Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen, en nouvelle lecture, du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3433) (M. Didier Paris, rapporteur)               2

         Examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale (n° 3452) (M. Jean-Michel Fauvergue et Mme Alice Thourot, rapporteurs)              13

 Informations relatives à la Commission................39


Mercredi
4 novembre 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


—  1  —

La réunion débute à 9 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3433) (M. Didier Paris, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, vous avez pu le constater, l’examen, en séance publique, du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire n’a pas été achevé hier soir : la présidence a annoncé qu’il se poursuivrait aujourd’hui à partir de quinze heures et peut-être ce soir à vingt et une heures.

Je vous propose comme nous en étions convenus d’examiner ce matin le projet de loi prorogeant certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, puis de commencer l’examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale et de commencer l’examen des amendements.

Notre réunion de ce matin sera suspendue à treize heures et nous reprendrons éventuellement nos débats, en fonction de l’évolution de ceux ayant lieu dans l’hémicycle, soit ce soir, soit demain à neuf heures trente, auquel cas une nouvelle convocation vous serait adressée. Si cela s’avère possible, nous ne siègerons pas vendredi, jour où nous devions examiner, en lecture définitive, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

M. Philippe Gosselin. Imaginez-vous, Madame la présidente, que cette lecture définitive pourrait plutôt avoir lieu samedi ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cela dépend du moment où le Sénat examinera le texte. Nous devons nous adapter à cet « effet domino ».

M. Philippe Gosselin. Pourriez-vous vous faire la porte-parole de la commission afin que le débat sur les Outre-mer ne soit pas renvoyé d’un revers de la main, ce qui serait un mauvais signal pour nos compatriotes ultramarins ? Un certain nombre de collègues ultramarins, pour lesquels la situation est compliquée, sont en effet revenus pour y participer.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je ferai passer le message.

La Commission examine, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3433) (M. Didier Paris, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La commission mixte paritaire (CMP) réunie le 22 octobre dernier n’a pas été en mesure de proposer un texte commun.

L’application, à ce stade de la navette, de la règle dite de l’entonnoir m’a conduit à déclarer irrecevables un certain nombre d’amendements, seuls ceux ayant un lien direct avec une disposition restant en discussion étant recevables.

M. Didier Paris, rapporteur. La CMP s’est en effet séparée sur un constat d’échec relatif : si l’objectif est commun, nous avons divergé s’agissant des modalités d’action et de la temporalité des mesures.

Sans reprendre toute la genèse du texte, l’Assemblée nationale a considéré, en première lecture, qu’il s’agissait d’un texte d’enjambement dans l’attente d’une loi de fond en 2021.

Il est impossible de pérenniser des dispositions si importantes, tant au plan de l’action des services de l’État qu’à celui des libertés individuelles, sans une discussion de fond, raison pour laquelle nous proposons une prorogation pure et simple des délais s’agissant des articles 1er à 4 de la loi SILT portant sur les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), ainsi que sur les visites domiciliaires.

Le Sénat a lui souhaité une pérennisation de ces mesures en ne procédant qu’à quelques aménagements ne modifiant pas sensiblement la nature du texte. Il a en outre voté un amendement du Gouvernement prorogeant la partie renseignement du projet de loi compte tenu de la complexité de la traduction en droit français d’arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – qui avait été saisie notamment par Privacy International, la Quadrature du Net et French network – portant sur la logique algorithmique française.

Il est également difficile de ne pas mentionner le contexte particulièrement tendu dans lequel nous examinons ce texte : nos amis autrichiens en ont subi les lourdes conséquences, ce qui a également été notre cas avec les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice, pour les victimes desquels j’ai, comme notre collègue Éric Ciotti, une pensée particulière.

La question de l’état d’urgence au sens de la loi du 3 avril 1955 aurait pu se poser. Lors de son audition avant-hier, M. Gérald Darmanin a cependant très clairement indiqué que la menace actuelle, au caractère sérieux mais diffus, ne permettait pas de documenter un retour à celui-ci même si, malheureusement, il pourrait se justifier à un moment ou à un autre.

Les dispositifs de la loi SILT sont-ils suffisants ? Autrement dit, y a-t-il des « trous dans la raquette » qui empêcheraient les services de sécurité et l’État de se défendre face à une telle menace ? Le ministre de l’intérieur l’a très clairement expliqué : au plan opérationnel, il n’éprouve pas de difficultés particulières.

Quelques chiffres : 265 visites domiciliaires ont été programmées, dont 172 ont été validées à ce jour, qui ont débouché sur 11 judiciarisations et 9 refus du juge des libertés et de la détention (JLD), ce qui montre que nos institutions fonctionnent comme à l’habitude, ce juge étant parfaitement fondé à en refuser certaines au vu des éléments présentés par les services de police.

Par ailleurs, trente-cinq lieux de culte ont été fermés, dont huit sur le fondement de l'article 2 de la loi SILT. La dissolution de certaines associations est également prévue : je pense à celle des Loups gris, qui sera évoquée aujourd’hui en conseil des ministres.

S’agissant de la police administrative, le ministre a affirmé disposer d’un cadre juridique suffisant, ce qui n’interdit pas de prévoir certaines améliorations ainsi que leur intégration dans notre droit commun dans la loi à venir.

En revanche, l’élément fondamental est la lutte contre l’islamisme radical et politique qui s’en prend à la République et qui, sans conteste, arme idéologiquement les auteurs d’attentat, nous venons de le constater à nos dépens : une telle lutte est l’objectif de fond que nous nous assignons et celui poursuivi par le projet de loi de lutte contre le séparatisme.

En conséquence, je vous propose d’une part de revenir au texte voté en première lecture par l’Assemblée nationale s’agissant des mesures de la loi SILT, en les prorogeant jusqu’au 31 juillet 2021. Cette date est relativement ambitieuse mais impérative. Elle doit nous permettre de mener entre nous un véritable débat de fond, d’améliorer les dispositions existantes et d’en intégrer définitivement dans notre droit commun d’autres réellement importantes.

D’autre part, et cela fera l’objet des amendements, je vous propose de confirmer la prorogation de la partie relative au renseignement, singulièrement l’article 25 de la loi de 2015 qui a fait l’objet devant le Sénat de l’amendement gouvernemental que j’ai mentionné.

Il a été adopté afin de tenir compte des récents arrêts de la CJUE dont les conséquences sont importantes car elles mettent en jeu la manière dont nous allons continuer à assurer notre souveraineté nationale en matière de renseignement ainsi que les conditions de conservation des données personnelles.

M. Ludovic Mendes. La loi de 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a permis une sortie maîtrisée du régime de l’état d’urgence, instauré après les attentats du 13 novembre 2015.

Cette sortie progressive s’est faite grâce à différents outils, qui ont depuis fait leur preuve : les périmètres de protection ; la fermeture très encadrée de certains lieux de culte incitant à la violence, à la haine, à la discrimination, et provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, dont la majeure partie n’a jamais rouvert ; les MICAS, appliquées à plus d’une centaine de personnes l’an dernier ; les visites domiciliaires et les saisies qui ont déjà permis de déjouer un attentat et d’engager, entre novembre 2018 et octobre 2019, des poursuites judiciaires pour faits de terrorismes contre sept personnes.

Ces outils ont permis d’empêcher plusieurs actions terroristes et garantissent l’identification et la surveillance des individus potentiellement radicalisés. Ils assurent une meilleure prévention des risques terroristes ainsi qu’une meilleure protection des Français face à cette réalité.

La même loi a permis la prorogation d’une technique de renseignement par traitements automatisés instaurée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Ainsi, le Premier ministre peut, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), imposer aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services sur internet la mise en œuvre sur leurs réseaux de traitements automatisés destinés à détecter des connexions susceptibles de recéler une menace terroriste.

En 2017, lorsque la loi a été votée, nous avons souhaité, compte tenu du caractère novateur de l’accroissement des pouvoirs de police et des contraintes en matière de libertés et de la garantie nécessaire de la sécurité de chacun, limiter dans le temps l’application des différents dispositifs.

La date avant laquelle nous avions prévu de les réévaluer avait été fixée au 31 décembre 2020 : malheureusement, la crise sanitaire, économique et sociale nous empêche de la respecter.

La date du 31 juillet 2021 semble par conséquent opportune, le Gouvernement s’étant en outre engagé à déposer un projet de loi d’ici l’été, notre collègue rapporteur Didier Paris l’a rappelé.

Un tel texte permettra de parfaire l’arsenal juridique, punitif, de renseignement et de surveillance. Il ne faudrait en effet pas qu’un vide juridique existe entre une date de prorogation prévue à l’été et l’adoption de ce texte sur le fond.

Par ailleurs, les très récentes décisions de la CJUE sur le régime de conservation des données par les opérateurs de communications électroniques ont conduit le Gouvernement à revoir le calendrier envisagé à l’Assemblée nationale afin d’examiner les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi.

S’il est regrettable que nous n’ayons pas pu trouver un accord avec le Sénat alors que nous partageons la même exigence s’agissant de la sécurité de nos concitoyens, je ne doute toutefois pas que les compromis récents permettront d’aboutir à un accord entre les deux chambres.

Cette réévaluation est plus que jamais d’actualité, car ces mesures restent éminemment nécessaires : les récents attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice nous ont en effet rappelé le niveau trop élevé de la menace terroriste en France.

La crise sanitaire qui a occupé les esprits et le travail des parlementaires depuis le début de l’année ne doit pas nous faire oublier ou négliger le risque majeur que représente toujours le terrorisme pour nos concitoyens.

Les différents rapports d’application de la loi présentés au Parlement ont témoigné du grand intérêt de ces quatre mesures grâce à leur utilisation raisonnée, à la qualité juridique des décisions prises sur leur fondement ainsi qu’à leur apport opérationnel.

Concernant la technique de renseignement par traitements automatisés, dans un rapport rendu en juin 2020, nos collègues Loïc Kervan et Jean-Michel Mis ont souligné « des résultats intéressants » et « très prometteurs ». Leur mission d’information a ainsi jugé « nécessaire de proroger la technique de l’algorithme ».

Par ailleurs, en février dernier, le Président de la République a signé une ordonnance visant à lutter contre le financement des activités terroristes et obligeant de nombreuses professions à déclarer à Tracfin les opérations leur semblant litigeuses.

Ainsi, compte tenu de la persistance du risque terroriste et de l’utilité prouvée de ces dispositifs, il est souhaitable qu’ils soient finalement pérennisés dans un texte législatif spécifique qui tiendra compte des différents rapports et suggestions d’amélioration émis depuis trois ans tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat.

C’est donc pour poursuivre dans ce sens et pour rester vigilants face à la menace terroriste qu’il est aujourd’hui nécessaire de voter cette prorogation. Il est en effet primordial de disposer de tous les moyens nécessaires pour continuer à protéger les Français contre ces dangers encore bien trop présents dans notre pays.

M. Philippe Gosselin. Cinq ans après les attentats qui ont abîmé notre pays, nous avons encore à en prolonger les suites juridiques alors que la menace terroriste a rarement été aussi proche et aussi fréquente.

Il s’agit en effet d’un texte d’enjambement dans la mesure où nous ne pouvons aujourd’hui pas être totalement certains du calendrier de sortie de la prorogation des quatre mesures essentielles sur lesquelles il porte, et qui ont été appliquées : il faut donc encore donner du temps au temps.

Il ne saurait bien évidemment y avoir de vide juridique.

En outre, ce projet de loi illustre la grande difficulté qu’il y a à tenter de graver dans le marbre des mesures qui à l’origine étaient d’exception.

Sans esprit polémique, lorsqu’au mois de janvier nous nous pencherons sur l’état d’urgence sanitaire, il nous faudra en termes de méthode garder en tête la possibilité d’une loi d’enjambement : il faut en effet du recul pour trouver les bons mots et les bons dispositifs.

Nos débats d’aujourd’hui interviennent dans un contexte très particulier, marqué par le terrorisme auquel nous sommes confrontés comme une partie de l’Europe – je pense à nos amis autrichiens – ainsi que par des décisions de la CJUE qui posent très clairement la question de notre souveraineté en matière de renseignement, donc des moyens dont disposent les États.

Si la lutte contre le terrorisme peut sans doute se mener de façon collective, notamment dans le cadre de l’Union européenne, il me paraît essentiel que les États puissent d’eux-mêmes se protéger et disposer d’un arsenal carré, précis et ne dépendant pas d’autres ordres juridiques que le leur : nous sommes confrontés à un tel défi.

Il n’est à ce stade pas envisageable de ne pas disposer d’une loi de prorogation. Si la date du 31 juillet 2021 pourrait paraître raisonnable, je m’interroge, comme le rapporteur, sur une telle échéance puisque tant le terrorisme que l’état d’urgence sanitaire, qui va continuer de bousculer nos travaux au cours des mois qui viennent, nous rattrapent.

Sans doute d’autres textes pourront-ils nous servir de support : je pense à certains amendements sur la proposition de loi relative à la sécurité globale que nous nous apprêtons à examiner, ainsi qu’au projet de loi de lutte contre le séparatisme.

Si les possibilités de débats sont donc nombreuses, prendre les bonnes décisions avec suffisamment de recul l’est toujours moins.

Je conclus : oui à ce texte d’enjambement, même s’il soulève à ce stade plus de questions qu’il n’apporte de véritables réponses.

M. Philippe Latombe. Partout dans le monde, la menace terroriste est mouvante et s’adapte aux mesures prises pour la combattre. Notre pays, encore récemment endeuillé, doit lutter sans relâche contre le risque de nouvelles attaques.

Le législateur a ainsi adopté en 2017 plusieurs dispositifs temporaires visant à lutter contre le terrorisme : l’article 1er du projet de loi vise à les proroger pour une durée d’un an, ramenée à sept mois par l’Assemblée nationale.

Quatre types de mesures sont concernés : les périmètres de protection visant à assurer la sécurité lors de grands événements, la fermeture des lieux de culte, les fameuses MICAS et les visites domiciliaires.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont estimé nécessaires, s’agissant de l’article 2 relatif à la technique de renseignement dite de l’algorithme, de prolonger la phase d’expérimentation, dans la perspective d’un débat parlementaire plus large sur la réforme de la loi renseignement que nous attendons l’année prochaine.

Il est de plus apparu indispensable, au regard des décisions de la CJUE sur le régime de conservation des données personnelles, et notamment celle du 6 octobre dernier sur la durée de conservation généralisée des données de connexion confirmant l’arrêt Tele2 Sverige et Watson dont j’ai souvent parlé, de revenir à la date de prorogation initiale.

La première lecture n’a pas permis de trouver un compromis entre les deux chambres puisqu’elle a débouché sur un échec en CMP. Le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés regrette que le Sénat ait souhaité apporter des modifications par voie d’amendement : il juge en effet qu’il n’est pas pertinent de procéder ainsi, compte tenu de la sensibilité des enjeux. Il convient de disposer d’une étude d’impact ainsi que de l’avis du Conseil d’État.

Conscients de la nécessité d’avancer, nous souhaitons que l’examen du futur projet de loi puisse débuter dès que possible : il ne faut en effet pas repousser plus que de raison un débat essentiel en matière de surveillance et de prévention du terrorisme.

Notre groupe votera donc le texte tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et modifié par les deux amendements du rapporteur.

Mme Cécile Untermaier. Le projet de loi vise à proroger, d’une part, certaines dispositions de la loi SILT de 2017, d’autre part, l’expérimentation d’une technique de renseignement prévue dans la loi du 24 juillet 2015, qui avait déjà été prorogée une première fois, avec l’accord du groupe socialiste, dans la loi de 2017. Compte tenu des faits récents, il paraît évident que ces dispositifs ne peuvent rester en suspens.

Toutefois, il aurait été fort utile de dresser dès à présent un bilan de l’application de la loi SILT au regard des faits tragiques qui sont survenus et dans la perspective de l’examen du projet de loi sur la sécurité globale, du projet de loi sur le séparatisme et du texte qu’on nous annonce sur le renseignement. La frénésie législative est telle que l’intelligibilité de la loi en pâtit. Celle-ci devient difficilement lisible pour les membres de notre commission et, plus encore, pour nos concitoyens, qui peinent sans doute à identifier le dispositif dont relèvent les mesures susceptibles leur être appliquées.

Néanmoins, je l’ai dit, nous ne voyons pas comment nous pourrions ne pas voter cette prorogation, le 31 juillet 2021 étant selon nous la date limite.

J’ai pris bonne note des observations du rapporteur sur la technique dite de l’algorithme, la question des données personnelles et les travaux menés à l’échelon européen. Toutefois, je le répète, il me semble que la situation nous incitait à dresser au plus tôt un bilan de la loi SILT. C’est donc avec regret que nous voterons le projet de loi.

Je conclurai par une remarque en marge de l’examen du texte. Il est regrettable que la cellule interministérielle d’aide aux victimes du terrorisme ait été supprimée – sachez que le Conseil de l’Europe déplore cette décision. En France, les victimes du terrorisme sont, hélas, nombreuses, et elles ont besoin de notre soutien.

M. Dimitri Houbron. « Désorganisée », « en restructuration », « cellules dormantes », « persistante mais affaiblie » : tels étaient les termes employés pour désigner la menace terroriste au début de cette année. Force est de constater qu’elle a de nouveau frappé, au cœur de la République. Alors que notre regard était fixé sur la crise sanitaire et ses répercussions, pris en étau entre la covid-19, la relance économique et les tensions sociales, le terrorisme islamiste a ouvert une brèche. Les 32 attentats déjoués depuis 2017 nous rappelaient l’imminence de la menace mais laissaient à penser qu’une posture de vigilance suffirait à assurer notre sécurité.

À l’instar de Sisyphe, nous croyions être parvenus au sommet de la montagne. Hélas, nous avons vu le roc dégringoler ces derniers jours. Pourtant, la menace terroriste, qui n’avait jamais réellement disparu, demeurait élevée. Lundi dernier, le ministre de l’intérieur le rappelait, en nous communiquant des données inquiétantes. Après l’assassinat d’une rare violence de Samuel Paty, trois autres de nos compatriotes ont laissé la vie lors de l’attentat de Nice. Puis c’est en Autriche, à Vienne, qu’une nouvelle attaque est survenue, causant la mort de quatre personnes ; je souhaite leur rendre, ici, un hommage appuyé.

C’est dans ce contexte qu’il nous revient d’examiner en nouvelle lecture la prorogation de la durée d’application de certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2017, dite SILT, et de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

En 2017, en effet, le législateur avait adopté, à titre temporaire, plusieurs mesures de lutte contre le terrorisme. Le texte initial de l’article 1er du projet de loi visait à les proroger pour une durée d’un an, ramenée à sept mois par l’Assemblée nationale en première lecture. Quatre types de mesures sont concernés : les périmètres de protection, destinés à assurer la sécurité des grands événements ; la fermeture des lieux de culte ; les MICAS ; les visites domiciliaires.

S’agissant de l’article 2, relatif à la technique de renseignement dite de l’algorithme, les deux assemblées convergent sur la nécessité de prolonger la phase d’expérimentation, dans la perspective d’un débat parlementaire sur la réforme de la loi « renseignement », attendue l’an prochain.

L’apport de ces dispositifs est majeur dans la lutte contre le terrorisme. Il est de notre responsabilité de donner aux hommes et aux femmes qui travaillent dans l’ombre les moyens dont ils ont besoin pour protéger le territoire national et nos compatriotes et de sécuriser juridiquement leur usage. C’est pourquoi nos collègues sénateurs ont souhaité, d’une part, pérenniser les dispositifs prévus dans la loi SILT, d’autre part, repousser à décembre 2021 la durée de validité de la technique de recueil de renseignements dite de l’algorithme. De nombreux arguments ont été avancés en commission mixte paritaire pour justifier cette volonté ; ils sont, dans leur grande majorité, parfaitement compréhensibles.

Cependant, si nous voulons tous lutter efficacement contre le terrorisme, nous devons nous garder de prendre une décision hâtive, sous le coup de l’émotion.

Sur les mesures portant atteinte aux libertés individuelles, il est impératif d’avoir un débat de fond. Or, nous nous en priverions si nous pérennisions dès aujourd’hui les quatre mesures issues de la loi du 30 octobre 2017. Nous avons le devoir de mener une réflexion de qualité sur ce sujet. Aussi le débat, promis par le Gouvernement à l’horizon du premier semestre 2021, me semble-t-il nécessaire.

En ce qui concerne l’article 2, le Sénat est revenu au texte initial du projet de loi, rétablissant la date du 31 décembre 2021. Il me semble que, par cohérence, nous devrions nous en tenir à l’échéance du 31 juillet 2021. En nous mettant dès maintenant au travail, nous pourrions améliorer le dispositif, compte tenu, d’une part, de la menace terroriste, d’autre part, de la décision de la CJUE d’octobre dernier.

M. Paul Molac. Ce texte emporte, certes, des restrictions des libertés, mais il nous faut protéger les Français. C’est pourquoi le groupe Libertés et Territoires votera globalement le projet de loi, dans la version de l’Assemblée nationale.

Mme Danièle Obono. L’actualité récente nous a rappelé la permanence de la menace terroriste. Afin de lutter contre celle-ci, des outils efficaces doivent être confiés à la police et à la justice – je pense notamment au renseignement humain et au travail de terrain. Hélas, en matière de lutte contre le terrorisme comme en matière de santé, le Gouvernement et la majorité abusent des restrictions de liberté, optant pour une escalade sécuritaire qui, non seulement ne permet pas d’atteindre l’objectif légitimement poursuivi, mais est à certains égards contreproductive.

Aussi nous opposons-nous à la prorogation de certaines des dispositions de la loi SILT, qui visait à introduire l’état d’urgence dans le droit commun. Nous vivons dans un état d’urgence permanent, qui restreint nos droits et libertés sans renforcer notre capacité à protéger la population et les anticorps républicains qui nous permettraient de faire face à de nouvelles attaques. Qui plus est, il a donné lieu, comme l’ont dénoncé nombre d’organisations françaises et internationales de défense des droits humains, à des abus et à des mesures illégitimes ; je pense notamment à l’assignation à résidence de militants et de militantes écologistes.

Se pose par ailleurs la question de l’évaluation de l’opérationnalité de la loi. Comment, en effet, pouvons-nous proroger un dispositif dont nous ne pouvons juger de l’effectivité ? Lors de l’application de l’état d’urgence, on a relevé que, sur les 4 000 perquisitions réalisées, 30 procédures seulement avaient abouti, sans compter les nombreuses atteintes aux libertés dénoncées notamment par Amnesty international !

En outre, il est regrettable que la stratégie du Gouvernement fasse l’impasse sur ce qui devrait être un élément fondamental de la lutte contre les actes terroristes, à savoir les circuits de financement des organisations terroristes, via notamment les paradis fiscaux et le blanchiment international, dont les FinCEN (Financial crimes enforcement network) files ont révélé le scandale – on parle d’au moins 2 000 milliards de dollars, issus des pires trafics. Ce phénomène est rendu possible par une régulation bancaire insuffisante. Notre pays devrait donc se montrer beaucoup plus ferme vis-à-vis des États et organisations qui concourent au financement du terrorisme. Du reste, dans leur rapport, nos collègues Bernalicis et Maire préconisent de renforcer les moyens affectés à la lutte contre ces circuits financiers.

Le groupe LFI demeure opposé à la prorogation de l’état d’urgence, devenu désormais permanent. Nous considérons comme erroné le diagnostic selon lequel une militarisation accrue de la société et la remise en cause des libertés fondamentales nous prémuniraient contre les attaques terroristes. C’est, au contraire, en préservant ces libertés que nous y ferons face.

M. Didier Paris, rapporteur. Je vous remercie pour vos interventions, qui traduisent, à l’exception de celle de Mme Obono au nom de La France insoumise, un accord sur la prorogation des dispositions de la loi SILT et de la loi « renseignement » de 2015, telle que nous l’envisageons. Je sais gré à Ludovic Mendes de son soutien très clair.

Je partage dans une large mesure l’inquiétude de Philippe Gosselin quant à la manière dont nous allons garantir notre souveraineté territoriale, notamment en matière de renseignement – la question est importante.

En ce qui concerne la durée des prorogations, il faut bien comprendre que le 31 juillet 2021, pour les dispositions de la loi SILT, et le 31 décembre 2021, pour le dispositif de renseignement, sont des dates butoirs. Monsieur Latombe, rien n’interdit au Gouvernement et au Parlement de faire en sorte qu’en définitive, les délais coïncident. Nous avons en effet pour objectif commun de mener au plus vite une discussion de fond qui nous permette de traduire des dispositions fondamentales dans le droit commun.

Madame Untermaier, rares sont les domaines législatifs dans lesquels les bilans sont aussi nombreux. Je pense aux travaux de Yaël Braun-Pivet, Raphaël Gauvain et Éric Ciotti, dont nous prenons connaissance régulièrement, de sorte que nous savons comment les choses évoluent. Je pense également aux rapports que le Gouvernement a l’obligation de produire. Il n’empêche, vous avez raison, que nous devrons dresser un bilan préalablement à la discussion de fond que j’évoquais à l’instant.

En ce qui concerne la cellule interministérielle d’aide aux victimes, je rappellerai que, grâce aux très substantielles améliorations apportées par la loi du 23 mars 2019, la situation des victimes d’attentats terroristes est très différente de ce qu’elle était, hélas, auparavant.

Monsieur Molac, je vous remercie pour votre soutien, que vous avez su exprimer avec concision.

Enfin, madame Obono, les questions que vous soulevez ne sont pas de mauvaises questions. Mais nous divergeons sur les réponses que, les uns et les autres, nous souhaitons y apporter. Nous sommes, nous aussi, très sensibles au respect des droits et libertés, mais nous estimons que la première des libertés est peut-être la sécurité, que nous devons avoir les moyens de garantir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, monsieur le rapporteur. Raphaël Gauvain, Éric Ciotti et moi-même rendrons compte de nos travaux à la commission dans un rapport définitif qui sera prêt d’ici à la fin de l’année – nous devons encore affiner nos propositions.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er (art. L. 22-10-1 [abrogé], L. 226-1, L. 227-1, L. 228-6, L. 229-5 du code de la sécurité intérieure et art. 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme [abrogé]) : Pérennisation et modification des dispositions issues des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL3 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous récusons la nécessité d’introduire dans le droit commun un état d’urgence permanent. Alors que la loi SILT comporte une clause de caducité aux termes de laquelle les dispositions introduites dans le code de la sécurité intérieure doivent prendre fin en décembre 2020, la majorité souhaite prolonger leur délai d’application. Ce n’est pas ainsi, selon nous, qu’il faut lutter contre les actes de terrorisme. Nous pensons en effet, à l’instar d’organisations de défense des droits et libertés, de juristes et de magistrats, que cette loi remet en cause l’État de droit sans renforcer notre protection. L’avocat Raphaël Kempf qualifie ainsi la loi SILT de scélérate car elle multiplie les mesures de contrainte attentatoires aux libertés individuelles, au motif, comme l’a dit le rapporteur, qu’elles permettraient de préserver une liberté suprême : la sécurité. Nous ne souscrivons pas à cette logique. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 1er.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis évidemment absolument opposé à cet amendement. Nous avons besoin de maintenir – fût-ce de manière transitoire, comme cela nous est proposé – un cadre juridique qui nous permette d’intervenir. Il ne fait aucun doute que nous devons également poursuivre nos discussions sur les libertés individuelles. J’ai montré tout à l’heure, en rappelant quelques chiffres, que nos institutions fonctionnaient en définitive très bien dans le contexte actuel, comme en témoignent notamment les interventions judiciaires dans le cadre de mesures de police administrative. Avis absolument défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL24 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit de rétablir le texte adopté en première lecture par notre assemblée et de fixer la date butoir de la prorogation des dispositions de la loi SILT au 31 juillet 2021, en attendant le projet de loi qui nous permettra, avant cette date, d’avoir une discussion de fond sur ces mesures.

M. Éric Ciotti. J’avais déposé un amendement visant à proroger de deux ans l’application des dispositions de la loi SILT, mais il a été jugé irrecevable au titre de la règle de l’entonnoir.

Au-delà, cette loi, je tenais à le dire, a montré ses limites ; j’aurai l’occasion d’y revenir dans le rapport mentionné par notre présidente – même si je ne suis pas certain qu’elle et moi soyons totalement d’accord sur les conclusions. Au demeurant, je ne l’avais pas votée. C’est en effet le seul des quinze textes relatifs à la sécurité adoptés depuis 2012 qui dégrade la situation en matière de sécurité et nos outils de lutte contre le terrorisme. Les chiffres, me semble-t-il, en témoignent. Compte tenu de la menace terroriste actuelle, la seule solution efficace consiste à revenir à la loi de 1955 et à prononcer l’état d’urgence, qui offre des outils beaucoup plus pertinents et efficaces.

Je vous renvoie, si vous n’êtes pas convaincu par mon argumentation, à ce qu’écrivait, il y a quelques jours, dans Le Figaro, Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel : « En sortant de l’état d’urgence, nous avons perdu des moyens d’action alors que le péril demeure au même niveau ». Qu’il s’agisse des perquisitions administratives – 190 contre 4 600 – ou des assignations à résidence, dont le nombre a été divisé par deux, nous avons réduit nos moyens d’action. Certes, mieux vaut la loi SILT que rien du tout mais, nous l’avons toujours dit, cette loi a dégradé nos outils de lutte contre le terrorisme. Dans un contexte de menace extrême, cela est particulièrement regrettable.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements CL19 et CL15 de M. Éric Pauget tombent.

Article 2 (art. 25 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement) : Prolongation d’un an de la technique de renseignement dite de l’« algorithme »

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL4 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons l’abolition de la loi « renseignement » de 2015 afin de prémunir nos concitoyens et concitoyennes contre les atteintes illégitimes et disproportionnées à leur vie privée et la surveillance généralisée qu’elle permet.

Les dispositifs légalisés par la loi « renseignement » prétendent nous protéger du terrorisme, mais nous craignons qu’ils ne soient utilisés surtout à des fins d’espionnage économique et politique. Au lieu de remettre en cause la politique menée aux États-Unis, la France a choisi d’emprunter le même chemin sans en avoir les moyens financiers ni technologiques. On peut, en outre, s’interroger sur l’efficacité de tels dispositifs liberticides. Selon Next INpact, une dizaine de personnes seulement ont été surveillées individuellement entre 2017 et fin décembre 2018, après le déploiement des traitements qui seraient prolongés par le présent article. Qui plus est, selon un article du Monde du 7 juillet dernier, le ministère de l’intérieur et la Direction générale de la sécurité intérieure souhaitent « que l’algorithme puisse aussi s’attaquer aux adresses dites URL, connues sous le nom d’adresses web. [...]. En guise d’explication, le Gouvernement assure que, à ce jour, cet outil chargé de détecter la menace terroriste de basse intensité n’a permis de déboucher sur aucun dossier opérationnel. » Nous contestons le raisonnement du Gouvernement selon lequel, semble-t-il, si les informations collectées par l’outil actuel n’ont pas permis d’aboutir à un « dossier opérationnel », c’est parce qu’il n’est pas assez intrusif.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes arguments que ceux que j’ai développés contre l’amendement de suppression de l’article 1er.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure) : Application outre-mer

La Commission adopte l’amendement de coordination CL2 du rapporteur.

En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

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*     *

(La séance, suspendue à dix heures trente, est reprise à dix heures trente-cinq.)

La Commission examine la proposition de loi relative à la sécurité globale (n° 3452) (M. Jean-Michel Fauvergue et Mme Alice Thourot, rapporteurs).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Lundi, le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, était présent parmi nous pour exprimer la position du Gouvernement sur ce texte. Il nous rejoindra ultérieurement pour participer à l’examen des articles.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Cela fait désormais près de trois ans qu’Alice Thourot et moi travaillons sur le sujet du continuum de sécurité ou, comme nous préférons l’appeler, de la sécurité globale. Si cette expression peut surprendre, elle a l’avantage d’être la seule à embrasser l’ensemble des 430 000 membres des forces de sécurité intérieure, des polices municipales et des entreprises privées de sécurité, qui concourent, à des degrés et par des chemins différents, à garantir la protection des personnes et des biens dans notre pays.

La mission qui nous a été confiée sur ce thème en mars 2018 par le Premier ministre a permis de prendre la mesure des changements survenus dans le paysage sécuritaire français depuis trois décennies. Le rapport qui a conclu ces travaux formule plus de quatre‑vingts propositions pour repenser son architecture et son fonctionnement, pour bâtir cette coproduction de sécurité dont nous avons grandement besoin. À la suite de sa publication, nous avons décliné ces réflexions dans le droit en rédigeant une première version de notre proposition de loi, déposée au début de l’année. Nous avons ensuite continué de la travailler et de l’enrichir : nous avons retiré certains éléments qui relevaient de la compétence du pouvoir réglementaire et avons abordé de nouvelles thématiques dont la nécessité est devenue évidente au fil des mois. La version que nous vous présentons aujourd’hui conclut de longs mois de déplacements et de consultations. La discussion parlementaire qui s’engage sera un moment d’enrichissement, de nombreux amendements restant à discuter. Nous vous remercions tous d’avoir fait l’effort d’investir le sujet.

Vingt ans après la loi du 15 avril 1999 relative aux polices municipales, le titre Ier de cette proposition de loi actualise et modernise le droit applicable en la matière. Le 25 juillet dernier, dans son discours à Nice, le Premier ministre a insisté sur le renforcement de l’action de proximité. Il a annoncé une expérimentation sur l’extension des compétences de la police municipale, demandant au législateur d’en fixer le cadre afin d’offrir aux maires un outil souple, opérationnel et respectueux des compétences de chacun. L’article 1er met en œuvre de cette ambition.

Le titre Ier comporte également plusieurs des recommandations du rapport que j’évoquais à l’instant. Sur plusieurs aspects, il ne s’agit pas d’un grand soir de la police municipale, mais plutôt d’améliorations concrètes et pratiques visant à sécuriser l’action des agents. C’est le cas, par exemple, de l’article 3 portant sur les ivresses publiques et manifestes, de l’article 2 visant à encadrer des manifestations municipales ou encore, à l’article 5, de la suppression d’un seuil afin de favoriser le développement des polices municipales au niveau des bassins de vie.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Le titre II traite de la sécurité privée, sujet majeur de notre rapport, qui devient, en cohérence, un titre important de notre proposition de loi. Nos propositions en la matière peuvent se résumer à trois objectifs : structurer la filière ; protéger les agents ; les associer à la coproduction de sécurité dans le respect des prérogatives des forces de l’ordre.

Alors que les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 nécessiteront de recruter massivement dans ce secteur un personnel qualifié et à la probité irréprochable, l’effort de structuration de la filière apparaît essentiel. Il ne pourra être mené qu’en durcissant les conditions de moralité exigées, qui doivent pouvoir être mieux contrôlées et mieux sanctionnées. Ainsi proposerons-nous, pour la première fois, d’encadrer strictement le recours à la sous‑traitance en cascade, véritable plaie pour ce secteur régulièrement dénoncée depuis de nombreuses années. Nous vous suggérerons également de mieux encadrer certains sous-secteurs qui échappent à la régulation dans des circonstances peu satisfaisantes. Nous faciliterons enfin la reprise d’activité des retraités de la police nationale dans le secteur de la sécurité privée afin de favoriser le transfert de compétences et de permettre à la filière, qui manque aujourd’hui d’encadrement intermédiaire, de profiter de l’expérience de ces fonctionnaires à la retraite selon les mêmes règles que pour les militaires de la gendarmerie nationale.

Notre second objectif est de mieux protéger et reconnaître les 170 000 agents qui exercent ces métiers, souvent dans des conditions difficiles. Demain, les violences, menaces et actes d’intimidation qu’ils subissent feront l’objet de sanctions aggravées qui traduisent dans le droit notre détermination à assurer leur protection. Guidés par l’objectif constant d’équilibrer notre texte, nous avons voulu y inscrire une disposition miroir qui punit davantage ces personnels lorsqu’ils commettent des violences dans le cadre de leurs fonctions.

Notre dernier objectif est d’associer davantage les acteurs de la sécurité privée à la sécurité globale. Nous leur permettrons de lutter, à titre exceptionnel, contre les actes de terrorisme touchant les biens dont ils ont la garde, comme ils peuvent déjà le faire en cas de vol et d’effraction. Nous faciliterons également leur participation aux opérations de palpations de sûreté, en maintenant des garanties très strictes qui permettent ces évolutions dans le respect de notre État de droit.

Le titre III comporte plusieurs dispositions relatives à la captation d’images et à la vidéoprotection. Certaines sont très attendues. Je pense notamment à l’article 21 qui modifie le cadre juridique applicable aux caméras mobiles pour les policiers nationaux et les gendarmes afin de prévoir une nouvelle finalité justifiant l’enregistrement – l’information du public sur les circonstances de l’intervention –, une possibilité de transmission en temps réel des images et un accès direct au film par les personnes ayant procédé à l’enregistrement. Ces avancées sont importantes pour les agents de terrain. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement pour les étendre aux agents de police municipale.

Je pense également à l’article 22 qui crée un cadre juridique dédié, réglementant le recours aux caméras aéroportées par les autorités publiques. Au cours de l’état d’urgence sanitaire et dans les circonstances induites par l’épidémie de covid-19, leur usage par les services de l’État a soulevé, de manière inédite, la question des règles applicables. Nous vous proposons donc pour la première fois un cadre d’utilisation des drones.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Le titre IV comporte des dispositions qui concernent les forces de police et de gendarmerie nationales : il s’agit de protéger ceux qui nous protègent. Comme la discussion le montrera, les bonnes idées ne doivent pas être cantonnées. Nous vous proposerons que certaines initiatives couvrent également d’autres professionnels et d’autres agents.

Je pense particulièrement à l’article 23 portant sur les crédits de réduction de peine. Vous le savez, un individu condamné à une peine d’emprisonnement peut bénéficier de remises automatiques, sans considération de son comportement, du seul fait du temps qui passe. Le Parlement a déjà banni ce principe en 2016 pour les auteurs d’actes de terrorisme. Nous vous proposons de faire de même pour les agresseurs de policiers et de gendarmes. Nous verrons, par amendement, s’il est opportun de faire évoluer ce périmètre.

L’article 24 est très attendu par les forces de sécurité. Il interdit leur exposition sur les réseaux sociaux, où des individus mal intentionnés diffusent leur visage, d’autres fournissent leur adresse, en espérant que d’autres encore leur rendent la vie impossible – voire pire. Un policier, un gendarme, fait son travail au nom de l’État et sous le regard de la justice. Il n’a pas à subir, dans sa vie privée et dans sa sphère familiale, les représailles des voyous et des truands. Pas d’inquiétude : les journalistes pourront toujours faire leur travail. Nous ne voulons sanctionner que les intentions malveillantes. Pas d’inquiétude encore : les actes répréhensibles pourront toujours être punis comme ils doivent l’être, c’est-à-dire devant les tribunaux, puisque les voies de droit resteront ouvertes aux plaignants.

Je voudrais maintenant vous parler de la possibilité pour les policiers nationaux et les militaires de la gendarmerie de conserver leur arme lorsqu’ils accèdent à un établissement recevant du public. Cela peut paraître anecdotique à certains, baroque à d’autres. Nous pensons, quant à nous, que cela peut sauver des vies. Ce dispositif sera encadré, mais il est de nature à mieux sécuriser certains événements.

Je conclurai mon propos en évoquant la dernière disposition de la proposition de loi, qui régule le commerce des mortiers d’artifices. Alors que les premiers consommateurs de ces produits devraient être les communes le soir du 14 juillet, nous savons tous qu’en réalité, les acheteurs sont majoritairement les voyous, de plus en plus nombreux, qui se servent de ces engins pyrotechniques comme armes de substitution contre les policiers et les gendarmes, contre les commissariats et les casernes. C’est un véritable problème et c’est un commerce que nous devons réglementer. Nous devons empêcher l’achat de ces produits par ceux qui n’en feront manifestement pas un usage festif normal. Nous devons aussi et surtout responsabiliser les professionnels qui manquent à leurs obligations en mettant ces objets dans les mains de ceux qui en feront usage malveillant.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Enfin, dans le titre V relatif à la sécurité dans les transports et sécurité routière, nous vous proposerons deux dispositions très ponctuelles : l’une pour permettre la sécurisation des gares routières et des commerces des gares ferroviaires par les personnels spécialisés de la SNCF, l’autre pour simplifier la procédure des contrôles d’alcoolémie. Ce sont des sujets plus techniques, mais néanmoins attendus sur le terrain.

Voici, mes chers collègues, en quelques mots, le résultat et la philosophie de nos travaux. Nous sommes, Jean-Michel Fauvergue et moi-même, fiers du travail accompli, d’autant plus fiers de voir ce texte venir à l’ordre du jour car c’est une initiative parlementaire. Avoir, sur ces points, le soutien du Gouvernement signifie que les questions sont réelles. Nous comptons sur vous pour y répondre en responsabilité. Nous vous remercions de contribuer à cette œuvre commune.

Mme Anissa Khedher, rapporteure pour avis de la commission de la Défense nationale et des forces armées. C’est un honneur pour moi de représenter ce matin la commission de la Défense nationale et des forces armées, saisie pour avis des articles 22 et 26 de la proposition de loi. En son nom, j’aimerais remercier nos collègues rapporteurs pour la qualité et la profondeur des travaux qu’ils mènent depuis des mois sur le continuum de sécurité.

Ces dernières semaines, notre pays a été meurtri par des attaques terroristes. Ensemble, unis, nous avons réaffirmé notre volonté de faire bloc, de ne pas céder à ceux qui s’attaquent à notre société, à notre République et à ses valeurs.

Hier, en commission de la Défense, nous avons adopté les articles 22 et 26 de votre proposition de loi, considérant qu’ils apportent, en particulier en ce qui concerne le régime juridique de l’utilisation des caméras aéroportées, des avancées concrètes pour nos militaires engagés sur le territoire national contre le terrorisme. Nous avons également adopté un amendement à l’article 26, que je vous soumettrai au cours de la discussion. Enfin, nous avons souligné notre souhait d’élargir la protection fonctionnelle des agents des forces de sécurité intérieure aux cas d’attaques involontaires. Ce point tient beaucoup à cœur aux membres de la commission de la Défense, en particulier à sa présidente, Mme Françoise Dumas. L’article 40 de la Constitution nous empêchant de créer une nouvelle charge, nous n’avons pas déposé d’amendement en ce sens. Mais j’espère trouver le soutien des membres de la commission des Lois pour porter, à nos côtés, ce message au Gouvernement.

M. Éric Poulliat. Comme le soulignaient dans leur rapport de septembre 2018 nos collègues Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, aujourd’hui rapporteurs de cette proposition de loi, l’articulation et les conditions de la collaboration des acteurs de la sécurité contribuent à la qualité de coproduction de sécurité dans le cadre d’une sécurité globale. Ce sont près de 448 000 femmes et hommes qui assurent notre sécurité au quotidien. Parmi ceux-ci, nos 250 000 personnels des forces de sécurité sont, chaque jour, mobilisés pour protéger nos concitoyens, lutter contre la délinquance et la menace terroriste. Ils agissent de plus en plus en proximité, en particulier dans le cadre de la police de sécurité au quotidien et des quartiers de reconquête républicaine mis en œuvre en 2018.

Trente ans après le début de leur montée en puissance, nos polices municipales comptent près de 23 000 agents. Reconnues pour leur professionnalisme et appréciées de nos concitoyens, elles ont plus que jamais montré leur importance il y a quelques jours lors de l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice. C’est la raison pour laquelle il convient de resserrer leur coopération avec les forces de sécurité et de l’État.

Le secteur de la sécurité privée mobilise, lui, près de 175 000 agents répartis en 2018 dans 3 700 entreprises, des sociétés dont les prestations sont hétérogènes. Ce secteur doit, de fait, être accompagné dans une plus grande structuration et un réhaussement de ses exigences. L’enjeu est majeur. Aujourd’hui en difficulté du fait de la crise du covid-19, la filière sera particulièrement mobilisée pour la Coupe du monde de rugby de 2023 et les JO de 2024.

Particulièrement attendue par les forces de l’ordre, cette proposition de loi comprend de nombreuses mesures bien perçues par l’ensemble des acteurs car, effectivement, nos forces de sécurité attendent que l’on renforce leurs possibilités de coopérer entre elles, en réaffirmant les compétences de chacun, en structurant les secteurs qui doivent l’être et en intégrant l’enjeu des nouvelles technologies.

La proposition de loi se fixe trois grands objectifs. Le premier est d’accompagner la montée en compétence et la structuration de nos services de sécurité. Les polices municipales verront leurs compétences renforcées, en complément des forces de sécurité de l’État, pour constater – entre autres – la conduite de véhicule sans permis ou l’usage de stupéfiants. Cette proposition de loi sera également l’occasion d’acter la création d’une police municipale à Paris. Le secteur de la sécurité privée sera, pour sa part, réorganisé autour d’exigences renforcées, notamment en matière de formation des agents et de contrôle par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS).

Le deuxième objectif consiste à soutenir nos forces de l’ordre. Leurs agents sont aujourd’hui des cibles – a fortiori avec la menace terroriste que nous connaissons – comme nous l’ont tristement montré l’assassinat d’une policière municipale à Montrouge et le double meurtre de policiers à Magnanville. Ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre ne les distinguent pas en fonction de leur corps d’origine ou du fait qu’ils soient ou non en service ; ils passent à l’acte. Conformément à l’engagement du Président de la République devant les forces de sécurité, il nous faut prévoir des peines plus fermes pour ceux qui s’en prennent à eux, tout en durcissant les sanctions contre les agents qui commettraient des infractions. Nous devons également sanctionner l’utilisation malveillante d’images des forces de l’ordre pour les menacer personnellement et, en même temps, garantir la possibilité pour les citoyens de communiquer aux autorités administrative et judiciaire d’éventuelles preuves d’abus. Enfin, il faut protéger nos forces de sécurité des nouvelles armes, mortiers et engins pyrotechniques, utilisées contre elles, comme ce fut le cas à Champigny-sur-Marne le 10 octobre dernier.

Le dernier objectif est de répondre aux enjeux opérationnels en adaptant le cadre juridique à l’utilisation des nouveaux outils technologiques et de la captation d’images dans le respect des libertés publiques. Cette nécessité fait suite aux demandes de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et du Conseil d’État. Enfin, il faut autoriser nos policiers et nos gendarmes à conserver leurs armes hors service lorsqu’ils accèdent à un établissement recevant du public. Nous ne serons jamais à l’abri d’un nouveau Bataclan et nous devons tout faire pour l’empêcher.

Cette proposition de loi, vous l’avez compris, vise à mieux protéger les Français, ceux qui nous protègent dans un contexte où la menace terroriste est vivace et où la réaffirmation de l’autorité de la République est plus que jamais nécessaire. Attendue par les acteurs de terrain, elle améliorera la coordination entre les forces de sécurité, qu’elles soient issues de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des polices municipales ou de la sécurité privée. C’est une étape supplémentaire d’amélioration de la protection des Français tout en respectant les libertés publiques. L’objectif est clair : créer ce continuum de sécurité et lutter contre la rupture de sécurité. Députés de la majorité, membres du groupe La République en marche, nous souscrivons à cet objectif et nous soutenons cette proposition de loi qui réaffirme la place de l’État et donne un cadre juridique respectueux des libertés publiques à de nouvelles pratiques correspondant aux besoins opérationnels de nos forces de sécurité.

M. Éric Diard. Chers collègues rapporteurs, vous avez rendu au Gouvernement, en septembre 2018, un rapport sur la sécurité globale. Nous voici réunis pour apporter, grâce à cette proposition de loi, un aboutissement aux conclusions de ce rapport de qualité, qui nous invite à mieux penser l’organisation de nos forces de sécurité et à les faire coopérer, à tous les échelons, de manière à fluidifier leur action et à améliorer leur efficacité.

La proposition de loi apporte des avancées dans le domaine de la sécurité. Ainsi les dispositions relatives aux polices municipales leur accordent-elles des compétences nouvelles, comme celle de dresser des procès‑verbaux pour un ensemble de nouveaux délits. Elles offrent aux communes la possibilité de mutualiser leurs effectifs de police municipale pour effectuer des missions qu’elles ont préalablement discutées par voie de convention. Toutefois, ce texte ne traite pas de sujets pourtant majeurs. Nous y reviendrons, mais je souligne l’armement des policiers municipaux, qu’il faudrait rendre obligatoire pour les agglomérations les plus peuplées, tandis qu’il faudrait, pour les communes moins denses, laisser au représentant de l’État le soin d’apprécier la pertinence d’imposer cet armement. Je rappelle que l’auteur du terrible attentat qui a frappé Nice, le 29 octobre dernier, a été stoppé dans son parcours par des agents de la police municipale au professionnalisme et au courage desquels je tiens à rendre un hommage appuyé.

A contrario, ce texte nous semble étendre excessivement les compétences des sociétés privées de sécurité. Si elles jouent effectivement un rôle dans la sécurité des Français, nous devons établir une nette distinction entre nos forces de l’ordre, qui sont composées d’agents publics, et les opérateurs privés qui n’ont ni passé un concours ni signé un contrat avec la collectivité. La sécurité est sans doute l’une des compétences régaliennes les plus importantes en cette période. Il faut veiller à ne pas la privatiser.

Dans une proposition de loi intitulée « sécurité globale », il aurait également fallu apporter des réponses plus fortes à la menace terroriste qui pèse toujours sur notre pays, comme nous le rappellent tragiquement les deux dernières semaines. Je pense notamment à l’extension du champ des enquêtes administratives menées par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) et à une expérimentation sur la reconnaissance faciale en matière de vidéoprotection. Nous regrettons que les amendements présentés à ce sujet par notre groupe aient été déclarés irrecevables au titre des articles 40 et 45 de la Constitution. Ces propositions portaient un dispositif essentiel en matière de sécurité globale puisqu’elles permettaient, entre autres, l’identification des personnes recherchées grâce au réseau de caméras dans les transports publics.

Le groupe Les Républicains considère enfin nécessaire de conférer une meilleure reconnaissance à nos policiers municipaux. Cette reconnaissance passe par deux mesures : faire des directeurs de police municipale des officiers de police judiciaire et étendre l’article 23 de la proposition de loi aux policiers municipaux. En effet, lorsqu’on s’attaque à un policier, qu’il soit national ou municipal, c’est à la République que l’on s’attaque et la réponse doit être d’une égale fermeté. Le groupe Les Républicains reconnaît les avancées de votre proposition de loi. Mais nous vous invitons à adopter nos amendements afin d’en faire une véritable loi relative à la sécurité globale.

Mme Laurence Vichnievsky. Je remercie les rapporteurs pour leur important travail qui a nourri cette proposition de loi. La sécurité est l’une des priorités du Gouvernement et l’une des préoccupations majeures des Français – nous les comprenons ! – confrontés aux règlements de comptes entre bandes, aux attaques de commissariats, aux caillassages de policiers ou de pompiers, aux lynchages de conducteurs d’autobus, aux agressions d’enseignants par les élèves et les parents d’élèves et, que dire car nous changeons d’échelle, aux récents attentats de Conflans‑Sainte‑Honorine et de Nice. Nous avons la nécessité et l’obligation de mieux mobiliser nos forces de sécurité.

J’ai une préférence pour les forces régaliennes. Vous le comprendrez aisément et cela me semble une bonne idée de prévoir une expérimentation pour étendre les compétences des polices municipales. Il est toutefois certain que nous devons mobiliser l’ensemble des forces disponibles et ne pas nous priver de l’apport, nécessairement plus modeste en cette matière, des agents de sécurité. Les principales dispositions de votre texte visent à mieux les structurer et les contrôler. C’est, à mon sens, une bonne idée avant d’imaginer étendre leur compétence, ce que vous envisagez de façon très modérée.

Nous devons également protéger nos forces de sécurité tout en respectant nos libertés fondamentales. C’est toujours une équation difficile à résoudre. Vous vous employez à le faire.

Le groupe MoDem et démocrates apparentés s’associe pleinement à la démarche qui est la vôtre. Toutefois, il déposera plusieurs amendements qui, à notre sens, améliorent ce texte. Je passe rapidement sur les amendements à l’article 1er relatifs à une communication améliorée au conseil municipal et à de meilleurs critères pour la procédure d’évaluation de cette expérimentation lorsqu’il s’agira d’en dresser le bilan.

Nous prévoyons l’introduction d’une clause de revoyure à bref délai s’agissant de la transmission directe des procédures de la police municipale au parquet sans filtre des officiers de police judiciaire. À mon sens, cette innovation se heurte à trois obstacles. Premièrement, elle court‑circuite les officiers de police judiciaire territorialement compétents, qui perdent de fait leurs prérogatives de supervision et de contrôle ; or, c’est le rôle de directeur départemental de la sécurité publique de connaître l’ensemble des infractions commises sur son territoire et il est le seul à avoir cette vision globale. Deuxièmement, cette disposition entre en contradiction avec l’article 21-2 du code de procédure pénale, toujours en vigueur et qui prévoit que les agents de police municipale rendent compte immédiatement aux officiers de police judiciaire des infractions dont ils ont connaissance. Troisièmement, les magistrats du parquet, surchargés, ne pourront pas faire face à tant d’interlocuteurs puisqu’il y a beaucoup de polices municipales, et ils renverront bien souvent ces procès-verbaux pour enquête.

Nous proposons également des améliorations en matière de vidéoprotection. Il s’agit pour nous de sécuriser le stockage et le traitement des données captées par des caméras individuelles, en termes tant de confidentialité que d’intégrité.

Nous souhaitons, sur l’article 24, limiter l’interdiction de diffusion de vidéos permettant d’identifier les policiers ou des gendarmes agissant dans le cadre d’une opération aux seuls cas où ces diffusions auraient pour but de porter à l’intégrité physique des intéressés. Prévoir les atteintes à l’intégrité psychique nous paraît disproportionné par rapport à la liberté d’expression, à la libre circulation de l’information et au contrôle des citoyens par l’emploi des forces de l’ordre.

Quant à l’article 25, cette disposition fait débat, y compris au sein de mon groupe. Je fais partie de ceux qui ne sont pas favorables à ce qu’un policier ou un gendarme hors service puisse s’imposer dans un établissement recevant du public en conservant son arme de service. Nous craignons une banalisation du port d’arme, au profit aujourd’hui de la police nationale, demain des policiers municipaux et des agents privés de sécurité, et après-demain de tout titulaire d’un port d’arme. L’actuelle législation nous paraît équilibrée.

Pour conclure, notre groupe est unanimement opposé à l’amendement du Gouvernement prévoyant de l’habiliter à modifier par voie d’ordonnance le régime juridique de la vidéoprotection. C’est au Parlement qu’il revient de légiférer dans un domaine aussi sensible, qui touche de si près aux libertés individuelles. Il s’agit pour l’Assemblée nationale d’exercer les prérogatives qui sont les siennes. Je crains que ce ne soit une condition du vote final de mon groupe.

Mme Marietta Karamanli. Je remercie les rapporteurs, avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler lors de différentes missions sur ce sujet des forces de police. Je voulais tout d’abord indiquer, au nom du groupe Socialistes et apparentés, que nous ne pouvons que regretter qu’une telle proposition de loi n’ait fait l’objet d’aucun avis préparatoire du Conseil d’État, du Défenseur des droits ou encore de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Sur le fond, la première partie vise à revoir le statut des policiers municipaux, dont les limites sont mises en lumière par un rapport de la Cour des comptes publié hier. L’article 1er lance une expérimentation dans certaines grandes villes pour que les policiers municipaux disposent des pouvoirs étendus sur l’immobilisation de véhicule et la saisie d’objets, et pour qu’ils puissent faire des constats avec relevé d’identité en cas de délits tels que l’usage de stupéfiants, la conduite sans permis, les tags ou l’introduction dans un bâtiment communal.

L’encadrement légal des drones, rendu nécessaire par une ordonnance du juge des référés du Conseil d’État, est prévu par l’article 22. Ils pourront être utilisés pour constater des infractions, surveiller les littoraux et les frontières, ou réguler des flux de transport. Mais ils ne doivent pas remplacer l’humain.

Il est créé, à l’article 24, un nouveau délit de presse visant à punir d’un an de prison la diffusion « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, [de] l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme « lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». L’objectif est le floutage intégral des vidéos d’interventions policières, la simple diffusion du matricule d’un policier devenant un délit. Je me bornerai à rappeler que la liberté d’expression va de pair avec la liberté d’informer dans le respect des personnes.

À partir de ces deux éléments, les dispositions prévues dans cette proposition de loi sont à mettre en relation avec la stratégie en matière de maintien de l’ordre de l’Allemagne, ce pays loué par de nombreux observateurs pour sa rigueur et son souci de l’ordre. La stratégie allemande intègre la protection des manifestants, le dialogue et la désescalade de la violence. Ce n’est pas le cas en France et ce n’est pas en cassant les instruments de la transparence que l’on brisera la violence des manifestants et la méfiance d’une partie d’entre eux.

S’agissant de l’article 21, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a autorisé policiers et gendarmes à filmer leurs interventions au moyen de caméras mobiles. Mais l’agent porteur de la caméra ne peut accéder aux images, celles-ci ne pouvant être exploitées qu’a posteriori, en conformité avec l’avis de la CNIL. Cet article modifie l’utilisation des caméras piétons ; les images transmises permettront l’analyse automatisée et en temps réel des images et, donc, des participants. Pour l’ordre public, les communications orales peuvent suffire. On peut se poser également la question de savoir si l’identification faciale ne servira pas à des mesures de garde à vue préventive.

S’agissant de l’article 24, il existe un principe de fond : celui de la transparence de la responsabilité de l’agent public. Sans ce principe, les affaires comme celle de Geneviève Legay ou d’Alexandre Benalla n’auraient été ni documentées ni connues. Cet article 24 va dans le sens d’un oubli d’affaires où la violence a frappé sans distinction des circonstances, au motif d’un intérêt supérieur.

L’extension des compétences détenues par les policiers municipaux ne s’accompagne d’aucune mesure liée à leur formation et à leur évolution de carrière. Comme certains élus et professionnels le font remarquer, cela risque de conduire à ce que des personnes sans doute moins formées et certainement moins rémunérées fassent le travail d’autres mieux formées et mieux rémunérées. La comparaison des grilles de traitement entre policiers municipaux et nationaux met en évidence ces différences et ces difficultés. De plus, on justifiera ainsi l’absence ou l’insuffisance de créations de postes dans la police d’État et cela permettra de transférer des missions vers les collectivités territoriales sans les ressources correspondantes. Ce sujet suscite une réelle inquiétude des élus locaux. Au-delà de leur souhait de protéger au mieux leurs concitoyens, ils se demandent si l’État sera en mesure de leur octroyer les crédits nécessaires. Ce texte porte donc atteinte à l’autonomie des collectivités territoriales.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés a déposé un certain nombre d’amendements. Notre position finale dépendra de la discussion que nous aurons avec les rapporteurs à leur sujet.

M. Dimitri Houbron. Je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs pour améliorer, en lien avec le ministère de l’intérieur, la sécurité de nos concitoyens. La première mission de l’État est bien de les protéger et d’assurer la sécurité de notre pays, parce qu’il n’y a pas de liberté, pas d’égalité si la sécurité de nos concitoyens n’est pas assurée. Nous vivons dans un monde plein d’incertitudes, dans lequel la nature de la menace a profondément changé et où ce qui fait le quotidien de nos forces de l’ordre a profondément évolué. Outre le risque terroriste qui s’est encore manifesté voilà à peine quelques jours, la violence est de plus en plus présente, aggravée par la crise sanitaire. Alors que les missions de nos forces de sécurité se compliquent, que les menaces s’accentuent, nous devons adapter nos organisations et notre législation pour assurer la sécurité de nos concitoyens.

La proposition de loi répond à ces enjeux. Tout d’abord, elle donne de vraies compétences complémentaires aux polices municipales au service d’une ambition de sécurité globale, si nécessaire aujourd’hui. Il est évident que les policiers municipaux ne sont pas là pour remplacer la police nationale, mais bien pour la soutenir et l’accompagner dans un objectif commun. La proposition de loi s’attache ensuite à encadrer la sécurité privée, richesse indispensable mais dont les règles méritent d’être clarifiées. Elle vise également à fixer un régime légal clair de l’usage d’outils technologiques tels que les drones. Elle ambitionne enfin de mieux protéger ceux qui nous protègent.

Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à ceux qui incarnent la République au quotidien, qui, chaque jour, par leur engagement héroïque, reflètent nos valeurs, des valeurs qui garantissent à chacun, quels que soient sa condition, son rang ou son quartier, le droit de vivre en sécurité et de bénéficier de la protection de l’État. Merci à eux ! Pour toutes ces raisons, le groupe Agir ensemble soutiendra avec force cette proposition de loi. L’heure grave nous pousse à l’humilité, et surtout à la responsabilité.

M. Paul Molac. Cette loi comporte trois parties. La première s’intéresse aux polices municipales. Il nous semble effectivement nécessaire de mettre en adéquation le pilotage de la politique de sécurité, donc les actions menées sur les territoires. L’expérimentation que vous proposez sur trois ans nous semble bien encadrée et l’élargissement des domaines d’action de la police municipale bienvenu lorsque celui-ci vient compléter les missions de la police nationale. À ce titre, la participation de la police municipale à la sécurisation des manifestations sportives, récréatives ou culturelles sans critère de seuil nous paraît une bonne chose. La question de l’armement ou des polices à l’échelon intercommunal est laissée aux maires ; cela nous semble avoir du sens puisque c’est à eux qu’il revient de coordonner les actions et d’évaluer les besoins dans leurs territoires.

La deuxième partie relative aux agences et entreprises privées de sécurité nous pose davantage de problèmes puisqu’une telle loi pourrait se solder par une confusion accrue entre les forces régaliennes et les entreprises qui ne répondent pas aux mêmes contraintes légales et qui ne suivent pas les mêmes formations initiale et continue. On peut craindre certaines dérives sur des aspects régaliens comme dresser des procès-verbaux ou recueillir l’identité et l’adresse des auteurs, qui nous semblent relever de la police nationale et de la gendarmerie. J’ai, par ailleurs, bien entendu les arguments de notre rapporteur sur la possibilité d’avoir recours à la sous-traitance, mais il reste malgré tout trois niveaux de sous‑traitance, ce qui paraît beaucoup et risque de favoriser une certaine opacité.

La dernière partie de cette loi concerne les forces de police. C’est sans doute celle qui pose le plus de problèmes dans la mesure où ses dispositions pourraient porter atteinte à la liberté d’informer. L’usage des caméras piétons présente le double objectif d’éviter des débordements de la part des citoyens, mais également des forces de l’ordre. Les images doivent donc être prises dans le respect de la vie privée des individus filmés et leur publicité doit être encadrée. Si l’utilisation d’images d’intervention des forces de l’ordre dans le seul but de nuire pose problème, je ne suis pas sûr que ce que vous proposez soit proportionné par rapport à la liberté d’informer. Voilà ce qui nous gêne. En ce moment, une vidéo circule dans laquelle on voit un policier qui gaze un journaliste. C’est un acte répréhensible. Cette vidéo est passée directement sur les réseaux sociaux. Cette immédiateté ne serait plus possible puisqu’il faudrait au préalable passer par un logiciel pour flouter tous les visages. Sur la vidéo dont je parlais, on ne reconnaissait pas les policiers et les gendarmes parce qu’ils portaient des masques, mais on voit bien qu’il y a là deux principes en contradiction. Cela nous semble disproportionné et, ce faisant, vous vous attaquez à la loi de 1881 qui est, tout de même, un totem.

S’agissant des drones, il faut strictement encadrer leur usage, en particulier sur la question de la proportionnalité, mais aussi sur le traitement des images recueillies afin qu’elles ne puissent être utilisées pour la reconnaissance faciale. Des pays le font, qui ne sont pas forcément des modèles de démocratie.

Quant à donner aux forces de l’ordre la possibilité de conserver leur arme de service dans les établissements recevant du public, j’appelle votre attention sur plusieurs dérives possibles. Si un fonctionnaire se rend dans une discothèque avec son arme de service, on peut risquer un vol ou une utilisation inadaptée. Par ailleurs, je me souviens qu’à une époque, dans la police nationale, il était interdit d’emmener son arme à la maison pour éviter les suicides et les problèmes conjugaux. Je ne suis donc pas sûr que cette mesure ne soit pas dangereuse pour les fonctionnaires eux-mêmes.

M. Christophe Naegelen. Permettez-moi, pour commencer, de féliciter nos collègues pour cette proposition de loi qui fait suite à leur rapport et à de nombreux autres travaux menés en commun. La nécessité de renforcer le rôle de nos policiers municipaux est évidente mais il convient surtout d’agir en collaboration avec la police et la gendarmerie nationales pour créer un véritable continuum de sécurité sur l’ensemble du territoire. Il est important, pour ce faire, d’étendre leurs compétences. Outre les avancées déjà contenues dans le texte, cet aspect fera l’objet d’amendements du groupe UDI visant à élargir la possibilité d’amendes pour certaines contraventions qui devraient relever de la compétence de la police nationale, mais aussi à améliorer le partage d’informations et de fichiers entre la police et la gendarmerie nationales, et les policiers municipaux.

Il s’agit également de faire preuve de bon sens : le contrôle d’identité devrait être possible pour des policiers municipaux. Il conviendrait aussi de leur délivrer une formation commune : dès lors que leurs compétences et leurs pouvoirs seront élargis, il serait normal qu’un policier municipal, partout dans notre territoire, soit formé de la même manière. Il avait été question, un temps, de créer une école de la police municipale. Cela figure peut-être de manière détournée dans ce texte, mais travailler sur ce sujet me semble important afin de créer un socle commun.

Concernant l’armement des policiers municipaux, la décision doit être encore laissée aux conseils municipaux, en discussion avec leurs agents et peut‑être en introduisant des exceptions dans certaines zones. Néanmoins, il ne faut absolument pas exclure les maires et les élus municipaux de ce processus de décision.

Accroître l’utilisation des nouvelles technologies, tels que les drones, paraît essentiel. Il faudra néanmoins être vigilant, non seulement sur l’usage du matériel, mais également sur la provenance de ce matériel. Nous sommes en pleine élection américaine : quand on voit le American Business Act qui fait que tout le matériel de défense américain doit être fabriqué aux États‑Unis, il y a sans doute matière à réflexion pour l’équipement de nos policiers et gendarmes – voire celui de nos militaires, même si je digresse. Nous devons également être attentifs à assurer leur formation pour guider ces drones : le tout n’est pas d’avoir du matériel, il faut également prévoir une formation pour l’utiliser de manière correcte.

J’ai quelques interrogations concernant les prérogatives des agents privés de sécurité dans cette proposition de loi. Nous aurons l’occasion d’en débattre. S’agissant de la palpation notamment, notre groupe considère qu’il serait cohérent de conserver une habilitation pour les agents de sociétés privées

Enfin, je vous ferai part d’une déception. Quand on parle de sécurité globale, il est bien d’englober tous nos policiers et gendarmes. Je regrette que certains amendements aient été déclarés irrecevables. Ce n’est pas du fait des rapporteurs, certes, mais je le dis parce qu’il serait bien que nous réussissions à les travailler ensemble afin de les déposer en séance publique. Je pense notamment au maintien du statut d’officier de police judiciaire pour les gendarmes à la retraite, dont nous avions eu l’occasion de discuter.

Notre groupe sera favorable à cette proposition de loi, dès lors que nous parviendrons dans la discussion à apporter ces quelques améliorations.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Juger de la recevabilité d’un amendement ne relève effectivement pas des rapporteurs. C’est moi qui ai estimé hier ces amendements irrecevables. Je précise que le titre de la proposition de loi ne détermine aucunement le champ de notre discussion.

Mme Danièle Obono. « Vas-y, écrase-les, tant pis ! » Ces mots ont été prononcés hier par un policier demandant expressément à son collègue, au volant d’un camion, de rouler sur des journalistes venus rendre compte de la mobilisation de lycéens et de professeurs contre le protocole sanitaire. Comme il est désormais coutume sous ce Gouvernement, les journalistes et les manifestants ont été gazés. Plusieurs faits de violences policières ont été rapportés. Malgré la violation des libertés d’information et de manifestation, certaines victimes ont au moins pu déposer plainte contre leurs agresseurs, identifiables grâce aux images rapportées par les médias. Si la proposition de loi que nous examinons avait été en vigueur, les auteurs de ces violences n’auraient pu être identifiés et les diffuseurs de ces images auraient été poursuivis en justice. Il en aurait été de même des nombreuses plaintes déposées auprès de l’inspection générale de la police nationale pour les violences survenues lors des manifestations des gilets jaunes, contre la réforme des retraites et pour l’égalité, mais aussi lors les frasques d’un célèbre garde du corps jupitérien, M. Alexandre Benalla, dont le visage avait été reconnu grâce à des films.

La proposition de loi s’ajoute à la triste et longue liste des coups portés par ce Gouvernement et cette majorité contre l’État de droit et les libertés fondamentales. Après la prolongation de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », ce texte vient draper l’autoritarisme macroniste d’un voile opaque pour masquer l’action du pouvoir et pour qu’il n’ait plus à rendre des comptes. Cette absence de transparence est généralisée puisque le pays est, selon le porte-parole du Gouvernement, dirigé par un conseil de défense, sorte de gouvernement composé de militaires qui décide sans rendre compte à personne. Or, lorsque le pouvoir n’a plus de responsabilité, la démocratie n’est plus. Nous voyons comment cette stratégie s’étend aujourd’hui avec cohérence à l’ensemble des champs. Incapables de répondre à l’urgence sanitaire, sociale et économique, le Gouvernement et sa majorité développent une escalade sécuritaire que nous regrettons.

Il ne saurait non plus exister de démocratie sans séparation des pouvoirs. Or, il est évident que cette proposition de loi est dictée par le Gouvernement qui s’est saisi de l’actualité mais également des travaux de nos collègues, pour mettre en œuvre et intégrer à ce texte les pires trouvailles liberticides, réfléchies puis reléguées un temps au fond d’un tiroir place Beauvau.

Le groupe La France insoumise considère que ce texte pose un certain nombre de problèmes. Ainsi, nous nous opposons au développement de la sécurité privée, qui est assumé et revendiqué, au détriment du service public. Nous nous opposons à la confusion entretenue et développée entre police nationale, sécurité privée et police municipale, ainsi qu’à l’extension de la délégation des prérogatives de la police judiciaire à cette dernière. Plutôt que de développer le recours à la sécurité privée en matière de paix publique, la priorité, selon nous, est de recruter et de mieux former des fonctionnaires.

Nous sommes contre l’usage des drones sans finalité précise, contre la reconnaissance faciale et la transmission en direct d’images de manifestants, contre l’extension du port d’armes pour les policiers et gendarmes, contre l’usage par les militaires de l’opération Sentinelle de leur arme – de guerre, rappelons-le – dans les mêmes conditions que des policiers, tout comme nous sommes contre l’ensemble des dispositions contenues dans ce texte.

Nous alertons sur la confusion désormais entretenue entre les nécessaires et importantes tâches de sécurité intérieure et le fait d’impliquer l’armée et les militaires, comme si la paix sociale devait se jouer sur le terrain d’une guerre contre sa propre population. De ce point de vue, il semble préférable d’instaurer un récépissé de contrôle d’identité pour éviter les situations de tension qui posent problème en termes de droit à la sécurité des populations, mais qui mettent également les fonctionnaires de police dans des situations difficiles. Cette solution, proposée par un certain nombre d’associations, a fait preuve de son efficacité pour apaiser les relations avec la population, mais aussi pour améliorer le travail d’enquête des forces de police.

Vous l’aurez compris, c’est à toute la doctrine de ce Gouvernement et aux priorités qu’il définit pour l’action des forces de sécurité que nous nous opposons. Nous vous proposerons une alternative globale, mais également des mesures précises.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pour le groupe GDR, nous n’avons malheureusement pas réussi à contacter M. Stéphane Peu par visioconférence.

Mme Emmanuelle Ménard. Je remercie les rapporteurs pour leur travail. Cette proposition de loi relative à la sécurité globale est nécessaire, indispensable, mais pour aller droit au but, j’axerai mon propos sur deux points particuliers.

Le premier concerne la police municipale puisque les attaques terroristes qui ont frappé notre territoire depuis quelques années et l’évolution de la délinquance de voie publique, qualifiée à tort de « petite délinquance », ont déjà obligé le législateur à élargir le périmètre de compétence de la police municipale. Notre pays doit optimiser les compétences et les moyens de cette force de police, d’autant que l’engagement de nombreuses communes à équiper leurs agents avec du matériel moderne, associé à leur connaissance du terrain, en fait une force moderne particulièrement bien formée à la lutte contre toutes les formes de délinquance. Force d’appoint aujourd’hui, la police municipale doit devenir une véritable force auxiliaire de la police et de la gendarmerie nationales. Votre proposition de loi est un progrès. À mon sens, elle ne va pas encore assez loin. J’aurai des suggestions à vous faire pour l’améliorer.

Lorsque je parle de police municipale, j’englobe – ce sera mon second point – les gardes champêtres qui jouent également un rôle important dans la sécurité de notre pays. Ils sont malheureusement trop souvent mis de côté. Je le regrette et je constate que c’est encore le cas aujourd’hui puisque tous les amendements que j’ai déposés les concernant ont été qualifiés de cavalier législatif.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pas tous !

Mme Emmanuelle Ménard. En tout cas, une partie d’entre eux ! Il faudra m’expliquer pourquoi, dans une proposition de loi sur la sécurité globale, il est possible de consacrer tout un chapitre à la sécurité privée sans évoquer les gardes champêtres. C’est regrettable parce ces fonctionnaires demeurent essentiels dans nos campagnes. Peu nombreux mais particulièrement utiles, ils représentent l’autorité publique au cœur de nos villages comme au sein des espaces ruraux, éloignés des grands centres urbains et des métropoles. On les retrouve également en ville où leur rôle en termes de police de l’environnement est très utile. Ils remplissent des missions qui couvrent plus de cent cinquante domaines de compétence. Souvent oubliés en qualité d’acteur de sécurité, ils jouent un rôle primordial dans le cadre de la sécurité de proximité. L’émergence de nouveaux enjeux, la protection de l’environnement et de la biodiversité ou même la délinquance rurale, a entraîné un bouleversement de leurs conditions de travail nécessitant un ajustement de leurs prérogatives. J’espère que nous aurons l’occasion d’en discuter, si ce n’est ici tout au moins en séance publique puisque, si mes amendements ont été déclarés irrecevables, je les déposerai à nouveau dans dix jours.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pour expliquer la façon dont j’ai procédé à l’examen de recevabilité des amendements, l’exemple des gardes champêtres me semble approprié. Le texte ne parle absolument pas d’eux. Lorsque j’ai pu trouver une accroche sur une compétence particulière visée par le texte, par exemple une compétence étendue à la police municipale que vous vouliez conférer aux gardes champêtres, j’ai considéré qu’il y avait un lien indirect. C’est la raison pour laquelle certains amendements relatifs aux gardes champêtres ont pu être raccrochés à la compétence que vous visiez. Mais lorsque ce lien n’apparaissait pas et que je ne trouvais pas d’autre accroche, je les ai déclarés irrecevables. Je suis tout à fait disposée à reprendre tous les amendements si vous le souhaitez, avec vous comme avec tout collègue qui souhaiterait des explications sur les décisions d’irrecevabilité, qui ont été délicates sur ce texte.

À cet égard, je tiens à préciser que j’ai déclaré des irrecevabilités pour des amendements de l’ensemble des groupes. Particulièrement équitable, j’ai visé tout le monde, y compris le Gouvernement puisque j’ai déclaré cinq de ses amendements irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Nous remercions nos collègues qui sont intervenus car nous voyons que les débats seront constructifs. Je vous remercie par avance de tous les amendements dont nous pourrons discuter. Nos débats seront nourris sur bien des sujets, mais je dirai dès à présent un mot des gardes champêtres car c’est un sujet qui nous tient également à cœur. Lors de l’élaboration de notre rapport, nous les avions reçus en audition et nous avions eu l’occasion d’en rencontrer ; je suis moi-même élue d’une circonscription rurale. Nous voulions donc expliquer que, si le texte ab initio ne comportait pas de dispositions relatives aux gardes champêtres, c’est parce que toutes les mesures proposées à leur propos relevaient du domaine réglementaire et non législatif. En revanche, nous étudierons avec attention vos propositions, qui sont nombreuses, car nous sommes extrêmement sensibles à cette profession et à vos arguments quant à son utilité dans notre territoire. C’était, me semble-t-il, une précision importante à apporter.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Je m’associe aux remerciements adressés par la rapporteure à l’ensemble des groupes et des orateurs dont les interventions prouvent que cette proposition de loi et cette matière intéressent. Il importe de passer au corps du sujet, à savoir l’examen des amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous précise que M. Fauvergue rapporte sur les titres Ier, IV et VI tandis que Mme Thourot s’est occupée des titres II, III et V. Bien évidemment, les deux rapporteurs peuvent intervenir lorsqu’ils le souhaitent.

La Commission en vient à l’examen des articles.

TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES aux polices municipales

Chapitre Ier

Dispositions relatives aux prérogatives des polices municipales

Article 1er : Expérimentation dans le domaine de la police municipale

La Commission est saisie de l’amendement CL84 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Dans la mesure où, depuis un décret entré en vigueur le 1er janvier 2015, le poste de directeur de police municipale n’existe que dans les communes et EPCI dont les services de police municipale comptent au moins vingt agents, il apparaît inutile de préciser ce seuil dès lors que l’expérimentation, que j’encourage, ne pourra avoir lieu que dans les communes employant un directeur de police municipale. Ces mots me semblent donc superfétatoires.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Si, en effet, seules les communes disposant de plus de vingt agents de police municipale peuvent avoir un directeur de la police municipale, l’article 1er vise également celles ayant un chef de service de police municipale auxquelles ce seuil n’est pas applicable. La précision du nombre d’agents que vous nous demandez de supprimer est donc utile.

Je vous demanderai de retirer votre amendement, à défaut je serai au regret d’émettre un avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL27 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Cet amendement vise à permettre à l’ensemble des communes qui le souhaitent de participer à l’expérimentation proposée dans cet article 1er, qui me semble fort intéressante. C’est sans doute dans cet esprit que l’avait proposé les rapporteurs, mais un mot insuffisamment précis peut être détourné et je préfère employer le mot « obtenir » afin de garantir le fait que toutes les communes pourront faire l’objet de cette expérimentation.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. La rédaction renvoie à un arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice pour déterminer les communes autorisées à la mettre en œuvre au regard des circonstances locales. Les critères seront à préciser, mais il faut pouvoir tenir compte de circonstances locales justifiant l’extension de compétences judiciaires – au titre, par exemple, de la délinquance, de la maturité de la police municipale ou la qualité de son interaction avec les forces de sécurité intérieure.

Nous pourrons profiter ultérieurement de la présence du ministre pour recueillir son avis.

Cette manière de procéder me semble la bonne s’agissant d’une expérimentation. D’ailleurs, la rédaction était similaire s’agissant de l’expérimentation des caméras individuelles par les agents de police municipale, par l’article 114 de la loi du 3 juin 2016 : les maires demandent, et l’État autorise.

Je vous demande donc de retirer votre amendement ou j’émettrai un avis défavorable.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Le mécanisme prévu par l’article 1er dans le cadre de l’expérimentation vise à permettre des transmissions au parquet par le chef de service de la police municipale locale. Il faut donc absolument avoir l’aval du parquet, ce qui doit être négocié en amont avec le ministère de la justice. Il s’agit de travailler ensemble. C’est la raison pour laquelle un arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la justice est essentiel pour engager ce travail collaboratif.

De manière générale, sur l’expérimentation prévue par l’article 1er, nous avons déjà reçu des demandes de candidatures de communes intéressées. Les élus locaux sont vraiment en attente et en demande d’un tel dispositif.

Mme Laurence Vichnievsky. Je soutiens nos rapporteurs sur ce point. Comme je le répéterai à propos d’un amendement que j’ai déposé, la France compte quelque 35 000 communes. Certaines n’ont pas de police municipale, mais imaginez‑vous un procureur de la République en relation avec 20 000 directeurs de police municipale ? C’est un problème majeur. Dans le cadre d’une expérimentation, je crois pour l’instant raisonnable de poser des limites.

M. Arnaud Viala. Au contraire de ma collègue, je soutiens Ian Boucard car cette expérimentation est précisément lancée pour permettre que l’échelon local, donc les collectivités locales et leurs polices municipales, s’impliquent dans le maintien de la sécurité lorsqu’elles en ont les moyens et qu’elles le désirent. Si, dès l’écriture de la loi, on objecte qu’un certain nombre d’obstacles seraient difficiles à franchir en raison de l’incapacité de la justice à absorber le flux, on freinera l’élan suscité par ce texte. Madame la rapporteure, vous dites vous-même qu’alors qu’il n’est même pas encore voté, des communes se portent candidates.

Comme l’auteur de l’amendement, je pensais qu’il s’agissait d’un problème de rédaction ; en réalité, au détour de la discussion de cet amendement, nous découvrons qu’il s’agit d’un problème d’intention du législateur. Je soutiens donc fermement l’amendement.

Mme Emmanuelle Ménard. À mon tour de soutenir l’amendement de M. Boucard : le danger est que cette expérimentation se fasse un peu à la carte, comme cela s’est déjà produit. Je vous rappelle l’expérimentation qui avait été décidée voilà deux ans par le ministre Castaner pour l’accès au fichier des personnes recherchées, qui n’avait été étendue qu’à seulement onze communes. Cela n’avait pas donné beaucoup de résultats et, finalement, ces communes n’avaient pas toutes eu accès au fichier dont il était question.

Si la décision de retenir telle ou telle commune est soumise au bon vouloir du ministre, cela risque encore de créer des inégalités. Or votre expérimentation est vraiment attendue par les polices municipales sur le terrain. Elle l’est d’ailleurs également par la police nationale et la gendarmerie qui souffrent lorsqu’elles sont en manque d’effectifs : elles ont besoin que les pouvoirs des polices municipales soient renforcés afin d’être secondées au mieux et au plus près du terrain.

Cette expérience a intérêt à être menée le plus largement possible. Il serait sans doute utile de renverser cette proposition et de dire que les communes sont automatiquement retenues pour expérimenter dès lors qu’elles remplissent les critères retenus.

M. Ian Boucard. Je ne suis pas surpris lorsque vous dites, madame la rapporteure, que Plaine Commune a déjà fait une proposition pour entrer dans le dispositif parce que nous savons que de plus en plus de maires de communes souhaitent s’impliquer fortement dans la sécurité de leurs concitoyens. C’est naturel au vu de la situation du pays.

Ce qui m’inquiète dans vos propos est que, finalement, une fois la loi rédigée, une négociation interviendra entre deux ministères, entre quelques fonctionnaires et seules quelques communes en France feront l’objet de cette expérimentation, qui paraît pourtant nécessaire. De deux choses l’une : soit vous estimez que ce dispositif est une bonne chose, et il devra s’imposer à la fois au ministère de l’intérieur et au ministère de la justice. Si vous pensez au contraire qu’il sera difficile à mettre en place – et j’entends la remarque de ma collègue Vichnievsky –, il faut en trouver un autre qui permette d’expérimenter sans surcharger les procureurs.

Il n’est pas possible de faire une loi en disant que, de toute façon, cela ne fonctionnera pas. Sinon, ne la faisons pas !

M. Thomas Rudigoz. On ne fait pas une loi pour qu’elle ne puisse pas s’appliquer. Ce point de la loi constitue, à mon sens, une avancée importante, mais les termes en sont clairs : il s’agit d’une expérimentation et non d’inscrire définitivement dans la loi ces nouvelles mesures pour les polices municipales. Nous souhaitons expérimenter pour voir si elles seront efficaces, si elles dérouleront dans des bonnes conditions et dans le respect du droit de nos concitoyens.

Ce texte est guidé par une volonté d’équilibre, quelque peu éloignée de ce que nous avons pu entendre dans la bouche de certains orateurs lors de la discussion générale. Il ne faut pas se lancer dans des procès d’intention. Comme l’a dit la rapporteure Alice Thourot, de nombreuses demandes émanent de communes – de toutes sensibilités, si j’ai bien compris. Le ministre est favorable au fait d’accepter le plus grand nombre d’expérimentations, mais comprenez qu’à ce stade l’aval doive être donné par le ministère de l’intérieur, en lien avec le ministère de la justice.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Combien de communes avec une police municipale répondent aux critères et pourraient se porter candidates à l’expérimentation ? Comment envisagez-vous la sélection, à partir de quelle évaluation au-delà des critères définis ? Il importe que cette expérimentation se tienne dans les meilleures conditions possibles.

M. Didier Paris. J’appuie la démarche des rapporteurs. Une expérimentation ne vaut que si elle est soit à la carte, soit limitée dès le départ – à l’instar de ce qui a été fait pour la loi du 23 mars 2019, quand un décret a fixé les départements spécifiques entrant dans l’expérimentation des cours criminelles sur laquelle travaille actuellement notre collègue Stéphane Mazars. Il est normal que la vision ne soit pas d’emblée absolue. Par ailleurs, laisser une place à la volonté politique d’entrer ou non dans une forme de l’expérimentation paraît pertinent. Mais à cette volonté doit répondre une capacité technique des parquets locaux. La logique d’un arrêté conjoint intérieur/justice est nécessaire et apporte les garanties suffisantes au bon fonctionnement de l’expérimentation et à l’équilibre du dispositif.

Mme Marietta Karamanli. Comment les agents de la police municipale pourront-ils exercer ces compétences qui demandent une formation spécifique et un cadre juridique très précis ? L’extension des compétences de police judiciaire n’est pas rien.

M. Éric Pauget. Ce texte suscite un espoir et toutes les municipalités qui ont une police municipale de plus de vingt agents demanderont à entrer dans l’expérimentation. Je soutiens donc l’amendement. En l’état, le dispositif prévu suscitera d’une part des frustrations et, de l’autre, des différences de territoire. Dans un territoire comme les Alpes maritimes, par exemple, où toutes les communes disposent d’une police municipale, comment justifier que certaines bénéficieront de l’expérimentation et d’autres non, d’autant que la petite délinquance passe les frontières ?

Mme Cécile Untermaier. Mon groupe ne soutient pas cet amendement. Une expérimentation dans un domaine aussi sensible justifie un encadrement. Je rejoins la préoccupation des rapporteurs. Qui dit police judiciaire dit aussi déontologie, formation et écart des conflits d’intérêts, a fortiori dans un dispositif de proximité. Quelles garanties pouvez-vous apporter dans ce domaine ? Par ailleurs, que devient le directeur départemental de la police nationale ou de la gendarmerie au regard de la police municipale telle qu’elle sera expérimentée ?

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Nous aurons l’occasion de répondre à la question relative aux nouveaux pouvoirs de politique judiciaire et de décrire le dispositif dans le cadre de l’examen d’amendements à venir.

Vous demandez à substituer « obtenir » à « demander à ce que ». Le texte entend respecter la volonté et le pouvoir du maire. Nous avons entendu ces élus. Nous leur offrirons des capacités complémentaires pour leur police municipale, mais c’est à eux qu’il reviendra de faire l’acte volontaire de s’investir dans les nouveaux pouvoirs conférés par la loi. Nous avons pu le constater très récemment, les maires ont parfois une aptitude à se saisir de pouvoirs, y compris qu’ils n’ont pas… Par définition, une expérimentation s’adresse à un ensemble restreint. S’il apparaît que le dispositif fonctionne, il passera dans le droit actif d’autres communes.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Après avoir échangé avec les élus locaux durant deux ans, nous avons souhaité encourager et rendre possibles des dispositifs, mais jamais les imposer – car le pouvoir d’avoir ou non une police municipale et de lui confier telle ou telle mission appartient aux maires. La décision d’entrer dans le cadre de l’expérimentation relève d’une volonté politique.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL86 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il est urgent d’améliorer la loi concernant nos polices municipales. L’expérimentation est attendue. La rendre effective dans seulement huit mois serait dommage. Je propose donc la date du 31 mars 2021.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Il existe des délais incompressibles, ne serait-ce que ceux de la navette parlementaire et d’une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel. Le délai que nous avons fixé sera nécessaire. Je vous demande donc de retirer votre amendement. Dans le cas contraire, mon avis sera défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL228 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Si le choix de participer à l’expérimentation relève du pouvoir de police du maire, il est important que la candidature d’une commune à l’expérimentation puisse être rendue publique, notamment en faisant l’objet d’une communication en conseil municipal.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL160 de M. Sylvain Maillard.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. Aucun des cosignataires n’est présent. Comme je l’ai annoncé en Conférence des Présidents, compte tenu de l’impossibilité actuelle pour nos collègues non membres de la Commission de participer à ses travaux, dans un tel cas, je considère que l’amendement est défendu car le voir tomber serait particulièrement injuste.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL268 de Mme Ramlati Ali.

Elle est saisie des amendements CL89 et CL90 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Comme avec l’amendement CL27 défendu par M. Boucard, il s’agit d’inverser la logique de l’alinéa 2, pour que ce ne soient pas les ministères qui décident qui a le droit de mettre en place l’expérimentation, mais les communes elles-mêmes, dès lors qu’elles remplissent les conditions posées à l’alinéa premier. Les maires étant au plus près du terrain, ils sont le mieux à même d’apprécier le bien-fondé du dispositif pour leur territoire. Qui plus est, ils travaillent en lien étroit avec leur police municipale. On ne saurait donc imaginer qu’ils décident d’entrer dans le dispositif sans l’accord de cette dernière.

Il s’agit également d’assurer un caractère de quasi-automaticité dès lors que le maire demande à entrer dans l’expérimentation et que sa commune remplit les conditions.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. La notion de circonstances locales est bien connue du droit administratif, notamment dans le code de la sécurité intérieure. Je demande le retrait de ces deux amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL156 de M. Sylvain Maillard.

Elle est saisie de l’amendement CL193 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Notre groupe souhaite que le rapport d’évaluation de l’expérimentation soit plutôt transmis au préfet, car cet échelon est le plus proche et peut le relayer au Gouvernement.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Le préfet est le représentant de l’État dans le département et le rapport doit être élaboré par le Gouvernement. Les modalités d’organisation interne de l’État peuvent être détaillées dans un texte d’une valeur normative moindre qu’une loi. Mon avis est défavorable, à moins que vous ne retiriez l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL229 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Notre groupe est favorable à l’expérimentation. Pour autant, nous souhaitons que soient d’ores et déjà définis les critères précis de son évaluation, afin que le rapport qui sera rendu soit vraiment utile.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

La Commission est saisie de l’amendement CL99 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Un cahier des charges, plus souple que les critères, permettrait de faciliter l’expérimentation. Il ne s’agit pas d’alourdir le dispositif, mais d’accompagner les polices municipales.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. L’expérimentation est déjà très cadrée. Qui plus est, nous venons d’adopter un amendement relatif aux retours d’expérience. Je vous demande donc de retirer votre amendement, sans quoi mon avis sera défavorable.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je le retire, mais je pense qu’il est vraiment besoin d’accompagner les communes dans cette expérimentation.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL218 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Nous demandons la suppression des alinéas 4 et 5 relatifs à la transmission directe des procès-verbaux de la police municipale au procureur. Pour rappel, l’article 21-2 du code de procédure pénale prévoit que les agents de police municipale rendent compte immédiatement aux OPJ des infractions dont ils ont connaissance. Par ailleurs, cette obligation de rendre compte est préconisée à dessein, l’objectif étant que les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) disposent d’une connaissance globale et précise des infractions commises sur leur territoire. Ces derniers peinent déjà à assurer l’ensemble de leurs engagements, faute de moyens et d’effectifs. Si on les court-circuite, ils n’auront plus cette connaissance et ne pourront ni faire de rapprochement avec d’autres infractions déjà commises par le même contrevenant, ni compléter les procédures. Le procureur de la République est un contrôleur et non un directeur d’enquêtes.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. L’alinéa 4 de l’article 1er prévoit une dérogation à l’article 21-2 du code de procédure pénale dans le cadre de l’expérimentation. Il s’agit de permettre à des directeurs ou des chefs de service de la police municipale d’avoir un rapport direct avec le parquet et de transmettre directement les procès-verbaux de leurs agents au procureur de la République, avec une copie aux OPJ, policiers et gendarmes. Il ne s’agit pas de renforcer les pouvoirs judiciaires des policiers municipaux.

Par ailleurs, les nouveaux pouvoirs conférés aux policiers municipaux relèvent principalement de l’amende forfaitaire, laquelle est directement transmise à l’ANTAI, l’Agence nationale des traitements automatisés des infractions, par un procès-verbal informatisé. Cette amende forfaitaire repose sur le volontariat, et une procédure n’est engagée qu’en cas de refus. Le dispositif sera le même, avec une transmission directe par voie informatique, sans contrôle du procureur ou de l’OPJ. La procédure sera contrôlée par les magistrats de l’ANTAI, à Rennes. Cette mesure n’augmentera donc ni le nombre de dossiers ni la paperasse procédurale qui empêche déjà les policiers et les gendarmes d’aller sur la voie publique. Aujourd’hui, pour une heure sur le terrain, un OPJ ou un APJ en passe sept en procédure. Je demande donc le retrait de l’amendement. Sinon, notre avis sera défavorable.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Nous proposons une simplification administrative dans le cadre de l’expérimentation. En effet, une transmission automatique est déjà effectuée au parquet, le plus souvent par la police nationale.

Mme Isabelle Florennes. Le groupe MoDem et Démocrates apparentés est favorable aux alinéas 4 et 5. L’expérimentation répond à une demande exprimée depuis plusieurs années par le terrain.

Mme Cécile Untermaier. Notre groupe soutient l’amendement, qui rejoint celui relatif à la définition d’un cahier des charges. Tous les dossiers ne sont pas anodins, certains sont compliqués. Pour ces derniers, admet-on que le DDSP ou la gendarmerie soient écartés ? Je ne dis pas que les policiers municipaux ne sont pas capables de traiter des dossiers difficiles. De la prudence et des garanties sont indispensables, ne serait-ce qu’au regard de l’impartialité.

M. Philippe Latombe. Le groupe MoDem n’a pas signé l’amendement car il est partagé sur ce point – d’où l’amendement de repli qui sera présenté plus tard, et que notre groupe a cette fois signé.

Au soutien de cet amendement, j’observe que, dans la mesure où la police municipale constate des délits, les procureurs recevront systématiquement les procès-verbaux et déclencheront des actes d’enquête. Par ailleurs, certaines polices municipales sont très actives. Cette activité sera alors en grande partie déportée vers les procureurs, qui ne pourront pas avoir autant d’interlocuteurs en gestion. Aussi souhaitons-nous maintenir le filtre de l’OPJ. Si vous considérez que c’est utile, peut-être pourrez-vous nous proposer, pour la séance, un dérivatif pour la seule partie contraventionnelle.

M. Thomas Rudigoz. Notre groupe s’oppose à cet amendement, qui est en contradiction avec l’esprit de la proposition de loi et avec l’avancée que nous souhaitons apporter aux prérogatives et aux pouvoirs des polices municipales. Nous verrons, à l’issue de l’expérimentation, s’il est pertinent ou non de procéder ainsi.

Le rapporteur a mis en lumière la thrombose des procès-verbaux pour les OPJ et les commissariats. J’entends aussi ce que disent nos collègues du MoDem s’agissant des parquets. Mais l’augmentation des délits est un problème de société. En donnant aux polices municipales la possibilité d’être plus réactives pour transmettre au parquet, nous sommes dans l’esprit de cette loi pour un traitement plus rapide de la sécurité publique et quotidienne. Enfin, l’alinéa 5 prévoit une transmission en copie aux OPJ de la police et de la gendarmerie nationales.

M. Didier Paris. Je comprends les alinéas 4 et 5, car les policiers municipaux exercent une activité de terrain fondamentale et remarquable. Or la loi, dans son ensemble, vise à rapprocher cette action de la chaîne judiciaire. C’est important, y compris pour valoriser les postes de ces agents. Cela étant, je ne souhaite pas que la thrombose déjà constatée dans les commissariats à réception des procès-verbaux des polices municipales se trouve reportée à l’échelon du parquet. Dans la logique du renforcement des responsabilités des polices municipales, nous pourrions envisager, en vue de la séance, une évolution qui permettrait aux policiers municipaux de transmettre directement au parquet les procédures dont ils considèrent qu’elles ne méritent pas de passer par le filtre des OPJ.

M. Stéphane Mazars. Je suis sensible à l’argument selon lequel la transmission directe permet aux acteurs essentiels de nos circonscriptions d’avoir une vision globale de l’état de la délinquance sur le terrain. Cela étant, j’observe que l’objectif d’informer les OPJ et le DDSP est déjà atteint avec la copie systématique des procès-verbaux de constatation qui seront directement transmis au procureur de la République. Les témoignages du terrain montrent que, lorsque les procès-verbaux établis par les policiers municipaux sont transmis aux OPJ, ceux-ci, pris par leur propre agenda, effectuent parfois un tri au terme duquel tout ne remonte pas au procureur, duquel relève pourtant l’opportunité des poursuites. Je suis donc favorable à la transmission directe au procureur, en charge de la politique pénale dans un territoire.

Mme Emmanuelle Ménard. L’argument de l’encombrement des parquets me semble peu recevable. Très souvent, les procureurs demandent déjà la transmission des procédures. Une transmission à la police nationale est également effectuée. Dans la plupart des cas, la collaboration entre les services est réelle.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Pas plus qu’aujourd’hui, les policiers municipaux ne pourront traiter un flagrant délit constaté sur la voie publique et nécessitant des actes d’enquête. Ils appelleront les APJ ou les OPJ, qui se saisiront de l’affaire. La loi ne changera rien à la situation actuelle. En revanche, le texte donne aux policiers municipaux un nouveau pouvoir d’amende forfaitaire délictuelle – en cas d’absence de permis de conduire, de défaut d’assurance, de vente à la sauvette ou d’usage de stupéfiants –, suivant le mode électronique que je décrivais tout à l’heure. Le procureur de la République et les intervenants du parquet restent présents à tous les étages, et le dispositif est partout cadré. La rédaction du texte a été travaillée avec le ministère de la justice et nous souhaitons la conserver en l’état.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL249 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Cet amendement de repli de mon groupe vise à prévoir une clause de revoyure à un an.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Je ne suis pas favorable au fait d’ajouter, pour ce seul point, un rapport au bout d’un an. Cela n’empêche pas les parlementaires d’effectuer leur travail d’évaluation de la loi avec un point régulier, comme nous le faisons, à l’initiative de notre présidente de la commission des Lois, chaque année en septembre.

M. Philippe Latombe. La vraie question est celle du déport du volume des procédures, qui pourrait engorger les procureurs. L’objectif de cette revoyure à un an est de réagir en urgence, le cas échéant, aux effets délétères de la mesure – ce que les procureurs seront à même d’indiquer un an après l’application de la loi – certains le font déjà. L’esprit de la loi est précisément la simplification. En cas d’engorgement, il faut pouvoir intervenir avant le terme de l’expérimentation.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL152 de M. Raphaël Gérard.

Elle examine l’amendement CL165 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement vise à étendre au-delà du dispositif expérimental la capacité donnée aux policiers municipaux qui sont agents de police judiciaire adjoints d’immobiliser et de mettre en fourrière un véhicule, dans un objectif de pragmatisme et d’efficacité.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Dans l’expérimentation, c’est le directeur ou le chef de police municipale qui sera dûment habilité par le parquet. Mon avis sera défavorable si l’amendement est maintenu.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission adopte successivement les amendements de précision rédactionnelle CL349, CL350 et CL351 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL166 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement vise à étendre le champ d’application de l’alinéa 8 au territoire de l’ensemble des communes qui ont signé une convention intercommunale, pour que les policiers municipaux puissent constater les infractions dans toutes les zones de compétence concernées.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Nous avons affirmé à plusieurs reprises, y compris dans notre rapport, l’importance que nous attachons à l’intercommunalité en matière de police municipale. Les communes qui ont fait le choix de la mutualisation ne sont pas exclues de l’expérimentation. La formulation « territoire communal » couvre les communes pour lesquelles les policiers municipaux ont compétence. Elle est utilisée à l’article L. 511-1 qui liste les missions de la police municipale. Je vous demande donc de retirer votre amendement. Sinon, nous émettrons un avis défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne le retire pas, car la précision est importante. La police municipale de Béziers, par exemple, est habilitée par convention à agir sur le territoire du village voisin de Cers. Je ne suis pas certaine que la formulation retenue à l’alinéa 8 lui permettra de continuer à le faire. Cette précision, qui ne mange pas de pain, pourrait être utilement apportée pour éviter d’éventuelles contestations.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Traditionnellement, lorsque la police municipale d’une commune agit, dans le cadre d’une mutualisation, sur le territoire d’une autre commune, elle passe sous l’autorité du maire de cette dernière. Si les conventions intercommunales prévoient expressément une action globale, cet amendement n’a pas d’utilité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL194 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit de supprimer les alinéas 10 et 11 habilitant les agents de police municipale à constater les infractions en matière de conduite sans permis et de défaut d’assurance. Ce rôle relève des missions de la police nationale et de la gendarmerie.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Les nouveaux pouvoirs donnés à la police municipale visent à réprimer des infractions avec les amendes pénales forfaitaires ou contraventionnelles. Les maires l’ont demandé à plusieurs reprises, pour lutter contre ces petits délits et ces incivilités qui pourrissent la vie des citoyens. Nous sommes au cœur de la sécurité du quotidien. Je vous demanderai de retirer votre amendement, ou mon avis sera défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Une conduite sans permis ou sans assurance n’est pas anodine et peut avoir des implications importantes vis-à-vis des victimes potentielles. Comment s’appliquera le dispositif ? Les policiers municipaux dresseront-ils un procès-verbal qu’ils transmettront au procureur ?

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. La loi le prévoit déjà, même si ce pouvoir n’est pas très utilisé. Les amendes forfaitaires pénales sont directement transmises à l’agence de traitement de Rennes, sauf si la procédure est plus compliquée, en cas de rébellion ou de conduite en état d’ivresse par exemple. Le cas échéant, elle nécessite des actes d’enquête et les policiers municipaux appellent l’OPJ territorialement compétent. La procédure n’est pas banale, mais nous donnons à la police municipale les pouvoirs de s’en emparer, au regard du critère de compétence.

Mme Laurence Vichnievsky. Le sujet n’est pas celui de la banalité ou non des procédures qui peuvent être confiées aux policiers municipaux, c’est celui des compétences, de la formation et du statut des OPJ, des APJ et des agents de police municipale. Confier telle ou telle procédure va de pair avec un statut, des garanties et des compétences spécifiques, qui ne sont pas les mêmes pour tous les acteurs. Cela se justifie, sans porter atteinte à la dignité des uns ou des autres. C’est aussi pour cela que nous serons si attentifs aux prérogatives qui pourront être concédées, même a minima, aux agents de sécurité privée.

M. Stéphane Mazars. Nous sommes au cœur de l’esprit de la proposition de loi et du continuum de sécurité. Il s’agit de faire monter en charge nos policiers municipaux dans le traitement de la délinquance. La conduite sans permis n’est pas une infraction banale. C’est un délit passible d’une peine d’emprisonnement. En revanche, la procédure peut être assez banale, lorsque les faits sont établis de manière évidente et incontestés. Il est alors possible de pratiquer l’amende forfaitaire délictuelle, transmise directement par le policier municipal à l’ANTAI. Mais en cas de contestation, d’outrage ou de rébellion, la procédure devient complexe et l’OPJ prend le relais dans le cadre de la transmission du dossier par le policier municipal.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL306 de M. Buon Tan.

M. Buon Tan. L’amendement propose de donner compétence aux policiers municipaux pour constater par procès-verbal les délits de rodéos motorisés, même si la loi du 3 août 2018 a utilement renforcé l’arsenal législatif permettant de lutter contre ces comportements à risque qui se multiplient au détriment de la tranquillité et de la sécurité des citoyens. Les policiers municipaux ont la connaissance du terrain. Il faut leur permettre de venir en renfort de la police et de la gendarmerie, afin que le continuum de sécurité entre ces différentes forces soit total et que l’efficacité soit maximale.

M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur. Les rodéos motorisés sont effectivement une vraie plaie pour nos concitoyens et nous devons lutter contre eux de manière efficace. Mais nous devons également faire attention à ne pas mettre nos policiers municipaux dans une situation impossible à gérer, voire dangereuse. Nous savons que ces rodéos peuvent conduire à des courses-poursuites, elles-mêmes génératrices d’autres phénomènes comme des violences urbaines lorsqu’elles se terminent mal pour les auteurs du rodéo. Qui plus est, ces pilotes sont rarement casqués et toute chute peut être très dangereuse. Ces interpellations ne me paraissent pas du ressort de la police municipale, qui ne doit pas être conduite à provoquer des accidents. Mon avis est donc défavorable.

M. Buon Tan. Nous parlons du pouvoir de dresser procès-verbal, pas de la course-poursuite. Lorsque nous constatons un délit, nous devons faire appel au commissariat du quartier. Le temps que la police arrive, les fauteurs ne sont plus là. D’où l’importance de donner aux policiers municipaux, lorsqu’ils sont sur place, le pouvoir d’agir tout de suite, de façon dissuasive.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Les policiers municipaux n’ont pas vocation à accomplir des actes d’enquête. Or souvent, dans ce type d’infraction, ces actes sont nécessaires. En tout état de cause, nous sommes très sensibles à ce sujet et nous sommes prêts à retravailler aux moyens de lutte contre les rodéos motorisés d’ici la séance.

M. Éric Diard. Sébastien Huyghe et moi-même trouvons cet amendement intéressant et opportun, car – les rapporteurs l’ont reconnu – la loi sur les rodéos est un échec.

Mme Nicole Dubré-Chirat et M. Rémy Rebeyrotte. Non !

M. Éric Diard. Le fléau des rodéos s’est développé. Il faut avancer dans cette lutte et travailler aux moyens, qui sont insuffisants. La piste des drones est très intéressante. Sébastien Huyghe et moi-même sommes favorables à cet amendement, mais je vous remercie de cette ouverture pour l’hémicycle.

M. Thomas Rudigoz. Il faut déjà mener à bien l’expérimentation des nouvelles compétences, avant d’élargir son champ d’application. Je note les propos d’ouverture de la rapporteure Thourot. Les rodéos et les interpellations qu’ils entraînent sont source d’importantes difficultés. Nous avons tous entendu les témoignages de notre police et de notre gendarmerie sur le terrain. Il est très délicat de confier de telles responsabilités à nos polices municipales.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement concerne le constat des délits, pas nécessairement des courses-poursuites. Que faire quand un individu tombe devant la police municipale en se livrant à un rodéo urbain, dont on ne peut pas nier l’aspect de provocation ? La police municipale ne serait en mesure de constater l’infraction que de visu mais pas en droit ? C’est la question de l’efficacité de notre politique de sécurité qui est posée.

S’agissant des outils, le drone est intéressant pour constater ces infractions, de même que la vidéoprotection, laquelle est très souvent aux mains des polices municipales.

M. Éric Pauget. Cet amendement est très important, car le sujet des rodéos est l’un de ceux à propos desquels nous sommes le plus attendus. En milieu urbain, les primo-arrivants sont souvent les polices municipales. J’ai entendu la proposition de Mme la rapporteure.

M. Rémy Rebeyrotte. Il a certes fallu un peu de temps, mais la loi du 3 août 2018 a désormais une certaine efficacité et des condamnations fermes sont prononcées. Essayons déjà de faire appliquer l’ensemble du dispositif par les polices nationales et de gendarmerie. Peut-être, ensuite, faudra-t-il conduire une réflexion en la matière.

Pour revenir à la transmission directe des procès-verbaux de la police municipale vers les procureurs, j’y vois beaucoup d’intérêt car elle déchargera un peu les OPJ dont nous manquons cruellement et qui sont très sollicités.

Mme Isabelle Florennes. Nous sommes très intéressés par ce sujet, auquel j’ai travaillé personnellement pour inclure des dispositions comme la surveillance par drone. Dans un certain nombre de communes, les policiers municipaux sont déjà associés au repérage des rodéos. Il faudrait que nous arrivions en séance avec un dispositif plus complet.

Mme Alice Thourot, rapporteure. Je confirme que le texte relatif aux rodéos urbains est appliqué. Une condamnation à neuf mois de prison dont cinq avec sursis probatoire a ainsi été prononcée à Chalon-sur-Saône, par exemple, ainsi que l’interdiction au pilote de conduire tout véhicule à moteur pendant huit mois et la confiscation de sa moto.

Les rodéos urbains polluent le quotidien de nombreux Français. J’invite les députés qui le souhaitent à travailler avec nous d’ici la séance pour trouver une solution plus efficace de lutter contre ces pratiques, au-delà de cet article.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. Une évaluation de la loi devrait débuter courant 2021.

La Commission rejette l’amendement CL306.

La réunion s’achève à 13 heures.

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Informations relatives à la Commission

 

La Commission a désigné :

-          M. Christophe Euzet, rapporteur sur la proposition de loi visant à promouvoir la France des accents (n° 2473) ;

-          M. Dimitri Houbron, rapporteur sur la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale (n° 3427).

 


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.