Compte rendu

Commission d’enquête relative
à la mainmise sur la ressource en eau
par les intérêts privés
et ses conséquences

– Audition de M. Amélius Hernandez, ancien président du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG).              2


Lundi
7 juin 2021

Séance de 15 heures 

Compte rendu n° 56

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Mathilde Panot,
présidente de la commission
 


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COMMISSION D’ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privÉs et ses consÉquences

Lundi 7 juin 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

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La commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l’audition de M  Amélius Hernandez, ancien président du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG)

Mme la présidente Mathilde Panot. Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions en lien avec la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, consacrée à la situation et à la gestion de l’eau en Guadeloupe.

Nous recevons M. Amélius Hernandez, ancien président jusqu’en 2014 du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), alors première autorité organisatrice de la distribution de l’eau en Guadeloupe, dans le cadre d’une délégation de service public.

Je rappelle qu’en novembre 2019, vous avez été condamné en première instance pour détournement de fonds publics et faits de favoritisme dans l’attribution des marchés publics d’organisation des Journées de l’eau.

Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire, qui précèdera notre échange sous forme de questions et réponses. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Amélius Hernandez prête serment.

M. Amélius Hernandez, ancien président du SIAEAG. J’ai assuré des fonctions de vice-président de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) pendant plus de 12 ans. J’ai également été conseiller général et maire adjoint du Gosier.

J’ai malheureusement été accusé de détournement de fonds, mais pas dans mon intérêt personnel, puisque j’ai été privé de tous mes biens.

Je souhaite absolument faire la lumière sur mes mandatures et sur la manière dont j’ai été considéré.

Mme la présidente Mathilde Panot. Dans un article du Courrier de la Guadeloupe du 24 avril 2015, vous avez déclaré que la Générale des eaux de Guadeloupe « encaissait et se payait elle-même. » Pouvez-vous développer cette déclaration ?

M. Amélius Hernandez. La Générale des eaux a souhaité que le SIAEAG demeure en délégation de service public, refusant de changer de mode de gestion. Or pour nous, il était impératif pour avancer de créer un mode de gestion par le biais de marchés publics, qui étaient mieux organisés que la DSP.

La Générale des eaux continuait d’encaisser et de se rémunérer, jusqu’au moment où j’ai souhaité y mettre fin. J’ai alerté le sous-préfet de Pointe-à-Pitre.

Mme la présidente Mathilde Panot. À quelle date ?

M. Amélius Hernandez. En 2014.

J’ai expliqué au sous-préfet qu’il était anormal que la Générale des eaux perçoive l’argent du SIAEAG et qu’elle ne le lui reverse pas, alors qu’avec la nouvelle forme de gestion qui avait été conclue par le SIAEAG, nous pouvions directement contracter des emprunts nous permettant de réaliser des ouvrages.

Le SIAEAG notamment construit sept stations d’épuration neuves, en maîtrise d’ouvrage. Nous avons choisi de travailler sur l’assainissement.

La Générale des eaux, pour sa part, souhaitait simplement « encaisser ».

Le 27 mai 2013, avec sept vice-présidents du SIAEAG, nous avons rencontré le ministre des Outre-mer, alors M. Victorin Lurel. Je lui ai signifié que nous ne pouvions pas continuer à rémunérer la Générale des eaux, alors que celle-ci n’assurait pas son travail. Il m’a alors indiqué que j’étais mal conseillé, et qu’il fallait absolument payer la Générale des eaux.

Aujourd’hui, nous prenons connaissance de l’ampleur des désastres occasionnés par la Générale des eaux, avec la complicité du ministère des Outremer de l’époque et de celle du sous-préfet de Pointe-à-Pitre.

La femme du sous-préfet de Pointe-à-Pitre était déléguée régionale de Veolia dans la Caraïbe. Étant donné que la Générale des eaux était une filiale de Veolia, il fallait me détruire car ma démarche était contraire au développement de Veolia. En tant que Guadeloupéen, j’avais la volonté de travailler pour la Guadeloupe et les Guadeloupéens.

Mme la présidente Mathilde Panot. À votre avis, pourquoi le ministre Victorin Lurel n’a-t-il pas réagi à vos propos ?

M. Amélius Hernandez. M. le ministre se trouvait sous l’influence de M. Manuel Valls, Premier ministre de l’époque. M. Valls était ami de promotion du président Alain Franchi, alors patron de Veolia. Vous comprenez bien qu’il existait des liens ministériels qui me dépassaient.

Mme la présidente Mathilde Panot. Dans l’article de 2015 que j’ai cité précédemment, vous avez également déclaré que le logiciel défaillant qui n’aurait pas comptabilisé les factures des usagers pendant trois ans était une « légende urbaine. » Pourriez-vous l’expliquer ?

M. Amélius Hernandez. La Générale des eaux était chargée par contrat de collecter les recettes de vente d’eau et de taxe d’assainissement pour le compte du SIAEAG. Elle a déclaré que son logiciel ne fonctionnait pas et qu’elle ne pouvait pas procéder à des facturations.

L’idée selon laquelle cette compagnie internationale parvient à facturer partout, sauf sur le territoire du SIAEAG, a été inventée de toutes pièces pour pouvoir mettre en difficulté le président et la structure elle-même ; c’est d’ailleurs ce qui s’est produit.

Mme la présidente Mathilde Panot. Vous avez affirmé que vous aviez alerté le sous-préfet et le ministre Lurel. Pour quelle raison n’avez-vous rien rendu public à l’époque, en l’absence de réaction de leur part ?

M. Amélius Hernandez. J’ai tenté de le faire, mais je ne souhaitais pas entrer dans une forme de conflit. La Générale des eaux payait M. Germain Paran, alors président du Comité de défense des usagers de l’eau et aujourd’hui candidat aux élections régionales, pour pouvoir accuser le SIAEAG et moi-même de toutes les malversations possibles et imaginables.

Je répète que la Générale des eaux payait ; je dispose de preuves.

Mme la présidente Mathilde Panot. Quelles preuves détenez-vous, Monsieur Hernandez ?

M. Amélius Hernandez. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet aujourd’hui.

Mme la présidente Mathilde Panot. Il faut les transmettre à la commission d’enquête.

M. Amélius Hernandez. Je n’y vois pas d’inconvénient. Je pourrai m’entretenir avec vous à cet effet.

Mme la présidente Mathilde Panot. À la sortie de votre procès, vous avez déclaré avoir fait l’objet de pressions du sommet de l’État et de ses représentants. Vous avez cité un ministre, un préfet et un sous-préfet. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce sujet ?

M. Amélius Hernandez. Je dispose de l’enregistrement d’une réunion spéciale qui a eu lieu à la sous-préfecture. Cette réunion a été organisée en décembre 2014 à la demande du sous-préfet M. Morin, avec le secrétaire général de la préfecture de la Guadeloupe et le directeur interrégional de la Mer (DIRM) qui faisait office de directeur départemental de l’agriculture de la forêt à cette époque. Michel Desmars, chef du département cycle de l’eau, qui est la personnalité nationale la plus pointue dans les affaires de délégation, représentait la FNCCR. Le cabinet Landau, spécialisé dans le traitement des contrats d’eau et d’assainissement sur le plan national était mon avocat. Une association d’élus de la commune du Gosier était représentée par le maire du Gosier de l’époque, M. Jean-Pierre Dupont.

Le sous-préfet a commencé par me signifier que je ne pouvais pas me faire représenter par ces personnes et leur a demandé de quitter la réunion. Je ne disposais donc d’aucun expert.

Le sous-préfet a déclaré que deux autres élus, M. Ferdy Louisy, actuel président du SIAEAG, et M. Laurent Bernier, ancien président du SIAEAG, feraient dorénavant office de co-présidents. J’ignore de quelle manière cela est possible sans élection.

Au cours de cette réunion spéciale, j’ai fait l’objet de diverses accusations.

La Générale des eaux était présente pour m’accuser.

Mme la présidente Mathilde Panot. Suite à votre procès, Maître Gérald Coralie, avocat du Comité de défense des usagers de l’eau, a déclaré que ce verdict était décevant, car « si l’ex président du SIAEAG a été jugé personnellement responsable, tous ceux qui ont profité des largesses, dont certains sont encore dans le champ politique et économique, ont pu détourner par centaines de milliers d’euros l’argent des usagers de l’eau de l’objectif premier du SIAEAG et s’en sortir les mains propres. […] En 2020, la situation n’est toujours pas réglée. Les usagers n’ont pas été indemnisés ; il n’y a toujours pas d’eau potable au robinet. »

Que pensez-vous de cette déclaration de Me Coralie suite à votre procès ?

M. Amélius Hernandez. Me Coralie était avocat contre moi. Il a toutefois dû se rendre compte que je n’avais pas fait autre chose que travailler en faveur de la Guadeloupe et des Guadeloupéens pendant ma présidence.

Je répète que la présidence du SIAEAG de l’époque imposait que nous soyons présents avec le personnel matin, midi et soir.

Mme la présidente Mathilde Panot. Que pensez-vous du fait que Me Coralie affirme que « tous ceux qui ont profité des largesses, dont certains sont encore dans le champ politique et économique, ont pu détourner par centaines de milliers d’euros l’argent des usagers de l’eau […] et s’en sortir les mains propres » ?

M. Amélius Hernandez. J’ignore à quoi et à qui Me Coralie faisait référence.

Peut-être parlait-il de la Générale des eaux, car celle-ci a récupéré l’ensemble de l’argent du SIAEAG, et personne n’a osé porter plainte contre elle.

Mme la présidente Mathilde Panot. Monsieur Hernandez, il vous est reproché d’avoir fait grand train de vie et réalisé des dépenses somptuaires, pour lesquelles vous avez d’ailleurs été condamné. Ne vous sentez-vous pas aussi responsable de la faillite de la gestion de l’eau en Guadeloupe ?

M. Amélius Hernandez. Non. Lorsque je suis arrivé à la direction des affaires du SIAEAG, celui-ci disposait d’un prestataire de services titulaire d’une DSP, Sogea devenue Générale des eaux.

Sous ma présidence, des dons de 3 millions de mètres cube d’eau étaient faits au syndicat mixte du Nord Grande-Terre – je ne sais pas pourquoi – mais les usagers du syndicat payaient cette eau à la Générale des eaux. Cette eau n’était pas vendue par le SIAEAG.

De plus, trois millions de mètres cubes d’eau étaient donnés au syndicat de Pointe-à-Pitre – Abymes, un autre syndicat qui se servait de l’eau du SIAEAG. Les employés de la Générale des eaux produisaient de l’eau qu’ils vendaient au syndicat intercommunal des eaux de Pointe à Pitre-Abymes et au syndicat mixte de Nord Grande-Terre. Chacun bénéficiait de 3 millions de mètres cube d’eau gratuitement.

J’ai réglé cette situation. L’un de mes premières actions en tant que président du SIAEAG a consisté à remettre de l’ordre dans les finances du SIAEAG. À cette époque, la structure fonctionnait bien.

À cette période, il était permis à des structures d’organiser des réceptions comme à l’Élysée. En aucun cas le SIAEAG ne pouvait se départir de ses habitudes. Il ne s’agissait pas des habitudes du SIAEAG, mais de celles qui étaient pratiquées dans le monde entier.

Au lieu de dépenser l’argent du SIAEAG ou de demander de l’argent aux entreprises, j’ai pris l’habitude de leur faire assumer les dépenses de réception dans le cadre des Journées de l’eau, car il était normal d’informer les Guadeloupéens sur le sujet de l’eau. Aujourd’hui tout le monde parle, personne ne fait de l’information.

M. Olivier Serva, rapporteur. Qui est responsable du fait que 60 % de l’eau produite en Guadeloupe parte dans les fuites d’eau ?

M. Amélius Hernandez. Historiquement, dès la construction des réseaux, une forme d’« arnaque » est apparue. Alors que la région Martinique a été équipée de canalisations en fonte à la même période, la Guadeloupe a été dotée de canalisations en amiante et en ciment.

Il était question de renouveler les canalisations au fur et à mesure, après une trentaine d’années, ce qui n’a pas été fait.

Il en relève de la responsabilité de l’ensemble des élus qui m’ont précédé. 

M. Olivier Serva, rapporteur. Qui est responsable de l’état du réseau de distribution d’eau et des tours d’eau ?

M. Amélius Hernandez. Les communes en sont responsables. En effet, ce sont elles qui sont détentrices de la compétence de gestion de l’eau sur leur territoire. Or à aucun moment elles n’ont fait les dépenses nécessaires pour renouveler ou organiser correctement l’eau en Guadeloupe.

C’était du bricolage. À l’époque, en période électorale, chacun agissait comme il le pouvait pour aider les siens.

M. Olivier Serva, rapporteur. Pouvez-vous préciser cette dernière notion ?

M. Amélius Hernandez. À certains moments, les conseillers généraux, en lien avec le prestataire Générale des eaux, ont pu permettre l’installation de canalisations qui n’étaient même pas référencées, pour les électeurs de tous bords. Les installations de canalisations et de compteurs étaient gratuites à l’époque.

M. Olivier Serva, rapporteur. De quelles communes s’agissait-il ?

M. Amélius Hernandez. De nombreuses communes étaient concernées. Ce sont des communes faisant partie du SIAEAG à l’époque : Capesterre-Belle-Eau, Petit-Bourg et toutes les communes du sud de la Grande-Terre.

Sur la commune du Gosier où j’ai été élu, énormément de personnes ont bénéficié de compteurs et n’ont jamais payé un mètre cube d’eau.

M. Olivier Serva, rapporteur. De quelle période de votre mandature s’agissait-il ?

M. Amélius Hernandez. J’ai été élu à la présidence du SIAEAG de 1997 à 2014.

M. Olivier Serva, rapporteur. L’interruption du service d’eau est-elle la conséquence d’un cas de force majeure ? Qui est responsable de la fourniture d’une solution de secours sous la forme de distribution de bouteilles d’eau en cas de défaillance du réseau ?

M. Amélius Hernandez. Logiquement, en cas de défaillance du réseau, ce sont les entreprises qui perçoivent la redevance qui doivent fournir le service de l’eau aux personnes – tâche dont je m’acquittais, à condition d’être présent sur le terrain.

M. Olivier Serva, rapporteur. Veolia assurait la gestion et la mutualisation de la ressource en eau sur l’ensemble du secteur interconnecté. Dans cette mesure, il jouait le rôle de gestionnaire unique de la production.

M. Amélius Hernandez. Par délégation de service public.

M. Olivier Serva, rapporteur. Pourquoi Veolia a-t-il abandonné ce rôle et choisi de se retirer totalement de la Guadeloupe ?

M. Amélius Hernandez. Je pense que Veolia s’est retrouvé en difficulté. Il ne réalisait pas autant de bénéfices qu’avant. Dès lors, il a décidé de faire entrer de l’argent par d’autres moyens. Je me trouvais en face d’eux. Ils se sont arrangés pour organiser leur départ de telle manière que personne ne leur demande des comptes.

M. Olivier Serva, rapporteur. Selon vos indications, vous avez souhaité modifier le mode contractuel entre le SIAEAG et la Générale des eaux. Quel était le mode de fonctionnement précédent et qu’avez-vous voulu changer, qui a conduit Veolia à se retirer ?

M. Amélius Hernandez. Une délégation de service public était en place. Celle-ci impliquait que le prestataire assume l’ensemble des charges de la collectivité, se rémunère et redistribue une redevance à la collectivité.

J’ai souhaité mettre en place un cahier des charges, dont le respect donnerait lieu au paiement de l’entreprise qui travaille. Il s’agit là d’une nouvelle mesure, qui n’existait pas lorsque Veolia détenait les différents contrats.

Le fonctionnement était anormal, puisqu’aucun marché n’était mis en concurrence. Le contrat était renouvelé par tacite reconduction, alors que des millions d’euros étaient concernés. La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a permis de changer cela.

M. Olivier Serva, rapporteur. Êtes-vous parvenu à faire évoluer le contrat avec Veolia ?

M. Amélius Hernandez. J’ai rencontré de grandes difficultés pour faire évoluer le contrat. Je souhaite que vous puissiez rencontrer M. Duquesnoy, qui était chargé des procédures à mettre en place au sein du SIAEAG lors des renouvellements. Ainsi, vous constaterez tout ce que Veolia a mis en place pour éviter de participer à des mises en concurrence.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous avez pu faire évoluer la relation contractuelle entre le SIAEAG et la Générale des eaux, qui vous semblait trop avantageuse pour la Générale des eaux. Vous considérez qu’à partir de ce moment-là, le service rendu par Générale des eaux s’est détérioré, n’est-ce pas ?

M. Amélius Hernandez. Dès que la mise en concurrence est devenue le principe de fonctionnement entre le SIAEAG et la Générale des eaux, forcément cette dernière a souhaité causer du tort au président. Personne n’est dupe de la capacité de nuisance de Veolia, par l’intermédiaire de sa filiale la Générale des eaux. Le sous-préfet et le préfet pouvaient notamment, à tout moment, s’organiser pour l’avantager, en faisant annuler des contrats grâce à certains juges. Je préfère ne pas m’étendre sur le sujet.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous avez indiqué qu’à partir du moment où vous avez remis en cause le contrat de Veolia, ces derniers ont mis de la mauvaise volonté dans la gestion de l’eau en Guadeloupe, ce qui a eu des conséquences sur cette gestion ainsi que sur vous, personnellement.

M. Amélius Hernandez. S’agissant de la Guadeloupe, le processus était déjà en œuvre. En effet, Veolia ne procédait pas aux renouvellements prévus contractuellement.

En ce qui me concerne, j’ai été poursuivi personnellement. Il fallait trouver des motifs à cela. Je suis donc aujourd’hui accusé de détournement de fonds publics, pour avoir organisé des manifestations. Je répète qu’à l’époque, l’ensemble des structures responsables organisaient au mieux qu’il soit des moments de partage avec les élus.

M. Olivier Serva, rapporteur. Qui, avec la Générale des eaux, a participé à vous écarter, du fait de votre volonté de faire évoluer le contrat de la Générale des eaux ?

M. Amélius Hernandez. Depuis ces différentes affaires, j’ai perdu tout ce que possédais en Guadeloupe : mes maisons, voitures, etc.

Lorsque M. Geoffroy Mercier était directeur de la Générale des eaux en Guadeloupe, il avait affirmé qu’ils allaient me faire regretter mes actions. À cette époque, j’avais mal mesuré sa volonté. J’en ai pris plein la figure.

M. Olivier Serva, rapporteur. Quels étaient les problèmes de facturation de Veolia, et quand ont-ils été résolus ?

M. Amélius Hernandez. Veolia avait un problème de logiciel qui empêche la facturation. Par contre, ils se sont arrangés pour facturer le plus possible au SIAEAG.

M. Alain Franchi, président-directeur général (PDG) de Veolia de l’époque, qui a été depuis licencié pour vol, était proche du Premier ministre de l’époque, M. Manuel Valls. Je vous raconte tout cela afin que vous compreniez bien les tenants et les aboutissants, ainsi que les maillages qui existaient entre l’État et certaines entités privées telles que Veolia.

Le PDG s’est rendu en Guadeloupe et a souhaité me voir à l’hôtel de la Vieille Tour en décembre 2014. Je m’y suis rendu avec quatre personnes : deux vice-présidents, mon directeur de cabinet et mon directeur des services techniques. Lorsque je suis arrivé, la télévision était présente. Il m’a été demandé d’entrer seul. Voilà quelle était la volonté de M. Franchi : m’accuser en public, avec des caméras, devant tout le monde.

Je n’ai donc pas participé à cette réunion. Tel était le fonctionnement en place, avec la complicité de l’État, voire de celle de la police et de toute une série de personnes.

M. Olivier Serva, rapporteur. Veolia accuse les collectivités organisatrices d’avoir refusé de faire les investissements nécessaires dans les réseaux. Qu’avez-vous à répondre à cette accusation de Veolia – Générale des eaux ?

M. Amélius Hernandez. Je serais tenté d’affirmer que les renouvellements étaient contractuels. La Générale des eaux n’a procédé à aucun renouvellement. Je pense que la faute n’en incombait pas aux collectivités territoriales. Ce sont eux qui, pour des raisons d’intérêt personnel, n’ont pas procédé aux renouvellements prévus.

C’est lorsque je leur ai demandé d’intervenir, comme cela est prévu contractuellement, qu’ils ont préféré quitter la Guadeloupe.

M. Olivier Serva, rapporteur. Veolia accuse également certains élus d’avoir appelé à ne pas payer les factures, dégradant son taux de recouvrement. Est-ce avéré ?

M. Amélius Hernandez. Non ; Étant donné que Veolia ne pouvait pas facturer correctement, certains élus – dont je ne fais pas partie – ont appelé à ne pas payer.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous avez indiqué que la Générale des eaux payait certaines personnes, dont M. Germain Paran, pour provoquer des difficultés. De quelle manière ce dernier était-il payé ?

M. Amélius Hernandez. Il passait chercher des enveloppes dans les bureaux de la Générale des eaux de Guadeloupe.

M. Olivier Serva, rapporteur. Comment expliquez-vous que les données concernant le réseau et la base clientèle fournie en fin de contrat par Veolia aient été particulièrement parcellaires et incomplètes ? Pourquoi ne pas avoir suivi l’exécution du contrat en conservant les données ?

M. Amélius Hernandez. J’ignore dans quel état Veolia a laissé ces données à son départ. Pour ma part, j’ai mis en place des dispositifs à destination de la collectivité. Le premier contrat de la Générale des eaux datait de 1963, mais les textes relatifs à la gestion de l’eau n’existaient pas encore. Ils ont donc agi à leur guise.

Les questions de plans de réseaux, de données et de travaux effectués n’existaient donc pas. À l’époque, il s’agissait de travaux communaux. Ce sont les communes qui avaient le devoir de renouveler les réseaux à l’époque.

M. Olivier Serva, rapporteur. Avez-vous connaissance d’autres faits actuels ou passés constitutifs de corruption ou de prédation dans le domaine de l’eau à signaler à la commission d’enquête ?

M. Amélius Hernandez. Je ne souhaite pas être le délateur de qui que ce soit ni de quoi que ce soit. Je préfère m’abstenir, et affirmer que je n’en ai pas connaissance.

Néanmoins, je crois comprendre que des choses anormales continuent de se produire dans le domaine de l’eau en Guadeloupe.

Mme la présidente Mathilde Panot. Monsieur Hernandez, je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Si vous avez connaissance de faits de corruption ou de prédation, il faut que vous communiquiez les documents correspondants à la commission d’enquête.

M. Amélius Hernandez. Très bien.

Mme la présidente Mathilde Panot. Vous avez affirmé plus tôt que personne ne portait plainte contre la Générale des eaux. Pourquoi ?

M. Amélius Hernandez. Je ne suis pas en mesure de donner les raisons pour lesquelles les gens ne souhaitent pas porter plainte. Je connais toutes les difficultés que la Générale des eaux a créées en Guadeloupe.

À titre personnel, j’ai porté plainte au moment où j’étais président du SIAEAG, pour le compte du SIAEAG. Aujourd’hui, je suis un citoyen lambda, auquel la Générale des eaux a créé tous les torts possibles et imaginables.

Mme la présidente Mathilde Panot. Lorsque vous étiez président, de 1997 à 2014, quels contrôles ont été mis en place sur Veolia et sa DSP ?

M. Amélius Hernandez. Comme je vous l’ai dit, je souhaite que vous puissiez entrer en contact avec un agent du SIAEAG de l’époque, M. Duquesnoy. Ce dernier a été employé de Veolia au niveau national, puis employé du SIAEAG. A ce dernier titre, il assumait la responsabilité des contrôles pour le compte du SIAEAG.

Mme la présidente Mathilde Panot. Qui examinait les comptes ? Existait-il une commission des comptes ou une commission consultative des services publics locaux ?

M. Amélius Hernandez. La première commission de ce type en Guadeloupe est celle du SIAEAG. M. Paran y participait en tant que délégué et représentant des usagers.

Mme la présidente Mathilde Panot. La presse relate qu’en 2013, un accord entre la Générale des eaux et le SIAEAG a été validé par la quasi-totalité des membres présents du conseil du SIAEAG, et que vous vous êtes abstenu. Pour quelle raison ?

M. Amélius Hernandez. Des travaux devaient être réalisés, sans aucune logique de mise en concurrence, à la suite des visites des directeurs de Veolia.

Je ne pouvais pas donner des ordres de service à la Générale des eaux de Guadeloupe sans contrôle ni mise en concurrence ; c’est la raison pour laquelle je me suis abstenu.

Mme la présidente Mathilde Panot. Où l’argent de l’eau est-il passé ?

M. Amélius Hernandez. Un seul acteur récupérait l’argent de l’eau : la Générale des eaux. Si vous devez demander des comptes à quelqu’un, interrogez la Générale des eaux et Veolia.

Mme la présidente Mathilde Panot. Qui avait décidé des 3 millions de mètres cube d’eau gratuits, qui étaient pourtant facturés par les usagers ?

M. Amélius Hernandez. Cette pratique existait déjà lorsque j’ai pris mes fonctions ; ce n’est donc pas moi qui en ai décidé.

Mme la présidente Mathilde Panot. Comprenez-vous qu’alors que les Guadeloupéens n’ont pas accès à l’eau régulièrement, il puisse être choquant de parler de frais de réception de 608 000 euros entre 2005 et 2010, soit plus de 100 000 euros par an, plus les voyages et les hôtels ?

M. Amélius Hernandez. Aujourd’hui il est tout à fait normal que cela paraisse choquant. Ces frais incluaient notamment des séjours destinés aux ingénieurs du SIAEAG, qui participaient à des concours. Tous nos ingénieurs que j’avais recruté à l’époque sont devenus par la suite ingénieurs territoriaux grâce à des concours nationaux.

Mme la présidente Mathilde Panot. Vous évoquez une certaine complicité de l’État avec Veolia. Le confirmez-vous ?

M. Amélius Hernandez. Oui.

Mme la présidente Mathilde Panot. Vous affirmez avoir alerté la sous-préfecture et le ministre de l’époque. Pourquoi n’avez-vous pas agi plus tôt ?

M. Amélius Hernandez. Certaines démarches doivent être réalisées en temps et en heure. On ne peut pas décider d’actions à partir de petits constats. Il faut attendre un certain moment avant de réagir ; c’est ce que j’ai fait.

Mme la présidente Mathilde Panot. Lorsque vous avez reçu les éléments à communiquer au sous-préfet et au ministre, qu’avez-vous fait ?

M. Amélius Hernandez. Je n’étais pas en mesure de faire quoi que ce soit.

Mme la présidente Mathilde Panot. Vous auriez pu communiquer ces éléments à la presse.

M. Amélius Hernandez. J’avais déjà parlé à la presse. Le directeur de l’époque, M. Geoffroy Mercier, s’était organisé avec la presse. Je ne pouvais pas entrer en conflit contre lui en permanence.

Mme la présidente Mathilde Panot. Je vous remercie, Monsieur Hernandez, d’avoir pris le temps de répondre à notre audition. Je vous remercie de nous transmettre les documents constitutifs de preuves que vous auriez en votre possession.

M. Amélius Hernandez. Merci à vous, Madame la présidente. Je me tiens à votre disposition, de visu si vous le souhaitez.

L’audition s’achève à seize heures cinq.