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N° 2098

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative à linterdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanHugues RATENON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE, Moetai BROTHERSON, Mjid EL GUERRAB,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La consommation d’alcool en France est responsable de plus de 49 000 décès par année et constitue la deuxième cause de mortalité après le tabac, avec 7 % du nombre total de décès de personnes d’au moins quinze ans en 2015. L’alcoolisme est responsable de plus de 130 morts par jour en France, soit un décès toutes les dix minutes environ (INSEE).

En ce qui concerne l’Île de La Réunion, celle‑ci figure parmi les départements et régions de France où l’alcool fait le plus de victimes derrière les Hauts‑de‑France et la Bretagne, avec près d’un décès sur six chaque année, soit 250 réunionnais (ANPAA).

Il peut donc paraître aberrant en termes de santé publique d’inciter à la consommation d’alcool au moyen de publicités.

Une loi concernant la restriction de la publicité pour l’alcool a été mise en place le 10 janvier 1991 : la loi « Évin ». Celle‑ci ne prohibe pas la publicité des boissons alcooliques mais l’encadre et la restreint notamment en ce qui concerne son contenu et son support. Ainsi la publicité concernant les boissons alcoolisées est interdite sur les supports s’imposant à tous et étant accessibles aux mineurs tels que la télévision et le cinéma. Néanmoins, depuis les années 2000 l’expansion d’internet et des nouveaux supports de diffusion et de publicité sont à la disposition des producteurs et des consommateurs. L’article 97 de la loi du 21 juillet 2009, modifie l’article L. 3323‑2 du code de la santé publique afin d’autoriser la publicité en faveur de l’alcool sur internet ce qui ne figurait pas à la liste qui limite les supports autorisés par la loi.

En ce qui concerne l’outre‑mer et notamment La Réunion, la publicité en faveur de l’alcool relève d’une loi différente, plus permissive, que celle applicable au territoire hexagonal comme le prévoit l’article 53 de la loi du 28 février 2017. De ce fait, il paraît important de rappeler les conséquences de l’alcool sur la société et les individus qui la composent.

En plus du taux de décès, il faut compter parmi les conséquences de la consommation d’alcool : le risque d’hypertension artérielle, d’infarctus, d’accident vasculaire‑cérébral, le caractère cancérigène de l’alcool, mais aussi les violences, les viols, les actes d’incivilités commis sous l’empire d’un état alcoolique...

Si ces conséquences s’avèrent importantes aujourd’hui cela est notamment dû au fort taux de consommation d’alcool chez les Français, jeunes ou non.

En effet, en termes de fréquence, la consommation quotidienne est rare chez les jeunes : 2,3 % des jeunes de 18 à 24 ans boivent de l’alcool tous les jours. Cette proportion augmente avec l’âge : elle représente 7,4 % des 45‑54 ans et 26 % des 65‑75 ans. En termes de quantité : le nombre de verres d’alcool bus par jour de consommation diminue avec le temps : 3,3 verres chez les 18‑24 ans et 1,7 verre chez les 65‑75 ans. De plus, 54,1 % des jeunes entre 18 et 24 ans et 48,8 % des 25‑34 ans ont eu une alcoolisation ponctuelle importante, c’est‑à‑dire boire au moins six verres en une occasion au cours des douze derniers mois contre 24,6 % des 55‑64 ans et 19,7 % des 65‑75 ans. Les ivresses régulières (au moins dix au cours de l’année) s’observent principalement chez les jeunes de 18 à 24 ans et concernent 13,4 % d’entre eux en 2017, contre moins de 1 % chez les plus de 55 ans. Les jeunes se distinguent des adultes par la nature des boissons alcooliques qu’ils consomment. Alors que le vin est la boisson la plus consommée dans la population française, il l’est peu parmi les jeunes qui préfèrent boire de la bière et des alcools forts.

À La Réunion, 11,1 litres d’alcool pur sont en moyenne consommés par habitant, la consommation moyenne par adulte de 10,5 l/an d’alcool, avant 18 ans, plus de huit jeunes réunionnais sur dix ont déjà consommé de l’alcool, les usages réguliers et les ivresses sont en augmentation.

Ce pourquoi, au vu de ces chiffres, il paraît important d’interdire l’incitation à la consommation de l’alcool par la prohibition des publicités. En effet, la publicité pour l’alcool semble répondre à six objectifs contraires à l’éthique qui sont cependant démentis par les alcooliers :

– inciter ceux qui ne consomment pas d’alcool à commencer à boire ;

– éviter que ceux qui boivent ne s’arrêtent ;

– encourager ceux qui boivent à augmenter leur niveau de consommation ;

– éviter que ceux qui boivent ne réduisent leur niveau de consommation ;

– encourager ceux qui boivent à maintenir ou à développer leurs habitudes de consommation ;

– encourager ceux qui boivent à maintenir ou à changer la marque des produits consommés.

Indirectement, ces six objectifs peuvent se résumer en un : inciter à mettre sa santé en danger.

Il existe deux types de publicité : une plutôt centrée sur le produit et ses qualités propres qui touche un public plus adulte et une centrée sur l’image, l’ambiance, ce que le produit nous permettra de faire, sur les bienfaits et le bien‑être que peut nous procurer la consommation d’alcool.

Ce second type de publicité est d’autant plus dangereux qu’elle touchera un public plus jeune et plus vulnérable. Ce genre de publicités joue sur les plaisirs, le fait de faire la fête, de passer de bons moments, de s’évader du quotidien sans aborder les risques auxquels nous nous exposons lorsque nous consommons.

La publicité pour l’alcool renvoie une image d’un adulte qui sera heureux, bien entouré, qui pourra s’amuser, une image de l’utilisation de l’alcool comme facteur d’interaction et d’inclusion sociale ce qui peut être particulièrement attractif pour un adolescent en quête d’identité et de bien‑être. L’adolescence est en effet une période de vulnérabilité où l’individu va rechercher la prise de risque, aura besoin de transgression et donc sera d’autant plus sujet à consommer des substances addictives. La publicité n’est pas directement adressée aux mineurs, puisque la vente d’alcool est interdite aux mineurs en France. Mais, de ce fait, l’alcool apparaît inconsciemment pour l’adolescent une barrière à franchir pour entrer dans le monde des adultes. La publicité va jouer de cette volonté inconsciente.

La publicité va banaliser la consommation d’un produit nocif pour la santé qui sera vu comme non problématique mais comme bénéfique à la santé morale. Il y a donc une valorisation de ce point qui délaisse complètement les risques sanitaires et sociaux qui pèsent beaucoup plus lourds que le bien être momentané dans la balance des conséquences de l’alcool. Les publicités apparaissent donc comme des « anti‑préventions » au risque de l’alcool.

De plus, la présence de publicités dans les métros, les gares, les abribus notamment où passent des transports scolaires vont inciter et marquer une population plus jeune.

Le fait de sensibiliser les jeunes particulièrement représente une technique marketing afin d’avoir des clients sur une durée plus longue voir même à vie à cause de la dépendance. Plus l’on va commencer à consommer jeune, plus la dépendance sera probable et importante étant donnée la difficulté à s’en éloigner avec le temps. Les pratiques addictives débutent dans 90 % des cas avant l’âge de 18 ans (The National Center on addiction and substance abuse Columbia University).

La publicité va banaliser, voire même valoriser, la consommation d’alcool. Interdire les publicités pour la boisson alcoolisée apparaît ainsi comme une politique de protection des mineurs puisque, comme nous l’avons dit, la publicité va fortement inciter à l’augmentation de la consommation. Si ce n’était pas le cas, les entreprises alcoolières n’auraient pas investi autant d’argent dans son élaboration. En effet, 460 millions d’euros en 2011 en France ont été dépensés par les alcooliers pour la publicité.

En ce qui concerne La Réunion, nous remarquons que les publicités sont abondantes : affichages sur la voie publique, devanture de restaurants, des commerces, véhicules commerciaux habillés, camions de livraison, catalogues publicitaires, presse écrite, cartes postales gratuites, internet, vêtement etc... notamment en périodes de fêtes de fin d’années, de fête des pères, des mères, lors des versements d’allocations de rentrée scolaire. À La Réunion également, les sommes investies dans la publicité pour les boissons alcoolisées sont aussi importantes puisqu’elles atteignent près de 10 millions d’euros annuel.

Alors que la France a reconnu le caractère néfaste de la consommation de tabac pour la santé publique et donc la nécessité d’en interdire la publicité, il convient d’en faire de même pour l’alcool. C’est l’objet de cette proposition de loi.

L’article unique propose de modifier le chapitre III du titre II du livre III du code de la santé publique en prenant pour modèle les dispositions de la section 1 du chapitre II du titre Ier du livre V du code de la santé publique relatives à l’interdiction de la publicité des produits du tabac.


proposition de loi

Article unique

I. – Le chapitre III du titre II du livre III du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. 33231. – La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code, ainsi que toute distribution gratuite de ces mêmes produits sont interdites.

« Cette interdiction ne s’applique pas :

« 1° Aux publications et services de communication en ligne édités par les organisations professionnelles de producteurs, fabricants et distributeurs des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L.3321‑1 du présent code, réservés à leurs adhérents, ni aux publications professionnelles spécialisées dont la liste est établie par arrêté signé par les ministres chargés de la santé et de la communication, ni aux services de communication en ligne édités à titre professionnel qui ne sont accessibles qu’aux professionnels de la production, de la fabrication et de la distribution des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L.3321‑1 du présent code.

« 2° Aux publications imprimées et éditées et aux services de communication en ligne mis à disposition du public par des personnes établies dans un pays n’appartenant pas à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen, lorsque ces publications et services de communication en ligne ne sont pas principalement destinés au marché communautaire.

« Toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu’elle est effectuée par les fabricants, les importateurs ou les distributeurs des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L.3321‑1 du présent code ou lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code.

« Art. L. 33232. – Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou la publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre que des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle les boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code.

« Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou à la publicité en faveur des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code. La création d’un lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque cette dérogation.

« Art. L. 332321.  Il est interdit de remettre, distribuer ou envoyer à des mineurs des prospectus, buvards, protège‑cahiers ou objets quelconques nommant une boisson alcoolique, ou en vantant les mérites ou portant la marque ou le nom du fabricant d’une telle boisson.

« Art. L. 33233. – La retransmission des compétitions de sport mécanique, contenant de la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code et qui se déroulent dans des pays où la publicité pour des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code est autorisée, peut être assurée par les chaînes de télévision.

« Art. L. 33234. – I. – Les fabricants, les importateurs et les distributeurs des boissons répertoriées du 2° au 5° de l’article L. 3321‑1 du présent code ainsi que les entreprises, les organisations professionnelles ou les associations les représentant adressent chaque année au ministre chargé de la santé un rapport détaillant l’ensemble des dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts.

« II. – Sont considérées comme des dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts :

« 1° Les rémunérations de personnels employés en totalité ou en partie pour exercer des activités d’influence ou de représentation d’intérêts ;

« 2° Les achats de prestations auprès de sociétés de conseil en activités d’influence ou de représentation d’intérêts ;

« 3° Les avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, dont la valeur dépasse 10 euros, procurés à :

« a) Des membres du Gouvernement ;

« b) Des membres des cabinets ministériels ou à des collaborateurs du Président de la République ;

« c) Des collaborateurs du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat ;

« d) Des parlementaires ;

« e) Des personnes chargées d’une mission de service public que leur mission ou la nature de leur fonction appelle à prendre ou à préparer les décisions et les avis des autorités publiques relatifs aux produits du tabac ;

« f) Des experts, personnes physiques ou morales, chargés, par convention avec une personne publique, d’une mission de conseil pour le compte d’une personne publique qui a pour mission de prendre ou de préparer les décisions et les avis des autorités publiques relatifs aux produits du tabac.

III. – Le rapport mentionné au I indique, pour chaque entreprise tenue de l’établir :

« 1° Le montant total des rémunérations mentionnées au 1° du II et le nombre des personnes concernées ;

« 2° Le montant total et l’identité des bénéficiaires des dépenses mentionnées au 2° du II ;

« 3° La nature et l’identité du bénéficiaire de chaque dépense mentionnée au 3° du II. »