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N° 1022

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2018.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à constitutionnaliser les principes fondamentaux
de la bioéthique,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale
de la République, à défaut de constitution dune commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Gilbert COLLARD,

député.

 

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Durant ces cinquante dernières années, la recherche biomédicale a connu des progrès spectaculaires ; lesquels ne vont sans poser des problèmes éthiques particulièrement préoccupants, qu’il s’agisse de la conception assistée de l’être humain, de la surveillance du fœtus, des greffes d’organes, des examens génétiques ou de la thérapie germinale.

Il n’est pas question ici d’imposer un carcan aux techniques ainsi qu’aux perspectives qu’ouvriront demain les progrès constants des biotechnologies : guérison totale des cancers, traitement des plus graves maladies génétiques ou auto‑immunes.

Il a cependant semblé nécessaire que la présente proposition de loi constitutionnelle grave dans notre Loi fondamentale un certain nombre de principes intangibles qui placent le respect du corps humain à un niveau supérieur à celui de la législation ordinaire. C’est dans ce but qu’il vous est aujourd’hui proposé de transcrire mot pour mot deux articles figurant aujourd’hui dans notre code civil, afin d’assurer pleinement leur intangibilité.

En effet, les quatre phrases dont l’inscription dans la Constitution vous est aujourd’hui proposée ont été introduites dans notre code civil par les articles nouveaux 16 et 16–1, depuis vingt‑quatre ans déjà par l’article 2 de la loi n° 94–653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Et les travaux parlementaires qui ont conduit à la rédaction de ces dispositions législatives inchangées à ce jour, montrent à quel point la représentation nationale a souhaité dès cette époque mettre en avant certains principes fondamentaux de notre bioéthique.

La nécessité de légiférer sur la bioéthique était apparue après la révélation des pseudos expérimentations médicales nazies. Le code de Nuremberg adopté en 1947 posait comme principe suprême le consentement éclairé de l’individu.

Cependant, jusqu’en 1994, le droit français a été régi par des règles éparses.

C’est la raison pour laquelle les premières normes sont d’origine jurisprudentielle.

Les limites de l’inviolabilité du corps humain ont été fixées par un arrêt de la Cour de cassation du 27 octobre 1953.

La non commercialisation du corps humain et l’interdiction des conventions de portage d’un enfant trouvent leur source dans les jurisprudences diverses et parfois fluctuantes : arrêt du Conseil d’État du 22 janvier 1988 ; jugement du TGI de Marseille du 16 décembre 1987 ; arrêt de la Cour de cassation du 31 mars 1991.

De même, en matière législative, des textes successifs, relevant plutôt du code de la santé publique, avaient été promulgués entre 1949 et 1991 ; et ce dès que les progrès de la médecine ont amené à s’interroger quant aux règles éthiques régissant les greffes, le don de sang, le diagnostic prénatal ou la procréation médicalement assistée.

Telles sont les raisons pour lesquelles le gouvernement de Mme Édith Cresson déposa le 25 mars 1992 un projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, regroupant les grands principes de la bioéthique. Ce texte avait pour principale ambition de fixer dans le code civil « les principes généraux qui fondent le statut juridique du corps humain pour assurer le respect de la dignité de la personne et protéger l’intégrité du patrimoine génétique et, à travers lui, l’espèce humaine ». Le gouvernement, tout comme le Parlement, estimaient à juste titre que ce texte devrait être inclus dans le code civil, c’est‑à‑dire le plus ancien pilier des droits de la personne.

On pourra noter que le projet de loi initial insérait le texte à l’article 17 du code civil. Mais dans l’intervalle, cette numérotation disponible avait été préemptée par l’insertion du code de la nationalité. Telle est la raison pour laquelle la loi sur la bioéthique fut insérée dans un autre article vacant du code civil, à savoir l’article 16 abrogé par la loi du 9 juillet 1975 portant réforme de la procédure civile.

Dans l’esprit de ses auteurs, la loi n° 94–653 avaient vocation à être une « loi‑cadre » destinée à inscrire des principes intangibles relatifs au respect du corps humain.

D’ailleurs parallèlement, le Parlement était saisi de deux autres projets relatifs à la bioéthique : d’une part un projet de loi relatif au traitement des données nominatives ayant pour finalité la recherche dans le domaine de la santé, dont le texte a été promulgué le 1er juillet 1994 ; et d’autre part un projet de loi relatif à la PMA et au diagnostic prénatal, à savoir la loi n° 94‑654 promulguée le 29 juillet 1994.

C’est la raison pour laquelle, lors de la première lecture devant l’Assemblée nationale, un député, M. Jacques Toubon proposa de mettre en tête des nouvelles dispositions adjointes au code civil un article 16 « frontispice », ainsi rédigé : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle‑ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». C’est cet article, voté conforme tout au long de la procédure parlementaire que le déposant vous propose de constitutionnaliser, afin d’en assurer l’intangibilité.

C’est dans ce même but que l’Assemblée nationale avait adopté en première lecture des articles complémentaires destinés à consolider ce frontispice. Cependant, lors de la première lecture devant le Sénat, le doyen Guy Cabanel proposa au Parlement un texte plus concis, destiné par sa généralité à compléter l’article 16 précité. C’est ainsi que fut voté conforme et promulgué l’article 16–1 nouveau du code civil : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

Donc, la présente proposition de loi constitutionnelle vous invite également à adjoindre le texte de cet article au contenu de notre Loi fondamentale ; ce qui permettra, aujourd’hui et pour l’avenir d’interdire formellement toute marchandisation du corps humain, entre autres à l’occasion d’une GPA.

À l’opposé, il ne vous est pas suggéré que les articles 16–2 et suivants du code civil acquièrent une valeur constitutionnelle. En effet, ces articles encadrent les diverses branches évolutives de la bioéthique ; et il est probable que les avancées des sciences biomédicales viendront périodiquement poser au législateur des problèmes juridiques nouveaux.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

L’article 3 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La Constitution assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle‑ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »