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N° 2479

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer les sanctions pour défaut
de publication des comptes sociaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Fabien ROUSSEL, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Sébastien JUMEL, JeanPaul LECOQ, Stéphane PEU, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De nombreux groupes français, de toutes tailles, choisissent délibérément de ne pas publier leurs comptes, en dépit de l’obligation légale. Alors que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale doit être une priorité, il est inconcevable que de telles pratiques perdurent, en dehors de toute légalité et en toute impunité. Il manque 80 à 100 milliards d’euros au budget de la nation à cause de cette délinquance en col blanc.

L’exigence de transparence est au cœur de ce combat contre des pratiques fiscales qui permettent à de grands groupes d’échapper à l’impôt, grâce à des schémas d’optimisation fiscale complexes.

À tel point que l’actuel ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, a déclaré que « l’optimisation fiscale, c’est de l’évasion fiscale déguisée et c’est inacceptable pour les citoyens ». Ce sont tous les moyens utilisés par de grands groupes pour éviter l’impôt en étant à la marge de la légalité. Selon les propres chiffres du gouvernement et de l’OCDE, le transfert artificiel des bénéfices vers les paradis fiscaux coûte entre 4 % à 12 % des recettes issues de l’impôt sur les sociétés dans le monde, soit entre 88 à 112 milliers d’euros.

Les ONG, les lanceurs d’alerte et les parlementaires spécialistes de ces questions demandent des mesures plus fortes pour empêcher ce pillage des recettes publiques. Parmi ces mesures, l’exigence de transparence arrive en tête.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que l’OCDE travaille avec les états, notamment en mettant en place le « reporting pays par pays », qui prévoit l’échange de renseignements entre les administrations fiscales où les multinationales opèrent.

Mais comment communiquer ces données si les multinationales ne respectent même pas l’obligation de publier leurs comptes ?

Cette exigence de transparence, si largement exprimée dans le mouvement social qui traverse notre pays, est d’autant plus légitime quand elle s’applique à des entreprises bénéficiaires de fonds publics, d’allègements fiscaux ou sociaux. En 2018, 66 milliards d’euros d’exonération de cotisation sociales ont été accordés aux entreprises françaises.

C’est la raison pour laquelle des mouvements citoyens ont assigné en référé des sociétés pour les contraindre à sortir de l’opacité, derrière laquelle se cachent souvent des mécanismes d’évasion fiscale. L’association Lanceur d’alerte, représentée par MM. Alexandre et Maxime Renahy, a par exemple mené une action contre le groupe Lactalis en février 2019, et obtenu gain de cause.

Au début du mois d’octobre 2019, Lanceur d’alerte et Le Media TV ont annoncé leur intention d’assigner dix grands groupes français qui ne publient pas leur compte : le groupe Arnault ; Lagardère SA ; LM Holding (Arnaud Lagardère) ; H51 (Holding Hermès) ; Webmedia (Marc Ladreit de Lacharrière) ; Fimalac communications (Marc Ladreit de Lacharrière) ; Les Mutuelles de Bretagne ; Le Club Med ; Olympus Steel et CFEB (famille d’Ornano).

À chaque fois, le même objectif est poursuivi : obliger ces sociétés à se mettre en conformité avec la loi et répondre enfin aux obligations de transparence. Une démarche à laquelle j’ai décidé de m’associer personnellement, en tant que député, en assignant en justice tout de suite, avec M. Maxime et Alexandre Renahy, le groupe Arnault pour non‑publication des comptes.

La présente proposition de loi s’inscrit pleinement dans ce contexte. Elle a pour objectif de sanctionner plus fortement les entreprises qui ne rendent pas public leur compte.

Elle ambitionne de favoriser la transparence de la vie économique tout en assurant la correcte transposition, en droit français, des directives européennes (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017 et (UE) 2013/34 du 26 juin 2013 lesquelles imposent que les États membres prévoient des sanctions appropriées en cas de défaut de publication des comptes sociaux (voir spécialement l’article 28 de la directive 2017/1132).

Certaines sociétés ont l’obligation de déposer au greffe du tribunal de commerce, chaque année, certains documents, notamment leurs comptes annuels (bilan, compte de résultat et annexe).

Sont soumises à cette obligation les sociétés par actions (art. L. 232‑23 du code de commerce), les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 232‑22 du même code) et certaines sociétés en nom collectif (art. L. 232‑21 du même code). Ce dépôt doit être effectué au cours du mois suivant l’approbation des comptes par l’assemblée générale des actionnaires ou des associés. Une fois déposés au greffe du tribunal de commerce, les documents sont accessibles au public. Seules les micro‑entreprises peuvent déclarer que les comptes annuels qu’elles déposent ne seront pas rendus publics (art. L. 232‑25 du code de commerce). 

Le fait de ne pas satisfaire à cette obligation de dépôt est actuellement puni de l’amende prévue par le 5e de l’article 131‑13 du code pénal pour les contraventions de la 5ème classe, soit 1 500 € (art. R.247‑3 du code de commerce). Cette amende est dérisoire par rapport aux coûts de la fraude fiscale pour notre pays !

En vertu des articles L. 123‑5‑1 et du II de l’article L. 611‑2 du code de commerce, le président du tribunal de commerce peut, à son initiative, ou à la demande de tout intéressé ou du ministère public, enjoindre sous astreinte au dirigeant de la société commerciale de procéder au dépôt de ses comptes.

Enfin, le président du tribunal de commerce peut adresser aux entreprises de l’agroalimentaire qui ne procèdent pas au dépôt des comptes une injonction de le faire à bref délai sous astreinte. Le montant de cette astreinte ne peut excéder 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction (art. L123‑5‑2 du code de commerce).

En l’état, ces dispositions ne suffisent pas pour assurer le respect par les sociétés de leur obligation de publication des comptes sociaux. 

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs rappelé récemment qu’« en pratique, cette obligation de dépôt des comptes annuels est peu respectée. Ainsi que l’évoquait le rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi à l’origine de la loi n° 2005‑845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises : “En réalité, il faut souligner que moins de la moitié des entreprises, y compris des sociétés par actions, déposent leurs comptes” » (commentaire de la décision du 1er juillet 2016 n° 2016‑548 QPC, p. 2).

Outre la faiblesse de la sanction, les services en charge de vérifier l’effectivité du dispositif (greffe des tribunaux de commerce, parquet) ne sont pas suffisamment dimensionnés pour cette tâche au regard du nombre de sociétés concernées par l’obligation de dépôt des comptes annuels.

L’absence de sanction à l’obligation de dépôt des comptes sociaux crée des distorsions de concurrence entre les sociétés vertueuses qui publient leurs comptes donnant ainsi des informations à leurs concurrents et celles qui, profitant de la permissivité du système, mettent en place une stratégie de rétention volontaire de l’information. 

C’est pourquoi, la présente proposition prévoit d’inciter les sociétés à publier leurs comptes sociaux en utilisant deux leviers : 

‑ D’une part en exigeant la production d’un certificat de dépôt des comptes annuels émis par le greffe compétent de la part des sociétés qui entendent :  

‑ D’autre part, en permettant dans le cadre d’une vérification de comptabilité ou d’un contrôle mené par les agents de la DGCCRF ou de l’Autorité de la Concurrence, aux agents de sanctionner d’une amende administrative d’un montant ne pouvant excéder 2 % du chiffre d’affaires annuel, le défaut de dépôt des comptes.

Dans le même temps, et dans un souci d’efficacité, le défaut de publication des comptes serait dépénalisé pour renforcer un régime d’amende administrative.  


proposition de loi

Article 1er

La section 5 du chapitre II du titre III du livre II du code de commerce est complétée par un article L. 232‑27 ainsi rédigé est inséré dans le code de commerce : 

« Art. L 23227 Les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités à rechercher et constater les infractions ou les manquements aux dispositions mentionnées à la présente section et infliger l’amende prévue à l’article 1729 I du code général des impôts. »

Article 2

Après l’article 1729 H du code général des impôts, il est inséré un article 1729 I ainsi rédigé est inséré : 

« Art. 1729 I – Donne lieu à l’application d’une amende ne pouvant excéder 2 % du chiffre d’affaires annuel, le non‑respect par le contribuable de l’obligation de dépôt des comptes annuels prévue aux articles L. 232‑21 à L. 232‑23 du code de commerce. »

Article 3

L’article 1649 nonies du code général des impôts est complété par un III ainsi rédigé : 

« III. ‑ Toute demande d’agrément comprend obligatoirement un certificat de dépôt des comptes annuels émis par le greffe compétent. »

Article 4

Au 1° de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« N’est pas de bonne foi, le redevable n’ayant pas respecté l’obligation de dépôt des comptes annuels prévue aux articles L. 232‑21 à L. 232‑23 du code de commerce »

Article 5

Au premier alinéa du I de l’article L. 1411‑5 du code général des collectivités territoriales, après le mot : « travail », sont insérés les mots : « de leur respect de l’obligation de dépôt des comptes annuels prévue aux articles L. 232‑21 à L. 232‑23 du code de commerce ».

Article 6

Après l’article L. 2141‑5 du code de la commande publique, il est inséré un article L. 2141‑5‑1 ainsi rédigé : 

« Art. L. 214151. – Sont exclues de la procédure de passation du marché les personnes qui ne respectent pas l’obligation de dépôt des comptes annuels prévue aux articles L. 232‑21 à L. 232‑23 du code de commerce ».

Article 7

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.