une éventuelle reconduite soit remis au Parlement.

Le Canada, avec son programme de parrainage privé de réfugiés, fait office de modèle dans plusieurs pays du monde à ce sujet, avec toutes les nuances qu’il convient d’apporter compte tenu de différences substantielles dans la politique d’immigration de ce pays. Depuis sa création en 1979, ce sont plus de 327 000 réfugiés parrainés par le secteur privé provenant de plus de 175 pays qui se sont établis dans 160 villes canadiennes. Cette méthode a largement fait la preuve de son efficacité dans le système canadien et a représenté une importante plus-value en matière d’intégration dans ce pays.

La Commission européenne a également encouragé cette pratique et ces programmes et il est à noter que des initiatives similaires ont été lancées au Royaume-Uni et ont récemment vu le jour en Allemagne, en Irlande et en Espagne.

Suivant cette dynamique européenne, les initiatives de parrainage sont ainsi devenues une réalité en France et de nombreuses associations ont déjà lancé ce type de dispositif. Cela reflète le désir croissant des acteurs de la société civile, comme les associations agréées ou les groupements de particuliers, de s’engager concrètement dans l’accueil des réfugiés pour leur permettre de mieux s’intégrer. C’est pourquoi le groupe La République en Marche soutient cette proposition de loi mais veillera à ce que son cadre reste le plus souple possible pour ne pas entraver les initiatives actuelles.

M. Raphaël Schellenberger. En préambule, je souhaite rappeler que le droit d’asile, qui est un droit important pour la France, a toujours fait l’objet d’une attention particulière du groupe Les Républicains. Autant nous pouvons être exigeants en matière d’immigration, autant nous avons toujours considéré qu’il est du devoir et de la responsabilité de la France de protéger celles et ceux qui, en raison de leurs croyances, de leur personne ou de leurs opinions sont persécutés chez eux, et quand il le faut de les accueillir.

Dans ce cadre, la proposition de loi déposée par le groupe EDS crée, à titre expérimental, pour une durée de trois ans, un programme de parrainage citoyen. Ces programmes sont des partenariats public-privé entre pouvoirs publics, qui facilitent l’accès légal des réfugiés à notre territoire, et les acteurs privés – des associations, des collectifs de citoyens, des groupes confessionnels – qui fournissent un appui financier, social ou affectif pour accueillir et intégrer les réfugiés dans la société. Ils comprennent plusieurs étapes dont la responsabilité est partagée : identification dans le pays de premier asile par les autorités nationales, transfert des réfugiés vers le nouveau pays d’accueil, hébergement et accompagnement par les groupes accueillant. Ces programmes de parrainage privé de réfugiés s’inspirent du modèle canadien où, depuis 1978, des groupes de citoyens ont accueilli plus de 300 000 réfugiés.

Plusieurs pays européens ont lancé des projets pilotes de parrainage privé, soit sur le modèle du couloir humanitaire comme en Italie, soit comme des voies complémentaires aux programmes de réinstallation. Soutenus par les institutions européennes, ces programmes ont vocation à contribuer aux efforts européens d’offrir des voies légales et sûres d’accès au territoire européen pour les réfugiés.

Depuis l’adoption du pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières en décembre 2018, le développement du parrainage privé s’inscrit dans la stratégie du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sur les voies complémentaires d’accès à l’asile. De plus, le HCR et le gouvernement canadien, en partenariat avec la fondation Open Society, la fondation Giustra et l’université d’Ottawa, ont lancé l’initiative mondiale de parrainage de réfugiés qui vise à promouvoir cette voie de protection et accompagner les pays qui souhaitent développer ce type de programme.

Depuis 2014, les autorités françaises délivrent des visas humanitaires aux minorités persécutées d’Irak ou à des ressortissants syriens. Ils sont ensuite pris en charge en France par des organisations confessionnelles, des communautés religieuses ou des membres de leur famille. Près de 15 000 personnes ont été accueillies en France dans ce cadre. Plusieurs centaines sont accompagnées par des associations, je pense notamment à l’Ordre de Malte.

En 2017, un protocole relatif aux couloirs humanitaires a été signé entre le Gouvernement français et cinq associations confessionnelles : la communauté Sant’Egidio, la Fédération protestante de France, la Fédération d’entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique Caritas France. Ce protocole prévoit l’identification et la délivrance de visas humanitaires à 500 réfugiés syriens et irakiens au Liban. Ils seront ensuite hébergés et accompagnés par des collectifs de bénévoles coordonnés par les cinq associations. D’autres actions concernant d’autres populations persécutées – je pense notamment aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) – ont émergé en France depuis 2015.

Il s’agit donc, avec ce texte, d’entériner et d’offrir un cadre à ce qui existe déjà sur le terrain. Le parrainage citoyen a vocation à permettre aux citoyens volontaires, désireux de participer à l’accueil des réfugiés, des apatrides et des personnes protégées, d’avoir un cadre légal d’intervention à cet effet en élaborant sur le terrain un dispositif expérimental permettant aux personnes engagées d’apporter un appui social et financier pour l’accueil et l’intégration de ces derniers dans la cité, en coopération avec les dispositifs institutionnels et les opérateurs qui y contribuent. Le groupe Les Républicains soutiendra cette mesure de bon sens.

Mme Nadia Essayan. Nous nous trouvons à nouveau face à une responsabilité collective, celle de savoir quel sens nous voulons donner à notre action en faveur d’une immigration sereine et réussie : une régulation froide et rigide des flux migratoires sur notre territoire ou une régulation juste et empreinte d’humanité propre aux valeurs de notre République.

Pour le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés, la réponse est claire : la justice, l’humanité, la fraternité, font partie de notre ADN. Vous le savez, en juillet 2018, le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de fraternité tout en précisant que le législateur devait assurer la conciliation entre ce principe, c’est-à-dire la liberté d’entraide, et la sauvegarde de l’ordre public. Cette proposition de loi nous offre aujourd’hui l’opportunité de le faire. En effet, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, « l’intégration réelle des personnes fuyant leur pays d’origine par peur de persécutions est une nécessité et elle ne peut se passer du concours des citoyens et de la société civile ». Cette participation privée aux côtés de l’État et ce partage de responsabilités dans l’accueil des réfugiés doivent se faire dans un cadre légal sécurisant pour tous, tant pour les citoyens qui s’investissent auprès des réfugiés que pour les réfugiés eux-mêmes qui pourront affronter plus sereinement le difficile parcours de l’intégration.

Mon expérience personnelle d’accompagnement des réfugiés me permet de mesurer l’importance de ce parrainage citoyen. Le barrage de la langue, la complexité des formalités administratives, le manque de connaissance du pays sont autant de difficultés rencontrées par les personnes que nous accueillons. Le parrainage citoyen permet ainsi de rassurer, de les rassurer. Légaliser ce parrainage citoyen permettra aussi de reconnaître et de soutenir le travail souvent important et régulier des bénévoles et de le sécuriser par une charte éthique.

Mes chers collègues, nous savons que le sujet de l’immigration peut susciter des peurs, des visions différentes de la politique migratoire que notre pays doit mener. Mais je veux croire que, sous ces approches divergentes, nous avons une exigence commune, celle de ne pas tourner le dos au reste du monde, à ceux qui souffrent et qui nous demandent de l’aide. Les craintes relatives à l’immigration, nous devons les entendre et y répondre de la manière la plus juste qui soit, mais il en est de même pour ces femmes, ces hommes, ces enfants, ces familles qui ont enduré les pires souffrances pour rejoindre notre pays qui représente pour eux un eldorado.

Cette proposition de loi est une des réponses que nous pouvons leur apporter. Elle est juste et pertinente en ce qu’elle vise à créer les conditions d’un meilleur accompagnement et d’une meilleure intégration des femmes et des hommes réfugiés, apatrides ou qui bénéficient de la protection subsidiaire ou temporaire.

Aussi, mes chers collègues, vous comprendrez que notre groupe accueille favorablement ce texte relatif au parrainage citoyen. Un tel dispositif permettra d’apaiser les tensions, de réussir l’intégration et d’assurer un suivi porteur d’expériences et d’amélioration de nos politiques publiques en matière d’immigration.

M. Christophe Euzet. Nous examinons une proposition de loi dont l’objet est d’une noblesse irréfutable puisqu’il s’agit d’améliorer la qualité de l’intégration des réfugiés, des apatrides et des personnes protégées dans notre pays, ce à quoi nous ne pouvons que souscrire dans le principe. Cette noblesse est renforcée par la création d’un mécanisme éprouvé, celui d’un partenariat entre le public et le privé pour améliorer les conditions de cette intégration.

Le dispositif proposé est lui aussi cohérent. Il comprend la mise en place d’une expérimentation pour trois ans dans un nombre limité de départements, d’un parrainage citoyen pour les personnes réfugiées et un certain nombre de dispositions relatives au volontariat, au titre gracieux de la démarche et à la faculté éventuelle pour le Parlement de la proroger si elle devait donner satisfaction. Ce dispositif, déployé à des fins louables, qui a été présenté abondamment par Mme la rapporteure, consiste à essayer de faire en sorte que les citoyens s’engagent dans un sens renforcé de l’intérêt général, qu’ils partagent des responsabilités, qu’ils accroissent leur confiance mutuelle. Je crois que tout le monde appelle cette démarche de ses vœux.

L’ensemble des arguments emportent la conviction : une expérimentation et un renforcement du cadre légal d’une pratique qui existe déjà à certains égards. Son cadre juridique est déjà proposé dans des pays qui, en l’occurence, font vraiment figure de référence. Enfin, ce dispositif ne coûte rien ou pas grand-chose, ce qui évite l’écueil de l’irrecevabilité.

Le groupe Agir ensemble n’est pas nécessairement unanime sur la question, mais il voit globalement ce texte d’un bon œil. Il sera vigilant sur un certain nombre de points qui feront peut-être l’objet d’éclaircissements au cours de la discussion : le rôle des parrains gagnerait peut-être à être mieux défini, tout comme les modalités de sélection de ceux-ci et l’encadrement de leur activité, sur la transparence, etc.

À titre personnel, je serai vigilant sur deux points.

D’abord sur le questionnement dont nous ne pourrons pas faire longtemps l’économie dans notre pays et qui porte sur la nature de l’investissement et sur le rôle de l’État. On voit bien que s’opère une sorte de transfert. Il ne faudrait pas que l’évolution de ce rôle soit interprété comme une forme de désengagement de la personne publique vis-à-vis de la société, au bénéfice des personnes privées.

Mon second point de vigilance porte sur la nature des soutiens qui peuvent être apportés et parfois du danger communautaire dans les démarches qui sont menées. Vous avez souligné que les personnes arrivant dans des conditions légales sont quelquefois très peu au contact des populations de nationalité française : n’y a-t-il pas un danger que des formes de religiosité ou de communautarisme larvés continuent à entraîner dans une sorte de marginalisation sectaire les personnes accueillies ? Nous ne demandons qu’à être rassurés. Nous soutiendrons globalement ce texte tout en étant vigilants sur son évolution.

Mme Agnès Thill. Nous partageons un objectif commun : une meilleure intégration des personnes réfugiées et protégées. Le groupe Écologie Démocratie Solidarité souhaite mettre en avant une solution grâce à cette proposition de loi et nous saluons bien sûr cette intention. Cependant, il nous semble que ce texte achoppe sur plusieurs difficultés d’ordre juridique.

Tout d’abord, il ne détermine pas réellement un cadre légal du parrainage, toutes les conditions d’application étant renvoyées à un décret. Les ambitions évoquées dans l’exposé des motifs ne semblent donc pas atteintes.

Ensuite, le dispositif proposé est facultatif pour l’État qui pourrait ne jamais le mettre en place. En revanche, si l’expérimentation devait avoir lieu, il semble que les départements sélectionnés n’aient pas leur mot à dire.

Enfin, les actions citoyennes d’accueil des réfugiés ou des autres personnes protégées ont déjà lieu. Elles sont menées par des associations compétentes avec le soutien des ministères concernés, grâce à des partenariats public-privé. Le parrainage est donc déjà autorisé sur des bases légales. Ainsi, il nous apparaît que l’ajout, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’un chapitre ayant une portée normative restreinte pourrait prêter à confusion bien que nous soutenions clairement l’idée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous interrompons nos travaux que nous reprendrons cet après-midi, à quatorze heures trente.

 

La réunion s’achève à 13 heures.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

-       Mme Paula Forteza rapporteure sur la proposition de loi instaurant le vote dès seize ans et l’inscription automatique sur les listes électorales (n° 3294) ;

-       Mme Annie Chapelier rapporteure sur la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées (n° 3219).


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Bru, Mme Marie-George Buffet, Mme Annie Chapelier, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Émilie Guerel, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, Mme Alexandra Louis, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Pierre Person, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

 

Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine, M. Arnaud Viala

 

Assistaient également à la réunion. - M. Lénaïck Adam, Mme Delphine Bagarry, M. Alexis Corbière, Mme Nadia Essayan, M. Matthieu Orphelin, Mme Agnès Thill