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N° 1008

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2018.

PROPOSITION DE LOI

visant à empêcher l’achat de terres agricoles
par des investisseurs étrangers,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Guillaume PELTIER, Olivier MARLEIX, JeanMarie SERMIER, JeanPierre DOOR, Emmanuel MAQUET, Michel VIALAY, Jacques CATTIN, JeanLouis MASSON, Marc LE FUR, Patrice VERCHÈRE, Valérie BOYER, Antoine SAVIGNAT, Sébastien LECLERC, Fabien DI FILIPPO, Annie GENEVARD, Nathalie BASSIRE, Arnaud VIALA, Valérie LACROUTE, Nicolas FORISSIER, Franck MARLIN, Philippe GOSSELIN, Martial SADDIER, JeanLuc REITZER, Bernard REYNÈS, Stéphane VIRY, Laurence TRASTOURISNART, David LORION, Raphaël SCHELLENBERGER, Valérie BEAUVAIS, Laurent FURST,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2015, la France comptait 28,7 millions d’hectares de terres agricoles, contre 34,5 millions d’hectares en 1960. En un demi‑siècle, notre pays a donc perdu près de 6 millions d’hectares, soit l’équivalent de la surface de la région Grand Est. Par ailleurs, entre 2006 et 2016, la part des terres agricoles détenues non par des agriculteurs mais par des sociétés est passée d’une proportion quasi‑nulle à un peu moins de 20 %.

Depuis quelques années, il s’agit d’une recrudescence d’achat de la part d’investisseurs étrangers, notamment asiatiques. Ainsi, récemment, le conglomérat chinois Reward Group a racheté « environ 3 000 hectares » de terres en France pour y cultiver du blé bio. Une coopérative française lui fournit la farine dont il a besoin pour son projet d’une chaîne de boulangeries en Chine. En 2016, le groupe China Hongyang, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation d’équipements pour les stations‑service et l’industrie pétrolière a également acquis 1 700 hectares de terres agricoles dans le département de l’Indre.

La France n’est pas le seul pays développé qui suscite les intérêts des investisseurs chinois. L’Australie et les États‑Unis font face aux mêmes menaces, d’autant que le China’s State Council (Conseil des affaires d’État de la Chine) a publié en août 2017 de nouvelles indications d’investissement aux entreprises chinoises. Celles‑ci sont aujourd’hui vivement encouragées à investir dans les infrastructures et surtout l’agriculture afin de réduire la dépendance de leur pays à l’encontre des importations de produits alimentaires. La Chine ne dispose en effet que de 9 % des terres arables mondiales pour nourrir 18 % de la population mondiale. Aux États‑Unis, les Chinois détiennent aujourd’hui 1 million d’hectares tandis qu’en Australie, où 14,1 % des terres agricoles appartiennent à des investisseurs étrangers, les achats des terres agricoles par les Chinois ont été multipliés par 10 en 2017 et concernent désormais 14,4 millions d’hectares.

L’accaparement des propriétés foncières agricoles soulève deux problèmes :

– Le prix d’achat, souvent 4 à 5 fois supérieur au prix du marché, menace les capacités d’accès au foncier des jeunes agriculteurs en surévaluant les prix des terres. En effet, outre la dépossession des terres, l’accaparement du foncier par les investisseurs engendre une augmentation des prix induite par la spéculation, lié à la financiarisation accélérée de l’agriculture française ;

– L’indépendance alimentaire du pays est à terme menacée puisque ces terres sont vouées à ne servir qu’à l’exportation, comme dans les trois exemples chinois sus‑cités. Le magnat chinois des produits d’entretien, Hu Keqin, qui a acheté des milliers d’hectares dans le centre de la France, dans l’Indre, puis dans l’Allier, souhaite produire du blé pour fabriquer et vendre du pain français à la classe moyenne chinoise.

Face au phénomène d’accaparement des terres agricoles, le Président de la République a assuré en février que celles‑ci étaient des « investissements sensibles et stratégiques » auquel il allait apporter des « verrous réglementaires », car on « ne peut pas laisser des centaines dhectares rachetés par des puissances étrangères sans quon sache la finalité de ces rachats ».

Il est dès lors impératif de renforcer le contrôle public sur les transactions de terres. L’outil des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) semble à cet égard pertinent. Créées en 1960 pour permettre aux pouvoirs publics d’avoir un regard sur les transactions de terres, les SAFER disposaient de peu de moyens pour réguler ces opérations, mais leurs capacités sont progressivement renforcées, principalement par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 qui prévoit une obligation d’information sur l’ensemble des transactions, une extension du droit de préemption et introduit des sanctions.

De nombreux élus, de différentes sensibilités, ont travaillé sur le sujet des achats de terres agricoles, dont notamment Olivier Marleix, député Les Républicains d’Eure‑et‑Loir, mais également les députés socialistes Olivier Faure et Dominique Potier.

Ces derniers ont été les auteurs, l’année dernière, d’une loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, adoptée le 15 février 2017, qui prévoyait l’extension du droit de préemption des SAFER aux cessions partielles de parts de sociétés agricoles. Cependant, une partie de la loi (notamment l’article 3, sur les cessions partielles de parts) a été retoquée par le Conseil constitutionnel qui a jugé que celle‑ci portait atteinte « au droit de propriété » et à la « liberté dentreprendre et la liberté contractuelle ». Le problème reste donc entier : la vente de parts sociales d’une entreprise agricole, donc son changement de propriétaire effectif, échappe au contrôle des SAFER.

Il convient donc de compléter notre dispositif en permettant à l’échelon national de contrôler, afin de bloquer, au besoin, les rachats de foncier agricole par des investisseurs étrangers. Le décret n° 2014‑479 du 14 mai 2014, dit « décret Montebourg », oblige les investisseurs étrangers à obtenir, pour certains secteurs sensibles, une autorisation préalable de Bercy avant achat, généralement accordée en contrepartie d’engagements. En février 2018, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé que ce décret sera étendu aux secteurs de l’intelligence artificielle, du spatial, du stockage des données, aux semi‑conducteurs et aux infrastructures financières, sans aucune mention du foncier agricole, malgré les revendications du monde agricole en ce sens.

Cette proposition de loi vise donc à remédier à cette situation par l’intermédiaire de deux articles :

L’article 1 prévoit d’inclure le foncier agricole dans la catégorie des « secteurs sensibles » du décret Montebourg, afin de permettre aux pouvoirs publics de contrôler, et, le cas échéant, d’empêcher l’acquisition de terres agricoles par des investisseurs étrangers. Cela passe par une modification du cadre législatif (article L. 151‑3 du code monétaire et financier) qui prévoit un tel contrôle réglementaire et définit son champ d’action.

L’article 2 favorise l’achat de ces terres par des agriculteurs locaux. À ce titre, un des objectifs de la politique d’aménagement rural (listés à l’article L. 111‑2 du code rural et de la pêche maritime) doit être de favoriser l’accès à la propriété des jeunes agriculteurs en luttant contre la spéculation agricole.

 


proposition de loi

Article 1er

Après le troisième alinéa de l’article L. 151‑3 du code monétaire et financier, il est inséré un c) ainsi rédigé :

« c) Activités de nature à porter atteinte à la sécurité et à l’indépendance alimentaire de la France. »

Article 2

L’article L. 111‑2 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 11° Assurer l’équité dans l’accès à la propriété des terres agricoles, notamment à l’encontre des jeunes agriculteurs, en luttant contre la spéculation sur le foncier agricole. ».