Compte rendu

Commission d’enquête relative
à la mainmise sur la ressource en eau
par les intérêts privés
et ses conséquences

– Audition de M. Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe....2


Mardi
22 juin 2021

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 81

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Mathilde Panot,
présidente de la commission
 


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COMMISSION D’ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privÉs et ses consÉquences

Mardi 22 juin 2021

La séance est ouverte quatorze heures cinquante-cinq.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

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La commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l’audition de M. Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe.

Mme la présidente Mathilde Panot. Nous auditionnons aujourd’hui M. Théophile, sénateur et ancien président du parti Guadeloupe unie, socialisme et réalités. Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Dominique Théophile prête serment.

M. Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe. Vous avez souhaité m’entendre, car j’ai été cité par M. Victorin Lurel lors de son audition. Je vous remercie de m’offrir la possibilité de m’exprimer ici.

J’ai suivi un parcours professionnel atypique, pour ne pas dire exceptionnel. L’été de mes vingt et un ans, en 1981, j’ai travaillé, le temps des vacances, pour la Socea, qui appartenait alors au groupe Saint-Gobain Pont-à-Mousson, plutôt spécialisé dans la voirie. Je voulais économiser pour rejoindre mes amis d’enfance en métropole et poursuivre des études de comptabilité, ayant déjà passé l’aptitude au probatoire et obtenu mon diplôme probatoire.

En septembre, le directeur de la Socea m’a proposé de poursuivre mon activité professionnelle dans sa société qui, à l’époque, proposait à ses employés des formations en interne, notamment d’ingénieur. Mon père m’a incité à accepter. On sait de quel poids pèse la volonté du père dans la société guadeloupéenne.

En janvier 1982, la Socea m’a ainsi recruté comme comptable, affecté à la régie. À l’époque, j’apportais mes décalques chez le façonnier chargé d’informatiser la comptabilité. L’ordinateur occupait une pièce de 12 m².

Prenant au mot le directeur, j’ai demandé, pour évoluer professionnellement, un congé individuel de formation (CIF) en 1985. J’ai d’ailleurs été parmi les trois premiers Guadeloupéens à en bénéficier. Je suis entré dans une école de gestion et j’ai effectué mon stage à Rueil-Malmaison, au siège de la Société guadeloupéenne d’électricité (SGE).

De retour en Guadeloupe, en 1986, désireux d’assumer des responsabilités d’encadrement, j’ai occupé différents postes, dont celui de comptable des travaux. À l’époque, le chiffre d’affaires des travaux, et notamment de construction des canalisations, dépassait celui de la gestion de l’eau proprement dite.

Dans les années 1990, la société qui m’employait s’est lancée dans la construction de maisons individuelles. Il m’a été demandé d’en suivre la comptabilité. J’ai occupé tour à tour des postes de chargé de mission ou de recouvrement.

Vers 1992 ou 1993, j’ai fait valoir mon souhait de mobilité professionnelle, mais les pays où m’ont été proposés des postes de cadre, comme ceux que je briguais, ne m’intéressaient pas.

En 1998, le directeur de ce qui était entre-temps devenu la Sobea m’a proposé un poste de responsable administratif et financier de la filiale de travaux publics Dodin, plus précisément Dodin Guadeloupe, à Jarry (Baie-Mahault).

Dans le cadre de la formation continue, j’ai préparé un diplôme universitaire de commerce extérieur, gestion des entreprises et droit des affaires, que j’ai obtenu. Il m’a alors été demandé de mettre en place un service de contrôle de gestion. Jusque-là, ce contrôle s’effectuait au siège parisien du groupe. J’ai mis en place les tableaux de bord de suivi, calqués sur les modèles du groupe et, surtout, un suivi de l’activité des opérationnels sur le terrain, par le biais de la comptabilité analytique. Je m’en suis occupé de 2004 ou 2005 jusqu’à mon départ.

En 2016, une opportunité de quitter l’entreprise, par une rupture conventionnelle, s’est présentée à une vingtaine de salariés menacés de licenciement, dont moi-même. J’ai signé cette rupture en avril. Les autres cadres dans le même cas que moi en Guadeloupe ont rapidement retrouvé un travail auprès des collectivités locales. Le 11 avril 2017, le ministère de l’emploi a validé leur départ. J’ai effectivement quitté la Générale des eaux à la mi-juin.

J’ai été élu pour la première fois en tant qu’adjoint au maire des Abymes en 1995, alors que je travaillais donc déjà pour la Générale des eaux. Passionné par la comptabilité, dont j’avais fait mon métier, m’y consacrant toute la journée, j’ai décidé, en politique, de ne plus toucher aux chiffres et de m’occuper de mon autre passion : le sport. Champion de Guadeloupe du 1 500 mètres minimes, j’ai été médaillé aux jeux de la Guadeloupe, et gardien de but d’une équipe de football locale. J’ai été responsable des sports pendant quatorze ans au département et, durant trois ans, à la région.

Un grave accident m’avait plongé dans le coma en 1982. Heureusement, le centre hospitalier universitaire (CHU) m’a sauvé la vie. Pour cette raison, en 2001, je me suis consacré, dans le cadre de mes activités politiques, à la santé, devenant presque un référent en la matière. J’ajoute ce « presque » par humilité. J’ai été président de la fédération hospitalière de Guadeloupe pendant onze ans, et président de l’hôpital gériatrique des Abymes. J’ai ordonné sa construction en 2002, dès mon arrivée au conseil général, dix ans environ après l’achat du terrain, décidé là encore par le département.

Pendant toutes ces années, j’ai été membre des commissions dédiées à la santé et au sport. Je ne me suis pas une seule fois mêlé, de près ou de loin, aux commissions thématiques en lien avec ma profession, parmi lesquelles j’inclus les commissions traitant d’eau ou d’assainissement. En tant qu’élu, j’ai bien sûr participé aux délibérations. Je n’ai pas non plus pris la parole en public sur ces sujets, me refusant à tout mélange des genres.

Il s’en est fallu de peu que, candidat malheureux aux législatives en 2007, je sois élu sénateur en 2011. Mon élection au sénat remonte à septembre 2017.

J’ai eu vent des allégations proférées par M. Lurel dans le cadre de sa campagne. À vrai dire, cet homme est toujours en campagne. Je le considère comme quelqu’un de malfaisant. La vidéo de son audition montre un homme très embarrassé, grincheux, méchant. Il voulait en découdre. Nous le connaissons en Guadeloupe. Je n’en dirai pas plus. Il suffit d’interroger les Guadeloupéens sur ses façons de procéder.

Il a déclaré : « M. Théophile a bénéficié d’un golden hello (parachute doré) de 250 000 euros le 17 septembre quand il a été élu sénateur ». J’ai signé ma rupture conventionnelle en avril 2017, dans le cadre d’un accord d’entreprise, document de référence pour les syndicats et tout le personnel. Je suis resté trente-cinq ans et demi dans la même entreprise, malgré ses changements de nom successifs, puisque Socea est devenue Sobea, Sogea, puis la Générale des eaux, rattachée au groupe Vivendi, puis à Veolia. Les indemnités versées dans le cadre d’une rupture conventionnelle dépendent de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et de son salaire de base. À partir de là, les barèmes fixés par l’entreprise s’appliquent à tout le monde.

M. Lurel me semble transporter un container de casseroles et vouloir faire du covoiturage. Je l’ai regardé avec peine.

Mme la présidente Mathilde Panot. Avez-vous toujours des intérêts chez Veolia ou toute autre entreprise œuvrant dans le domaine de l’eau ?

M. Dominique Théophile. En dehors de mon travail, je n’ai eu aucun contact ni aucune attache avec la question. Depuis mon départ de la Générale des eaux, je n’entretiens plus aucun lien avec cette entreprise.

Assumer un mandat de député ou de sénateur interdit de toute façon de rester salarié d’une entreprise privée.

Je ne possède pas d’actions de Veolia ni d’aucune autre entreprise gestionnaire de l’eau.

Mme la présidente Mathilde Panot. Pourquoi avoir donné votre pouvoir, au sein du conseil de la communauté d’agglomération de Cap Excellence, à Mme Renée-Georges Nabajoth Deloumeaux, lors du vote, le 13 février 2015, de la délibération intitulée « règlement des entreprises ayant travaillé pour le Syndicat intercommunal dalimentation en eau et dassainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) dans le cadre du transfert du service des eaux de Baie-Mahault à la communauté d’agglomération de Cap Excellence » ?

Mme Nabajoth Deloumeaux a voté en faveur de la clause de non-poursuite réciproque des deux parties, à savoir la Générale des eaux, et Cap Excellence. Pourquoi ne pas vous être plutôt déporté ?

M. Dominique Théophile. Je pense qu’il y a un problème de date. Il me semble que la délibération sur la clause de non-poursuite réciproque, ou plutôt sur le protocole d’accord, remonte à décembre, bien que je n’aie pas les documents sous les yeux.

D’une manière générale, je ne suis pas un professionnel de la politique. Sans doute, le 13 février 2015, d’autres délibérations étaient-elles prévues à l’ordre du jour. Habituellement, mécaniquement, quand je ne pouvais pas assister aux délibérations, je donnais procuration à quelqu’un de ma connaissance. Mme Nabajoth compte parmi mes amies, c’est une ancienne collègue, à ce moment-là déjà partie à la retraite.

Je ne crois pas que ma voix ait changé quoi que ce soit à ces délibérations, votées à l’unanimité, moins une ou deux abstentions, ou deux ou trois voix contre, sur les trente à quarante-cinq personnes présentes.

Mme la présidente Mathilde Panot. Ne pensez-vous pas que vous auriez tout de même dû vous déporter sur ces questions ?

M. Dominique Théophile. Je n’avais pas tout cela à l’esprit. Les délibérations à la date que vous citez, et dont je ne me rappelle plus, portaient sur d’autres sujets. Ne pouvant pas y assister, j’ai mécaniquement donné ma procuration à Mme Nabajoth. Bien que conseiller départemental à l’époque, je n’avais pas fait de la politique ma profession et je n’appartenais pas à la majorité du conseil de Cap Excellence. Je ne pense pas que ce que vous évoquez ait eu une quelconque incidence sur le résultat du vote.

Mme la présidente Mathilde Panot. Pourquoi, en tant qu’élu, avoir accepté une clause de non-poursuite en justice entre les deux parties ?

M. Dominique Théophile. Le départ de la Générale des eaux a donné naissance à la régie Eau d’excellence. Dans le cadre de leur contrat, les dirigeants de la Générale des eaux, dont je ne fais pas partie, ont dû s’accorder ensemble sur la décision de quitter la Guadeloupe. Le personnel tout entier a eu connaissance des discussions, qui ont abouti à un règlement amiable.

La régie des eaux échappait à mon périmètre d’employé de la Générale des eaux, puisqu’il s’agit d’une structure autonome, employant son propre personnel et tenant sa propre comptabilité. Elle détenait en outre un compte bancaire distinct de celui de la Générale des eaux. Je ne m’occupais pas, à mon poste, du contrôle de gestion de la régie qui liait la Générale des eaux à Cap Excellence.

Le protocole d’accord a dû résulter de négociations. Mon vote par procuration n’a rien changé à l’issue des délibérations. Il faudrait regarder de plus près les voix qui se sont exprimées, pour ou contre.

Mme la présidente Mathilde Panot. La délibération a été approuvée à l’unanimité moins une abstention, celle de M. Serva.

Pourquoi avez-vous voté pour cette clause de non-poursuite en justice entre les deux parties ?

M. Dominique Théophile. Cette clause nous a été présentée comme le fruit d’un accord conclu entre les dirigeants de la Générale des eaux et de Cap Excellence. Les commissions thématiques de la communauté d’agglomération qui se consacraient à l’eau avaient mené un travail sur ce sujet.

Je ne voyais aucun inconvénient au fait d’accompagner l’expression de la majorité. Cet accord amiable a résulté d’allées et venues entre les deux parties, où sont intervenus leurs avocats. Il a en tout cas permis de reprendre la main sur l’eau dans ma communauté d’agglomération. La régie Eau d’excellence, créée à cette occasion, fonctionne d’ailleurs un peu mieux que les autres structures de l’eau en Guadeloupe qui, pour la plupart, ne fonctionnent pas.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous nous avez décrit votre parcours exemplaire, au terme duquel vous êtes devenu contrôleur de gestion à la Générale des eaux. Aviez-vous accès à ses résultats financiers ?

M. Dominique Théophile. Comme toutes les grandes entreprises, la Générale des eaux organisait la remontée de ses résultats au siège du groupe, puisque ceux-ci participaient à sa notation.

Entre 2008 et mon départ, avant l’exercice 2017, la Générale des eaux n’a pas engrangé de bénéfices. Les documents que j’ai eus en main l’attestaient. Elle rencontrait alors des tracas, à propos du rendement des réseaux et de changements de contrats, qui ont probablement accéléré son départ. Ses dirigeants pourraient analyser plus finement la situation d’alors. Entre 2008 et 2016, les déficits de la Générale des eaux oscillaient entre 3 et 28 millions d’euros.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous rappelez-vous quels ont été les résultats de la Générale des eaux, durant cette période, avant et après frais de siège ?

M. Dominique Théophile. Ils étaient déficitaires dans tous les cas. Les frais de siège n’ont pas infléchi le sens des résultats.

M. Olivier Serva, rapporteur. Avez-vous eu connaissance des résultats de la Générale des eaux avant le changement de son contrat avec le SIAEAG ?

M. Dominique Théophile. Un premier changement de ce contrat date de 2008. De 2008 à 2014, la Générale des eaux a été détentrice d’un marché public et non plus d’une délégation de service public (DSP). À partir de 2014, des avenants ont été ajoutés au contrat de marché public, suite à des accords entre le SIAEAG et les dirigeants de la Générale des eaux, amorçant son départ.

Le dernier résultat positif de cette société remonte à 2006. Je n’ai pas en tête le montant exact. L’année suivante, l’équilibre a dû être atteint.

M. Olivier Serva, rapporteur. Considérez-vous que les résultats de la Générale des eaux ont été plutôt bénéficiaires ou déficitaires, ou encore en dents de scie, entre son arrivée en Guadeloupe et 2006 ?

M. Dominique Théophile. Dans les années 1980 et jusqu’à la moitié des années 2000, la Générale des eaux, en cela atypique, s’occupait de multiples activités. À un moment donné, elle a compté jusqu’à 500 employés, dont 450 Guadeloupéens. Elle a joué un rôle d’amortisseur social et a dû plus tard reclasser 380 personnes.

Quand Jean-Marie Messier a pris les commandes de la Générale des eaux par l’intermédiaire de Vivendi, il a voulu qu’elle se recentre sur son cœur de métier, c’est-à-dire l’eau, au détriment des travaux et de la construction de maisons individuelles. Elle dégageait alors des excédents, puisque, vers le milieu des années 1980, le chiffre d’affaires des travaux dépassait celui de l’eau. Si certains contrats étaient bénéficiaires, d’autres encaissaient cependant des pertes.

M. Olivier Serva, rapporteur. Avez-vous eu connaissance des résultats concernant l’eau, avant 2006 ?

M. Dominique Théophile. Je n’ai eu connaissance que des résultats globaux. Je suis maintenant libre de m’exprimer sur le sujet de l’eau. J’ai même été co-auteur de la proposition de loi, devenue la loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe.’’ Les contrats jadis déficitaires portaient sur les zones géographiques qui souffrent aujourd’hui de problèmes d’eau. La présence de surpresseurs dans certaines zones impacte la rentabilité du contrat. Dans certains contrats, quand le rendement des canalisations était inférieur à 30 %, les achats d’eau dépassaient les ventes. Sans même parler des frais de personnel, la marge commerciale était déjà, en soi, déficitaire. Dans la zone des Grands Fonds, un petit contrat rattaché à la commune des Abymes, portant sur Boisvin et Caraque, était ainsi largement déficitaire.

M. Olivier Serva, rapporteur. À quoi attribuez-vous les déficits, à partir de 2006 ? Selon vous, jusqu’à cette année-là, les résultats de la partie eau étaient globalement bénéficiaires, malgré les déficits sur certains contrats.

M. Dominique Théophile. Je pense qu’un effet ciseaux s’est produit. Les premières canalisations ont été posées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1948. La durée de vie moyenne d’une canalisation ne dépassant pas cinquante ans, un demi-siècle plus tard, le rendement du réseau a commencé à se dégrader. Il conviendrait aussi de prendre en compte les dates de construction de nouvelles usines ou de réparations d’usines plus anciennes.

La Guadeloupe est capable de produire en moyenne 7 000 mètres cubes d’eau par habitant, contre 3 000 en Europe. Seulement, 6 ou 7 métiers interviennent dans la production d’eau. Celle-ci a un coût. Or lorsque l’eau n’arrive pas aux usagers, il en résulte une perte. Les 90 millions d’euros que coûte la production d’eau ne sont dès lors plus compensés par les 40 millions d’euros obtenus grâce à sa vente.

La dégradation des réseaux est survenue progressivement. Une bonne gestion de l’eau implique une vision à long terme. Se contenter de colmater les fuites pour parer au plus pressé s’avère une erreur.

M. Olivier Serva, rapporteur. Qui était responsable des grosses réparations des tuyaux et des installations ?

M. Dominique Théophile. La réponse se trouve dans les textes. L’entretien du réseau incombe au fermier et l’investissement dans son renouvellement, à la collectivité, du moins dans le cadre de la réglementation en vigueur. Au-delà de ces principes généraux de toute DSP, il convient de se reporter aux contrats. Or qui dit « contrat », dit « contrôle ». Il ne faut pas passer à côté de l’évaluation du délégataire.

M. Olivier Serva, rapporteur. Les grosses réparations relevaient donc de la responsabilité des collectivités locales.

M. Dominique Théophile. L’entretien est en principe à la charge du fermier ou de l’opérateur, en fonction du contrat, d’affermage ou de marché public. À la DSP a succédé un marché public conclu par la Générale des eaux avec le SIAEAG. Pour la première fois, les factures ont été établies selon les termes du contrat et ce qui était réalisé ou non.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous avez qualifié M. Lurel de « malfaisant ». Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ?

M. Dominique Théophile. Quelqu’un qui mérite le qualificatif de malfaisant cherche à nuire et à causer du tort, en lâchant des boules puantes avant de se sauver en courant.

M. Lurel a toutefois dit la vérité à propos de ses amis. J’ai senti un acharnement de sa part.

Il a sciemment relayé des on-dit sans avoir connaissance des faits qu’il rapportait. Un citoyen l’entendant déclarer que « M. Théophile a perçu un golden hello » pensera que j’ai été payé lorsque je suis devenu sénateur. J’ai été licencié dans le cadre d’une convention collective. J’ai dû me rendre à Pôle emploi. Je n’ai pas perçu d’indemnité de chômage, parce qu’il faut attendre six mois pour en toucher à la suite d’une rupture conventionnelle. Comme je suis entre-temps devenu sénateur, ces indemnités ne m’ont jamais été versées puisque, sitôt élu, je me suis moi-même rayé de la liste des demandeurs d’emploi.

Mme la présidente Mathilde Panot. Je rectifie ce que j’ai dit tout à l’heure. Vous aviez raison. C’était effectivement le 23 décembre 2015 qu’a été voté, à la communauté d’agglomération Cap Excellence, le protocole transactionnel, avec 30 voix pour, dont la vôtre, puisque vous étiez présent ce jour-là et non représenté, 7 abstentions, dont M. Serva, et 3 voix contre.

L’article 8 de ce protocole, intitulé « renonciation à recours », indiquait que « la collectivité renonce à exercer toute action, de quelque nature qu’elle soit, y compris contentieuse, contre le délégataire ».

M. Dominique Théophile. Merci pour cette rectification. Mon périmètre professionnel ne s’étendait pas à la régie, qui ne m’employait d’ailleurs pas. Je ne faisais donc pas partie du personnel directement concerné par la délibération. La Générale des eaux percevait une rémunération pour la régie.

J’ajoute que cette délibération a permis la création d’Eau d’excellence et la reprise en main de la gestion de l’eau par la communauté d’agglomération.

Le protocole a résulté de longs mois de discussions avec les dirigeants de la Générale des eaux et les responsables de Cap Excellence.

Je me suis contenté d’accompagner la volonté de tous ceux qui, majoritairement, souhaitaient entériner l’accord.

Mme la présidente Mathilde Panot. Ne vous semble-t-il tout de même pas qu’en tant que salarié de la Générale des eaux, vous avez alors voté pour un accord très favorable à cette société ?

M. Dominique Théophile. Cap Excellence me paraît la collectivité la mieux outillée en matière d’ingénierie, du fait des experts dont elle dispose. Je ne pense pas que les dirigeants de Cap Excellence aient défendu un intérêt contraire à la collectivité, puisque l’eau est un bien public. Je crois sincèrement qu’ils sont parvenus avec la Générale des eaux à un accord d’où tous sortaient gagnants.

La décision leur appartenait en tout cas. Ce n’est pas à moi d’en juger. Je juge simplement qu’elle nous a permis de reprendre la main sur la gestion de l’eau et d’avancer. Si j’avais eu la moindre responsabilité dans cet accord, j’aurais défendu l’intérêt public. Si, jusqu’ici, cet accord n’a pas soulevé de problème, c’est que les deux parties y ont trouvé leur compte.

La clause de non-poursuite sur laquelle vous insistez n’est pas une première du genre. N’importe quel citoyen avait l’opportunité de la critiquer, puisque tous les citoyens ont la possibilité de critiquer les délibérations du conseil d’une communauté d’agglomération.

Mme la présidente Mathilde Panot. Pourquoi Veolia a-t-elle quitté la Guadeloupe ?

M. Dominique Théophile. Plusieurs facteurs expliquent son départ. Nous avons déjà parlé du rendement des réseaux. Comme toute entreprise privée, quelle que soit sa taille, Veolia avait l’œil sur ses pertes et ses gains. Après des années de déficits, elle a estimé que la situation ne pouvait pas s’arranger, puisque les investissements nécessaires, du ressort des collectivités, n’étaient pas à la hauteur des besoins, comme l’indiquaient les comptes rendus techniques annuels.

Il faudrait interroger les ingénieurs chargés de leur rédaction. J’entendais en tout cas, chaque année, dans les couloirs, dire qu’ils devaient être terminés pour le 30 juin. Ces comptes rendus récapitulent les incidents et problèmes techniques survenus dans le cadre des différents contrats afin de permettre à la collectivité délégante de prendre les décisions qui s’imposent.

Veolia a dû estimer la situation tellement catastrophique, étant donné l’impossibilité d’équilibrer ses comptes, malgré ses relances, qu’elle a préparé sa sortie. Aucune loi n’impose à une entreprise privée de prolonger ou renouveler ses contrats. Par ailleurs, il est arrivé à la Générale des eaux de perdre certains de ses contrats.

Mme la présidente Mathilde Panot. Quels contrats la Générale des eaux a-t-elle perdus en Guadeloupe ?

M. Dominique Théophile. Celui de l’eau d’irrigation et celui de Marie-Galante, en 2005 ou 2006, à peu près.

Vers 1982, la Nantaise des eaux n’existait pas, mais la Lyonnaise des eaux intervenait déjà dans le même domaine que la Sogea. Ces grosses entreprises se respectaient et se partageaient les territoires. Puis, les choses ont beaucoup évolué. Nous avons assisté à un retour des collectivités aux régies internes, qui a placé ces sociétés dans une situation de forte concurrence. Certaines se sont morcelées.

La Nantaise des eaux a récupéré la gestion de l’eau d’irrigation, et il me semble qu’elle a ensuite racheté la société ayant hérité de la gestion de l’eau à Marie-Galante.

Mme la présidente Mathilde Panot. À combien s’élevaient les marges de la Générale des eaux Guadeloupe ?

M. Dominique Théophile. Vous avez reçu les dirigeants de Veolia. Ils me semblent mieux placés que moi pour vous communiquer les montants exacts, que je n’ai pas en tête. Jusqu’en 2006, une marge de profit a été dégagée, mais il n’en a plus été ainsi de 2008 à 2016.

Mme la présidente Mathilde Panot. En savez-vous plus sur les profits transférés, le cas échéant, à la maison mère ?

M. Dominique Théophile. Les profits réalisés par les agences ou les antennes d’une multinationale remontent au siège, qui annonce alors ses résultats, en fonction de ceux de toutes ses filiales.

Le siège à Paris envoyait de l’argent pour payer les 24 à 25 millions d’euros de masse salariale annuels de la Générale des eaux Guadeloupe, moyennant des frais financiers. Compte tenu du taux d’impayés en Guadeloupe, que vous connaissez, des appels de fonds ont eu lieu. À partir de 2007, les frais financiers ont beaucoup augmenté, malgré leur taux bas.

Mme la présidente Mathilde Panot. Entre 2006 et votre départ en 2016, aucun bénéfice n’est revenu à la maison mère ?

M. Dominique Théophile. C’est ce que je suppose, puisque je n’ai pas connu de résultat bénéficiaire entre 2007 et 2016.

 

La réunion se termine à quinze heures cinquante-cinq.