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N° 2086

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juillet 2019.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à protéger le droit fondamental à linterruption volontaire
de grossesse,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution dune commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Luc CARVOUNAS, Clémentine AUTAIN, Joël AVIRAGNET, Ericka BAREIGTS, MarieNoëlle BATTISTEL, Huguette BELLO, Ugo BERNALICIS, Gisèle BIÉMOURET, Christophe BOUILLON, JeanLouis BRICOUT, MarieGeorge BUFFET, Éric COQUEREL, Alain DAVID, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Laurence DUMONT, Elsa FAUCILLON, Caroline FIAT, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Régis JUANICO, Sébastien JUMEL, Marietta KARAMANLI, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Bastien LACHAUD, Jérôme LAMBERT, Michel LARIVE, JeanPaul LECOQ, Serge LETCHIMY, Josette MANIN, JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, George PAULANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, Loïc PRUDHOMME, Joaquim PUEYO, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Hervé SAULIGNAC, Gabriel SERVILLE, Bénédicte TAURINE, Sylvie TOLMONT, Hélène VAINQUEURCHRISTOPHE, Boris VALLAUD, Michèle VICTORY, Hubert WULFRANC,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle vise à protéger le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), en l’inscrivant dans notre Constitution et en empêchant quiconque de pouvoir entraver l’exercice de ce droit fondamental.

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est une conquête politique – démocratique et laïque – qui est un marqueur fort de l’égalité femme‑homme de notre société. Loin d’être évident, ce droit a été conquis de haute lutte, et il convient d’être constamment vigilant pour qu’il ne soit pas remis en cause. Il est d’ailleurs durement balloté entre l’affaiblissement des services publics d’une part, et le retour de multiples ingérences religieuses d’autre part.

L’interruption volontaire de grossesse était d’ailleurs considérée comme un « crime contre l’État » jusqu’en 1942, puni de la peine de mort. C’est en 1971, grâce à un manifeste porté par « 343 courageuses » ‑ qui avaient eu à connaître dans leur vie le douloureux épisode de l’IVG ‑ que le débat public a enfin avancé. Et ce n’est qu’en 1975 que la loi Veil a permis aux femmes d’enfin disposer librement de leur corps.

Mais rappelons que c’est seulement en 1979 que la légalisation de l’IVG intervient définitivement ; il est remboursé à partir de 1983 ; l’autorisation parentale et l’allongement du délai sont adoptés en 2001 ; en 2016, sous la précédente majorité, il est pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie ; enfin, en 2017, le délit d’entrave créé en 1993 est renforcé, notamment au sujet de l’entrave numérique et des fausses informations délivrées concernant l’IVG.

Malgré cela, on observe depuis plusieurs années des velléités de revenir sur ce droit fondamental, portées par des courants politiques extrémistes ou proches de mouvances religieuses traditionnalistes. Que l’on pense aux manifestations anti‑IVG, ou bien aux actions médiatiques chocs de certains groupements politiques, on constate que la légitimité de ce droit est constamment remise en cause.

C’est aussi le cas dans le monde, comme par exemple aux États‑Unis avec la suppression des aides aux associations qui accompagnent les femmes dans leurs démarches ou la mise en place de législations anti‑IVG dans plusieurs États, ou encore en Espagne avec les tentatives de restrictions légales de l’IVG.

Pourtant, rappelons que la Conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies stipule que les droits fondamentaux des femmes incluent la maîtrise de leur sexualité et la liberté de décision en matière de procréation.

L’instauration de l’IVG pour l’émancipation des femmes est donc bel et bien le résultat d’un combat politique universaliste.

Aujourd’hui en France, près de 200 000 femmes ont recours chaque année à l’IVG ; une femme sur trois en moyenne y a recours dans sa vie ; dans nos Outremers, le taux d’interruption volontaire de grossesse est encore plus élevé – avec 25,2 pour mille – que dans l’hexagone, qui est à 13,9 pour mille.

La question de l’accès à l’IVG va donc de pair avec la reconnaissance de ce droit. Aussi, comme le précise une proposition de loi constitutionnelle déposée au Sénat par le groupe communiste sur cette question : « De nombreux témoignages et rapports officiels attestent que laccès à lavortement souffre dentraves, qui sont tout sauf virtuelles. Délai pour obtenir un premier rendezvous, fermeture de 130 centres pratiquant les interruptions volontaires de grossesse en dix ans lors de restructurations hospitalières, réseau insuffisamment structuré, pénurie de praticiens en ville et à lhôpital, manque de moyens dans les centres de santé ou association (planning familial en tête) viennent entraver laccès à ce droit. Lavortement est un droit qui doit être respecté. Il en va de la liberté des femmes à disposer de leur corps. »

Si cette proposition de loi constitutionnelle ne traite pas à proprement parler de la question de l’accès à l’IVG, elle dispose a contrario que nul ne peut entraver cet accès. C’est donc bien une reconnaissance constitutionnelle de ce droit fondamental qui est ici proposée, mais aussi une protection juridique empêchant toute entrave à l’exercice de ce droit fondamental.

Par ailleurs, cette proposition de loi constitutionnelle est conforme à l’esprit de l’avis publié par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le 18 avril 2018, relatif à la réforme constitutionnelle prévue cette même année, avec la volonté d’obtenir de réelles avancées constitutionnelles en matière d’égalité femmes‑hommes.

De plus, lors de sa première audition devant la Délégation aux droits des femmes en juillet 2017, Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a semblé prête à soutenir une telle démarche constitutionnelle.

Dès lors, après l’entrée au Panthéon de Madame Simone Veil le 1er juillet 2018, cette proposition de loi constitutionnelle offre une occasion historique d’aller au‑delà des symboles pour garantir constitutionnellement ce droit fondamental. Il s’agirait certainement du plus bel hommage que l’on puisse rendre à celle qui s’est battue, jusque dans sa propre famille politique, pour faire adopter ce droit fondamental en faveur de l’émancipation des femmes.

D’une manière analogue, rappelons que le Président de la République Jacques Chirac avait en son temps ressenti la nécessité de constitutionnaliser l’interdiction de la peine de mort lorsqu’il était Président, car il savait qu’il fallait protéger davantage cet acte de civilisation.

Avec la présente proposition de loi constitutionnelle, nous proposons donc de consacrer le droit fondamental à l’IVG dans notre Constitution et de le protéger juridiquement en empêchant toute entrave à sa mise en œuvre.


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le titre VIII de la Constitution est complété par un article 66‑2 ainsi rédigé :

« Art. 662. – Nul ne peut entraver le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse. »