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N° 1646

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 février 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative à la justice des mineurs,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Bernard PERRUT,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Récemment, le gérant d’un tabac‑presse s’est vu prescrire une incapacité totale du travail de sept jours après avoir été menacé par un couteau, brulé aux yeux, à la bouche et au cou par une bombe lacrymogène lors d’un vol à main armée.

Malgré leurs visages dissimulés, les deux individus auteurs des faits, ont été identifiés grâce à la vidéosurveillance et interpellés dans la journée : il s’agissait de deux mineurs. L’un des deux, non‑connu des services de police, a été rapidement relâché, sans qu’aucune sanction ne restreigne sa liberté et ne l’empêche de revenir où les faits ont été commis.

Loin d’être isolé, cet évènement remet en question l’efficacité de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et son actualité à l’heure de l’augmentation sensible de la délinquance des mineurs avec le sentiment d’impunité dont certains peuvent se prévaloir en raison de leur âge.

Selon les chiffres 2016 de l’INSEE, la délinquance juvénile n’est pas un phénomène marginal : 21 % des hommes et 3 % des femmes des générations nées en 1986 et 1987 ont été condamnés au moins une fois pour des faits commis entre 10 et 24 ans.

Les jeunes de 10 à 24 ans sont particulièrement impliqués dans les affaires pénales traitées par les parquets : ils représentent 21 % de la population de 10 ans ou plus, mais 36 % des auteurs présumés d’infraction. En 2014, ces jeunes ayant affaire à la justice représentent 5,2 % de leur classe d’âge.

Les vols et recels (25 %) et les affaires de stupéfiants (17 %) sont les principales infractions impliquant les jeunes, avant les violences volontaires (15 %) et la circulation routière (15 %). Si pour chaque infraction, le nombre d’auteurs présumés culmine à un âge qui lui est propre : les atteintes sexuelles sont plus nombreuses à 14 ans, les vols et les violences à 16 ans, les affaires de stupéfiants à 18 ans et les infractions routières à 22 ans, et de ce fait, la structure des infractions évolue avec l’âge, allant vers plus de diversité et une part croissante d’infractions à la circulation routière ; force est de constater que les mineurs sont de plus en plus cités dans des procédures judiciaires, et ce, de plus en plus jeune (environ 40 % ont entre 13 et 15 ans).

L’ensemble de notre territoire est touché par ce phénomène d’augmentation de la violence des jeunes et pourtant, conformément à la volonté du législateur, les mineurs font le plus souvent l’objet d’une procédure alternative aux poursuites telles que les rappels à la loi ou l’obligation de réparation. En cas de condamnations pour les mineurs, les mesures éducatives sont largement privilégiées et constituent plus de la moitié des sanctions. Mais les peines d’emprisonnement ou de travail d’intérêt général sont de plus en plus prononcées à l’approche de la majorité, avec notamment un pallier après 16 ans.

Ainsi l’évolution des infractions est progressive, et celle de la réponse pénale marque une rupture à 18 ans en raison du basculement dans le droit des majeurs. D’une part, les procédures alternatives sont moins nombreuses pour les jeunes majeurs que pour les mineurs (respectivement 44 % et 63 % de la réponse pénale). D’autre part, la prison est plus fréquente pour les majeurs, notamment les peines fermes, tandis que les mesures éducatives, propres aux mineurs et prépondérantes chez eux, laissent place à une plus grande part d’amendes chez les majeurs.

Face à ces éléments, il apparaît aujourd’hui indispensable de rendre toute sa cohérence à l’ordonnance de 1945, en intégrant les évolutions de cette nouvelle forme de délinquance juvénile et d’y répondre de façon adaptée, sans angélisme ni démagogie. Seule la véritable prise de conscience de la gravité de leurs actes permettra de réduire la récidive.

Aux termes de son article 2, l’ordonnance de 1945 prévoit que le tribunal pour enfants et la Cour d’assises des mineurs prononcent avant tout des mesures éducatives (de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation). Ces juridictions peuvent prononcer une sanction éducative et/ou une peine « lorsque les circonstances et la personnalité du mineur l’exigent ».

Le  de l’article unique de la présente proposition de loi inverse ce principe, en prévoyant que les juridictions spécialisées prononcent par principe des sanctions ‑ confiscation, interdiction de rencontrer la victime, mesure de réparation, interdiction de paraître …, et des peines ‑ travail d’intérêt général, stage de citoyenneté, amende, peine de prison…, tandis que les mesures éducatives sont prononcées lorsque les circonstances et la personnalité du mineur l’exigent.

L’emprisonnement ferme ne représente que 8,5 % des sanctions prises alors que les rappels à la loi, la remises aux parents, les admonestations et sursis simples sont autant de réponses susceptibles d’être perçues comme une réaction faible donc peu efficiente de la part des autorités publiques.

Le  du même article concerne les conditions de garde à vue des mineurs et vise notamment à en assouplir les possibilités de prolongations.

Le  :

– permet au procureur de la République de poursuivre devant le tribunal pour enfants selon une convocation directe à une audience au tribunal un mineur âgé d’au moins quinze ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement. Cette mesure permet de réduire notamment le délai entre l’infraction et l’audience afin d’améliorer l’efficacité de la procédure ;

– adapte également la procédure prévue par l’ordonnance de 1945 aux mineurs de quinze ans lors de la phase finale de l’instruction et que le juge rend une ordonnance de règlement ;

– abaisse l’âge en dessous‑duquel un mineur peut être placé sous contrôle judiciaire lorsque la peine d’emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans et si le mineur a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs mesures éducatives ou d’une condamnation à une sanction éducative ou à une peine ; lorsque la peine d’emprisonnement encourue est supérieure ou égale à sept ans ou cinq ans pour un délit de violences volontaires, d’agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences.

– précise les conditions de détention provisoire des mineurs à partir de quinze ans ;

– prévoit les conditions d’intervention du tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs pour les mineurs de quinze ans.

Le  complète enfin les dispositions de peine prévues pour les mineurs en ajoutant un alinéa visant à limiter le recours à leur diminution en cas de récidive.


proposition de loi

Article unique

L’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifiée :

1° Les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :

« Le tribunal pour enfants et la Cour d’assises des mineurs prononceront, suivant les cas, des sanctions éducatives ainsi que des peines.

« Ils pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent, prononcer les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation qui sembleront appropriées. » ;

2° L’article 4 est ainsi modifié :

a) Aux premier et deuxième alinéas du III et au VII, le mot : « seize » est remplacé par le mot : « quinze » ;

b) Le premier alinéa du V est supprimé ;

3° Au premier alinéa de l’article 8‑3, aux 3° et 4° de l’article 9, au premier alinéa du III de l’article 10‑2, aux troisième, sixième, neuvième, onzième, douzième, treizième et quatorzième alinéas de l’article 11, au premier alinéa de l’article 11‑2 et aux première et dernière phases du premier alinéa de l’article 20, le mot : « seize » est remplacé par le mot : « quinze » ;

4° L’article 20‑2 est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Sauf décision spécialement motivée, le mineur âgé de plus de treize ans ne peut bénéficier de la diminution de peine prévue au premier alinéa du présent article dans les cas suivants :

« 1° Lorsqu’il a commis en état de récidive légale un crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne ;

« 2° Lorsqu’il a commis en état de récidive légale un délit de violences volontaires, un délit d’agression sexuelle, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences. »