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N° 407

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2017.

PROPOSITION DE LOI

relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Valérie BOYER,

députée.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, une femme meurt encore tous les 2,7 jours victime de son conjoint, soit 134 femmes en 2014, et près de 1 260 femmes assassinées depuis 2006 ([1]). Près d’un meurtre sur cinq résulte de violences au sein de couples et environ 223 000 femmes de 18 à 75 ans subissent des violences physiques et sexuelles de la part de leur ancien ou actuel partenaire, selon une moyenne établie par l’Insee pour les années 2010 à 2015.

En effet, chaque année, en moyenne, parmi les 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans qui sont victimes de viols ou de tentatives de viol, on estime que, dans 90 % des cas, ces actes ont été perpétrés par une personne connue de la victime et que dans 37 % des cas, c’est le conjoint qui est l’auteur des faits.

D’ailleurs il est important de préciser que 80 % des viols seraient déqualifiés en délits. Selon certains juristes, l’attente pour être jugé en cour d’assises serait trop longue, la solennité de la cour d’assises serait difficile à supporter pour des victimes fragiles, les jurés étant moins compétents que des magistrats, les verdicts y seraient aléatoires et le les dommages et intérêts que perçoivent les victimes seraient équivalents.

À l’heure où le Gouvernement cherche à pénaliser le harcèlement de rue, nous ne pouvons tolérer une réparation « low‑cost » de ces crimes sexuels.

Par ailleurs, si les femmes sont les premières touchées par les violences conjugales, elles ne sont pas les seules victimes : en 2014, 25 hommes et 35 enfants sont morts dans le cadre de violences au sein du couple, 110 enfants sont devenus orphelins de mère et/ou de père, et plus de 140 000 mineurs vivent dans une famille où une femme est victime de violences, entraînant de profonds traumatismes pour ces enfants témoins.

Que ce soit à travers des insultes, des critiques incessantes, des remarques désobligeantes, des comportements de mépris, d’avilissement ou d’asservissement de l’autre, toutes les attaques qui touchent l’intégrité psychique de la partenaire sont, en fait, des actes de torture mentale qui privent ces femmes de toute estime d’elles‑mêmes.

De par ces agissements, le conjoint dit « violent » porte atteinte au principe de respect de la dignité de la personne humaine. Bien souvent, ce phénomène s’inscrit dans la durée à travers un processus de répétition de violences à la fois psychiques et physiques qui positionnent la femme en situation de faiblesse l’isolant du reste du monde. La victime devient alors prisonnière de cette situation qu’elle subit.

Aujourd’hui, rares sont les cas dans lesquels la victime de violences conjugales arrive à se défaire de l’emprise exercée sur elle par son bourreau. En effet, ces victimes ne portent que trop rarement plainte ([2]).

Cet état de soumission et de « danger de mort permanent » vécu pendant des années, peut entrainer un comportement extrême : suicide ou homicide conjugale.

L’affaire « Jacqueline Sauvage » avait ému la France. En octobre 2014, elle avait été condamnée à dix ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son mari violent.

Dès lors, les élans de solidarité auprès de Jacqueline Sauvage et de sa famille s’étaient multipliés : pétition en ligne qui a rassemblé plus de 160 000 signatures, manifestations de soutien, demande de grâce présidentielle rédigée par les filles de Mme Sauvage ainsi que le soutien de nombreux parlementaires qui ont abouti à « une remise gracieuse de peine » puis à sa libération le 28 décembre 2016.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de délivrer ce que certains appellent un « permis de tuer » mais nous devons nous appuyer sur un état particulier dit SFB ([3]) entraîné par la répétition des violences et le climat de danger de mort constant et imminent. Il s’agit plus précisément pour le juge d’analyser l’existence de post‑traumatisme de la femme violentée lors du passage à l’acte.

Issue du rapport d’information du député Guy Geoffroy ([4]), la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et à leurs incidences sur les enfants a prévu, comme mesure centrale, la création de l’ordonnance de protection. Rendue par le juge aux affaires familiales (JAF), celle‑ci vise à fournir un cadre d’ensemble aux femmes victimes de violences. La liste des mesures que peut prendre le JAF sur le fondement de l’article 515‑11 du code civil est particulièrement complète.

Outre la création de l’ordonnance de protection, la loi du 9 juillet 2010 a introduit de nouvelles dispositions pénales transcrivant la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de violences. Désormais, « les violences (….) sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ».

Malheureusement les chiffres des homicides conjugaux sont encore élevés et doivent nécessairement amener à une remise en cause de notre législation.

Tel est l’enjeu de cette proposition de loi à travers plusieurs articles.

L’article 1er prévoit de préciser au sein du code pénal, la notion de « violences » en définissant ses différentes natures comme le prévoit la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

En effet, l’article 3 de ladite Convention du Conseil de l’Europe définit ces violences comme des « actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ».

L’article 2 assure une continuité du code pénal dans le code civil, en précisant également la notion de « violences ».

L’article 3 envisage l’exercice du droit de visite dans un espace de rencontre spécialement désigné à cet effet lorsqu’il existe un contexte de violences entre les parents.

L’article 4 instaure un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour la personne qui était atteinte, au moment des faits, en raison de la répétition de violences conjugales, d’un trouble psychique ou neuropsychique, ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes. Le recours à une expertise psychiatrique est ici obligatoire.

Afin d’avoir des statistiques et des données fiables, l’article 5 prévoit que le Gouvernement remette, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport au Parlement sur l’efficacité des mesures de protection prévues par la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 et sur l’expérimentation du dispositif de protection électronique des victimes de violences conjugales prévue par la loi n° 2017‑258 du 28 février 2017.

En effet, bien que la loi du 9 juillet 2010 prévoie la mise en place d’un dispositif d’expérimentation de protection électronique des victimes de violences conjugales, ce dernier n’a jamais été effectif.

C’est ce que propose, à nouveau, de mettre en place la loi du 28 février 2017.

Enfin, dans le cadre d’une future réforme de la justice familiale et pénale cet article envisage également que le rapport consacre une partie sur l’efficacité d’une juridiction spécialisée qui permettrait un traitement minutieux et particulier, de tous les dossiers comportant des allégations de violences domestiques sur les personnes et les enfants, avec des intervenants judiciaires, magistrats, experts, médecins, assistantes sociales, enquêteurs sociaux, éducateurs expressément formés aux systèmes de domination, de perversion et de violence sur les personnes.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article 222‑14‑3 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 222143. – Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature : physique, psychologique, morale, économique ».

Article 2

L’article 515‑9 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les violences mentionnées par le premier alinéa sont celles mentionnées par l’article 222‑14‑3 du code pénal ».

Article 3

Au sixième alinéa de l’article 515‑11, après le mot : « solidarité » sont insérés les mots : « sur l’application du quatrième alinéa de l’article 373‑2‑9 pour le droit de visite de la partie défenderesse ».

Article 4

Après l’article 122‑1 du code pénal, il est inséré un article 122‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. 12211. – N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, en raison de la répétition de violences conjugales, d’un trouble psychique ou neuropsychique, ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes ».

« La personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits ».

Article 5

Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement qui étudie l’efficacité du dispositif de l’ordonnance de protection prévu par la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010, sur l’expérimentation du dispositif de protection électronique des victimes de violences conjugales prévue par la loi n° 2017‑258 du 28 février 2017 et sur la création d’une juridiction spécialisée.

Article 6

La charge qui pourrait résulter de la présente proposition de loi pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création de taxes additionnelles aux droits prévus aux articles 375 et 375 A du code général des impôts.


([1]) Ministère de lintérieur, délégation aux victimes (DAV), 20062014

([2]) 14 % en cas de violences conjugales, 10 % en cas de viols

([3]) Syndrome de la Femme Battue

([4]) Rapport d’information n° 1799, publié le 7 juillet 2009.