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N° 1892

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2019.

PROPOSITION DE LOI

sur le plafonnement des frais dincidents bancaires,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alexis CORBIÈRE, Ugo BERNALICIS, Clémentine AUTAIN, Éric COQUEREL, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, JeanLuc MÉLENCHON, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,  

député‑e‑s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La rémunération des banques se fait essentiellement via l’intérêt qu’elles appliquent lors des opérations de prêts octroyés à leurs clients, contrepartie du pouvoir immense et extraordinaire confié aux banques de créer de la monnaie par le biais du crédit. Elle s’opère également de plus en plus à travers leurs opérations de marché. Cependant, au cours des dernières années, de manière parallèle à la baisse des taux d’intérêts, conséquence de la politique monétaire accommodante menée par la banque centrale européenne, les banques ont multiplié les frais bancaires annexes et les frais d’incidents. Les seuls frais d’incidents bancaires (hors frais de tenue de comptes) rapportent aujourd’hui, selon une étude conjointe de l’UNAF et l’INC, près de 6,5 milliards d’euros par an aux établissements bancaires français, au détriment de plus de 7 millions de clients des banques.

Ces frais sont supportés essentiellement par les classes moyennes et populaires : l’étude précise en effet que le montant mensuel des frais d’incidents et agios supportés par les populations en situation de vulnérabilité financière s’élève en moyenne, après extourne, à 296 euros par an (jusqu’à 3 552 euros) contre 34 euros toute population confondue. De plus en plus, c’est ainsi le client se retrouve au service de la banque au lieu que la banque soit au service du client. Pour les établissements bancaires, il s’agit d’une rente inespérée, qu’une complexité technique savamment entretenue a jusqu’à présent préservé de la loi.

Face à la colère sociale, qui vise également les banques, l’action du Gouvernement s’est révélée particulièrement inefficace : comptant sur la bonne foi des établissements bancaires, et sur des engagements non contraignants annoncés avec autant d’éclat que d’imprécision, le Gouvernement n’a conduit aucune action législative visant à plafonner les frais bancaires. La « bonne foi » des établissements bancaires semble suffire à elle‑seule. Que n’en dit‑on autant pour les chômeurs sommés de prouver qu’ils recherchent bien un emploi sous peine de se voir couper les allocations auxquelles ils ont droit ?

Parmi les derniers « engagements » dont nous sommes censés croire la « bonne foi », les établissements bancaires se sont engagés, le 11 décembre 2018, à faire bénéficier l’ensemble des clients les plus fragiles financièrement d’un plafonnement des frais d’incidents. Ce sont potentiellement 3,6 millions de personnes qui sont concernées. Mais pour l’instant, les banques demeurent complètement libres de mettre en œuvre cet engagement « au regard de leur politique commerciale » comme tient à le préciser le communiqué de la Fédération bancaire française (FBF).

Au‑delà de son inexistence juridique, cet accord continue par ailleurs de distinguer population fragile financièrement (au risque de les stigmatiser) et population « normale », ainsi que clients professionnels et clients non professionnels. Ainsi, les artisans et commerçants ou les autoentrepreneurs ne bénéficient d’aucun plafonnement des frais d’incident bancaires, alors même qu’ils sont davantage exposés à ce type d’incidents indépendamment de leur volonté. Et pour le reste de la population non‑professionnelle, il n’y aura pas de plafond global annuel de frais, au‑delà de l’encadrement prévu par la loi de 2013 (soit 8 euros par opération et 80 euros par mois pour les « commissions d’intervention » en cas de dépassement de découvert autorisé) auxquels il faut ajouter les plafonds de 50 euros de frais de rejet de chèque par chèque rejeté et de 20 euros pour un rejet de prélèvement et d’autres types de frais par opération rejetée. Soit une facture finale qui peut s’avérer salée.

La France Insoumise propose donc une action plus ambitieuse et plus déterminée. Elle part du principe que l’accès à ces biens communs que sont la monnaie, le crédit et les moyens de paiement doit être facturé au plus bas niveau possible afin de ne pas pénaliser le pouvoir d’achat des ménages. Elle rejoint en cela la position exprimée par de nombreux acteurs : syndicats, association de défense des consommateurs, représentants des clients des banques, etc. Cette action est d’autant plus à portée de main que le traitement des incidents bancaires est le plus souvent automatisé et ne requiert aucune action humaine qui justifierait des frais si élevés. Il entraîne en revanche des tensions inutiles entre les clients et les employés des banques, sommés d’exécuter les instructions de leur hiérarchie. Selon la Fédération CGT des syndicats du personnel de la banque et de l’assurance, dont le groupe LFI a reçu les membres en audition à l’Assemblée nationale autour de leur secrétaire générale Mme Valérie Lefèbvre‑Haussman, l’existence de frais d’incidents bancaires élevés conduit en outre à une mise en danger des personnels envers lesquels s’exerce une violence psychologique, et parfois physique, croissante. Nul besoin, donc, de rajouter le paiement d’une rente supplémentaire sous la forme de frais spécifiques extravagants qui vient s’ajouter au droit déjà extraordinaire de seigneuriage octroyé aux établissements bancaires privés. Nul besoin non plus de rajouter à la violence sociale qui traverse déjà le pays.

C’est pourquoi la France Insoumise propose d’instaurer, par la voie législative (alors que cette matière est jusqu’ici étrangement demeurée un pré carré du domaine réglementaire) un plafond couvrant l’ensemble des frais engendrés par une irrégularité ou un incident de fonctionnement du compte bancaire et fixé à 2 euros par incident, dans la limite de 20 euros par mois et de 200 euros par an, pour l’ensemble de la population, professionnelle et non professionnelle. Ce plafond inclura les frais de régularisation mais aussi les autres frais liés à l’incident (lettre d’information pour compte débiteur, rejet de chèque pour défaut de provision, rejet de prélèvement ou de virement…).

Bien que n’étant pas directement des frais d’incident, le plafond proposé inclura également les intérêts débités à raison d’un solde débiteur du compte pendant un ou plusieurs jours, c’est‑à‑dire les agios, qui grèvent de façon abusive les finances de nombre de nos concitoyens.

Enfin, le second article de cette proposition prévoit d’exonérer les clients du paiement des frais relatifs aux saisies administratives. Selon l’association de consommateurs CLCV, qui publie chaque année une enquête sur les frais d’un panel d’environ 130 banques, l’avis à tiers détenteur est ainsi facturé 103,57 euros en moyenne au 1er février 2018, contre 99,78 euros un an plus tôt. La même association constate que ces frais ont augmenté de plus de 10 % en 5 ans. À tel point que souvent les frais bancaires liés à des saisies sont aussi élevés que les saisies elles‑mêmes. Un premier plafonnement à 10 % du montant de la somme prélevée est entré en vigueur le 1er janvier 2019, il ne concerne que les frais liés à des saisies administratives à tiers détenteur. Notre objectif est donc, compte tenu du montant de ces frais, d’exonérer les clients du paiement des frais bancaires relatifs à ces saisies et d’étendre l’exonération aux saisies de droit commun (saisie‑attribution).

Il nous semble important que l’Assemblée nationale, tous groupes confondus, se saisisse de ses prérogatives en la matière et agisse autrement qu’en faisant confiance à la « bonne foi » des établissements bancaires. Ceux‑ci cherchent d’ailleurs à justifier leurs pratiques par des arguments fallacieux. Ainsi, les frais d’incident n’ont aucune portée éducative comme en témoignent, d’une part, l’accroissement de leur montant unitaire et la multiplication de leur nombre et, d’autre part, leur facturation en cascade qui empêche le client d’en tirer les conséquences sur sa situation budgétaire et sur les opérations qui en sont à l’origine.

De la même manière, le chantage à l’emploi ne tient pas la route : la réduction des effectifs des banques est la conséquence directe de la concurrence importante qui existe au sein du marché de la banque de détail et de la digitalisation qui incitent les établissements à pratiquer des économies d’échelle.

Ajoutons enfin que le manque à gagner pour les banques ne sera pas considérable : en 2017, le résultat net des principales grandes banques françaises s’est avéré supérieur à 21 milliards d’euros et, rien que pour l’année 2016, les banques ont versé près de 8,6 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires. En outre, le niveau de fonds propres des principales banques françaises est supérieur à 13 %. Dans ce contexte, baisser ces frais ne représente aucune menace sur la stabilité du système bancaire et financier. C’est en revanche urgent pour redonner du pouvoir d’achat à la population, et en particulier aux classes moyennes qui sont le plus lourdement touchées par cette forme de taxation indirecte. À terme, cela constituera un premier pas pour réfléchir à la nécessité d’une gestion publique de ces biens communs que sont la monnaie et le crédit.

L’article 1er définit à l’article L. 312‑1‑3 du code monétaire et financier un plafond de frais et commissions perçus à raison d’incidents ou d’irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire par les établissements de crédit sur l’ensemble de la clientèle de personnes physiques. Ce plafond est fixé à 2 euros par incident, dans la limite de 20 euros par mois et de 200 euros par an.

Il impose par ailleurs aux établissements de crédit de fournir à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, chaque année, des informations détaillées sur les frais et commissions prélevés au titre des incidents et irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire sur cette même clientèle. À des fins d’information, l’autorité publie un rapport d’analyse et de synthèse anonymisé.

L’article 2 prévoit d’exonérer les clients du paiement des frais afférents à une saisie administrative à tiers détenteur ou à une saisie‑attribution prélevés par un établissement de crédit.

L’article 3 est un article de coordination destiné à mettre en cohérence les dispositions relatives à l’information tarifaire, le relevé de compte devant être communiqué gratuitement à l’ensemble de la clientèle et plus simplement à la clientèle de détail.


proposition de loi

Article 1er

Le code monétaire et financier est ainsi rédigé :

1° Le II de l’article L. 133‑26 est abrogé ;

2° Le dernier alinéa de l’article L. 131‑73 est supprimé ;

3° L’article L. 312‑1‑3 est ainsi rédigé :

« L’ensemble des frais et commissions perçus à raison d’incidents ou d’irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire, défini par la loi, le règlement ou créés par l’établissement de crédit, sont plafonnés. Ce plafond ne peut excéder 2 euros par opération, 20 euros par mois et 200 euros par an.

« Ce plafond inclut également les intérêts débités à raison d’un solde débiteur du compte pendant un ou plusieurs jours.

« Les établissements de crédit communiquent à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, chaque année, par typologie de clientèle, le nombre de clients personnes physiques s’étant vu facturer un ou plusieurs frais mentionnés au premier alinéa du présent article ainsi que le montant total, après extourne, des bénéfices résultant de la facturation de ces frais. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution publie un rapport synthétique annuel reprenant ces données de manière agrégée et anonymisée.

« Les établissements de crédit publient, chaque année, par typologie de clientèle, le nombre de clients personnes physiques s’étant vu facturer un ou plusieurs frais mentionnés au premier alinéa du présent article ainsi que le montant total, après extourne, des bénéfices résultant de la facturation de ces frais.

« Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. ».

Article 2

I. – Le 5 de l’article L. 262 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé :

« 5. Aucun frais ne peut être facturé au client pour la réalisation par un établissement de crédit des opérations destinées à l’exécution d’une saisie administrative à tiers détenteur. »

II. – L’article L. 162‑1 du code des procédures civiles d’exécution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Aucun frais ne peut être facturé au client pour la réalisation par un établissement de crédit des opérations destinées à l’exécution d’une saisie‑attribution. ».

Article 3

L’article L. 312‑1‑5 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels » sont supprimés.

2°°La seconde phrase du second alinéa est supprimée.