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N° 1579

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux encadrer le contrat de travail temporaire,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Denis SOMMER, Frédéric BARBIER, Sophie BEAUDOUINHUBIÈRE, JeanMarc ZULESI, Stéphane TESTÉ, JeanLouis TOURAINE, Delphine BAGARRY, Christine HENNION, Fannette CHARVIER, Laurianne ROSSI, Hervé PELLOIS, Sonia KRIMI, Patrice PERROT, Annie CHAPELIER, Laurence VANCEUNEBROCKMIALON, Anissa KHEDHER, Barbara BESSOT BALLOT, Adrien MORENAS, Monique LIMON, Albane GAILLOT, Anne GENETET, Jennifer De TEMMERMAN, Yves DANIEL, Sacha HOULIÉ, Huguette TIEGNA, Olivier DAMAISIN, Michèle CROUZET, Patrick VIGNAL, Olivier GAILLARD, JeanBernard SEMPASTOUS, Éric BOTHOREL, Anne BLANC, Aurélien TACHÉ, Yannick HAURY, Jacqueline MAQUET, Éric POULLIAT, MarieChristine VERDIERJOUCLAS,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans les années 80, le slogan « Travaillez où vous voulez, quand vous voulez » fleurit allégrement. Pourtant, ce statut cachait déjà une réalité d’emplois « au rabais », « hors‑cadre », « de seconde zone »… d’emplois précaires en somme.

La pratique du recours au travail temporaire, née en Grande‑Bretagne au début du XXe siècle, a été légalisée en France dans la loi n° 72‑1 du 3 janvier 1972 sur le travail temporaire. S’il permet aux entreprises de bénéficier d’une certaine flexibilité pour pouvoir faire face à des besoins ponctuels de main‑d’œuvre, l’augmentation de l’intérimaire est par ailleurs souvent annonciateur d’une reprise de l’activité et des emplois durables. Il doit cependant conserver un caractère temporaire.

La conclusion d’un contrat de travail temporaire (également appelé intérimaire, du latin interim qui signifie « pendant ce temps ») n’est possible que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, dénommée mission, et seulement dans les cas énumérés par la loi. Quel que soit le motif pour lequel il est conclu, un tel contrat ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Les cas de recours à un contrat de travail temporaire, sont notamment énoncés dans le code du travail :

– remplacement d’un salarié absent, d’un chef d’entreprise, chef d’exploitation agricole (maladie, congés, etc.) ;

– attente de la prise de fonction d’un nouveau salarié ;

– attente de la suppression définitive du poste du salarié ayant quitté définitivement l’entreprise ;

– remplacement d’un salarié passé provisoirement à temps partiel (congé parental d’éducation, temps partiel pour création ou reprise d’entreprise, etc.) ;

– accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (sauf si l’établissement a procédé à un licenciement économique, depuis moins de six mois pour les postes concernés par ce licenciement) ;

– emplois à caractère saisonnier ;

– emplois « dusage », définis à l’article D. 1251‑1 du code du travail.

Dans le temps, ces contrats ne peuvent excéder trente‑six mois.

En France, 1,9 million de salariés ont conclu plus de 16 millions de contrats de travail temporaire en 2015, ce qui représente près de 3 % de l’ensemble de l’emploi en France ([1]).

Si l’intérim ne peut être permanent, certaines entreprises y ont recours de façon récurrente, en interprétant largement la notion d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, imposant ainsi une situation précaire aux salariés. Et ce, alors même qu’il existe une sanction pénale avec une amende de 3 750€ pour les utilisateurs qui ont recruté un intérimaire pour pourvoir un emploi permanent. Des contraventions de 2e, 3e et 5e classe sont également prévues lorsque le comité d’entreprise constate un recours abusif aux contrats à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire ou un accroissement important de salariés titulaires de ces contrats : il peut saisir l’inspecteur du travail. Ce dernier peut demander à l’employeur, en cas de recours abusif à ces contrats, de mettre en œuvre un plan de résorption de la précarité dans son entreprise. L’application de ces sanctions s’avère dans les faits, peu dissuasive et in fine, peu efficace.

En 2009, il y avait 450 396 intérimaires, tous secteurs confondus. En 2015, ils sont 547 860 et augmentent même à 732 855 en 2017, soit une augmentation de 34 % en deux ans et de 63 % en huit ans.

Près de deux millions de personnes signent donc, chaque année en France, un contrat d’intérim, notamment dans le secteur de l’industrie et particulièrement dans celui de l’automobile. Rien qu’en 2015 par exemple, Renault a employé jusqu’à 45 % d’intérimaires dans ses usines. Chez PSA Peugeot Citroën, le site de Sochaux comptabilisait en décembre 2017, 2 400 intérimaires sur 5 600 salariés en production.

Le problème n’est pas l’emploi intérimaire en soit, mais sa banalisation, contraire à tous les textes élaborés depuis 1972. Cela peut refléter des abus, particulièrement dans l’industrie et notamment dans le secteur de l’automobile qui compte 67 396 intérimaires sur les 728 224, tous secteurs confondus en 2017.

Aussi, il convient de distinguer les trajectoires d’accès à l’intérim, pour comprendre qu’il n’existe pas un type d’intérim, mais un archipel d’intérim. L’étude réalisée par Colette Jourdain ([2]) est en ce sens particulièrement intéressante et distingue l’intérim dit « volontaire », c’est‑à‑dire l’intérim d’appoint, pratiqué par des personnes à la recherche d’un complément de revenu sans que l’emploi représente un besoin fondamental (15 % du panel) ; de l’intérim « tremplin professionnel » en vue d’acquérir ou d’affiner un projet professionnel (près de 25 %) ; et enfin de l’intérim dominant (plus de 50 % des cas) qui sont des salariés en attente d’un statut permanent et qui se retrouve dans une précarité de longue durée.

L’intérim s’avère particulièrement développé dans les postes d’ouvriers non qualifiés, avec 89,9 % du volume du travail intérimaire dans l’industrie, 71,6 % dans le tertiaire et 95 % dans la construction. Ces personnes rencontrent bien souvent des discriminations dans le travail : elles sont régulièrement affectées aux postes les plus ingrats ; n’ont pas les avantages reconnus aux permanents, subissent l’inaccessibilité aux facilités de la vie courante, comme la location d’appartement, la demande d’un prêt, etc. Trop souvent, l’intérim est devenu une méthode permanente de gestion de la main‑d’œuvre, un mode de gestion des ressources humaines, une variable d’ajustement. L’avantage pour l’entreprise étant de pouvoir réduire les effectifs, sans avoir à licencier. Cette justification ne tient plus avec les réformes permises par les ordonnances notamment la possibilité de recourir aux ruptures collectives.

Face à ce constat, un seuil pourrait être établi, offrant une flexibilité aux entreprises et limitant la précarisation des salariés. Ainsi, pour encadrer l’emploi précaire, notamment sur les sites industriels, la présente proposition de loi offre de rajouter un critère de seuil au‑delà duquel il est interdit de recourir au travail temporaire.

Cette proposition de loi permettra de combler une situation de flou juridique, notamment dans le cadre du recours à l’intérim lors d’un accroissement d’activité de l’entreprise. Ainsi, par exemple lors de la production d’un nouveau modèle automobile dans une usine de Poissy, arrivant juste après une restructuration de ses unités de production, le juge a considéré que les différents contrats de mission du salarié intérimaire s’inscrivaient dans un accroissement durable et constant de l’activité ([3]), alors que l’année précédente, la filiale d’un autre constructeur automobile a vu dix‑sept intérimaires obtenir, dans les mêmes conditions, la requalification de leurs contrats de travail temporaire en contrats de travail à durée indéterminée ([4]). Il est temps de stopper ces pratiques litigieuses et d’anticiper les contentieux.

Cette précision est d’autant plus importante qu’aujourd’hui, lorsque le juge requalifie le contrat temporaire en contrat de travail à durée indéterminée, il n’ordonne pas la réintégration, mais condamne l’entreprise à verser des dommages‑intérêts et l’indemnité ne peut pas à être versée autant de fois qu’il n’y a eu de contrats. Elle n’est due qu’une seule fois. L’entreprise peut donc recourir légalement à l’impunité. Certaine doctrine évoque même un « véritable détournement de la fonction complémentaire du travail temporaire » ([5]).

L’intérim ne doit pas remplacer le permanent. À défaut, le pénible devient insupportable.

L’article 1 de la présente proposition de loi vise à établir des seuils, au‑delà desquels il est interdit de recourir au travail temporaire. 

L’article 2 ouvre la possibilité de versement de dommages et intérêts pour chaque contrat conclu. Actuellement, le recours illicite au travail temporaire est soumis au principe général du droit des peines qui interdit toute sanction au‑delà de 3 750 € quel que soit le nombre de délits poursuivis. La Chambre criminelle a ainsi spécifiquement rappelé qu’il ne pouvait être prononcé autant de peines d’amendes que de contrats de travail temporaires illicites ([6]).

L’article 3 augmente la peine d’amende encourue pour chacun de ces délits en la faisant passer de 3 500 € à 5 000 €.  Ce montant, resté inchangé depuis 1982, n’est pas assez dissuasif et doit être mis en rapport avec les indemnités qui seraient susceptibles d’être versées au salarié en cas de rupture d’une relation salariale.

L’article 4 instaure une peine complémentaire d’interdiction pour six mois du recours au travail temporaire lorsque l’entreprise a déjà été condamnée pour cause d’emploi intérimaire illicite.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1251‑10 du code du travail, est complété par un 4°, ainsi rédigé :

« 4° Au‑delà d’un seuil de 30 % des salariés pour les sites d’entreprises de 50 salariés et moins.

« Au‑delà d’un seuil de 20 % des salariés pour les sites d’entreprises de 300 salariés et moins.

« Au‑delà d’un seuil de 10 % des salariés pour les sites d’entreprises de plus de 300 salariés ».

Article 2 

La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 132‑3 du code pénal est supprimée :

« Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé ».

Article 3 

À la fin du premier alinéa de l’article L. 1255‑3 du code du travail, le mondant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 5 000 euros ».

Article 4 

Après l’article L. 132‑3 du code pénal, il est inséré un article L. 132‑3‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 13231. – Lorsqu’une entreprise est condamnée, pour la troisième fois ou plus, pour cause d’emploi intérimaire illicite, elle ne peut recourir à l’embauche de nouveaux contrats intérimaires, dans un délai de six mois suivant la condamnation. »


([1]) DARES Analyses, juill. 2013 n° 49. Pour mémoire, le nombre de contrats de mission conclus en 1982 avoisinait le chiffre de 2 millions et concernait environ 230 000 salariés (Rapport au président de la République, Ord. n° 82-131 du 5 févr. 1982, JO 6 févr.

([2]) « Intérimaires, les mondes de l’intérim », Travail et emploi, n° 89, janvier 2002.

([3]) Cass. soc., 13 avr. 2005, no 02-45.409.

([4]) Cass. soc., 21 janv. 2004, no 02-44.452.

([5]) G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, 28e éd., Dalloz, n° 281

([6]) Crim. 25 juill. 1990, n° 88-84.453, RJS 11/1990, n° 939.