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N° 2005

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à remplacer les vols intérieurs par le train
(quand c’est possible…),

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François RUFFIN, Delphine BATHO, Ugo BERNALICIS, Caroline FIAT, Sébastien JUMEL, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Sébastien NADOT, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Dominique POTIER, Loïc PRUD’HOMME, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, Bénédicte TAURINE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous avons franchi pour la première fois le cap des 200 millions de voyages ». Le président de l’Union de l’aviation française, Thomas Juin, présentait ainsi, ravi, le bilan 2018 du trafic aérien français. Et le trafic intérieur, notamment, a cru de 4 %, dopé par les trajets transversaux ne passant pas par Paris ([1]).

Faut‑il s’en réjouir, pourtant ?

Faut‑il se réjouir de cette croissance ?

Faut‑il se réjouir, également, de son coût écologique ?

C’est pourquoi, dans une optique de justice climatique, nous proposons de mettre fin aux vols courts ‑ notamment lorsqu’existe une substitution possible, évidente, par le train.

1. Injustice climatique

Selon l’éco‑calculateur de la direction de l’aviation civile, un aller‑retour Paris‑Marseille en avion émet 195 kg de C0² par passager ([2]). Ce même aller‑retour effectué en TGV en émet 4,14 ([3]), soit près de 50 fois moins. Ces chiffres ne prennent même pas en compte les autres substances émises par l’aviation, qui augmentent substantiellement son forçage radiatif, c’est‑à‑dire son impact sur le changement climatique ([4]). Samedi 6 avril, quatorze avions ont ainsi décollé de l’aéroport Marseille‑Provence pour rallier les tarmacs parisiens, et pour gagner au mieux deux heures, tout au plus. Deux heures qui coûtent donc cinquante fois plus de CO².

Plus de 20 % du trafic aérien en France est exclusivement métropolitain ([5]), et concerne majoritairement des villes bien reliées au réseau ferroviaire : les dix aéroports français les plus fréquentés sont situés dans des agglomérations desservies par des trains à grande vitesse.

2. Injustice sociale

Le transport aérien bénéficie surtout aux plus aisés. Seulement 5 % de la population mondiale a déjà pris l’avion. En France, la moitié des déplacements par avion est le fait des 2 % de personnes dont les revenus par unité de consommation sont les plus élevés ([6]). Les voyages pour motif professionnel sont aussi l’apanage des plus hauts revenus.

Si l’on estime que le voyage en avion est un bien potentiel, pour le voyage, les découvertes, il est légitime que la collectivité répartisse leur opportunité de manière équitable et cohérente avec les politiques climatiques.

3. Injustice fiscale

Le privilège d’une minorité se construit grâce à l’effort économique de tous. Le transport aérien jouit d’une taxation des billets d’avion réduite, à hauteur de 10 % et de l’exonération de TVA sur les carburants. Les ONG estiment le manque à gagner fiscal à 3,6 milliards d’euros en 2019. Le Gouvernement peut taxer le kérosène sur les vols intérieurs, il repousse néanmoins la mesure à une éventuelle décision européenne. Le maintien sous perfusion de liaisons aériennes par les exonérations fiscales et autres aides publiques est un choix politique écologiquement et socialement injuste : porté par tous, il profite à une élite qui fait payer au prix fort les conséquences environnementales de son mode de consommation sur toute la planète ([7]).

4. Injustice territoriale

En parallèle, le réseau des chemins de fer français se dé‑densifie : des petites gares, des lignes ferment. La croissance du transport aérien s’est faite parallèlement au détricotage du maillage ferroviaire. Le déclin du rail est renforcé par la libéralisation du marché des cars longue distance. Avec l’avion et le TGV, la primauté va aux grandes métropoles, renforçant les inégalités territoriales. Les métropolitains dans des avions, les pauvres et les ruraux dans des cars. L’évolution des temps de trajets en train depuis le début des années 1960 ([8]) permet de montrer que, pour certains territoires, le temps de trajet en train a été augmenté – quand les lignes n’ont pas été simplement supprimées. Pour faire Paris‑Amiens, le temps de trajet a augmenté de 8 minutes depuis 1973, 12 minutes pour faire Paris‑Boulogne par rapport à l’an 2000, 20 minutes pour faire Paris ‑ Cherbourg par rapport à 1996, 11 minutes pour faire Paris ‑ Clermont‑Ferrand par rapport à 2006, 16 minutes pour Paris‑Limoges, etc.

Notre réseau ferroviaire est centré sur Paris, ce qui participe d’une dynamique néfaste d’égalité des territoires. Par ailleurs les quelques lignes transversales sont mises en difficulté, voire ne sont plus exploitées : il n’est par exemple plus possible de joindre Lyon et Bordeaux sans correspondance, alors qu’une ligne ferroviaire directe existe.

La chute du nombre de trains de nuit est un autre grand symbole : il n’existe aujourd’hui plus que deux lignes exploitées. En Suède pourtant, ces trains de nuit ont vu leur fréquentation croître de 63 % en 2017 ([9]). Ces lignes permettent de désenclaver, à un coût écologique soutenable, des territoires qui ne sont pas desservis par les lignes ferroviaires à grande vitesse. Le Sénat a d’ailleurs reconnu l’importance de développer ces services.

5. Une mesure forte à la hauteur des enjeux

Se féliciter de la croissance de l’activité des aéroports français répond toujours au même refrain : accélérer, accélérer, accélérer. Il est grand temps d’atterrir. Pour s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5 °C en France, les émissions de CO2 doivent baisser d’au moins 55 % d’ici 2030. Ces objectifs sont incompatibles avec la croissance du transport aérien, ni même avec son maintien.

Ce n’est pas qu’une affaire de comportements individuels : la volonté politique doit suivre. La liberté de voyager n’est pas la liberté de polluer. Il faut une décroissance mondiale des vols, il faut que les vols soient utiles, il faut que la répartition des vols soit équitable.

Et on ne saurait attendre l’Europe pour agir. Des réflexions s’amorcent à Bruxelles, et tant mieux, pour instaurer des mesures fiscales sur le transport aérien, mais dans combien de décennies aboutiront‑elles ? Dès maintenant, il nous faut des décisions nationales fortes, qui ouvrent un autre chemin. C’est pourquoi nous proposons, comme première étape, d’interdire les vols domestiques substituables par un trajet en train, sans correspondance, lorsque lavion ne fait pas gagner beaucoup de temps, ce que nous quantifions à la durée du vol plus 2 h 30.

Avec des estimations les plus basses possibles, il faut en moyenne une heure pour faire le trajet entre l’aéroport et le cœur de ville, au départ et à l’arrivée. À cela s’ajoute un temps d’embarquement d’au moins 30 minutes. La perte de temps potentielle est donc en réalité de une heure.

Une telle mesure serait cohérente avec l’article 20 du règlement communautaire 1008/2008 qui précise : « 1. Lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement, l’État membre responsable peut limiter ou refuser l’exercice des droits de trafic, notamment lorsque d’autres modes de transport fournissent un service satisfaisant. »

Nous rejoindrions le peloton des nations européennes qui prennent au sérieux cette question, les Pays‑Bas, la Belgique ou la Suède. Début mars 2019, le parlement néerlandais a par exemple demandé à son gouvernement de mettre fin à la liaison Amsterdam‑Bruxelles, aisément substituable en train.

Cette mesure permettrait d’éviter au moins 1,1 à 1,2 million de tonnes équivalent CO2 par an, soit l’équivalent de l’empreinte carbone de 100 000 personnes ([10]).

Explication du dispositif :

Lorsqu’un trajet en train sans correspondance existe, qu’il permet un temps de trajet équivalent au temps de trajet en avion plus 2 h 30, l’autorité administrative ne délivrera pas d’autorisation d’exploiter une ligne régulière.

Cette interdiction prendra effet deux ans à compter du vote de cette proposition de loi, ce qui laisse le temps aux compagnies et aéroports impactés d’anticiper cette régulation.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 6412‑3 du code des transports est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité administrative doit interdire ou limiter les services mentionnés au premier alinéa du présent article lorsqu’ils sont exécutés entre des arrêts dont la liaison est assurée sans correspondance par un service régulier de transport empruntant le réseau ferré défini à l’article L. 2122‑1, dans la mesure où ce service garantit un déplacement d’une durée au maximum supplémentaire de deux heures trente minutes en comparaison au temps prévu du trajet en avion. Dans le respect de l’article 20 du règlement (CE) 1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté, ces limitations sont réévaluées tous les trois ans. »

Article 2

L’article 1er entre en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le premier jour du vingt‑quatrième mois suivant la publication de la présente loi.

 


1

Annexe

Liste indicative (non-exhaustive) de trajets aériens courts
et impact de la proposition de loi

Les trajets ont été identifiés sur les sites de vente de billets

Trajet

Avion

Train

Statut
après la loi

Nombre de vols par jour (au 15 août 2019)

Temps de trajet en avion
(plus court sauf précisé)

Nombre de trains par jour
(au 15 août 2019)

Temps de trajet en train
(plus court, sans correspondance)

Paris – Bruxelles

2 vols

0h55

22 trains

1h27

Interdiction

Paris - Marseille

17 vols

1h20

17 trains

3h05

Interdiction

Paris - Rennes

3 vols

1h

22 trains

1h25

Interdiction

Paris - Lyon

7 vols

1h05

27 trains

1h57

Interdiction

Paris - Nantes

8 vols

1h05

19 trains

1h57

Interdiction

Paris-Brest

8 vols

1h10

10 trains

3h25

Interdiction

Paris-Toulouse

39 vols

1h15

8 trains

4h07

Maintenue

Paris-Bordeaux

16 vols

1h10

29 trains

2h04

Interdiction

Paris - Montpellier

14 vols

1h15
temps médian

11 trains

3h09

Interdiction

Paris- Bale-Mulhouse

1 vol

1h20

12 trains

2h40

Interdiction

Paris-Béziers

1 vol

1h30

7 trains

3h59

Interdiction

Paris-Agen

2 vols

1h30

4 trains

3h13

Interdiction

Paris-Biarritz

10 vols

1h2
temps médian

4 trains

4h06

Maintenue

Paris-Clermont Ferrand

6 vols

1h
temps médian

8 trains

3h17

Interdiction

Paris-Lorient

2 vols

1h15

9 trains

2h57

Interdiction

Paris-Pau

8 vols

1h20
temps médian

3 trains

4h18

Maintenue

Paris-Toulon-Hyères

8 vols

1h25
temps médian

8 trains

3h51

Maintenue

Paris-Agen

2 vols

1h30

13 trains

3h

Interdiction

Paris-Brive

3 vols

1h

9 trains

4h19

Maintenue

Paris-Limoges

2 vols

1h10

9 trains

3h15

Interdiction

Paris-Quimper

3 vols

1h25
temps médian

9 trains

3h33

Interdiction

Paris-Tarbes

3 vols

1h25
temps médian

3 trains

5h10

Maintenue

Paris-La Rochelle

1 vol

1h25

7 trains

2h29

Interdiction

Paris-Montpellier

14 vols

1h15
temps médian

11 trains

3h09

Interdiction

Paris-Perpignan

4 vols

1h20
temps médian

6 trains

5h01

Maintenue

Paris-Nice

31 vols

1h25

6 trains

5h45

Maintenue

Lyon-Marseille

3 vols

0h55

19 trains

1h40

Interdiction

Lyon-Lille

2 vols

1h15

5 trains

3h

Interdiction

Lyon-Metz/Nancy

2 vols

1h05

2 trains

4h32

Maintenue

Lyon-Nantes

9 vols

1h15
temps médian

3 trains

4h24

Maintenue

Lyon-Nice

3 vols

0h55

2 trains

4h35

Maintenue

Lyon-Rennes

4 vols

1h25

2 trains

3h47

Interdiction

Lyon-Strasbourg

3 vols

1h05

3 trains

3h32

Interdiction

Lyon-Toulouse

8 vols

1h00
temps médian

2 trains

4h07

Maintenue

Marseille-Bordeaux

5 vols

1h05
temps médian

5 trains

5h42

Maintenue

Marseille-Lille

4 vols

1h35

5 trains

4h29

Maintenue

Marseille-Metz

2 vols

1h40

1 train

6h35

Maintenue

Marseille-Nantes

4 vols

1h25
temps médian

1 train

6h22

Maintenue

Marseille-Rennes

3 vols

1h35

3 trains

5h34

Maintenue

Marseille-Strasbourg

3 vols

1h15
temps médian

2 trains

5h42

Maintenue

Marseille-Toulouse

3 vols

1h10

5 trains

3h33

Interdiction

Nice-Monte-Carlo

48 vols

0h06

48 trains (au moins)

0h21

Interdiction

Nantes-Bordeaux

2 vols

0h55

3 trains

5h10

Maintenue

Nantes-Lille

4 vols

1h10

2 trains

4h09

Maintenue

Nantes-Strasbourg

4 vols

1h25

2 trains

4h54

Maintenue

Nantes-Montpellier

3 vols

1h20

1 train

6h30

Maintenue

Bâle/Mulhouse-Lyon

 

 

5 trains

2h47

NA

Bâle/Mulhouse-Marseille

1 vols

1h25

2 trains

4h37

Maintenue

Bâle/Mulhouse-Nice

2 vols

1h15

1 train

7h50

Maintenue

Bordeaux-Lille

4 vols

1h20

2 trains

4h39

Maintenue

Bordeaux-Montpellier

1 vol

1h10

5 trains

4h17

Maintenue

Bordeaux-Strasbourg

2 vols

1h35

1 train

5h37

Maintenue

Lille-Montpellier

1 vols

1h35

2 trains

5h01

Maintenue

Lille-Strasbourg

2 vols

1h05

2 trains

2h46

Interdiction

Rennes-Strasbourg

1 vol

1h15

1 trains

4h22

Maintenue

Rouen-Lyon

1 vol

1h10

1 train

3h41

Maintenue

Châteauroux-Toulouse

 

 

3 trains

4h31

NA

Brest-Rennes

1 vol

0h50

14 trains

1h57

Interdiction

Nice-MonteCarlo

48 vols

0h06

48 trains
(au moins)

0h21

Interdiction

 

 1


([1]) Statistiques du trafic aérien - Ministère de la transition écologique et solidaire.

([2]) Ce chiffre inclut les émissions associées au vol ainsi que les émissions associées à la production et la distribution de carburant https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/

([3]) https://ressources.data.sncf.com/explore/dataset/emission-co2-tgv/table/

([4]) Ainsi, l’Agence fédérale pour l’environnement autrichienne propose par exemple d’assigner un indice de forçage radiatif de 2,7 à ces effets additionnels, c’est à dire un impact 2,7 fois plus important que le C02.

([5]) Bulletin statistique du trafic aérien commercial, Année 2017 - DGAC, avril 2018.

([6]) Enquête nationale transports et déplacements 2008.

([7])  Les aides au transport aérien, dommageables au climat et injuste – Réseau action climat, 2017.

([8]) « SNCF, votre ligne s’est-elle dégradée au fil du temps? » Le Monde, 30/04/2018.

([9]) « Les trains de nuit renaissent en Europe » - Reporterre, 24/24/2018.

([10]) Bulletin statistique du trafic aérien commercial – DGAC 2018.