Description : LOGO

N° 1744

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à ne plus labourer l’océan de nos impôts gaspillés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Gilbert COLLARD et Sébastien CHENU,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Cour des Comptes et, depuis 1983, les chambres régionales ou territoriales des comptes (les CRTC) ont pour principale mission juridictionnelle de juger les comptes publics de l’État, de ses établissements publics, des collectivités locales et de leurs établissements publics locaux. En effet, chacune de ces personnes morales est dotée d’un comptable public ; lequel dépend du ministère en charge des finances et n’a en théorie aucune instruction à recevoir de l’ordonnateur, c’est‑à‑dire de la personne physique détentrice du pouvoir exécutif de la collectivité ou de l’organisme concerné.

Selon ce principe, immuable depuis Charles X, les juridictions financières ne font que juger les comptes : ils n’ont pas à juger les comptables publics et encore moins les ordonnateurs détenteurs du pouvoir exécutif.

Cependant, à l’occasion de leur contrôle sur pièces ou de leur visite sur place, les magistrats de la Cour des Comptes et des CRTC peuvent constater des manquements aux règles de la comptabilité publique, lequel intègre de plus le droit de la commande publique.

Certaines des infractions constatées relèvent purement et simplement du droit pénal : prise illégale d’intérêts, corruption passive, concussion, favoritisme dans les marchés publics ou encore soustraction de deniers publics. En pareil cas, la juridiction financière révèle les faits graves au procureur de la République.

Mais par ailleurs, à l’occasion de leur contrôle juridictionnel, les magistrats financiers découvrent souvent des dysfonctionnements ainsi que des irrégularités contraires aux bonnes pratiques de la comptabilité publique : votes de budgets insincères, inventaires des actifs matériels très lacunaires, absence de diligences dans le recouvrement des créances de la collectivité concernée, procédures ou critères inadaptés dans l’attribution des marchés publics, etc.

Enfin, ce contrôle administratif opéré par les juridictions financières met parfois en évidence des cas de gabegie des deniers publics. Des millions ou des milliards sont parfois engloutis dans des politiques qui ont fait montre de leur inutilité, comme par exemple la politique de la ville. La Cour des Comptes ainsi que les CRTC fustigent également avec une belle régularité des travaux aussi pharaoniques qu’inutiles, tels que les sièges que certaines collectivités s’offrent à elles‑mêmes ; et dont les devis initiaux ont été allègrement pulvérisés. Restent enfin les grands classiques du sottisier administratif : archives mal tenues, services en doublons, personnel pléthorique, versement de primes indues.

Les irrégularités ainsi que les manquements constatés par les juridictions financières à l’occasion de leurs contrôles administratifs sont consignés dans les rapports de la Cour des Comptes et dans les lettres d’observations des CRTC. Cette mission d’audit, explicitée dans le code des juridictions financières est désormais inscrite dans la Constitution. Par ailleurs, les manquements les plus graves peuvent faire l’objet d’un référé au Gouvernement ou d’un rappel à la loi. Enfin, les exécutifs sont sensés mettre en œuvre les préconisations contenues dans les lettres d’observations et informer le juge financier des mesures prises afin de pallier les dysfonctionnements constatés.

Cependant, les critiques émises par les juridictions financières ainsi que leurs injonctions pour l’avenir restaient souvent lettres mortes. Ce qui amena un jour Philippe Séguin, qui était alors premier président de la Cour des Comptes, à affirmer que les juridictions financières « labourent la mer ». Force était effectivement de constater qu’en dehors des rares poursuites pénales et des procédures de gestion de fait pour maniement irrégulier des deniers publics, les infractions comptables et financières restaient dépourvues de sanctions. Hormis certains articles de presse, les administrations ne tenaient aucun compte des contrôles antérieurs et persistaient souvent dans leurs errements. De réformes successives tentèrent donc de mettre un terme à l’aimable indifférence des administrations concernées

En premier lieu, la loi du 25 septembre 1948 créa la Cour de discipline budgétaire et financière (la CDBF). Cette Cour, saisie en principe par une juridiction financière à la suite d’un contrôle, pouvait infliger des amendes allant jusqu’à un an voire même deux années de traitement ou d’indemnité. Au‑delà de ces sanctions très souvent symboliques, la publication des arrêts de la Cour au Journal Officiel permet d’exposer les mauvais gestionnaires au banc d’infamie.

Les infractions retenues étaient très larges : manquements aux règles de la comptabilité publique, des marchés publics et plus largement la mauvaise surveillance d’une administration ; ce qui couvrait le vaste domaine de la gabegie.

Cependant, force est de constater que l’activité de la CDBF est longtemps restée aussi faible que confidentielle . La raison en était connue : ni les ministres ni les élus locaux ne pouvaient être poursuivis pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions. En clair, la Cour de discipline budgétaire et financière ne pouvait absolument pas mettre le personnel politique face à ses responsabilités. Les seuls accusés étaient des fonctionnaires ou agents publics ; lesquels pouvaient minorer leur responsabilité en excipant d’une instruction écrite du ministre ou de l’élu concerné.

Donc, en second lieu, la loi Sapin 1 du 29 janvier 1993 va rompre cette totale immunité des élus devant la CDBF . En effet, les exécutifs locaux devenaient justiciables devant cette Cour : un tabou était enfin rompu ; avec cependant deux restrictions.

Tout d’abord, les exécutifs territoriaux n’ étaient passibles de sanctions que dans deux cas graves et précis : quand ils refusaient d’exécuter un jugement rendu sous astreinte, ou quand ils procuraient à autrui un avantage injustifié malgré un rejet initial d’une opération par leur comptable public nommé par Bercy.

Ensuite et surtout, l’article L 312–2 du code des juridictions financières créé par cette loi Sapin exemptait toujours les membres du gouvernement d’avoir à être traduits devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

L’article 1er de la présente proposition de loi réécrit l’article précédemment évoqué, et ce afin de rendre enfin les membres du gouvernement justiciables de la CDBF .

L’article 2 de la proposition de loi répond à un objectif plus large : il serait créé un article additionnel qui permettrait de traduire devant la CDBF aussi bien les ministres que les exécutifs territoriaux qui auraient commis des erreurs de gestion ou des infractions comptables et budgétaires et qui n’auraient pas pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser dans un délai raisonnable les dysfonctionnements constatés par la Cour des Comptes ou par les chambres régionales et territoriales des comptes.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 312‑2 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :

« par dérogation à l’article L. 312‑1, les personnes mentionnées aux a) à l) du II du même article sont justiciables de la Cour, à raison des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, lorsqu’elles ont commis les infractions définies par les articles L. 313‑7 ou L. 313‑12 ou lorsqu’elles ont engagé leur responsabilité propre à l’occasion d’un ordre de réquisition, conformément aux articles L. 233‑1, LO 253‑19, LO 264‑5 ou LO 274‑5 et enfreint les dispositions de l’article L. 313‑6. »

Article 2

Le chapitre II du titre Ier du livre III du code des juridictions financières est complété par un article L. 312‑3 ainsi rédigé :

« Art. L. 3123. – À raison des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions,   par dérogation à l’article L. 3121, les personnes mentionnées aux a) à l) du II du même article sont justiciables de la Cour, après mise en demeure par décision spéciale de celle‑ci, édictant un délai raisonnable, qui ne pourra pas dépasser une année à compter de la mise en demeure ; lorsqu’ elles n’auront pas pris toutes mesures utiles, afin de faire cesser des irrégularités comptables ou financières mentionnées dans des référés, observations, communications et rappels à la loi transmis par écrit soit par la Cour des comptes soit par une chambre régionale ou territoriale des comptes. ».

Article 3

La présente loi entre en vigueur le 31 décembre suivant sa promulgation.