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N° 2090

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à clarifier les critères caractérisant les centres des intérêts matériels et moraux des fonctionnaires originaires des outremer,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC,

Député-e-s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Instaurés par la loi du 11 janvier 1984 concernant la situation de certains fonctionnaires originaires d’outre‑mer séparés de leurs familles ou en situation de handicap, puis généralisés, les centres des intérêts matériels et moraux permettent théoriquement aux fonctionnaires originaires d’outre‑mer de faciliter leurs demandes de mutation ou de droit à congés bonifiés.

Pour comprendre leur justification, il faut remonter à la politique du BUMIDOM, c’est‑à‑dire au Bureau des migrations dans les départements d’outre‑mer, institué le 7 juin 1963 pour « contribuer à la solution des problèmes démographiques intéressant les DOM ».

De 1963 à 1981, le BUMIDOM a organisé la migration systématique de plus de 70 000 personnes (soit plus de 40 % des personnes en âge de travailler dans ces régions !) pour leur installation en France métropolitaine dans le cadre du service militaire, d’une mutation dans la fonction publique ou d’une migration spontanée.

La politique du BUMIDOM, remplacé par l’Agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs d’outre‑mer en 1981, s’est poursuivie, même si ce nouvel organisme a lui‑même disparu au profit de l’Agence nationale pour l’insertion et la protection des travailleurs d’outre‑mer (ANT) devenue, en 1992, l’Agence de l’outre‑mer pour la mobilité (ADOM).

Dès l’origine, compte tenu du caractère souvent contraint de leur migration, de l’éloignement et des handicaps structurels liés à leur région d’origine, il apparait que ces fonctionnaires originaires d’outre‑mer avaient vocation, en contrepartie de leur déplacement, à voir garantir et maintenir leurs liens familiaux avec leurs régions d’origine.

C’est pourquoi, notamment, les congés bonifiés furent institués et les mutations facilitées sur la base de centres des intérêts matériels et moraux (CIMM).

Les centres des intérêts moraux et matériels (CIMM) ne se limitent en effet pas aux congés bonifiés. Relevant d’une construction essentiellement jurisprudentielle dont les nombreux critères, non exhaustifs et non cumulatifs, ont été rappelés par voie de circulaires administratives, ils s’appliquent à bien d’autres situations.

La notion de CIMM est également utilisée dans le cadre de la prise en charge des frais de changement de résidence et surtout, depuis la loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dans les cadres des mutations : les agents justifiant de leur CIMM dans une collectivité d’outre‑mer bénéficiant alors d’une priorité légale d’affectation.

Et pourtant, ils font l’objet d’une application aléatoire et contestable, voire d’une remise en cause, malgré la circulaire du 1er mars 2017qui a rappelé aux ministères, dans un souci de prévention des actions contentieuses, que les critères du CIMM doivent faire l’objet d’une application « homogène et transparente ».

Depuis la loi de programmation du 28 février 2017, dite loi EROM, relative à l’égalité réelle outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, en effet, les CIMM sont au cœur du dispositif accompagnant la gestion des carrières et la mobilité des fonctionnaires originaires des outre‑mer, tant en ce qui concerne les mutations que les congés bonifiés, destinés à permettre aux agents de l’État originaires d’Outre‑Mer de maintenir les liens affectifs et familiaux avec leurs régions d’origine situées à plusieurs milliers de kilomètres de la France hexagonale.

Notamment, depuis la loi EROM, l’existence de ces CIMM constituent désormais une priorité légale, générale et immédiate d’affectation dans un territoire d’outre‑mer.

Toutefois, dans la réalité, ce droit et ce réajustement d’égalité offert aux fonctionnaires originaires d’outre‑mer pour que leurs liens affectifs et familiaux avec leur région d’origine puissent perdurer malgré leur situation d’éloignement, est toujours et trop souvent refusé par certaines administrations, parfois dans la même administration, ou même dans le même service. Il arrive même qu’un fonctionnaire se les voit acquis une année, puis refusés l’année suivante, sans que sa situation ait changé…

Il s’ensuit un déni de droit et des situations extrêmement compliquées, aggravées par une jurisprudence pléthorique et confuse qui relève parfois de la nécessité de cumuler jusqu’à 22 critères de centres des intérêts matériels et moraux, souvent abscons.

Cette confusion autorise certaines administrations à appliquer la loi de façon très restrictive ou aléatoire, voire même à ne pas l’appliquer pour simple raison de gestion de service.

Malgré deux circulaires qui ont rappelé que les critères généralement retenus ne présentent pas de « caractère exhaustif ni nécessairement cumulatif ».

Il parait donc nécessaire que la loi se saisisse de cet imbroglio pour clarifier, simplifier, et rendre transparente et automatique l’application uniforme et générale de ces critères de centres d’intérêts matériels et moraux pour l’ensemble de l’administration.

Il parait nécessaire que les centres des intérêts matériels et moraux, comme l’a souhaitée la loi EROM elle‑même, soient placés au cœur du dispositif accompagnant la gestion des carrières et la mobilité des fonctionnaires originaires des outre‑mer, aussi bien pour les mutations que pour les congés bonifiés.

Il apparaît nécessaire, ainsi, que la loi dise le droit.

Pour cela, un travail législatif doit être fait sur les CIMM, car les outre‑mer ont évidemment une sensibilité particulière sur les questions de mutation qui exige que le législateur réponde à cette demande de justice et d’équité.

C’est en effet à la loi de garantir à tous les demandeurs de mutations ou de congés bonifiés, quelles que soient leurs administrations d’origine, une application stricte, transparente et uniforme des mêmes critères. Et une durabilité sans équivoque.


proposition de loi

Article 1er

Après l’article 85 de la loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique il est inséré un article 85 bis :

« Art. 85 bis. – I. – Les critères des centres des intérêts matériels et moraux nécessaires pour justifier d’une mutation ou de congés bonifiés pour les fonctionnaires originaires des outre‑mer exerçant leur activité professionnelle en France métropolitaine sont les suivants :

« – être né dans une collectivité, un département ou un territoire d’outre‑mer ;

« – y avoir au moins son conjoint ou un de ses deux parents qui y est né ;

« – avoir des grands‑parents ou des parents, ou des frères ou sœurs résidants, vivants ou inhumés, dans une collectivité, un département ou un territoire d’outre‑mer ;

« – avoir fait tout ou partie de sa scolarité obligatoire dans une collectivité, un département ou un territoire d’outre‑mer ;

« – avoir un bien foncier dans une collectivité, un département ou un territoire d’outre‑mer ;

« – payer des impôts dans une collectivité, un département ou un territoire d’outre‑mer.

« II. – La réunion d’au moins trois de ces six critères donne automatiquement le bénéfice de ces centres des intérêts matériels et moraux au fonctionnaire originaire d’outre‑mer qui formule une demande de mutation ou de congés bonifiés.

« III. – Une fois réunis lors d’une première demande, et constatés, ces centres des intérêts matériels et moraux ne peuvent être remis en question au cours de la carrière du fonctionnaire, même si l’un des critères évolue lors de nouvelles demandes de mutations ou de congés bonifiés. Ils sont acquis à vie.

IV. ‑ L’application de ces critères concernent les fonctionnaires originaires des collectivités mentionnées à l’article 72‑3 de la Constitution et celles régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi que la Nouvelle‑Calédonie.

Article 2

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.