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N° 1102

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 juin 2018.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à rétablir la possibilité du cumul des mandats,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme MarieFrance LORHO,

députée.

 

 

 

 

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi organique n° 2014‑125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, soulève de nombreuses problématiques. La capacité de la loi à atteindre ses objectifs ‑ augmentation de la disponibilité des parlementaires, amélioration de l’effectivité du travail des parlementaires, modernisation de la vie publique française ‑ n’a pas été démontrée, ses bénéfices sont mitigés, et ses répercussions inquiétantes. Il est donc légitime de dénoncer son absence de pertinence, et d’évoquer la nécessité de revenir au cumul des mandats, selon l’ancienne version de la loi.

Depuis l’obligation du cumul, il est à noter que le nombre d’heures de séance n’a pas connu d’augmentation significative. On comptabilise ainsi entre 2007 et 2011 une moyenne de 1 076 heures annuelle de séance ([1]), contre 967 heures sur la période 2017‑2018 ([2]). Le rythme des séances n’a donc pas foncièrement augmenté depuis la promulgation de la loi. De plus, est‑il plus facile de cumuler un mandat parlementaire, avec une profession d’avocat d’affaires ou de chef d’entreprise, qu’avec un mandat local ? Sully occupa en 1599 les charges de Surintendant des finances, Surintendant des fortifications, grand voyer de France et grand maître de l’artillerie. Cela en fit‑il un mauvais ministre ? Le lien de causalité entre une indisponibilité des parlementaires et le cumul des mandats n’a pas été clairement démontré avant l’application de la loi. Luc Rouban ‑ directeur de recherche au CNRS ‑ analyse au contraire qu’en 2012, l’activité des députés ne cumulant pas de mandats n’est que très faiblement supérieure à celle des députés cumulant des mandats ([3]). C’est donc sans surprise que l’étude d’impact du projet de loi du 2 avril 2013, explique que :

« […] Des évolutions importantes se sont fait jour dans lorganisation territoriale des collectivités outremer et le développement de collectivités à statut particulier dans lesquelles les fonctions exécutives tout comme les fonctions de présidence dassemblée délibérante constituent une charge importante. »

Ne démontrant ainsi nullement la capacité de la loi à atteindre l’objectif fixé. Pour sa part, la réciproque – c’est‑à‑dire l’amélioration de la disponibilité des parlementaires en cas de non cumul des mandats – n’est elle‑même pas non plus étayée :

« Le Parlement a donc vu sa charge de travail renforcée et il est nécessaire que les conditions dexercice des mandats parlementaires sy adaptent, en prévoyant que les parlementaires nexercent pas dautres fonctions nécessitant de leur part un investissement aussi significatif que leur mandat parlementaire. »

Au contraire, toujours selon Luc Rouban dans la même étude, la production de rapports et d’avis augmente lorsqu’un député cumule des mandats, prouvant ainsi l’utilité de l’attache locale dans le travail des députés.

Si la justification de cette loi par le gain en effectivité est très légère, la raison éthique – modernisation de la vie politique – n’en est pas moins sujette à controverse. En effet, selon le rapport de la commission de déontologie de la vie publique, ainsi que des précédents rapports déposés sur le cumul des mandats : « Le cumul des mandats est devenu un critère au regard duquel sont appréciés l’engagement des élus au service d’un pays en crise et leur fidélité aux principes de la République » ([4]). Toutefois, il en va du choix des électeurs de disqualifier politiquement les élus cumulant plusieurs postes, et non de celui du législateur.

La loi sur le non cumul des mandats aura eu pour conséquence de priver l’élu national d’un rattachement fonctionnel avec sa circonscription. Conséquence dommageable, puisque le Sénat a pourtant reçu de l’article 24 de la Constitution, la mission spécifique « d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République ». Comment mieux connaître les intérêts des collectivités locales qui sont à défendre, qu’en étant directement confronté aux problématiques et enjeux locaux ? Interdire le cumul des mandats, c’est donc priver des élus nationaux de leur capacité à accomplir l’une des tâches qui leur a été assigné. Mais c’est aussi nous priver d’un atout dans l’équilibre des pouvoirs. En effet, le double mandat permet au député plus d’indépendance et d’autonomie dans les sujets qu’il choisit de défendre, son mandat ne relevant pas uniquement de la base partisane.

L’absence d’opportunité pour un représentant national, d’exercer un mandat local ‑ seul moyen de faire entendre les intérêts d’une circonscription, ne peut être qu’un inconvénient dans l’exercice de ses fonctions. Car en effet, l’effectivité parlementaire nécessite la participation à l’exécutif local, tout comme la défense des intérêts d’une commune, d’un département ou d’une région nécessite la participation au débat parlementaire. Avec aujourd’hui 38 % de députés, soit 218 ([5]) n’ayant pas eu de mandats locaux auparavant, il paraît indispensable d’abroger la loi organique n° 2014‑125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Alors qu’un transfert de compétences des départements aux régions a été effectué à la suite de la loi NOTRe de 2015, il convient de compenser ce manque de pouvoir progressif des localités, en redonnant la possibilité aux parlementaires de défendre leurs intérêts. La réhabilitation du cumul des mandats ferait ainsi face à la centralisation excessive d’un État, qui accumule les réformes jacobines. Cette réhabilitation œuvrerait dans le sens d’une politique décentralisatrice, visant à « reconstituer la patrie, à lui refaire une tête et un corps vigoureux » ([6]).


proposition de loi ORGANIQUE

Article unique

La loi organique n° 2014‑125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur est abrogée.


([1]) Statistiques de l’activité parlementaire à l’Assemblée nationale sous la XIIIème législature, site de l’Assemblée nationale, disponible sur : http ://www.assemblee‑nationale.fr/13/seance/statistiques‑13leg.asp

([2]) Statistiques de l’activité parlementaire à l’Assemblée nationale session 2017‑2018, site de l’Assemblée nationale, disponible sur : http ://www2.assemblee‑nationale.fr/15/statistiques‑de‑l‑activite‑parlementaire/(session)/2017‑2018%20(1er%20octobre%202017%20‑%2031%20mai%202018)

([3]) Luc Rouban, Le cumul des mandats et le travail parlementaire, CEVIPOF CNRS, 2012

([4]) Projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, Etude dimpact, 2 avril 2013

([5]) Maire info, édition du 20 juin 2017, disponible sur : http ://www.maire‑info.com/etat‑administration‑centrale‑elections/assemblee‑nationale/62‑des‑deputes‑ont‑ou‑ont‑eu‑un‑mandat‑local‑article‑20870

([6]) Charles Maurras, Lidée de décentralisation, 1898, p.5