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N° 2422

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative au renforcement des sanctions fiscales et pénales du commerce parallèle du tabac et à la poursuite de leurs auteurs,

(Renvoyée à la des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

FrançoisMichel LAMBERT, Frédérique DUMAS, Élodie JACQUIERLAFORGE, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sandrine JOSSO, JeanPierre PONT, Olivier FALORNI, Régis JUANICO, Patrick VIGNAL,  François PUPPONI, Gabriel SERVILLE, JeanCharles LARSONNEUR, Caroline JANVIER, Anne BLANC, JeanLouis TOURAINE, JeanLuc REITZER, Grégory BESSONMOREAU, Nicolas TURQUOIS, Béatrice DESCAMPS, Bertrand PANCHER, Josiane CORNELOUP, Bérengère POLETTI, Sonia KRIMI, Sophie AUCONIE, Jacques MAIRE, Florence PROVENDIER, Jennifer De TEMMERMAN, JeanChristophe LAGARDE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le moyen le plus efficace pour réduire le tabagisme est d’augmenter les taxes, donc les prix. Pour l’OMS, une hausse des prix du tabac de 10 % fait baisser en moyenne la consommation de 4 %.

Le risque lié à l’augmentation dissuasive des prix est l’apparition ou la progression du commerce parallèle de tabac.

Pour rappel en 2018, 32 % des Français adultes consommaient du tabac : 25,4 % quotidiennement et 6,6 % de manière occasionnelle. Les chiffres de 2019 confirment une baisse constante du nombre de fumeurs depuis 2016.

On estime à 75 000 à 80 000 le nombre de morts attribuables par an au tabagisme, à la suite de cancers, de maladies cardiovasculaires ou de pathologies respiratoires. Cela correspond à 13 % des décès survenus en France métropolitaine.

Le commerce parallèle pèse 25 % à 30 % de la consommation de tabac en France. Il impacte particulièrement les adolescents et les jeunes, très sensibles aux questions de prix.

Ce commerce parallèle ne s’alimente quasiment pas de produits contrefaits car il est moins cher et moins risqué pénalement d’acheter des cigarettes dans des pays à fiscalité faible que de les fabriquer. Ainsi, selon plusieurs études de l’OMS, d’associations anti‑tabac et de parlementaires, plus de 98 % du commerce parallèle sort directement ou indirectement des usines des cigarettiers. C’est ce qui est clairement ressorti du débat organisé le 23 novembre 2018 au Sénat par le sénateur des Hauts‑de‑Seine M. Xavier Iacovelli. Le thème de ce débat était : « Origines du commerce parallèle de tabac, solutions pour y mettre fin ».

Au‑delà des problèmes de santé publique et d’insécurité, les cigarettiers qui s’en défendent sont donc indirectement responsables d’une perte fiscale estimées à 3 milliards d’euros/an qui doit par conséquent être assumée par les contribuables, dont les 75 % de non‑fumeurs.

Le commerce parallèle provoque également une perte de chiffres d’affaires estimée pour les buralistes de 250 millions d’euros par an.

Pour rappel il est utile de noter que le tabac rapporte environ 15 milliards d’euros par an mais que son coût social, estimé en 2015 par l’économiste M. Pierre Kopp et publié sur le site de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) serait estimé pour le tabac à 122 milliards d’euros. Ce coût social, très proche de celui de l’alcool, comprend l’estimation de la valeur des vies humaines perdues, de la perte de la qualité de vie, des pertes de production pour les entreprises et du coût pour les finances publiques (dépenses de prévention, répression et soins, économie de retraites non versées et recettes des taxes prélevées sur le tabac qui sont bien inférieures aux coûts des soins).

Le commerce parallèle de tabac est un problème majeur aux multiples conséquences qu’il convient de cesser de traiter comme d’un sujet banal ou anecdotique et qui engage la responsabilité des cigarettiers. Quatre firmes internationales se partagent le marché du tabac : Philip Morris International, British American Tobacco, Japan Tobacco International et Seita Imperial Tobacco.

Tous les observateurs s’accordent à reconnaitre que la meilleure solution pour empêcher les cigarettiers de participer voire d’organiser le commerce parallèle est de mettre en place la traçabilité des produits du tabac. 

Pour mémoire, en France, le commerce parallèle de tabac a explosé à partir de 2004 avec la hausse conséquente des prix du tabac voulue par le Président Jacques Chirac dans le cadre de son Plan cancer. Pendant des années, ce phénomène était méconnu et il n’existait pas de solutions efficaces pour y mettre fin, ou pour au moins le contenir. Les seules données existantes sur le commerce parallèle de tabac émanaient des fabricants de tabac qui expliquaient qu’ils étaient les premières victimes de ce phénomène.

Ainsi pendant des années, les gouvernements français comme à l’échelle de l’Union européenne, signaient avec les fabricants de tabac des « protocoles daccord de lutte contre le commerce parallèle de tabac », laissant penser que travailler avec les fabricants de tabac pour mettre fin à ce fléau était la solution. Mais la réalité était bien différente et ce n’est qu’à partir de 2013/2014 que des enquêtes journalistiques ont commencé à démontrer la responsabilité de l’industrie du tabac dans l’organisation et l’alimentation du commerce parallèle. En novembre 2016, dans une interview publiée par le magazine de la Confédération des buralistes « Le Losange », la porte‑parole du fabricant de tabac Imperial Tobacco reconnaissait que la contrefaçon de tabac ne pesait que 0,2 %, et que les Illicit Whites, ou marques blanches, ces cigarettes fabriquées par de petits fabricants et commercialisées dans des pays où elles ne sont théoriquement pas référencées, ne pesaient que 1 %. On apprenait ainsi de la seule entité, l’industrie du tabac, qui conduit des études quantitatives sur ce sujet, que 98 % du commerce parallèle de tabac est composé de cigarettes véritables fabriquées dans les usines des quatre majors du  tabac.

Comme l’ont montré les débats organisés au Sénat le 23 novembre 2018 par le sénateur des Hauts‑de‑Seine M. Xavier Iacovelli, et à l’Assemblée Nationale le 4 avril 2109 par le député des Bouches‑du‑Rhône M. François‑Michel Lambert, le commerce parallèle de tabac est alimenté de deux façons.

Directement par les fabricants de tabac qui sur‑approvisionnent certains pays à fiscalité sur le tabac plus faible pour inciter les consommateurs des pays proches à fiscalité sur le tabac plus élevée à venir y faire leurs achats. Cela concerne pour la France la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Espagne, avec l’exemple édifiant d’Andorre où les cigarettiers livrent chaque année 850 tonnes de tabac alors que 120 tonnes seulement seraient suffisantes pour satisfaire la consommation domestique.

Indirectement par les fabricants de tabac qui vendent à la sortie de leurs usines de grandes quantités de tabac à des intermédiaires, sans se préoccuper de sa destination finale. C’est ce tabac, ramené par camions ou bateaux, qui fait l’objet de saisies médiatisées qualifiées à tort de contrefaçon.

Ces informations auraient dû profondément changer les politiques de lutte contre le commerce parallèle. Mais il n’en a rien été et les cigarettiers ont continué de multiplier les conférences de presse et les visites sur le terrain pour parler du commerce parallèle en « omettant » donc de préciser que 98 % des cigarettes issues de ce commerce sortaient de leurs usines.

Par ailleurs, l’OMS soumettait à ratification en novembre 2012 son Protocole « pour éliminer le commerce illicite » qui vise à mettre en œuvre un système de traçabilité des produits du tabac.

Ce protocole a été élaboré en réaction au commerce illicite des produits du tabac, qui s’étend au niveau international et met gravement en péril la santé publique. Le commerce illicite rend les produits du tabac plus accessibles et plus abordables et, de ce fait, entretient l’épidémie de tabagisme et sape les politiques de lutte antitabac. Il entraîne par ailleurs d’importantes pertes fiscales et contribue en même temps à financer des activités criminelles transnationales. Tel était le constat de l’OMS.

Ce protocole excluait tout lien avec les cigarettiers dans la mise en place des systèmes de traçabilité. Pourtant, la Commission européenne approuvée par les États membres dont le gouvernement français décidait au début de l’année 2018 d’élaborer son propre système de traçabilité en en confiant les trois‑quarts à la responsabilité des cigarettiers.

Ce système a été lancé le 20 mai 2019. Comme l’ont rappelé plusieurs associations antitabac dont le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) c’est une décision contraire au droit international : entré officiellement en vigueur le 25 septembre 2018 le Protocole de l’OMS est devenu un traité international supérieur en droit aux directives européennes et aux lois nationales.

Il est temps de considérer la réalité des faits et d’en finir avec la tentative de justification de l’industrie du tabac qui affirme que c’est malgré elle que les cigarettes qu’elle fabrique alimentent le commerce parallèle. Ce commerce parallèle de tabac a bien pour origine la surproduction et le sur‑approvisionnement organisés sciemment par les fabricants de tabac, avec les conséquences sanitaires et financières que l’on connait.

Nous considérons par conséquent qu’il faut agir de façon plus volontariste, à plusieurs niveaux.

Il convient tout d’abord d’exiger que tous les pays mettent en œuvre le Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite », et appliquent plus particulièrement son article 8 qui définit une traçabilité des produits du tabac strictement indépendante des cigarettiers. Mais une telle disposition ne relève pas de la présente proposition de loi et nécessite d’agir à l’échelle de l’Union européenne. Il appartient aux députés européens de porter cette proposition et d’agir au niveau de la directive Tabac qui doit être révisée à partir de 2021.

La présente proposition de loi comporte un article unique qui porte à un niveau réellement dissuasif les sanctions fiscales et pénales du commerce parallèle de tabac et à faciliter la recherche de ceux qui en sont à l’origine ainsi que leur condamnation.

Il s’agit de traiter le commerce parallèle de tabac comme le trafic de drogue.

Les différentes infractions qui peuvent être commises en la matière sont aujourd’hui sanctionnables sur le fondement des dispositions du code général des impôts ; lequel comporte un dispositif pénal et des sanctions fiscales.

Il convient par conséquent de renforcer le dispositif existant en augmentant significativement les sanctions fiscales.

La sanction de base passerait de 1 000 € à 5 000 €, de 100 000 € à 200 000 €, la sanction pour les faits commis en bande organisée passerait de 50 000 € à 250 000 €, de 200 000 € à 500 000 €. La pénalité complémentaire passerait d’une à trois fois le montant des droits, à une à dix fois, et, en cas de commission en bande organisée de cinquante à cent fois à cent à deux cents fois.

Un dispositif de réduction des sanctions en cas de coopération, comme en matière fiscale, est aussi prévu.

Nous proposons ainsi que les amendes et pénalités prévues soient réduites des trois‑quarts si le ou les auteurs des faits permettent d’identifier les autres auteurs ou complices, en particulier ceux qui sont à l’origine de la fourniture des produits en cause, à savoir les fabricants de tabac.

Il est aussi proposé de sanctionner les personnes morales qui fabriquent, détiennent, vendent ou transportent illicitement du tabac en basant les amendes sur un pourcentage de leur chiffre d’affaires. Les mêmes sanctions s’appliquent en cas de cas de falsification ou d’absence d’identifiants.

Ces différentes dispositions devraient donner une plus grande autonomie au dispositif pénal et l’adapter aux trafics en impliquant davantage les contrevenants dans la recherche des véritables auteurs.


proposition de loi

Article unique

Le code général des impôts est ainsi modifié :

I. – L’article 1791 ter est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le montant : « 1 000 € » est remplacé par le montant : « 100 000 € » et le montant : « 5 000 € » est remplacé par le montant : « 200 000€ » ;

2° Au deuxième alinéa, le montant : « 50 000€ » est remplacé par le montant : « 200 000 € » et le montant : « 250 000 € » est remplacé par le montant : « 500 000 € » ;

3° Au troisième alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « dix » ;

4° Au quatrième alinéa, les mots : « de cinquante à cent fois » sont remplacés par les mots : « de cent à deux‑cents fois » ;

5° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les amendes et pénalités prévues au présent article sont réduites de trois‑quarts lorsque l’auteur des faits, par son témoignage, permet d’identifier tout autre auteur ou complice notamment lorsque ceux‑là sont à l’origine de la fourniture des produits en cause ».

II. – Après l’article 1791 ter, sont insérés deux articles 1791 quater et 1791 quater A ainsi rédigés :

« Art. 1791 quater. – 1° Une amende s’élevant à 5 % du chiffre d’affaires mondial est de plein droit substituée à l’amende visée au premier alinéa de l’article 1791 ter lorsque la fabrication, la détention, la vente ou le transport illicite de tabac est réalisé par une personne morale.

« La personne morale agissant en qualité de complice, encourt les mêmes peines ;

« 2° Lorsque commise en bande organisée, l’amende visée au 1° passe à 10 % du chiffre d’affaires mondial.

« La personne morale agissant en qualité de complice, encourt les mêmes peines.

« Art. 1791 quater A. – 1° La détention, la vente ou le transport de produits du tabac non revêtus de l’identifiant prévu à l’article L. 3512‑23 du code de la santé publique est puni de l’amende visée à l’article 1791 ;

« 2° La même sanction est applicable en cas d’identifiant falsifié ou, d’identifiant reprenant des informations déjà attribuées. »